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Chambre des représentants de Belgique
Séance
du lundi 4 mai 1835
Sommaire
1) Pièces
adressées à la chambre, notamment pétition relative au mode d’élection du
collège des bourgmestre et échevins (Dumortier, Dubus)
2) Projet
de loi relatif aux frais des chambres de commerce. Second vote des articles
3) Projet
de loi portant création d’un conseil des mines
4) Projet
de loi relatif à la construction de fortifications et place de guerre
5) Projet
de loi portant organisation des communes (titre Ier), amendé par le sénat.
Discussion générale. Mode d’élection et/ou de désignation du bourgmestre et des
échevins (Fallon, Fleussu, Lebeau, de Brouckere, de Theux, Desmanet de Biesme, Dumortier)
(Moniteur belge n°125, du 5 mai 1835, Moniteur belge n°126, du 6 mai 1835
et Moniteur belge n° 127, du 7 mai 1835)
(Présidence de M. Raikem.)
(Moniteur belge n°125, du 5 mai 1835)
M.
de Renesse procède à l’appel nominal à une heure.
M.
Brixhe donne lecture du procès-verbal de la précédente séance ; la
rédaction en est adoptée.
M.
de Renesse fait connaître l’analyse des pétitions suivantes.
PIECES ADRESSEES A
« Le sieur Boon, à
Bruxelles, fabricant d’engrais demande que les os soient prohibés à la sortie.
»
_______________
« Les sieurs de Hemptinne et
Vandeker, fabricants à Gand, au nom des industriels gantois, demandent que la
chambre s’occupe dans cette session de la proposition des députés des
Flandres. »
________________
« Quelques habitants de
Bruxelles demandent que la chambre maintienne dans la loi communale l’élection
directe des échevins par le peuple, et qu’elle l’étende même jusqu’aux
bourgmestres.»
« Même pétition de la part de
plusieurs habitants de Namur. »
- Ces pétitions sont renvoyées
à la commission des pétitions.
M.
Dumortier. - Il vient d’être déposé sur le bureau une pétition d’une
haute importance adressée à la chambre par plusieurs habitants notables de
Namur et une grande partie du conseil de régence de cette ville, qui réclament
en faveur de la liberté communale. Je demande que l’un de messieurs les
secrétaires veuille bien donner lecture de cette pétition.
M. le
président. - Je vais consulter la chambre.
M.
Dubus. - Je ne sais pas pourquoi l’on irait aux voix, puisqu’il n’y a
pas d’opposition. La discussion de la loi communale est à l’ordre du jour
d’aujourd’hui ; il faut donc que nous ayons connaissance des pétitions sur
cet objet ; or le seul moyen d’en avoir connaissance c’est qu’on en donne
lecture à la chambre.
M.
de Renesse. - La pétition de plusieurs habitants de Namur est ainsi
conçue :
« A la chambre des
représentants.
« Messieurs, de puissantes
hostilités menacent la liberté communale. Un système de défiance à l’égard des
citoyens semble prévaloir de plus en plus dans le gouvernement. Leur aptitude à
régler leurs propres intérêts est mise en doute. Et cependant de nombreuses et
récentes expériences nous prouvent que les gouvernements se perdent en
restreignant et non en étendant la liberté. La centralisation, funeste héritage
de la convention et de l’empire, continuée par le régime hollandais, est
souverainement antipathique aux Belges. Nous comprenons la liberté dans la plus
sage dissémination des droits individuels ou locaux. Le pouvoir qui les
méconnaît s’isole, et par conséquent s’expose à toutes les suites de la
désaffection populaire.
« Ainsi, c’est dans un
intérêt d’ordre public bien entendu que nous vous demandons, messieurs, de
persister dans vos premières résolutions, et de ne pas souffrir que l’élection
des magistrats municipaux soit ravie au peuple émancipé. C’est avec regret que
nous l’avons vu priver du droit d’élire ses bourgmestres, droit qu’il a exerce
sans inconvénients depuis la révolution. Puisse du moins cette concession être
la dernière !
« Namur, 18 avril 1835.
« (Suivent les signatures.) »
Une pétition de plusieurs
habitants de Bruxelles, sur le même objet, est ainsi conçue :
« A la chambre des
représentants.
« Messieurs,
« Justement alarmés des
tentatives usurpatrices du ministère et de son intention avouée de ravir au
peuple, sous prétexte d’harmoniser la loi communale, jusqu’à l’élection des
échevins, nous soussignés, citoyens belges, recourons à votre sollicitude, à
votre patriotisme, et vous supplions de maintenir votre première décision ; ou,
s’il faut en revenir pour coordonner les différentes branches du pouvoir
municipal, de ne changer qu’en améliorant, c’est-à-dire en rendant au peuple
émancipé l’élection des bourgmestres.
« Bruxelles, 12 avril
1835.
« (Suivent les
signatures). »
- La chambre ordonne
l’impression au Moniteur de ces deux
pétitions.
PROJET DE LOI RELATIF AUX
FRAIS DES CHAMBRES DE COMMERCE
Second vote des articles et
vote sur l’ensemble du projet
L’amendement de M. Rogier sur
l’art 1er, adopté au premier vote est mis aux voix et adopté définitivement.
La chambre confirme par son
vote la suppression des art. 2, 3 et 4.
La chambre procède à l’appel
nominal sur l’art. unique du projet ; voici le résultat du vote :
66 membres prennent part au
vote.
35 votent pour l’adoption.
31 votent contre.
La chambre adopte.
Ont voté pour l’adoption : MM.
Bekaert, Bosquet, Dautrebande, Davignon, de Behr, de Brouckere Nef, de Puydt,
Dechamps, Desmaisières, Desmanet de Biesme, Desmet, Doignon, Dubus, Fallon,
Fleussu, Frison, Gendebien, Lardinois, Lebeau, Legrelle, Nothomb, Rogier,
Seron, Smits, Troye, Ullens, Vanden Wielle, Vanderheyden, Verdussen, Vergauwen,
Verrue-Lafrancq.
On voté contre l’adoption :
MM. Berger, Coppieters, A. Dellafaille, H. Dellafaille, de Longrée, de Man
d’Attenrode, de Meer de Moorsel, de Renesse, de Roo, de Sécus, de Stembier, de
Terbecq, de Theux, Dewitte, d’Hane, d’Hoffschmidt, Eloy de Burdinne, Jadot,
Liedts, Milcamps, Olislagers, Polfvliet, Raikem, A. Rodenbach, C. Rodenbach, (erratum
inséré au Moniteur belge n°129, du 10 mai 1835 :) Simons, Vanderbelen, (erratum
inséré au Moniteur belge n°128, du 9 mai 1835 :) H. Vilain XIIII, L. Vuylsteke, Wallaert, Zoude.
PROJET DE LOI PORTANT CREATION
D’UN CONSEIL DES MINES
M.
Brixhe dépose le rapport de la commission chargée de l’examen du projet
de loi relatif à la création d’un conseil des mines.
PROJET DE LOI RELATIF A
M.
de Puydt dépose le rapport de la commission chargée de l’examen du
projet de loi relatif à la construction de fortifications et places de guerre.
- La chambre ordonne l’impression
et la distribution de ces deux rapports ; elle décide que la discussion en sera
fixée ultérieurement.
Discussion générale
M.
Fallon. - La position dans laquelle la chambre s’est placée en divisant
le projet de loi sur l’organisation communale, ne me permet pas de former mon
opinion, en pleine connaissance de cause, sur les points principaux de la
discussion à laquelle nous allons nous livrer de nouveau.
Cette séparation d’entre le
personnel et les attributions, adoptée à la faible majorité d’une voix, prouve
qu’une moitié de la chambre était convaincue que, pour asseoir un jugement
raisonné sur la question du choix des magistrats chargés de l’administration
journalière de la commune, il était indispensable de connaître quelle serait la
nature et l’étendue de leurs mandats. Et, en effet, avant de s’occuper du point
de savoir où et comment on choisira des mandataires, il faut définir d’abord
quel doit être l’objet du mandat.
Nous savons bien quelles sont
les attributions que nous avons provisoirement votées mais nous n’avons aucune
garantie que la chambre persistera dans son premier vote, et il y a d’autant
plus d’incertitude à cet égard que, quand nous arriverons à ce second vote, la
chambre se trouvera renouvelée de moitié et pourra bien se composer d’éléments
nouveaux qui viendraient contrarier toutes les prévisions.
La méthode la plus vicieuse de
procéder en toutes choses, et surtout en législation, c’est de raisonner sur
des hypothèses ; c’est de devoir se prononcer sur le principe d’une proposition
sans aucune garantie qu’on obtiendra dans l’application les conséquences qu’on
en attend.
Dès l’origine de la discussion
de la loi, j’avais prévu toutes les difficultés de la discussion du titre du
personnel, sans être certain que, dans la discussion du titre des attributions,
une autre majorité ne viendrait pas empêcher ou contrarier l’application des
principes qui auraient servi de direction aux premières opinions. J’avais prévu
également les difficultés qui allaient surgir, dès lors que l’on voulait
chercher pour la commune un autre système que celui que l’on avait adopté pour
la province sans contradiction sérieuse. J’insistai pour l’application de ce
système à la commune, et j’y insistai avec d’autant plus de confiance, que
cette application me paraissait et me paraît encore plus avantageuse à la
commune qu’aucun des projets présentés.
On m’a objecté, et cette
objection s’est représentée à plusieurs reprises, que l’administration
communale ne pouvait pas être assimilée à l’administration provinciale.
Mais une semblable réponse
n’était pas de nature à faire impression sur ma conviction. Dire que ce sont là
des ordres de choses différents, ce n’était pas dire, ce n’était pas démontrer
surtout, que ce qui convenait à l’un de ces ordres de choses ne convenait pas à
l’autre, et je suis encore à attendre cette démonstration.
Dans la commune comme dans la
province on établit un conseil.
D’un côté, ce conseil a pour
attributions les intérêts exclusivement provinciaux, et de l’autre, il a pour
attributions les intérêts exclusivement communaux.
Jusque là l’assimilation est
parfaite.
Dans la commune comme dans la
province, nous appelons une fraction de ce conseil à l’administration
journalière. Qu’ici vous appeliez les membres de cette fraction des députés, et
que là vous les appeliez des échevins, la différence n’existe que dans les
mots. D’un côté comme de l’autre, c’est un collège d’administration journalière.
Dans la province ce collège ne
se borne pas à l’administration des intérêt exclusivement provinciaux, il est
en outre appelé à aider à l’administration des intérêts généraux. Il en est de
même du collège des échevins dans la commune.
Il y a donc encore
assimilation d’attributions entre le collège de la députation dans le cercle de
la province et le collège des échevins dans le cercle de la commune.
Or, pourquoi ne veut-on pas qu’alors
que, dans la province, c’est le conseil qui choisit directement ses
mandataires, dire ceux qu’il charge d’administrer journalièrement à sa place,
pourquoi ne veut-on pas que le conseil communal choisisse également ses
députés, c’est-à-dire ceux qui sont également chargés du ménage journalier et
que nous appelons des échevins, sans que ce nom fasse rien à la chose ?
On a dit que le collège des
échevins étant appelé à statuer avec le bourgmestre sur des objets
d’administration générale, on devait puiser leur mandat à la même source.
Mais il y a chose jugée par la
chambre que cette conséquence n’est pas déterminante. Le collège provincial est
appelé à statuer avec le gouvernement sur les objets d’administration générale,
et la chambre a décidé que le mandat des députés devait venir, non du pouvoir
qui nomme le gouverneur, mais du conseil.
On a dit que le conseil
provincial étant plus nombreux que le conseil communal, il y avait plus de
garantie pour un bon choix d’un côté que de l’autre. Mais ce n’est là qu’une
considération de chiffre tout à fait insignifiante. On ne voit pas pourquoi
quinze personnes ne pourraient pas, aussi aisément et aussi utilement pour la
chose publique, choisir les deux plus capables d’entre eux, que trente
personnes qui en ont quatre à choisir. On ne conçoit pas pourquoi ces 15
personnes, que l’on reconnaît capables de choisir des candidats, ne seraient
pas aussi capables de choisir les titulaires. On ne conçoit pas pourquoi les 15
personnes, habitants de la même commune, et qui se connaissent parfaitement, ne
feraient pas un aussi bon choix que le ministre qui ne les connaît pas. Du
reste, si c’est dans le nombre de ceux qui choisissent que l’on veut trouver la
garantie d’un meilleur choix, c’est au système d’élection directe qu’il faut
s’en tenir, car le collège électoral l’emporte de beaucoup sur le chiffre du
conseil provincial.
On a objecté que, dans une
province, les députés ne délibèrent qu’à l’intervention d’un chef qui est au
libre choix du pouvoir exécutif et à qui appartient l’exécution des actes
d’administration générale. Mais rien n’empêche d’appliquer la même combinaison
à la commune. Quant à moi, je n’y voyais pas le moindre inconvénient pour ce
qu’on appelle les franchises communales.
Les échevins étant toujours en
nombre double et même en plus grand nombre dans certaines localités, je ne vois
pas comment un bourgmestre pourrait faire prendre la moindre mesure qui ne fût
pas dans les intérêts de la commune.
On a dit, enfin, que le choix
des échevins par les conseils communaux établirait des collisions et des
divisions qu’il fallait éviter, et l’on propose pour moyen une présentation de
candidats. Mais je demande aux partisans de ce système si tel membre qui
aspirait à l’échevinage sera moins contrarié de ne pas avoir été nommé, et je
leur demande encore si, alors qu’il faudra 4 échevins et par conséquent 12
candidats, le petit nombre de conseillers qui n’auraient pas reçu l’honneur de
la liste de présentation, seront plus satisfaits que s’ils n’avaient vu donner
cette préférence qu’à 4 d’entre eux seulement.
Le moyen d’assurer l’union et
l’harmonie dans les conseils communaux, le moyen de faciliter l’action du
collège des échevins, c’est d’en faire les hommes de confiance et d’affection
de ces conseils. On est toujours moins disposé à contrarier des mandataires de
son libre choix que des mandataires imposés.
J’ignore quel sera le résultat
de la lutte entre les différents systèmes qui resteront peut-être en présence
beaucoup trop longtemps encore pour la mise à exécution d’une loi dont
l’urgence s’accroît de jour en jour ; l’administration du pouvoir judiciaire
souffre de cet état de choses. Chaque jour ses pertes augmentent et nous ne
pouvons y pourvoir. Si l’on continue à ne pas vouloir se rattacher à un
antécédent déjà adopté par la chambre, si l’on ne veut pas se rattacher aux
principes que nous avons adoptés pour l’organisation de la province, je
persiste à croire que nous attendrons encore longtemps avant d’être d’accord
entre nous et avant de trouver un accord parfait entre les deux chambres,
dût-on même en finir par le remède de la dissolution.
Le sénat n’a pas voulu de
notre loi, et cela n’est pas surprenant, s’il s’est laissé influencer par le
système d’attributions, tel que nous l’avions adopté.
De notre côté, nous ne
voudrons probablement pas de son nouvel oeuvre, du moins si j’en crois la
section centrale.
Nous renverrons donc encore au
sénat quelque chose de nouveau, sans prévoir ce qui en reviendra, et, en
attendant, la loi des attributions restera dans nos cartons, pour reproduire,
plus tard, une lutte non moins opiniâtre, dans laquelle nous devrons encore
nous traîner longtemps.
Voyons toutefois à quoi nous
en sommes de cette interminable querelle.
Le sénat veut que le
bourgmestre, choisi hors du sein du conseil, ait voix délibérative dans le
conseil, et la section centrale partage cette opinion dont elle attend
d’heureux effets.
Ce motif ne me touche pas. Je
ne crois à ces heureux effets que dans la circonstance où aucun membre du
conseil ne se sera cru propre à faire un bourgmestre, et ce cas sera fort rare.
Hors de là, je crois que ces heureux effets ne seront obtenus qu’alors qu’un
semblable bourgmestre aura mérité l’affection de ses collègues autrement que
par l’origine exceptionnelle de son mandat.
Pourquoi donc n’a-t-on pas
pensé à ces heureux effets dans l’organisation provinciale ? Veut-on peut-être
faire un retour sur le passé ; veut-on convier le sénat à changer notre ouvrage
pour qu’il accorde aussi voix délibérative au gouverneur dans le conseil provincial
? Il ne manque plus que cela pour renvoyer l’organisation provinciale à
plusieurs années.
Il faut agir plus franchement
en fait d’institutions politiques. Il faut surtout mettre de l’harmonie entre
elles.
Si, en demandant le choix du
bourgmestre en dehors du conseil, et contrairement à ce que le gouvernement
avait lui-même concédé dans les premières discussions, ce n’est qu’une
exception que vous voulez franchement pour les cas fort rares d’exigences
extraordinaires, ne sortez pas des termes de l’exception. C’est un bourgmestre
d’exception que vous aurez, et ce ne serait plus un bourgmestre d’exception si
vous l’assimilez en tous points au bourgmestre de la règle.
Un autre sujet de discussion
beaucoup plus sérieux, c’est le mode d’élection des échevins.
Il sera plus difficile ici de
concilier la contrariété d’opinions et de systèmes, aussi longtemps qu’on ne se
mettra pas d’accord avant tout sur les attributions que l’on donnera
définitivement aux échevins.
Ces systèmes sont au nombre de
quatre :
L’élection directe.
Le choix dans le conseil
déféré au Roi.
Le choix dans le conseil
déféré au Roi, sur présentation de candidats par le conseil.
Le choix dans le conseil, par
le conseil.
Si la législature maintient
les attributions telles que nous les avons réglées, je conviens que le plus
mauvais de ces systèmes est l’élection directe.
Suivant ce régime
d’attributions, le bourgmestre ne serait bourgmestre que de nom, et, sauf la
présidence, ce qui ne fait absolument rien au fond de la chose, le bourgmestre
ne serait pas plus bourgmestre que chacun des échevins.
Or, il est incontestable que
le bourgmestre, n’étant aux échevins que comme 1 est à 2 ou à 4, dans certaines
localités, les échevins paralyseraient toujours l’action du bourgmestre quand ils
le voudraient ; et dès lors il faut reconnaître forcement que les échevins sont
bien plutôt les chefs de l’administration que le bourgmestre lui-même.
Si l’on maintient les
attributions telles que nous les avons réglées, l’élection directe des échevins
est donc inadmissible.
Mais rien n’empêche de
modifier le régime des attributions lorsque nous y reviendrons, et rien
n’empêche par conséquent que, sous cette réserve, on ne persiste à demander
l’élection directe des échevins.
Je n’y verrais, quant à moi,
aucun inconvénient, et j’appuierais ce voeu si le pouvoir des échevins était
circonscrit dans le cercle du ménage exclusivement communal.
C’est dans ce sens que j’ai
toujours entendu les franchises communales, c’est dans ce sens seulement que je
ne veux pas de centralisation, et dans ce sens que j’ai voté pour l’élection
directe.
Les droits de la commune comme
être collectif, et en ce qui regarde les intérêts domestiques, sont, pour moi,
tout aussi sacrés que ceux de tout individu. Mais là doivent s’arrêter les
franchises communales. Si son administration est en outre appelée à aider ou à
concourir à l’action du pouvoir exécutif ; si elle devient l’agent d’un pouvoir
dans l’exécution des lois et règlements généraux d’administration, l’élection
directe n’est plus compatible avec la nature du mandat.
J’appuierai donc ou je
repousserai l’élection directe suivant qu’elle se trouvera en harmonie ou en
discordance avec le régime d’attribution, et c’est assez dire que, dans l’état
des choses, je me trouve dans l’impossibilité de pouvoir voter en connaissance
de cause, puisque rien ne me garantirait l’application des conséquences de mon
suffrage.
Le second système, c’est celui
du sénat, c’est le choix déféré au Roi dans le conseil.
Je suis dans la même position
sur l’opportunité de ce système. Les échevins auront-ils les mêmes et
identiques attributions que le bourgmestre ? Interviendront-ils autant et aussi
avant que lui dans l’exécution des lois et règlements générale ?.... Je
l’ignore, et personne ne peut me le dire.
S’il devait en être ainsi,
j’admettrais le système de l’élection par le Roi dans le conseil ; mais avant
d’en venir là, je combattrais le système lui-même qui ne me paraît nullement
convenir.
En fait d’exécution des lois,
et règlements d’administration générale, je n’aime pas la solidarité d’action
qui ne fait ordinairement peser la responsabilité sur personne. En fait
d’exécution de loi, sur la police et la sûreté publique, il est mille
circonstances où l’action doit être prompte pour être utile et fructueuse ; et,
pour être prompte, l’action doit être une.
Que diriez-vous à un
bourgmestre qui serait en retard d’avoir mis à exécution une disposition
d’intérêt général, lorsqu’il viendra vous dire qu’il n’a pu réunir ses
échevins, que l’un était absent, que l’autre était malade, qu’on n’a pu trouver
assez tôt des membres du conseil pour les remplacer. Il arrivera souvent qu’il
sera lui-même très charmé d’avoir rencontré ces obstacles.
L’élection des échevins par le
Roi dans le conseil, avec le système d’attributions qui, seul, pourrait
justifier ce mode de nomination, ne serait donc appuyé par moi dans aucun cas.
La troisième combinaison est
le choix déféré au Roi dans le conseil sur liste de candidats présentés par le
conseil. Cette combinaison est le moyen transactionnel proposé par la section
centrale.
Ce que je viens de dire du
système du libre choix du Roi dans le conseil, s’applique directement à cette
combinaison.
Ici comme là, l’intervention
royale n’est requise que parce que l’on se place dans l’hypothèse que les
échevins interviendront aussi directement que le bourgmestre dans l’exécution
des lois et règlements d’administration générale, et qu’en conséquence ils
doivent également recevoir leur mandat du pouvoir exécutif.
Ce n’est là qu’une hypothèse dont
l’application ne me paraît pas admissible dans un bon système d’administration
communale, et dès lors la combinaison ne me convient pas.
A quoi bon, du reste, ce juste
milieu entre le libre choix du Roi dans le conseil et le libre choix du conseil
lui-même ?
N’est-il pas vrai que si vous
restreignez le libre choix du Roi dans une liste de candidats présentés par le
conseil, c’est tout comme si vous accordiez le libre choix au conseil ? Lorsque
le conseil voudra forcer la main à celui qui doit élire, il aura soin de placer
en tête l’homme qui lui convient et de lui accoler des candidats qu’on saura ne
pas vouloir accepter ou qui ne conviennent pas à la place.
On va me dire qu’on pourra
déjouer cette manoeuvre en exigeant une autre liste. Mais voilà le sujet d’une
irritation dans le conseil, voila une collision qui ne peut tourner aucunement
à l’avantage de la chose publique et qui compromet la bonne harmonie désirable
entre le centre et la rayon.
Présenter des candidats,
lorsque celui qui doit choisir ne peut sortir de la liste de présentation,
c’est, en fait, concourir tout aussi directement à la nomination que celui qui
est appelé à élire ou plutôt à homologuer un choix.
je ne vois donc pas pourquoi
ne pas trancher plus franchement la difficulté en laissant au conseil le choix
de ses députés. Pourquoi ne pas adopter un principe dont l’application à la
province n’a rencontré aucune contradiction dans cette enceinte, et qui me
paraît bien plus propre à concilier les opinions que ce système mixte où vous placez
le chef du pouvoir exécutif en état d’hostilité avec la majorité du conseil
chaque fois qu’il n’homologuera pas purement et simplement le choix du premier
candidat présenté ?
Dans l’espoir que je conserve
qu’on finira par organiser la commune d’après les principes adoptes pour
l’organisation de la province ; dans la conviction que c’est là le système qui
convient le plus aux intérêts généraux comme aux intérêts communaux, surtout
avec le choix du bourgmestre dans le conseil, j’appuierai l’amendement qui a
été voté, presqu’à l’unanimité, dans la section que j’avais l’honneur de
présider et qui a pour objet le choix des échevins dans le conseil et par le
conseil.
Je
voterai contre la proposition de la section centrale que je ne puis adopter
dans aucun cas.
Je voterai également contre la
combinaison du sénat, parce que je ne prévois aucun système d’attribution, avec
lequel il puisse s’harmoniser d’une manière convenable aux intérêts généraux.
Quant à l’élection directe, je
voterai comme je l’ai fait la première fois, c’est-à-dire, sous la condition
qu’on n’en reviendrait pas au système provincial, et que, dans ce cas, on
adopterait un tout autre système d’attribution que celui que nous avons voté.
M.
Fleussu. - Messieurs, le vote du sénat a remis en question tout le
projet de loi d’organisation communale.
Dans les débats qui ont eu
lieu, lors de la double épreuve qui a eu lieu dans cette chambre, et lors de l’épreuve
qui a eu lieu au sénat, le n’ai rien trouvé qui pût changer l’opinion que
j’avais émise. Je demanderai donc à la chambre la permission de développer
quelques-unes des considérations sur lesquelles se fonde mon opinion.
Depuis que j’ai vu avec quelle
facilité la majorité s’est déplacée dans cette chambre sur les questions
fondamentales de l’organisation communale, depuis que j’ai pesé les motifs sur
lesquels repose l’opinion qui a prévalu au sénat, depuis que, après un coup
d’œil rapide sur le rapport de la section centrale qui a été distribué hier
seulement, j’ai remarqué qu’il y avait carrière ouverte à tous les systèmes
possibles d’organisation communale, je suis tenté de me demander si le congrès
a légué à la nation une œuvre qu’elle ne peut comprendre, ou si nous ne
subissons pas le sort de tous les corps qui s’arrêtent après une impulsion trop
vive, si la législature actuelle n’est pas moins avancée que ne l’était le
congrès.
J’ai toujours regretté pour ma
part, et je regrette encore, que le congrès ait été obligé de s’occuper de lois
tout à fait spéciales et n’ait pas eu le temps, en même temps qu’il dotait le
pays de ses principales institutions, de voter les lois organiques. Je le
regrette parce que la pensée qui avait dominé les dispositions de la
constitution aurait également présidé aux dispositions des lois organiques.
Nous aurions été sûrs de retrouver, depuis le commencement jusqu’à la fin, les
mêmes principes, Cela n’est pas sans importance, car les lois organiques
peuvent tellement dénaturer nos institutions que toutes les garanties stipulées
par le congrès tombent d’elles-mêmes.
Je crois donc que le devoir de
la législature est de rechercher quelle a été la pensée du congrès, de faire
concorder les lois organiques avec la constitution ; il est du devoir de la
législature d’édifier sur le plan tracé par le congrès, de profiter des pierres
d’attente qu’il a posées.
Qu’a voulu le congrès ? Si on
se donne la peine de revoir la constitution, et pour peu qu’on veuille
l’étudier avec attention, on sera convaincu qu’il a voulu le gouvernement
représentatif, mais le gouvernement représentatif dans toute la force de
l’acception du terme, c’est-à-dire, qui a voulu un gouvernement de majorité ;
il a voulu que, dans tout le pays, la majorité pût dominer, parce que, selon
lui, le gouvernement est toujours fort quand il peut s’appuyer sur la majorité.
Cependant, au moment où je dis
quelle a été l’intention du congrès, il ne faut pas se faire illusion sur le
gouvernement représentatif ; car la supériorité de ce genre de gouvernement est
encore problématique pour certaines personnes ; c’est une sorte de transaction
entre le trône et l’élément populaire. Dans cette transaction, les droits et
les devoirs des deux parties se balancent l’un l’autre. Ce système, ainsi que
vous pouvez le prévoir, établit une lutte continuelle entre l’élément populaire
et le gouvernement. Mais que cette lutte ne vous effraie pas ; car, si elle
venait à cesser, il n’y aurait plus de gouvernement représentatif ; si elle
cessait, elle laisserait le gouvernement en face d’une représentation inerte et
sans responsabilité, je dirai même sans responsabilité morale. Le gouvernement
représentatif serait alors le plus mauvais de tous les gouvernements, parce
qu’il pourrait toujours se retrancher derrière une représentation faussement
appelée représentation nationale, et serait ainsi plus à craindre que si la
responsabilité de tous ses actes reposait sur lui. Le congrès avait
parfaitement compris cette vérité. Aussi, pour assurer le triomphe de la
majorité, voici ce qu’il a fait :
D’abord il a voté une loi
électorale la plus large possible, la plus large peut-être de tous les
gouvernements représentatifs ; car elle abaisse tellement le cens électoral,
que nous pouvons presque dire que le pays jouit du suffrage universel. Vous
savez en effet que dans les campagnes et même dans les villes le cens est si
peu élevé qu’il suffit de la plus petite fortune pour jouir des droits
électoraux. Je tire de ce fait une première preuve que le congrès a voulu la
manifestation de l’opinion de la plus grande majorité possible.
Vous vous souvenez aussi, sans
doute, de la longue discussion qui s’éleva sur la question de savoir s’il y
aurait un sénat. Y aura-t-il un sénat ? ou n’y aura-t-il pas de sénat ? Cette
question nous a longtemps divisés. Il y avait dans le congrès un grand nombre
de membres qui pensaient qu’un sénat serait fort nuisible, qui pensaient
qu’avec un sénat comme on l’entendait dans les autres pays, le gouvernement, en
nommant des sénateurs, n’empêchât le triomphe de la majorité dans cette
enceinte ou plutôt dans les lois, et empêchât que la volonté du peuple ne pût
se faire jour.
Avec ces craintes on a si bien
combiné qu’on est arrivé à faire un sénat modèle ; car il est vrai de dire que
nulle part, et sous aucun gouvernement, un sénat ne ressemble à celui que nous
avons établi. Vous avez un sénat qui n’est à vrai dire qu’une section de cette
chambre ; car, remarquez-le, ce sont les mêmes électeurs qui l’élisent, il y a
seulement quelque différence dans les conditions d’éligibilité, conditions
relatives à l’âge et à la fortune. Voilà toutes les précautions que le congrès
a prises pour assurer la manifestation de l’opinion de la majorité.
A côté de ces garanties le
congrès a stipulé des garanties encore contre les envahissements du pouvoir. La
justice est rendue au nom du Roi.
Cependant, comme les libertés
sont placées sous la sauvegarde de la magistrature, celle-ci a été proclamée
indépendante du pouvoir ; aussi dans les rangs supérieurs de l’ordre judiciaire
les nominations n’ont point été laissées purement et simplement dans les
attributions de l’autorité royale, son choix est restreint dans la liste des
présentations qui lui sont adressées par les grands corps de magistrature
judiciaire et par les grands corps politiques.
Remarquez que le congrès a
voulu la présentation d’un grand corps politique, parce qu’il a pensé que, pour
occuper de telles fonctions, la capacité ne suffit pas ; il faut choisir des
hommes qui aient de plus un caractère indépendant.
Le Roi (d’après l’art. 78 de
la constitution) n’a d’autres pouvoirs que ceux que lui attribuent formellement
la constitution et les lois particulières portées en vertu de la constitution
même.
D’après l’art. 67, « il
fait les règlements et arrêtés nécessaires pour l’exécution des lois, sans
pouvoir jamais ni suspendre les lois elles-mêmes, ni dispenser de leur
exécution. »
« Aucune pension, aucune
gratification à la charge du trésor public, ne peut être accordée qu’en vertu
d’une loi. » Voilà ce que porte l’article 114.
Enfin, « les cours et
tribunaux n’appliqueront les arrêtés et règlements généraux, provinciaux et
locaux, qu’autant qu’ils seront conformes aux lois. » Tel est le voeu de l’art.
107.
Ainsi vous voyez que partout
la loi doit prévaloir. Pourquoi la loi ? Parce que la loi est l’expression de
la volonté de la majorité. Ainsi toujours l’expression de la volonté de la
majorité doit être la règle de conduite du gouvernement.
Aujourd’hui cependant que
demande-t-on ? On vous convie à répudier toutes les traditions du congrès, à
renier la pensée de la constitution, à dénaturer l’esprit du gouvernement
représentatif ; car ce n’est plus à la volonté de la majorité mais à la volonté
seule qu’on vous engage à rendre hommage.
Je ne sais si vous avez pesé
toutes les conséquences de ce système ; mais,en peu de mots, voici celles que
j’entrevois.
Je ne vois plus dès lors que
de la disparate dans nos institutions ; elles porteront chacune le cachet de
leur époque ; et l’on distinguera sans peine les oeuvres du congrès de celles
de la législature qui l’a suivi.
Une autre conséquence de
l’adoption du projet que l’on vous propose ce sera l’anéantissement de l’esprit
public, parce qu’il se sentira dans l’impuissance de soutenir la lutte contre
des agents si nombreux dans chaque commune.
Une autre conséquence encore,
c’est qu’il n’y aura plus d’élections libres et qu’elles seront dans les mains
du gouvernement ; il sera libre de les diriger dans tel sens qu’il l’entendra,
et par conséquent, si vous n’arrivez pas à voir fausser la représentation
nationale, vous ne le devrez qu’au hasard. Vous arriverez à ce point que la
représentation nationale ne représentera plus la volonté de la majorité. Alors,
plus de responsabilité ministérielle, plus de liberté de la presse ; la représentation
nationale, telle que le pouvoir l’aura faite, sera une garantie purement
nominale, qui, pour moi, ne signifiera rien du tout.
Si donc nous voulons être
conséquents avec notre système constitutionnel, si nous attachons quelque prix
aux garanties dont le congrès nous a dotés, nous sommes forcés d’introduire
dans l’administration de la commune les mêmes principes qu’il a introduits dans
le gouvernement de l’Etat, c’est-à-dire que nous devons vouloir que la volonté
de la majorité triomphe et dans la commune, et dans la loi, et dans l’Etat.
Ce n’est pas au nom de la
constitution, mais par respect pour la révolution elle-même, que nous devrions
repousser la faculté que demande le gouvernement de nommer le bourgmestre hors
du conseil dans les circonstances extraordinaires, et de nommer les échevins
parmi les membres du conseil sur présentation du conseil.
Vous vous souvenez de la
publication des règlements sous le roi Guillaume ; l’époque n’en est pas bien
éloignée ; il ne doit pas vous être difficile de recueillir vos souvenirs. Eh
bien, dites-le, quand ces règlements parurent, ne furent-ils pas accueillis par
un cri unanime de réprobation ? On trouvait que c’était arbitraire de la part
du gouvernement d’imposer à la commune ses magistrats, qu’il était odieux que
des hommes qui lui étaient imposés fussent chargés du soin de diriger ses
affaires. On y voyait une tendance à asservir la commune ; en un mot on
considérait comme un grief, et l’on classa au nombre des plaintes articulées
contre l’ancien régime la prérogative que s’était donnée le gouvernement de
pouvoir imposer à la commune ses magistrats.
La révolution est à peine
éclatée qu’un des premiers actes du gouvernement provisoire est de faire cesser
ces récriminations, et d’y faire droit. Un arrêté rendu par le gouvernement
provisoire dans les premiers jours d’octobre rend aux communes le droit de
choisir elles-mêmes leurs magistrats.
Mais alors, messieurs, le
peuple était un être de raison et tout d’intelligence, c’était une victime
qu’il fallait dégager des liens qu’on lui avait imposés. L’esprit de liberté
n’était pas à cette époque un esprit de vertige ; on ne pensait pas que les
communes demandassent des libertés pour lutter contre le gouvernement ; on ne
supposait pas qu’il y aurait jamais dans les communes hostilité contre le
gouvernement. On croyait au contraire que plus les communes seraient libres,
plus le gouvernement serait fort. On pensait qu’il y avait dans les communes
des hommes capables de les diriger, et qu’assez de motifs porteraient les
intéressés à faire de bons choix, pour que le soin de choisir leurs
administrateurs leur fût entièrement abandonné. Eh bien, les communes furent
complètement émancipées. Aujourd’hui on veut les replacer sous tutelle.
Cependant, je ne pense pas que l’expérience de cinq ans que nous venons de
faire de l’affranchissement des communes, soit de nature à justifier un tel
revirement.
Je vous avouerai que je suis à
cet égard de l’opinion de l’auteur des Paroles d’un Croyant ; je me défie toujours
de ceux qui, par intérêt pour le peuple, veulent mettre le peuple en tutelle ;
je crains que cette puissante protection dont on veut le gratifier ne tourne
contre lui, et que la main qu’on semble lui tendre pour le diriger, ne finisse
par le comprimer.
Remarquez que ce sont des
droits acquis par la révolution qu’on veut maintenant enlever aux communes.
Autre chose, me semble-t-il, serait de stipuler des conditions plus
avantageuses aux communes, si le gouvernement tenait encore les communes sous
sa dépendance ; autre chose est de vouloir les dépouiller de droits dont elles
sont aujourd’hui en possession.
Ne perdez pas de vue que si
vous vous ranger de l’avis du gouvernement, que si vous lui donnez la faculté
qu’il vous demande aujourd’hui, les franchises communales sont perdues sans
retour ; tandis qu’on pourrait faire l’essai du système que nous défendons, et
que si l’expérience démontrait que les ressorts du gouvernement sont trop
détendus, que le gouvernement n’a pas assez d’action pour pouvoir tenir les
administrations municipales dans les limites de leurs devoirs ; éclairés par
cet essai, il vous serait facile d’y porter remède en votant une loi modifiant
celle que nous faisons en ce moment. Cette loi, ne craignez pas que le
gouvernement la repousse ; il prendra toujours le plus de pouvoir qu’il pourra
en obtenir. Il n’en serait pas de même si, croyant lui avoir donné trop de
pouvoir, vous vouliez lui en retirer ; vos efforts seraient vains, car il ne
donnerait jamais son adhésion au projet dont vous pourriez prendre
l’initiative.
Je pense que cette
considération doit être par vous mûrement méditée.
Il me semble, messieurs, qu’on
ne tient pas assez compte de l’esprit d’ordre qui anime le peuple belge. On
néglige trop les enseignements de l’expérience. Voilà cinq ans bientôt que nous
sommes sous l’empire d’une loi qui a émancipé complètement les communes. Il y a
plus : par l’abrogation de la loi fondamentale, le gouvernement se trouve, pour
la plupart du temps, sans action ni sur les hommes ni sur les actes des
administrations communales ; les communes sont complètement émancipées
entièrement livrées à elles-mêmes. Cela dure, comme j’ai déjà eu l’honneur de
vous le dire, depuis cinq ans à peu près. Or, je vous le demande, où sont les
si grands désordres que vous ayez eu à déplorer sous l’empire de ce système ?
L’Etat subsiste-t-il moins ? Y a-t-il trop de licence, y a-t-il anarchie en
Belgique ? Où sont, je le répète, les désordres dont vous puissiez vous
plaindre ?
Je ne veux pas prétendre
cependant qu’il n’y eu ait pas eu. On a eu à regretter sans doute quelques
actes arbitraires. Mais n’y en eut-il pas sous les maires de l’empire ? Les
bourgmestres de Guillaume en furent-ils exempts, et n’y en aura-t-il pas quand
le gouvernement aura le choix de ses bourgmestres ?
Remarquez que s’il y eut
quelques choix contre lesquels on pourrait faire quelques observations, c’est
que nous en sommes encore à nos premières expériences. La commune qui aura fait
de mauvais choix, se voyant mal administrée, sentira la nécessite de prendre
soin aux prochaines élections de faire des choix plus convenables, des choix
qui assureront une bonne administration de ses intérêts.
Nous nous rebutons aux
premiers essais. Nous n’attendons pas que l’esprit public soit formé, et nous
nous hâtons de faire un grand retour vers la monarchie pure. Comme je le disais
tout à l’heure, vous tuerez l’esprit public, et quand vous n’aurez plus
d’esprit public, toutes les garanties stipulées par la constitution ne seront
plus que lettres mortes.
Je demanderai ce qu’on entend
par un bourgmestre, par des échevins. Qu’est-ce donc qu’un bourgmestre ? Pour
en juger, voyons quelle est la nature de ses fonctions. Si vous voulez bien les
examiner, vous verrez que le bourgmestre est tout à la fois le mandataire de la
commune et le mandataire du gouvernement, il est le mandataire de la commune
puisqu’il préside le conseil communal, puisqu’il prend part aux délibérations
de ce conseil et qu’il est chargé de leur exécution. Il est enfin chargé de
tous les intérêts communaux. Le bourgmestre est donc avant tout l’homme de la
commune.
Je sais bien que, par suite
des lois dont nous avons hérité de l’empire, le bourgmestre, remplaçant le
maire, fut aussi chargé de l’exécution des actes d’administration générale. Je
veux même bien admettre que, dans les attributions nouvelles, le bourgmestre en
reste chargé. Il en résultera qu’il sera aussi le mandataire du gouvernement.
Ainsi donc, voilà deux mandats qui viennent se confondre sur une seule tête.
Or, je vous le demande, lorsque deux parties se trouvent dans la nécessité de
choisir le même mandataire, est-il convenable d’en déférer le choix à une seule
et de l’imposer à l’autre ? N’est-il pas dans les convenances d’attribuer à
l’une la présentation et à l’autre la nomination ? C’est ce qui arrivera si
vous adoptez le projet que j’avais défendu lors de la première discussion, si
vous forcez le gouvernement à faire son choix dans le conseil. Vous aurez la
présentation par le peuple, le peuple étant appelé à élire tout le conseil, et
ensuite la nomination par le pouvoir. Vous n’avez pas à craindre que le choix
du gouvernement soit restreint dans un cercle trop étroit ; car, dans les
villes, le nombre des conseillers est assez grand, et dans les plus petites
communes, ce nombre est de sept ou neuf, si je ne me trompe.
Messieurs, ainsi que vous le
disait tout à l’heure l’honorable M. Fallon, si vous voulez avoir une bonne
administration, il faut que tous les administrateurs puissent s’entendre entre
eux, il faut que le corps administrant, qui se compose du bourgmestre et des
échevins, s’entende avec le corps délibérant, le conseil. Si vous voulez que
cette intelligence existe, laissez la composition de ce corps municipal à
l’élection directe,
J’admets qu’on peut faire une
exception pour le bourgmestre. Alors tous les mandataires de la commune
tiendront leur pouvoir de la même source ; il n’y aura entre eux aucune envie,
aucune jalousie ; on ne verra pas l’homme du gouvernement placé en face des
hommes de la commune ; ils sortiront tous de la même source puisque ce sera par
l’élection que le bourgmestre aura acquis la capacité pour être promu à ses
fonctions.
Vous gagnerez encore à cela
que les électeurs seront moins indifférents sur le choix des conseillers,
qu’ils s’empresseront de concourir aux élections, parce qu’ils y attacheront de
l’importance. Vous verrez aussi les élus du peuple se mettre à la hauteur de
leur mission, et rivaliser de zèle pour justifier la confiance du peuple et du
gouvernement.
Si au contraire, vous faites
du bourgmestre l’homme du gouvernement seulement, il faut changer sa
dénomination. Ce n’est plus l’homme du bourg, puisque c’est l’homme du
gouvernement. Il faut changer ses attributions et en faire simplement un agent
du gouvernement, absolument étranger aux intérêts de la commune, n’ayant
d’autre mission que de surveiller auprès des conseils les intérêts du
gouvernement.
Ai-je besoin de vous dire
qu’on a déjà fait l’essai de ce système et qu’il n’a pas été heureux, et que
bientôt l’homme du gouvernement attaché à l’administration communale est devenu
suspect et presque toujours un germe de division ? Quand on s’écarte d’un
système franc, et qu’on adopte un système bâtard ; car c’est ainsi que je dois
qualifier celui qui nous est présenté, on arrive bientôt à de véritables
inconséquences, C’est ce qui arrivera si vous adoptez la proposition faite par
le sénat.
On avait déjà dû dévier, pour
choisir le bourgmestre en dehors du conseil ; mais comme il n’avait pas voix
délibérative, on a senti qu’il serait sans influence et qu’il ne pourrait pas
rendre au gouvernement les services qu’il semble en attendre. Qu’a fait alors
le sénat, et que vous propose-t-on de faire ? De donner à ce magistrat, pris en
dehors du conseil, voix délibérative dans le conseil, c’est-à-dire qu’on fait
de ce magistrat l’homme du gouvernement et l’élu de la commune. De manière que
le ministre de l’intérieur, un chef de division ou un commissaire de district,
viendrait choisir un individu, à qui il donnerait qualité pour faire partie
d’un conseil communal, alors que la constitution a dit qu’il fallait être
directement élu par le peuple, pour être membre d’un conseil communal.
Je demanderai en second lieu
ce que deviendra l’article 31 de la constitution qui dispose formellement que
le conseil seul peut statuer sur ce qui est exclusivement communal.
Quoi, messieurs, l’homme qui
n’aura pas eu pour lui le bénéfice de l’élection, qui n’aura pas joui d’assez
de confiance pour obtenir les suffrages de ses concitoyens, deviendra par la
volonté d’un seul, non seulement le président de l’administration communale,
mais sera admis à délibérer sur les intérêts communaux de cette même commune
qui l’a repoussé !
Voilà à quelles conséquences
on arrive quand on est obligé de se jeter dans un système qui n’a rien de
franc, dans un système véritablement bâtard.
S’il fallait choisir,
j’aimerais mieux donner au gouvernement la facilité de prendre le bourgmestre
hors du sein du conseil quand il le voudrait, sans qu’il soit besoin de
circonstances extraordinaires ni de l’avis de la députation des états. Au
moins, alors, quand le gouvernement prendrait le bourgmestre hors du sein du
conseil, il n’y aurait pas injure pour la commune dans laquelle on userait de
cette faculté. Il serait dans les attributions du gouvernement de choisir le
bourgmestre dans le sein du conseil ou en dehors, quelles que soient les
circonstances.
Mais que va-t-il arriver si
vous adoptez le système qu’on vous propose ? Chaque fois que le gouvernement
voudra faire usage de la faculté qu’on lui donne par exception, ce sera un
germe de division qu’il jettera dans la commune. Cet homme pris dans la
commune, qui n’a pas eu l’avantage de l’élection, qui a échoué peut-être ;
comment pensez-vous qu’il puisse se trouver en face de ceux qui ont l’honneur
de tenir leur mandat de leurs concitoyens ?
Il est évident qu’il y aura
toujours là division et discorde. Tandis que quand tous les mandataires auront
puisé leur mandat à la même source, que le bourgmestre sera choisi dans le
conseil, il n’y aura plus sujet d’envie ou d’animosité ; tous auront qualité
égale, tous auront joui de la faveur de l’élection populaire.
Messieurs, ce qu’il y a
peut-être de plus remarquable dans le projet que je combats, c’est le rôle
singulier qu’on fait jouer au bourgmestre. Tantôt on le représente comme chef
de l’administration communale, c’est le niveau sur lequel l’administration doit
rouler, c’est l’homme de confiance du gouvernement ; c’est parce que le
gouvernement doit être autorisé à avoir son homme de confiance dans le conseil communal,
qu’il demande à pouvoir le choisir hors du sein du conseil.
Tantôt le bourgmestre n’est
que le premier des échevins ; c’est un fonctionnaire de la même catégorie,
ayant les mêmes attributions, qui n’est pas plus chef de l’administration
communale que les échevins.
C’est se placer dans une
fâcheuse position ; et le projet n’est pas très conséquent, car s’il est vrai
que le bourgmestre n’est que le premier échevin, s’il est vrai de dire qu’il a
les mêmes attributions, s’il est vrai de dire en un mot que c’est un
fonctionnaire de la même catégorie, il n’y a pas plus de raison de choisir le
bourgmestre en dehors du conseil que les autres fonctionnaires administratifs.
Ou bien vous devez demander à pouvoir choisir tout le corps en dehors du
conseil, ou il faut renoncer à cette faculté pour le bourgmestre, si tant est,
comme vous le dites, que c’est un fonctionnaire de la même catégorie et ayant
les mêmes attributions que les échevins.
Si, au contraire, vous
prétendez que c’est la première autorité de la commune, que c’est un
fonctionnaire d’un ordre supérieur, ayant des fonctions plus étendues que les
autres échevins, et si c’est par cette raison que vous demandez qu’il soit
l’homme de confiance du gouvernement, que faites-vous de l’article de la constitution,
qui dit qu’à l’exception des chefs, tous les membres de l’administration
communale doivent être élus directement par le peuple ?
Cette
argumentation est pressante ; si on me l’opposait, je serais fort embarrassé pour
y répondre. Cependant je ne serais pas étonné, d’après la facilité avec
laquelle on donne des raisons pour tout, que M. le ministre de l’intérieur ou
tel autre défenseur du projet ne trouvât une réponse qui satisfît un certain
nombre de membres.
D’après ces considérations, je
voterai contre le projet s’il n’est pas amendé. J’attendrai qu’on ait répondu à
mes observations pour en présenter d’autres.
(Moniteur belge n°126, du 6 mai 1835) M. Lebeau. - Je
comptais ne prendre la parole que lorsqu’on aurait soumis à notre discussion
les différents articles amendés par le sénat. Mais je vois que la discussion
n’a réellement de général que le nom ; qu’elle a particulièrement roulé sur les
deux changements, qu’on peut appeler fondamentaux, apportés par le sénat à la
loi soumise à vos délibérations : je crois donc que ce sera du temps gagné que
de continuer la discussion générale dans le cercle où on restreinte jusqu’à
présent.
Je ne partage pas les regrets
exprimés par l’honorable préopinant, que le congrès n’ait pas achevé son œuvre,
et qu’au lieu de poser des jalons, il n’ait pas rédigé les lois organiques qui
devaient mettre en action tous les principes déposés dans la constitution. Je
crois pouvoir dire, sans faire injure au congrès national, pour qui je professe
un haut respect et une vive reconnaissance, je crois pouvoir dire que le
congrès a bien fait de s’abstenir. Je crois que le congrès national, voisin
d’une révolution qui avait profondément sillonné le sol politique, et, suscité
une vive réaction, n’était pas dans une situation d’esprit assez froide, assez
impartiale, pour faire toujours au pouvoir une juste part, et qu’il a bien fait
de ne pas tout régler. Je loue le congrès de cette réserve ; je loue le congrès
de s’être, en cette circonstance, défié de lui-même, et je trouve dans cette
circonspection un caractère de sagesse qui fait l’éloge de notre assemblée
constituante et du pays dont elle était la représentation.
Un cri d’alarme s’est fait
entendre dans cette chambre à l’apparition des amendements votés par le sénat.
Il semblait que le sénat, par les votes qu’il venait d’émettre, nous avait
jetés dans une contre-révolution. Il semblait qu’à l’apparition de cet
effroyable sacrifice des libertés publiques consommé froidement par le sénat,
les bureaux des deux chambres, allaient s’affaisser sous le poids
d’innombrables pétitions. Un pétitionnement, expression véritable et non
factice de l’opinion publique, devait se manifester avec le même caractère de
vivacité et de généralité que sous les dernières années du régime précédent ;
il allait surgir de tous les coins du royaume.
Eh bien, messieurs, vous avez
vu à quel point la nation s’est émue à l’apparition du projet amendé. Ces
innombrables pétitions où sont-elles ? Je les cherche vainement. Je me trompe,
il y en a une. Nous ne connaissons pas encore le nombre des signatures, qu’on a
obtenues avec peine en la colportant dans Namur. Elle y a fait tant de bruit,
que c’est pour la première fois que j’en entends parler aujourd’hui. (On rit.)
M.
Dumortier. - Qu’est-ce que cela prouve ? tout au plus que vous ne savez
pas ce qui se passe à Namur. (On rit.)
M.
Lebeau. - Je sais probablement mieux ce qui se passe à Namur qu’on ne
peut le savoir à Tournay. (On rit.)
A la vue d’un si mince
résultat, après de si terribles prophéties, quoique je n’aime pas à recourir à
des citations, je ne puis me défendre de vous communiquer celle-ci qui me vient
malgré moi à l’esprit : « Parturiunt
montes, nascetur ... mus. »
Pour moi, messieurs, fidèle à
mes convictions antérieures, je voterai ici, comme je l’ai fait sur le banc des
ministres, pour la nomination directe des échevins dans le conseil ; et dût le
pays se tromper, en ce moment, sur cette question, comme je n’ai jamais abdiqué
mes opinions et que je ne les abdiquerai jamais, même pour plaire à mes
commettants, j’attendrais la justice du pays sans crainte et sans impatience.
Je n’entends pas comme
plusieurs de nos honorables collègues les franchises communales ; je ne répudie
pas d’une manière aussi absolue qu’eux la centralisation. Je crois que la
centralisation, renfermée dans ses limites naturelles, est une des plus belles
conquêtes de la révolution de 89 et de celles qui l’ont suivie. Je crois que la
centralisation, sainement entendue, sagement organisée, assure le progrès d’une
nation, l’unité, la force et la dignité surtout du pouvoir législatif. Plus
vous décentralisez, plus vous créez de petits centres de résistance, plus vous
affaiblissez l’action de la volonté nationale dont vous êtes les premiers représentants.
En décentralisant au profit des localités, prenez-y garde, ce n’est pas
seulement le pouvoir exécutif que vous affaiblissez, mais le pouvoir
législatif, dont le pouvoir ministériel ne peut être, en dernière analyse, que
l’émanation, puisqu’il ne peut vivre sans son concours.
Mais, messieurs, cette
indépendance locale, où est-elle ? Ceux qui la réclament avec tant d’instance,
se sont-ils bien rendu compte de toutes les conséquences d’un principe aussi
absolu ? Où est cette indépendance locale, où est cet isolement de la commune,
et, par exemple, sous le rapport financier ? Nulle part ; et combien de
communes, sans le secours des provinces et du gouvernement, seraient dans
l’impossibilité d’avoir même une administration !
Messieurs, j’ai fait un relevé
des subsides alloués dans les budgets de 1835 aux communes par le trésor public
et par les provinces ; permettez-moi de vous en faire connaître le résultat.
Je trouve d’abord pour
subsides aux athénées et collèges, établissements essentiellement municipaux,
par la nature même des choses, si vous voulez l’indépendance locale absolue,
82,300 fr.
Pour l’instruction primaire,
242,000 fr.
Subsides pour constructions et
réparations des églises et presbytères, 130,000 fr.
Subsides aux villes et
communes dont les revenus sont insuffisants, 50,000 fr.
Subsides aux académies et aux
conservatoires, 45,000 fr.
En tout, 552,300 fr.
Maintenant, voulez-vous voir
quels sont les subsides alloués en 1835, par les provinces, aux communes ?
Culte catholique : Subsides
aux communes pour réparations et constructions d’églises et de presbytères,
environ 111,500 fr., non compris les dépenses des palais archiépiscopaux,
épiscopaux, etc.
Ensuite, soit spontanément,
soit en vertu des lois, mais toujours en vue de subvenir à l’insuffisance des
ressources de la commune, les provinces interviennent dans des dépenses
d’établissements de charité publique, d’hospices, de dépôts de mendicité,
dépenses toutes communales dans leur nature, pour une somme d’environ 289,000
fr.
Instruction publique : Les
budgets provinciaux pour 1835 contiennent des allocations destinées à faciliter
les constructions et réparations d’écoles communales, et en général à
encourager l’instruction moyenne et primaire, pour une somme d’environ 122,000
fr.
En tout 525,000 fr., qui,
réunis aux 552,300 fr. alloués par le trésor de l’Etat, donnent une masse
annuelle de subsides aux communes de 1,075,600, environ 400 fr. par commune.
Savez-vous ce que, dans la
seule province de Namur, une des moins populeuses du royaume, puisqu’elles ne
compte qu’environ 212,000 habitants, il a été demandé à la province et à
l’Etat, depuis la révolution, pour subsides aux communes ? 229,347 fr. Combien
d’accordés ? 125,943 fr., savoir : par le trésor, 74,769 fr. ; par la province,
51,174.
De sorte que les 323 communes
de la province ont obtenu à peu près 400 fr. chacune, terme moyen ; elles
avaient demandé chacune, terme moyen, plus de 700 fr. Or, il faut savoir que
dans ces communes il en est bon nombre qui n’ont pas plus de 5 ou 600 fr. de
revenu. Je vous laisse tirer les conséquences qui devraient naturellement
résulter du principe absolu de l’indépendance et de l’isolement des villes et
des villages. Ce serais la ruine d’un grand nombre de localités. Réduites à
elles-mêmes, elles n’auraient pas les moyens de s’administrer, de vivre ; elles
ne le peuvent qu’à l’aide de l’Etat et des provinces. Il n’est donc pas
possible de dénier, soit au gouvernement, soit à la province, tantôt un
contrôle, tantôt une intervention positive dans l’administration des communes.
Voudrait-on que le gouvernement et la province donnassent toujours, sans savoir
si l’on fait ou non bon usage de leurs subsides ?
J’ai voté autrefois pour la
nomination directe des échevins dans le conseil, je voterai encore de la même
manière. Je suis encore d’accord avec la section centrale sur la
constitutionnalité de l’intervention royale dans la nomination des échevins :
car la section centrale, aujourd’hui comme jadis, vous propose de faire
intervenir le Roi dans la nomination des échevins. Cependant la section
centrale a été modifiée dans son personnel, et cette circonstance est de nature
à faire plus encore d’effet sur l’esprit de l’assemblée.
Une foule d’arguments ont été
produits lors de la première discussion pour démontrer que cette intervention
n’avait rien que de légal. Parmi ces arguments, il en est un tout de fait qui,
par l’époque où ce fait a paru, mérite l’attention de la chambre ; il a été
indiqué par l’honorable M. Desmaisières ; il vous a cité l’art. 10 de la loi électorale,
lequel s’exprime ainsi :
« Art. 10. Les commissaires de
district veilleront à ce que les chefs des administrations locales envoient,
sous récépissé, au moins huit jours d’avance, des lettres de convocation aux
électeurs, avec indication du jour, de l’heure et du local où l’élection aura
lieu.
Comment, en général, les
administrations communales ont-elles entendu cet article, ces expressions « les
chefs des administrations communales ? » Qui envoie les lettres de
convocation ?
Chacun de nous peut interroger
ses souvenirs et faire réponse à la chambre ; c’est le collège des bourgmestre
et échevins…
M.
Dumortier. - Non, non, c’est inexact.
M.
Lebeau. - Je ne nie pas que dans quelques localités...
M.
de Brouckere. - Dans votre province.
M.
Lebeau. - La chose a pu être interprétée différemment, mais je
maintiens que, dans la plupart des provinces et des villes, l’art. 10 de la loi
électorale a été ainsi interprété. A quelle époque a été faite la loi
électorale ? En mars 1831, quelques semaines après la constitution ; elle a été
faite par le congrès ; et par qui a-t-elle été appliquée ? par des autorités
contemporaines du congrès, autorités qui pouvaient mieux comprendre ses
intentions que nous qui en sommes à cinq ans de distance. Je sais bien que
certains orateurs, étrangers au congrès, ont la prétention de mieux connaître
ce qui s’y passait que ceux qui y assistaient ; il y a même un de ces orateurs
qui connaît mieux que moi le sens de l’amendement que j’ai présenté alors, et
qui est entré dans le texte de la constitution.
Je déclare, bien qu’il
prétende connaître mieux que moi le fond de ma pensée, n’avoir pas songé alors
à la question de savoir s’il y aurait ou non un collège échevinal. Il en était
si peu question vers cette époque, qu’un ministre, M. de Sauvage, proposa un
projet d’organisation municipale, où le conseil échevinal était supprimé. Je
n’en dirai pas davantage sur la question de constitutionnalité. Il ne peut plus
exister de doute, à cet égard, dans la majorité de l’assemblée.
D’accord avec la section
centrale sur ce point, je diffère avec elle sur le mode de faire intervenir le
Roi dans la nomination des échevins ; je suis le premier à rendre hommage aux
intentions de la section centrale ; elles sont extrêmement louables ; elles
sont toutes de conciliation. En présence d’un conflit dont chacun de nous doit
désirer le terme, la section centrale a voulu ouvrir la voie à une transaction.
Je ne demanderais pas mieux que de donner les mains à cette transaction, si je
ne la jugeais inadmissible ; c’est un système qu’un préopinant vient déjà de
qualifier de bâtard ; c’est, à mon sens, un mauvais juste-milieu. Je dis que je
ne demanderais pas mieux que de m’y rallier, parce que je partage avec la
section centrale les intentions de conciliation dont son projet porte
l’empreinte. Mais j’ai repoussé ce système, je l’ai trouvé vicieux avant qu’on
eût voté sur les attributions du collège échevinal ; je le repousse aujourd’hui
à plus juste titre, parce que des raisons nouvelles ont confirmé et renforcé
mon opinion à cet égard.
Les raisons qu’on a données
dans la première discussion sont encore présentes à votre esprit. La
candidature, surtout dans les petites localités, est un moyen de discorde et de
haine dans le conseil, un moyen d’intrigues, une excitation à des actes de
complaisance et de compérage ; ce système a en outre pour conséquence
l’exclusion fréquente de la minorité du conseil dans le collège échevinal.
Dans ce système, vous verrez
se reproduire pour le collège échevinal l’inconvénient qu’a fait ressortir un
honorable membre avec lequel je n’ai pas l’habitude de voter, lorsqu’il
s’agissait de la députation du conseil provincial : il vous a dit que, dans les
états provinciaux, il y avait presque toujours une coalition dans la majorité
des membres de ce conseil, pour exclure de la députation les hommes étrangers
au chef-lieu de l’administration provinciale. Ce que vous avez vu dans les états
provinciaux, vous le verrez dans le conseil communal ; vous verrez la minorité
n’être presque jamais appelée à faire partie du conseil échevinal. Nous devons
vouloir cependant que la minorité ait aussi sa part d’influence en proportion
de son nombre ; le gouvernement qui n’agit pas à l’ombre, mais au grand jour,
qui est neutre, qui est étranger aux passions des localités, peut facilement
rétablir l’équilibre.
Qu’est-ce qui arrivera si vous
admettez la candidature dans un cercle aussi restreint que le conseil des
petites communes ? vous ferez donner à ceux qui seront exclus un brevet
d’incapacité, j’ai presque dit d’imbécillité, par leurs propres collègues.
Voilà comment, en général, cette élimination sera jugée par les éliminés et par
l’opinion locale. Ajoutez que tel bourgmestre, et il n’est pas si facile qu’on
le croit de trouver des bourgmestres, ne se souciera nullement de s’associer à
des échevins encore inconnus de lui, à des échevins qui pourront être présentés
dans une intention hostile au bourgmestre. Voilà ce qui peut encore arriver
avec le système de candidature ; il présente toute sorte de bizarreries. Je
prendrai pour exemple les communes au-dessous de l,000 habitants, et plus de la
moitié des communes de
Je suppose qu’on ne persiste
pas dans le partage, qu’arrivera-t-il s’il n’y a que des majorités relatives ?
le projet ne prévoit pas cette hypothèse. Si l’on persiste dans cette dissémination
de voix comment exécuterez-vous la loi ? il n’en est pas dit mot. Voici encore
un autre inconvénient qui ressort directement du système proposé par la section
centrale. Les conseils de commune se composent de sept membres ; le bourgmestre
étant choisi en règle générale dans le conseil, il reste six sujets à
candidature. Or, d’après un article de la loi, ne peuvent être échevins ni les
receveurs de l’enregistrement, ni les percepteurs des contributions, ni le
greffier de paix, ni le ministre des cultes, ni le membre du bureau de
bienfaisance, l’instituteur nommé par l’Etat ou par la province, et néanmoins
tous ces citoyens sont habiles à être conseillers communaux.
Supposez qu’il se trouve un
instituteur subsidié par l’Etat ou la province, ou un greffier de paix parmi
les six conseillers, votre loi devient inutile ; il n’y a plus besoin de
candidature, car le choix est circonscrit dans les quatre conseillers aptes aux
fonctions échevinales. Supposez qu’à ces deux fonctionnaires se joignent dans le
conseil ou un ministre des cultes, ou un percepteur des contributions, hommes,
en général, capables ; il devient impossible de compléter la liste de
présentation. Que ferez-vous alors ? Voilà une des conséquences possibles du
système proposé par la section centrale. Je conçois la candidature quand le
cercle est très large, quand il est illimité, mais non pas la candidature en un
cercle si restreint que la matière même puisse vous manquer fréquemment. Je ne
conçois pas qu’un homme prévoyant puisse donner les mains à un système qui
porte en lui-même de telles conséquences.
Voilà quelques-unes des
raisons qui me déterminaient à le repousser quand on s’est occupé de
l’intervention royale dans la nomination des échevins ; mais depuis il en a
surgi d’autres qui m’auraient décidé si j’avais pu hésiter auparavant,
Dans le projet primitif du
gouvernement, le bourgmestre seul exécutait les lois et les règlements
d’administration générale, la section centrale était à peu près de cet avis ;
eh bien, on s’est récrié contre son système ; on a exhumé les maires de
l’empire ; on a cherché à en effrayer la chambre ; on a encore ici mis les mots à la place des
choses : les maires de l’empire, il faut les voir dans l’empire, à la tête d’un
conseil nommé par le pouvoir exécutif ; il faut les voir dans un système où
toute espèce de contrôle, de résistance, de publicité, était proscrite. Et cela
est si vrai que
M.
de Brouckere prononce quelques paroles...
M.
Lebeau. - Je prie l’honorable M. de Brouckere de faire attention à ceci
: Lors de la discussion de la loi d’organisation communale en France, je crois
pouvoir affirmer qu’il n’est pas un seul membre de la gauche, du parti qu’on
appelle le mouvement, depuis M. Audry
de Puyraveau jusqu’à M. Odillon-Barrot, qui ait réclamé un collège échevinal.
Je pense qu’on ne répudiera pas néanmoins sur les bancs de l’honorable M. de
Brouckere les opinions de ces députés, quand il s’agit de liberté. Je dis,
messieurs, qu’on ne doit pas s’effrayer d’un mot, quand nous avons, au lieu de
la loi de nivôse an VIII, la constitution et ses garanties.
Le système du gouvernement sur
l’exécution des lois dans la commune a été changé de fond en comble par la
chambre. L’art. 101 de la loi actuelle a complètement changé le caractère
primitif de cette exécution ; et comme ce changement a été admis du
consentement du ministère, j’ai tout lieu de le croire définitivement arrêté.
Voici, je crois, la disposition adoptée :
« Les bourgmestre et échevins
veillent à l’exécution immédiate des lois, ordonnances et arrêtés, sauf le cas
où la loi ou l’arrêté concède au bourgmestre seul le soin de son
exécution. »
De sorte que, par le fait de
cette disposition, les échevins qui n’avaient que le caractère d’agents
communaux, ont, comme les bourgmestres, outre la qualité d’agents communaux,
celle d’agents du gouvernement ; ce sont aussi des fonctionnaires mixtes,
chargés de l’exécution des lois et des arrêtés d’administration générale tout
aussi bien que des actes de l’autorité communale : il n’y a plus de différence
entre eux. Qui a préconisé ce système ? les amateurs mêmes de l’élection
directe, les honorables MM. Desmet, Dumortier et Doignon : ils ont parlé dans
ce sens ; l’honorable M. Doignon, que je regrette de ne pas voir à son banc, a
même soutenu, à cette occasion, une thèse vraiment extraordinaire. Il a été
jusqu’à dire que l’exécution des lois dans la commune constitue toujours un
acte d’intérêt communal. C’est la plus étrange confusion où l’on puisse tomber
sur la nature du pouvoir local. il a fallu, pour s’y placer, oublier qu’il y a
deux choses dans la commune. Il a fallu oublier que la commune comme
propriétaire, comme personne privée, comme personne civile, participe plus ou
moins du caractère du simple citoyen, et que la commune, considérée comme
fraction de la nation, comme fragment du pays, n’est qu’une circonscription
administrative, un moyen de gouvernement.
Considérée comme propriétaire,
comme personne civile, la commune s’occupera de l’éclairage, de la propreté, de
l’élargissement des rues, de constructions publiques ; elle fera des
boulevards, des fontaines, des halles, des marchés ; elle embellira la ville :
votera des fonds pour bâtir ou réparer des églises, des presbytères, des
écoles, des théâtres ; votera des emprunts.... créera des taxes, des octrois,
fera des ventes, des acquisitions, procédera à des défrichements, réglera les
affouages, les essartages, donnera des subsides aux établissements privés,
plaidera, etc., etc. Dans tous ces cas, la commune fait acte d’intérêt local ;
elle s’occupe de son ménage, comme on dit. Elle s’en occupe sous le contrôle de
l’autorité supérieure, mais dans sa libre spontanéité.
Mais, quand il s’agit de
l’exécution des lois, la commune perd ce caractère de propriétaire, de personne
civile ; alors elle est évidemment une circonscription administrative : rien de
plus, rien de moins. S’il s’agit d’exécuter la loi sur les passeports, sur la
surveillance des forçats libérés, sur les livrets, sur la milice, sur la garde
civique, sur la désertion, sur la police judiciaire, sur les poids et mesures,
etc., etc., la commune, je le répète, est une pure circonscription
administrative, comme une province ou un arrondissement. Il y a 500 lois qu’on
pourrait énumérer et qui demandent le concours d’un agent du gouvernement dans
la commune.
Evidemment, dans ces cas,
l’administration de la commune ne procéderait plus à des actes d’intérêt exclusivement
local, elle ferait des actes d’intérêt général.
A l’aide de cette distinction
naturelle se dissipe la confusion que M. Doignon avait jetée sur les caractères
de la commune. Cet honorable membre prétendait que le gouvernement n’était
intéressé à procéder directement qu’à l’exécution des lois civiles, pénales et
financières dans les communes, et non à l’exécution des lois administratives ;
mais je voudrais bien que l’on me montrât en quoi le gouvernement n’est pas
également obligé, n’est pas également intéressé, dans toutes les circonstances,
à pourvoir à des lois administratives comme à l’exécution des lois civiles,
pénales et financières ? Où est le fondement de cette distinction ?
Je dois faire remarquer que
l’art. 101 du projet que nous discutons, et qui a été adopté par la chambre, va
plus loin que l’art. 98 du règlement des villes. D’après cet article, pour que
le collège des bourgmestre et échevins fût chargé de l’exécution des lois, il
fallait une déclaration précise de ces lois. En règle générale c’est le
bourgmestre seul qui était chargé de l’exécution de la loi ; c’était par
exception que les échevins participaient à cette exécution : d’après l’art. 101
voté à une assez forte majorité et auquel le ministère a adhéré, c’est le
collège des échevins qui exécutera la loi ; telle sera la règle générale ; le
bourgmestre ne pourra la faire exécuter seul qu’autant que la loi le dira
formellement.
Dans le silence de la loi il
ne dépendra pas du pouvoir exécutif de charger par arrêté le bourgmestre seul
de l’exécution : les ministres de la justice et de l’intérieur l’ont déclaré
positivement, sur l’interpellation qui leur a été faite par M. Doignon. La déclaration est
consignée dans le Moniteur ; il
n’était pas possible de mieux formuler la règle, et de rendre l’exception plus
rare et plus difficile. En un mot l’article 98 du règlement des villes a été
écarté, et c’est le système de l’art. 76 du règlement des campagnes qui a
prévalu.
Or, si ce système vicieux
était tolérable sous l’ancien régime, alors que les communes rurales n’avaient
qu’un simulacre de représentation et que le pouvoir central était très fort, je
ne saurais le considérer que comme très dangereux sans ces correctifs, sans, au
moins, la nomination des échevins restreinte pour toute limite dans le conseil
communal.
Par l’art. 101, les échevins
sont en tout assimilés au bourgmestre : la différence entre eux n’est plus que
nominale ; il y a trois bourgmestres, trois fonctionnaires mixtes, également
agents du gouvernement et agents de la commune. Ils doivent dès lors émaner de
la même source et se composer d’éléments homogènes. Sans cela le prétendu
bourgmestre n’est rien. Sa volonté peut être constamment paralysée.
J’aimerais
presque mieux, malgré les vices dont ce système est entaché à son tour,
l’élection directe des échevins et leur exclusion formelle de toute
participation à l’exécution des lois et des arrêtés d’administration générale.
Ce serait déjà un grand mal
que de remettre l’exécution à un pouvoir multiple, les éléments en fussent-ils
homogènes ; mais c’est combler la mesure que de créer à plaisir dans ce pouvoir
multiple des éléments de défiance et de discorde ; c’est combler la mesure que
d’admettre un système de candidature qui excitera les haines, le passions, et
qui ouvrira la voie à de coupables complaisances, à de honteuses intrigues.
Par toutes ces considérations,
je repousserai l’amendement, et en ce point je voterai comme le sénat.
M. de Brouckere. - Le gouvernement
adhère-t-il au projet présenté par la section centrale ?
M. le
président. - Nous ne sommes pas saisis d’un projet du gouvernement,
mais d’un projet résultant des délibérations du sénat, et qui nous a été
transmis par ce corps ; et pour ce motif, je n’ai pas demande au ministre s’il
adhérait a la proposition de la section centrale.
M.
de Brouckere. - De manière que la discussion est ouverte sur le projet
envoyé par le sénat, et que le gouvernement ne s’explique pas.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux).
- Je suis étonné de l’interpellation qui est faite à M. le président ; j’aurai
soin de m’expliquer quand il sera nécessaire.
M.
de Brouckere. - Puisque le ministre manifeste de l’étonnement, je lui
dirai qu’il a toujours été dans les habitudes de la chambre de demander au
ministre s’il partageait l’avis des sections centrales ; c’est la première fois
que l’on déroge à cette habitude. M. Lebeau a dit qu’il y avait deux systèmes
de juste-milieu, le bon et le mauvais ; le ministre de l’intérieur a peut-être
un troisième système de juste milieu à nous faire connaître, j’attends qu’il
nous en parle.
M. le
président. - Je ne puis que répéter ce que j’ai dit, et c’est la
proposition du sénat qui est en délibération.
M. Desmanet de Biesme. - Messieurs,
c’est pour la troisième fois que nous sommes appelés à délibérer sur la loi
communale, ou plutôt sur quelques points relatifs à cette loi.
Je me suis abstenu de prendre
la parole dans la précédente discussion ; mais le désaccord manifesté entre
deux branches du pouvoir législatif me fait un devoir de m’expliquer sur les
principes mêmes du projet de loi.
Constituer la province et la
commune d’après les base posées par la constitution, chercher à concilier ce
que l’on doit à l’ordre public, à l’administration publique, avec les libertés
réclamées et conquises par la nation, voilà ce que nous devons faire. Or, parmi
ces libertés, les franchises communales et provinciales ont jeté de vieilles et
profondes racines en Belgique. Nous leur devons la prospérité de notre pays,
c’est par elle que nous avons devancé les autres peuples dans la civilisation ;
nous y tenons et par reconnaissance et par amour pour la liberté ; et le
système de centralisation que
Tous les esprits sages ont
néanmoins reconnu qu’on ne pouvait admettre le pouvoir communal aussi absolu
qu’il était autrefois, et que la société, constituée comme elle l’est
maintenant, avait besoin de plus de centralisation dans l’intérêt du commerce
et de l’industrie, et dans l’intérêt de l’unité nationale. Toutefois, au nombre
des libertés les plus chères au peuple belge, la nomination des magistrats
communaux est une de celles auxquelles il attache le plus de prix. Et malgré ce
que vient de dire l’orateur qui a parlé avant moi sur le peu d’importance que
l’on doit donner à la pétition faite par la ville de Namur, je dois déclarer
que les Belges ne sont pas indifférents sur le résultat de nos débats. Bien des
personnes connues par leur sagesse et par la préférence qu’elles donnent au
principe monarchique, m’ont dit plus d’une fois : Organisez la commune ; donnez
au gouvernement l’autorité qui lui est nécessaire ; mais ne sacrifiez pas nos
franchises communales.
Tout le monde est à peu près
d’accord pour donner la nomination des bourgmestres au Roi ; cet avis a été
celui de la section centrale dans son premier projet, et celui de la plupart
des orateurs que nous avons entendus dans les débats auxquels ce projet a donné
lieu. Il y en a une raison fort simple ; c’est que le bourgmestre est chargé de
l’exécution des lois et des règlements administratifs ; qu’il est agent du
pouvoir exécutif sous ce rapport, et que les ministres ne pourraient être
responsables de l’inexécution des lois, si ce magistrat n’était pas nommé par
le Roi. Cependant j’avouerai franchement qu’en donnant la nomination du
bourgmestre au Roi, je ferai plutôt hommage à des considérations d’ordre
administratif, à de doctrines gouvernementales, que je ne ferai une concession
aux craintes inspirées par ce qui a eu lieu depuis notre révolution. Sans doute
que des inconvénients ont pu être signalés dans quelques localités ; mais
l’ensemble a été fort satisfaisant.
Dans beaucoup de nos villes
nous serions fâchés de changer le personnel de notre administration communale
actuelle, pour un personnel semblable à celui qui nous était impose sous le
régime hollandais. Là où l’administration est mauvaise maintenant, c’est
l’ignorance qui en fait le vice. J’ai eu l’occasion de parcourir les campagnes,
j’ai été en relation avec les bourgmestres des villages et des plus petites
communes, et j’ai vu que les bourgmestres nommés par le roi Guillaume n’étaient
en rien préférables à ceux qui ont été nommés depuis par le peuple. Je le
répète, ce qui fait le vice des administrations des petites localités, c’est
l’ignorance. Quoi qu’il en soit, je crois qu’en bonne administration c’est le
Roi qui doit nommer le premier magistrat de la commune.
Après les secousses
révolutionnaires, il vient un moment où, se rappelant les désordres qu’elles
entraînent, on veut en quelque sorte les punir de leurs écarts, comme s’il
était possible de régler les tempêtes. Alors on est disposé à donner trop de
pouvoir au gouvernement ; dans ce moment, c’est à la législature à contenir le
pouvoir dans les bornes qu’il doit avoir. Je le demande,
Le système auquel j’accorderai
mon suffrage est celui qu’a développé M. Fallon : c’est la nomination du
bourgmestre par le Roi, dans le conseil, ou, par exception, en dehors du
conseil ; et la nomination des échevins par le conseil. En prenant ce système,
je laisse de côté la question de constitutionnalité, et je ne veux pas
m’arrêter à cette question. Je crois qu’il doit prévaloir, et je le crois
d’autant plus, qu’il est parfaitement en harmonie avec la loi provinciale que
nous avons votée.
Je m’étonne des grandes
craintes qu’inspirent les libertés communales, tandis qu’on n’en a manifestés
aucune pour les libertés provinciales.
Pourquoi, en effet, n’a-t-on
pas demandé la nomination des états députés par le gouvernement, pour revenir
aux conseils de préfecture ? Mais personne n’a eu cette pensée. On dit qu’il
faut prendre plus de précautions contre les administrations communales parce
qu’elles sont plus nombreuses que les administrations provinciales ; que les
inconvénients d’une trop grande liberté auraient un caractère plus grave dans
les communes : on le dit, mais on ne le prouve pas.
J’imagine, au contraire, de
plus grands dangers dans les écarts des administrations provinciales, parce
qu’elles embrassent une plus grande partie du territoire : mais quels dangers
peuvent résulter de l’action ou de l’inaction de petites communes disséminées
sur toute la surface du pays ? Si, d’ailleurs, quelques-unes étaient tentées
d’abuser de la liberté qu’on leur accorderait, ne pourrait-on pas y remédier
promptement ? Vous avez la cassation des actes administratifs des pouvoirs
municipaux ; vous avez même la révocation du bourgmestre, et avec de telles
armes que peut-on craindre ?
Indépendamment de ces
considérations qui doivent nous déterminer à admettre des libertés communales
assez larges, il en est d’une autre nature qui me portent à voter pour ces
libertés.
Nous avons formé un Etat
séparé de
Remarquez de plus que toutes
les fois que notre pays n’a pas copié
La liberté de la presse est
consacrée par la charte française et par notre constitution ; mais voyez quelle
différence il y a entre cette liberté chez les Belges et chez les Français.
Peut-être, en Belgique, a-t-on poussé cette liberté jusqu’à l’excès ; quoi
qu’il en soit, examinez la situation des deux pays ! Dans nos jours de joie
nous n’avons point à ouvrir les prisons aux détenus pour écrits politiques ; et
ce fait parle assez haut pour nous encourager à gérer nos affaires selon nos
propres inspirations, et sans imiter personne.
Ceux qui combattent la liberté
communale disent : Nous voyons bien que vos intentions sont pures ; mais
prenez-y garde, vous arriverez à des résultats que vous ne demandez pas ; vous
amènerez la république. Je leur réponds : Le meilleur moyen d’éviter la
république dans ce pays, c’est de lui donner autant que possible, je ne dis pas
la forme, mais les libertés républicaines ; en d’autres termes, c’est de lui
donner la plus forte somme de libertés qu’il puisse supporter.
Quand on est libre par le
fait, on ne cherche pas à changer sa situation, par des convulsions, dans
l’intérêt de quelques abstractions, pour la réalisation de quelques théories,
de quelques principes métaphysiques, Je crois qu’en exécutant franchement la
constitution que nous avons votée, le pays voudra rester longtemps dans la même
situation politique.
On voit que les contrées où
règne le plus de liberté donnent souvent de grands embarras aux gouvernements
dans les temps calmes ; mais aussi, quand arrivent les tempêtes politiques, ce
sont ces contrées qui montrent le plus d’énergie, parce qu’elles sont plus
attachées à l’ordre de choses existant. Je le prouverai par quelques exemples.
Cependant, quand la révolution
a éclaté, c’est dans cette même Bretagne que le royalisme s’est montré le plus
énergique et le plus disposé à faire toute sorte de sacrifices. Si plusieurs
provinces avaient développé le même esprit, la monarchie n’aurait pas succombé,
et la révolution aurait eu un frein.
Lorsque Bonaparte, qui avait
écrasé
La même
chose arriva en Allemagne. Quand Bonaparte fit la conquête de cet empire, une
seule contrée s’est défendue ; c’est le Tyrol. Si toutes les parties de
l’Allemagne eussent agi comme le Tyrol, jamais Bonaparte n’aurait pu y établir
son autorité.
Pendant plusieurs années j’ai
combattu dans les états provinciaux pour la cause des libertés provinciales et
communales ; je ne renierai pas ces antécédents. L’année 1835 me trouvera,
comme avant 1830, toujours indépendant d’opinion ; et je ne suis pas disposé à
rétablir sur ses autels l’idole que j’ai contribué à renverser.
(Moniteur belge n° 127, du 7 mai 1835) M. le
président. - La parole est à M.
Dumortier.
M.
Dumortier. - Je demanderai d’abord si quelque orateur veut parler en
faveur du projet.
M. le
président. - Nul orateur n’est inscrit pour le projet.
M.
Dumortier. - Messieurs, quand j’examine la marche du gouvernement
depuis quelques années, je ne sais quelle fièvre ardente le tourmente pour le
faire sortir de l’état dans lequel la constitution l’avait placé. Suivant moi,
un gouvernement sorti des barricades devait croire que sa plus grande force
était dans les barricades ; un gouvernement issu d’institutions populaires
devait chercher à s’appuyer sur des institutions populaires.
La force du gouvernement
était, non point, comme on l’a avancé, dans les minorités, mais dans les
majorités. Tout pouvoir qui ne repose pas sur elles n’a qu’une force factice,
que chaque instant peut anéantir.
La majorité du pays est assez
douée de patriotisme, assez affectionnée aux institutions qu’elle s’est
données, pour que le gouvernement qui s’appuierait sur elle n’eût rien à craindre
de l’avenir. Quelle peut donc être la
cause de son désir d’envahir sur les libertés publiques, de tout rapporter à
lui-même ? Messieurs, je la cherche vainement ; je ne peux rien expliquer.
C’est un esprit de vertige qui le tourmente. Un gouvernement qui suit une voie
contraire aux institutions qui l’ont fait naître est un gouvernement qui court
à sa perte, j’en ai la conviction.
Vous voyez la manière dont la
constitution est interprétée à chaque instant. S’est-il agi de créer un ordre,
a-t-on proposé un projet d’ordre civil et militaire ? S’est-il agi de créer une
armée de réserve, a-t-on proposé de nommer les officiers par la garde civique
elle-même, comme le veut le texte de la constitution ? S’est-il agi de créer un
conseil d’Etat, on a prétendu qu’il était compatible avec notre ordre social.
Sans rappeler toutes les lois
où la constitution a été méconnue, vous voyez qu’actuellement on vient vous
demander la nomination du bourgmestre et des échevins par le Roi, malgré la
constitution.
Si vous interrogez vos
souvenirs, vous reconnaîtrez, avec moi, qu’il n’est pas un projet de loi
présenté dans lequel l’intention persévérante du gouvernement ne se soit
montrée, celle de détruire pierre à pierre l’édifice que la constitution avait
construit.
Ce fait, messieurs, est
irrécusable. Je déplore du plus profond de mon cœur que le gouvernement ait
adopté une marche aussi perverse. Moi aussi, je regrette vivement que le
congrès n’ait pas fait lui-même les lois organiques, qu’il a laisse à la
législature suivante le soin de mettre à exécution. Pourquoi ? Parce que,
messieurs, il n’y avait au congrès qu’une seule opinion. Au congrès l’on était
mu par le désir du bien public, l’on n’avait en vue que de consacrer nos
libertés, parce que l’on savait que dans un pays comme le nôtre, où l’ordre est
la base non seulement de toutes les institutions politiques et civiles, mais
aussi des fortunes privées, l’on n’a rien à craindre de la liberté ; tandis
qu’aujourd’hui deux armées sont en présence, l’une qui cherche à l’anéantir,
l’autre qui combat pour la défendre.
Lors de la discussion de la
constitution, chaque fois qu’une disposition importante pour les libertés
publiques se présentait, elle était votée à l’unanimité, par entraînement ;
c’est que l’on avait une conviction profonde de la confiance que l’on pouvait
avoir dans le bon sens du peuple belge.
Ainsi le congrès a commis une
faute très grave en laissant à la législature suivante le soin d’organiser la
province et la commune. Car des institutions provinciales et communales dépend
la liberté d’un pays : du moment que les magistrats municipaux sont à la merci
du pouvoir, la tyrannie vient bientôt au foyer domestique, et dès lors, il n’y
a plus de liberté pour les citoyens.
L’on a vanté les bienfaits de
la centralisation. Eh quoi ! n’est-ce pas là un système parfait que la
centralisation, la centralisation au moyen de laquelle, sous le gouvernement
français, une ville, fût-elle à 600 lieues de la capitale, était obligée
d’obtenir une autorisation pour abattre un arbre sur son territoire ? Qu’est-ce
donc que la centralisation administrative ? C’est la gestion par le
gouvernement d’intérêts éloignés qu’il ne connaît pas et ne peut pas connaître.
Comment ! l’on veut qu’un ministre, qu’un chef de division connaisse mieux les intérêts
des localités que les localités elles-mêmes, que les magistrats qui les
représentent ! N’est-ce pas une chose monstrueuse que de faire gérer par un
seul les intérêts de tous ? Eh bien, c’est là la centralisation ; elle ne peut
qu’être funeste pour les citoyens et les administrations locales. Un
gouvernement sage, loin de vouloir la centralisation, doit chercher au
contraire à opérer la décentralisation. Voyez l’Angleterre. Voyez les
Etats-Unis. La centralisation existe-t-elle dans ces pays ? Cependant, vous ne
pouvez nier que ce ne soient les pays les plus avancés.
La centralisation n’est qu’un
temps d’arrêt mis au progrès des lumières et de la civilisation. Un
gouvernement, loin de chercher à tout centraliser, doit chercher à être comme
une providence dont on ressent l’influence sans en éprouver immédiatement les
effets.
Qu’est-ce qu’un gouvernement
centralisateur qui a une action de tous les jours sur tous les citoyens ? Un
tel gouvernement marche à sa ruine. En politique comme en physique, toute machine
compliquée tend à se détruire. Quand un gouvernement agit d’une manière
continue sur tous les citoyens, il est impossible qu’il n’éprouve pas des
résistances. Voyez ce qui se passe en France. Il n’y a pas de pays au monde où
le mécontentement soit plus grand. Comparez-lui au contraire des pays gouvernés
par le pouvoir absolu, mais où la centralisation n’existe pas, l’Autriche,
La centralisation au
contraire, partout où elle existe, est une source de bouleversements.
Vous citez à l’appui de votre
système les différentes dépenses communales. Voyez, dites-vous, pour l’instruction
: l’Etat paie beaucoup plus que les communes. Le bel argument ! La conséquence
de ce système serait que l’Etat devrait donner l’instruction par lui même en
rétablissant le monopole de l’instruction publique. C’est l’Etat qui paie pour
la construction et la réparation des églises communales. Ainsi, avec vos
doctrines il devrait opérer lui-même ces constructions et réparations. L’Etat
rétribue le culte catholique. Voulez-vous que l’Etat intervienne dans les
affaires du culte catholique. Je suis vraiment porté à croire que c’est là
votre arrière-pensée. (Mouvement dans
l’assemblée.)
M.
Lebeau. demande la parole pour un fait personnel.
M.
Dumortier. - Ecoutez, messieurs, ce que je vous dis. Catholiques qui
êtes ici présents, écoutez mes paroles. Jusqu’ici le gouvernement a cherché à
se servir de vous pour tuer la liberté ; ne doutez pas qu’après avoir cherché à
tuer la liberté par vos votes, le gouvernement ne vienne retourner coutre vous
les armes que vous aurez fournies et tuer le catholicisme par l’absence de
liberté.
Plusieurs membres. - C’est bien cela.
M.
Dumortier. - J’ai un reproche à adresser à l’honorable député de
Bruxelles qui m’a précédé.
L’on nous fait dire,
messieurs, à chaque instant, des choses que nous n’avons jamais pensées. L’on
nous fait professer des doctrines que nous repoussons de tous nos moyens,
doctrines anarchiques s’il en fût.
Le préopinant a voulu nous
représenter comme voulant établir l’indépendance absolue de la commune. Suivant
lui, nous dénions au gouvernement tout contrôle, toute intervention. Je défie
positivement l’honorable membre d’appuyer de preuves son accusation.
Il y a deux manières
d’entendre l’intervention du gouvernement en matière d’institutions communales.
Nous avons dénié au gouvernement une action sur la personne des magistrats
communaux, parce que la révolution que nous avons accomplie, nous l’avons faite
pour la liberté des citoyens. Quant à l’intervention sur les actes mêmes de ces
magistrats, non seulement nous l’avons accordée, mais nous avons même été plus
loin que l’on ne nous avait demandé. Nous avons beaucoup accordé au
gouvernement sous ce rapport, parce que nous avons pensé qu’en étendant
l’intervention du gouvernement sur les actes de l’autorité communale, nous
assurerions l’ordre dans le pays, sans lequel il n’y a pas de liberté possible.
Mais nous voulons aussi donner aux magistrats communaux cette liberté qui leur
est si chère. Celle que le gouvernement veut leur accorder n’est qu’un vain
mot.
Citez-moi un pays au monde où
le gouvernement ait une action aussi étendue sur les actes des autorités
communales. Je porte à cet égard le défi le plus formel. Nous avons permis au
gouvernement, lorsqu’une commune résisterait à l’exécution des lois, d’envoyer
sur les lieux un agent pour donner force à la loi. Nous avons prévu le cas où
une commune refuserait de porter à son budget une dépense que la loi lui
impose. Nous avons donné aux états provinciaux l’autorisation de porter cette
dépense d’office. Nous avons prévu le cas où une commune, persistant dans sa
résistance, donnerait l’ordre à son agent de refuser le paiement de cette
dépense. Nous avons déclaré le gouvernement personnellement responsable. Nous
avons fait en faveur du gouvernement toutes les concessions qu’il nous était
possible d’accorder, pour maintenir l’ordre dans le pays. Nous avons assuré à
l’intérêt général toute garantie contre les obstacles que pourrait susciter
l’intérêt de localité.
On a cité un fait isolé qui
s’est passé dans une ville de
Mais le Roi eût nommé le
bourgmestre et les échevins, il est certain que l’acte n’eût pas moins été
perpétré. Ce qui manquait, c’était une intervention du gouvernement sur les
actes. Si l’intervention du gouvernement en ce sens avait été possible, il est
bien certain que l’acte n’eût pas été commis. Vous arriverez donc au même
résultat, soit que vous donniez au gouvernement une intervention sur les actes,
soit que vous repoussiez cette intervention sur les personnes. Il s’agit de
choisir. Y a-t-il dans cette chambre une personne amie de la liberté qui, entre
livrer au caprice du gouvernement la position de tous les agents communaux et
lui accorder une intervention dans leurs actes, ne choisisse sans hésiter ce
dernier parti, certaine qu’elle sera de ne pas compromettre, en agissant ainsi,
la liberté des citoyens ?
Nous pouvons, messieurs, nous
laisser aller par entraînement, par divers sentiments, à voter momentanément
une loi que le pays reprouve. Mais si la chambre avait la faiblesse de
consentir à ce que l’autre branche du pouvoir législatif a proposé, j’ai la
conviction profonde que ce vote ne serait que d’une courte durée.
Il n’aurait amené pour le
gouvernement qu’une réaction funeste. Car, en physique comme en politique, en
politique comme en physique, après la compression la réaction.
Mais dites-vous, il n’y a
qu’une seule pétition qui soit arrivée à la chambre. Il faut, ajoutez-vous,
qu’elle ait été de bien peu d’importance puisque le gouverneur de la province
d’où cette pétition émane n’en a rien su. Tout cela prouve seulement que M. le
gouverneur de la province de Namur ne sait pas ce qui se passe dans sa
province.
M.
Lebeau. - Mais M. Dumortier le sait.
M.
Dumortier. - Oui, je le sais ; car j’ai appris tout à l’heure que la
pétition avait été déposée sur le bureau. Mais je l’ignorais hier.
Je savais très bien que le
pays réprouve votre système, qu’il voit avec répugnance la législature
sacrifier aux exigences du gouvernement les libertés communales, qui nous sont
si chères, puisque, dans un pays comme le nôtre, les libertés communales sont
pour ainsi dire enracinées dans le sol. Sans doute, la nation ne voit pas avec
plaisir l’oeuvre des siècles sacrifiée aux exigences d’un pouvoir qu’il faudra
désarmer dans quelques années.
Vous semblez glisser sur la
pétition des habitants de la ville de Namur. Mais l’honorable député de cette
ville qui m’a précédé, ne vous a-t-il pas dit qu’elle était couverte par les
signatures les plus honorables de cette ville, et que parmi ces signatures se
trouvaient celles des échevins et de tous les membres du conseil municipal,
c’est-à-dire des personnes les plus intéressées dans la question qui nous
occupe ? Vous dites qu’il n’y a que cette pétition. Mais n’avons-nous pas des
mémoires, des pétitions de Mons, d’Anvers, de Charleroy, de Bruxelles, de Gand,
de Verviers, de Tournay, de 20 localités importantes du pays ?
Si nous avions voulu appuyer
notre opinion de pétitions, si nous n’avions eu pour le gouvernement des égards
qu’il ne mérite pas, nous aurions fait naître un pétitionnement général dans le
pays, rien n’était plus facile. Mais nous avons eu à cœur la nationalité belge.
Nous n’avons pas voulu dépopulariser le gouvernement belge à l’étranger. Nous
avons évité la perte du gouvernement, parce que c’est bien assez qu’il se perde
par lui-même sans que nous y contribuions pour notre part.
L’orateur auquel je réponds
s’est étendu sur la question de nomination des bourgmestres et des échevins. Il
a commencé par reconnaître que les modifications introduites par le sénat
étaient fondamentales. Je lui sais gré de cet aveu. Il est bon que la nation
sache que nous faisons des concessions fondamentales, que la nation nous juge
d’après nos votes sur ces concessions.
Quant, à moi, messieurs, mon
vote sera le même qu’il a toujours été. Je refuserai toujours au gouvernement,
autant qu’il sera en mon pouvoir, une action sur la personne des magistrats
municipaux. Je lui accorderai une action forte sur les actes de la commune.
Comme je l’ai dit, l’action sur les actes est suffisante pour assurer l’ordre
et la tranquillité.
D’abord, je ne pourrai jamais
consentir à ce que le bourgmestre puisse être pris hors du sein du conseil.
Pourquoi, en effet, nous qui sommes aujourd’hui en possession de nommer nos
magistrats municipaux, serions-nous moins libéraux que
Puisque l’honorable M. Lebeau
a invoqué la loi française, il faut que la chambre sache que l’art. 3 de la loi
du 21 mars 1831 porte en termes exprès que le maire et les adjoints seront
choisis parmi les membres du conseil municipal, sans aucune exception. La loi
que vous voulez faire adopter par la législature belge est moins libérale que
celle que le roi Louis-Philippe a octroyée
Mais, vous dit-on, comment, le
gouvernement pourra-t-il faire exécuter les lois, si ce n’est pas lui qui nomme
le bourgmestre et les échevins, par qui les lois doivent être exécutées ?
D’abord je vous demanderai où
vous avez trouvé que ce soit le gouvernement seul qui exécute les lois. Si vous
l’avez trouvé, à coup sûr ce n’est pas dans la constitution. Non, messieurs, le
gouvernement n’est pas seul chargé de l’exécution des lois ; comme pouvoir
exécutif sa prérogative n’est pas illimitée, puisque notre pacte fondamental porte
en termes formels à l’art. 28 :
« Au Roi appartient le
pouvoir exécutif tel qu’il est réglé par la constitution. »
Or, remarquez que la
constitution a aussi stipulé que les intérêts exclusivement communaux et
provinciaux seront réglés par les autorités communales et provinciales. Et
comme ces intérêts sont presque toujours réglés par des lois, elle a stipulé
que les lois qui les règlent ne seront pas à la disposition du pouvoir
exécutif, mais bien des pouvoirs communal et provincial. Ainsi c’est une véritable
théorie, et rien de plus, que de prétendre que, pour avoir l’exécution des
lois, il faut être agent du gouvernement, être nommé ou suspendu par le pouvoir
exécutif. Mais cette théorie que l’on nous vante, depuis quand donc
existe-t-elle ? Ah, messieurs, elle ne vient pas d’aussi haut qu’on voudrait le
faire croire. Avant la révolution française, le gouvernement avait-il le droit
de suspendre ou de révoquer les agents communaux ? Non, sans doute. Cependant
les lois étaient exécutées. En Angleterre, le gouvernement a-t-il le droit, de
révoquer les magistrats municipaux ? Non, sans doute. Il n’a pas même le droit
d’intervenir directement ou indirectement dans leur nomination, et cependant
les lois sont exécutées. Aux Etats-Unis, le gouvernement a-t-il le droit de
nommer et de révoquer les agents communaux ? Pas davantage, et cependant les
lois sont exécutées. Sous le gouvernement des Pays-Bas, sous ce gouvernement de
tyrannie que nous avons chassé, les bourgmestre et échevins n’étaient pas
révocables, les procureurs-généraux étaient inamovibles, et cependant les lois
étaient exécutées. Remarquez bien, messieurs, que contrairement à la théorie de
l’orateur, les procureurs-généraux sont cependant chargés de l’exécution des
lois. Mais l’auteur de la loi fondamentale avait compris que ceux qui étaient
chargés de l’exécution des lois, ne devaient pas être les créatures ou les
jouets du pouvoir exécutif ; c’est que la loi doit être l’expression de la
vérité. Quand les lois comprendront ce que nous reconnaissons être juste dans
le fond de nos cœurs, chaque citoyen s’empressera de concourir à leur
exécution. A quelle époque faut-il donc remonter pour trouver le berceau des
doctrines développées par l’honorable membre ? A la convention, messieurs, à
cette convention qui reposait sur la guillotine, qui couvrit le sol français de
sang et d’échafauds. Alors, il fallait bien que les agents du pouvoir exécutif
fussent à sa merci, parce qu’il y avait à exécuter des lois qui répugnaient à
la conscience de tout homme d’honneur. Mais est-ce en Belgique, après une
révolution de cinq années, qui n’a que des faits honorables à mettre en avant,
qu’il est opportun de préconiser un système inventé au profil de la tyrannie,
la plus odieuse qui ait jamais passé sur la terre ?
L’honorable membre a reproché
à mon honorable ami M. Doignon d’avoir dit que l’exécution des lois dans les
communes était d’un intérêt communal. Je répondrai pour mon honorable ami,
puisqu’il est absent, qu’en effet l’exécution des lois dans les communes est
d’un intérêt communal. S’agit-il, par exemple, de la loi électorale qui vous a
appelés dans cette enceinte ? Vous ne disconviendrez pas que la formation des
listes électorales ne constitue un intérêt communal. S’agit-il de la loi sur la
garde civique ? Les communes ont un grand intérêt à cette loi, puisqu’elles
sont obligées de pourvoir à l’habillement des gardes nécessiteux et aux frais
des cadres. S’agit-il des lois que vous avez citées sur les fours, sur les
incendies, sur les enfants trouvés, sur les aliénés, sur les édifices publics
et privés ? Personne ne peut en disconvenir, ce sont là des objets d’intérêt
communal. Or, il serait par trop étrange de soutenir que les communes devraient
être dans tous les cas simples spectatrices de l’exécution des lois par le
gouvernement. Si vous admettiez ce système, il faudrait en arriver comme
conséquence â faire régler les budgets communaux par le gouvernement, de
manière que les conseils communaux seraient de beaucoup au-dessous de ce qu’ils
sont sous les gouvernements les plus despotiques. Voilà un système absurde,
s’il en fut jamais, un système qui n’aura pas d’écho dans cette enceinte.
On a traité la question des
échevins. Quant à la constitutionnalité, on l’a tranchée d’une manière commode
: il n’existe plus de doute à cet égard, vous a-t-on dit ; oui, messieurs, il
n’existe plus de doute à cet égard, et il ne faut que de la bonne foi pour
décider la question. Avant que l’on ne fût venu vous dire qu’il fallait tout
abandonner au gouvernement, nul de nous n’avait révoqué en doute que la
nomination des échevins pût avoir lieu par le pouvoir exécutif. Je conçois que
les opinions de plusieurs d’entre nous ont pu changer par suite des arguments
et souvent des arguties que l’on a fait valoir. Voulez-vous que je vous cite un
exemple analogue pour vous démontrer combien est funeste l’entraînement auquel
nous nous laissons aller. Si le gouvernement venait vous dire : Il y a dans
chaque province une députation permanente, c’est à moi à la nommer : Y a-t-il
une seule personne qui ne s’élevât pour crier à l’inconstitutionnalité ? Si le
gouvernement venait vous dire : Les échevins sont chargés de l’exécution des
lois ; je demande l’autorisation de les nommer non seulement dans le sein, mais
aussi en dehors du sein du conseil, de manière qu’il y ait à côté d’un conseil
nommé par le peuple un collège nommé par le gouvernement, ne seriez-vous pas
unanimes pour repousser de semblables prétentions ? Eh bien, messieurs, ces
prétentions et celles que met aujourd’hui en avant le gouvernement sont
absolument identiques sous le rapport constitutionnel. Elles reposent
exactement sur le même texte de loi, tellement que, s’il est constitutionnel de
laisser au Roi la nomination des échevins, il serait également constitutionnel
de lui accorder leur nomination en dehors du conseil communal, ou bien de lui
attribuer la nomination des députations provinciales ; et quant à ces deux
points, il doit être clair pour chacun de nous qu’il suffit de les énoncer pour
en faire ressortir l’inconstitutionnalité.
Mais, dit l’honorable membre,
l’on ne veut pas comprendre la constitution. Ecoutez, messieurs, voilà comment
la comprenait M. Isidore Plaisant, procureur-général à la cour de cassation, le
même qui dans son discours d’installation a déclaré dans les termes les plus
formels que le procureur-général devait prendre en tout temps la défense de la
couronne. Après avoir expliqué dans sa Pasinomie tout ce qui s’est passé lors
de la discussion de l’article 108 de la constitution au congrès, il termine
ainsi : « Dans le sein du congrès, l’exception à l’élection directe a été
restreinte aux seuls bourgmestres, par suite d’un amendement de M. Lebeau. »
Et celui dont je cite les
paroles est un homme qui en tout temps a pris à tâche de défendre les intérêts
de la couronne. Mais il trouve en cette occasion la chose si claire, si
palpable, qu’il ne peut se refuser à l’évidence : En effet, avant la discussion
de la loi communale, personne dans le pays, même les partisans les plus
effrénés de la couronne, n’auraient pu s’imaginer que le gouvernement élevât
jamais de pareilles prétentions.
Et en fait, quand on examine
la constitution d’une manière sérieuse et non pas d’une manière fugitive et
légère, ainsi que paraissent l’avoir fait plusieurs honorables membres qui ont parlé
dans cette discussion, on est convaincu que l’art. 108 contient des
dispositions de deux ordres différents et qui se rattachent à deux autorités
tout à fait différentes. D’abord vient ce qui est relatif aux conseils :
« § 2° L’attribution aux conseils communaux de
tout ce qui est d’intérêt communal. »
« § 3° La publicité des
séances des conseils communaux dans les limites établies par la loi. »
« § 5° L’intervention du
Roi ou du pouvoir législatif, pour empêcher que les conseils communaux ne
sortent de leurs attributions et ne blessent l’intérêt général. »
Ainsi, quand la constitution
veut parler du conseil communal, elle le dit dans les termes les plus exprès
afin qu’il n’y ait aucun doute à cet égard. Veut-elle parler des collèges de
régence, elle emploie les mots : « les administrations communales » qui en
effet désignent parfaitement les collèges de régence. Ainsi le paragraphe 1°
porte : « L’élection directe, sauf les exceptions que la loi peut établir à
l’égard des chefs des administrations communales. »
Ainsi dans l’art 108 la
constitution a en vue deux autorités tout à fait différentes : le conseil et le
collège ; elle dit : « le conseil communal, » lorsqu’il s’agit de ce
corps ; elle dit : « les administrations communales, » lorsqu’il
s’agit des collèges des bourgmestre et échevins. En effet le conseil, quoique
investi par la constitution de tous les pouvoirs de la commune ne peut pas
administrer par lui-même ; un conseil délibère, mais n’administre pas ;
administrer c’est agir. C’est le collège des bourgmestre et échevins qui agit,
qui administre. Et qu’on ne dise pas que le collège est composé de tous chefs
d’administrations communales.
J’admettrais que tous les
membres du collège sont les chefs de l’administration communale, s’ils avaient
tous le même pouvoir, si, comme dans le gouvernement provisoire et dans le
directoire exécutif, chaque membre présidait alternativement et qu’il eût
alternativement voix prépondérante. Mais, d’après la loi communale, le
bourgmestre seul préside le collège de régence, il le convoque ; en cas de
partage, c’est toujours sa voix qui est prépondérante. Il est donc
incontestable qu’il est le seul chef de l’administration communale. Or, comme
j’ai eu l’honneur de le dire, l’administration communale c’est incontestablement
le collège des bourgmestre et échevins ; par conséquent les chefs des
administrations communales sont les seuls bourgmestres, et il n’y a qu’eux
seuls que vous puissiez faire nommer par le Roi.
Cette vérité est incontestable
; en voulez-vous la preuve, vous la trouverez dans ce qui s’est passé au sujet
de l’art. premier, dans la première section centrale. J’avais alors l’honneur
d’être rapporteur de la section centrale. La rédaction de l’article premier
m’avait paru assez vague ; je proposai celle-ci : « Chaque commune
est administrée par un conseil communal, par un bourgmestre et par des
échevins. » Lorsque je présentai cette rédaction, à l’instant tous les membres
de la section centrale crièrent à l’hérésie, firent remarquer que l’on ne
pouvait maintenir cette rédaction, attendu que le conseil n’administre pas,
mais seulement délibère. Alors, comme vous voyez, on était parfaitement
convaincu que l’administration résidait exclusivement dans le collège, parce
que, encore une fois, administrer c’est agir, et quelle que soit l’importance
des attributions du conseil communal, il n’administre pas, il n’agit pas ; il
peut déléguer le pouvoir pour agir, mais il n’agit pas lui-même. Mais si
l’administration réside dans le collège, le bourgmestre seul en est le chef.
La question est incontestable
pour tout homme de bonne foi. Vous avez entendu dans les discussions
précédentes deux ministres (qui sans doute nous ont privés du plaisir de les
voir à cette séance, parce qu’ils auraient été embarrassés pour voter aujourd’hui)
dire que la constitution ne pouvait présenter aucun doute (mêmes expressions
que celles de l’honorable M Lebeau), qu’elle était tellement claire qu’il
fallait de toute nécessité que les échevins fussent nommés par le peuple.
L’honorable M. d’Huart, ministre
des finances, nous a dit que ses souvenirs étaient extrêmement frais, qu’il se
rappelait parfaitement ce qui s’était passe au congrès, et il nous a dit que
c’était dans le sens de l’élection populaire qu’après une longue discussion
avait été résolue la question des échevins que l’on prétend trancher
aujourd’hui d’une manière si légère.
Mais, dit l’honorable M.
Lebeau, nous ne voulons pas d’un système qui exclut la minorité ; il faut que
l’on représente cette minorité. En vérité, messieurs, il appartient en effet à
un ex-ministre qui a longtemps représenté la minorité de cette chambre et du
pays, il lui appartient, dis-je, de préconiser le règne des minorités.
Mais, comme l’a fort bien
établi l’honorable M. Fleussu, le gouvernement représentatif est le
gouvernement de la majorité non seulement dans les chambres, mais encore dans
la province et dans la commune. La majorité fait loi. Dans la commune comme
dans l’Etat, c’est sur la majorité qu’il faut s’appuyer pour être fort. Un
gouvernement n’est fort que lorsqu’il repose sur une majorité non corrompue :
celui qui s’appuie sur une minorité marche à sa ruine.
Si vous voulez que les
minorités soient représentées, pourquoi ne pas proposer une loi tendant à ce
que les orangistes qui n’ont pas de représentant dans cette chambre, aient le
droit d’y envoyer des représentants ? Si les minorités doivent être
représentées, une opinion qui est autre que celle de la majorité doit être
représentée dans cette enceinte ; il faut donc nécessairement admettre les
orangistes à se faire représenter dans la chambre. Voilà où on arrive avec un
pareil système, avec un pareil dévergondage d’idées.
Or, a dit, et je le répète en
finissant, qu’il n’est pas douteux que le projet présenté n’ait pour le pays
les suites les plus funestes. Veuillez considérer, messieurs, quelles seraient
les suites de ce projet, si vous aviez la faiblesse d’y donner votre
assentiment ; il donnerait au gouvernement la prépondérance dans les élections,
et les chambres ne tarderaient pas à devenir une simple commission du pouvoir
exécutif. La chambre des représentants peut-elle admettre un projet qui a une
pareille portée, un projet qui tend à dénaturer la représentation nationale et
à la réduire au rôle d’une machine à voter ? Ce serait une véritable contre-révolution,
et cette contre-révolution amènerait infailliblement une réaction après elle.
Le roi Guillaume a voulu aussi s’appuyer sur ce système ; voyez ce qui lui est
advenu : les mêmes causes produiront les mêmes effets. Le gouvernement qui
s’engage dans une telle voie, qui veut franchir les barrières que le peuples a
posées, qui veut empiéter sur les libertés publiques, peut bien triompher un
instant ; mais tôt ou tard il devra rentrer dans les limites qui lui ont été
tracées ; il n’y pourra rentrer malheureusement que par une commotion violente
(l’histoire est là pour le prouver) ; mais enfin il devra rentrer dans les
limites qu’il aura voulu franchir.
Messieurs, le caractère de
notre gouvernement est d’être éminemment envahisseur. En France, en Angleterre,
les ministères tories, les ministères de résistance voulaient s’opposer aux
envahissements de l’esprit du pays. En Belgique, au contraire, la révolution a
mis l’élément populaire à l’aise, elle a donné au peuple la liberté ; et c’est
le gouvernement qui cherche toujours à empiéter sur les libertés publiques :
or, le gouvernement actuel suit le même système, les mêmes principes qui
étaient suivis par le gouvernement déchu et qui ont provoqué la révolution. Et
quel moment choisit-il pour cela ? le moment où l’Europe entière marche vers la
liberté, le moment où le parlement anglais vient de donner un si grand exemple
à tous les gouvernements représentatifs en culbutant un ministère qui voulait
arrêter le char de la réforme.
Je crois, ou plutôt je suis convaincu
que le plus grand intérêt du gouvernement est de s’appuyer sur des institutions
populaires, et qu’il sera d’autant plus fort qu’il cherchera moins porter
atteinte aux droits de la nation.
Un monarque qui a régné sur
M. le
président. - La parole est à M. Lebeau pour un fait personnel.
M.
Lebeau. - J’y renonce.