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Chambres des représentants de Belgique
Séance du lundi 16 mars 1835

(Moniteur belge n°76, du 17 mars 1835)

(Présidence de M. Raikem.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Renesse procède à l’appel nominal à une heure un quart.

- Il est procédé au renouvellement des sections par la voie du tirage au sort.

La séance est ouverte à une heure et demie.

M. Brixhe donne lecture du procès-verbal de la séance d’avant-hier ; la rédaction en est adoptée.

M. Dechamps donne lecture du procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Renesse fait connaître l’analyse des pièces suivantes.

« Le conseil de régence de Verviers demande que la chambre adopte la proposition de MM. Davignon et Lardinois tendant à augmenter d’une classe le tribunal de cette ville. »

« Plusieurs fabricants de toiles et dentelles du royaume demandent que les droits à l’entrée sur ces produits venant de l’étranger soient augmentés. »

- Ces pétitions sont renvoyées a la commission des pétitions.

M. Ed. Ducpétiaux, inspecteur-général des prisons et des établissements de bienfaisance, fait hommage à la chambre d’un exemplaire d’un ouvrage intitulé : « Statistique sur la peine de mort en Belgique, en France et en Angleterre. »

Proposition de loi relative à la classification du tribunal de première instance de Verviers

Lecture, développements et prise en considération

M. le président. - Les sections ayant autorisé la lecture d’une proposition de MM. Davignon et Lardinois, tendant à ce que le tribunal de Verviers soit porté dans la deuxième classe, la parole est à M. Davignon.

M. Davignon donne lecture de cette proposition et de ses développements.

- L’impression et la distribution aux membres de l’assemblée sont ordonnées.

La proposition de MM. Lardinois et Davignon est prise en considération et renvoyée dans les sections.

Projet de loi modifiant le tarif des droits de douane

Dépôt

M. le ministre des finances (M. d'Huart) dépose un projet de loi et l’exposé de ses motifs, présentant des modifications au tarif des douanes.

- La chambre donne acte à M. le ministre de la présentation de ce projet de loi ; l’impression et la distribution sont ordonnées. Ce projet de loi est envoyé dans les sections.

Projet de loi sur les remplacements militaires

Rapport de la commission

M. Dubois, rapporteur de la commission chargée de l’examen du projet de loi présenté par M. le ministre de la guerre relatif aux remplaçants, dépose le rapport sur ce projet de loi.

- L’impression et la distribution de ce rapport sont ordonnées.

M. le président. - A quelle époque la chambre désire-t-elle fixer la discussion de ce projet de loi ?

M. d'Hoffschmidt. - Puisqu’on ordonne l’impression du rapport présenté par l’honorable M. Dubois relativement aux remplacements militaires, je prie le bureau de faire presser l’impression, de façon que ce projet puisse être discuté demain ; c’est le moment du remplacement ; les remplaçants sont excessivement chers, et je ne saurais trop insister sur l’urgence d’une très prochaine discussion.

M. Fleussu. - Le projet présente une question assez difficile à résoudre. Je crois que la commission s’en acquittera d’une manière satisfaisante ; mais je suis d’avis qu’il faut lui laisser le temps de l’examiner, et qu’on pourra le discuter très utilement après le titre du personnel de la loi communale.

M. d'Hoffschmidt. - On ne peut admettre ce délai, à moins de faire grand tort à ceux qui cherchent des remplaçants. Les conseils de milice ouvrent leurs séances dans les premiers jours d’avril, et faites bien attention que les parents n’attendent pas jusqu’au dernier jour pour se mettre en mesure. Tous les retards causent de graves inquiétudes aux chefs de famille. Je demande donc que l’on mette la discussion de ce projet à après-demain. Un jour d’intervalle pour l’examiner sera, je pense, bien suffisant. (Appuyé.)

- La chambre décide que le projet de loi relatif aux remplaçants sera discuté après-demain.

Motion d'ordre

Expulsion d'un étranger

M. Gendebien. - Il paraissait, d’après les assurances données par M. le ministre de la justice actuel, à son entrée au pouvoir, qu’on n’expulserait plus d’étrangers. Comme il paraît résolu à suivre un système tout opposé à celui que nous avions le droit d’attendre, je prends la liberté d’interrompre la discussion de la loi communale, pour parler de faits assez graves et qu’il est urgent de mettre sous les yeux de la chambre, afin qu’elle puisse juger de la sincérité des promesses de ceux qui sont en possession de l’administration du pays, puisqu’il paraît que des ordres d’expulsion sont sur le point d’être exécutés.

Un Polonais, appelé, je crois, Itsikoski, parti de Londres arrive à Ostende ; il exhibe son passeport sur lequel il n’y avait que ses prénoms. Interrogé pour savoir s’il était Anglais, il répond franchement qu’il est Polonais. Sur cette réponse il est saisi et mis en prison.

L’honorable et savant Haro-Arinkx se trouve dans la même position que M. ltsikoski ; tous deux sont traînés en prison, et on est sur le point de les empoigner pour les jeter au-delà des frontières.

Je demande à MM. les ministres de s’expliquer sur de pareils faits. Je demande à M. le ministre de la justice surtout jusques à quand il prétend se jouer des promesses qu’il a faites ? Vous savez tous, messieurs, que M. Ernst, sur les bancs de l’opposition, a démontre lui-même l’inconstitutionnalité des expulsions. Le jour même de son entrée au pouvoir, vous le savez encore, il a promis au sénat que dans les premières séances de la session, c’est-à-dire en novembre dernier, il présenterait un projet de loi sur les étrangers. Ce projet de loi nous ne l’avons pas encore, et on continue d’expulser ; cette lèpre gagne tous les jours.

On a pris dans notre armée des étrangers pour les incorporer dans la légion qui a été combattre pour la liberté en Portugal. A peine rentrent-ils ici qu’on leur demande s’ils sont Belges ou étrangers : s’ils sont étrangers, on les expulse. On met en charte privée même des officiers belges ; un officier belge déplaît-il, on ne se contente pas de le mettre en disponibilité ou en demi-solde, on lui assigne une ville pour prison.

Lorsque le gouvernement hollandais se permit d’ordonner à Fontan de quitter les provinces du midi et d’habiter à son choix une des provinces du nord, veuillez-vous rappeler toutes les réclamations, toutes les discussions vives qui eurent lieu. Aujourd’hui, à l’égard d’un officier belge, officier de notre armée, on agit plus mal encore qu’on ne le fit à l’égard de Fontan, qui était étranger ; on ne lui assigne pas une province, mais telle ou telle ville. Notre gouvernement est plus illibéral que celui de Guillaume ; il est plus illibéral envers des indigènes que ne l’était Guillaume envers des étrangers. Et en général cette faveur tombe sur des officiers belges qui se sont distingués dans notre révolution.

Je demande de nouveau que M. le ministre de la justice veuille bien s’expliquer sur les vexations dont MM. Itsikoski et Haro-Arinkx ont été l’objet.

Cette question me ramène tout naturellement à dire un mot à l’égard du chanoine de Judicibus qui a été, dans cette chambre, l’objet de sarcasmes et d’accusations qui ressemblaient fort à des calomnies. Il est arrivé, en définitive, qu’après avoir tergiversé longtemps, qu’après s’être renvoyé la balle, après avoir supposé d’abord qu’il appartenait à l’autorité municipale de disposer de la liberté des étrangers et ensuite à l’autorité judiciaire, le chanoine de Judicibus a obtenu enfin une faveur royale. Mais il n’en a pas moins été exposé à toutes les persécutions de l’arbitraire le plus absolu. Il n’en a pas moins été expulsé en définitive.

Ou de Judicibus a mérité les calomnies qu’a même soutenues contre lui le ministère, ou il était innocent : dans le premier cas, il fallait le faire juger ; dans le second cas, il fallait lui laisser la liberté. On l’a accusé d’escroquerie ; il y a des lois qui la punissent. En un mot, la règle à l’égard des étrangers, c’est l’expulsion.

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Non, non.

M. Gendebien. - Vous dites que non, et vous expulsez toujours ; vous allez vous rejeter sur votre honorable collègue M. de Theux ; vous croyez nous donner le change en vous déchargeant sur M. le ministre de l’intérieur de l’odieux de ces mesures. On n’est pas dupe de cette escobarderie. L’arrêté que vous exécutez a été pris par l’ancien ministère tout entier ; vous êtes tous solidaires de l’exécution qu’il reçoit aujourd’hui. Je ne vois dans cette conduite qu’un manque de courage : vous n’avez pas osé soutenir les doctrines que vous avez professées naguère comme député, et vous n’avez pas le courage de l’opinion nouvelle que vous avez acceptée en entrant au pouvoir.

Je ne me serais pas étendu sur cette question sans la négation de M. Ernst, mais elle m’a forcé à lui dire encore une fois le fond de ma pensée. Je m’arrête et demande qu’on m’explique les faits dont j’ai fait mention plus haut ; j’y reviendrai ultérieurement si les réponses ne sont pas satisfaisantes.

M. Jullien. - Je connais l’affaire dont il est question relativement à M. Haro-Arinkx. Voici quels sont les faits qui sont venus à ma connaissance.

M. Haro-Arinkx et l’officier polonais, dont il vient d’être question, sont débarqués à Ostende. La vérité est qu’ils n’avaient pas de passeports sous leur véritable nom. Haro-Arinkx avait un passeport sous un autre nom que le sien, et celui d’ltsikoski ne portait que ses prénoms. La police leur a demandé si les noms qui se trouvaient sur leur passeport étaient vraiment les leurs. Tous deux répondirent franchement que non. Le premier a dit se nommer Haro-Arinkx, et être homme de lettres ; l’autre, se nommer ltsikoski. Ce dernier a déclaré avoir fait faire son passeport sans prénoms, parce que, disait-il, en Angleterre, nous étions sous les yeux de l’ambassade russe, et que si nous avions eu le malheur de dire nos véritables noms, nous aurions pu courir des dangers réels ; voilà nos noms. Et sur cette déclaration, ils ont été arrêtés et envoyés devant M. le procureur du Roi, à Bruges. Haro-Arinkx passa dix jours dans les prisons.

La chambre du conseil a décidé qu’il n’y avait aucun délit à reprocher à cet étranger, que le passeport dont il reconnaissait la non-validité ne constituait qu’un très petit délit ; et il fut remis en liberté. Mais M. François, administrateur de la police de Bruxelles, écrivit à la régence de Bruges, afin qu’on donnât à cet individu un passeport avec la singulière indication, de ce magistrat, de mettre dans le passeport qu’il était arrivé en Belgique avec un faux passeport et sous un faux nom ; de manière que ce malheureux ne pouvait passer la frontière sans se voir exposé à toutes les rigueurs qu’une pareille annotation devait attirer sur lui. J’ai lu cette lettre et j’en ai remis la copie à M. le ministre de l’intérieur.

La régence de Bruges n’a point condescendu à une semblable invitation, elle m’a prie de faire des représentations à cet égard. J’ai rencontré depuis M. Haro-Arinkx, il m’a été recommandé par plusieurs personnes honorables, et j’ai trouvé en lui un homme d’honneur ; il m’a dit : « Je viens ici, parce qu’ayant très peu de ressources, j’ai pensé que je vivrais moins chèrement qu’en Angleterre ; je sais peindre, je suis homme de lettres, j’ai autant de moyens qu’il m’en faut pour vivre quelques mois. » Je suis en instances près du ministre de l’intérieur pour le prier de laisser séjourner Haro-Arinckx en Belgique aussi longtemps que des citoyens notables le recommanderont, et il en trouvera un bon nombre à Bruges. Je dois dire qu’il recherche si peu la publicité, qu’il m’a prié de n’agir en sa faveur que si l’on ne voulait pas lui rendre la justice qui lui est due.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - L’honorable préopinant a donné une partie des explications relatives aux deux réfugiés polonais dont il est question.

Il est à remarquer que les passeports qu’ils avaient obtenus avaient été délivrés par l’ambassade française ; il était difficile de justifier alors qu’ils avaient voulu se soustraire à l’ambassade russe.

L’officier du port n’a point fait autre chose que de suivre la ligne de son devoir. Lorsqu’il se présente à la frontière des individus dont les passeports ne sont pas en règle, et portent de faux noms, le devoir d’un officier de police est de s’assurer de ces individus ; c’est pour ces causes que ce fonctionnaire a cru devoir livrer ces étrangers à M. le procureur du Roi à Bruges.

En ce qui concerne le sieur de Judicibus, on s’est étonné qu’il ait été fourni à cet individu les moyens de s’embarquer à Ostende pour se rendre en Angleterre, comme s’il y avait là censure de l’administration.

Quoi de plus naturel que de fournir à un étranger les moyens de se rendre à sa destination ! Le sieur de Judicibus était dans l’impossibilité de faire le voyage de Belgique en Angleterre ; il était dénué de toutes ressources. Ce qui s’est passé à Gand, les moyens qu’il a employés, prouvent assez la vérité de mon assertion.

Il est donc évident qu’aucun des actes dont on a parlé n’a le caractère des expulsions antérieures. En ce qui concerne les officiers auxquels a fait allusion l’honorable M. Gendebien, je suis persuadé que rien ne sera plus facile à M. le ministre de la guerre que de répondre sur ce point d’une manière satisfaisante. Je m’abstiens de le faire, parce que je n’ai pas présents à la mémoire les faits aussi détaillés que peut les avoir mon honorable collègue.

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Un jour on vous dit, messieurs, que nous ne respectons aucune de nos libertés ; un autre jour, qu’il n’y a plus de justice à espérer en Belgique, qu’il faut recourir à d’autres moyens ; une autre fois encore, que les honorables représentants sont exposés à être arrêtés au sortir de cette enceinte, pour être ensuite expulsés. Il n’y a qu’une manière d’accueillir de semblables déclamations, c’est de ne pas y répondre.

Je profite de cette occasion pour relever des erreurs qui tous les jours sont répétées dans les journaux, relativement aux deux Polonais dont on nous a parlé. M. Jullien et d’autres membres encore de cette assemblée auraient fait près de moi de nombreuses démarches pour ces étrangers qui toutes m’auraient trouvé insensible, et n’auraient en définitive amené aucun résultat. Or le fait est que ni l’honorable M. Jullien, ni aucun autre représentant ne m’ont jamais parlé de cette affaire.

Et pourtant voilà ce qu’on n’a pas cessé d’assurer avec un sang-froid imperturbable.

L’honorable M. Gendebien dit que tous les jours on expulse en Belgique : messieurs, cette assertion est inexacte, aucune expulsion n’a eu lieu sous le ministère actuel ; quand on empêche des étrangers de se fixer en Belgique, c’est qu’ils ne remplissent pas les conditions voulues pour y être reçus. On exécute les dispositions légales sur les passeports et l’arrêté du 6 octobre 1830 ; mais il n’a été fait aucune application de la fameuse loi de vendémiaire an VI. Je répète que cette loi n’a pas été appliquée et ne le sera pas tant que je serai au ministère.

On demande si une loi ne sera pas présentée : une loi pour abroger la loi de vendémiaire an VI serait, selon moi, inutile. Des circonstances indépendantes de ma volonté ne m’ont pas permis encore de soumettre mon projet à la chambre, mais je dois ajouter que les étrangers ne gagneront rien à l’adoption d’une loi spéciale.

M. Fleussu. - Il est étonnant, messieurs, que dans un état de calme, au milieu de circonstances qui ne réclament aucune mesure de rigueur, chaque jour les journaux retentissent d’actes vexatoires envers les étrangers. On vient encore de vous parler de deux Polonais : ces étrangers se sont présentés avec des passeports qui n’étaient pas en règle, il est vrai ; mais ils ont parlé de bonne foi, ils ont déduit les motifs qui les avaient forcés à déguisés leurs noms.

Je conçois qu’en voyant des passeports irréguliers, la police ait pris des mesures ; mais ces mesures, ne les a-t-on pas poussées au-delà des termes de la prudence ? Etait-il nécessaire de traîner ces deux Polonais de prison en prison ? de vouloir les rejeter au-delà des frontières, alors surtout qu’ils étaient recommandés par des citoyens respectables, et notamment, comme nous l’a dit l’honorable M. Jullien, par des habitants considérés de la ville de Bruges ?

Chaque fois qu’une mesure vexatoire est exercée contre des Polonais, j’avoue que j’en souffre beaucoup. Je me rappelle, messieurs, que les Polonais travaillaient à leur émancipation politique, lorsque nous travaillions à la nôtre. Je me rappelle surtout que si nous n’avions pas été plus heureux qu’eux, la plupart des membres de cette assemblée se trouveraient aujourd’hui dans la position désastreuse de ces malheureux réfugiés. Nous serions, comme eux, traqués sur toute la surface de l’Europe.

Vous souvenez-vous, messieurs, de la discussion des 18 articles ; du vif intérêt qu’inspirait cette malheureuse Pologne ? On vous disait : Adoptez les 18 articles et vous sauvez la Pologne des fureurs de l’autocrate. (C’est vrai !)

Je demande, au nom d’un malheur commun (car si nous avons été plus heureux, c’est que nous nous trouvions sur les frontières de la France), je demande qu’on ne rende plus victimes de mesures vexatoires des étrangers dont le nom seul suffit pour exciter le plus vif intérêt.

Ce ne sont pas les Polonais seuls, messieurs qui ont à souffrir des vexations de la police ; nous avons vu le nommé Van Reuth, objet de l’acharnement de M. François. C’est un Hollandais qui, en raison de ses opinions politiques, ne peut plus rentrer en Hollande, et cependant le droit d’asile lui a été contesté chez nous. C’est tout au plus si on ne s’est pas emparé de lui pour le livrer aux poursuites du roi Guillaume.

Relativement à lui, toutes les garanties possibles ont été données : j’ai vu dans l’antichambre des personnes de Bruxelles qui venaient le recommander à M. le ministre de l’intérieur, lequel était présent ; et c’étaient des personnes très recommandables ; elles s’intéressaient à lui, déclaraient que c’était un homme étranger à toute politique, ou plutôt entièrement favorable à l’ordre de choses sorti de la révolution, et offraient de se rendre garants de sa conduite.

A ce langage, à ces garanties qui venaient de personnes d’une position assez élevée, M. François n’a fait qu’une seule réponse : « Il partira ! » Trois fois les gendarmes se sont présentés à l’hôtel où Van Reuth était descendu ; mais heureusement il avait été prévenu, et il a pu se mettre en sûreté.

M. l’administrateur de la police avait décidé que Van Reuth quitterait la Belgique ; pourquoi n’est-il pas parti ? C’est sur les sollicitations de plusieurs membres de cette assemblée qu’on a différé l’arrêté d’expulsion et qu’on paraît s’être décidé à laisser cet infortuné dans le pays.

Mais savez-vous quel grief on alléguait contre Van Reuth ? On n’avait rien à lui reprocher ; sa conduite était régulière ; mais malheureusement il portait le nom d’un individu expulsé ; de plus on avait su qu’il avait entretenu une correspondance avec des personnes établies en Hollande, correspondance tout à fait étrangère à la politique, et exclusivement commerciale, comme en ont eu la plupart des négociants d’Anvers qui, pour entretenir des relations avec la Hollande, ont été obligés de correspondre avec des négociants hollandais.

Un autre grief de M. François contre Van Reuth, c’est qu’il prétend qu’une partie de ses papiers lui avait été soustrait et qu’il n’avait pas tout vu ; cependant il paraît que la visite a eu lieu pendant que Van Reuth était détenu aux Petits-Carmes.

Voilà les renseignements qui me sont parvenus. Est-ce donc un grief que d’entretenir une correspondance dans un intérêt commercial ? Van Reuth veut résider en Belgique où il est attaché à une maison de commerce, et on veut le forcer à rentrer en Hollande où il ne peut pas être souffert.

Je voudrais que l’on se conduisît autrement à l’égard des étrangers.

J’engage, et j’engage de toutes mes forces, les ministres à faire en sorte que de telles plaintes ne parviennent plus jusqu’à nous ; car, pour moi, je serais alors porté à imiter l’irritation de certains membres dans le reproche qu’ils adressent au ministère.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Messieurs, vous avez entendu les explications que l’honorable M. Jullien et moi avons données sur les deux Polonais. Je ne reviendrai donc pas sur ce sujet ; je crois que tout a été dit à cet égard.

On vous a parlé d’un Hollandais : on vous a dit que sa seule qualité de frère d’un expulsé avait été un motif pour que l’on provoquât également son expulsion. Je crois qu’il y a là de l’exagération. Par ce dont l’honorable M. Fleussu a rendu compte à la chambre, on voit qu’il a entendu Van Reuth ou ses amis ; on sait que dans ces sortes d’affaires il faut entendre les deux parties.

Je crois que ce n’est pas sans raison que l’attention de la police a été éveillée au sujet du sieur Van Reuth. Je ne veux pas déclarer ou affirmer qu’il y ait des faits graves à sa charge ; mais je puis dire que la police a porté son attention sur lui, notamment sur sa correspondance avec la Hollande. Je n’entrerai pas pour le moment dans des explications plus détaillées à ce sujet.

M. de Robaulx. - J’avoue que je n’avais pas été prévenu des interpellations qui viennent d’être adressées au ministère ; mais j’aurais voulu que l’on y répondît, car nous ne pouvons pas nous déclarer satisfaits d’une explication qui n’en est pas une. En effet, quelles garanties, quelles explications tant soit peu formelles, a données le ministre ?

Il a dit qu’il fallait entendre les deux parties ; il n’a pas dit autre chose. Après cela on irait traquer un homme du Brabant septentrional, d’une province qui, au temps du gouvernement provisoire, nous a envoyé une députation pour demander à faire cause commune avec nous, demande que nous avons eu la lâcheté de ne pas accepter, soit dit en passant. Aujourd’hui, cet homme, qui pour ses opinions politiques ne peut rester en Hollande, serait traqué dans notre pays !

M. le ministre dit que notamment la correspondance de Van Reuth avec la Hollande motive les mesures prises envers lui. Il ne dit pas qu’il y a des faits graves à sa charge, mais il a des raisons pour penser que ce n’est pas sans motifs que la police le surveille. Voilà, à peu près, ce qu’a dit le ministre. Peut-on dire qu’on est content de telles explications ? Quant à moi, je déclare qu’elle ne me satisfont pas.

Relativement à M. Haro-Arinkx, qu’a-t-on dit ? L’honorable M. Jullien a donné sur lui des renseignements ; mais M. le ministre de l'intérieur a-t-il dit quelque chose qui puisse faire espérer que les recommandations honorables dont M. Haro-Arinkx a été l’objet ne seront pas stériles ? Non, il n’a rien dit ; quand ces interpellations seront finies, demain peut-être cette espèce d’ogre de la police s’acharnera de nouveau contre lui. Il suffit que ce soit un réfugié polonais pour que François le poursuive. François, la plaie de tout ce qu’il y a de généreux en Belgique en fait d’étrangers. C’est un poltron, disait de lui M. Barthélemy. Or, il n’y a rien de plus cruel, de plus violent qu’un poltron.

On a parlé de Judicibus ; je n’en avais entendu parler que par les journaux ; je n’ai nullement l’intention de faire l’apologie de sa conduite qu’a si vertement flétrie M. le ministre de l'intérieur. Que ce soit un prêtre ou non, sa conduite privée n’est pas du domaine des chambres ; il faut respecter celle du prêtre de Judicibus comme celle de tout autre.

Vous n’avez pas plus le droit de scruter la vie privée d’un prêtre catholique que celle de tout autre individu ; cela n’est pas du domaine de la chambre. Je trouve fort mauvais qu’on lui ait donné pour le pays étranger un passeport qui équivaut à une cartouche jaune, qu’on lui ai donné une espèce de marque défavorable, en mentionnant sur son passeport qu’il n’était entré en Belgique qu’à l’aide de faux papiers. Assurément ce n’est pas là le moyen de le faire recevoir en Angleterre.

Quant à Haro-Arinkx, il avait un passeport où ses prénoms seulement étaient indiqués ; c’est qu’il n’avait pas voulu se faire connaître comme Polonais ; c’est là ce qui l’avait engagé à ne donner que ses prénoms. Mais, dit M. le ministre, il n’avait besoin de cacher ni ses noms, ni sa qualité de Polonais. puisque c’était l’ambassade française qui lui donnait un passeport. C’est là un pauvre raisonnement, car c’est justement pour obtenir un passeport de l’ambassade française qu’il ne s’est servi que de prénoms français. S’il avait dit qu’il était Polonais, l’ambassade française ne lui aurait pas donné de passeport.

Et qu’on ne dise pas que l’ambassade française à Londres est tutélaire pour les Polonais ; car nous savons comment la police de Louis-Philippe traite les Polonais en France ; nous savons ce que l’on peut attendre de Louis-Philippe, lui qui n’a pas osé accepter la couronne pour son fils, parce que l’Angleterre et l’empereur Nicolas le lui avaient défendu.

Louis-Philippe ne poursuit-il pas maintenant à outrance tous les hommes généreux qui ont contribué à l’insurrection de la Pologne, après avoir lui-même excité cette révolution par ses agents, par des intrigues dont il tenait tous les fils ? Quand elle a échoué, cette révolution polonaise, qui a contribué à soutenir l’indépendance de la France, les Polonais n’ont-ils pas été traités en France comme des bêtes fauves ? Louis-Philippe ne s’est-il pas montré à leur égard le premier agent des poursuites de l’empereur Nicolas ? Après cela croira-t-on que l’ambassade française à Londres est tutélaire pour les Polonais ? Non, personne ne le croira.

Si Haro-Arinkx avait dit son nom, sa qualité de Polonais n’eût pas été pour lui une sauvegarde à l’ambassade française. Maintenant, alors que des hommes honorables comme M. Jullien, alors que la régence de toute une ville s’intéressent en sa faveur et se constituent ses garants, je ne vois pas que les explications de M. le ministre offrent rien de bien rassurant. Je voudrais que M. le ministre déclarât qu’autant qu’Haro-Arinkx ne s’occupera pas de politique d’une manière hostile au pays ou à l’ordre de choses actuel, il lui accordera protection, et que sa tête sera soustraite au glaive de la Russie.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Je crois que la conduite tenue par le gouvernement belge à l’égard des réfugiés polonais doit rassurer ceux qui se présentent en Belgique sous les auspices du malheur.

Je dois déclarer que jamais je ne prendrai d’engagement à l’avance au sujet de tel ou tel individu. Je rendrai compte avec plaisir des faits quand ils seront consommés ; mais, à l’avance, je ne prendrai jamais d’autre engagement que celui de suivre en tout temps l’application des lois et les sentiments de l’humanité. Voilà la seule déclaration que je puisse faire.

M. Jullien. - Il est très vrai que, comme l’a dit M. le ministre de la justice, je n’ai eu avec lui aucune espèce de relation au sujet de deux Polonais dont il s’agit ; la raison en est que je savais très bien que M. le ministre de la justice ne se mêlait plus de la police, que ses attributions étaient passées au ministère de l’intérieur.

Si des journaux ont annoncé que j’ai fait inutilement des démarches auprès de M. le ministre de la justice dans l’intérêt de deux Polonais, c’est une inexactitude. Ce qu’a dit à cet égard M. le ministre de la justice est de toute vérité.

Je ne serais pas plus content que l’honorable M. Fleussu des explications données par M. le ministre de l'intérieur qui est compétent en cette matière, si je n’étais pas certain que Haro-Arinkx est parfaitement tranquille à Bruges, et si je ne savais pas, d’après ce que m’ont dit M. le ministre de l'intérieur et M. François, directeur de la police, que rien ne menace plus sa tranquillité.

Il faut être juste envers tout le monde ; il est certain que des individus qui n’ont pas un passeport sous leur véritable nom devaient éveiller l’attention de la police. Ici, j’en conviens, M. Haro-Arinkx a déclaré son véritable nom, qu’il avait été en quelque sorte obligé de cacher pour avoir un passeport. Mais il n’en est pas moins vrai qu’une telle circonstance doit, comme je le disais, appeler l’attention de la police. Car, comme me disait hier M. François, avec cette défiance qu’a la police et qu’elle doit avoir, qui nous répond actuellement que le nom pris par cet individu est son véritable nom ? J’avoue que cette observation est assez frappante, et que je n’étais pas en état de donner des éclaircissements à cet égard.

Je suis persuadé que M. Haro-Arinkx est en état de fournir à la police de M. François les renseignements les plus positifs sur son véritable nom et sur sa qualité.

Dans cette situation, je crois que l’on peut s’en remettre à la justice de M. le ministre de l’intérieur au sujet des deux Polonais dont il s’agit.

M. Gendebien. - Aujourd’hui à midi j’ai reçu une lettre de deux honorables citoyens belges, qui m’a dénoncé les faits dont j’ai parlé. Ils m’ont envoyé un extrait de je ne sais quel journal contenant la lettre de Thadée Itsikoski ; c’est dans cette lettre que j’ai puisé les faits que j’ai exposés à la chambre.

Il y a un fait plus grave dont je n’ai pas encore parlé, c’est que Itsikoski dit qu’on lui a dit à l’ambassade belge à Londres que, comme Polonais, il devait s’adresser à l’ambassade russe pour avoir un passeport. C’est, ajoute-t-il, comme s’il renvoyait les Belges devant le roi de Hollande, pour obtenir l’autorisation de voyager en pays étranger ; cette observation est très juste et fera sans doute sentir au ministre des affaires étrangères la nécessité de donner des explications sur un fait que je ne puis croire, tant il me paraît extraordinaire et absurde.

Maintenant, des explications qu’a données le ministre, il résulte évidemment qu’il croit toujours avoir le droit d’expulser les étrangers quand bon lui semble.

Quand il en est ainsi, il m’est permis de déclarer, que quoique dise M. le ministre de la justice, qu’il n’y a plus de justice en Belgique, qu’on n’y respecte aucune liberté, qu’on ne fait pas mieux, qu’on fait plus mal que le roi Guillaume.

M. le ministre de la justice répond à de pareils faits par des impertinences ; il vient dire qu’il ne répond pas à de pareilles exagérations. C’est par un silence dédaigneux ou par des propos insultants que M. Ernst répond à des hommes qui méritent cependant quelques égards.

Je conçois cela. M. Ernst ne fait que nous rendre les reproches que les hommes du gouvernement lui adressaient, lorsqu’il était sur ce banc, qu’il occupait avant d’être ministre. Que répondait-on alors, à M. Ernst, quand il disait que la constitution ne permettait pas l’expulsion des étrangers, et que les arrêtés d’avril étaient inhumains et inconstitutionnels ? On lui disait (et ce n’est pas à moi que cela s’adressait, puisque je n’ai parlé qu’après l’orateur qui faisait ce reproche à M. Ernst) : « A qui vous intéressez-vous ? A des vagabonds, à des hommes sans aveu, aux assassins, aux égorgeurs de Varsovie et du cloître St-Méry...» Voilà ce qu’on disait à M. Ernst comme à tous ceux qui avaient parlé en faveur des expulsés d’avril. S’il a voulu se venger sur moi des insultes qu’il a reçues alors, je me félicite de me voir l’objet des sarcasmes qu’on lui adressait alors.

J’aime mieux être toujours exposé à des reproches de la part des organes du gouvernement que d’être exposé comme l’est M. Ernst à s’entendre dire qu’il a changé d’opinion en changeant de position et qu’il a abandonné sur le banc ministériel l’opinion qu’il défendait avec tant de chaleur en avril 1834 ; ce genre d’attaque, je ne le crains pas, je ne m’y exposerai jamais.

Messieurs, M. Ernst s’est autorisé de l’arrêté du gouvernement provisoire en date du 6 octobre 1830 ; c’est toujours le même et éternel refrain, on y a répondu cent fois, et toujours on reproduit la même objection. Je n’ai pas signé cet arrêté, non pas que je m’y sois refusé, mais parce que j’étais en mission alors.

Afin de ne pas faire perdre de temps à la chambre, j’invite tous ses membres et tous les citoyens belges à lire cet arrêté, afin de se convaincre que ce n’est qu’une mesure transitoire, comme l’indique l’époque à laquelle elle a été prise, le 6 octobre 1830 ; c’était 8 jours après que les Hollandais étaient partis de Bruxelles ; alors qu’ils étaient encore à Vilvorde et à Dieghem, c’est-à-dire à une lieue de Bruxelles ; c’est alors que l’on prenait cette mesure afin d’éloigner les espions, les intrigants, les gens sans aveu, pour éloigner enfin tous ceux qui auraient pu venir exciter soit des pillages, des incendies, soit d’autres désordres afin de faire avorter notre révolution, ou afin de lui donner des couleurs odieuses. Voilà dans quelles circonstances, dans quel esprit fut pris cet arrêté comme l’indique un considérant portant : « Au milieu des embarras inséparables de l’état transitoire où se trouve le pays, etc. » Maintenant lisez les articles et vous ne douterez pas que cette mesure ne fût purement transitoire ; ainsi vous lisez à l’article 2 : « provisoirement et vu l’urgence. »

Les circonstances où l’on se trouvait justifient assez cette mesure ; au 6 octobre 1830, nous étions dans un état transitoire. Sommes-nous maintenant dans un état transitoire ? il y a bientôt quatre ans que vous avez proclamé que la révolution est finie ; il y a 4 ans et un mois bientôt que la constitution a été promulguée ; il y a 4 ans que nous sommes dans un état normal. Voulez-vous après cela prononcer les expulsions en vertu de l’arrêté du 6 octobre 1830 ?

Alors qu’au mois d’avril on n’a pas osé faire usage de l’arrêté d’octobre pour ordonner des expulsions, alors qu’on ne s’est fondé que sur la loi de l’an VI, M. Ernst qui combattait ces expulsions s’arme, pour en prononcer de nouvelles, d’un arrêté qui a cessé d’exister avec les circonstances qui y ont donné lieu ; il n’expulse pas, dit-il, il empêche d’entrer ! Admirable expédient !

M. Ernst ose invoquer cet arrêté du 6 octobre, comme si cet arrêté, aussi bien que la loi de vendémiaire an VI, ne se trouvaient pas abrogés par la constitution.

Voilà comme M. Ernst se montre conséquent.

C’est ainsi que dernièrement il nous garantissait qu’il n’émettrait pas un vote contraire à un vote qu’il avait émis précédemment comme député, et qu’il votait la question préalable qui avait le même effet. Maintenant il la modifie, relativement à l’arrêté d’octobre. Voilà comment nos ministres raisonnent. Et l’on veut que je conserve mon sang-froid, alors que chaque jour je suis témoin de nouvelles turpitudes !

Je n’en dirai pas davantage ; je n’y gagnerais rien ; je ne ferais que perdre du temps. Mais il me sera toujours permis de protester, de protester hautement contre la conduite que tient le gouvernement à l’égard des étrangers, et plus particulièrement à l’égard des Polonais.

Comme l’a rappelé l’honorable M. Fleussu, il semblait toutefois que les 18 articles devaient sauver la Pologne ; vous pouvez bien, nous disait-on, pour sauver la Pologne, qui s’est sacrifiée pour vous, sacrifier 400,000 Belges ; et aujourd’hui on expulse brutalement les Polonais, on leur refuse un asile !

Vous vous rappelez, lors de la discussion de la loi d’extradition, les belles professions de foi qui furent faites par MM. F. de Mérode et Lebeau. A les entendre, ils auraient résisté même à l’empereur de Russie ; jamais, non jamais, ils ne devaient souffrir qu’un étranger fût poursuivi, molesté pour opinion politique ; aujourd’hui, la seule qualité de Polonais est un motif pour être poursuivi, empoigné, incarcéré. Itsikoski en est à se demander si le seul fait d’être Polonais serait un crime en Belgique. Au nom des vrais Belges, je réponds non ; au nom de nos gouvernants, je réponds sans hésiter, oui.

Mais faites ce que vous voudrez, je proteste contre de pareilles turpitudes. Car je veux conserver dans toute son intégrité la pureté et la loyauté du vrai Belge, et les privilèges attachés à ce beau nom de Belge.

M. le ministre de la justice (M. Ernst). Les protestations comme les accusations du préopinant me touchent peu ; comme je l’ai dit, je n’y répondrai pas, c’est déjà beaucoup trop que de les entendre si souvent.

M. Gendebien. - Ne répondez pas, si vous voulez ; mais au moins n’insultez pas. Il ne vous est pas permis de dire de pareilles insolences.

M. le président. - Je prie M. Gendebien de ne pas interrompre l’orateur. La parole est à M. le ministre de la justice.

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - On n’a pas craint de dire que les étrangers sont molestés en Belgique à cause de leurs opinions politiques. Je réponds qu’il n’y a pas à cela la moindre vérité, que c’est de toute fausseté.

On expulse toujours, dit le préopinant, on expulse de la même manière qu’au mois d’avril, alors que je m’élevais contre les expulsions. Il soutient que le fait est faux, que l’on expulse pas, et qu’on n’a fait aucune application de la loi de vendémiaire an VI.

Je répète ce que vous a dit tout à l’heure M. le ministre de l'intérieur, on applique les lois en vigueur, on les exécute avec des sentiments d’humanité

Le préopinant a dit que, sur le banc ministériel, je portais contre lui l’accusation que l’on avait dirigée contre moi lorsque je siégeais sur un autre banc. Alors, à ce qu’il prétend, on me disait : « A qui vous intéressez-vous ? A des vagabonds, à des assassins, à des égorgeurs. »

Personne ne m’a adressé alors un tel reproche : et, à coup sûr, le préopinant ne peut pas le rétorquer contre moi. Lui ai-je fait un crime de s’intéresser à des étrangers ? ai-je dit que les étrangers pour lesquels il a parlé ne méritaient pas l’intérêt qu’il leur porte ? Non. J’ai repoussé des accusations injustes, j’ai démontré qu’elles n’ont pas le moindre fondement.

- Plusieurs voix. - L’ordre du jour !

M. de Robaulx. - Je ne veux que citer un fait dans l’intérêt de la révolution, et qui pourra servir au gouvernement, je ne dis pas aux hommes, mais au gouvernement.

Il y a trois ou quatre ans, au moment où la révolution était toute palpitante, au moment où les Hollandais craignaient que les Belges ne s’infiltrassent peu à peu en Hollande, pour exécuter la sédition et étendre la révolution, un citoyen belge, M. Spitaels, peut-être un peu légèrement, se rendit en Hollande avec un de ses amis, nullement dans le but d’exécuter une révolution, mais dans un but de curiosité et par un désir de voyage.

M. Spitaels avait été un des plus ardents révolutionnaires en 1830 ; il avait été emprisonné par ordre du fameux gouverneur Vandoren ; eh bien, l’imprudent est allé jusqu’au cœur de la Hollande, jusqu’à La Haye : là, son arrivée étant connue, il fut arrêté. Ses compagnons de voyage qui étaient Français cherchèrent à obtenir sa mise en liberté : ils allèrent trouver van Maanen ; ils se présentèrent devant le roi de Hollande, devant le farouche Guillaume. Je ne veux pas ici faire l’apologie de ce roi dont j’ai voté l’exclusion, ; je la voterais encore ; mais Guillaume a relâché Spitaels : et il disait à ses compagnons de voyage : Vous voyez bien que je ne suis pas aussi farouche qu’on veut le faire accroire ; vous m’attaquez dans vos gazettes (il parlait à un journaliste), et c’est bien à tort.

Ainsi, Spitaels a joui de quelque liberté en Hollande ; on n’a pas exécuté contre lui les lois qui y existent contre ce qu’on appelle insurgés. Qu’est-ce que cela prouve ? Beaucoup plus de sagacité et de bon sens de la part du Guillaume que de la part de notre gouvernement.

Quand on se croit fort, on ne prend pas des mesures violentes ; il n’y a que la peur qui porte à la violence. Lorsque l’on voit en Belgique un Hollandais, vous le soupçonnez d’orangisme ; vous le poursuivez à outrance, vous le mettez en prison. Je voudrais que notre gouvernement imitât, du moins en ce point, le roi Guillaume, et agît comme un gouvernement fort. A quoi bon poursuivre des individus qui ne peuvent nuire. (L’ordre du jour ! l’ordre du jour !)

M. d'Hoffschmidt. - Messieurs, Je demande que l'on passe à l’ordre du jour.

Il est vraiment déplorable de voir à chaque instant surgir ici des discussions qui finissent toujours par dégénérer en personnalités insultantes et que dans l’intérêt du pays nous devrions laisser de côté. Que M. Gendebien se plaigne des actes des ministres ; qu’il ne ménage pas ces actes, à la bonne heure ; mais il ne doit pas s’occuper de leurs personnes. Cependant que venons-nous d’entendre ?

M. le ministre de la justice, mon ami, prend la parole de son banc, M. Gendebien lui adresse les interruptions les plus violentes ; il s’écrie : « Quelle insolence ! c’est une impertinence !... » Qu’avait dit le ministre de la justice, pour être traité d’impertinent, car il n’y a que les impertinents qui se permettent des impertinences ? Il avait dit qu’il ne répondrait pas.

Quoi ! vous ne gardez aucune mesure envers les ministres, vous méconnaissez à leur égard, et devant la chambre, toutes les règles de convenance, et vous voudriez qu’ils vous répondissent ! Mais ils ont raison de ne pas répondre. A quoi aboutissent d’ailleurs toutes ces injurieuses et personnalités ? A nous faire perdre notre temps. Depuis que nous sommes réunis, nous avons fait les budgets et quelques bouts de lois. Si c’est la chute des ministres que vous voulez, proposez une adresse au Roi à cet effet, mais ne les injuriez pas.

M. Davignon. - Laissons toutes ces personnalités de côté et passons à l’ordre du jour !

M. de Brouckere. - Je regrette beaucoup que l’honorable préopinant, M. d’Hoffschmidt, ait eu la malheureuse pensée de soumettre à la chambre sa motion d’ordre. Sous prétexte de terminer un débat offensant envers certaines personnes, il vient de faire entendre des propos plus offensants encore que ceux qu’on avait entendus jusqu’alors dans cette assemblée. C’est un mauvais moyen de terminer un débat qui dégénère en personnalités que de faire voir à chacun le tort qu’il a eu d’employer les expressions offensantes…

Ce n’est pas là la seule observation que j’aie à faire sur la motion de l’honorable M. d’Hoffschmidt : s’il faut l’en croire, ce serait contrairement aux intérêts du pays que des interpellations auraient été adressées aux ministres sur la manière dont les étrangers sont traités en Belgique : je n’ai jamais entendu une assertion semblable à celle-là. M. Gendebien soutient que l’on viole les lois envers les étrangers ; il demande des explications aux ministres sur ce point ; est-ce là nuire aux intérêts du pays ?

Mon intention était de prendre la parole dans la discussion ; je voulais parler sur l’arrêté d’octobre ; mais cette discussion ayant dégénéré en personnalités, je ne puis y prendre part : toutefois je déclare que M. Gendebien n’a rien fait de contraire au pays.

M. Gendebien. - D’après les observations présentées par mon honorable ami M. de Brouckere, je crois pouvoir me borner à dire à M. d’Hoffschmidt ce que m’a dit le ministre. Je dédaigne de lui répondre. Je ne sais comment il prendra la chose mais il y a moins d’impertinence à dire à un collègue qu’on dédaigne de lui répondre, que d’entendre dire, à deux reprises, par des ministres, qu’on dédaigne de répondre à un membre de la chambre.

Quoi qu’il en soit, j’ai droit d’interpeller les ministres. Si je montre leurs impertinences, c’est en les mettant en contradiction avec eux-mêmes ; si je les insulte, c’est en faisant voir que leurs actes diffèrent de leurs paroles. Voilà comment je les offense, et je n’abdiquerai jamais le droit de les insulter en rappelant leurs paroles ou leurs actes. Je n’aurai jamais besoin de mettre, comme eux, l’insulte dans mes paroles.

J’invite M. d’Hoffschmidt, qui se montre si zélé conservateur du repos et de la dignité des ministres de s’occuper un peu aussi du repos et de la dignité de la chambre lorsqu’elle est insultée par ces mêmes ministres. Qu’a fait M. d’Hoffschmidt quand M. de Mérode a qualifié d’absurde un vote de la chambre ? Qu’a fait M. d’Hoffschmidt lors du vote sur la fameuse plaque, quand M. de Mérode a jeté la sienne sur le parquet et l’a écrasée avec le talon ? J’ai voté contre cette plaque mais j’ai respecté le vote de la chambre et cette plaque qui en est le résultat ; elle devint par le vote de la majorité l’emblème de la majorité : eh bien qu’a dit M. d’Hoffschmidt, quand l’emblème de la volonté de la représentation nationale a été foulé aux pieds par un ministre ?

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Je prends la parole pour rétablir les choses dans leur vérité.

On prétend que nous nous plaignons de ce qu’on nous reproche les opinions que nous soutenions comme député et avant d’arriver aux affaires ; on se trompe, nous ne nous plaignons pas ; nous ne désavouons rien de ce que nous avons dit ; nous aurions grand regret qu’il en fût autrement : mais contre des accusations sans fondement, répétées chaque jour, nous croyons qu’il n’y a qu’une réponse à faire, c’est de ne pas répondre ; et nous l’avons dit ainsi.

M. de Robaulx. - Vous avez dit : Nous dédaignons de répondre.

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Je n’ai pas dit cela ; je n’ai pas employé le mot dédaigner ; je n’ai pas employé le mot antiparlementaire.

- De toutes parts. - Oui ! c’est vrai ! nous ne l’avons pas entendu !

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - J’ai dit : « A des accusations injustes, répétées tous les jours, il n’y a qu’une manière de répondre, c’est de ne pas répondre. » J’en appelle à la chambre.

Je le répète, nous ne renions ni nos opinions, ni nos actes ; nous nous félicitons de ce que nous avons fait jusqu’à ce jour. Nous n’avons pas demandé à venir sur ce banc ; nous y avons été appelé ; et nous n’avons consenti à y venir que dans l’intérêt du pays. Serait-ce pour son intérêt personnel qu’on pourrait y venir ? C’est là ce qui nous encourage : nous avons la conscience que notre apparition aux affaires est un devoir que nous remplissons envers le pays ; et les accusations dont nous sommes l’objet ne font rien sur nous ; c’est comme si nous ne les entendions pas. Si M. Gendebien se les permet tous les jours, c’est que la chambre veut bien le souffrir.

M. d'Hoffschmidt. - Je demande la parole pour un fait personnel.

Je commencerai par dire quelques mots sur l’espèce d’admonition que M. de Brouckere m’a adressée. Je ne sais qui lui a donné ce droit d’admonition. Quoi qu’il en soit, il a mal interprété mes paroles : je n’ai point dit qu’il fût contraire aux intérêts du pays de demander aux ministres comment on traitait les étrangers en Belgique ; j’ai dit que les personnalités qui se renouvelaient sans cesse étaient contraires aux intérêts du pays.

M. de Brouckere. - Alors vous avez raison !

M. d'Hoffschmidt. - Relativement à ce que vient de dire M. Gendebien qu’il dédaignait de me répondre, je n’ai non plus qu’un mot à lui dire, c’est que je me soucie peu de ses réponses ; j’approuve fortement les ministres lorsqu’ils ne daignent pas répondre aux récriminations injurieuses qui leur sont si souvent et si injustement prodiguées : Qu’ils se bornent à y répondre ce qu’a dit un célèbre orateur français : « Les rhéteurs parlent pour produire un effet de 24 heures, mais les hommes d’Etat parlent pour les temps. »

M. Gendebien. - Ainsi vous êtes un homme d’Etat.

M. d'Hoffschmidt. - Quant à ce que vient d’énoncer M. Gendebien relativement à M. de Mérode et ce qu’il a fait de sa médaille, la réponse est facile, c’est que les faits qu’il vient de rapporter à cet égard s’étant passés en comité secret, la dignité de la chambre ne s’en trouverait pas compromise s’il ne venait pas les publier en séance publique, ce que je trouve, au moins, fort étrange.

- La chambre consultée passe à l’ordre du jour.

Projet de loi communale

Second vote des articles

Titre I. Du corps communal

Chapitre premier. De la composition du corps communal et de la durée des fonctions de ses membres
Section I. De la composition du corps communal
Article 9

M. le président. - Nous en sommes à l’article 9, concernant la révocation des bourgmestre et échevins. Des amendements ont été présentés relativement à la révocation des échevins.

M. Dubus. - L’article 9, qui a été adopté lors du premier vote, met sur la même ligne le bourgmestre et les échevins, quant à la suspension de leurs fonctions : il introduit une différence relativement à la révocation entre ces deux classes de fonctionnaires. Les bourgmestres peuvent dans tous les cas être révoqués par le Roi ; les échevins peuvent être révoqués par la députation provinciale pour cause d’inconduite et de négligence grave.

Lorsque cet article a été adopté, les échevins étaient nommés par le Roi ; seulement ils devaient être pris dans le sein du conseil ; ils tenaient donc leur nomination du Roi. L’échevin avait par conséquent un double mandat ; d’une part, il était mandataire du peuple comme conseiller municipal ; d’autre part il recevait du Roi le mandat d’échevin. Ce second mandat pouvait lui être enlevé par la députation provinciale ; le premier mandat il le conservait, parce qu’il le tenait du peuple.

Aujourd’hui que l’échevin tient son double mandat du peuple, je ne comprends pas comment on peut donner à une autorité le droit de le lui enlever, et de le lui enlever d’une manière arbitraire. Ce que l’on demande reviendrait à ceci : que la députation provinciale aurait le droit d’enlever le caractère donné par l’élection populaire. Une telle révocation serait arbitraire, puisqu’aucune garantie contre l’abus du droit n’est donnée au fonctionnaire qui serait révoqué.

Lors du premier vote, voici comment on avait expliqué la disposition relative à la révocation des échevins : « La révocation n’est pas une peine ; elle est l’application du principe. Le mandant retire le mandat qu’il a conféré quand le mandataire cesse d’avoir sa confiance. Telle est la nature des choses. » Mais ici il s’agit de fonctionnaires tout à fait indépendants, de fonctionnaires nommés uniquement par le peuple ; dès lors, s’il y avait moyen d’organiser la révocation, ce serait le peuple qui révoquerait.

Les magistrats élus par le peuple ne sont révocables que d’une manière : ils sont révoqués par le peuple qui ne les réélit pas.

Leurs fonctions sont temporaires ; quand elles expirent, s’ils n’ont pas justifié la confiance que le peuple avait mis en eux, il leur retire son mandat. Mais rendre les magistrats élus révocables par l’autorité, c’est un non-sens, c’est un contresens.

Si on ne peut révoquer les échevins, ils pourront donc tout se permettre pendant la durée de leurs fonctions ? Non ; mais arrangez-vous de manière à leur ôter le caractère dont ils sont revêtus en présentant des garanties. Ce moyen est présenté dans l’amendement de l’honorable M. Desmet. Ce n’est pas une révocation que vous devez permettre ; c’est une perte des fonctions motivée sur des méfaits quelconques.

Il faut donc que vous spécifiez les circonstances qui donneront lieu à la perte des fonctions ; il faut que vous fassiez constater les faits comme on constate les délits ; et alors la peine sera la perte des fonctions.

Si vous admettez la révocation arbitraire des échevins, vous devez admettre aussi la révocation arbitraire des conseils communaux.

Je voudrais qu’il fût démontré qu’il est nécessaire d’établir ici le droit extraordinaire de révocation des échevins, car cette nécessité n’est aucunement démontrée. Les règlements antérieurs (Erratum au Moniteur belge n°77 du 18 mars 1835 :) des villes n’accordaient pas la révocation des échevins, ni celle des bourgmestres, et pendant 13 années qu’ils ont reçu exécution, l’expérience n’a dévoilé aucun inconvénient à cet état de choses. L’honorable membre qui est aujourd’hui ministre de l’intérieur disait dans la séance du 28 juillet dernier : « Le droit de révocation est plus nécessaire dans les grandes villes que dans les campagnes. » (Erratum au Moniteur belge n°77 du 18 mars 1835 :) Toutefois ç’a été précisément dans les villes que, durant 13 ans, le gouvernement a été privé de ce droit et on ne s’en est pas mal trouvé.

Il est vrai qu’un collège de bourgmestre et d’échevins n’aurait pas pu se permettre le moindre écart sans que cet écart ne fût réprimé. Tout acte contraire à l’intérêt général ou à l’ordre public était supprimé par l’autorité supérieure. Vous avez une disposition qui, dans votre loi, supprime les actes semblables, vous l’avez écrite ainsi : tout acte contraire à l’intérêt général ou à l’ordre peut être révoqué.

Vous êtes allés plus loin : vous avez donné le droit d’envoyer des commissaires spéciaux pour faire exécuter les lois dans les communes, et de les envoyer aux frais des fonctionnaires négligents. Ces moyens sont assez rigoureux, et donnent la garantie que rien ne sera tenté contre l’ordre.

Résumez les moyens que vous avez : d’une part, si les échevins ne justifient pas la confiance qu’on a mise en eux, ils ne seront pas réélus ; d’autre part, si leurs actes sont contraires à leurs attributions, à l’intérêt général, à l’ordre public, ces actes seront annulés ; si les échevins sont négligents, on enverra, à leurs frais, des commissaires spéciaux.

Supposez-vous maintenant qu’ils se permettraient plus que de la négligence ou de l’excès de pouvoir, de ces actes qui réellement sont réputés délits ou méritent de l’être. Les tribunaux sont là.

L’honorable M. Desmet propose d’accorder à la députation des états le droit de suspendre les échevins. Si les tribunaux les jugent coupables, ils seront privés de leurs fonctions ; s’ils sont déclarés innocents, ils sont réintégrés, Car il est juste qu’ils soient réhabilités puisqu’il résulterait du jugement qu’ils auraient été calomniés.

L’honorable M. Desmet rappelle dans sa proposition le cas de forfaiture, de concussion de malversation. D’honorables membres ont pensé que cette énumération n’était pas suffisamment complètes. Rien n’empêche qu’elle ne soit complétée. Si l’on trouve qu’il faut prévoir d’autres cas, insérons-les dans la disposition de M. Desmet. Pour mon compte je ne m’oppose pas, si l’on craint tant que l’on ne prévoie tout, à ce que l’on ajoute à cette disposition : « Pour les autres cas qui seront détermines par la loi. » De cette manière, à mesure que l’expérience fera connaître, qu’il faut pourvoir à la répression de tel autre abus des magistrats municipaux, la loi y pourvoira et la disposition que je défends leur sera également applicable.

Si la chambre n’entrait pas dans ce système, tout au moins ne pourrait-elle se refuser d'entourer la démission des échevins de garanties telles que cette décision devienne l’équivalent d’un jugement. Vous ne nierez pas, messieurs, que ce ne soit un véritable jugement que la députation provinciale sera appelée à prononcer. Elle aura à prononcer une véritable peine pour causes déterminées. A cet égard, j’en appelle à l’opinion émise lors du premier vote par l’honorable M. de Theux. Il regardait la suspension comme une véritable peine, parce qu’elle était prononcée pour causes déterminées.

« La révocation, disait-il, peut n’être fondée que sur un manque de confiance, qui nécessite, de la part de l’autorité qui nomme, le retrait du mandat qu’elle avait accordé à un fonctionnaire. La suspension n’est jamais envisagée sous le même point de vue. Il faut que les causes qui doivent entraîner la suspension soient bien déterminées, parce que la suspension est une peine, et que la loi doit fixer les motifs qui nécessitent l’application de toute pénalité. »

Il regardait la suspension « pour inconduite ou négligences graves » comme une véritable peine. A plus forte raison, doit-on envisager sous ce rapport (Erratum au Moniteur belge n°77 du 18 mars 1835 :) la démission pour mêmes causes ; car elle suppose une inconduite plus caractérisée encore, une négligence plus grave encore.

Si c’est une peine, elle ne doit être prononcée, cette peine, qui est très grave (puisqu’elle emporte la privation de fonctions conférées par le peuple), qu’avec les garanties qui entourent un jugement correctionnel. Vous ne pouvez vous dispenser d’admettre les diverses modifications proposées, d’exiger que le magistrat qu’il s’agit de révoquer ait été entendu sur les charges qui lui auront été imputées, qu’il soit admis à présenter ses moyens justificatifs.

Il est d’autant plus nécessaire d’exiger en faveur du fonctionnaire que l’on veut révoquer une semblable garantie, qu’il s’agit, je le répète, non pas d’un mandant qui retire un mandat qu’il a confié, mais dans le fait d’une autorité supérieure qui annule une élection faite librement par le peuple.

Ainsi, quant aux échevins, je me prononcerai pour l’amendement de l’honorable M. Desmet et subsidiairement pour les garanties demandées par l’honorable M. Gendebien.

Pour ce qui est des bourgmestres, mon honorable ami, M. Dumortier, a demandé aussi des garanties. Je le répète, les moyens d’action que vous donnez sur les actes doivent vous déterminer à rendre le droit de révocation et le droit de suspension plus restreints. Vous ne devez pas perdre de vue que la révocation des bourgmestres des villes, pendant 13 ans qu’a duré l’exécution des premiers règlements sous le gouvernement hollandais, n’a pas été jugée nécessaire.

On a refait ces règlements en 1824. L’on y a introduit des changements nombreux, tous au détriment de la liberté. Cependant l’on n’a pas été jusqu’à introduire celui que l’on propose. Si donc vous voulez aller plus loin que le roi Guillaume dans les garanties d’ordre, donnez aussi des garanties contre l’arbitraire, sans quoi vous ferez du premier magistrat de la commune un simple agent du gouvernement.

J’attendrai la suite de la discussion pour parler plus longuement sur cet objet.

M. de Brouckere. - Messieurs, lors du premier vote sur la loi communale, la chambre avait conféré au gouvernement le droit de nommer les bourgmestres et les échevins, sauf certaines restrictions.

Le corollaire d’une semblable décision étant nécessairement que le même pouvoir auquel était confié le droit de nomination avait aussi, dans certains cas, le droit de suspension et le droit de révocation.

Mais, lors du deuxième vote, vous êtes revenus de votre première décision, vous avez accordé au gouvernement une plus grande part de pouvoir sur ce qui concerne la nomination des bourgmestres. En revanche, vous lui avez ôté toute espèce de participation quant à ce qui regarde les échevins, il en résulte que vous devez changer nécessairement la disposition de l’article 9, qui, comme je l’ai dit, n’était que le corollaire de votre première décision.

Ainsi, donc, quant à ce qui concerne les bourgmestres, la nomination de ces fonctionnaires étant laissée au gouvernement, je ne crois pas qu’il y ait de l’inconvénient à autoriser le gouvernement, dans certains cas déterminés, à les suspendre pendant un certain temps ou même à les révoquer.

Mais quant aux échevins, la question est beaucoup plus difficile, beaucoup plus délicate. Les échevins seront le produit de l’élection populaire, le produit exclusif de cette élection. Le gouvernement n’a plus la moindre participation dans la nomination des échevins.

Convient-il maintenant de donner au gouvernement dans certains cas le droit de suspendre ou de révoquer des fonctionnaires à la nomination desquels il n’a pas pris part ? Voilà, à mon avis, une question extrêmement grave.

Lorsque j’avais demandé la parole, je ne vous cache pas que mon intention était de proposer un nouvel amendement, mais j’ai réfléchi que cette multiplicité d’amendements n’aurait d’autre résultat en définitive que de prolonger sans utilité une discussion que je désire pour ma part voir arriver le plus tôt possible à son terme. Je me suis donc résolu à ne pas présenter mon amendement, à moins cependant que la chambre ne trouve d’abord à propos de décider la question de principe, c’est-à-dire de la question ainsi posée : Le gouvernement pourra-t-il dans certains cas suspendre ou destituer les échevins ?

Que la chambre décide ce point. Nous pourrons nous entendre assez facilement sur les conditions à imposer au gouvernement dans le cas d’une solution affirmative.

Mais si la discussion continue comme elle a commencé ; si l’on examine à la fois la question de savoir si le gouvernement aura le droit de suspendre et de révoquer les échevins, le droit de suspension et celui de révocation des bourgmestres, dans quel cas les échevins pourront être destitués, dans quel cas les bourgmestres ; si toutes les questions sont confondues, je crains que nous ne puissions en finir de si tôt, et qu’après avoir discuté longtemps, nous ne trouvions pas un seul amendement qui remplisse les intentions de la chambre.

Je désirerais donc, si la chambre partageait ma manière de voir, que la discussion procédât avec plus d’ordre et que l’on se bornât à n’aborder que la question de savoir si, dans certains cas, le droit de suspension et le droit de révocation des échevins seront accordés au gouvernement.

Si la chambre décide négativement, tout sera dit. Si la réponse est affirmative, nous aurons à choisir entre les amendements qui ont été présentés. Pour ma part, une fois cette question résolue, j’en soumettrai un que, comme son auteur, je trouve naturellement préférable aux autres.

Je désire que M. le président veuille bien mettre ma motion d’ordre en discussion et aux voix, s’il y a lieu.

M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - La discussion a fait peu de progrès depuis samedi dernier. Elle me semble même avoir fait un pas rétrograde. Samedi nous paraissions d’accord sur le principe que le gouvernement ou la députation des états aurait le droit de révocation des échevins.

M. Dumortier, rapporteur. - Pas du tout.

M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - En effet, parmi les amendements présentés dans la séance de samedi je crois que tous, à l’exception d’un seul, admettent le principe du droit de révocation moyennant certaines formalités.

Voici l’amendement que propose l’honorable M. de Robaulx à l’article 9, d’après lequel le droit de révocation et celui de suspension sont accordés à la députation provinciale :

« Pour non-accomplissement de leurs devoirs ou pour négligence grave.

« L’acte qui prononcera la suspension devra être motivé. »

M. de Robaulx. - Si M. le ministre veut bien me permettre de l’interrompre, je lui dirai que je n’ai proposé aucun amendement que dans l’éventualité du rejet de celui de l’honorable M. Desmet.

M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - C’est possible. L’honorable M. Gendebien a rédige un amendement conçu en ces termes :

« Les fonctionnaires suspendus ou destitués seront toujours préalablement entendus.

« Les suspensions et révocations seront motivées ; elles seront adressées directement à la personne qui en est l’objet ; elles ne seront pas publiées.

« Il en sera donné connaissance a l’administration communale, par une simple notification du dispositif de l’arrêté. »

L’amendement présenté par l’honorable M. Dumortier est de la teneur suivante :

« Les bourgmestres peuvent être suspendus de leurs fonctions, pour cause d’inconduite notoire ou de négligence grave, par arrêté du gouverneur rendu sur avis conforme de la députation provinciale. La suspension ne pourra excéder trois mois.

« L’arrêté de suspension sera adresse, dans les 24 heures, au fonctionnaire que la chose concerne, et qui pourra y répondre.

« A l’expiration de ce terme, le Roi pourra révoquer le fonctionnaire suspendu, par un arrête motivé qui sera communiqué au conseil communal. Cet arrêté ne sera pas inséré au Bulletin officiel. »

L’honorable M. Dumortier borne son amendement aux bourgmestres. Il ne parlé pas des échevins.

Enfin, l’honorable M. Deschamps propose :

« Les bourgmestres ou les échevins révoqués ou suspendus seront toujours préalablement entendus. »

Vous voyez que la plupart de ces amendements sont subordonnés à l’adoption du principe consacré dans l’article 9, à savoir que la députation provinciale dans certains cas aura le droit de révocation des échevins, moyennant certaines formalités à remplir qui seront assurées dans l’article même.

Aujourd’hui les honorables MM. Dubus et de Brouckere ont paru révoquer en doute le principe en ce sens que ces messieurs pensent que le droit de révocation des échevins ne devrait appartenir ni au gouvernement ni à la députation des états.

M. de Brouckere. - Je n’ai pas dit cela. J’ai dit que c’était une question.

M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - Dans la séance de samedi cette question a été examinée ; vous vous rappelez que la discussion s’est portée principalement sur la question de savoir si, malgré la modification apportée dans un article précédent en vertu de laquelle les échevins seront nommés par l’élection directe, si l’on devait, dis-je, conserver au gouvernement le droit de révocation de ces fonctionnaires.

Je crois avoir suffisamment établi que ce droit présente moins d’inconvénients possibles aujourd’hui que dans le système précédent. Vous avez même aujourd’hui une garantie de plus dans l’élection directe contre l’abus qui pourrait résulter du droit de révocation. Dans le système du premier vote, le gouvernement avait le droit de nommer les échevins sur présentation d’une liste de candidats. Le droit de révocation appartenait à la députation. Ce n’était pas là, selon moi, un motif pour refuser le droit de révocation. Mais on aurait pu faire valoir contre ce droit cet argument que le fonctionnaire révoqué par la députation n’aurait pu être renommé par le gouvernement, attendu que dans certaines circonstances ce corps aurait eu assez d’influence pour empêcher la réintégration par le gouvernement d’un échevin éliminé par la députation. Cette considération n’a pas arrêté la chambre, et je pense que la chambre a bien fait de ne pas s’y arrêter.

Elle a accordé par un premier vote le droit de révocation des échevins. Maintenant que les échevins seront nommés par l’élection directe, la possibilité même de l’abus que je viens de signaler disparaît. Il y a une raison de plus pour maintenir le droit de révocation.

L’honorable M. Dubus a pensé que l’envoi de commissaires spéciaux suffisait sans le droit de révocation. Cet envoi n’a lieu qu’après que la négligence a déjà été commise, que le mal est consommé. L’envoi de commissaires spéciaux ne donne aucune garantie pour l’avenir. Le droit de suspension et celui de révocation sont au contraire introduits pour offrir une garantie pour l’avenir dans l’intérêt de la commune.

Quant à l’amendement de l’honorable M. Desmet, appuyé par M. Dubus, je dirai que M. Desmet ne permettant la révocation définitive que par suite d’une condamnation judiciaire, dès lors il devient impossible de prévoir les cas de non-accomplissement des devoirs, de négligence grave, d’inconduite. Car, ces cas ne peuvent devenir l’objet d’une condamnation judiciaire. Il faut que la loi prononce une peine. Il est impossible d’appliquer ce système dans l’espèce, où l’on avait senti la nécessité d’accorder le droit de révocation pour des causes déterminées qui ne constatent ni crime in délit.

D’après ces motifs si l’on veut avoir une bonne organisation communale, qui soit dans l’intérêt des communes et des administrés, il me semble convenable d’admettre la révocation des échevins en limitant l’exercice de ce droit à des cas déterminés et en l’astreignant à de certaines garanties ; ce droit, je le répète, me paraît indispensable pour la bonne administration des communes. Je parle ici des échevins, car le droit même absolu de la révocation du bourgmestre paraît à peine mis en doute.

Je persiste à regarder ce droit de révocation modifié par certaines garanties essentiellement utile pour l’intérêt des communes. Il ne faut pas perdre de vue que s’il y a des administrateurs, il y a aussi des administrés et que c’est dans l’intérêt de ceux-ci que l’autorité communale est établie.

M. Gendebien. - Je n’ai pas entendu reconnaître en principe au gouvernement le droit de révoquer les échevins ou de les suspendre. Mais craignant qu’une clôture brusque de la discussion ne m’empêchât plus tard de présenter un amendement, je l’ai soumis tout de suite à l’assemblée dans l’éventualité d’une solution affirmative de la question soulevée par l’article 9. J’ai voulu qu’au moins, si le droit de révocation ou de suspension était accordé au gouvernement, il fût entouré de toutes les garanties désirables. Loin d’admettre les prétentions du gouvernement, je voterai contre la proposition qui tend à lui accorder le droit de révocation et de suspension.

Le roi Guillaume n’avait pas ce droit et il pouvait se le donner. Je ne pense pas que le gouvernement, qui a la prétention d’être plus libéral que le roi Guillaume, doive posséder un droit qu’il n’avait pas. Je me réfère au reste à ce qu’a dit l’honorable M. Dubus.

M. le président. - Je vais consulter la chambre sur la motion d’ordre de M. de Brouckere.

M. Jullien. - Je pense qu’en parlant sur le fond nous rentrerons dans la motion d’ordre. Il n’est pas possible de parler sur l’article en discussion sans examiner la question de savoir si le gouvernement aura le pouvoir de révoquer ou de suspendre les échevins. Il faudra donc toujours que l’on en vienne à décider la motion d’ordre de M. de Brouckere. Je ne pense pas que l’on puisse restreindre la discussion dans un cercle aussi étroit.

M. de Brouckere. - En faisant ma motion d’ordre, je n’ai pas voulu restreindre la discussion dans un cercle plus étroit. J’ai seulement désiré qu’il y eût de l’ordre dans la discussion. Il y a trois ou quatre question différentes à traiter. Chaque orateur parlera sur une question ou sur toutes à la fois. Il en résultera une confusion qui nous permettra difficilement de nous entende. C’est ce que j’ai voulu prévenir en demandant que chacun des principes fût mis en discussion et que l’on votât séparément sur la question de savoir : 1° si le bourgmestre pourra être révoqué par le gouvernement ; 2° si les échevins pourront être révoqués par le gouvernement. (Cette question est bien distincte de la première depuis qu’il est admis en principe que les échevins seront élus par le peuple.)

Si la question pour les échevins est résolue affirmativement, j’ai un amendement tout prêt ; mais je ne le déposerai pas jusqu’à ce que la chambre se soit prononcée sur la question de savoir si elle accorde ou non au gouvernement la suspension et la révocation des échevins. Si elle ne l’accorde pas, je m’en consolerai facilement ; je ne présenterai pas mon amendement, je n’y tiens pas.

Je ne tiens pas davantage à ma motion d’ordre, je ne l’ai faite que dans le but de prévenir de longues discussions ; s’il y a la moindre opposition à ce qu’elle soit mise aux voix, je la retirerai.

M. Dumortier, rapporteur. - Je demande la parole sur la motion d’ordre.

M. de Brouckere. - Pour peu que cette motion rencontre deux ou trois contradicteurs, elle aura un résultat tout à fait contraire au but que je m’étais proposé. Je la retire.

M. le président. - La parole est à M. Jullien sur le fond.

M. Jullien. - Toutes les difficultés qui naissent et naîtront dans le courant de la discussion, tous les nombreux amendements produits et qu’on produira encore, viennent, en grande partie, de ce qu’on a adopté un système mixte. De ce qu’on a donné à un fonctionnaire une qualité mixte, il est dès lors devenu presque impossible de déterminer, d’après des principes réguliers et généraux, les dispositions réglementaires que vous auriez pu arrêter dans la loi d’organisation communale. Puisqu’il en est ainsi, il faut bien sortir de cette position et en sortir le plus vite possible.

Pour ne pas contrarier les intentions de l’honorable M. de Brouckere, j’aborderai les points principaux de la discussion.

En principe, faut-il laisser au gouvernement le droit de révocation des bourgmestres ? Quant à moi, cela ne me semble pas souffrir de difficulté. Vous avez accordé au Roi le droit de nommer le bourgmestre ; il découle de ce droit la faculté de le révoquer, mais seulement de le révoquer comme bourgmestre, de lui ôter la qualité que le Roi a pu lui donner, mais jamais de le révoquer comme conseiller municipal. Sous ce rapport la question, je le répète, on ne paraît pas souffrir de difficulté.

Quant aux échevins, il y a deux questions : peut-on accorder au Roi ou à la députation des états le droit de révoquer et ensuite celui de suspendre les échevins ? On nous a dit à cet égard tout ce qu’on ne pourra que répéter, que depuis que vous avez changé de principe, quant à la nomination des échevins, depuis que vous avez décidé qu’ils seraient élus directement par le peuple, il ne peut appartenir à la députation des états de les révoquer. Je crois que, dans certains cas, on pourra accorder la faculté de les suspendre, mais non de les révoquer. La révocation d’ailleurs ne pourrait avoir lieu que pour des cas graves qui devraient entraîner des poursuites que ni échevins ni fonctionnaires publics, quels qu’ils fussent, ne pourraient éviter. Cela me donne occasion de passer en revue les nombreux amendements présentés. Je commencerai par celui de M. Desmet. Il accorde la faculté de révoquer les échevins, ce que je n’admets pas. Voici cet amendement :

« Les échevins peuvent être révoqués de leurs fonctions par la députation des états provinciaux.

« Mais ils ne pourront l’être que pour forfaiture, concussion on malversation, et alors ils devront être mis en jugement dans le mois du jour de leur révocation ; et s’ils sont reconnus innocents, ils reprendront de droit l’exercice de leurs fonctions. »

J’ai combattu, moi, cet amendement, je le combats encore aujourd’hui, parce qu’il ne me paraît pas exécutable dans le sens proposé.

L’honorable auteur de l’amendement veut bien que les bourgmestres puissent être révoqués, mais seulement pour faits de concussion et malversation. Je ferai observer que quand on dit forfaiture, on dit tout crime possible commis par un fonctionnaire public.

Ainsi quand vous avez dit que les échevins pourront être révoqués pour forfaiture, vous êtes censé avoir énumérer tous les crimes possibles qu’un fonctionnaire peut commettre et vous n’avez pas besoin d’ajouter de concussion ou malversation ; car la concussion étant des crimes prévus par le code pénal, ils rentrent dans la forfaiture. Mais, puisque l’honorable membre ne veut pas accorder le droit de révocation pour autre chose que pour forfaiture, concussion ou malversation, il n’est pas nécessaire d’insérer pour cela une disposition dans la loi. Tout crime commis par un fonctionnaire public est une forfaiture par l’article 160 du code pénal. Tout fonctionnaire qui se rend coupable d’un crime est dans le cas de forfaiture et est poursuivi ; dès lors est-il nécessaire de dire qu’il peut être révoqué de ses fonctions ?

Remarquez que la moindre peine que puisse encourir un fonctionnaire déclaré coupable de forfaiture, est la dégradation civique ; peine qui le rend inhabile à exercer des fonctions publiques. Jusque-là il est parfaitement inutile d’adopter la disposition proposée. Il y a plus, il serait dangereux de l’adopter.

« Alors, dit-on, ils devront être mis en jugement, dans le mois du jour de leur révocation, et s’ils sont reconnus innocents, ils reprendront de droit l’exercice de leurs fonctions. »

Mais qui prononcera la révocation ? la députation des états. Pourquoi ? pour forfaiture, concussion ou malversation, et alors ils sont renvoyés devant un tribunal. S’ils sont reconnus innocents, ils reprendront leurs fonctions.

Quel pouvoir vous accordez à la députation ! Vous faites plus que lui donner le droit d’établir une prévention, vous lui faites rendre un jugement pour un crime pour lequel il ne peut exister qu’une prévention. Vous commencez par faire prononcer une révocation, vous renvoyez ensuite le fonctionnaire révoqué devant les tribunaux pour être jugé, et vous ajoutez que s’il est absous, après avoir été condamné par la députation qui a prononcé sa révocation, il sera réinstallé dans ses fonctions.

C’est à vous à voir si vous voulez adopter une disposition qui viole tous les principes en matière d’attributions. Il n’appartient qu’au pouvoir judiciaire de prononcer sur les cas de forfaiture, de concussion et de malversation ; toute décision préalable est arbitraire et hors des règles des attributions de l’autorité administrative. D’après ces principes que je ne fais qu’émettre, le gouvernement a le droit de révoquer les bourgmestres, mais il n’a pas le droit de révoquer les échevins.

On pourrait adopter l’article 9 dans son ensemble, sauf le paragraphe 2 et en ajoutant l’amendement de M. Gendebien. On aurait ainsi toutes les garanties qu’on peut désirer.

L’article 9 dit, premier paragraphe : « Les bourgmestres et échevins peuvent être suspendus de leurs fonctions par le gouverneur ou par la députation provinciale, pour le terme de trois mois au plus pour cause d’inconduite ou de négligence grave. »

J’accorde le droit de suspendre les échevins. Il peut arriver que des échevins soient poursuivis pour crimes ou délits devant les tribunaux. Dans ces cas, vous devez accorder le droit de les suspendre. Vous devez aussi l’accorder pour cause d’inconduite notoire et de négligence grave. La suspension pour inconduite notoire est un avertissement de se mieux conduire ; la suspension pour négligence grave est encore un avertissement de n’être plus négligent à l’avenir.

C’est la seule peine qu’on puisse infliger en pareil cas. Si le fonctionnaire persiste dans sa mauvaise conduite ou sa négligence, on le suspendra de nouveau, une troisième fois, enfin jusqu’à ce que la durée de ses fonctions expire. Il n’y a pas, comme vous le voyez, nécessité d’accorder le droit de révoquer les échevins. Voilà pourquoi vous devez laisser subsister le premier paragraphe.

Quant au deuxième paragraphe qui porte que les échevins peuvent être démis par la députation provinciale, ce paragraphe doit disparaître, parce que la députation, d’après les principes émis par mes honorables collègues et moi, n’a pas le droit de démettre l’élu du peuple, de briser le mandat donné par le collège électoral.

Quant au troisième paragraphe : Les bourgmestres peuvent être révoqués de leurs fonctions par le Roi, je crois qu’on doit l’admettre, car le gouvernement n’usera là que d’un pouvoir qui résulte de la nomination. Car celui à qui vous avez donné la nomination du bourgmestre et qui a conféré cette qualité de bourgmestre à un citoyen, peut avoir de justes raisons de la lui retirer, mais sans toucher au mandat que le bourgmestre aurait reçu comme conseiller municipal. En ajoutant à ces deux dispositions l’amendement de M. Gendebien, on aurait toutes les garanties désirées.

L’honorable M. Gendebien propose de dire : « Les fonctionnaires suspendus ou destitués seront toujours préalablement entendus. »

Cette première partie s’applique aux bourgmestres destitués ou suspendus comme aux échevins suspendus ; ils doivent toujours être préalablement entendus. En effet, comme je l’ai dit à la dernière séance, toute décision administrative prise contre un fonctionnaire est un jugement par défaut ou contumace qui ne peut pas subsister aussi longtemps que celui contre lequel elle a été rendue ne sera pas mis en demeure de l’attaquer, d’y faire opposition, de la faire disparaître.

La deuxième partie de l’amendement porte :

« Les suspensions et révocations seront motivées ; elles seront adressées directement à la personne qui en est l’objet ; elles ne seront pas publiées.

« Il en sera donne connaissance à l’administration communale, par une simple notification du dispositif de l’arrêté. »

Cette partie rentre dans les observations très judicieuses faites par l’honorable M. Dubus, qui a démontré qu’il valait mieux, dans l’intérêt de la justice, de la société et de l’administration, que les décisions de ce genre fussent motivées.

On a objecté que, dans certains cas, le fonctionnaire révoqué ou suspendu pourrait avoir intérêt à ce que les motifs de sa révocation ou suspension ne fussent pas énoncés. Mais la société est intéressée à connaître un fonctionnaire prévaricateur. Si sa conduite est notoire, elle est à la connaissance de tout le monde. Si un fonctionnaire a commis un crime qui ne permet pas de le laisser en fonctions, pourquoi aurait-il un privilège sur les autres citoyens ? il doit être poursuivi, on ne doit pas lui accorder l’impunité, parce qu’il avait obtenu une confiance qu’il ne méritait pas. Sous tous les rapports, la décision doit être motivée.

Je me défie de toute décision non motivée, c’est pour cela qu’il est de principe fondamental que tout jugement doit être motivé.

En réduisant l’article 9 aux premier et troisième paragraphes et en ajoutant le mot notoire après celui inconduite, puis l’amendement de M. Gendebien, il me paraît que la disposition sera complète.

M. Legrelle. - Il est difficile de s’appuyer sur un système dans la question qui nous occupe, surtout d’après le vote qui abandonne la nominations des échevins aux électeurs.

Je ne puis laisser au gouvernement le droit de démettre ces fonctionnaires, parce que je craindrais un conflit perpétuel entre les électeurs et le gouvernement, dans le cas où le gouvernement croirait devoir user de ce droit.

L’honorable M. de Muelenaere a dit que dans le cas où le gouvernement croirait devoir démettre un échevin, les électeurs pourraient encore ratifier ou désapprouver la démission parce qu’il appartiendrait aux électeurs de le réélire ou de ne pas le réélire. Mais je demanderai à l’honorable ministre des affaires étrangères ce qui arriverait dans le cas où les échevins démis par le gouvernement seraient réélus ? le gouvernement devrait-il les laisser en fonctions malgré la démission qu’il leur aurait précédemment donnée, ou bien renouvellerait-il la démission ? Mais les électeurs voulant rester conséquents avec eux-mêmes, s’étant une première fois montrés en désaccord avec le gouvernement, rééliraient le fonctionnaire une deuxième, troisième et dixième fois. De là naîtrait un conflit perpétuel inextricable. Je ne sais quel moyen l’honorable M. de Muelenaere trouverait pour faire cesser le conflit.

Si l’honorable ministre veut donner une explication sur ce point, je demanderai à ce que la parole me soit continuée après.

M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - J’ai raisonné dans le système de la loi proposée ; un échevin étant révoqué, il faut pourvoir à son remplacement.

La loi ne statuant pas que les échevins ne pourront pas être réélus, rien ne s’oppose également à leur réélection. Si des échevins révoqués étaient ainsi réélus, ils rentreraient dans l’exercice de leurs fonctions, c’est incontestable. Les faits qui avaient motivé la révocation de ces échevins, étant antérieurs à leur réélection, on ne pourrait pas pour les mêmes faits attendre de nouveaux faits propres à justifier cette mesure. Ils recommenceraient leur carrière comme échevins.

M. Legrelle. - Ce système ne me paraît nullement favorable au gouvernement et donnera lieu à de fâcheuses collisions entre le gouvernement et les électeurs. Si le ministère se rallie à cette opinion d’un des ses membres, je ne crois plus que le droit de révocation puisse être refusé ; mais quant à moi, il me semble qu’il ne peut résulter que du discrédit pour le gouvernement d’un système qui permet aux électeurs de réélire un individu que le gouvernement a cru devoir démissionner.

D’accord sur ce point, je laisserai subsister le paragraphe relatif aux échevins. Mais, avant de l’adopter, je pense que le gouvernement devrait y regarder à deux fois.

Quant aux bourgmestres, quoique cette question puisse être considérée comme m’étant indirectement personnelle, je ne puis m’abstenir de faire une réflexion dans l’intérêt des nombreux fonctionnaires de cette catégorie, réflexion que j’ai déjà présentée à la section centrale et qui y a trouvé de l’écho.

Il me paraît que la suspension d’un bourgmestre ne peut pas dépendre d’un seul fonctionnaire supérieur en rang. On ne peut pas laisser au gouverneur ou à la députation des états le droit de suspendre un bourgmestre. Le bon plaisir du gouverneur ne doit pas suffire pour prendre une semblable mesure. Les motifs graves sont toujours très faciles à trouver. Cela ne veut pas dire plus que les circonstances graves, quand on en a besoin, on en trouve partout.

J’insiste d’autant plus sur ce point que les relations qui existent actuellement entre le gouverneur de la province d’Anvers, mon honorable ami M. Rogier, et moi, écartent de la question toute espèce de caractère personnel. Mais je crois qu’il peut se trouver telles circonstances où le bourgmestre pourra se trouver, dans l’intérêt de ses administrés, en conflit avec le gouverneur de la province ; il pourra se présenter des cas assez semblables à celui cité tout à l’heure par l’honorable députe de Bruges, cas dans lesquels le gouverneur voudra exercer une certaine influence et où le bourgmestre croira contraire à son honneur et à l’intérêt de ses administrés de déférer aux désirs du gouverneur.

Qu’en résultera-t-il ? Que dans un moment de vivacité, par un défaut de réflexion, le gouverneur prononcera la suspension du bourgmestre, parce qu’il peut le faire à lui seul, qu’il n’est tenu de consulter ni la députation provinciale, ni le ministre, ni personne.

Je reconnais que cette suspension doit cesser au bout d’un certain terme, mais je vous demande quel effet il en résultera, quelle influence cette mesure exercera sur la considération du bourgmestre ou sur le gouverneur. Voilà des faits qui peuvent arriver et qu’on peut écarter, en disant que le gouverneur ne peut suspendre un bourgmestre que sur l’avis de la députation permanente

Voilà une modification que je regarde comme indispensable d’apporter à l’article 9

M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Lorsque dans la dernière séance j’ai présenté un amendement, me fondant sur ce que, d’après l’imprimé qui vous était distribué, la disposition que je voulais modifier était présentée comme amendement, un honorable député de Bruxelles me fit observer que c’était par erreur que cette disposition était présentée comme amendement, attendu qu’il y avait quant au fond identité avec la proposition du gouvernement et que le changement ne consistait que dans la rédaction. Je m’empressai de me rendre à cette observation et de retirer mon amendement, mais en déclarant que quand des cas identiques se présenteraient, j’en agirais de même à l’égard des amendements qu’on proposerait. Cette circonstance vient se présenter en ce qui concerne la suspension et la révocation des bourgmestres.

Je prie la chambre de me prêter un moment d’attention. Il me sera facile de démontrer que la question est irrévocablement décidée.

Voyez l’article 7 du projet du gouvernement. Il portait : « Le Roi nomme et révoque les bourgmestres. » Aucune condition n’était apportée au droit de révocation. On fit observer, lors de la discussion de l’article de la section centrale, qu’il vaudrait mieux transporter le droit de révocation à un autre article. Le transfert eut lieu, et voici comment fut rédigée la disposition de l’article9 :

« Les bourgmestres peuvent être révoqués de leurs fonctions par le Roi. »

On ne peut pas mettre en doute que la disposition adoptée soit entièrement conforme à celle du gouvernement.

M. de Brouckere. - En ce qui concerne la révocation des bourgmestres.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Je suis d’accord avec l’honorable député de Bruxelles en ce qui concerne le droit de révocation des bourgmestres. Je vais expliquer qu’il doit en être de même quant à la suspension des bourgmestres.

L’article 10 du gouvernement portait :

« Le bourgmestre et les échevins peuvent être suspendus de leurs fonctions par le gouverneur ou par la députation des états, à charge d’en donner avis dans les 24 heures au gouvernement.

« La durée de la suspension ne peut excéder trois mois. »

Maintenant l’article 9 porte quant à la suspension :

« Les bourgmestre et échevins peuvent être suspendus de leurs fonctions par le gouverneur ou par la députation provinciale, pour le terme de trois mois au plus, pour cause d’inconduite ou de négligence grave. »

Il est évident qu’il n’y a amendement à l’article 9, quant à la suspension, qu’en ce que les mots « pour cause d’inconduite ou de négligence grave » ont été substitués à l’obligation de donner avis au gouvernement dans les 24 heures ; de sorte que je pense que la révocation et la suspension sont à l’abri de toute critique.

Je regrette de n’avoir pas fait ces observations plus tôt, parce qu’elles auraient évité à la chambre une perte de temps précieux.

En ce qui concerne les échevins, je conviens que la question reste entière, parce que le principe de nomination ayant été changé, il peut y avoir lieu de modifier la disposition relative à la suspension ou à la démission. Sous ce rapport, je n’ai aucune observation à faire sur la discussion qui s’agite. Mais au fond, je pense que la disposition adoptée lors du premier vote sur un amendement que j’avais présenté est fondée en raison et est dans l’intérêt des communes.

Il est évident que rien n’est plus pernicieux pour les communes que d’avoir à la tête de l’administration des hommes dont l’inconduite est notoire ou qui se rendent coupables de négligences graves, et qu’on ne peut pas rendre à ces communes de service plus éminent que de les débarrasser de semblables administrateurs ou au moins de réprimer leurs écarts.

Vous remarquerez que d’après les termes mêmes de l’article on suppose que ces fonctionnaires sont susceptibles de s’amender. La députation commencera par la suspension ; ce ne sera qu’à la dernière extrémité qu’elle en viendra à la démission.

La députation ne prendra pas une semblable mesure légèrement, et elle sera d’autant plus sur ses gardes, qu’elle s’exposerait à recevoir un démenti de la part du collège électoral, si tant est que l’échevin démissionné vienne à être réélu.

Ceci répond à une argumentation de l’honorable M. Legrelle, qui disait : Mais vous allez compromettre la dignité de la députation. Ce sera à la députation à juger si, en prononçant la suspension, elle s’expose, ou non, à recevoir un démenti de la part des électeurs ; ce sera une garantie sûre contre l’abus des démissions trop légèrement ou intempestivement prononcées. Du reste, si l’on trouve à propos de demander que la députation motive la suspension, je n’y vois pas d’inconvénients. Je n’en vois aucun à ce qu’on communique à l’individu démissionné ou suspendu les motifs pour lesquels il a été suspendu ou démissionné.

D’ailleurs, cela ne se fait jamais autrement. Nous obligeons la députation et le gouverneur à ne se guider que d’après une inconduite notoire ; il n’y a pas de mal que les échevins soient instruits sur le fait imputé, mais je pense que ce sont là les seules garanties qu’on puisse admettre, et que d’après le vote qui a été donné quant au bourgmestre, tout a été irrévocablement fixé. Il sera donc ajouté que les échevins seront entendus relativement à la démission ou à la suspension, et que les motifs leur en seront communiqués.

On s’est demandé si l’échevin qui a reçu son mandat du peuple, peut en être privé par la députation. Je dirai que ce n’est pas la députation qui détruit ce mandat, mais que c’est seulement l’échevin qui aura causé sa démission ou sa suspension.

Il est impraticable d’appeler le collège des échevins pour une cause de suspension ou de démission ; cependant chacun reconnaît la nécessité de suspendre ou de démissionner : il faut donc recourir à une autre autorité, à la députation provinciale, qui offre toutes les garanties, en ce qu’elle a obtenu deux degrés de confiance par l’élection directe des électeurs et par l’élection indirecte de la députation provinciale. D’après ces divers motifs, si on ajoutait à l’article 9 : « Les échevins sont entendus préalablement à la démission et à la suspension, » les motifs de la suspension ou de la démission seraient suffisamment expliqués.

M. Dumortier, rapporteur. - La manière dont vous ayez accueilli, dans une séance précédente, une motion d’ordre qui vous avait été présentée par M. le ministre de l’intérieur, me paraissait devoir le dégoûter de renouveler une semblable tentative. J’éprouve de la difficulté à parler de sang-froid, quand j’entends M. le ministre de l’intérieur reproduire une question analogue, dans la suspension ou démission des bourgmestres, question qui domine toute la loi, question connexe à la nomination et peut-être plus importante encore. En effet, la nomination est l’œuvre d’un instant. Celle de révoquer et de suspendre est de tous les jours. Messieurs, tout à l’heure quand il s’agissait de vous demander la faculté de révoquer les échevins, vous avez entendu l’honorable M. de Muelenaere. Nous lui répondrons.

Nous avons plus de raison de restreindre la faculté de destituer et de suspendre ces magistrats, que nous vous avons accordé de les prendre en dehors du conseil ; nous sommes en droit de vous demander des modifications sur ce point. Il n’y a pas ici de question préalable possible. Maintenant, voulez-vous savoir comment est envisagé dans le pays le droit que le gouvernement vient demander ?

Voilà ce que dit la régence de Mons :

« Nous n’admettons pas un tel pouvoir contre les fonctionnaires élus à temps par le peuple. Un fonctionnaire de cette catégorie pour être passible d’une pareille rigueur, doit avoir encouru une peine afflictive ou infamante ou par suite d’interdiction judiciaire ; ou bien encore pour des poursuites à même fin, il est mis dans l’impossibilité de siéger ; cela produit le cas d’empêchement et la nécessité du remplacement temporaire. »

Maintenant, voulez-vous connaître les observations de la régence d’Anvers : « Le droit de révocation des échevins surtout a paru si exorbitant que votre commission, sans préciser le rejet, ne peut l’admettre d’une manière aussi vague et aussi générale. » Ceci est dans le rapport de la commission au conseil de régence. Voici la réponse de ce conseil : « Le conseil a refusé au Roi le droit de révocation et de suspension des échevins ; le bourgmestre pourra être révoqué ou suspendu par le Roi, mais par un arrêté motivé, et sur l’avis conforme du conseil. »

Voici ce que dit la pétition de Verviers : « Les bourgmestres et échevins sont les vrais représentants des communes. Ils ont souvent à s’opposer aux exigences du haut pouvoir, c’est pourquoi ils doivent recevoir leur mandat directement du peuple. Si le gouvernement avait le droit de les destituer ou de les suspendre à volonté, les communes se trouveraient dans un état de servilité qui les empêcherait même de jouir de toute liberté légale.

« Dans un tel état de choses que résulterait-il ? C’est que les élections des deux chambres de la représentation nationale seraient à la merci du gouvernement. Les bourgmestres, les échevins et les secrétaires communaux qui seraient nommes par lui, formeraient une masse compacte qui voterait et pourrait, par son influence dans la commune et sur les élections, faire voter en faveur des candidats ministériels ; par là, il faudrait renoncer à toute élection pour les chambres. »

Voilà comme on s’exprime unanimement sur l’article actuellement en discussion. N’est-ce pas affreux de scinder une disposition, pour faire admettre par la chambre le système le plus vexatoire, le plus tyrannique qui ait jamais existé, ni sous le tyran Guillaume que nous avons chassé, ni sous le tyran Philippe II. Jamais la Belgique ne s’est trouvée sous un pouvoir aussi exorbitant qu’aujourd’hui. (Agitation.)

Messieurs, au commencement de cette séance, on a signalé des faits d’une haute gravité. Vous avez dû voir avec un serrement de cœur que le ministre ou son agent, pour exiler un Polonais, avait voulu influencer la régence de Bruges, au point de faire mettre sur le passeport de ce dernier, qu’il était venu en Belgique sous un nom supposé, et avec un faux passeport. L’honorable député de Soignies vous a suffisamment expliqué que ce réfugié n’avait pas eu d’autre moyen que de s’adresser à l’ambassade française. L’honorable M. Jullien a porté la consolation dans cette enceinte, en disant que la régence de Bruges s’était refusée à accomplir un acte aussi inhumain et aussi barbare, et pourquoi s’y est-elle refusée ? Parce que le bourgmestre et les échevins ne peuvent pas être révoqués. Avec le système qu’on veut faire prévaloir, il n’en eût sans doute pas été ainsi.

Le fait dont il a été question au commencement de la séance d’aujourd’hui doit vous montrer le danger d’accorder le pouvoir illégal que l’on vous demande.

Sous le roi Guillaume, on a réclamé fortement contre le droit que le gouvernement prétendait avoir de destituer les magistrats municipaux. La plupart d’entre vous ont signé les pétitions pour le redressement des griefs. N’avons-nous pas été pour cela l’objet d’une inquisition continuelle. C’étaient les officiers municipaux qui étaient chargés de nous surveiller et d’avoir l’œil sur nous ; ils n’étaient plus que de serviles agents des volontés du gouvernement.

Aujourd’hui l’on veut revenir à ce déplorable système ! Au nom de ce que vous avez de plus cher, au nom de la patrie, de la liberté, ne consentez pas à ce que l’on vous demande, ne souffrez pas que nos magistrats communaux descendent au rôle de serviles exécuteurs des volontés du gouvernement.

Personne de nous ne peut être assuré de revenir dans cette enceinte, lorsqu’un commissaire de district pourra dire aux bourgmestres : « Si vous ne votez pas pour nous, si vous votez contre nous, vous serez suspendus, vous serez révoqués. » Voilà où tend le système que le gouvernement cherche à faire prévaloir.

Je suis peiné, j’ai le cœur navré quand je vois le gouvernement présenter des dispositions aussi liberticides !

Pensez-vous que le roi Guillaume ait jamais été armé d’un pareil pouvoir ? Non sans doute. Le roi Guillaume n’avait pas le droit de révoquer et de suspendre les bourgmestres. Lorsqu’un de nos honorables collègues fut frappé par une mesure du roi Guillaume, pour avoir tenu la conduite la plus honorable, pour avoir fait connaître le vœu du pays, lorsque notre honorable collègue M. le baron de Terbecq fut suspendu de ses fonctions pour avoir proclamé le désir du pays d’une séparation de la Belgique et de la Hollande, ce fut une mesure arbitraire, ce fut une mesure illégale.

C’est ainsi que, suivant le caprice du gouverneur Van Dore on envoyait un agent dans une commune qui révoquait le bourgmestre à la tête de son conseil.

Lorsque vous faites une loi, qui n’est pas une loi de confiance pour le ministère actuel, mais une loi organique destinée à suivre toutes les phases du gouvernement, vous ne devez pas consacrer un abus aussi monstrueux.

Déjà sous le précédent ministère, deux de mes honorables collègues ont été destitués : l’un à cause de ses votes, l’autre à cause de son élection ; ce qui est arrivé arriverait encore ; les mêmes hommes reviendraient avec les mêmes faits.

Pensez-vous d’ailleurs que ce droit de révocation qui fait des bourgmestres des agents du gouvernement soit sans danger pour l’ordre public et la tranquillité intérieure ? Le peuple pourra-t-il donc mettre sa confiance dans ses magistrats lorsqu’ils ne seront plus que les simples exécuteurs des volontés du gouvernement ! Assurément non ; de ce moment les bourgmestres n’auront plus la confiance du peuple.

Le roi Guillaume tout tyran qu’il était n’avait pas osé arriver jusque-là. Ouvrez les règlements des villes vous n’y trouverez pas un mot sur la suspension ou la révocation des bourgmestres. Si des révocations ont été prononcées, elles ne l’ont été qu’en violation des règlements.

Voyez si vous voulez rendre légales de pareils mesures, vous, hommes de la révolution, et qui pour la plupart avez siégé dans le sein du congrès ; voyez si vous voulez abandonner à ce point les principes de la révolution que vous avez dans d’autre temps si dignement proclamée. Quant à moi, je ne consacrerai pas mon vote à un pareil système.

Je conçois que pour le bourgmestre, il peut y avoir quelques cas dans lesquels le droit de le révoquer peut être utile. Si je faisais la loi moi-même, ce droit y serait inscrit, mais aussi restreint qu’il doit l’être ; mais je ne puis espérer qu’une proposition telle que je la désirerais fût accueillie par la chambre. Cependant vous devez reconnaître avec moi, que si dans quelque circonstance le droit de suspension des bourgmestres peut être utile, il faut au moins entourer ce droit de toutes les garanties possibles, afin que les magistrats ne deviennent pas de vils esclaves, ne forment pas un servile troupeau.

Ces garanties vous les trouverez en changeant un seul mot à ce que vous avez adopté au premier vote. Il faudrait dire que le bourgmestre pourra être suspendu sur l’avis conforme de la députation provinciale, au lieu de dire qu’il sera suspendu avec ou sans avis de la députation.

Je somme le gouvernement de s’expliquer à cet égard. S’il veut l’ordre public il doit se rallier à ma proposition. S’il persiste à vouloir exercer le droit de révocation sans aucun contrôle, c’est que les ministres veulent user de ce droit dans leur propre intérêt. Je somme le gouvernement de s’expliquer là- dessus.

Je repousse le système de M. le ministre de l’intérieur qui demande la question préalable ; j’adjure la chambre de repousser cette demande comme elle l’a fait dans une occasion récente.

M. le ministre des affaires étrangères a dit qu’il y avait d’autant plus de raison pour accorder le droit de révocation à l’égard des échevins, qu’ils étaient nommés par les électeurs. Je lui répondrai qu’il y a plus de raison pour modifier le droit de révocation et de suspension des bourgmestres que l’on peut maintenant les prendre hors du conseil, que l’on n’est pas limité comme on l’était précédemment.

Quant à la révocation des échevins, je ne pense pas que ce soit sérieusement que le gouvernement la demande. Pour vous prouver combien cette demande est peu fondée, il vous suffit d’entendre ce que dit M. le ministre des affaires étrangères pour l’appuyer, d’un côté, faisant valoir pour obtenir ce droit de révocation que les échevins sont nommés par le peuple, et de l’autre, pour obtenir le droit de révocation à l’égard du bourgmestre, se fondant sur ce que ce magistrat est nommé par le Roi.

En ce qui concerne les échevins, je pense qu’il convient d’adopter l’amendement de M. Gendebien, en substituant le mot suspendre à celui de révoquer.

En terminant, je vous supplie, messieurs, de porter la plus grande attention avant de voter sur le système que nous n’avons pas connu même sous le gouvernement de Guillaume.

Ne vous y trompez pas ; le ministère battu dans l’avant-dernière séance, cherche à rattraper ce qu’il a perdu. J’ai la confiance que vous ne lui céderez pas, et que vous ne voudrez pas sacrifier les libertés que le peuple a conquises par la révolution.

M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - L’honorable préopinant pour faire un jeu de mots m’a prêté des paroles que je n’ai pas prononcées dans cette enceinte. Il me serait, au surplus, facile de répondre aux exagérations, auxquelles il vient de se livrer.

Cette discussion n’est pas neuve ; la proposition dont nous nous occupons n’est pas vierge ; elle a été déjà soumise à la section centrale dont elle a obtenu l’assentiment ; bien plus, elle a obtenu la sanction de la chambre ; car c’est sur le premier vote de la chambre que nous sommes appelés à voter une deuxième fois. La seule différence, qu’il y a, c’est que dans une séance précédente vous avez autorisé le gouvernement, quand des « circonstances extraordinaires » l’exigeraient, à prendre le bourgmestre hors du conseil.

Ce cas sera tellement rare que je ne pense pas qu’il soit de nature à exercer de l’influence sur la disposition dont nous nous occupons en ce moment.

Je n’entrerai pas d’ailleurs dans la discussion du fonds. M. le ministre de l’intérieur a proposé une question qui doit être préalablement vidée. M. le ministre de l’intérieur demande que l’on ne revienne pas sur le vote précédemment émis quant à la révocation et à la suspension des bourgmestres.

Il prouve par la combinaison des articles 7 et 10 du projet du gouvernement et 9 adopté par la chambre que la question préalable doit être adoptée. Il me semble qu’il ne peut y avoir aucun doute sur la décision que vous prendrez à cet égard.

M. Desmet. - Messieurs, je ne parlerai point sur la question préalable que M. le ministre de l’intérieur vient encore proposer, je ne ferai que la seule remarque qu’il faut être bien peu imbu de l’importance de la chose et bien peu aimer les libertés populaires pour oser toujours venir proposer des fins de non-recevoir ; cela tient même un peu du radical, car il a dû s’apercevoir que chaque fois ces questions préalables et ces fins de non-recevoir sont repoussées par une immense majorité.

Je passerai à la question qui nous occupe et je déclarerai d’abord, que, si j’étais assuré que la suppression du paragraphe que l’honorable M. Jullien a proposé passât, alors je m’empresserais de retirer mon amendement, car en le présentant, je n’ai voulu que ce que veut l’honorable membre, qui veut aussi que les échevins ne puissent être révoqués de leurs fonctions que pour forfaiture préalablement jugée.

Car ce ne fut que dans l’intérêt du gouvernement que j’ai proposé que la révocation pût avoir lieu, dès le moment même que le fonctionnaire aurait été prévenu d’avoir forfait et que, pour qu’elle pût être faite par les députations des états provinciaux, il ne fallait point de jugement antérieur, qu’il suffirait pour la maintenir, qu’un jugement vînt la confirmer.

C’est parce que mon amendement tendait à maintenir dans notre droit public ce principe, que j’aurais désiré que la chambre eût adopté la motion d’ordre de l’honorable M. de Brouckere, et qu’elle eût décidé auparavant la question ; alors on aurait pu modifier les amendements dans le sens que la chambre aurait décidé le principe.

J’attendrai à présent que la proposition faite par l’honorable M. Jullien soit votée pour faire à mes amendements les modifications qui seront nécessaires.

Mais j’ai vu avec satisfaction, qu’à l’exception de M. le ministre des affaires étrangères, tous les honorables membres de cette assemblée, qui viennent de parler, sont d’accord sur le principe d’irrévocabilité envers les échevins et trouvent la nécessité de le conserver dans notre droit public.

Et les motifs que M. le ministre a fait valoir pour enlever à son pays cette précieuse base de nos franchises municipales certainement ne pourront pas entraîner beaucoup de convictions. Je ne vois pas qu’il ait donné quelque raison plausible pour combattre notre opinion ; il n’a élevé qu’une crainte, que si la révocation n’était pas abandonnée à l’administration centrale, la marche de l’administration aurait pu en souffrir.

Mais l’honorable ministre ne peut pas ignorer, que ce n’est que depuis la révolution de 92 que nous avons perdu cette importante prérogative et que nous l’avions conservée depuis des siècles sans qu’on pût nous indiquer le moindre inconvénient qui en serait résulté pour l’administration et le pays ; au contraire, ce ne fut que quand quelques-uns de nos gouverneurs ont voulu nous imposer ce privilège, qu’il y a eu des troubles et que les administrations ont mal marché. Que M. le ministre veuille consulter l’histoire de son pays et surtout l’époque très récente du règne de Joseph II, il y verra combien il a tort de vouloir faire changer les usages et contrarier les mœurs de ses compatriotes ; il y verra combien il est imprudent de faire des efforts pour contrarier la constitution des Belges, et faire passer une loi de déception et de moquerie, et par là tromper l’espoir de nos communes, et faire tout ce qui est en lui pour les faire courber, autant qu’à nulle autre époque, sous le joug écrasant de la centralisation.

Je crains aussi que les expressions d’exagération, qua M. le ministre a prêtée au discours que M. Dumortier vient de prononcer, ne fassent un mauvais effet dans le pays, car les Belges et particulièrement les Flamands sont encore trop attachés à leurs franchises municipales, pour trouver exagérées des paroles de pur patriotisme et d’amour pour son pays, qui en prononcerait pour prendre la défense de ces prérogatives contre les tendances absolutistes.

Oui, messieurs, avant la terrible révolution de 93, jamais aucune autre révolution n’avait existé dans nos provinces, et chaque fois qu’un prince, abusant de ses pouvoirs, avait voulu l’outrepasser, il y a eu des troubles là où il avait exercé son acte arbitraire ; les pages de notre histoire en font foi. Mais non seulement en Belgique, ce principe était consacré dans son droit public, mais en France même, il l’a été depuis un temps immémorial.

Déjà sous Philippe le Bel, les titulaires des offices et des charges étaient irrévocables ; ils ne pouvaient l’être que pour malversation judiciairement constatée. L’histoire rapporte même que Charles V, ayant pendant la captivité du roi Jean, destitué plusieurs des principaux magistrats du royaume, et ayant peu de temps après reconnu qu’il avait augmenté par là le parti du roi de Navarre, il vint au parlement et y prononça lui-même un arrêt par lequel il déclara que les destitutions de ces officiers avaient été faites contre raison et justice, et les rétablit tous. Cette époque de l’histoire de France devrait être méditée par ceux qui veulent brusquement aussi enlever à la Belgique ses institutions et ses libertés, et ils pourront apprécier combien il est dangereux de ne rien respecter et contrarier les mœurs d’un peuple.

Louis XI, dont est assez connu le caractère et l’humeur despotique, a son avènement à la couronne, changea aussi la plupart des principaux officiers. Ces destitutions arbitraires échaudèrent les esprits, et contribuèrent beaucoup à allumer la guerre civile dite du bien public.

Ce monarque, sentant cependant la grande faute qu’il avait faite de méconnaître le droit public d’un peuple et pour rétablir le calme et la paix dans son royaume, donna une déclaration le 4 octobre 1467, par laquelle il ordonne qu’à l’avenir : « Les magistrats et tous les titulaires d’office ne pourraient être destitués ou privés de leurs charges, que pour forfaiture préalablement jugée et déclarée judiciairement, selon les termes de justice, par juge compétent. »

Louis XI fit jurer à Charles VIII, son fils, d’observer cette loi, comme une des plus essentielles pour le bien et la sûreté de son état, et il envoya au parlement l’acte qui contenait ce serment.

Louis XIV même a confirmé la déclaration de Louis XI, et en ordonna l’exécution par son ordonnance du 22 octobre 1648.

Louis XV, dans sa réponse aux remontrances du parlement de Paris du 8 août 1759, a de même confirmé la déclaration de Louis XI, et il le fit en ces termes. « S. M. bien instruite de la loi célèbre de Louis XI, entend que les titulaires, tant que ces offices subsistent, ne puissent en être privés autrement que par mort, résignation volontaire ou forfaiture bien et dûment jugée, etc. »

Mais les lois de la république et de l’empire ont anéanti ce principe de droit public français, et c’était principalement par la constitution du 22 frimaire, et par le sénatus-consulte du 12 octobre 1807, que les Français en ont été privés.

Ne doit-on pas s’étonner cependant qu’après notre révolution de 1830, nos ministres viennent nous préconiser les lois sans-culottistes de la république et veuillent en faire les bases des lois organiques de notre constitution, qui, si on l’observait de bonne foi et dans son esprit, est la meilleure et la plus libérale du monde ; certes elle ne devrait pas céder à celle sous laquelle notre Belgique était si heureuse et si prospère.

Vraiment je ne sais quel mauvais esprit plane sur ceux qui nous gouvernent ; l’un ou l’autre, où ils ne savent ce qu’ils veulent, ou ils veulent faire du mal au pays, en lui enlevant ses plus chères libertés.

Je dirai quelques mots pour appuyer l’amendement de M. Dumortier et je dirai que pour bien comprendre le droit de révocation du bourgmestre et pouvoir apprécier à qui ce droit peut appartenir, il faut s’entendre sur les diverses fonctions que remplit ce magistrat.

Il est à la fois le chef administratif de la cité, il est le mandataire de la commune, l’agent exécuteur de la loi et le commissaire ou délégué du gouvernement.

Je reconnais que comme commissaire du gouvernement le bourgmestre ne remplissant qu’une commission, il ne peut être révoqué que par celui dont il tient sa commission.

Mais comme officier municipal, il ne remplit point de commission, il est le titulaire d’une charge confiée à lui par la commune. Il est sur le même rang des titulaires des offices, avec la seule différence que ses fonctions municipales sont temporaires et que ses offices sont à vie.

Il est comme un juge et la loi doit comme aux juges lui garantir la durée de ses fonctions.

Les officiers municipaux ne peuvent de même que les juges être révoqués ou destitués de leurs fonctions que pour forfaiture, concussion ou malversation judiciairement constatée.

Si donc on pouvait diviser la personne du bourgmestre et séparer l’agent du gouvernement du mandataire de la commune, alors il serait facile d’établir le droit de révocation.

D’un côte ce fonctionnaire serait révocable à volonté ; d’un autre, il ne pourrait être destitué qu’en suite d’un jugement.

Mais comme en effet la nature du pouvoir municipal est telle que rien ne fait obstacle à ce que ceux qui l’exercent soient chargés de fonctions étrangères à celles qui leur sont propres, et que, comme vous avez admis dans votre loi que le bourgmestre remplissait la double fonction de délégué du gouvernement et de mandataire de la commune, il est impossible de séparer ces fonctions et de ne révoquer qu’en partie.

Car si le gouvernement révoque son commissaire et destitue en même temps le bourgmestre, par cet acte on enlève à la commune l’administrateur qu’elle s’est choisi pour gérer ses affaires.

Je pense, messieurs, que vous n’avez pas l’envie de conserver dans la loi cette anomalie qui n’aurait d’autre fin, que de paralyser entièrement le pouvoir municipal, car quel sera l’avantage de la commune de pouvoir concourir à la nomination du bourgmestre, quand le gouvernement aurait la faculté de le révoquer d’après son bon plaisir. Et je ne doute pas, messieurs, que vous adopterez l’amendement de l’honorable M. Dumortier.

M. le président. - La parole est à M. de Brouckere.

M. de Brouckere. - Je renonce à la parole pour abréger la discussion.

M. Dubus. - On a demandé la question préalable et cela à la fin de la discussion ; en matière aussi grave la question préalable mérite examen.

M. le président. - M. Legrelle a déposé un amendement.

M. de Robaulx. - Qu’on l’imprime.

M. le président. - C’est de droit.

- De toutes parts. - A demain ! à demain ! l’heure est avancée !

- La séance est levée un peu avant 5 heures.