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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 28 janvier 1835

(Moniteur belge n°29, du 29 janvier 1835)

(Présidence de M. Raikem)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Renesse procède à l’appel nominal.

La séance est ouverte à une heure.

M. Brixhe donne lecture du procès-verbal de la séance précédente. Il est adopté.

Pièces adressées à la chambre

M. de Renesse donne lecture de l’analyse de la pétition suivante.

« Plusieurs habitants du hameau de Ste-Anne, faisant partie des communes de Hamme et de Wesmunster, demandent que ce hameau soit érigé en commune séparée. »

- Cette pétition est renvoyée à la commission chargée d’en faire le rapport.

Projet de loi portant le budget du ministère de l'intérieur de l'exercice 1835

Discussion des articles

Chapitre XI. Industrie, commerce, agriculture

Articles 1 et 2

« Art. 1er. Encouragement à l’industrie et au commerce : fr. 280,000. »

M. le président. - La section centrale propose la division de la manière suivante :

« Art. 1er. Encouragements à l’industrie et au commerce : fr. 220,000. »

« Art. 2. Service de sauvetage : fr. 60,000. »

M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux) se rallie à cette division.

- L’article premier est mis aux voix et adopté.

Articles 3 et 4

« Art. 2 (ancien). Primes pour la pêche nationale : fr. 190,000. »

M. le président. - La section centrale ayant divisé la proposition du gouvernement :

« Art. 3. Primes pour la pêche de la baleine : fr. 150,000. »

« Art. 4. Primes pour la pêche du hareng et du cabillaud : fr. 40,000. »

rejette l’article 3 et admet l’article 4.

La discussion est ouverte sur l’article 3.

M. de Roo a propose un amendement à l’ancien article ; il est ainsi conçu :

« Je propose de substituer au premier paragraphe de l’article 2, celui-ci :

« Primes pour construction de navires d’après leur capacité : fr. 100,000. »

M. de Roo. - J’ai déjà développé les motifs de mon amendement dans la séance d’hier. J’ajouterai aux considérations que j’ai déjà émises, que je ne suis pas de l’avis de l’honorable M. Smits, qui prétend que le mode d’encouragement accordé au commerce est indifférent. J’ai dit qu’il était intéressant pour la Belgique que la pêche de la baleine se fît au moyen de bâtiments nationaux, vu les privilèges que le droit maritime accorde au commerce indigène. Lorsque c’est le commerce national qui retire le bénéfice des primes, il livre la marchandise à meilleur marché, et la généralité du pays en éprouve ainsi les bienfaits. J’ai également dit que la construction de navires nationaux présenterait cet avantage qu’elle servirait à l’écoulement de nos bois et de nos fers. Enfin, j’ai proposé la suppression de l’allocation pour la pêche de la baleine, parce que j’ai supposé que cette allocation, cette année, ne pourrait être d’aucune utilité pour le pays.

M. H. Dellafaille, rapporteur. - L’amendement proposé par l’honorable M. de Roo change la destination de l’article 3. Le gouvernement affectait une somme de 190,000 francs à la pêche nationale. De cette somme 150,000 francs auraient été dépensés en primes pour la pêche de la baleine, 40,000 francs en primes pour la pêche de la morue et du hareng. La section centrale trouvant qu’il était de l’intérêt du pays que cette dernière pêche fût encouragée a admis le chiffre de 40,000, mais a ajourné toute allocation pour l’encouragement de la pêche de la baleine jusqu’à ce que nous ayons les renseignements nécessaires à cet égard et qu’une loi organique ait été portée sur la matière.

Maintenant l’honorable M. de Roo propose d’affecter sur les 190,000 fr., 100,000 fr. pour la construction des navires nationaux et supprime le reste de l’allocation. Il supprime par conséquent l’allocation destinée à la pêche du hareng et de la morue.

M. de Roo. - Ce n’a pas été mon intention.

M. H. Dellafaille, rapporteur. - Il est possible que telle ne soit pas l’intention de l’honorable membre. Mais comme son amendement change l’intitulé de l’article, il en renverse toute l’économie. Il ne resterait plus d’allocation pour la pêche de la morue et du hareng, si son amendement était adopté, ou il faudrait qu’il proposât un article séparé.

M. le président. - Je crois que l’intention de M. de Roo n’est pas de supprimer l’allocation de 40,000 fr. admise par la section centrale, mais de prélever sur les 150,000 fr. destinés à la pêche de la baleine une somme de 100,000 fr., et de supprimer l’excédant des 50,000 fr. (M. de Roo fait un signe d’assentiment.)

M. Smits. - Je suis charmé de faire connaître à l’assemblée que le gouvernement a été en quelque sorte au-devant des désirs manifestés par l’honorable M. de Roo. En effet, la somme de 60,000 francs que la chambre vient d’adopter pour le service de sauvetage ne sera pas spécialement affectée à ce service. M. le ministre de l’intérieur a fait connaître l’intention qu’il a d’en appliquer l’excédant au paiement de primes d’encouragement pour la construction de navires. En effet, il n’est guère probable que le gouvernement dépense 60,000 fr. pour le service du sauvetage depuis Blankenberghe jusqu’à Flessingue. Je crois qu’il en restera à la disposition du gouvernement une partie assez considérable pour la construction de navires. Je crois que M. de Roo peut retirer sa proposition et laisser intact l’article qui accorde des primes à la pêche nationale.

Je pourrais renouveler les considérations que j’ai présentées hier pour démontrer l’importance de la pêche de la baleine. La section centrale n’a pas écarté définitivement la somme demandée. Si la section centrale ne l’a pas admise, c’est parce qu’elle pensait qu’il fallait préalablement qu’une loi fût adoptée sur la matière : vous avez pu voir par les renseignements qu’a fournis le gouvernement qu’il partage la même manière de voir à cet égard, et qu’il n’a pas l’intention d’accorder des primes d’encouragement pour la pêche de la baleine sans avoir posé les règles de la distribution de ces primes. Le projet est prêt et pourrait être présenté à la chambre dans le courant de la semaine. Je proposerai donc à la chambre d’accorder le crédit demandé, à la condition qu’il n’en soit fait usage que lorsqu’une loi aura été présentée par le gouvernement et adoptée par la législature.

M. de Roo. - Je n’ai pu découvrir que l’allocation destinée au service du sauvetage put être affectée en même temps à la construction nationale de navires. Rien ne m’indiquait que telle fût l’intention du gouvernement. Quoique je fasse partie de la section centrale du budget de l’intérieur, je n’ai pas en connaissance des explications que, selon M. Smits, le gouvernement aurait données à cet égard. En admettant même que ces explications aient été données, je croirai toujours que l’excédant de la somme de 60,000 francs serait trop faible et n’encouragerait pas efficacement la construction de navires belges.

Quant à l’allocation demandée pour les primes à accorder aux baleiniers, ce n’est pas le motif allégué par l’honorable M. Smits qui a engagé la section centrale à ne pas l’admettre. Non, elle a pensé que nous n’avions pas en Belgique de bâtiments propres à la baleine, et qu’ainsi en définitive ce serait l’étranger et non pas la Belgique qui profiterait de ces primes.

M. H. Dellafaille, rapporteur. - L’honorable M. Smits avait effectivement émis l’intention dans le sein de la section centrale de consacrer aux encouragements à donner aux constructions maritimes l’excédant du crédit de 60,000 francs destinés au service du sauvetage. C’est que, lorsque M. Smits a fait connaître cette opinion, l’article comprenait cette allocation de 60,000 francs. La section centrale en ayant fait un article séparé, et y ayant donné le titre de service de sauvetage, il ne serait plus possible de détourner ces fonds de leur destination spéciale, pour les affecter à un service qui n’est par compris dans l’intitulé actuel. Je crois qu’il convient qu’au second vote nous changions le titre de l’article, et que nous le rédigions ainsi : « Service de sauvetage et primes d’encouragement pour les constructions maritimes. »

Quant au crédit demandé pour la pêche de la baleine, je ne pense pas qu’il y ait lieu d’accorder cette allocation pour cette année. En supposant que la loi organique soit présentée immédiatement, en supposant que la discussion puisse avoir lieu dans le courant de la session et qu’elle soit adoptée par la législature, et sanctionnée par le Roi, il est fort douteux que l’on puisse la mettre immédiatement en discussion, et que les armateurs belges se livrent cette année à la pêche de la baleine.

Les navires qu’exige cette pêche manquent totalement. Il faudrait que préalablement les armateurs en construisissent ou s’en procurassent. L’année ne suffira pas pour arriver à ce résultat. Remettons donc à l’année prochaine l’insertion dans le budget d’une allocation pour la pêche de la baleine. Si la loi est votée avant cette époque, les armateurs seront à même de profiter de ses bienfaits.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - L’honorable rapporteur de la section centrale vient de faire la proposition que j’allais présenter. Je pense comme lui qu’il y a lieu de revenir au second vote sur le titre de l’article et d’affecter l’excédant de 60,000 francs destinés au service du sauvetage à des primes d’encouragement pour les constructions maritimes.

En ce qui concerne les primes à accorder à la pêche de la baleine, la section centrale a pensé que la loi devrait déterminer le mode de distribution de ces primes, d’autant plus qu’il s’agit d’encouragements dont la continuation se prolongera pendant plusieurs années. Je partage son opinion sous ce rapport. J’ai toujours pensé que le gouvernement ne pourrait disposer de ces primes s’il n’y était autorisé par une loi spéciale. Pour dissiper tout doute sur l’emploi que le gouvernement pourrait faire de l’allocation qu’il demande, je propose d’ajouter après ces mots : « Primes pour l’encouragement de la pêche de la baleine, » ceux-ci : « conformément à la loi. » De cette manière, l’inconvénient prévu par la section centrale disparaîtra.

Je ferai connaître à l’assemblée que déjà il existe dans une de nos villes maritimes un projet d’association pour la pêche de la baleine. Mais ce projet ne pourra recevoir d’exécution qu’autant que la loi accorde des primes d’encouragement à cette pêche. C’est la condition sine qua non de la formation de cette société. Il est important que les chambres répondent au désir qui se manifeste de se livrer à la pêche de la baleine, et admettent le chiffre demandé avec la restriction que je propose moi-même.

M. de Foere. - Dans les renseignements fournis par le gouvernement à la section centrale, il reconnaît la nécessité d’encourager la pêche nationale. Il demande en conséquence une allocation en faveur de la pêche de la baleine. Je ne conçois pas que le gouvernement d’un côté laisse périr la pêche nationale sur nos côtes, la pêche la plus importante, celle de tous les jours, celle qui occupe le plus de bras, par l’inexécution des lois, en permettant aux pêcheurs hollandais d’apporter souvent sans droits leurs produits sur nos marchés et veuille d’un autre côté doter le pays d’une pêche lointaine qui, pour être de quelque bénéfice pour le pays, exige des capitaux et des associations.

Quoi qu’en ait dit l’honorable M. Rogier qui gouverne la province d’Anvers, je persiste à dire que la fraude, qui se pratique presque chaque jour sur l’Escaut, est scandaleuse. A Anvers, il n’existe pas de pêche nationale, il n’existe que des marchands qui vont acheter du poisson à la frontière hollandaise. Ils l’introduisent à Anvers, comme si c’était le produit de leur propre pêche, de sorte que souvent le droit sur le poisson étranger n’est pas acquitté. Quelquefois ils déclarent le poisson comme gâté et échappent ainsi au paiement du droit.

Voici ce qui résulte de l’inexécution de la loi. Dernièrement des marchands de poisson sont allés acheter des harengs à Philippine aux pêcheurs hollandais. Le service des douanes y étant fait plus activement, les marchands ont payé 8 fl. de droit par 1,000 harengs ; le même jour des harengs de la même espèce se vendaient sur le marché d’Anvers 4 fl. les mille, c’est-à-dire la moitié du montant du droit que les pauvres marchands avaient payé. Jugez quelle perturbation doit résulter dans le commerce du poisson de l’inexécution de nos lois. La semaine dernière les marchands qui apportent au marché de Bruxelles par charrettes le poisson de Blankenberghe, d’Ostende, de Nieuport, de Heyst, ont perdu sur leur cargaison la somme de 150 francs. Le fait est constant. Je me trouvais dans la diligence où le fait fut rapporté par ces marchands mêmes. Ils attribuèrent leur perte à l’introduction illégale du poisson hollandais. Un inspecteur de la douane d’Anvers fut présent ; leur compagnon de voyage ne contredit pas les faits.

J’ai pris hier encore, et aujourd’hui, des informations auprès d’Anversois, qui doivent dans l’intérêt de leur ville tenir à ce que cette inexécution des lois continue. Ils m’ont assuré que cette fraude se pratique constamment de la manière la plus ouverte.

M. Rogier. - Je les connais.

M. de Foere. - Je répondrai à M. Rogier que la question personnelle n’entre pas dans la discussion. Il s’agit de savoir si le fait est vrai ou non. Que l’honorable M. Rogier veuille bien répondre. Je le prierai de prouver ses dénégations par des faits et non par des paroles gratuites.

Tout en demandant une allocation pour l’encouragement de la pêche de la baleine, le gouvernement, d’après les renseignements qu’il a fournis à la section centrale, n’exige pas que cette pêche se fasse sur bâtiments de construction nationale. Si, messieurs, cette condition n’est pas exigée, et que vous accordiez l’allocation, vous iriez en sens inverse de ce qui se pratique chez toutes les autres nations. Le gouvernement exige que l’équipage soit national, au moins dans quelques années ; mais nulle part dans les notes du gouvernement on ne stipule la condition d’employer à cette pêche des bâtiments nationaux.

Il résulte des explications données par M. le ministre de l’intérieur que son intention est d’accorder pendant un certain nombre d’années des primes aux sociétés ou aux armateurs qui se présenteront pour en jouir. Il est de principe qu’un budget ne peut engager le pays que pour une année. Engager le pays pour plusieurs années sans une loi spéciale, c’est errer dans une voie inconstitutionnelle. Si vous accordez l’allocation demandée et que la loi ne soit pas votée, il s’ensuivra une nouvelle déviation de la voie constitutionnelle qu’il importe de signaler à la chambre avant qu’elle s’engage par son vote.

Je demanderai de nouveau au gouvernement s’il se propose de réprimer la fraude. J’attendrai, pour faire une interpellation plus formelle, que le ministre des finances soit présent à la séance. C’est lui qui est chargé de l’exécution des lois de douanes.

M. Smits. - Je m’étonne que le préopinant, à l’occasion d’une allocation pour la pêche de la baleine, soit venu nous entretenir de la fraude sur le poisson. Mais, puisqu’il est entré dans des détails à cet égard, je le suivrai sur ce terrain.

Je crois en effet que l’on fraude ; mais j’ajoute que la fraude se fait partout, et non pas seulement à Anvers. On fraude en Hollande, en France, en Angleterre ; partout on se plaint de la contrebande.

Messieurs, la pêche du poisson de mer se fait, comme vous le savez, à 4 à 5 lieues des côtes. Là les pêcheurs de toutes les nations se rencontrent. Ils font entre eux des transactions pour l’achat du produit de leur pêche. Le poisson hollandais de cette manière s’introduit aussi bien en France qu’en Belgique. Il est bien difficile de mettre fin à ces transactions. (Erratum inséré au Moniteur belge n°30, du 30 janvier 1835 :) Je crois que la fraude sur l’Escaut est moins facile qu’ailleurs, par la raison que les pêcheurs d’Anvers sont obligés, d’après la loi, de ne rentrer avec leur poisson qu’après un intervalle de quatre jours... J’entends l’honorable membre qui siège près de moi dire que le terme est de huit jours.

Eh bien, les pêcheurs d’Ostende choisissent un temps favorable, vont en mer, et s’ils rencontrent un pêcheur français, anglais ou hollandais, achètent sa pêche et l’introduisent comme poisson provenant de la pêche nationale. Mais cela existe dans tous les pays ; on s’en plaint partout, en Angleterre, en France, en Hollande. Et je puis vous l’affirmer en connaissance de cause, car j’ai consulté des personnes à même de le savoir, dans ces différents pays.

Après tout, ces questions ne tiennent pas à la loi.

L’honorable abbé de Foere a longuement critiqué l’article en discussion. Il vous a dit : Nous ne savons pas à quoi nous nous engageons, nous ne savons pas si les bâtiments employés à la pêche de la baleine seront de construction nationale ou étrangère.

Messieurs, tous ces points seront réglés dans le projet que le gouvernement vient de vous promettre par l’organe de M. le ministre de l’intérieur. Il n’y a donc aucun inconvénient à dire dans le libellé de l’article :

« Primes pour la pêche de la baleine, conformément à la loi. »

De cette manière on ne pourra disposer de l’allocation que quand la loi aura été votée et d’après les règles qu’elle aura déterminées.

Il ne peut donc y avoir qu’utilité à adopter la proposition faite par M. le ministre de l’intérieur.

M. Desmet. - L’honorable député d’Anvers vient de vous dire comment se fait la fraude de la pêche. Je crois que je pourrai donner une explication plus complète. Cette fraude se fait tous les jours. Tout le poisson qui arrive à Anvers provient de la pêche hollandaise. Voici comment cela se fait : Trente ou quarante bateaux sont en station permanente en face du Doel ; c’est là qu’ils reçoivent le poisson qui se débite dans le pays.

Mais, messieurs, ce n’est pas là l’objet majeur ; l’objet majeur est le bétail qui entre dans le pays par les frontières hollandais. Tous les jeudis, vous voyez arriver sur nos marchés les bêtes grasses hollandaises qu’on introduit sans payer de droit. Vous savez aussi qu’au moyen des bateaux qui stationnent en mer, on transborde et on introduit dans le pays les denrées coloniales des maisons hollandaises, comme si elles étalent apportées par navires nationaux.

Messieurs, quand on voit ce que vient de faire la Hollande contre nos intérêts commerciaux, on doit s’empresser d’user de représailles.

Je demande donc si le gouvernement est dans l’intention de proposer à la chambre des mesures hostiles contre le commerce hollandais. Si telle n’était pas son intention, je demanderais à la chambre d’ordonner d’urgence la discussion de la proposition faite par l’honorable M. de Foere.

M. A. Rodenbach. - Messieurs, un député d’Anvers vient de nous faire l’aveu que la fraude se faisait dans le port de cette ville. Mais voyant l’impression que cette déclaration avait faite sur vos esprits, il s’est hâté d’ajouter que la même fraude se faisait partout ; en France, en Angleterre, en Hollande. Pour combattre l’argument qu’on a reproduit relativement à la pêche d’Anvers, je suis obligé de répéter aussi qu’à Ostende et à Blankenberghe il peut arriver qu’on achète des pêcheurs français quelques bateaux de poisson, mais cela arrive rarement ; car il y a à Ostende et à Blankenberghe des pêcheurs ayant des filets, et qu’ils ont plus d’intérêt à pêcher eux-mêmes, tandis qu’à Anvers il n’y a qu’un simulacre de pêche ; il n’y existe pas un seul bateau-pêcheur, on ne peut pas pêcher dans l’Escaut. Aussi, à Anvers est-ce une fraude organisée.

Il faut que le gouvernement prenne des mesures pour mettre un terme à ce trafic qui ne procure des bénéfices qu’à des fraudeurs.

Je demande au ministre et je le prie de me dire s’il y des pêcheurs à Anvers.

M. Gendebien. - Messieurs, mon intention n’est pas de prolonger la discussion. Je ne prends la parole qu’autant qu’on ne puisse pas induire de mon silence que j’ai abandonné le système que j’ai toujours défendu depuis trois ans. Si je ne dis rien, c’est que je suis convaincu qu’on est dans un cercle vicieux dans lequel on persiste à rester. Je ne suis pas précisément découragé, mais je suis convaincu de l’inutilité de nos paroles.

J’ai pris une part assez large dans les années précédentes à la discussion qui vous occupe depuis trois jours, pour pouvoir me dispenser d’exprimer de nouveau mon opinion.

Depuis trois ans, je ne cesse de vous répéter que le statu quo tue notre commerce et notre industrie. Il y a trois ans, je vous ai annoncé que toutes nos constructions maritimes disparaîtraient. Alors on m’a traité de visionnaire, on m’a accusé de mauvaises intentions, on a dit que je voulais jeter l’alarme dans le pays. Cependant ce que j’avais prévu est arrivé ; on vient de vous avouer qu’il ne restait plus de constructions maritimes dans le pays.

L’année dernière, je disais : Ce n’est ni en donnant des primes pour constructions maritimes, ni en donnant des primes à la pêche, que nous retiendrons notre marine marchande ; vous ne ferez qu’aider les constructeurs à fournir des bâtiments à la Hollande ou à nos voisins ; car vous ne donnez ni sécurité à l’intérieur ni protection au-dehors, sans lesquelles il est impossible de tirer parti des constructions nouvelles, ni même de conserver nos constructions anciennes.

Les encouragements donnés à la pêche sont aussi une dépense inutile, dès le moment que vous n’avez pas de marine, car tout le monde reconnaît que le seul avantage que l’Etat tire des primes qu’il accorde à la pêche est de former des marins.

M. Smits a admis, il a professé cette doctrine d’ailleurs incontestable.

Je demanderai, en passant, comment il se fait que l’ancien ministre de l’intérieur, qui a toujours marché d’accord avec M. Smits, chef de l’administration du commerce et de l’industrie, trouve qu’il est indifférent pour le pays que ses produits soient transportés par des bâtiments français, anglais ou belges. A l’entendre, l’essentiel c’est que nos marchandises s’en aillent.

Comment ne pas voir dans cette contradiction que nous marchons sans principe, sans système, sans boussole, sans idée positive arrêtée sur quoi que ce soit ! Je demande s’il n’y a pas contradiction à demander un encouragement pour la pêche à titre de prime afin de former des marins, seul avantage que l’Etat puisse en tirer, et d’un autre côté de dire qu’il est peu important que nos marchandises soient transportées par des navires nationaux ou étrangers. Je demande si en voyant deux hommes, appartenant à l’administration chargée de veiller aux intérêts de l’industrie et du commerce, se contredire d’une manière aussi positive, on ne peut pas légalement en induire que nous marchons sans système et sans boussole.

Je vous le répète, messieurs, c’est le statu quo qui nous tue depuis trois ans. Aussi longtemps que vous ne donnerez pas à l’intérieur une sécurité parfaite, que vous n’assurerez pas aux commerçants et aux industriels belges une position durable et supportable, vous ne verrez se former aucune grande entreprise ; tout ce que vous ferez ne profitera qu’aux intrigants. Vous aurez beau donner des primes pour la pêche, des primes pour construction de navires ; ces moyens mesquins, lorsqu’ils sont isolés, ne produiront aucun résultat.

Ce n’est pas tout, il faut qu’on trouve encore une protection au-dehors.

Il n’est pas un homme, quelque peu sage, en Belgique, qui, considérant l’état de faiblesse du gouvernement vis-à-vis des puissances étrangères, puisse jamais espérer une protection réelle de sa part et se livrer à quelque grande opération commerciale. Comment voulez-vous que des armateurs s’occupent de constructions à l’avenir, alors que la souveraineté de l’Escaut est contestée, qu’on a même point ou peu d’espoir de l’obtenir ; car elle a été compromise, je l’ai posé et je le pose de nouveau en fait : le gouvernement a souffert qu’on proposât pour lui au roi Guillaume de lui payer ka moitie du droit qu’il demandait sur nos navires, et n’a pas protesté contre ses prétentions de visiter nos navires et d’apporter à notre commerce toutes les entraves qui résulteraient de sa souveraineté sur l’Escaut, si on la lui reconnaissait.

Pour moi, messieurs, tout disposé que je suis à favoriser le commerce et la navigation nationale que je considère comme très importante, je dis que l’allocation qu’on vous demande est de l’argent jeté aux vents, qu’il ne pourra servir qu’à fournir plus tôt ou plus tard des navires à nos ennemis ou à nos voisins et à leur former des marins, des matelots.

Tant que vous tiendrez le pays dans le cercle vicieux où vous l’avez placé, aussi longtemps que vous ne donnerez pas sécurité à l’intérieur et protection efficace à l’extérieur, vous ne ferez rien, vous n’obtiendrez rien, et non seulement vos dépenses seront inutiles, mais elles tourneront au détriment de la Belgique.

Je n’en dirai pas davantage, je m’en réfère ce que j’ai dit précédemment. Je pourrais invoquer à l’appui de mes paroles ce qui est arrivé, et aucun homme sensé, aucun homme sage regardant les choses avec calme ne pourrait méconnaître que nous ne sommes pas plus avancés qu’il y a trois ans, qu’au contraire on nous engage tous les jours davantage dans des négociations qui ne peuvent donner que des résultats fâcheux. Enfin nous en sommes arrivés à ce point que depuis six mois on est condamné à se féliciter du statu quo et qu’on tremble d’en sortir dans la crainte de tomber dans un état pire. Admirable progrès !

Notre flotte marchande, quoi qu’on en dise, est dans un état de souffrance, ou plutôt elle ne souffre plus, puisqu’elle est partie tout entière.

Il faut nécessairement que le gouvernement prenne une marche qui offre de la sécurité et inspire de la confiance aux hommes sages, afin de les engager à faire des opérations commerciales ; sans cela, je ne puis trop le répéter, on ne travaillera que pour les intrigants qui ne feront des sociétés que pour exploiter les primes et les encouragements de toute espèce qu’on offre à leur avidité.

Messieurs, pour justifier la fraude qui se fait à Anvers, on a dit qu’elle se faisait partout. Quelques membres ont contesté ce fait pour Ostende. Ils ont soutenu qu’on y fraudait moins qu’à Anvers. Mais il n’en est pas moins vrai que la prime que l’on accorde à la pêche dans le but de former des marins ne sert qu’à offrir un appât à la fraude. Il en sera de même pour la pêche de la baleine. J’ai entendu dire que si on voulait encourager la pêche de la baleine, il fallait donner des primes plus fortes que dans les autres pays, pour que l’encouragement soit efficace. Je ne sais si c’est un membre de cette chambre attaché au gouvernement qui a émis cette opinion, mais au moins le gouvernement n’a pas contesté. Savez-vous ce qui arrivera ? On ira en mer, on achètera même de ceux qui pourraient recevoir une prime dans leur pays et on trouvera encore moyen de faire un bénéfice ; ou bien on achètera des pêcheurs dont le pays ne continue pas à accorder de prime pour cette pêche ; en un mot on fera pour la pêche de la baleine ce qu’on fait aujourd’hui pour l’autre pêche.

Je vous répète donc encore une fois que vous êtes dans un cercle vicieux et que vous ne pourrez rien faire aussi longtemps que vous resterez dans cette apathie que tout le monde taxe de lâcheté et que, quant à moi, je ne qualifierai plus, laissant à chacun de la qualifier comme elle le mérite.

Je sais qu’il y a des branches d’industrie qui prospèrent bon gré mal gré, mais ce n’est pas parce qu’elles sont favorisées par le gouvernement qu’elles prospèrent ; au contraire elles prospèrent malgré les secours du gouvernement, parce que le peuple belge est industrieux, actif, laborieux ; que, quoi qu’on fasse, on ne pourra jamais le déshériter entièrement de toute industrie ; que la persévérance et l’économie qu'il apporte dans les affaires triompheront toujours.

M. Rogier. - Messieurs, il m’importe de ne pas laisser passer sans réponse ce que vient de dire l’honorable préopinant, que l’administration était en contradiction avec elle-même, en proposant d’un côté une prime pour encourager la pêche dans le but de former des marins ; et de l’autre, en montrant une indifférence absolue pour la marine nationale.

Messieurs, je n’ai pas dit que j’étais indifférent à la prospérité de la navigation nationale, mais j’ai dit que, pour les industriels, peu importait que leurs produits fussent transportés à l’étranger par navires nationaux ou par navires étrangers. Voilà ce que j’ai dit. C’est une opinion que je soutiens encore. Mais, messieurs, je crois aussi que tout en accordant la plus grande liberté possible à la navigation étrangère, dans l’intérêt de l’industrie nationale, il était bon aussi d’encourager la marine belge. C’est dans ce but que l’ancien ministère avait porté au budget une somme destinée à l’encouragement de la pêche.

J’ai combattu l’honorable abbé de Foere en ce qu’il voulait accorder à la marine marchande belge des encouragements tels qu’ils pouvaient porter un grand préjudice à toute l’industrie du pays. Avant de vouloir faire le commerce exclusivement par navires nationaux, en supposant qu’un pareil système pût être établi, avant de l’établir, encore faut-il avoir les éléments nécessaires pour en assurer le succès.

Or, messieurs, pour naviguer, que faut-il ? d’abord des marins, et pour avoir des marins, il faut encourager la pêche nationale.

En attendant que nous puissions faire le commerce belge exclusivement par navires belges, je soutiens qu’il faut donner la plus grande liberté possible aux navires étrangers, et dans tout état de cause je pense que l’industrie et le commerce de la Belgique se trouveront toujours mieux d’un système large de navigation que du système restrictif que l’on pourrait imposer à la navigation, comme corollaire du système restrictif qu’on voudrait établir en matière d’industrie.

Messieurs, on a répété encore ce qu’on prétend avoir annoncé il y a trois ans, que toute la marine marchande avait quitté le pays. Ce qu’on a dit, il y a trois ans, était en fait patent pour tout le monde. Du moment où les relations de la Belgique avec les Indes cessaient, il fallait bien que les navires qui servaient à ces relations, se trouvant sans emploi, allassent en chercher ailleurs.

Ces navires sont d’un tonnage considérable. Ils avaient été faits spécialement pour le commerce des Indes ; ils sont allés dans les ports hollandais où ce commerce a continué. Mais, messieurs, en dehors de cette marine de haut tonnage, il reste une marine de tonnage moyen, qui n’a pas dépéri, qui a même été en augmentant. Or, on peut faire le commerce avec les navires de 200 à 300 tonneaux aussi bien qu’avec des navires de 600 à 1200 tonneaux.

Il ne faut donc pas que la chambre s’alarme trop de ce que vient de dire le préopinant. Il y a encore une marine marchande en Belgique, et il y a de plus un commerce fort actif.

Mais, dit-on, le commerce fleurit et prospère malgré les bévues du gouvernement. Je ne sais en quoi peuvent avoir consisté ces bévues ; mais ce que je sais, c’est que les efforts du gouvernement sont parvenus à donner assez de sécurité au commerce et à l’industrie pour qu’ils puissent arriver, en ces 4 dernières années, a un état aussi prospère que sous le gouvernement hollandais, après quinze années de paix. Je vois que les efforts du gouvernement ont obtenu un statu quo qui nous assure tous les avantages du traité en nous affranchissant de ses désavantages ; car c’est à l’abri de ce statu quo que l’Escaut, qu’on dit menacé dans sa souveraineté, reste libre. Il n’est pas étonnant alors que tant de personnes regardent ce statu quo comme très favorable et n’en demandent que le maintien.

M. Legrelle. - J’ai entendu sortir de la bouche de M. Gendebien ces paroles : que le gouvernement avait reconnu au roi Guillaume le droit de visite sur les navires venant de l’Escaut. Je suis étonné que M. le ministre ne se soit pas levé aussitôt pour démentir une assertion qui, si elle était vraie, serait de nature à détruire tout le commerce maritime sur l’Escaut. Il importe que ces paroles soient démenties ; car, si le ministre les laissait passer, elles pourraient jeter dans le commerce de grandes inquiétudes.

M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - Messieurs, dans la séance d’hier et dans celle de ce jour encore on a parlé longuement de l’émigration de quelques-uns de nos navires marchands ; on a été même jusqu’à imputer la faute de ces émigrations au gouvernement. Un honorable membre les a attribuées à ce qu’il a appelé l’incurie du gouvernement. Il a remarqué que l’émigration de ces navires était une chose toute naturelle.

En effet, quels sont les navires qui ont quitté nos ports ? Comme nous l’a dit un honorable préopinant, ce sont les grands navires marchands, les navires d’un tonnage considérable, la plupart de cinq cents à douze cents tonneaux. Ce sont ces navires qui avaient été construits dans un but spécial et pour un usage déterminé ; ces navires ne sont utiles dans un pays qu’autant que ce pays garde ses colonies. La révolution ayant séparé définitivement la Hollande de la Belgique, la Belgique a perdu les possessions coloniales des Indes orientales et des Indes occidentales qui considèrent la Hollande comme mère-patrie. Dès lors ces navires qui avaient été construits exclusivement pour faire la grande navigation des Indes, ne trouvaient plus d’emploi dans ce pays.

Leur émigration devenait une chose nécessaire et indispensable. D’ailleurs, ces navires sont la propriété, la chose de ceux que les possèdent. Ils ont donc le droit d’en disposer. Je ne vois pas comment le gouvernement aurait pu empêcher cette émigration. Aussi l’honorable orateur auquel je réponds, n’a-t-il indiqué aucun moyen. Quant à moi, je déclare que je ne connais pas les moyens auxquels on aurait pu avoir recours.

Dans la séance de ce jour, on a prétendu que le gouvernement avait reconnu au gouvernement hollandais la souveraineté de l’Escaut, le droit de visite sur nos vaisseaux venant de l’Escaut, le droit de mettre des entraves à notre navigation par ce fleuve.

Messieurs, loin d’avoir reconnu à aucune époque au gouvernement hollandais le droit de visite ou d’apporter aucune entrave quelconque à notre navigation sur l’Escaut, le gouvernement belge a constamment contesté ce droit, le gouvernement belge a constamment soutenu que la navigation de l’Escaut devait être libre, et que si aux termes du traité du 15 novembre un droit devait être payé, il n’aurait pu l’être qu’à la condition que la navigation de l’Escaut serait entièrement libre sans aucune entrave, sans aucun droit de visite quelconque.

Je crois avoir répondu à l’interpellation qui vient d’être faite par un honorable député d’Anvers.

Je désire qu’on sache bien que jamais le gouvernement belge n’a reconnu au gouvernement hollandais ni le droit de visite ni le droit d’apporter des entraves à notre navigation, et qu’il l’a toujours contesté de la manière la plus positive et la plus formelle.

M. de Foere. - L’honorable M. Smits, pour répondre à ce que j’avais dit de la fraude qui se fait à Anvers, a dit qu’on fraudait partout. Il a cité l’exemple de l’Angleterre et de la France. Il est vrai qu’en général on fraude partout, mais cette fraude générale ne prouve rien contre cette fraude spéciale qui se fait sur une grande échelle à Anvers.

Afin d’atténuer la fraude qui se pratique ouvertement à Anvers, l’honorable M. Smits a dit qu’on fraudait partout, partout on s’en plaignait : oui, messieurs, on fraude partout si vous prenez le terme dans son acception générale ; mais s’en suit-il qu’il faille laisser subsister à Anvers une fraude continuelle et ouverte ?

Il a dit encore qu’on fraudait à Ostende ; qu’il était plus difficile de frauder sur l’Escaut que sur les côtes de la mer. La fraude, messieurs, qui se pratique, dit-on, à Ostende, consiste en ceci :

Les pêcheurs d’Ostende, en allant en mer, prennent une charge en genièvre. En rencontrant en pleine mer les pêcheurs anglais, ils troquent cette liqueur contre une valeur équivalente en poisson provenant de la pêche anglaise, alors surtout que leur propre pêche ne leur a pas réussi. Il existe donc ici deux différentes essentielles entre la fraude qui se pratique à Anvers et celle qui se pratique en pleine mer. La première se pratique ouvertement et peut être empêchée, tandis que le gouvernement n’a aucun moyen d’empêcher celle qui se pratique en pleine mer. Ensuite cette dernière fraude, quoique je ne l’approuve pas, donne des avantages au pays. Il se fait un échange entre les produits nationaux et les produits étrangers.

L’honorable M. Rogier soutenait encore aujourd’hui ce qu’il a soutenu hier : qu’il était peu important que les produits indigènes fussent exportés par navires étrangers ou par navires nationaux. Mais aussi, messieurs, je le soutiendrais, si le fait était vrai, avec cette différence cependant que les bénéfices pour le pays sont plus grands, lorsque les exportations ont lieu par navires nationaux. Mais l’assertion de l’honorable membre n’existe qu’en paroles ; les faits lui sont contraires. Consultez, depuis quatre ans, les mouvements du port d’Anvers et de celui d’Ostende. Presque toutes les importations se font par navires étrangers qui, déchargés, partent en lest.

Dernièrement encore le navire américain, le Dromo, est arrivé à Anvers. Il a versé sur le marché 7,000 balles de café. Il a réalisé 6 à 700,000 fr., soit en argent, soit en lettre de change, en valeur sur Londres ou sur d’autres villes commerciales. Il est parti en lest.

C’est ainsi que sont presque tous les navires étrangers qui fournissent à notre consommation. Mes paroles, comme celles de M. Rogier, ne sont pas ici des assertions gratuites ; elles sont fondées sur des faits patents, les mouvements des ports d’Anvers et d’Ostende.

Si vous n’établissez pas un droit différentiel en faveur des armateurs nationaux, un droit plus favorable que celui qui existe maintenant, non seulement les navires qui sont partis pour la Hollande ne nous seront pas rendus, mais le petit nombre qui reste ira rejoindre les autres, et vous n’aurez pas de nouvelles constructions. Je ne partage pas non plus l’opinion de M. le ministre des affaires étrangères, qui vient de dire que si cette émigration s’était opérée, elle ne doit pas être attribuée à l’incurie du gouvernement.

Je ne soutiendrai pas que tous ces navires de haut bord nous fussent restés ; il faut admettre qu’une partie au moins nous eût été conservée si, depuis trois ans, le gouvernement avait protégé la navigation nationale par des droits différentiels plus favorables aux armateurs négociants, qu’ils ne le sont actuellement. L’opinion que j’émets est partagée par un grand nombre de négociants du pays.

Cette faveur aurait donné en outre aux constructions une très grande extension.

Je persiste à penser qu’il est contraire aux intérêts du pays de continuer à allouer des primes par fractions. Je l’ai dit hier, et je répéterai avec mon honorable ami M. Meeus qu’il faut qu’un système général de commerce soit établi et que si vous tardez vous verrez notre commerce et notre industrie dépérir complètement.

Le statu quo est favorable au pays, a dit encore l’honorable M. Rogier. Quel est le résultat de ce statu quo ?

Les députés d’Anvers insistent beaucoup sur l’avantage qui serait produit par le transit vers l’Allemagne. Eh bien, il est résulté du traité de Zonhoven que nous n’avons plus même le transit vers nos propres provinces.

Les Hollandais fournissent à la consommation de la province du Limbourg. Voilà le résultat de ces traités au moyen desquels on entretient tant d’espérances. Quant à moi, messieurs, je tremble pour les intérêts du pays toutes les fois que le ministre nous parle de ces traités. J’éprouve le triste pressentiment que nos intérêts seront sacrifiés en tout ou en partie, par la simple raison que, dans l’état actuel de nos lois commerciales ou de notre tarif, il n’est de l’intérêt d’aucun Etat de traiter avec nous.

Je ne saurais trop le répéter, établissez par votre tarif du douane un système de réciprocité ; alors vous verrez les autres nations venir vous demander des traités de commerce ; et alors encore, il importera au pays d’agir avec une grande circonspection.

Je vous le demande, messieurs, si des navires nationaux étaient armés pour aller chercher au Brésil, comme l’a fait le Dromo, ou ailleurs les besoins de notre consommation ; je vous demande, dis-je, si ces navires belges, dans l’intérêt des armateurs même, ne chercheraient pas à exporter vers ces pays nos produits nationaux. Au premier voyage, ils chercheraient à explorer les besoins de ces colonies et pays lointains afin qu’à leur second voyage ils puissent charger leurs navires avec un choix d’articles mieux calculés sur les besoins de ces pays.

Jamais un armateur étranger n’agira dans nos intérêts. Il n’est pas probable qu’il vienne chercher chez nous des articles pour l’exportation que son propre pays produit. Au surplus ce qu’avance à cet égard l’honorable M. Rogier est démenti par l’expérience de plusieurs siècles. C’est à notre gouvernement, c’est au moins à notre législature à exciter l’intérêt du négociant, à porter les armateurs à aller chercher les besoins de notre consommation tout en chargeant leurs navires de nos produits et de nos propres fabrications. Vous obtiendrez par votre navigation propre d’autres avantages encore. Vous emploierez vos capitaux, vos matières premières, vos bois, vos fers, tandis qu’en laissant tout introduire par navires étrangers, vous tuez votre propre industrie, votre propre commerce, et vous renoncez aux immenses bénéfices qui résultent de votre navigation propre.

Nous consommons, par semaine, 500 mille balles de café. Je demande si cette consommation seule ne suffit pas à une navigation nationale et si elle n’eût pas conservé au pays quelques navires de haut bord, propres à la navigation lointaine, si le gouvernement avait favorisé cette navigation de droits différentiels suffisants pour stimuler l’intérêt du négociant-armateur. J’ai dit.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Je répondrai à l’honorable député d’Alost par la réponse que j’ai faite hier au député de Thielt. Le gouvernement s’occupe soigneusement de réunir tous les renseignements pour aviser aux mesures les plus favorables à notre commerce, dans l’état actuel de nos rapports avec la Hollande. Mais, comme je l’ai dit hier, ce sont des choses dans lesquelles il ne faut rien précipiter ; il faut avec beaucoup de soin envisager les conséquences qui pourraient résulter des mesures que l’on mettrait à exécution. Sinon on s’expose à reculer, et cela produit l’effet le plus fâcheux pour le commerce, qui exige par-dessus tout de la stabilité.

Un honorable orateur a attribué au statu quo le peu de développements de notre commerce maritime. A cet égard, l’honorable député sait qu’il ne dépend pas d’une des parties de faire à elle seule ce qui dépend aussi de l’autre partie, et jusqu’à ce que notre rival entende raison, il n’y a aucune imputation à faire au gouvernement. Au surplus, quoiqu’on ne puisse nier que le statu quo entraîne des inconvénients, cependant on doit aussi convenir que le commerce et l’industrie ont pris un accroissement notoire depuis les premiers temps de la révolution et que plusieurs branches ont acquis des développements qu’elles n’avaient pas auparavant.

Le même orateur a parlé ensuite de l’émigration de nos grands vaisseaux, je ne puis faire que la réponse qui a été faite par mon collègue le ministre des affaires étrangères. Il est certain que lorsque ces navires ont été construits, on avait en vue de les faire servir aux communications avec Batavia, et qu’ils ne pouvaient avoir une autre destination, Or, il ne dépend pas du gouvernement belge de rétablir ces rapports.

On a prétendu que l’on eût pu retenir les grands navires en augmentant les primes en faveur des navires nationaux. C’est une erreur : ces vaisseaux ne pouvaient convenir au commerce belge que si ce commerce avait eu des communications libres avec les colonies. Et encore eût-il fallu tous les avantages que leur pouvait accorder l’ancien gouvernement comme possesseur de colonies. L’on sait que ces navires étaient ordinairement chargés de transports militaires.

Du reste, messieurs, je conviens qu’il est utile d’encourager les constructions de navires nationaux et que, toute chose égale, on doit préférer le commerce par navires nationaux au commerce par navires étrangers. Cela est incontestable en principe. Mais, dit un honorable orateur, avant d’accorder des primes pour la pêche, il faut discuter le système général que le gouvernement a en vue ; on ne peut discuter ces questions isolément. C’est encore une erreur, l’on peut très bien discuter séparément ce qui est relatif à la pêche, indépendamment de ce qui concerne la douane et le transit. A la vérité ce n’est que lorsque les lois sur les encouragements des pêches de la baleine et du hareng seront présentées, que vous pourrez fixer votre opinion. Mais, en attendant, je crois utile d’accorder au budget les sommes qui sont demandées, sauf à n’en disposer que dans les termes de la loi. Quant aux autres questions de douanes et de transit qui tiennent à notre commerce, ce n’est pas le moment de les discuter. Ces discussions auront plus de force à l’époque où la chambre sera saisie de projets de loi sur la matière.

M. Gendebien. - Un honorable député de Turnhout a supposé que j’avais dit que le commerce prospère, mais que c’est en dépit du gouvernement.

M. Rogier. - Vous l’avez dit positivement.

M. Gendebien. - Eh bien, je soutiens positivement que je n’ai pas dit cela. J’ai dit que si les branches du commerce dont nous nous occupons sont dans l’état le plus affligeant, d’autres ont prospéré, non pas par le fait du gouvernement, mais malgré l’incurie du gouvernement. Les charbons, les fers ont pris de l’accroissement. Voilà ce que j’ai dit et je le maintiens.

Quant à l’émigration des navires, on m’a répondu en équivoquant sur les mots ; si on veut parler de ceux qui servent au cabotage, je dirai que ceux-là n’émigrent pas. Ce n’est pas de cette navigation que j’ai voulu parler, mais de la flotte marchande de la Belgique.

Maintenant on trouve tout naturel que tous nos navires émigrent ; on oublie qu’il y a trois ans on me traitait de visionnaire, parce que j’avais prédit ce qui arrive aujourd’hui ; et à présent on le trouve tout simple.

On vous a dit que puisque nous n’avions pas de colonies, nous n’avions que faire de gros bâtiments, et alors on a cru avoir tout dit. Nous devons dans ce cas déplorer de n’avoir pas adopté le protocole du 27 janvier qui nous accordait la navigation des grandes Indes. Voici les articles de ce protocole :

« La moyenne proportionnelle dont il s’agit faisant tomber approximativement sur la Hollande 15/31 des dettes ci-dessus mentionnées, il est entendu que la Belgique restera chargée d’un service d’intérêts correspondant ;

« 3° En considération de ce partage les dettes du royaume des Pays-Bas, les habitants de la Belgique jouiront de la navigation et du commerce des colonies appartenant à la Hollande, sur le même pied et avec le même droit et mêmes avantages que les habitants de la Hollande. »

Voilà, messieurs, ce qui a été dit. Il y avait peut-être une différence pour le partage de la dette ; on nous imposait les 15/31 de la dette. C’est une question pour moi de savoir si la part qu’on nous a imposée par le traite du 15 novembre 1831, s’élève à moins de ces 15/31.

Remarquez, messieurs, que le roi Guillaume ne se contente pas du partage de la dette et que l’empereur de Russie en a fait l’objet d’une réserve positive. Ainsi donc vous aurez la dette hollandaise et vous n’aurez pas les colonies. Voilà les avantages du statu quo qui augmente notre dette de 5 millions, représentant l’intérêt de l’emprunt des cent millions, qui augmente notre dette de tous les déficits existants, qui augmente notre dette de tout ce qui revient au roi Guillaume du chef de tous les arriérés de la dette que nous avons reconnue sans parler de celle qui pourra nous être imposée par supplément. Ainsi au lieu de payer ce que le protocole vous demandait, au lieu des 15/31, vous paierez peut-être 20 ou 25/31 en raison de la dette que vous aurez contractée par ce sublime statu quo. Et remarquez bien qu’en perdant la navigation des colonies vous n’avez rien gagné d’un autre côté.

Et je n’ai besoin, pour le prouver, que d’invoquer les écrits de notre ambassadeur en Angleterre, qui a dit que le traité du 25 novembre était beaucoup plus défavorable que le protocole du 27 janvier.

Le gouvernement a tort de prendre le haut ton, et de dire qu’il n’a consulté que les intérêts de la Belgique. Je dis que depuis janvier 1831 l’état de notre commerce au lieu de prospérer s’est aggravé. Maintenant si, comme l’a dit l’honorable abbé de Foere, vous aviez favorisé nos armateurs, vous auriez conservé et les navires et les marins. Aujourd’hui vous vous êtes condamnés à dépenser en primes pour faire des marins beaucoup plus que vous n’eussiez dépensé pour conserver et les marins et la flotte marchande. Vous n’en seriez pas là, si vous aviez voulu nous écouter il y a trois ans. Je vous ai dit que pour que le commerce prospérât, il lui fallait sécurité à l’intérieur et protection au dehors. C’était là le seul moyen de le faire fleurir ; je vous ai dit quels étaient les obstacles qui s’opposaient à ce qu’il obtînt cette sécurité et cette protection.

Je vous ai dit qu’aussi longtemps que l’Escaut ne serait pas reconnu libre, il ne fallait pas espérer que le commerce pût prendre de l’accroissement. Car c’est la pierre angulaire de notre commerce. J’ai dit que loin de partager une trompeuse tranquillité, je concevais des inquiétudes graves. On a répondu avec ironie et hauteur aujourd’hui comme on le faisait autrefois, malgré trois années de déception et de honte. C’est ainsi que le ministre des affaires étrangères, à l’occasion des 18 articles, a dit que, plutôt que de céder le moindre clocher où aurait flotté le drapeau brabançon, il renoncerait à la qualité de Belge... et il est venu lui-même vous proposer le traité des 24 articles !

Et quelle confiance pouvez-vous avoir dans les promesses que vous font tous les jours les ministres ? Au surplus, on joue encore ici sur les mots, en vous disant qu’on n’a pas reconnu le droit de visite ; or voici la réalité des choses : lord Palmerston a, du consentement du gouvernement, envoyé au roi Guillaume une note par laquelle, répondant à une autre note de celui-ci, il était déclaré positivement que la Belgique offrait de payer la moitié du droit et même, si ma mémoire est bonne, les trois cinquièmes du droit demandé par le roi Guillaume.

Ce n’est pas le gouvernement qui s’est adressé directement au roi Guillaume, mais il a consenti que Palmerston fît cette demande. C’était en 1833, entre les mois de mai et de juillet ; je crois que les choses se sont ainsi passées. J’ai cité ce fait à deux ou trois reprises lorsque M. Goblet était au ministère des affaires étrangères, et je l’ai interpellé plusieurs fois ; il n’a pas répondu. Recourez au Moniteur de l’époque, et vous en aurez la preuve.

Si nous pouvions avoir confiance dans les paroles d’un ministre, je demanderais à ceux qui sont maintenant à la tête de l’administration : Vous engagez-vous à ne jamais reconnaître la souveraineté du roi Guillaume sur l’Escaut ? Je voudrais bien qu’ils répondissent afin de les mettre encore, plus tard, en contradiction avec eux-mêmes ; je voudrais qu’ils prissent l’engagement solennel de ne jamais reconnaître la souveraineté du roi de la Hollande sur l’Escaut, et de n’admettre que le droit payé par toutes les autres nations, ce qui est déjà une concession exorbitante ; toutefois, je voudrais bien qu’ils prissent cet engagement.

On vous a représenté qu’il ne dépendait pas d’une seule partie de terminer un différend, qu’il fallait encore le consentement de l’autre. Quand deux particuliers sont en désaccord sur la possession d’une ferme, il faut trouver le moyen d’en finir, les parties ne pouvant s’accorder, elles se présentent devant les tribunaux qui décident la question.

Mais quand des nations sont en présence, et que d’une part une nation de quatre millions d’habitants, forte de son droit, et l’ayant démontré à toute l’Europe, ne peut obtenir justice vis-à-vis d’un adversaire, ou d’une nation de deux millions d’habitants, eh bien ! que fait-elle ? elle prend des mesures énergiques elle fait la guerre à l’industrie et au commerce de cette nation, elle prend vis-à-vis d’elle une attitude ferme, elle saisit la première occasion de se faire justice, de faire reconnaître son bon droit. Mais vous avez perdu l’occasion de rien faire de semblable à cet adversaire. Il vous a insultés sur vos frontières, il vous insulte tous les jours, et vous, nation de quatre millions d’habitants, vous vous engourdissez dans un statu quo qui vous tue on qui tout au moins vous est nuisible, car vous venez de le reconnaître vous-même, et vous croyez avoir tout dit quand vous avez articulé d’un air contrit et humilié : ou ne peut pas traiter seul ! Mais dans dix ans vous serez encore dans la même position, et dans dix ans vous serez encore obligés de vous humilier devant deux millions d’habitants, et dans dix ans vous vous trouverez encore dans le même cercle vicieux,

Voilà l’énergie de nos ministres : vous attendez pour traiter que notre ennemi y consente ; mais vous avez essayé de traiter ; vous vous êtes suicidés en présence de nos adversaires à Zonhoven. Qu’y a-t-on fait ? On s’est abaissé autant qu’une nation puisse s’abaisser ; nous n’avons pas même eu le courage d’insister sur nos droits quand l’Angleterre et la France nous disaient que nous pouvions les exiger. Savez-vous ce que nous avons obtenu ? Pas même le transit pour notre propre pays, vous a dit M. l’abbé de Foere. Savez-vous ce qui en résulte ? Les sels qu’on transporte d’Anvers à Venloo doivent être déchargés à Anvers sur des bateaux qui viennent à Bruxelles : à Bruxelles on décharge ceux-ci dans des bateaux qui viennent de Charleroy ; à Charleroy on décharge sur des bateaux qui vont à Namur, et de Namur on descend la Meuse jusqu’à Venloo : on est obligé de faire ce circuit pour transporter nos sels à Venloo pour y être raffinés. Voilà ce que nous avons recueilli du traité de Zonhoven.

Que le gouvernement s’en félicite, à la bonne heure ; quant à moi, je ne puis qu’en gémir.

M. le président. - La parole est à M. Smits. (Assez ! assez !)

M. Smits. - La discussion s’est évidemment égarée. Il s’agit de discuter un article sur la pêche de la baleine, et on est allé examiner les protocoles et le traité des 24 articles, pour arriver au traité de Zonhoven.

M. Gendebien. - Je vous défie de prouver que je n’étais pas dans la question !

M. Smits. - Je ne soutiens pas cela ; mais je dis qu’on est arrivé à la convention de Zonhoven pour en tirer la conséquence que nous n’avions pas le transit et que le café nous est importé de la Hollande par la Meuse. C’est par la frontière de terre, par le Limbourg qui tient au Brabant septentrional que le café entre chez nous.

Quant aux sels, je dirai qu’ils ne doivent pas se transporter d’Anvers à Venloo que la navigation de la Meuse est libre et que les raffineurs de Venloo peuvent faire arriver leurs sels par cette rivière.

L’honorable M. de Foere est revenu encore sur le transit, et il a soutenu que le transit était peu de chose, qu’il n’était que de 15 millions ; mais il peut s’élever comme par le passé à 60 ou 70 millions de livres. Eh bien, si les retours ne sont que de la moitié de ce total le transit serait de 100 millions. Il en résulterait que le pays gagnerait 6 millions par le transport seul, puisque le fret au minimum d’Anvers à Cologne est de 6 fr. par 100 kilog.

Le même orateur, pour montrer que l’on n’encourageait pas la navigation nationale, a cité un fait. Un navire américain, le Dromo, a-t-il dit, a versé 7,000 balles de café ; il n’a rien pris pour son retour ; si c’eût été un navire belge, il aurait pris des produits de notre industrie en échange. Cela est possible.

Mais notre navigation est-elle exclue des parages explorés par les navires étrangers ? Non ; le Brésil, la Havane, le Chili, les Etats de l’Amérique du Sud ont-ils changé leur système de douane à notre égard ? Notre pavillon est-il encore insulté par les pirates dans la Méditerranée ? sommes-nous encore exclus de la mer Noire ? Non, messieurs, et rien n’empêche nos navires d’y aller. Notre navigation jouit même de l’avantage de 10 p. c. sur les droits d’entrée. Pourquoi ne fait-on pas des expéditions dans ces parages lointains. Je n’en sais rien. Toujours est-il que la navigation nationale peut les explorer et opérer des retours.

Je bornerai ici mes observations, et j’inviterai l’assemblée à délibérer sur la proposition faite par le ministre de l’intérieur, c’est-à-dire, sur le maintien de la somme de 150,000 fr. pour les primes, à condition de n’en faire usage que conformément à une loi qui sera rendue.

M. H. Dellafaille, rapporteur. - Je n’ai pas entendu le ministre répondre aux observations que j’ai faites. Je persiste à croire qu’il sera impossible de faire usage du crédit pendant 1835 ; dès lors il est inutile de l’accorder.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - J’ai déjà répondu à l’honorable préopinant en parlant de la création d’une compagnie pour la pêche ; ainsi dès cette année il pourra être fait emploi d’une partie de l’allocation, Quelle sera la partie de la somme employée ? C’est ce qu’il m’est impossible de déterminer. Lorsque la loi sur les primes sera adoptée il est à présumer que de nouvelles compagnies feront d’autres propositions ; ainsi tout est éventuel.

M. de Roo. - On a objecté que lors même que vous accorderiez des primes pour la construction des navires, vous n’en seriez pas plus avancés, parce que, dès qu’ils seraient construits, ils partiraient pour la Hollande. Mais on n’a rien à craindre de semblable ; la Hollande ne veut pas de ce qui se construit chez nous.

M. le président. - M. de Roo veut une prime pour construction de navires ; mais il la veut séparément.

M. Verdussen. - Je demanderai si M. le ministre renonce à l’intitulé qu’il a fait pour l’article 2, « sauvetage… » ?

Il paraît que M. le ministre veut confondre le sauvetage avec les primes. Si on voulait affecter la somme de 60,000 fr. aux deux emplois, il me semble que la proposition de M. de Roo doit succomber.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Je ne renonce pas à l’idée de changer le libellé de l’article 2, sauvetage. En admettant la division des parties, dont se compose l’article, j’ai oublié de faire la réserve, ou de faire mettre : « pour primes de construction de navires, en même temps que sauvetage. »

M. de Roo. - J’ai déjà fait observer que la somme de 60,000 fr. pour sauvetage et primes pour construction de navires, était trop faible. Pour peu que les sauvetages occasionnassent des dépenses, il ne resterait rien pour les navires.

M. de Robaulx. - La première chose qu’il y ait à mettre aux voix, c’est l’amendement de M. de Roo qui veut, que l’on accorde 100,000 francs en primes pour construction de navires. Le gouvernement ne demande pas autant ; il croit que 60,000 francs lui suffiront et pour sauvetage et pour primes de constructions maritimes : il faudra seulement changer le titre de l’article du sauvetage selon la proposition du ministre. La question est donc : Veut-on accorder 100.000 francs, quoique le ministre ne les demande pas ?

M. Gendebien. - Puisque l’on demande une simple modification au titre de l’article 2, modification qui ne pourra s’effectuer qu’au second vote, il me semble que pour simplifier la délibération, M. de Roo devrait retirer son amendement, sauf à le reproduire au second vote.

M. de Robaulx. - On ne peut pas accorder 100,000 francs.

M. de Roo. - Je consens à retirer mon amendement ; cependant je veux une somme plus forte que celle consentie par le ministre.

M. Gendebien. - M. de Roo croit que 100,000 fr. sont nécessaires ; d’un autre côté, le gouvernement croit que 60,000 fr. suffiront pour sauvetage et primes ; je voudrais qu’on nous dît quelle somme sera nécessaire pour le sauvetage, afin que nous puissions juger de ce qui restera pour les primes sur 60,000. Nous devrions ne pas nous occuper de la proposition de M. de Roo, et demander des renseignements sur l’étendue des besoins pour le sauvetage. Il faudrait qu’on s’exprimât bien catégoriquement, pour ne pas faire un double emploi.

M. de Robaulx. - Je regrette de ne pouvoir adopter les vues de l’honorable M. Gendebien : nous sommes d’accord au fond. Je crois que les 60,000 fr. votés pour le sauvetage sont suffisants, et pour cette spécialité et encore pour les primes : on les rendra applicables à l’un et à l’autre emploi, en modifiant, au second vote, le titre de l’article 2 ; en écrivant : « Sauvetage et primes pour construction de navires. » Dans mon opinion, et après avoir entendu les observations présentées par les divers membres, je crois qu’il faut rejeter la proposition de M. de Roo. Le ministre ne demande que 60,000 fr. ; il doit savoir ce qui est nécessaire pour encourager la construction de navires qui, peut-être, seront pris le lendemain par les Hollandais, ou mieux, qui seront construits sous le nom d’un individu belge et qui, le lendemain, seront conduits en Hollande à leur véritable propriétaire.

M. de Roo. - C’est parce que le gouvernement ne détermine aucune partie de la somme de 60,000 fr. comme applicable aux constructions maritimes que je demande 100,000 fr.

M. Desmanet de Biesme. - Je dois faire observer, pour économiser le temps, qu’on ne peut pas parler sept ou huit fois sur la même question. (Aux voix ! aux voix ! aux voix !)

- Les 100,000 fr, demandés par M. de Roo mis aux voies sont rejetés.

M. de Robaulx. - Je demande la division de l’article en délibération.

M. le président. - « Primes pour pêche à la baleine, conformément à la loi : fr. 150,000 fr. »

(Erratum au Moniteur belge n°31 du 31 janvier 1835 :) - Ce chiffre mis aux voix est rejeté.

M. de Robaulx. - Voilà la baleine avalée par Jonas ! (On rit.)

M. le président. - « Primes pour encouragements à la pêche : fr. 40,000. »

(Erratum au Moniteur belge n°31 du 31 janvier 1835 :) - Ce chiffre est adopté.

Article 3

« Art. 3. Agriculture (chiffre du gouvernement) : fr. 359,500. »

M. le président. - La section centrale propose 356,500 fr.

M. Gendebien. - Messieurs, je suis loin de contester l’utilité d’une école vétérinaire ; j’en reconnais, au contraire, la nécessité ; mais je prie la chambre de faire attention que l’on nous demande une allocation sans aucun plan arrêté. On a commencé par faire du provisoire, et l’on a continué de faire du provisoire. L’on a déjà dépensé beaucoup d’argent et l’on vous propose de dépenser encore cette année 45,000 fr. ; et, cependant, vous n’aurez encore en 1835 qu’un établissement provisoire.

Je ne sais s’il ne conviendrait pas davantage à la chambre (pour ma part, je suis convaincu que c’est ce qu’on peut faire de mieux) de renvoyer le tout au ministre avec la demande d’un plan définitif d’établissement d’école vétérinaire, n’importe sur quelles bases, mais enfin sur des bases qui conviennent aux nécessités du pays et présentant toutes les garanties de durée.

On a commencé par établir l’école vétérinaire dans un lieu où elle ne peut pas rester ; un peu plus tôt, un peu plus tard il faudra qu’elle déguerpisse de là. On a pris un vaste et beau terrain qui pouvait être propre à mille autres établissements ; on a commencé par petites parties, et on a fait des constructions si légères qu’elles ne peuvent pas durer.

Pour moi, je suis convaincu, je le répète, de l’utilité et même de la nécessité d’une école vétérinaire ; et c’est pour ce motif que je voterai contre toute allocation jusqu’à ce qu’on ait fourni un plan définitif tendant à l’établissement de l’école sur des bases qui lui assurent une durée et tous les développements dont elle est susceptible.

De tout temps la Belgique a eu besoin d’une école vétérinaire, mais ce besoin se fait surtout sentir maintenant. Le roi Guillaume en avait établi une, mais il l’avait placée en Hollande ; et vous savez quelle répugnance ont toujours eue les Belges pour se rendre en Hollande ; aussi très peu de Belges ont profité des avantages de cette école. Autrefois il y avait, je crois, une seule école vétérinaire en France, c’était à Alfort ; mais peu de Belges avaient assez de fortune pour aller suivre les cours de cette école dont la durée était de 3 années. A la révolution nous nous sommes trouvés manquant de tout établissement de ce genre. Je reconnais la nécessité d’en avoir un, et c’est parce que je reconnais cette nécessité que je ne veux rien accorder au provisoire, et que je suis disposé à accorder tout ce qu’on demandera de raisonnable pour un établissement définitif.

Je vois reproduire dans cet article du budget la demande de 8,000 fr. pour achat à l’étranger des animaux domestiques destinés au croisement et à l’amélioration des espèces. Je déclare que je ne voterai cette allocation qu’autant que le ministre nous aura présenté un rapport faisant connaître le résultat du premier essai qui a été fait.

Si les renseignements qui me sont parvenus sur cet essai sont exacts, il paraît que les animaux qui sont arrivés l’an dernier ont été plutôt un objet de dérision et de plaisanterie qu’ils n’ont été utiles au pays. Je ne voterai donc pas la somme demandée, quelque modique qu’elle soit, parce qu’une dépense inutile est toujours à éviter et qu’en outre il ne s’agit pas ici d’une dépense seulement inutile, il s’agit d’une dépense qui peut être nuisible.

Quant au paragraphe 8 de l’article en discussion, j’y vois une demande primitive de 130,000 fr., à laquelle on propose une majoration de 20,000 fr. ; ce qui fait une somme de 130,000 fr. pétitionnée pour les haras. Je prierai M. le ministre de l’intérieur de vouloir bien nous rendre compte de l’emploi de 100,000 fr. qui lui ont été alloués au même titre l’an dernier.

Si les renseignements qui me sont parvenus sont exacts, il en résulte que nous avons fait tout le contraire de ce qui devait être fait pour des races. On a nommé une commission administrative composée d’hommes très honorables sans doute, mais manquant, je pense, des connaissances nécessaire en hippiatrique. On peut se connaître en chevaux, aimer les chevaux, avoir le moyen d’en acheter de beaux, distinguer un beau cheval d’un cheval qui ne l’est pas, et néanmoins manquer des connaissances nécessaires pour le choix des étalons propres à la reproduction des chevaux.

La commission était d’abord administrative ; je voudrais savoir si elle est encore administrative ou seulement consultative, s’il n’y a pas certain employé qui fait tout à sa tête, sans même consulter la commission et sans s’inquiéter de ce qui a été décidé dans la commission. Il est possible qu’à cet égard je sois dans l’erreur. Dans ce cas je demande que l’on rectifie les faits.

La commission avait décidé que l’on achèterait un tiers de chevaux de luxe et deux tiers de chevaux de trait pour améliorer l’espèce. J’approuve cette résolution de la commission. Dans un pays comme le nôtre et dans les circonstances où nous nous trouvons, nous devons viser d’abord à améliorer les races des chevaux de trait ; c’est en améliorant successivement cette espèce que nous trouverons le plus de juments propres à produire plus tard l’espèce de chevaux de luxe. Le pays est très fournir dès à présent des chevaux de luxe, parce qu’il y a fort peu de cultivateurs disposés à élever des chevaux de selle, des chevaux de luxe ; il y en a beaucoup au contraire qui sont disposés à améliorer une race utile au pays. Il y a mille raisons pour cela, c’est que les chevaux propres au travail peuvent être utiles de bonne heure ; à 18 mois ou 2 ans ils travaillent et gagnent leur nourriture, tandis que les chevaux de luxe, les chevaux de selles ne font rien avant 4 ou 5 ans ; les chevaux de carrosse, avant d’avoir cet âge, peuvent bien rendre quelques services, mais il faut prendre tant de précautions, que l’on a bien de la peine à en tirer quelque parti.

En offrant dès à présent des étalons de luxe aux cultivateurs, vous leur faites espérer qu’ils vont obtenir de beaux chevaux de luxe. Qu’en résulte-t-il ? que vous découragez les fermiers. Un fermier se promet d’avoir un beau poulain de luxe ; et il arrive qu’il n’a qu’une rosse qui n’est ni cheval de luxe ni cheval de trait ; si vous découragez ainsi les fermiers, si vous persistez dans cette voie, il en résultera que nous n’aurons que de mauvais chevaux et que nous perdrons jusqu’à la possibilité d’en avoir un jour de bons.

Un journal, le Libéral, a publié, il y a quelques jours, sur les haras un article relatant des faits auxquels je dois croire jusqu’à preuve contraire, d’autant plus que l’un des rédacteurs du Libéral s’occupe beaucoup de chevaux : sa famille a un haras ; ainsi les renseignements qu’il donne me paraissent mériter l’attention ou tout au moins la réfutation du gouvernement.

Je vais donner lecture de quelques passages de cet article qui se trouve dans le Libéral du 22 de ce mois :

« Un des premiers actes de cette administration (la commission administrative) fut de proposer la réforme immédiate d’une partie des étalons provenant du haras de Walferdange, et de les remplacer en augmentant successivement ce dépôt de tous les étalons de premier ordre, dans la proportion d’un tiers pour le luxe et de deux tiers pour l’agriculture. Cette décision fut sagement prise, mais elle n’a pas été exécutée ; est-ce la faute de la commission ou bien de M. Dugniolle ? Néanmoins, nos 100,000 fr. ont été dépenses l’année dernière sans succès, ils n’ont servi qu’à entretenir quelques vieux entiers qui existaient à cet établissement, et à acheter 10 chevaux de luxe et 3 de trait seulement, en tout 13, mais qui ne méritent pas le titre d’étalons.

« Et quel désordre dans ce haras de Tervueren, etc.

« Enfin l’on perd son temps à aller visiter cet établissement, et l’on en reviendrait sans avoir rien vu, si des chevaux récemment arrivés d’Angleterre ne vous présentaient de loin des tares qui vous sautent aux yeux, et qui vous forcent de vous arrêter pour les remarquer. Ici c’est Lensbrook, absolument ruiné dans ses jarrets ; là c’est John-Bull, qui manque de force dans ses reins pour se soutenir ; encore un autre avec des jardons. Mais voilà Libor qui coûte, dit-on, 15 mille francs passe si ce n’était que la moitié ! Et là-bas, avec ces éparvins, c’est Goodwood, cheval de pur sang, que l’on a payé 10,000 fr. (on m’a assuré que maintenant on n’en tirerait pas 600 fr.) ; comment dirait-on qu’avec une conformation aussi vicieuse dans toutes ses parties, un tel animal ait pu venir jusqu’à Bruxelles ? Il faut vraiment que le pur-sang soit une grande qualité ; mais s’il en fallait un de cette espèce pour nos amateurs de courses, c’est leur part, nous désirons qu’ils en soient satisfaits : dans le cas contraire, tout n’est pas perdu ; car il pourra toujours servir aux élèves de l’école vétérinaire pour l’étude des défectuosités. » (Hilarité générale.)

Je ne puis dire s’il y a de l’exagération dans cet article ou s’il est l’expression exacte de la vérité. Mais je prie le ministre ou les membres de la commission de vouloir bien donner des explications. Voilà l’article qui a été publié ; c’est parce qu’il a été publié que je demande qu’on y fasse une réponse qui soit également publiée. Les contribuables jugeront ensuite si on a fait un bon usage des 100,000 fr. qu’on leur a demandés.

Je rends pleine justice au zèle et aux bonnes intentions de la commission, mais je crois qu’il serait bien que ses membres s’entendissent, se concertassent avec des hommes capables, avec des hommes du métier. Car il y a loin de pouvoir juger les allures d’un cheval, à avoir des connaissances spéciales en hippiatrique.

Je désire donc qu’avant d’accorder la majoration qui porte à 150,000 fr. la dépense pour les haras en 1835, on veuille bien nous dire quel plan on a adopté ou qu’on se propose d’adopter ; qu’on nous dise quels moyens on a employés jusqu’à présent ; quels sont les résultats qu’on en espère ; si les hommes chargés de l’administration ont les connaissances spéciales nécessaires ; il nous est permis d’en douter, puisque je crois que l’intendant en chef de cette administration est un ancien secrétaire au département des chasses ; je ne pense pas que ce soit dans cette partie qu’il ait pu acquérir des notions d’hippiatrique.

Je demande enfin un rapport qui puisse nous déterminer à voter, pour un objet accessoire comme celui-ci, une somme de 150,000 fr., et une somme qui nous engage, veuillez-le remarquer, pour une somme à peu près aussi considérable pour chaque année ; car plus vous voterez de fonds, plus on achètera de chevaux, et plus vous avez de chevaux, plus vous devez payer de frais d’entretien, de nourriture, de palefreniers, d’administration, plus on vous demandera d’argent.

Je répète que dans mes diverses observations je n’ai aucunement l’intention d’inculper les membres de la commission ; car je connais deux de nos honorables collègues qui en font partie ; il y en a même, peut-être, un plus grand nombre. Je les engage à s’éclairer, à consulter des hommes de l’art ; c’est ce que je ferais moi-même, si j’appartenais à cette commission.

On dit entre autres choses que, sur treize chevaux que l’on avait achetés, il n’y en avait que trois qui fussent des chevaux de trait, bien qu’il résultât de la décision prise que les 2/3 des chevaux achetés devaient être des chevaux de trait.

On m’a assuré (ce n’est pas moi qui l’assure, je parle d’après le récit qu’on m’a fait), on m’a assuré, dis-je, que l’un de ces trois chevaux de trait avait été payé 3 ou 4,000 fr. ; tandis qu’un cheval qui vaudrait même mieux ne serait pas payé en Belgique plus de 1,000 fr. Notez que ce cheval est tellement méchant qu’on n’ose pas l’aborder ; on m’a dit qu’il avait déjà blessé plusieurs palefreniers ; on l’a envoyé à l’école vétérinaire pour le faire morigéner ; mais on s’en est débarrassé au bout de 8 jours, désespérant de pouvoir le morigéner. Je demande si c’est bien la peine de faire venir de tels chevaux de l’Angleterre au prix de 3 à 4,000 fr., alors que pour le tiers de ce prix on aurait mieux en Belgique, alors que les Anglais viennent eux-mêmes chercher chez nous leurs chevaux de trait. C’est particulièrement dans les Flandres qu’ils s’en pourvoient ; les députés des Flandres pourront l’attester, et chacun de nous peut y vérifier ce que j’avance.

Il n’est pas même nécessaire d’aller en Flandre pour trouver des chevaux modèles ; que l’on aille dans l’atelier de notre Verboeckhoven, on verra là des chevaux modèles qu’il a peints sur les lieux et qu’il a reproduits frappants de vérité, et qu’on fasse ensuite la comparaison avec les chevaux que l’on nous fait venir d’Angleterre !

Il est certain qu’en France, qu’en Angleterre tout le monde apprécie les chevaux des Flandres ; c’est la plus belle espèce de chevaux de trait ; et cependant l’on va en Angleterre dépenser des 3 et 4 mille francs, pour avoir un seul cheval qui ne peut rendre aucun service.

Je demande des explications, surtout aux membres de la commission, et sans vouloir, je le répète, critiquer personne. Mais j’ai cité des faits, j’ai cite un article de journal ; je demande qu’on veuille bien y répondre.

Remarquez qu’ici il ne s’agit pas seulement de dépenses inutiles, il s’agit de dépenses qui peuvent être très nuisibles, et dont le résultat peut être de perdre l’avenir de l’espèce chevaline, au lieu de l’améliorer.

M. A. Rodenbach. - Je partage assurément l’opinion de l’honorable préopinant sur l’utilité d’un plan définitif. Mais en attendant ce plan définitif, il me semble qu’il convient de protéger le provisoire ; car ce provisoire est réellement bon. Je voterai donc les 15,000 francs de majoration demandés pour l’école vétérinaire.

Je pense que ce fut une heureuse idée que celle de doter le pays de cet établissement. Il compte déjà 150 élèves quoiqu’il n’ait encore que deux années d’existence. Nous n’avons en Belgique que 50 vétérinaires brevetés. Si nous devons avoir seulement un artiste vétérinaire pour quatre communes, il nous faudra 700 vétérinaires, puisque nous avons 2,800 communes. Il est donc nécessaire, dans l’intérêt de l’agriculture, de protéger cet établissement. L’instruction est complète ; si elle n’est pas aussi parfaite que l’école d’Alfort, on fait au moins de grands efforts pour que l’instruction soit bonne. Notre école vétérinaire, indépendamment de ce qu’elle est utile à l’agriculture, fournit aussi aux besoins de l’armée à qui elle donne des vétérinaires. Je pense donc qu'en attendant un plan définitif, la majoration des 15,000 francs demandés doit être accordée.

On a parlé des haras et de la commission d’agriculture ; je crois qu’il est nécessaire, comme on l’a dit, que l’on achète de préférence des chevaux de trait et de labour. Je suis certain au reste que la commission supérieure d’industrie ne négligera pas l’agriculture.

Mais je laisse aux honorables députés de Namur et du Luxembourg le soin de répondre aux observations présentées de ce chef, de donner des détails sur la mesure que l’on a prise de faire venir de l’étranger des instruments agricoles, des plantes exotiques et des animaux domestiques, et aussi sur les achats de chevaux que l’on a faits à l’étranger, pour l’amélioration de la race chevaline.

M. Desmanet de Biesme. - Je m’applaudis de ce que l’honorable M. Gendebien a provoqué des explications sur l’article en discussion. Je crois que sur quelques points je puis lui donner des explications de nature à le satisfaire. Je suivrai M. Gendebien dans ses développements.

Il a parlé de la mesure qu’on avait prise de faire venir de l’étranger des animaux domestiques, lesquels avaient été un objet de dérision et de plaisanterie. Il a dit qu’il n’était pas nécessaire de dépenser 8,000 fr. pour avoir des animaux qui ne convenaient pas, et ne remplissaient pas le but qu’on s’était proposé.

Nous avons pensé à la commission que, pour répartir entre les différentes provinces des animaux domestiques, il convenait de les faire venir de l’étranger et de les faire vendre.

Les animaux que l’on a fait venir ont coûté 8,327 fr. 24 c. Leur vente a produit 6,855 fr. Par conséquent ils n’ont coûté au trésor que 1,472 fr. 24 c.

Vous voyez que, quand même l’essai qu’on a fait n’aurait pas été heureux, la somme que l’on a dépensée n’est pas considérable ; elle consiste simplement en frais de voyage. Au reste, il est impossible de dire que le résultat du croisement est avantageux ou ne l’est pas ; il faut naturellement, pour connaître le résultat, un certain laps de temps.

Plusieurs membres de la chambre ont acheté de ces animaux : jusqu’à présent ils en sont satisfaits ; le public, dans les localités, paraît les apprécier : voilà tout ce qu’il est possible de dire.

D’autres essais pourront être faits ; l’on pourra s’approvisionner dans les mêmes pays que la Hollande. Je crois qu’en général le croisement est toujours avantageux.

Quant aux haras dont l’honorable M. Gendebien a parlé plus particulièrement, j’entrerai dans quelques détails à ce sujet.

Le gouvernement avait nommé une commission d’agriculture et une commission des haras. La difficulté qu’il y avait de réunir les deux commissions et l’intérêt que doit porter à des races de chevaux ont engagé M. le ministre de l’intérieur à fondre les deux commissions en une seule. L’arrêté qui a amené ce changement portait que le gouvernement ferait paraître un règlement qui organiserait plus particulièrement les attributions de la commission nouvelle. Jusqu’à présent cette promesse n’a pas été tenue.

Il est probable que les occupations de M. le ministre l’auront empêché d’arrêter le règlement. Je crois cependant devoir lui en rappeler la nécessité. Tant que la commission en sera privée, elle ne pourra ajouter à ses fonctions purement consultatives des attributions administratives. Ce n’est pas que je pense qu’il doive entrer dans les attributions de la commission de s’enquérir de l’achat des chevaux. Mais elle pourrait porter ses investigations sur les comptes de l’administration des haras. Son contrôle sera nécessaire quand un directeur aura été nommé. La commission pourra s’enquérir du prix des fourrages, et s’opposer aux dilapidations, si on en commettait. Mais l’honorable M. Gendebien sentira lui-même que la commission ne peut s’occuper de l’achat des étalons.

Vous savez d’ailleurs que, de toutes les marchandises, il n’en est pas sur laquelle on soit plus trompé que sur les chevaux. Les meilleurs connaisseurs y sont trompés. Il est possible que parmi les chevaux achetés à l’étranger, il y ait eu de mauvais choix. Il en est même que l’on devra réformer parce qu’ils ne répondent pas à ce que l’on attendait d’eux. Mais la faute n’en est pas aux personnes qui ont conclu les achats. L’honorable M. Gendebien a cité un cheval excessivement méchant ; le fait est vrai. Mais, lorsqu’il est arrivé, ce cheval ne montrait aucune des mauvaises dispositions qui se sont déclarées ensuite. Est-ce le changement de nourriture, sont-ce les traitements des palefreniers qui l’ont changé ainsi ? Je ne sais ; mais il est probable que s’il fallait se défaire de ce cheval, ce serait avec perte.

L’honorable M. Gendebien a dit qu’il approuvait la résolution prise par la commission de faire entrer le nombre des achats de chevaux de trait pour deux tiers et celui des chevaux de luxe pour un tiers. Cependant il a ajouté que la Belgique fournit les meilleurs chevaux de trait de l’Europe. Il paraîtrait donc d’après lui que la race des chevaux belges est assez bonne et qu’il est inutile d’opérer des croisements au moyen de croisements étrangers. Il a dit également que les étrangers venaient chercher des étalons dans notre pays.

Je lui dirai que l’Angleterre prend beaucoup de juments de Flandre pour opérer des croisements avec des étalons. Nous fournissons à la France les gros chevaux de trait qui lui manquent. Mais cette exportation diminue tous les ans. Cette décroissance tient aux canaux et aux routes en fer que l’on construit en France comme en Belgique.

En Belgique, si les renseignements que l’on m’a donnés sont exacts, la seule route de Charleroy demandait au commerce deux mille chevaux de trait. Depuis l’établissement du canal et à cause de l’élévation des barrières, les chevaux de trait ne s’y vendent presque plus. Autrefois la France nous achetait de gros chevaux pour remonter le Rhône. Maintenant on remonte ce fleuve au moyen de la vapeur.

Les fermiers belges désireraient pour leur part avoir des étalons d’une race moins lourde que celle des chevaux flamands. C’est de l’espèce qui se trouve dans le Perche, une partie de la Normandie et le Boulonnais qu’ils ont surtout besoin. On a l’espoir d’obtenir, au moyen du croisement, une espèce qui convienne mieux au service de la poste, des diligences, de l’artillerie, etc.

Les opinions sont très divergentes sur le croisement, non seulement dans le sein de la commission, mais aussi dans le public. L’honorable M. Gendebien, en citant un article inséré dans le Libéral, a fait allusion à une personne qui possède un haras. Cette personne qui faisait partie de la commission des haras, il y a deux ans, était partisan du croisement des chevaux de pur sang avec ceux du pays, comme pourront l’attester mes honorables collègues MM. Vandenhove et d’Hoffschmidt. Nous n’avons pas voulu être exclusifs. Nous avons pensé qu’il fallait attendre les leçons de l’expérience. D’ailleurs, si nous nous étions bornés à n’acheter que des chevaux de pur sang, comme ces chevaux coûtent horriblement cher, nous aurions été longtemps avant de pouvoir réunir un haras de 60 chevaux.

On ne peut nier que le croisement de ces chevaux et de juments du pays fournira d’excellents chevaux de luxe, et par conséquent des chevaux propres à la cavalerie ; c’est le déchet des chevaux destinés aux attelages de luxe qui sert pour les remontes de la cavalerie. L’espèce des chevaux du Luxembourg pourra, comme on l’a dit, certainement s’améliorer ; mais ce n’est pas avec des chevaux de trait que vous les rendrez propres à la cavalerie et au luxe.

Ainsi, nous avons dû rechercher quels étaient les besoins les plus pressants du pays. Reconnaissant que nous avions de fort bons chevaux de trait, et que les chevaux de luxe seuls laissaient à désirer, nos vues se sont portées sur cet objet. Nous avons cherché à améliorer non pas les chevaux de selle, mais les chevaux de carrosse. Restreints comme l’étaient les moyens mis à notre disposition, nous devions commencer par les améliorations les plus urgentes. L’honorable M. Gendebien dit que les étalons étrangers achetés pour le haras sont des chevaux usés ; il n’est pas nécessaire que ces chevaux sont propres pour la course. Tout ce que l’on demande c’est qu’ils soient d’une bonne conformation, et qu’ils n’aient pas de vices héréditaires. Il est impossible que les achats faits soient à l’abri de la critique. J’en ai donné la raison.

L’honorable M. Gendebien a également exprimé son opinion sur la nomination d’un directeur du haras ; je la partage complètement. Des offres avaient été faites à une personne qui aurait dignement rempli ce poste ; la faiblesse du traitement a peut-être été la cause de son refus. La commission se propose de demander avant peu que M. le ministre veuille bien mettre fin à l’état provisoire de l’établissement en nommant un directeur. L’homme que le gouvernement investira de ces fonctions, doit joindre à des connaissances spéciales une grande probité. Cette dernière condition est essentielle, dans une place dont le titulaire est appelé à faire souvent des achats.

Je termine en réitérant le désir que le règlement promis par le gouvernement nous soit communiqué. C’est alors que les membres de la commission sauront s’ils peuvent continuer leurs fonctions, et accepter les attributions qui leur seront conférées.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - L’honorable député de Mons a parlé de l’école vétérinaire. Comme il ne veut pas de provisoire, son intention est de détruire cet établissement naissant et prospère dès son origine. La mesure qu’il propose aurait ce résultat, si l’on ne continuait pas les subsides dont l’école a joui jusqu’à ce jour. Je crois pour ma part que toute provisoire qu’ait été son organisation, elle n’en a pas moins été utile au pays. Je dirai presque que les dépenses qu’elle a occasionnées sont restées au-dessous de ce qu’elles seraient si le gouvernement n’avait à payer que le traitement des professeurs. Toutes les dépenses relatives au matériel de construction et à l’achat d’instruments sont restées à la charge des fondateurs de l’école,

Dès la fin de l’année 1831, le gouvernement a senti l’utilité d’une école vétérinaire. Il s’est présenté des citoyens zélés et pleins de savoir qui se sont offerts pour fonder cet établissement, à condition que le gouvernement voulût bien allouer un subside en sa faveur. L’administration s’est empressée d’encourager par son assentiment d’aussi honorables efforts. Les succès de cette école sont assez connus pour que je me dispense d’en parler. Aussi, ne s’agit-il aujourd’hui que d’en asseoir définitivement les bases.

Une négociation est ouverte avec la ville de Bruxelles qui a un intérêt très grand à ce que cet établissement soit fixé dans son sein. Nous attendrons la réponse du conseil de régence. Mais jusque-là les dépenses faites par le gouvernement ne peuvent être l’objet d’aucune critique, puisque l’allocation qu'il demandera pour le traitement des professeurs égalera au moins le subside qu’il a porté actuellement au budget.

Le même orateur a parlé de rachat qui a été fait d’animaux domestiques. Un membre de la commission d’agriculture a déjà répondu aux principales objections. J’ajouterai qu’il n’est pas encore possible d’apprécier le résultat que l’on espère obtenir du croisement de ces animaux avec les races indigènes. Ce n’est que l’expérience qui pourra nous éclairer à cet égard.

Comment peut-on d’ailleurs critiquer une dépense aussi peu considérable ? Considérons que nos voisins, les Hollandais, qui possèdent la plus belle race de vaches qui soit en Europe, consacrent encore des sommes considérables pour l’amélioration de leur espèce bovine.

Si dans la Hollande on croit devoir avoir recours au croisement, doit-on faire un reproche au gouvernement de vouloir employer les mêmes moyens pour améliorer les animaux domestiques en Belgique ?

Je sais, messieurs, que ces essais sont minimum, mais c’est à titre d’essais qu’on les a faits ; plus tard on leur donnera plus d’extension si les résultats sont avantageux.

Pour ce qui concerne le haras, un honorable membre de la commission a déjà eu l’obligeance de donner les renseignements les plus détaillés. Il est vrai que jusqu’à présent, le règlement de la commission n’est pas encore fait. Mais on n’aura pour cela qu’à se concerter avec la commission pour voir qu’elles sont les attributions dont il lui conviendra de se charger.

D’autre part, le directeur du haras n’a pas encore été nommé parce qu’il était difficile de se pourvoir à cette place. Au surplus, l’absence d’un directeur en titre n’a pas eu jusqu’à présent d’inconvénients graves, attendu que les chevaux étaient en petit nombre, et qu’un des membres de la commission a bien voulu se charger de la direction provisoire du haras ; je dois ajouter qu’il a eu l’obligeance de le faire à titre gratuit. Jusqu’à présent il n’y a pas eu de plainte fondée sur l’état du haras. Dès lors il n’y a pas de reproches à adresser de ce chef à l’administration.

En ce qui concerne les règles à suivre pour l’amélioration de la traite des chevaux, le député de Mons a bien fait de dire que le gouvernement devait s’entourer de tous les renseignements possibles pour arriver à d’heureux résultats. C’est aussi ce que le gouvernement a fait. Il a recueilli à l’étranger et notamment en Prusse les renseignements les plus détaillés qu’il a pu obtenir sur tout ce qui a été fait dans ces pays pour l’amélioration de la race des chevaux, et nous avons pu recueillir sans trop dépenser le fruit de l’expérience des autres nations. Ce sera au moyen de ces renseignements et des lumières de la commission qui veut bien prêter son concours qu’on tâchera d’arriver aux résultats désirés.

Quant à l’achat des chevaux, on l’a attaqué parce qu’un animal a été acheté qui n’a pas convenu. Comme l’a dit l’honorable député de Namur, les meilleurs amateurs peuvent se tromper. Au surplus, celui-là je ne l’ai pas fait acquérir.

L’officier qui, en dernier lieu, a été chargé d’aller acheter des chevaux en Angleterre, est un homme dont les connaissances en fait de chevaux ne peuvent pas être contestées. Aussi, l’achat qu’il a fait a-t-il reçu généralement l’approbation. Je sais que, pour une opération de cette nature, on peut toujours être critiqué, alors surtout qu’il est permis de supposer dans l’auteur des critiques quelque esprit de partialité. L’officier qui a été chargé d’acheter les chevaux en Angleterre, désirant se justifier des reproches qu’un journal lui avait adressés, a demandé qu’on fît examiner, particulièrement par la commission, les chevaux qu’il avait achetés. La plupart des membres de la commission du haras ont vu ces chevaux, et sur le désir que je lui avais manifesté de la part de l’officier, la commission a bien voulu m’adresser une lettre qui est pour cet officier un témoignage assez satisfaisant pour que sa réputation de connaisseur soit à l’abri de l’attaque du journal dont on vous a donné lecture. Voici cette lettre :

La dépêche est du 2 décembre dernier.

« Vous nous avez demandé l’avis de la commission sur le mérite des étalons achetés en Angleterre. La plupart des membres de la commission ont examiné ces chevaux et tous ont déclaré qu’ils étaient en général satisfaits de cette acquisition. »

Je crois que ce témoignage détruit à lui seul les attaques en contradiction accueillies dans un journal belge.

M. Gendebien. - Par qui est signé la lettre ?

M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Par le président de la commission, et elle est écrite au nom de la commission. Vous voyez qu’il ne faut pas accueillir trop légèrement des attaques de journaux, et surtout de certains journaux, qui eux-mêmes accueillent trop facilement les renseignements qu’on leur donne, et que la haine ou la passion peut avoir suggérés.

M. d'Hoffschmidt. - L’honorable M. Desmanet de Biesme a singulièrement simplifié ma tâche. Je ne dirai plus que quelques mots sur ce qu’a avancé M. Gendebien relativement aux haras.

La Belgique renferme tous les éléments nécessaires pour produire des chevaux abondamment et de bonne qualité. Cependant, nous savons que le gouvernement achète ses chevaux à l’étranger et donne pour motifs que les chevaux du pays ne conviennent pas à la cavalerie parce qu’ils ont la tête trop lourde et d’autres défauts de ce genre. Vous concevrez, messieurs, qu’il est de l’intérêt de l’agriculture de chercher tous les moyens possibles d’améliorer nos races chevalines de manière à pouvoir remonter notre cavalerie et notre artillerie. C’est un genre d’industrie que nous transportons à l’étranger et qui pourrait être très productif pour nous pour notre agriculture.

En Angleterre, en France et en Allemagne le gouvernement et les particuliers ont fait de très grands frais pour améliorer la race de leurs chevaux. Dans ces pays, depuis longtemps on travaille à cette amélioration, et maintenant ils recueillent les fruits des efforts qu’ils ont faits.

Chez nous, cette partie a toujours été négligée. Sous l’ancien gouvernement, il est vrai, un haras avait été formé dans le but d’améliorer les chevaux et surtout ceux des Ardennes. Mais les essais ont été malheureux, les étalons, comme a dit M. Gendebien, ont été choisis de manière à gâter plutôt qu’à améliorer les races. On avait choisi des chevaux fins, des chevaux de pur sang, qui n’ont produit, sauf quelques exceptions, qu’une espèce bâtarde, qui n’était recherchée ni par les étrangers ni par les personnes du pays.

Le gouvernement actuel a senti la nécessité d’apporter remède à cet état de choses, et il a institué une commission chargée de rechercher les moyens d’améliorer la race des chevaux.

Cette commission s’est assemblée plusieurs fois. Elle avait décidé qu’il y aurait quelques chevaux de pur sang pour les amateurs, quelques-uns de demi sang et les deux tiers de chevaux de trait. Voilà les avis que cette commission a donnés au gouvernement. Depuis, le gouvernement a envoyé en Angleterre pour acheter des chevaux de demi sang, des chevaux de trait, et les acquisitions faites ont contenté bien des personnes, malgré ce qu’ont pu dire les journaux. Cependant il faut convenir que ces chevaux ne sont pas sans défauts. Il est d’ailleurs très difficile de faire ces sortes d’acquisitions. Le plus grand connaisseur s’exposerait à des critiques en s’en chargeant.

Messieurs, toutes les personnes qui s’occupent de l’agriculture espèrent que le gouvernement va faire quelques dépenses pour monter un haras qui réponde aux besoins du pays, c’est-à-dire suffisant pour améliorer nos races de chevaux. Je crois donc que dans ces circonstances on ne doit faire subir aucune réduction au chiffre propose par le gouvernement.

Si vous considérez qu’on accorde à l’industrie et au commerce des subsides de 2 à 300 mille fr., que chaque année les mêmes demandes se reproduisent et se votent, vous ne balancerez pas à accorder à l’agriculture le seul subside qu’elle réclame de vous. Car sauf l’allocation pour l’école vétérinaire et les haras, on ne donne rien à l’agriculture et cependant c’est l’industrie la plus répandue en Belgique. J’espère que la chambre voudra bien s’occuper une bonne fois de cette partie si intéressante et qu’elle ne refusera pas le crédit demandé, qui est tout au plus suffisant pour le service auquel il est destiné à pourvoir.

Nous n’avons jusqu’à présent que 20 étalons, et il y a neuf provinces. Si on veut améliorer la race chevaline sur une grande échelle, il faut avoir quatre ou cinq stations dans chaque province, et chaque station est de deux ou trois étalons, ce qui ferait environ 120 étalons. Il en manquerait donc environ 80.

Selon moi la somme demandée par le ministre pour achat de chevaux est trop faible, j’aurais voulu que les 150,000 fr. fussent employés exclusivement à l’acquisition des chevaux, il sera assez tôt de s’occuper des bâtisses quand tous les chevaux seront achetés. En attendant on pourra louer des écuries.

L’honorable M. Gendebien parlant de la commission des haras, a dit qu’elle était composée de très honorables citoyens, mais qu’il ne croyait pas qu’ils eussent les connaissances hippiatriques nécessaires. Je lui ferai observer que nous ne sommes là que pour donner des avis sur l’espèce de chevaux à acheter, mais que quant aux acquisitions, elles sont faites par des personnes ayant les connaissances hippiatriques nécessaires.

L’honorable membre lui-même quoiqu’il n’ait pas ces connaissances spéciales, nous a entretenus de la matière, en nous disant qu’il fallait s’occuper principalement de l’amélioration des chevaux de trait.

Je crois comme lui que si on essaye encore de produire des chevaux de course, qui ne sont recherchés que par un petit nombre d’amateurs, au lieu d’améliorer l’espèce, on la détériorera ; et en cela, je suis tout à fait d’accord avec l’honorable M. Gendebien. Je voudrais que le gouvernement achetât des étalons pour créer des chevaux de diligence, comme a fort bien dit l’honorable M. Desmanet de Biesme, ou des chevaux de poste ; car ce sont ceux-là qui se vendent le mieux dans le pays.

L’honorable député de Mons a demandé qu’on nommât un directeur pour le haras ; jusqu’à présent cela n’avait pas été nécessaire, parce qu’il n’y avait qu’une dizaine de chevaux, et que, pour un si petit nombre, il ne fallait pas donner à un directeur un traitement de 7, 6 ou 5,000 fr. Maintenant c’est différent, le nombre des chevaux devant être de beaucoup augmenté et j’appuie cette proposition de M. Gendebien.

M. de Brouckere. - J’avais demandé la parole pour soutenir la demande faite par le gouvernement d’un subside de 45,000 fr. destiné à l’école vétérinaire de Bruxelles. Mais depuis, j’ai entendu et l’honorable M. Rodenbach et M. le ministre de l’intérieur entrer dans des développements en faveur de cette demande ; je renonce donc volontiers à la parole, et je déclare d’avance que je voterai avec un vrai plaisir les 45,000 francs demandés pour l’école vétérinaire de Bruxelles.

- Plusieurs membres. - Aux voix ! aux voix !

M. de Foere. - Il existe, sur ce chapitre, plusieurs objets, sur lesquels la chambre doit porter son attention. Je trouve que l’école vétérinaire a construit des salles, des manèges, et il en résulte, dit la section centrale, une dépense de 48,000 fr.

Il résulte de ce fait, qu’il a été fait, de ce chef, des dépenses que la chambre n’a pas allouées. Il existe encore un moyen détourné pour arriver au but que l’on se propose ; on dit à l’école : Faites des dépenses à vos frais et l’année suivante vous viendrez nous demander des subsides. Je demande à cet égard des éclaircissements. C’est alors dévier de la voie constitutionnelle et je réclame des explications sur ce que je viens de dire à ce sujet.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - La dépense signalée par l’honorable préopinant est une dépense personnelle faite sur les fonds de l’école vétérinaire.

- Plusieurs membres. - Aux voix !

M. Gendebien. - Je me tairai si vous jugez à propos de m’interdire la parole, mais il me semble que quand il s’agit de 250 mille francs, chaque député a bien le droit de parler et de demander des éclaircissements. Non seulement il s’agit de 250,000 fr. mais encore d’une allocation dont l’emploi peut être nuisible. Je ne serai pas long et je puis vous dire que je suis plus fatigué de parler que vous ne pouvez l’être de m’entendre.

Je dois répondre aux honorables préopinants qui ont prétendu que je voulais la destruction de l’école vétérinaire. Ceux-là n’ont pas voulu me comprendre. Non seulement j’ai dit que l’école vétérinaire était utile, mais encore qu’elle était indispensable et essentielle. C’est pour cela, ai-je ajouté, que je ne veux rien de provisoire, mais quelque chose de définitif.

J’ai dit que si vous faites des dépenses provisoires, dans deux ou trois ans vous démolirez ce que vous aurez construit aujourd’hui ; car vous ne pouvez vous dispenser de faire un établissement définitif, et c’est parce que j’en suis convaincu que j’ai dit que c’est bien peu que 45,000 fr. si on veut bien faire, et trop si on ne veut que faire des constructions provisoires et éphémères.

Que répond le ministre de l’intérieur ? Rien, si ce n’est que la dépense du personnel est égale à celle qu’on a dépensée et qu’on demande pour les constructions. C’est mal répondre à mon avis. De ce qu’il y a des Belges qui se dévouent au bien public, qui sont très modérés dans leurs prétentions, il ne s’en suit pas qu’il faille toujours compter sur cette modération.

Je demande du définitif encore une fois ! S’il y a des citoyens qui veulent bien se sacrifier maintenant, qui vous dit qu’il s’en trouvera toujours d’aussi bien disposés ? N’est-il pas à craindre qu’à la première occasion on ne vienne vous adresser des demandes plus élevées pour les dépenses du personnel précisément quand vous aurez à pourvoir aux dépenses d’un établissement définitif.

Quant à l’autre question qui vous occupe, je suis assez d’accord avec les membres de la commission, mais point du tout avec le ministre qui a cru me répondre sur le danger qu’il y a d’employer des chevaux impropres à la monte par une justification de la personne qui a été chargée de les acheter.

Il me dit : L’officier qui a acheté les chevaux a demandé qu’ils fussent examinés par la commission, et la commission, dit-il, a écrit à cet officier une lettre par laquelle elle lui dit : « Que les chevaux qu’il a achetés sont en général satisfaisants. » Et voilà, dit le ministre, plus qu’il n’en faut pour répondre aux injures contenues dans les journaux, injures dictées par la haine et la malveillance.

Si les membres de la commission veulent parler franchement, ils vous diront que tel cheval acheté 10,000 francs, ne serait pas vendu 600 francs. Il y a une chose toute simple à faire : que l’on adjoigne à la commission des hommes qui se connaissent en hippiatrique. Il est très facile d’être trompé en fait de chevaux, me dit-on : eh ! messieurs, je le sais bien par moi-même. J’en ai fait la triste expérience, mais cela ne répond pas à mes observations. Je voudrais, non pas pour réfuter ce qu’on appelle les injures des journaux, mais afin de s’assurer que ces chevaux sont bons à la monte, qu’on fît une investigation sévère, car des personnes qui se connaissent en chevaux m’ont dit que des chevaux qui avaient été achetés 50,000 francs on ne retirerait pas 15,000 francs, en vente publique. Je demande une investigation non pas pour établir qu’on a été trompé, ce n’est pas là la question ; mais pour voir si les chevaux sont bons à la monte.

Peu m’importe qu’on m’accuse de haine, je dis mon avis et voilà tout. Je somme donc le ministre de faire faire cette vérification, car il est responsable des funestes conséquences qui peuvent résulter pour la race des chevaux des mauvais choix qu’on dit avoir été faits.

Vous l’avez entendu dire tout à l’heure par un membre de la commission : Tout ce qu’on a dépensé pour améliorer la race des chevaux dans le Luxembourg par le haras de Walferdange n’a fait que la rabougrir. Si vous n’y prenez attention vous aurez les mêmes résultats de votre nouvel essai.

Je trouve dans les notes des dépenses pour constructions d’écurie 30,000 francs, quand il y en a une très convenable à Tervueren. Avant de faire un haras, il faudrait savoir s’il est nécessaire d’en avoir un sur le plan qu’on se propose de suivre. Il faudrait savoir s’il ne conviendrait pas mieux d’acheter dans le pays les meilleurs poulains de 18 mois à 2 ans ou 2 ans et demi et de les élever jusqu’à ce qu’ils aient atteint l’âge de saillir, de les confier à des cultivateurs ou de les leur vendre à charge de les conserver et de ne pouvoir les vendre qu’avec autorisation. Leur intérêt personnel sera une garantie pour l’intérêt public. Tandis qu’il arrive souvent que dans les administrations, les hommes chargés de ces opérations se trouvent en opposition avec les intérêts généraux du pays.

On vous a parlé ensuite de faire des usines modèles, des fermes modèles. Je crois qu’on fait très bien en Belgique la bière et le genièvre et qu’il est inutile de rechercher à cet égard la pierre philosophale.

Quant à l’agriculture, vous n’introduirez jamais des améliorations par les fermes modèles. Vous ne pourrez jamais calculer sur les résultats d’une ferme modèle. Qu’est-ce qu’une ferme modèle ? Rien qui puisse procurer la moindre utilité aux agriculteurs. Qu’un homme veuille sortir de son village, il pourra, en parcourant les environs, comparer ce qu’il voit avec ce qui existe chez lui. Il serait mieux que l’on accordât une prime à un individu qui parcourût les provinces telles que le Hainaut, les Flandres, la Campine.

Avec une ferme modèle, vous n’obtiendrez jamais rien que des résultats forcés ou du charlatanisme. Si je ne craignais pas d’abuser de votre patience, je dirais encore bien des choses ; mais je me bornerai à ces observations. Ainsi, je veux essentiellement l’école vétérinaire, et c’est pour cela que je veux des fonds pour les bâtiments où il faut l’organiser. Quant aux haras je veux qu’on profite des chevaux achetés ; je ne demande pas qu’on recherche si on a été trompé, mais qu’on voie si les chevaux que l’on a sont propres à l’usage auquel on les destine.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - C’est bien à tort que l’honorable orateur paraît croire que je l’accuse d’être mû par la passion ; ce que j’ai dit, c’est que les articles publiés dans quelques journaux sur cette question étaient empreints d’un esprit de malveillance. Ce qui est tout autre chose. (Aux voix ! aux voix !)

La commission d’agriculture et des haras a rendu justice à l’achat des chevaux, en le considérant dans son ensemble ; dès lors, on ne peut élever contre cette opération des critiques fondées.

L’honorable préopinant croit que je veux tenir l’école vétérinaire dans un état provisoire. S’il avait entendu mes paroles, il aurait compris que j’avais eu une correspondance avec l’administration de la ville de Bruxelles, afin d’obtenir d’elle un bâtiment pour l’établir définitivement.

En ce qui concerne l’agronomie, chacun de vous sait que cette science doit être enseignée dans une école vétérinaire et qu’il convient de joindre la pratique à la théorie.

M. Gendebien. - Je demande la parole pour un fait personnel. J’ai bien parlé du cheval acheté 10,000 fr. qui n’en vaut peut-être que 600 fr., mais je n’ai pas dit que ce fût l’officier employé par le ministre qui ait fait l’acquisition. J’ai cité un fait, et j’ai demandé qu’il fût vérifié. (Aux voix ! aux voix !)

M. Desmanet de Biesme. - Je n’ai qu’un mot à dire. Je veux demander à M. le ministre de l’intérieur si le chiffre de 150,000 fr. comprend 40,000 fr. pour la construction d’une écurie. Comme membre de la commission, comme membre de la chambre, je ne suis pas d’avis que l’on construise une écurie et que l’on impute par conséquent aucune partie du crédit pour cette construction.

M. le président. - « Agriculture : fr. 359,500. »

La section centrale propose 356,500 fr.

- Le chiffre le plus élevé mis aux voix est adopté.

La séance est levée à 4 heures et demie.