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Chambre des représentants de
Belgique
Séance
du jeudi 15 janvier 1835
Sommaire
1)
Pièces adressées à la chambre
2)
Projet de loi portant les budgets des département des affaires étrangères et de
la marine pour l’exercice 1835
3)
Projet de loi portant le budget du département de la justice pour l’exercice
1835. Discussion générale. (A : Lutte contre la pratique des duels ;
B : question politique générale et confiance à accorder au
gouvernement ; C : expulsion d’étrangers ; D : nomination
de nouveaux gouverneurs ; E : droit de grâce et peine de mort ;
F : organisation des cours et tribunaux (incompatibilités parentales,
personnel des cours d’appel) ; G : suivi des prisonniers
libérés (« haute police ») ; H : police des théâtres)
(A, B, C, D, H (Gendebien), C (Lebeau),
notariat, E, jeux de hasard (H. Dellafaille),
C, D (Gendebien, Lebeau), A,
F, E (de Brouckere), A, B, D, notariat, E, jeux de
hasard, A, F (Ernst), C, D, B (de
Theux), A, E (Desmet), G (A.
Rodenbach), A, B, D, H, C, D, B (Gendebien), F, E
(de Brouckere), G (A.
Rodenbach, de Brouckere), E, F (Dumortier), F (de Muelenaere),
G (Gendebien, A. Rodenbach),
G, E (Ernst), E (Desmet), F (Dumortier, Ernst), G, H, F, (Gendebien), G, H (de Muelenaere),
H (Gendebien, F. de Mérode)
(Moniteur belge n°16, du 16 janvier 1835)
(Présidence de M. Raikem)
M.
de Renesse fait l’appel nominal à midi et demi.
M.
le président procède, par le tirage au sort, au renouvellement des
sections dans lesquelles la chambre se partage pour l’examen préparatoire des
projets de loi.
M.
Brixhe lit le procès-verbal ; la rédaction en est adoptée.
M.
de Renesse fait connaître l’objet des pièces adressées à la chambre.
PIECES ADRESSEES A
« Le sieur Delie saunier, adresse des observations sur le projet de loi
relatif aux sels. »
________________
« Plusieurs
propriétaires de maisons détruites ou fortement endommagées en septembre 1830
demandent que la chambre s’occupe du projet de loi relatif aux indemnités. »
________________
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux)
adresse à la chambre une lettre relative à la pétition du sieur de
PROJET DE LOI PORTANT LES BUDGETS
DES AFFAIRES ETRANGERES ET DE
Second vote et vote sur l’ensemble
du projet
- La chambre confirme
successivement et sans discussion les divers amendements adoptés au budget des
affaires étrangères.
M.
le président. - M. le ministre des affaires étrangères veut-il séparer
les deux budgets, ou préfère-t-il n’en faire qu’une seule loi ?
M. le ministre des affaires étrangères (M. de
Muelenaere). - On a toujours fait une seule loi pour les deux budgets.
Quant à moi cela m’est indifférent. Mais je ne vois aucun avantage à les
diviser en deux lois.
M.
le président. - Ainsi il n’y aura qu’une seule loi pour les deux
budgets des affaires étrangères et de la marine.
Je vais soumettre à la
chambre les amendements adoptés au budget de la marine.
- Tous ces amendements
sont confirmés sans discussion.
Par suite des diverses décisions
de la chambre, l’art. 1er de la loi sera ainsi conçu : « Le budget des
dépenses du ministère des affaires étrangères et de la marine, pour l’exercice
1835, est fixé à la somme de fr. 1,334,878-55. »
- Cet article est mis
aux voix et adopté.
« Art. 2. La
présente loi sera obligatoire le lendemain de sa promulgation. »
- Adopté.
On passe à l’appel
nominal sur l’ensemble de la loi.
En voici le résultat :
Nombre des votants 59.
Ont répondu oui 58.
A répondu non 1.
Le projet de loi est
adopté. Il sera transmis au sénat.
Ont répondu oui : MM.
Bekaert, Berger, Brixhe, Coghen, Corbisier, Cornet de Grez, Dautrebande, de
Behr, de Brouckere, de Foere, A. Dellafaille, H. Dellafaille, de Meer de Moorsel,
F. de Mérode, de Muelenaere, de Puydt, de Renesse, Dechamps, de Sécus,
Desmaisières, Desmanet de Biesme, Desmet, de Stembier, de Terbecq, Dewitte,
d’Hoffschmidt, d’Huart, Doignon, Dubois, Dumont, Dumortier, Eloy de Burdinne,
Ernst, Fallon, Frison, Hye-Hoys, Jadot, Lebeau, Liedts, Meeus, Milcamps, Troye,
Quirini, A. Rodenbach, Rouppe, Schaetzen, Simons, Smits, Thienpont, Ullens,
Vandenhove Vanderbelen, Verdussen, Verrue, Wallaert, Watlet, Zoude et Raikem.
A répondu non, M.
Gendebien.
Discussion générale
M.
Gendebien. - Messieurs, je ne veux pas traiter les questions délicates
qui ont été soulevées hier, je veux seulement protester contre le ton de
légèreté et d’inconvenance du ministre de la justice, au sénat et dans cette
enceinte, à propos de la question infiniment délicate du duel. Je crois devoir
me borner à qualifier de légère l’inculpation déshonorante jetée par le
ministre de la justice à des hommes qui ne font que céder à un préjugé fatal
que je déplore tout le premier : mais aussi je sens le besoin de protester
hautement et publiquement contre la qualification de meurtrier qu’on a voulu
attacher à des hommes qui après tout ne font que donner une preuve de leur
grande sensibilité à l’honneur, alors que, pour obtenir la réparation d’un
affront, ils s’exposent à la mort, ne pouvant se résigner à vivre déshonorés.
Il y a eu autant
d’inconvenance que de légèreté de la part du ministre de la justice à annoncer
au sénat et à cette chambre qu’il allait faire décider par les tribunaux la
question douteuse de savoir si le duel doit être assimilé au meurtre, et à
déclarer en même temps que dans son opinion le duel devait être assimilé à l’assassinat
et au meurtre. Cette déclaration en sa qualité de ministre de la justice est de
la plus haute inconvenance, car c’est chercher à influencer la décision des
magistrats.
Un ministre de la
justice qui comprend ses devoirs ne se permet jamais pareille chose, par
respect pour lui-même autant que par respect pour l’indépendance judiciaire.
Je n’entrerai pas dans
le fond de la question, la matière est trop délicate. Tous les législateurs qui
ont voulu s’en occuper ont échoué dans leurs tentatives. Mais je dois dire que
je ne pense pas qu’on parvienne à prévenir le duel en le punissant de peines
trop sévères et en le flétrissant d’une qualification injurieuse que les hommes
qui ont le malheur de se soumettre au préjugé ne méritent certainement pas.
Le duel, vous le savez,
est un reste de la féodalité. Autrefois le combat en champ clos n’avait pas
seulement lieu pour réparation d’honneur ou pour la défense de sa dame ;
c’était le moyen auquel on avait recours pour terminer les questions les plus
simples, j’oserais presque dire pour résoudre des questions de mur mitoyen. On
se battait pour une question de propriété. L’éducation a déjà fait beaucoup,
puisque le duel, restreint aux questions d’honneur, est devenu plus rare.
Etendons le bienfait de l’éducation, continuons son action et faisons en sorte
que la religion et la philosophie s’unissent pour faire disparaître ce préjugé
fatal. Ce n’est pas en stigmatisant d’épithètes injurieuses ceux qui subissent
l’influence de ce terrible préjugé, ce n’est pas en provoquant les cours à
appliquer les peines dont le code criminel frappe les meurtriers à un acte qui
n’a aucun rapport avec le meurtre, que vous parviendrez à empêcher le duel ou
même à le rendre plus rare.
Je devais au pays, je me
devais à moi-même, cette protestation contre la légèreté et la haute
inconvenance de l’opinion émise par M. Ernst en sa qualité de ministre de la
justice.
« Messieurs, je ne viens
vous parler ni de politique intérieure ni de politique extérieure, en présence
d’un ministère qui tombe en pièces, d’un ministère qui ne peut ni vivre ni
mourir, et que personne ne soutient. Traiter de graves questions me paraît
chose peu opportune ; la partie ne serait pas égale, chaque jour vient nous
révéler quelque nouvelle imprudence de nos hommes d’Etat.
« Partout, on fait
des vœux pour voit arriver aux affaires des hommes entourés de la confiance du
pays ; s’ils se réalisaient, nous pourrions nous réunir pour dire aux chefs de
l’administration : Votre ligne politique n’est pas si difficile à tracer et à suivre
: au-dedans la constitution, toute la constitution, rien que la constitution ;
au-dehors, les 24 articles sans aucune concession. »
Messieurs, ce que je
viens de vous dire est un extrait textuel du discours que M. Ernst a prononcé
le 10 janvier 1834, alors qu’il était député, et qu’il siégeait presqu’à mes
côtés.
Voyons, messieurs, si M.
Ernst, ministre, est resté conséquent avec M. Ernst, député. Votre ligne de
conduite, a-t-il dit au ministère qu’il a remplacé, n’est pas difficile à
tracer el à suivre : au-dedans la constitution, toute la constitution, rien la
constitution. - Comment se fait-il que M. Ernst, ministre, n’ait pas suivi
cette ligne qu’il traçait étant député, et qu’il trouvait si facile à suivre !
Non seulement M. Ernst
n’a pas suivi cette ligne qu’il traçait au précédent ministère, mais il a été
beaucoup plus loin dans la voie dans laquelle il lui reprochait d’être entré.
Vous vous rappelez,
messieurs, ce fatal arrêté du 17 avril 1834, qui a expulsé 27 étrangers et
menacé d’expulsion tous les étrangers qui étaient dans le pays. Vous vous
rappelez aussi avec quelle conviction M. Ernst s’est élevé contre cet arrêté.
Il vous a démontré aussi clairement qu’il était possible de le faire que la
mesure était inconstitutionnelle, que c’était une violation flagrante de la
constitution. Eh bien, puisqu’il était si facile de suivre le système qu’il
indiquait au ministère précédent, puisqu’il était si facile d’exécuter la
constitution, pourquoi, à son arrivée au ministère, n’est-il pas rentré dans la
constitution ; pourquoi n’a-t-il pas fait disparaître cet arrêté qu’il a si
justement flétri et si énergiquement stigmatisé ?
Il y a plus, messieurs
M. Ernst, ministre, non seulement n’a pas détruit cet arrêté, mais, comme je
viens de le dire, il a été plus loin que son prédécesseur.
Le sieur Crammer, étranger, a été arrêté à Anvers. Il allait être
jeté à la frontière. Il proteste et assigne en référé le ministre Lebeau, à
l’effet de faire respecter sa liberté, conformément à l’art. 128 de la
constitution. Le juge d’Anvers lui donne gain de cause. Le ministère public
interjette appel devant la cour de Bruxelles ; la cour réforme le jugement,
mais l’arrêt n’est pas expédié, et sans attendre cette expédition, le procureur
du Roi d’Anvers, sous le ministère de M. Ernst, fait saisir et incarcérer le
sieur Crammer.
Ce dernier se pourvoit
de nouveau en référé et demande le maintien du jugement en référé qui avait
ordonné sa mise en liberté. Le procureur du Roi ne produit pas l’expédition de
l’arrêt de la cour d’appel. Vous savez qu’aussi longtemps que l’arrêt n’était
pas expédié en due forme, il laissait en son entier le jugement qui avait
ordonné la mise en liberté du sieur Crammer. Le juge
d’Anvers conséquent avec lui-même, indépendant sous le ministère de M. Ernst,
comme il l’avait été sous le ministère de M. Lebeau, ordonne que la première
décision soit exécutée et donne au guichetier de la maison d’arrêt d’Anvers
ordre de mettre en liberté le sieur Crammer ; il
requiert le procureur du Roi de maintenir force à la loi et de prêter main
forte pour l’exécution d’une ordonnance légalement prononcée et exécutoire au
nom du Roi.
Qu’arrive-t-il ? Le
procureur du Roi d’Anvers manque de respect à la loi, à la constitution et au magistrat
; il ne défère pas à l’ordonnance du juge, malgré l’exequatur au nom du Roi.
Non seulement il n’exécute pas l’ordonnance, non seulement il ne fait pas
mettre le sieur Crammer en liberté, mais il le fait
jeter à la frontière. Et M. Ernst est encore ministre, et M. Ernst ne proteste
pas contre un pareil acte d’arbitraire dont il est cependant responsable.
Remarquez que le procureur du Roi d’Anvers ne s’est appuyé que sur l’arrêté du
mois d’avril. M. Ernst fait exécuter l’arrêté du mois d’avril envers et contre
tout, et malgré la flétrissure dont il l’a frappé comme député, et malgré
l’ordonnance du juge.
Messieurs, veuillez-vous
rappeler ce que disait M. Ernst à la séance du 24 avril, répondant à M. Lebeau
alors ministre de la justice, au sujet du même jugement d’Anvers qu’il a permis
au procureur du Roi de mépriser.
« Vous avez entendu
sur quel ton M. le ministre de la justice a parlé du jugement d’un tribunal et
du président de ce tribunal, mais il est certains présidents de tribunaux qui
dans l’opinion publique sont plus haut placés que le ministre de la justice
lui-même. (Mouvement prolongé dans les tribunes.) »
Aujourd’hui, M. Ernst,
non seulement ne respecte pas la personne des magistrats d’Anvers, mais il ne
respecte pas même leurs ordonnances ; il ne respecte pas les ordonnances qu’ils
font au nom du Roi et dont ils demandent l’exécution au nom du Roi, ainsi que
c’est leur droit et leur devoir.
Je dirai donc
aujourd’hui à M. Ernst, à l’imitation de ce qu’il disait en 1834 à M. Lebeau :
Vous avez bien peu de respect pour les décisions de la justice, pour les juges
du tribunal d’Anvers ; mais il est des juges à Anvers qui, dans l’opinion de
M. Ernst a-t-il mieux
agi que ses prédécesseurs à l’égard des réfugiés ? Vous pouvez en juger par ce
que je viens dire, et de vous allez en juger par un fait tout aussi odieux.
Le sieur de Béthune
était au nombre des réfugiés frappés par l’arrêté du mois d’avril. Sa présence
à Bruxelles était indispensable pour une liquidation importante, dans laquelle
un honorable citoyen belge était sérieusement intéressé. On imagina, pour le
soustraire à l’ordre d’expulsion, de le faire incarcérer pour dette. Le
ministre de la justice, le sieur Lebeau, ayant deviné la ruse, donna ordre au
guichetier de retenir le sieur de Béthune si on venait à lever l’écrou pour
dettes.
M. Ernst arrive au
ministère. Croyant à la loyauté des déclarations qu’il avait faites et des
engagements qui avait pris comme député, on lève l’écrou pour dettes. M. de
Béthune est libre, il va rendre des actions de grâce à M. Ernst ; point ; il
est tout étonné d’apprendre du guichetier que le précédent ministre de la
justice a fait défense de relâcher M. de Béthune si l’écrou pour dettes était
levé, et qu’il a ordonné de le retenir jusqu’à disposition ultérieure. On se
présente au ministre de la justice ; je vais moi-même lui dénoncer cet acte
arbitraire, et M. le ministre de la justice laisse le sieur de Béthune en
prison sous le poids d’une véritable lettre de cachet.
Je dis alors au ministre
de la justice, et je le lui répète : Votre premier devoir est de veiller à la
liberté de tous ; et, quand on vous dénonce une violation de la liberté d’un
citoyen, votre devoir est d’ordonner au procureur du Roi de vérifier et de
faire mettre en liberté le citoyen retenu, si l’écrou n’est pas légalement
constitué..
Eh bien, M. Ernst ne fit
rien de cela, et ce n’est que plusieurs mois après que M de Béthune fut mis en
liberté. Encore ne le fit-on que pour donner le change à l’opinion publique ;
pour détourner d’un fait qui avait excité de graves mécontentements : la
nomination des gouverneurs, on relâcha M de Béthune. Si ma mémoire est fidèle,
c’est à l’époque de la nomination des gouverneurs que M. de Béthune a été mis
en liberté. Quoi qu’il en soit, il n’en est pas moins vrai que M. Ernst, dont
le premier devoir était de veiller à la sûreté des citoyens, a laissé le sieur
de Béthune pendant plus de deux mois en prison en vertu d’un écrou illégal,
sous le poids d’une véritable lettre de cachet.
Vous parlerai-je,
messieurs, d’autres actes de l’administration de M. Ernst, en vous rappelant
les paroles que ce même M. Ernst a adressées à plusieurs reprises aux ministres
qu’il combattait, et particulièrement à M. Lebeau, à qui il appliquait la
qualification d’homme usé ? « Vous êtes des hommes usés, disait-il aux
ministres le 24 avril dernier ; retirez-vous. Il est difficile de croire à la
bonne foi de celui qui faisait le libéral quand il était journaliste, et qui
fait le despote quand il est arrivé au pouvoir. » Voilà ce que disait M.
Ernst alors qu’il était député. Si j’avais poussé mes investigations plus loin,
j’aurais trouvé des reproches plus sanglants encore adressés par M. Ernst au
ministre auquel il a succédé. Eh bien, M. Ernst n’a pas hésité à engager sa
responsabilité en donnant un gouvernement à cet homme usé, à cet homme qui
était libéral quand il était journaliste, et qui se fit despote en arrivant au
pouvoir. Ainsi, c’est un despote que M. Ernst a envoyé sciemment pour gouverner
la province de Namur.
S’il faut en juger par
une autre nomination, celle de. M. C. Vilain XIIII, c’est de l’arbitraire,
c’est du pouvoir absolu que l’on veut ; car on a nommé un homme qui au mois
d’avril 1834 s’était fait l’apologiste de l’arbitraire et du pouvoir absolu. M.
Ernst a concouru à la nomination de M. C. Vilain XIIII ; après avoir dit qu’il
était effrayé de ses doctrines, qu’elles lui faisaient horreur, il l’a nommé
gouverneur de la province de Gand. Etait-ce parce qu’on croyait trouver en lui
un séide du pouvoir absolu qu’on le nommait, ou bien était-ce pour le
récompenser de sa hardiesse et de ses doctrines si profitables au pouvoir,
suivant l’opinion de quelques membres ?
Je dirai que le seul
fruit qu’on puisse tirer d’une semblable conduite, c’est la déconsidération du
gouvernement. En agissant ainsi vous convaincrez bientôt tout le monde que le
gouvernement représentatif n’est qu’un mensonge, et que tous les gouvernements
monarchiques se ressemblent. Je vous le dis, vous êtes dans la voie d’une
nouvelle révolution et cette voie vous y conduira plus rapidement que
l’arbitraire du gouvernement hollandais. Il a fallu 15 ans au roi Guillaume
pour arriver au fameux message du 11 décembre ; encore les adhérents au message
du 11 décembre ont-ils été rares en Belgique. Dans la crainte, sans doute,
qu’on ne se trompât sur la signification des nominations de MM. Lebeau et Ch.
Vilain XIIII, on s’est empressé de destituer MM. Hennequin et de Puydt, les
hommes les plus honorables et les plus patriotes de
Quel était leur crime ?
Quelles étaient leurs fautes ? Jusqu’ici personne n’a osé élever la voix contre
ces deux nobles citoyens. Je crois donc que ce qui a déterminé M. Ernst à cet
acte brutal, c’est le désir de suivre encore dans cette occasion et de dépasser
même les doctrines de M. Lebeau.
En effet, je vous
rappellerai la séance du 24 avril 1834. Le ministre de la justice d’alors,
pressé de justifier les expulsions et particulièrement celles de deux
étrangers, ne trouva rien autre chose à dire, si ce n’est qu’ils étaient
d’autant plus dangereux qu’ils étaient irréprochables. Ceci est textuellement
extrait du discours de M. Lebeau.
Cette maxime odieuse, subversive de toute bonne morale, subversive de
l’honneur, avait indigné M. Ernst alors député. Eh bien, M. Ernst, arrivé au
ministère, l’a mise en pratique, car je défie de me dire lui ou tout autre pour
quel motif il a destitué MM. Hennequin ou de Puydt, si ce n’est parce qu’il les
a trouvés d’autant plus dangereux qu’ils sont irréprochables. Enfin M. Ernst
vous a dernièrement donné une preuve de son respect pour la constitution. Vous
vous rappelez, messieurs, que dans une séance du mois de décembre dernier, où
il s’agissait d’un article de la loi communale qui certes n’avait aucune espèce
d’analogie avec la censure, le ministre de l’intérieur a lancé à l’improviste,
à la fin de cette séance, un amendement au moyen duquel il rétablissait la
censure des théâtres.
C’est avec la plus
grande peine, après les plus grands efforts qu’on est arrivé à atteindre la
séance du lendemain ; et alors, sans préliminaires, sans avoir laissé à la
chambre la faculté de pouvoir s’éclairer sur la portée de la proposition, on a
enlevé un vote d’assaut, je dirai plus, par surprise. M. Ernst s’est rendu
complice de ce guet-apens, de cet acte inconstitutionnel ; M. Ernst a donné les
mains à l’introduction de la censure en Belgique, alors que la constitution la
proscrit. Et plus tard, M. Ernst, pour se justifier, n’a rien trouvé de mieux à
dire que de traiter d’insensés et de malhonnêtes gens ceux qui n’approuvaient
pas cette coupable infraction. Car il a dit que tous les gens sensés, tous les
honnêtes gens y avaient donné leur adhésion ; tandis que toutes les villes, à
commencer par Bruxelles, protestent unanimement contre cette résolution
liberticide. Et voilà le député aujourd’hui ministre, qui disait au 10 janvier
1834 aux ministres qu’il remplace : « Votre ligne politique n’est pas si
difficile à suivre : au-dedans la constitution, toute la constitution, rien que
la constitution ; au-dehors les 24 articles sans aucune concession. »
Jugez
de ce que la nation a gagné en changeant de ministère, ce que lui ont valu les
belles maximes de M. Ernst et comme il les a mises en pratique ! Je le dis
hautement, le ministère est en progrès, mais c’est vers l’arbitraire et
l’absolutisme. Il abuse de la confiance qu’il a momentanément usurpée, grâce au
découragement, à l’apathie générale. Si on le laisse faire, il ira plus loin
encore. Je le dis hautement, le ministère précédent, quoi qu’il ait fait, n’a
pas osé procéder aussi ouvertement à la des destruction de la constitution que
ne l’a osé le ministère actuel. Il ne l’eût pas osé, parce que déjà et depuis
longtemps il avait encouru l’animadversion publique. Mais je vous le répète,
celui-ci ira plus loin. Je plains sincèrement le pays, je plains le
gouvernement, s’il est assez aveugle pour dormir en paix, lorsqu’il a de
semblables agents.
M.
Lebeau. (pour un fait personnel). - Messieurs,
je reconnais pleinement à tous les membres de la chambre le droit de passer en
revue les actes du précédent ministère au même titre que ceux du ministère
actuel. Mais l’honorable préopinant a mutilé, involontairement sans doute, les
paroles que j’ai prononcées dans cette enceinte à une autre époque, paroles que
je maintiens et que dans une circonstance pareille je n’hésiterais pas à tenir
aujourd’hui. L’honorable membre m’a fait dire que je professais cet axiome au
moins étrange, que plus un homme était irréprochable, plus il était dangereux.
J’ai lieu d’être surpris de cette interprétation de la part d’un adversaire qui
d’ordinaire combat avec des armes loyales,
J’ai dit qu’un homme
politique, qu’un fanatique de quelque opinion que ce fût, était d’autant plus
dangereux, plus apte à faire des prosélytes, que ses mœurs privées étaient plus
irréprochables. li est impossible que j’aie dit autre
chose.
M. Gendebien. - Comme il m’est impossible de
trouver en ce moment le texte que j’ai résumé de mémoire, je prie M. Lebeau de
le lire, s’il l’a en ses mains ; s’il ne le trouve pas, je ferai en sorte de me
le procurer, et je le lui lirai, séance tenante, tout entier s’il le désire.
M.
Lebeau. - Pour ma part j’y consens bien volontiers ; ce n’est que la
patience de la chambre que je désirerais voir ménager.
M. H. Dellafaille. -
Messieurs, j’ai appelé déjà l’attention de M. le ministre de la justice sur la
faculté abusive que s’attribuaient certains notaires de résider hors le lieu où
étaient établies leurs études. Je pourrais, si je ne voulais pas citer de
personnes, vous nommer un notaire qui, non seulement ne réside pas dans la
commune où est son notariat, mais qui encore exerce ailleurs d’autres
fonctions.
M. le ministre de la
justice d’alors, l’honorable M. Lebeau, avait voulu mettre un terme à cet abus.
Malheureusement il s’est contenté de faire une circulaire. Le parquet l’a
envoyée aux notaires. Grand a été l’effroi parmi ceux qui se trouvaient en
contravention. Mais au bout de quelques jours cette circulaire eut le sort des
vieux papiers, et le parquet a vu se commettre de nouvelles violations. J’ai
déjà parlé de cela à M. le ministre de la justice qui m’a promis de prendre à
cet égard les mesures les plus efficaces. Je crois essentiel, s’il veut que ces
abus ne se renouvellent pas, qu’il envoie aux parquets un ordre de poursuivre
tout notaire qui, dans un temps donné, n’aura pas fixé son domicile dans le
lieu où se tient son étude.
Je dois encore appeler
son attention sur un autre point, question délicate et pénible à laquelle il me
répugne de toucher. Il s’agit du droit de grâce. Depuis quelque temps, il
paraît du moins en fait que le gouvernement abolit la peine de mort.
Je suis bien loin de
désirer qu’une semblable peine soit fréquemment appliquée, mais son abolition,
messieurs, est une question grave qui a besoin d’être mûrement débattue. Je
conçois que M. le ministre de la justice accorde des grâces, mais je voudrais
que tous les cas fussent graciables. Je vais en rapporter un et qui est relatif
à un homme, le plus odieux scélérat qui ait été vu depuis longtemps : ce
misérable a obtenu grâce de la vie ; sa peine a été commuée en celle des
travaux forcés à perpétuité.. Cette commutation a jeté
l’effroi dans tout le canton parce que l’on ne croit plus à la perpétuité des
peines. Des témoins oculaires ont dit que l’impudence de ce scélérat avait été
telle, qu’il disait des injures à la multitude. On a vu jusqu’à sa malheureuse
victime déposer son aumône dans le chapeau du criminel, personne, par effroi,
n’eût osé faire autrement. Il a eu l’impudence de dire à un témoin qu’il lui
pardonnait, à un autre que, lors de sa
mise en liberté (et remarquez qu’il est condamné à perpétuité), il saurait le
récompenser. A tout moment des grâces sont accordées dans les prisons. Il me
semble pourtant qu’un voleur en prison est bien à sa place. Que suit-il de
cette philanthropie mal entendue ? les condamnés ne
croient plus à la durée de leur peine. On a demandé dans cette enceinte quel
pouvait être le stimulant qui semblait donner naissance à plus de crimes
qu’antérieurement ; car le ministre a avoué qu’effectivement le nombre des
crimes et délits s’accroissait. On a voulu donner pour motif la loi des
distilleries. Je prie M. le ministre de la justice d’examiner si les grâces,
fréquemment accordées, ne contribuent pas davantage à cet accroissement. Il
existe, dit-on, dans une province une bande de malfaiteurs, composée tout
entière de coupables graciés. Je sais qu’il est impossible à la loi de prévoir
tous les cas. Les mêmes crimes se commettent de manières différentes. On ne
peut comparer un coup malheureux frappé dans un moment de violence, ou
d’ivresse, avec le coup habilement porté par une main habituée au meurtre ; en
matière de vol, le vol commis par la faim avec celui commis par un voleur de
profession. Ces différences ne peuvent entrer dans la loi, mais voilà les cas
où on peut exercer le droit de grâce.
Il
y a encore une circonstance où il peut-être convenablement employé, c’est
lorsqu’il y a des preuves incontestables de l’amendement du condamné. Alors il
est permis, sur de bonnes garanties, de le rendre é la société. Ces cas
d’amendement sont malheureusement bien rares. Car, sur beaucoup de condamnés
qui reviennent de prison. il n’en est peut-être pas un
à ma connaissance qui n’y soit rentré. Nous engageons M. le ministre de la
justice à bien peser ces observations. Nous savons qu’il veut le bien et je
crois qu’il a de grandes améliorations à introduire. Il a été parlé hier par
l’honorable M. de Robaulx, des jeux de hasard qui se seraient introduits dans
les communes du Hainaut ; je ne crois pas qu’il s’en soit glissé dans ma
province, mais ce que je vois partout, c’est le colportage des loteries
étrangères. Le gouvernement provisoire a supprimé la loterie en Belgique, c’est
un de ses arrêtés les plus moraux. Pourquoi permettrait-on aux loteries de
l’Allemagne de s’introduire parmi nous ? Je prie donc M. le ministre de la
justice de faire en sorte que ceux qui se permettent de colporter en Belgique
des loteries étrangères, soient rigoureusement poursuivis.
M.
Gendebien. - Messieurs, lorsque j’ai dit que je ne voyais d’autres
motifs dans la destitution de MM. Hennequin et de Puydt que la mise en pratique
de la maxime de M. Lebeau, qui avait dit en d’autres circonstances que plus
certains hommes étaient irréprochables, plus ils étaient dangereux, je crois
avoir été dans la vérité. Lisons le texte et nous verrons que si M. Lebeau
prétend avoir raison dans son système, j’ai également le droit de prétendre que
j’ai raison dans le mien. Vous verrez par la lecture qui va suivre qui consacre
pleinement l’épouvantable maxime dont je viens de parler plus haut. Voici le Moniteur du 28 avril dernier.
« Je suis prêt à
souscrire à l’éloge qu’on a fait ici de la moralité privée d’un de ces
étrangers. Mais, parce que tel étranger est irréprochable dans sa moralité
privée, est-ce à dire qu’on doive blâmer la sollicitude d’un gouvernement, dont
la première mission est de préserver de tout danger le principe de notre
société politique, de veiller à ce que des germes de troubles ne soient point
même involontairement déposés sur notre sol, et d’empêcher la propagation, par
l’étranger, de telles ou telles doctrines ? Il est des hommes dont le fanatisme
politique est d’autant plus dangereux qu’ils se montrent plus convaincants dans
l’expression de leurs opinions. Il est tels étrangers, tarés, flétris, qui, par
cela même, sont beaucoup moins dangereux que tel autre, fauteur ardent et
consciencieux de propagande démocratique, dont la vie privée est irréprochable
et qui, précisément à cause de cela, fera plus facilement des prosélytes.
Qu’est-ce ensuite si cet homme joint à des convictions chaleureuses un
caractère ardent, un tel dévouement à ses opinions politiques, qu’il ait au
besoin les traduire en coups de fusil ! »
Voilà la phrase tout entière, et je demande si
on peut les interpréter autrement que je ne l’ai fait, et s’il existe la
moindre différence entre le système qu’avançait alors M. Lebeau et celui qui a
dicté les destitutions de MM. Hennequin et de Puydt ? M. Lebeau a eu raison de
demander qu’on lût l’article tout entier ; mais moi je n’ai pas eu tort dans la
citation que j’ai faite et j’avais raison de la résumer, ainsi que je l’ai
fait, pour l’appliquer à la destitution des honorables ex-gouverneurs MM. Hennequin
et de Puydt.
M.
Lebeau. - Je remercie l’honorable préopinant d’avoir loyalement
reproduit le texte entier de mes paroles et sans m’étendre plus longuement sur les
interprétations qu’on pourrait leur donner, il me suffit de laisser la chambre
juge de les apprécier.
M. de Brouckere. - Je me permettrai aussi de
présenter à la chambre quelques observations qui concernent le ministère de la
justice. Un honorable orateur a soulevé dans la séance d’hier une question que
l’on ne peut aborder sans une extrême circonspection. Il s’agissait une
législation nouvelle sur le duel. L’honorable M. de Robaulx a engagé le
ministre de la justice à présenter un projet de loi sur cette matière. Car, lui
a-t-il dit, de deux choses l’une, ou le code pénal est applicable au duel, et
c’est une mauvaise loi, ou il n’est pas applicable, et alors nous n’avons pas
de loi sur une matière où il y a urgence qu’il en existe une. Le ministre a
répondu que dans son opinion la loi pénale, en ce qui concerne le meurtre, les
blessures, est applicable au duel, il a répondu qu’il ferait ce qu’il
dépendrait de lui pour faire décider le cas par la cour de cassation. Je respecte
l’opinion de M. Ernst qui est partagée par plusieurs jurisconsultes
recommandables, mais je déclare que, quant à moi, je n’ai pas le moindre doute
que la loi pénale n’est pas applicable au duel.
Je ne conçois pas qu’un
homme qui a porté une blessure à son adversaire, par contrat synallagmatique
pour ainsi dire, contrat immoral si vous voulez ; qui lui a, dis-je, porté
cette blessure loyalement, en exposant sa vie, puisse être comparé à l’homme
qui porte un coup dans l’ombre et par trahison. Je ne conçois pas que l’on
compare à un assassin qui donne la mort à celui qui a cherché à la lui donner.
Ces choses peuvent ne pas paraître naturelles à certaines personnes, mais, pour
moi elles sont évidentes. Au surplus les cours décideront. Que le ministre médite
sur la matière, qu’il présente un bon projet de loi si c’est possible, mais je
crois de la dernière difficulté de faire une loi efficace sur cette matière. Si
la loi que l’on fera est trop rigoureuse, le jury ne l’appliquera pas ; si elle
est légère, elle n’empêchera pas le duel. On fera quelques lieues et on ira se
battre à la frontière. Cela se pratiquait ainsi sous le gouvernement
néerlandais alors qu’on poursuivait sévèrement les duellistes. Quant à ce qui a
été dit sur la fréquence des duels, c’est vrai, ils sont plus nombreux
qu’auparavant ; mais, dans mon avis, il faut moins attribuer cette augmentation
à l’absence d’une loi qu’aux événements dont on est témoin depuis quatre ans,
qu’à la révolution qui a changé tant de positions, abaissé les uns, élevé les
autres. Voilà, à mon sens, la cause de cet accroissement dans le nombre des
duels. A l’avenir il y a lieu d’espérer qu’ils diminueront. Je bornerai là mes
observations touchant cette question.
Je vais maintenant en
aborder une autre qui, selon moi, a aussi une grande importance et sur laquelle
il faut qu’on ait une opinion arrêtée. Vous avez vu depuis la loi du 4 août
1832 sur l’ordre judiciaire, vous avez vu siéger des magistrats entre lesquels
il existait des cas d’incompatibilité à cause de lien de parenté. Dernièrement
encore il est venu siéger à la cour de cassation un magistrat qui avait pour
beau-frère un membre de cette même cour. Je cite ce fait parce que les journaux
s’en sont occupés. Dans mon opinion, le gouvernement ne peut donner des dispenses
pour de pareilles incompatibilités, et cependant je sais que sous le ministère
précédent cela a eu lieu ; je ne sais si le ministère actuel a déjà suivi cet
exemple. Je dis donc qui sous le précédent ministère on a différentes fois
violé, selon moi, la loi d’organisation judiciaire en ce point.
D’abord vous saurez que
la parenté à un certain degré, si elle n’a pas toujours été un empêchement à ce
que les personnes liées par cette parenté siégeassent dans la même cour ou dans
le même tribunal, a toujours été regardée cousine un grand inconvénient. La
meilleure preuve que j’en puisse donner, c’est que, sous l’ancienne
jurisprudence, lorsque deux proches parents appartenant au même tribunal
avaient la même opinion, les deux opinions n’étaient comptées que pour une
seule. Je dirai même qu’un arrêt de la cour de cassation de France rendu en
1814 prouve que cet état de choses existait encore à cette époque et qu’alors
deux proches parents siégeant dans le même tribunal ou dans la même cour en
vertu de la dispense de l’empereur, lorsqu’ils avaient la même opinion sur une
affaire, les deux opinions comptaient pour une seule.
La législation de 90, la
loi du 11 septembre 1790 sur l’organisation judiciaire porte : « Les
parents et alliés jusqu’au degré de cousin issu de germain inclusivement ne
pourront être élus ni rester juges ensemble dans le même tribunal. »
La constitution du 3
fructidor an III dit que « les ascendants et descendants en ligne directe,
les frères, les oncles ou neveux, les cousins au premier degré et les alliés au
même degré, ne peuvent simultanément être membres du même tribunal. »
La loi du 25 ventôse an
VIII réorganisant les tribunaux maintient cet état de choses.
Enfin survient la loi du
28 avril 1810 ; voici comment est conçu l’article 63 de cette loi : « Les
parents ou alliés jusqu’au degré d’oncle et de neveu inclusivement, ne peuvent
simultanément être membres du même tribunal ou de la même cour, soit comme
juges, soit comme officiers du ministère public, soit comme greffiers, sans une
dispense de l’empereur. »
Sous le gouvernement
hollandais, on avait encore augmenté les attributions conférées au chef de
l’Etat relativement aux dispenses qu’il pouvait accorder. L’art. 68 de la
constitution du royaume des Pays-Bas porte : « Outre le droit de dispenser
dans les cas déterminés par la loi même, le roi, lorsqu’il y a urgence, et que
les états généraux ne sont pas assemblés, accorde des dispenses à des
particuliers dans leur intérêt privé et sur leur demande, après avoir entendu
dans le conseil d’Etat. Ces dispenses ne sont accordées en matière de justice
qu’après avoir pris l’avis de la haute cour, et, dans les autres matières,
celui des départements d’administration qu’elles concernent. - Le roi donne
connaissance aux états généraux, de toutes les dispenses qu’il a accordées dans
l’intervalle d’une session à l’autre. »
Ainsi la plus grande
latitude était laissée au roi des Pays-Bas. Cet article
Il résultait de cette
disposition telle que je la comprenais alors, telle que je la comprends encore
aujourd’hui, que toute espèce de droit d’accorder des dispenses pour
incompatibilités était enlevé au chef de l’Etat ; seulement la loi elle-même
assurait la position de ceux qui avalent obtenu des dispenses ; en un mot, elle
maintenait les dispenses accordées.
Un honorable membre de
la chambre et moi fîmes quelques observations à cet égard. Je représentai qu’il
pouvait se trouver des cas tels que des membres de l’ordre judiciaire n’eussent
pas obtenu de dispenses antérieurement et fussent cependant dans une position à
y avoir droit. J’engageai M. le ministre de la justice à rédiger l’article
d’une manière un peu plus large. Une discussion s’éleva, et la séance se
termina sans qu’il y eût rien de décidé. Le lendemain M. le ministre de la
justice faisant droit à mon observation présenta la rédaction suivante :
« Les membres actuels des tribunaux de première instance, des justices de
paix, des parquets et des greffes qui ne réunissent pas les conditions voulues
par la loi ou entre lesquels il y a des incompatibilités quelconques, pourront,
s’il y a lieu, obtenir des dispenses du roi. »
Vous voyez qu’il
résultait de cette nouvelle rédaction, non pas comme de la précédente, que la
loi maintenait seulement les dispenses accordées ; mais que le roi aurait le
pouvoir de continuer les dispenses obtenues antérieurement, et de plus le droit
d’accorder, s’il était nécessaire, de nouvelles dispenses aux membres de
l’ordre judiciaire de cette époque.
Mais vainement chercheriez-vous dans la loi de 1832 une disposition qui
accordât au roi le droit d’accorder des dispenses à d’autres personnes qu’aux
membres de l’ordre judiciaire de cette époque, aux membres auxquels il était
nécessaire d’en accorder au moment de l’organisation judiciaire.
Cependant, comme je l’ai
tout à l’heure fait connaître à la chambre, le ministère a plusieurs fois
accordé des dispenses ; je dis « le ministère, », et vous savez
pourquoi ; je dirai, si vous voulez, « le gouvernement sous le précédent ministère »
a accordé des dispenses pour de véritables incompatibilités ; bien plus,
messieurs, il a nommé au même siège deux magistrats entre lesquels il y avait
incompatibilité en raison de la parenté, et il s’est abstenu de donner une
dispense. Vous pouvez vous convaincre de l’exactitude de ce fait en prenant
connaissance de l’arrêté inséré au Bulletin
officiel. Je demande à cet égard une explication de la part d’un membre du
cabinet précédent ou du cabinet actuel.
M.
le ministre de la justice (M. Ernst). - Je donnerai cette explication.
M. de Brouckere. - Puisque M. le ministre
annonce qu’il donnera à cet égard une explication, je bornerai là mes
observations sur ce point, me réservant de répliquer ensuite.
Ce que je viens de dire
concerne plus spécialement l’ancien cabinet. Maintenant j’ai un mot à adresser
au ministre de la justice actuel, en ce qui concerne sa conduite relativement à
la loi sur l’augmentation du personnel des cours.
Vous savez, messieurs,
que les cours d’appel de Bruxelles et de Gand avaient, à différentes reprises
et vivement, sollicité une augmentation de leur personnel, La cour de Bruxelles
disait que pour qu’elle pût se mettre et se maintenir au courant des affaires
qui lui sont soumises, il fallait une augmentation au moins de 6 conseillers ;
la cour de Gand réclamait une augmentation de 3 conseillers. M. le ministre de
la justice Lebeau, qui avait pris à cet égard toutes les informations, s’était
entouré de tous les renseignements possibles, partageait entièrement l’opinion
de ces cours, et avait présenté un projet de loi en conséquence. Ayant reçu ou
donné sa démission, au moment de la discussion de ce projet il avait du moins
pris le soin, avant de se retirer, de faire nommer 2 commissaires chargés de
défendre son projet. Ces 2 commissaires, malgré tous leurs efforts, échouèrent
ici. L’on n’accorda que 3 conseillers à la cour d’appel de Bruxelles, et aucun
à la cour d’appel de Gand.
Entre-temps, M. Ernst
fut nommé ministre de la justice ; et il dut par conséquent se rendre au sénat
pour exprimer son opinion sur le projet de loi qui, devant cette chambre, avait
été soutenu par des commissaires du Roi. Vous pensez sans doute, messieurs, que
M. le ministre de la justice, chef du corps judiciaire, alla au sénat soutenir
l’opinion de deux compagnies, des plus importantes dans cet ordre. Il n’en est
rien. M. Ernst, arrivé depuis huit jours aux affaires, commence par donner un
démenti à deux corps des plus importants de la magistrature à la tête de
laquelle il se trouve. Il se rend au sénat, et applaudit devant cette assemblée
à la résolution prise par cette chambre ; il dit que c’est à tort que la cour
de Bruxelles, à l’unanimité, demande
une augmentation de personnel de six conseillers, que c’est à tort que la cour
de Gand, à l’unanimité, réclame une augmentation de trois conseillers
; il dit que c’est assez de trois conseillers de plus pour la cour de
Bruxelles, et qu’il n’en faut aucun pour la cour de Gand. Le sénat voyant que
le gouvernement se rallie au projet adopté par la majorité de cette chambre,
n’hésite pas à ratifier votre décision. Il en résulte que les corps
judiciaires, dont je viens de parler, se trouvent par leur nombre dans
l’impossibilité de maintenir les affaires au courant ; et ce qu’il y a de pis,
c’est qu’ils n’ont aucun espoir, tant que M. Ernst sera aux affaires, de voir
porter les conseillers à un nombre tel qu’ils puissent dignement remplir leur
mandat.
Je regrette
véritablement que M. Ernst ait ainsi cru devoir renier ce qu’avait fait son
prédécesseur, ce qu’il avait fait de mieux, je ne crains pas de le dire,
pendant toute la durée de son ministère. Je ne prétends pas dire que M. le
ministre de la justice devait s’élever contre ce qu’avait fait la chambre des
représentants. Mais il aurait dû avoir assez d’égard envers deux corps
judiciaires aussi importants que les cours d’appel de Bruxelles et de Gand pour
ne pas leur donner une espèce de démenti et venir affirmer au sénat que leurs
réclamations étaient sans fondement. Du reste, j’ajouterai à cela que l’arriéré
des affaires dans ces deux cours augmente continuellement, et qu’elles
persistent dans l’opinion que leur personnel est insuffisant.
Maintenant, je dois
répondre à un honorable orateur qui a parlé avant moi, à l’honorable M. H.
Dellafaille. Il a attaqué le gouvernement à cause de son trop de douceur ; il
s’est plaint de ce qu’il ne traitait pas assez sévèrement les condamnés, de ce
qu’il ne laissait pas exécuter les arrêts de mort, enfin de ce qu’il était trop
prodigue de grâces. Je viens m’établir le défenseur du gouvernement ; et je
déclare que je suis heureux de pouvoir le faire. On n’a laissé exécuter aucun
arrêt de mort depuis la révolution, cela est vrai ; et je maintiens que l’on a
très bien fait. J’ai expliqué mou opinion à cet égard, et je déclare que le
jour où l’on exécutera un arrêt de mort, je renouvellerai la proposition
d’abolir formellement la peine de mort.
Un odieux scélérat, dit
l’honorable M. Dellafaille, est condamné à mort, et l’on a réduit sa peine à
celle des travaux forcés à perpétuité, laquelle peine devait être précédée de
l’exposition et du carcan ; il ajoute que cette mesure a jeté la terreur dans
tout son pays. Il faut convenir que le pays de l’honorable M. Dellafaille s’effraie
bien facilement (hilarité), puisqu’il
craint un homme condamné ans travaux forcés à perpétuité. Quel mal M.
Dellafaille veut-il que fasse un scélérat, si odieux qu’il soit, quand il est
enfermé pour sa vie entière ? Il n’est pas plus à craindre, quand il est sous
les verrous, que si vous lui donniez le coup de la mort.
En vérité je suis étonné
d’entendre défendre ici une telle opinion, d’entendre regretter qu’un homme
soit seulement en prison et qu’on n’ait pas trouvé à propos de lui couper la
tête.
M. Dellafaille ne se
plaint pas seulement de ce que l’on n’exécute pas les condamnés à mort ; il
prétend que le gouvernement est prodigue de grâces. ; il
dit que c’est parce qu’on accorde trop souvent la grâce des condamnés que le
nombre des crimes augmente. Voyons si M. Dellafaille a raison, si en effet l’on
accorde trop de grâces. Et que dira cet honorable membre si je lui prouve qu’à
aucune époque depuis 10 ans il n’a été accordé moins de grâces qu’à présent ?
Comme la section
centrale avait fait quelques observations à cet égard, je me suis procuré un
travail dont je vais donner connaissance à la chambre, et vous verrez combien
peu sont fondées les observations de M. Dellafaille et l’opinion de ceux qui
pensent comme lui.
Messieurs, le travail
que je vais communiquer à la chambre ne concerne pas
(Note du webmaster : Le moniteur donne ensuite le tableau suivant :)
(Successivement :
Années. (a) Nombre de grâces accordées ; (b) Remises
de peines : (b1) de 6 mois et moins ; (b2) de 6 mois à 1 an ; (b3) de plus d’un
an : (c) Travaux forcés à perpétuité commués en travaux forcés ou réclusions à
temps)
1823 (a) 22 ; (b1) 80 ; (b2) 53 ; (b3) 18 ; (c) 33.
1824 (a) 29 ; (b1) 151 ; (b2) 49 ; (b3) 15 ; (c) 7.
1825 (a) 100 ; (b1) 428 ; (b2) 103 ; (b3) 35 ; (c) 12.
1826 (a) 3 ;
(b1) 0 ; (b2) 3 ; (b3) ; 7 (c) 7.
1827 (a) 20 ; (b1) 40 ; (b2) 33 ; (b3) 31 ; (c) 5.
1828 (a) 31 ; (b1) 45 ; (b2) 37 ; (b3) 22 ; (c) 6.
1829 (a) 13 ; (b1) 29 ; (b2) 59 ; (b3) 31 ; (c) 10.
1830 (a) 10 ; (b1) 34 ; (b2) 37 ; (b3) 20 ; (c) 10.
1831 (a) 32 ;
(b1) 82 ; (b2) 47 ; (b3) 49 ; (c) 74 (J’expliquerai ce chiffre).
1832 (a) 25 ; (b1) 54 ; (b2) 27 ; (b3) 7 ; (c) 10
1833 (a) 12 ; (b1) 37 ; (b2) 46 ; (b3) 14 ; (c) 0.
Ce dernier chiffre de
zéro pour les travaux forcés commués en travaux forcés à temps est bien fait
pour tranquilliser l’honorable M. H.
Dellafaille.
Maintenant récapitulons
(successivement : (a) de 1823 à 1833 ; (b) moyenne des 10 années ; (c) en 1833.
Grâces entières : (a)
297 ; (b) 29 ; (c) 12.
Remises de peines de six
mois et moins : (a) 980 ; (b) 98 ; (c) 57.
Remises de peines de six
mois à un an : (a) 496 ; (b) 49 ; (c) 46.
Remises de peines de
plus d’un an : (a) 249 ; (b) 25 ; (c) 14.
Travaux forcés à
perpétuité commués en travaux forcés ou réclusion à temps : (a) 172 ; (b) 17 ;
(c) 0.
Vous voyez donc,
messieurs, que c’est une erreur, et une erreur grave que de prétendre que l’on
fait abus du droit de grâce. Je serais fâché que M. le ministre de la justice
faisant droit à une observation qui n’a aucune espèce de fondement, allât
diminuer le nombre des grâces.
Vous savez que notre
code pénal est excessivement sévère et que les peines qu’il commine ne sont pas
en proportion avec les crimes et délits auxquels elles s’appliquent ; c’est au
pouvoir royal à mitiger ce qu’il y a de trop sévère dans notre code pénal.
Laissons donc à la couronne le beau droit de faire grâce, droit dont jamais
elle n’a fait abus.
Le travail dont j’ai
donné connaissance à la chambre ne s’applique, je le répète, qu’à la prison de
Vilvorde. Mais je pense qu’il en est de même dans toutes les prisons du
royaume.
J’ai
promis de m’expliquer sur un chiffre. En 1831, la peine de 74 individus,
condamnés aux travaux forcés à perpétuité, a été réduite en celle des travaux
forcés à temps ; voici à quelle occasion Le roi venait d’être inauguré en
Belgique ; un travail fut demandé par le gouvernement à toutes les commissions
administratives des prisons ; on les engageait à faire des propositions de
réductions de peines, et de remise entière de la peine pour ceux qui s’en
étaient rendus dignes par leur conduite ; on ajoutait qu’il fallait une demande
spéciale, non une demande comme celles que font tous les 4 mois les commissions
administratives. Le conseil d’administration de la prison de Vilvorde délibéra,
et crut que ce qu’il pouvait faire de mieux, et c’est aussi mon opinion, était
de fixer à un temps quelconque la peine de tous les individus condamnés aux
travaux forcés à perpétuité, afin de donner à ces malheureux quelque espoir de
sortir de prison. On examina le crime pour lequel ils avaient été condamnés,
leur conduite dans la prison, le temps d’emprisonnement qu’ils avaient subi,
leur âge. D’après cela on proposa de réduire la peine à 25, 20, 15, 10 et enfin
5 années de prison ; ainsi l’on fit entrevoir à toua les détenus la possibilité
de sortir de prison, si leur conduite était excellente. Eh bien, je déclare que
quant à moi, toutes les fois qu’il y aura l’occasion de prendre de semblables
mesures, j’y donnerai mon vote.
M.
le ministre de la justice (M. Ernst). - Messieurs, trois orateurs ont
parlé dans cette discussion ; parmi eux, l’honorable député de Mons a commencé
par m’accuser de légèreté et d’inconstance relativement à la manière dont
j’avais parlé du duel. Si on reproduisait fidèlement les paroles que j’ai
prononcées, soit dans cette enceinte, soit au sénat, je n’aurais rien à
répondre aux observations faites par l’honorable orateur. Je déclare ne
désavouer aucune des paroles que j’ai dites alors et qui ont été recueillies.
J’ai énoncé mon opinion sur l’applicabilité de la loi existante ; et j’étais
forcé de l’énoncer. On me demandait au sénat quelles étaient les mesures que je
me proposais de prendre contre les duellistes ; j’ai dû répondre que selon moi
la législation était applicable. Du reste je laisse à la chambre à juger si les
termes dans lesquels je me suis exprimé ont quelque chose d’inconvenant. J’en
appelle au Moniteur à cet égard.
Le même orateur,
messieurs, qui vous a longuement entretenus de divers objets, m’a attaqué avec beaucoup
d’amertume. Toutefois, au milieu de tous les reproches qu’il m’a adressés, il y
a une chose qui en compense beaucoup d’autres : il a supposé que le ministère
jouit de quelque confiance et dans cette chambre et hors de cette chambre ;
mais nous aurions, selon lui, usurpé cette confiance en violant la
constitution. Messieurs, si nous sommes assez heureux pour avoir obtenu la
confiance de la législature, c’est en respectant ses résolutions, c’est en
respectant nos devoirs. Je ne reviendrai pas à ce sujet sur des explications
que j’ai déjà eu l’occasion de donner ; et je m’en réfère au jugement de ceux
qui, dans cette circonstance, ont pu apprécier ma bonne foi.
De prétendues
destitutions de gouverneurs ont aussi été le texte de reproches qu’on nous a adressés
: nous n’avons destitué personne ; le gouvernement a usé de son droit en
appelant à la retraite deux gouverneurs qu’il estimait ; et il leur a donné des
marques honorables de cette estime.
Quant aux fonctionnaires
que le gouvernement a appelés à la tête de diverses provinces, je crois qu’il
n’a qu’à se féliciter du choix qu’il a fait et des mesures qu’il a prises.
J’ai été l’objet, de la
part du même orateur, d’une accusation fort singulière. Je me suis rendu
coupable d’une grande inconstitutionnalité à l’occasion de la délibération sur
la loi communale ; « je me suis rendu complice de la chambre, » s’est-il
écrié. La chambre n’a pas besoin que je la défende ; voilà tout ce que j’ai à
répondre à l’honorable M Gendebien.
L’honorable M.
Dellafaille, dans les observations qu’il vous a soumises, a reconnu, et je l’en
remercie, que j’avais l’intention de faire le bien : il a raison, je ferai tout
ce qui dépendra de moi pour ne prendre que des mesures utiles à mon pays. Il a
appelé l’attention du gouvernement sur la nécessité de faire résider les
notaires dans les lieux qui leur sont désignés ; je satisferai au désir qu’il a
manifesté autant que je le pourrai.
Le même orateur et celui
qui lui a succédé vous ont entretenus de l’usage d’une prérogative importante,
du droit de grâce. Cette prérogative est l’une des plus belles de la royauté.
Je me bornerai à déclarer ici que le gouvernement saura prendre en
considération les réflexions qui ont été faites devant l’assemblée. J’ajouterai
seulement que l’on se tromperait, si l’on croyait que le gouvernement regarde
comme abolie la peine de mort.
Les considérations que
l’honorable M. Dellafaille a développés sur les
loteries étrangères sont de la plus grande utilité. Je voudrais, messieurs, que
la presse secondât les intentions du gouvernement pour empêcher que l’étranger
ne vienne, chez nous, abuser la crédulité du peuple ; je voudrais qu’on
n’insérât pas dans les journaux les annonces de ces loteries étrangères. Du
reste, je m’engage à prendre tous les moyens qui seront à ma disposition pour
apporter un remède à ce mal.
L’honorable M. de
Brouckere vous a parlé aussi du duel, et il a fini par une observation que
j’avais déjà faite hier ; c’est que le moment n’est pas venu de discuter à fond
cette matière. Il a été jusqu’à dire qu’il serait impossible de faire une loi
efficace sur le duel. Je me bornerai à vous soumettre une seule observation. En
France, le ministre de la justice, consulté sur le point de savoir si la loi de
1791 (dont les dispositions étaient les mêmes que celles du code de 1810) était
applicable aux duellistes, répondit que dans son opinion, cela ne faisait pas
la moindre difficulté.
Une autre question que
M. de Brouckere a traitée est relative aux dispositions de la loi du 4 août
1822 en matière de dispense. Quoique le gouvernement, depuis mon entrée au
ministère, n’ait pris aucune mesure analogue à celles que cet honorable membre
a critiquées, je crois devoir déclarer que, d’après mon opinion, mon
prédécesseur a agi légalement.
Je tâcherai de justifier
la nomination faite sous l’ancien ministère, d’un avocat général à la cour de
cassation dont le beau-frère y siégeait parmi les conseillers. Je prierai la
chambre de m’excuser si, dans la discussion de cette question, à laquelle je
n’étais pas préparé, je n’entre pas dans tous les développements dans lesquels
j’aurais pu entrer si j’avais étudié la matière.
Lorsqu’on proposa à la
chambre la loi de 1832, sur l’organisation judiciaire, plusieurs systèmes
furent successivement conçus. Premièrement on pensa à organiser la justice
d’une manière complète sous tous les rapports, et de façon à abroger toute la
législation ancienne ; on ne s’est pas
arrêté longtemps à ce dessein dont on a senti la difficulté ; et c’est dans un
autre esprit que la loi de
On a voulu faire une
législation complète en ce qui concerne la cour de cassation ; cela est
tellement vrai que, dans la loi de 1832, qui comprend soixante et quelques
articles, il y en a la moitié de consacrés à l’organisation de la cour régulatrice.
Pour ce qui regarde les cours d’appel et les tribunaux, on a voulu mettre
uniquement leur organisation en rapport avec la constitution.
La loi de 1832 présente
une législation entière sur la cour de cassation : on ne s’y réfère à aucune
loi antérieure que dans les cas spécifiés. C’est ainsi que l’article 58 se
réfère provisoirement à l’arrêté du 15 mars 1815, pour ce qui concerne la
procédure.
La cour de cassation a
plus d’une fois eu l’occasion de montrer que telle était la manière dont elle
comprenait le sens de la loi. Les dispositions de la loi du 20 avril 1810, qui
déterminent les incompatibilités, n’ont aucun rapport aux magistrats qui
appartiennent à la cour de cassation, elles ne sont relatives qu’aux tribunaux
de première instance et aux cours d’appel. Ces incompatibilités sont
maintenues, mais dans les mêmes termes dans lesquels elles sont prononcées,
c’est-à-dire avec le droit, de la part du prince, de donner des dispenses,
C’est dans ce sens, messieurs, qu’il faut entendre l’article 55 de la loi de
1832.
La chambre peut trouver
singulier un si long débat sur ce sujet, mais il fallait répondre.
M.
Gendebien. - Il n’y a rien de singulier là-dedans !
M.
le ministre de la justice (M. Ernst). - Quel a été le but de la
législature en sanctionnant cet article ? n’a-t-elle
voulu permette les dispenses que pour la première organisation ? C’est ainsi
que mon honorable contradicteur l’entend ; mais pour prouver le contraire, il
suffira de rappeler le texte de cet article et le rapport de la section
centrale relativement à cet objet. J’ai sous les yeux cette partie du rapport
qui se trouve dans
« Le droit de
dispenses accorde au Roi est borné à des cas très rares, il eût été trop
rigoureux de prononcer une exclusion absolue contre des hommes actuellement
attachés à la magistrature. Sa Majesté appréciera leurs titres. »
Il résulte évidemment du
texte et de l’esprit de l’article 55 qu’outre le droit de dispenses en vertu
des lois antérieures, on a conféré au Roi un droit spécial à exercer, lors des
premières nominations.
Au moment où l’on
organisait la magistrature, il pouvait être nécessaire de donner des dispenses
dans des cas où les lois antérieures ne permettaient pas de les donner, et pour
la première organisation on a voulu conférer ce pouvoir au prince. Dans les
autres cas, la loi de 1810 est maintenue.
Sous la loi fondamentale
et en vertu de l’article 68, le roi avait en général le droit de donner des
dispenses. Cette prérogative est abolie par la constitution. L’art. 55 de la
loi de
Nous pouvons donc
répondre à cette question : Les lois anciennes, en ce qui regarde les
dispenses, sont-elles en vigueur ?. Oui, elles le
sont, puisqu’il n’y a pas été dérogé.
Je crois inutile
d’insister davantage sur ce point, je m’arrêterai là sur ce point et je passerai
à un autre qui a été l’objet des investigations de l’honorable orateur.
L’honorable M. de
Brouckère a critiqué sévèrement ce qu’il a appelé ma conduite lors de la
discussion de la loi qui avait pour objet d’augmenter le personnel des cours
d’appel de Bruxelles et de Gand ; pour lui répondre il suffira de rétablir les
faits.
Lorsque la chambre a
réduit le nombre des conseillers que demandait le gouvernement, je n’ai pris
aucune part à ses délibérations, et je n’ai pas été dans le cas d’énoncer une
opinion sur ce sujet. Les arrêtés qui formaient le nouveau ministère, venaient
d’être publiés, lorsque la loi sur l’adjonction de nouveaux magistrats, adoptée
par la chambre, fut présentée au sénat. Dans ces circonstances, de quelle
manière devais-je agir dans l’intérêt de la magistrature ?
Le plus important
c’était d’avoir une loi. Par là le personnel des cours pouvait être augmenté
avant la réouverture des audiences des corps judiciaires. J’eus l’honneur de
dire au sénat que, si on rejetait la loi, quand même elle serait incomplète, on
porterait préjudice à la magistrature : que cette loi ne reviendrait à la
chambre des représentants que dans les premiers jours, de la session suivante ;
qu’avant de s’en occuper les représentants s’occuperaient de l’adresse, des budgets,
et que peut-être la session entière s’écoulerait avant que la loi ne fût faite,
ce qui probablement serait arrivé ; que lors même que les représentants
pourraient s’en occuper, il n’était pas sûr qu’ils revinssent sur leurs pas.
J’ai même ajouté que si, par la suite, on reconnaissait la nécessité
d’augmenter encore le nombre des magistrats, un nouveau projet de loi serait
présenté. J’ai été plus loin. J’ai dit que, si on voulait atteindre le but
qu’on se proposait, celui de former une chambre civile de plus à Bruxelles et à
Gand, il ne suffisait même pas de leur donner trois conseillers de plus, qu’il
faudrait probablement élever ce nombre à cinq ou six indépendamment de ce qui
était réglé par le nouveau projet. Je suis donc loin d’avoir en ce point démérité
de la magistrature.
D’après
cet exposé, je demande de quel droit l’honorable orateur vient dire ici que les
corps judiciaires n’ont plus l’espoir de se voir compléter sous mon
administration ? Sur quoi il se fonde pour me reprocher de manquer d’égards
envers la magistrature ? Je sais ce que je dois à l’ordre judiciaire ; en cela,
je n’ai besoin des leçons de personne. Je m’honorerai toujours de contribuer
par mes efforts à ce que les magistrats puissent remplir convenablement les
fonctions utiles et honorables qui leur sont confiées. La magistrature belge
mérite les plus grands éloges ; il n’y a peut-être pas de pays où elle soit
aussi bien composée, où l’on trouve une plus grande masse de connaissances dans
les lois, et plus d’expérience dans les affaires. Voilà les sentiments que je
professe. (Mouvement d’approbation.)
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux).
- On a critiqué l’action de la police relativement aux sieur Crammer et Béthune qui furent compris dans des arrêtés
d’expulsion rendus au mois d’avril dernier ; je dois une réponse puisque la
police rentre dans mes attributions ; je commencerai par rappeler les faits
anciens :
Le sieur Cramer fit
opposition à l’arrêté d’expulsion devant le tribunal d’Anvers ; le président
ordonna l’élargissement de l’opposant ; mais l’affaire portée devant la cour
d’appel, celle-ci infirma la décision du juge. Il est vrai que l’arrêt de la
cour ne fut pas dénoncé au sieur Crammer. Cependant l’administration
le fit conduire hors du royaume.
Le ministre de la
justice vint communiquer aux deux chambres les arrêtés d’expulsion et les
motifs de sa conduite. Le sénat garde le silence sur cette communication. Dans
la chambre des représentants il s’éleva un débat assez important, vous vous en
rappelez le sujet. Une immense majorité repoussa la motion d’adresse qui avait
été faite, et vous comprenez les conséquences à tirer de ce fait.
Les chambres sont
gardiennes de la constitution : le vote de l’une et le silence de l’autre ont
manifesté leur opinion et il en résultait que le ministère n’avait encouru en
rien la censure de la législature.
Ce qui s’est passé, sous
la nouvelle administration, à l’égard du sieur Crammer,
ne peut non plus encourir le blâme de la chambre.
Pendant qu’on
sollicitait la rentrée de cet expulsé, il rentra sans attendre la décision ;
l’autorité le fit saisir. Il s’est pourvu devant le tribunal d’Anvers ; le
magistrat qui remplaçait le président, se référant à la première décision, en
ordonna simplement l’exécution. Fallait-il tenir plus de compte de cette
seconde décision que de la première ?
On objecte que l’arrêt
de la cour d’appel n’a pas été notifié au sieur Crammer,
que par conséquent la première décision était dans toute sa vigueur ; mais
cette objection pouvait être faite lors de la première expulsion : cependant la
chambre instruite de ces faits n’y a pas trouvé matière à blâme.
Les faits sont
actuellement exactement les mêmes. Il est donc inutile de s’appesantir
davantage sur ce point.
Quant au sieur Béthune,
si sa détention a été prolongée, c’est lui-même qui l’a demandé ; il alléguait
des motifs de santé, il avait, disait-il, des affaires essentielles à terminer
dans le pays. Pendant cette prolongation de détention, il fit une démarche pour
obtenir sa mise en liberté ; il offrit spontanément des garanties dont je crus
devoir me contenter ; et en conséquence, je proposai au Roi d’accéder à sa
demande. Je crois qu’il n’a pas lieu de se plaindre à cet égard. Aucune
plainte, en effet, n’est émanée de sa part.
L’on a également parlé
des nominations des gouverneurs de province. on a été
jusqu’à critiquer personnellement la nomination de deux de ces hauts et
honorables fonctionnaires. Messieurs, lorsqu’un ministre propose au Roi la
nomination d’un fonctionnaire, il prend sur lui la responsabilité de sa
conduite dans des fonctions dont il a cru convenable de le faire investir par
le Roi. Je n’hésite pas à déclarer que je prends sur ma responsabilité les
nominations que j’ai proposées à S. M. Je dois cependant donner un mot
d’explication au préopinant sur une imputation qu’il a faite au gouverneur de
L’on a parlé de
destitutions de gouverneurs. Je déclare d’abord que dans mon opinion les actes
auxquels on fait allusion n’ont pas le caractère de destitution,. L’on a allégué la réputation honorable dont ces
fonctionnaires jouissaient. Je suis le premier à rendre témoignage au mérite de
ces fonctionnaires, Mais, messieurs, je pense que tout fonctionnaire peut à une
certaine époque désirer être admis à la retraite avec honneur. C’est dans cette
opinion encore que j’ai cru devoir proposer à la sanction du Roi les mesures
contre lesquelles le préopinant s’élève.
Je
ne renouvellerai pas la discussion sur les théâtres. La chambre s’est déjà
prononcée sur cette question. Je me réfère à sa décision. L’on a dit : le
ministère a abusé, le ministère abusera de la confiance que la chambre lui
accorde. Le ministère a abusé : que l’on cite un seul acte d’abus de la part du
ministère. Le ministère abusera ; qu’on attende ses actes avant de le juger. Je
dirai que la confiance que la chambre peut accorder au ministère ne peut pas
avoir d’autre but que de faciliter l’accomplissement des devoirs importants qui
lui incombent ; c’est dans ce but que nous nous appuierons sur la chambre, bien
persuadés que plus sa confiance sera grande, plus il sera de notre devoir de
n’en user que dans le but pour lequel elle nous aura été accordée. Voilà, messieurs, la profession de
foi du ministre. Je ne pense pas qu’il dévie jamais cette ligne de conduite.
M.
Desmet. - Messieurs, la funeste manie des duels faisant journellement
des progrès effroyables, je me fais un devoir de venir appuyer les motions de
MM. de Robaulx et Desmanet de Biesme et insister que le gouvernement présentât
incessamment à la législature un projet de loi répressive pour empêcher ces
combats criminels qui portent le trouble et la désolation dans la société comme
dans les familles.
L’opinion de l’honorable
ministre de la justice est que le code pénal actuel prévoit le cas des duels et
qu’il contient des dispositions suffisantes pour les punir. Pour fortifier son
opinion, il a fait soumettre à la cour de cassation quelques jugements qui
avaient été prononcés sur des duels. Pourrait-il croire que, si son essai
réussit et que quelques arrêts de la cour supérieure viennent appuyer son
opinion, le doute sera levé et que toutes les cours d’assises de Belgique iront
incessamment condamner les duellistes comme des assassins et de vils
meurtriers. Je ne le pense pas, et je crains, au contraire, qu’il laissera le
pays dans cet état d’incertitude et privé d’une législation efficace contre ce
fléau.
La jurisprudence de
France est trop solidement établie sur ce point, qu’il m’est impossible de
prévoir qu’en Belgique ou pourra si facilement la contredire et trouver que
dans un code pénal, qui est le même pour les deux pays, il y ait des
dispositions contre le duel, tandis que la cour de cassation de France n’en a
jamais pu découvrir.
Lorsque l’assemblée
constituante s’occupa de la réformation de la justice criminelle, elle a cru
que l’on ne parviendrait jamais, par des voies de rigueur, à abolir les duels,
que les lois ne doivent pas être regardées plutôt comme des obstacles à
surmonter que comme la sauvegarde du bien public, et elle crût dans sa sagesse
devoir garder, sur ce point, un silence absolu ; ce qui rapporta implicitement
et par suite les anciennes lois sur la matière ; le code pénal que cette
assemblée décréta portant, pour dernier article, que tous les faits qui avaient
été réputés crimes jusqu’alors, et qui ne se trouvaient plus rangés dans cette
catégorie par le nouveau code, ne constitueraient pas de délits punissables.
La sanction que le roi
Louis XVI donna à ce code, en fit une loi de l’Etat ; aussi, pendant les vingt
années qu’il reçut son exécution ne vint-il à l’idée de qui que ce fût que le
duel eût conservé dans la loi le caractère de crime ; et comme le code pénal de
1810, qui a remplacé celui de
Cependant, on a voulu
faire considérer en après, comme délits punissables, le meurtre ou les
blessures qui auraient été le résultat de duels, lors même que les choses se
seraient passées avec loyauté, et je crois que c’est en conséquence de cette
extension que l’on voudrait donner à nos lois pénales, que, par un excès de
zèle, quelques arrêts de nos cours royales ont, sous le gouvernement déchu,
ordonné la mise en jugement des duellistes qui leur avaient été dénoncés, et
que c’est aussi sur ce motif qu’est fondée l’opinion du ministre de la justice,
qu’il faut poursuivre les duellistes.
Mais de pareils arrêts
ont constamment été annulés par la cour de cassation de France, et ce fut
notamment ce qu’elle fit par l’arrêt qu’elle rendit sur le rapport de M. Chaster le 14 juin 1821 ; j’engage à voir les considérants
de ce remarquable arrêt, il me semble qu’ils ne peuvent laisser aucun doute sur
la question.
Du reste, si, lorsqu’il
n’y a pas de doute dans une loi, on veut recourir à des autorités prises hors
de son texte, on rappellerait alors le décret du 9 messidor an II, de la
seconde partie, duquel il résulte que l’assemblée qui exerçait à cette époque
le pouvoir législatif, reconnut que le duel, et conséquemment les faits qui en
sont le résultat ordinaire, n’avaient pas été prévus et punis par le code pénal
de 1791, alors en vigueur ; ce qui s’applique nécessairement au code pénal
actuel, qui n’a fait, comme nous venons de le dire, que renouveler sur
l’homicide, le meurtre, l’assassinat et les blessures, les dispositions de ce
code de 1791, ou du moins ne les a pas étendues.
En effet, il paraît
évident que le duel ne peut être rangé, ni dans la catégorie des homicides,
commis involontairement et par imprudence, ni dans celle des meurtres
volontaires ou des assassinats, et qu’il porte un caractère tout particulier
qui le classe dans une espèce de crimes, qui certainement n’est pas prévue par
le code pénal en vigueur, et le met par conséquent dans un état de ne pas être
passible de poursuites criminelles.
A cette autorité
imposante que forment par leur concours les divers arrêts de la cour de
cassation de France dans cette matière, j’ajouterai, pour en augmenter la
force, les raisons qu’a données M. le procureur-général Mourre, lors d’un arrêt
qui a été prononce par la cour royale de Toulouse, le 9 avril 1819 :
« Les duels
(disait-il) sont un grand malheur dans la société ; qui est-ce qui en doute ?
C’est un grand malheur que cette frénésie, ce délire d’un honneur mal entendu,
ce parti que prend l’homme insulté de recourir à un combat que la raison seule
réprouverait, puisqu’il donne à l’offenseur le moyen de tuer la personne
offensée.
« Mais la question
qui nous occupe, ne se résout ni par les saines maximes de la religion, ni par
celles de la morale.
« Il faut savoir si
la législation actuelle a compris le duel dans le meurtre volontaire ou dans
l’assassinat.
« Il nous paraît
évident que non.
« Et cela nous
paraît plus évident encore quand nous considérons que, si une fois on décide
que le duel est compris dans notre législation actuelle, il ne faudra pas
seulement le poursuivre comme un simple assassinat. En effet, la loi qualifie assassinat le meurtre commis avec
préméditation, et elle dit que la préméditation consiste dans le dessein formé,
avec l’action, d’attenter à la personne d’un individu.
« Que l’on médite
sur cette idée et que l’on nous dise s’il est possible que la loi ait compris
le duel dans une pareille définition ! »
J’aime d’autant plus
réclamer ici l’autorité du procureur-général Mourre, qu’il est connu que ce
magistrat était un des hommes les plus instruits du barreau français ; et
devant, par son esprit de religion, avoir en horreur plus que qui que ce soit
le crime du duel, il n’aurait certainement pas manqué d’en provoquer la
punition, s’il n’eût pas été convaincu que les dispositions du code actuel ne
pouvaient l’atteindre.
Non pas, messieurs, que
je veuille, par ce langage, jeter sur le duel quelques motifs d’excuse. Je
viens de l’appeler crime, et c’est assez vous dire toute ma pensée ; mais c’est
surtout parce que je l’ai réellement en horreur et que je sais quel fléau il
est pour la société et pour les familles, que j’insiste pour que le doute soit
levé sur l’application des lois pénales et que des dispositions certaines sur
ce crime viennent ôter à notre jurisprudence criminelle cette espèce de
scandale de contradiction continuelle dans les arrêts des différentes cours, et
qu’on voit, pour les mêmes faits de duel, tantôt des acquittements, tant des
condamnations, et que je crains que jamais vous n’obteniez un résultat efficace
en appliquant dans une loi commune à un fait qui demande une législation
spéciale, à un fait que vous ne pouvez comparer, sans outrer toutes les
définitions, au meurtre ou à l’assassinat, tels que nous les entendons dans le
langage ordinaire de la loi.
Si donc l’on doit
reconnaître que notre législation pénale est muette sur la matière des duels je
ne doute pas que la chambre partagera notre avis qu’il faille engager le
gouvernement à la compléter à cet égard et à présenter à la législature le
projet d’une loi répressive que la religion, la morale, l’intérêt de la société
et celui des familles réclament depuis longtemps, et qui aura à régler par
quelles mesures doivent être prévenus et punis des faits qui ont un caractère
spécial par leur nature, leur principe et leur fin. C’est là le but de mes
remarques, et j’ose me flatter que M. le ministre de la justice qui, j’en suis
convaincu, ne veut que le bien du pays, y voudra avoir égard comme je ne crains
point d’assurer qu’en le faisant, il répondra aux vœux de tout le pays.
Je fais, en outre, la
proposition que la chambre veuille ordonner que, dans son sein, soit choisie
une commission qui, de concert avec M. le ministre de la justice, s’occuperait
à élaborer un projet de loi sur les duels. Je ne puis soupçonner que le
gouvernement s’opposera à cette proposition, et je suis certain que, de la
sorte, nous pourrons encore avoir la loi pendant la session actuelle.
Messieurs, j’aurais
encore quelques mots à dire avant de finir : je ne veux point discuter dans ce
moment si la peine capitale doit être conservée ou non ; je ne veux pas non
plus rechercher si le nombre de grâces accordées dans ce moment est plus grand
que sous le gouvernement précédent, mais je dois appuyer ce qu’a dit
l’honorable M. Dellafaille que dans des cas récents il y a eu abus dans les
grâces qui ont été accordées à des criminels qui pour leurs crimes effroyables,
j’ose le certifier avec tous les habitants des contrées qu’ils habitaient,
avaient certainement mérité la peine capitale.
L’honorable
membre a voulu, entre autres, faire allusion à un certain Cambier
de la commune de Maiter, arrondissement d’Audenaerde,
qui a été, quoique condamné et prévenu d’avoir commis plusieurs assassinats,
empoisonnements et infanticides, a reçu sa grâce ; et je peux vous dire,
messieurs, que cette grâce a indigné tout le district d’Audenaerde, comme
pourra venir le certifier l’honorable membre, président du tribunal de cet
arrondissement, quand ce criminel a subi le carcan sur la place d’Audenaerde ;
le public, dis-je, a été tellement indigné de voir Cambier
gracié que sans la présence de la gendarmerie on aurait vu la populace se
livrer à des excès contre ce criminel, et quoique je n’aime pas plus que qui
que ce soit voir exécuter un homme, je crois cependant que dans l’époque où
nous vivons, l’exemple peut encore servir de moyeu pour arrêter les crimes, et
que surtout dans le canton qu’habitait Cambier, cet
exemple était nécessaire.
M. A. Rodenbach. - Depuis quelques temps, les
colonnes des journaux sont remplies de détails d’attentats, de crimes contre la
sûreté des personnes et des propriétés. Un honorable député d’Audenaerde a
parlé de l’existence de bandes de voleurs dans les Flandres. La plupart de ces
bandes sont composées de forçats libéraux…
(Hilarité générale.) Je veux dire de libérés, c’est un lapsus linguae, cela
peut arriver à tout le monde. Un député de Bruxelles soutient que le
gouvernement n’a pas abusé du droit de grâce. Mais, messieurs, ne pourrait-on
pas attribuer à une autre cause la trop déplorable multiplicité des crimes qui
se commettent dans le pays ? Le gouvernement provisoire a supprimé la haute police
politique et judiciaire. En France on a opéré la même suppression. Mais au
moins on y a substitué une autre espèce
de police. Ici nous n’avons rien fait de semblable ; je pense que c’est parce
qu’il n’y a plus de haute police pour les forçats libérés que nous voyons tant
de vols et de rapines. On a présenté sous le précédent ministère un projet de
code pénal. Il paraît qu’il renferme la disposition destinée à remplacer la
haute police judiciaire. Je ne crois pas que nous ayons le temps de discuter ce
code pénal. Mais le ministre de la justice ne pourrait-il pas formuler de cette
disposition un projet de loi pour remplacer la haute police judiciaire ; je ne
parle pas de la haute police politique. Il circule des voleurs dans le pays qui
volent et rôdent partout. Je prie M. le ministre de la justice de me répondre.
Je ne prétends pas proposer le meilleur remède, mais je crois que mes
observations peuvent éclairer la question.
M.
Gendebien. - Le laconisme du ministre de la justice prouve assez son
impuissance de répondre, son embarras. En effet, il était bien difficile de
prouver que ce qui est blanc est noir, et que ce qui était noir est devenu
blanc depuis le passage de M. Ernst des bancs de la montagne au banc du
pouvoir. Voyons cependant ce qu’il a dit pour se justifier. Je lui avais
reproché la légèreté et l’inconvenance de son langage au sénat et dans cette
enceinte au sujet du duel. Je considérais comme d’une haute inconvenance qu’un
ministre de la justice vînt dire : J’ai donné des ordres pour que l’on
poursuive les duellistes et j’ai soumis à la cour de cassation un arrêt de la
cour d’appel de Bruxelles afin qu’elle se prononce sur la question de savoir si
le code pénal est applicable aux cas de duels ; et qu’après avoir dit cela, il
ait ajouté que, comme ministre son opinion était que le code pénal était
applicable au duel.
Il y avait là une
inconvenance évidente. C’était mettre la cour de cassation dans une fausse
position. C’était chercher à exercer de l’influence sur elle. Qu’en
résultera-t-il ? C’est qu’en supposant que la cour de cassation admette
l’opinion du ministre, le public sera disposé à croire qu’elle n’aura admis
cette manière de voir que pour plaire au ministre de la justice. Voilà la
fausse position dans laquelle il a placé la cour souveraine.
Pour se justifier, M. le
ministre a dit qu’il avait été forcé d’énoncer son opinion, parce que le sénat
lui avait demandé quelles mesures il se proposait de prendre ; mais il pouvait
se borner à dire qu’il allait soumettre la solution de cette grave question à
la cour de cassation ; que, si elle reconnaissait que le code pénal était
applicable au duel, on en ferait l’application ; que, dans le cas contraire, il
présenterait un projet de loi sur cette matière. L’opinion du ministre de la
justice n’était point demandée par le sénat et il devait, dans tous les cas,
s’abstenir de la produire ; car elle ne pouvait avoir aucune influence sur la
résolution du sénat. Il ne s’agissait pas de défendre un projet de loi ; il s’agissait
simplement de mesures à prendre. J’avais donc raison de dire qu’il y avait une
haute inconvenance dans la conduite du ministre de la justice au sénat.
Il vous a dit qu’il
avait trouvé dans mes propres paroles une compensation à l’amertume de mes discours.
Il a prétendu que j’avais dit que le ministère actuel avait la confiance de la
chambre et du pays. J’ai dit qu’il irait plus loin que l’ancien ministère ;
aussi longtemps qu’il conserverait la confiance momentanée de la chambre qu’il
avait usurpée. Quant à la confiance du pays, c’eût été une absurdité de ma part
de prétendre qu’il l’avait. Les démonstrations qui ont eu lieu dernièrement
dans toutes les villes du royaume prouvent l’opinion que la nation a conçue de
ce ministère. Ce ministère n’est pas le premier qui ait envahi la confiance de
la chambre pendant quelque temps et qui sera tombé ensuite sous le poids de son
impopularité dans cette même assemblée.
J’ai mis la chambre en
garde contre les dangers qu’elle courait à soutenir des ministres qui se sont
rendus indignes de sa confiance par les actes inconstitutionnels dont il s’est
rendu coupable.
M. le ministre de la
justice a invoqué sa bonne foi. M. Ernst a prononcé lui-même sa condamnation
comme ministre, lorsqu’il était député. Voici ce qu’il disait le 24 avril à M.
Lebeau :
« Il est difficile
de croire à la bonne foi de celui qui faisait le libéral quand il était député
et qui fait le despote arrivé au pouvoir. »
C’est ainsi que vous
avez prononcé vous-même votre condamnation. Je l’ai prouvé au commencement de
la séance, en vous rappelant que vous aviez flétri la conduite d’un ministre
dont vous avez depuis suivi tous les errements ; je l’ai prouvé en vous
accusant d’avoir maintenu des arrêtés dont vous aviez démontré vous-même
l’inconstitutionnalité. Ne me parlez donc plus de votre bonne foi. Vous vous
êtes condamné par votre propre bouche.
Pour répondre au sujet
de quelques destitutions de gouverneurs que j’aurais qualifiées de brutales,
que je qualifie maintenant de brutales, M. le ministre de la justice a dit que
le gouvernement avait appelé quelques gouverneurs à la retraite ; qu’en
agissant ainsi, il avait usé de son droit ; qu’en les révoquant, il n’avait
manqué à aucun procédé ; qu’il avait donné des marques de confiance et de
reconnaissance à ces fonctionnaires. M. le ministre de l'intérieur est venu
confirmer les paroles de son collègue. Cependant il est avéré qu’on les a
destitués brutalement. Voulez-vous savoir les bons procédés du gouvernement à
l’égard de MM. Hennequin et de Puydt ?
Ils ont appris leur
destitution par le Moniteur. M. de
Coppin, gouverneur du Brabant, a eu connaissance de sa destitution par le Moniteur et par une lettre d’avis qu’on
lui a envoyée en même temps. C’est de lui-même que je tiens ces détails ; il m’a
dit qu’en lisant le Moniteur le
matin, il ne pouvait croire à la réalité de sa révocation, et que ce ne fut
qu’en parcourant sa correspondance qu’on vit officiellement la confirmation
d’une nouvelle aussi inattendue. Ainsi, à Bruxelles, le gouverneur du Brabant a
connu sa destitution par la voie du Moniteur.
Vous appelez cela des procédés, vous vous vantez d’avoir usé de ménagements,
d’avoir prouvé à ces fonctionnaires la confiance que vous aviez en eux.
Et quels gouverneurs
avez-vous destitués ? les hommes les plus honorables ;
vous en convenez vous-mêmes ; vous en faites vous-mêmes l’éloge aujourd’hui.
Vous leur avez, dites-vous, donné des marques de votre estime et de la
reconnaissance du gouvernement. Oui, vous leur avez envoyé des décorations.
Mais les plus
indépendants sous le rapport de la fortune les ont refusées, vos décorations.
Quant à vos propositions
de pensions, il en a été de même que pour la croix. Je vois là une preuve
évidente des bons procédés que vous vous vantez d’avoir observé vis-à-vis des
citoyens les plus honorables de
Relativement à la
censure des théâtres dont j’ai parlé, quelle réponse avez-vous faite. Si je
suis complice, a dit M. le ministre de la justice, je suis complice avec la
chambre ; mais est-ce là ce langage que M. Ernst tenait comme député. Il disait
le 10 janvier en s’adressant au ministre qu’il a remplacé : « Votre ligne
politique n’est pas difficile à tracer et à suivre : Au-dedans de la
constitution, toute la constitution, rien que la constitution. »
Eh bien, ministre, il
fallait être conséquent avec votre opinion de député et non pas surprendre un
vote dont plusieurs membres de la chambre se repentent déjà, vote qui j’espère
sera annulé au vote définitif de la loi communale.
Il ne fallait pas
entraîner la chambre dans cette inconstitutionnalité : votre devoir comme
ministre, d’après l’engagement que vous aviez pris comme député, était de dire
franchement à l’assemblée qu’elle commettrait une inconstitutionnalité. Votre
devoir, si vous aviez voulu être conséquent avec vos principes, était de
combattre la censure, et si votre choix était impuissant à détourner la chambre
de la voie illégale où elle était entrée, votre devoir était de donner
immédiatement votre démission de ministre. Voilà comment je comprends l’honnête
homme, l’homme de bonne foi, l’homme de probité en politique ; il renonce à son
portefeuille dès l’instant que malgré ses efforts, il n’a pas réussi à faire
respecter le pacte fondamental.
Ainsi ne vous retranchez
pas derrière la chambre. Le vote qu’elle a émis est inconstitutionnel. Vous
êtes plus que la chambre coupable de cette inconstitutionnalité, comme de
toutes celles que je vous ai déjà reprochées.
Après le ministre de la
justice est venu le ministre de l’intérieur qui a cherché à répondre à ce que
j’avais dit sur l’expulsion de M. Crammer.
Il a dit : un député de
Mons a inculpé la police attachée à mon ministère. Je n’ai pas inculpé la
police ; c’est le ministre de la justice que j’ai inculpé. Quant à la police,
c’est maintenant quelque chose de si ignoble que j’ai du dégoût à prononcer son
nom dans cette enceinte. Elle n’a su que déshonorer le pays en toute occasion.
Elle n’a rien fait pour empêcher qu’on ne pillât. Quand les pillages ont
commencé, elle n’a pu ou elle n’a pas voulu les réprimer, et lorsque, deux jours
avant ces déplorables événements, tout le monde savait qu’ils auraient lieu,
lorsque le samedi soir l’on avait déjà pillé, pendant la journée du dimanche,
la police était engourdie et regardait faire. Ce fait, sur lequel je me suis
appesanti, n’est pas du ressort de la police. L’acte anticonstitutionnel que
j’ai rappelé a été exercé à Anvers par le procureur du Roi, par un
fonctionnaire placé sous les ordres et la responsabilité du ministre de la
justice.
C’est donc le ministre
de la justice qui est responsable des irrégularités commises par un de ses
subordonnés. Quand nous en viendrons au chapitre du budget qui est relatif à la
police nous verrons si M. le ministre de l'intérieur répondra avec autant de
facilité aux observations et aux reproches qui lui seront faits. Examinons
cependant les explications qu’a cru devoir donner ce ministre. M. Crammer a été arrêté. Il s’est adressé et référé au
tribunal d’Anvers qui a ordonné son élargissement. La cour d’appel de Bruxelles
a réformé le jugement et sa décision a été mise à exécution quoiqu’elle n’ait
pas été notifiée au sieur Crammer. Il a ajouté : La
chambre a ratifié cette manière d’agir. Ainsi, nous, ministres, nous sommes
exempts de reproches puisque nous avons la sanction de la législature.
Il y a là des erreurs de
fait et de droit. Erreurs de fait : car ce n’est que le dernier jour de la
discussion de l’adresse que nous avons appris que la cour d’appel avait réformé
le jugement du tribunal d’Anvers. Nous ne pouvions savoir que l’arrêt n’avait
pas été notifié, ni que le sieur Crammer avait été
expulsé avant que l’arrêt, qui avait réformé le jugement, eût été notifié au
sieur Crammer. En droit (et je n’ai traité que ce
point) j’ai dit que le sieur Crammer s’était pourvu
en référé devant le tribunal d’Anvers, sous le ministère de M. Ernst, et que ce
tribunal, conséquent avec lui-même, avait maintenu sa première décision, et
avait ordonné son élargissement, attendu que l’arrêt n’avait été ni levé ni
notifié ni produit au dossier par le procureur du roi ; et le tribunal ne
pouvait agir autrement, car il ne pouvait se réformer lui-même.
Le procureur du roi n’a
pas respecté la décision ni l’exequatur au nom du Roi ; en se conduisant ainsi
à la connaissance du ministre de la justice, il avait dépassé les limites de
ses attributions, et le ministre de la justice avait violé la constitution et
les lois, et abusé du nom du Roi, puisque les arrêts de la justice sont rendus
et exécutés au nom du Roi.
Que signifie cette
réponse de M. le ministre de l'intérieur : la chose est jugée. La chambre n’a
pas jugé, et ne pouvait juger ce qu’elle ne connaissait pas ; d’ailleurs,
est-elle compétente pour connaître de ces faits ? évidemment
non.
On a représenté M. de
Béthune comme très reconnaissant des égards que le gouvernement avait eus pour
lui, on vous a dit qu’il ne se plaignait pas d’avoir été retenu deux mois et
demi en prison sous le ministère actuel. Je demande si cela change quelque
chose aux questions que j’ai soumises. Faudra-t-il pour les juger que la
chambre attende que M. de Béthune se plaigne ? Il sait bien que s’il
flétrissait la conduite du ministère il serait sous le coup de la disposition
illégale du 17 avril en vertu de laquelle on l’a emprisonné.
Il ne s’agit pas de
savoir si M. de Béthune se plaint : mais il a droit de se plaindre et je me
plains pour lui. M. Ernst a maintenu la lettre de cachet lancée par M. Lebeau.
Pendant deux mois et demi il a souffert, lui ministre de la justice, qu’un
homme fût retenu en prison sans écrou légal.
Voilà ce que j’ai dit.
M. le ministre de l'intérieur n’a pas plus répondu à cette observation qu’à
l’autre.
M. le ministre de
l'intérieur pour justifier les nominations faites à certains gouvernements, a
dit, que M. le comte Charles Vilain XIIII aurait pu énoncer ses doctrines
personnelles comme député, mais qu’en sa qualité de gouverneur il agirait tout
autrement.
Il est possible que M.
le comte Charles Vilain XIIII soit aussi inconséquent dans sa conduite que les
ministres ; il est possible que de séide incarné du pouvoir absolu et de
l’arbitraire qu’il s’est fait devant la chambre, il devienne libéral ;
cependant je ne crois guère à une semblable conversion, car si les ministres de
libéraux qu’ils se disaient lorsqu’ils étaient députés, sont devenus plus despotes,
plus absolus, que les ministres qu’ils attaquaient pour des actes qu’ils
maintiennent et qu’ils dépassent ; peut on espérer qu’après la profession de
foi la plus liberticide qu’il soit possible d’imaginer, un de leurs subordonnés
change d’avis pour se faire libéral ? Bien évidemment non. Il y a plus ; c’est
que si M. Charles Vilain XIIII nous avait fait une profession de foi libérale,
je dirais si les ministres ont pu changer de principe, j’ai bien peur qui ne
change comme ceux qui l’ont nommé.
Les paroles de M. le
ministre de l’intérieur ne sont donc nullement de nature à vous rassurer,
quoiqu’il vous dise : il est très libéral. Vous connaissez ses doctrines du
mois d’avril 1834, voulez-vous savoir celles qu’il professait en 1830 ? Elles
étaient d’une autre nature, mais je ne sais si elles étaient de meilleur aloi.
Lorsqu’il fut question de déterminer la forme du gouvernement, M. Ch. Vilain
XIIII déplorait l’impossibilité de proclamer la république en Belgique, et il
disait : Il nous faut tous les avantages de la république, moins les
inconvénients, il faut éviter les intrigues qui se renouvellent à chaque
élection ; il nous faut une dynastie, mais je veux qu’elle soit entourée des
institutions les plus républicaines.
Il lui fallait un roi
responsable. Il voulait beaucoup d’autres choses encore qu’on ne retrouve plus
à coup sûr dans son discours du 24 ou 26 avril dernier. Vous vous rappelez tous
ses premières doctrines, ce bel élan de libéralisme et même de républicanisme
qui le distingua au congrès ! Vous rappelez-vous ses doctrines au sujet des
saints simoniens ?
Mais
c’était au mois de novembre 1830, il y avait encore profit à se montrer
libéral. Si alors on m’avait demandé ce que je pensais de M. Ch. Vilain XIIII,
j’aurais dit que je le considérais comme très libéral, parce que je croyais à
sa sincérité, à son patriotisme, et j’y croyais en effet, parce que jusqu’à
preuve contraire, je crois tout homme aussi franc aussi véridique que je pense
l’être moi-même. Mais quand j’ai des preuves d’abjuration de principes comme
nous en ont donné les Ch. Vilain XIIII, les Ernst et tant d’autres qui sont à
ses côtés, j’ai le droit de leur appliquer les paroles de M. Ernst, et je dis :
Il est difficile de croire à la bonne foi de celui qui, libéral quand il était
député, s’est fait despote une fois arrivé au pouvoir, ou pour y arriver.
Voilà ma réponse. Je
n’ai dirai pas d’avantage. Je crois avoir suffisamment justifié mes
inculpations. Je n’ai nulle confiance dans le ministère actuel et je suis
persuadé que la chambre se convaincra bientôt qu’il n’en mérite aucune.
Par ces motifs je
voterai contre le budget du ministère de la justice.
M. de Brouckere. - Je demande à la chambre
la permission de répondre deux mots à M. le ministre de la justice relativement
à la question que j’ai traitée au commencement de cette séance ; sur le droit
de donner des dispenses à des magistrats entre lesquels il existe une
incompatibilité légale. Si je n’avais pas été bien convaincu de l’opinion que
j’ai soutenue, je vous avoue que je le serais depuis que j’ai entendu la
réponse du ministre de la justice. Car si vous vous rappelez ses paroles il n’a
pas fait valoir un seul argument pour me combattre. Je dis qu’il n’a pas
présenté un seul argument, parce qu’en effet, les espèces de raisons qu’il a
voulu donner tombent au premier examen, et cela est si vrai que quand il a
voulu étayer son opinion du rapport de la section centrale, il s’est trompé et
il a lu l’opinion du rédacteur de
Selon M. le ministre de
la justice la loi du 20 avril 1810 n’est applicable qu’aux cours d’appel et aux
tribunaux de première instance, mais non à la cour de cassation ; par
conséquent les incompatibilités prononcées par cette loi ne sont pas
applicables à cette cour. Je lui ferai observer que l’article 123 qui énumère
les incompatibilités se trouve sous le titre des « Dispositions
générales, » c’est-à-dire les dispositions applicables à toutes les cours
et à tous les tribunaux.
Mais, ajoute le ministre
de la justice, si ces incompatibilités existent encore il faut être conséquent
et reconnaître que le droit de les lever a aussi continué d’exister.
Messieurs, ce
raisonnement n’est nullement fondé. Les incompatibilités existent, cela ne fait
aucun doute puisque l’article 55 du 4 août le dit indirectement. La loi du 4
août n’eût elle rien dit qu’elles n’en existeraient pas moins. Mais l’art. 55
de cette loi reconnaît l’existence des incompatibilités puisqu’elle autorise le
Roi à donner des dispenses.
Mais je vous le demande,
le droit de lever des incompatibilités qui existait d’après la loi du 20 avril
existe-t-il encore aujourd’hui ? Evidemment non, car si cela était, je
défierais de donner un sens à la loi du 4 août 1832. Si le droit de lever
toutes les incompatibilités n’avait pas été abrogé, il existait aussi pour les
magistrats actuels, comme dit la loi,
c’est-à-dire pour les magistrats en fonction à l’époque où la loi fut votée.
Dès lors pourquoi aurait-on inséré dans la loi du 4 août 1832 une disposition
pour les magistrats alors en fonction. Si le droit de lever toutes les
incompatibilités eût existé, cette disposition eût été une superfétation.
M. le ministre de la
justice a cité les paroles du rédacteur de
« Le droit de
donner des dispenses accordé au Roi par l’art. 55 est borné à des cas très
rares. Il eût été trop rigoureux de prononcer une exclusion absolue contre des
hommes actuellement attachés à la magistrature. »
Ainsi la section
centrale n’a adopté l’art. 55 que pour ne pas prononcer une exclusion absolue
contre tous les magistrats entre lesquels existerait des incompatibilités aux
termes de la loi de
Il est positif, M. le
ministre lui-même le reconnaît, que pour les cours et les tribunaux de première
instance le gouvernement n’a plus le droit de lever les incompatibilités
énumérées dans la loi du 20 avril 1810. En est-il de même pour la cour de
cassation ? J’ai déjà répondu affirmativement. Le ministre prétend au contraire
qu’il n’existe aucune incompatibilité pour les membres de la cour de cassation
; c’est ici le cas d’appliquer l’axiome : Qui prouve trop ne prouve rien. Je
vous demande s’il est possible de penser qu’il n’existe aucune incompatibilité
pour la cour la plus importante, pour la cour de cassation ?
S’il en était ainsi, la
cour de cassation pourrait devenir un conseil de famille et n’être plus
composée que de proches parents. Quelles garanties les plaideurs pourraient-ils
trouver dans une semblable composition ? Il est impossible de supposer qu’une
pareille législation eût pu exister pendant vingt-cinq ans. Non ; les mêmes
incompatibilités existent pour la cour de cassation, pour les cours d’appel et
les tribunaux, et quand on a nommé à un même siège des magistrats entre
lesquels il existait des incompatibilités, on a violé la loi.
Une
autre observation que j’ai faite et à laquelle on n’a pas répondu, c’est que le
gouvernement ne se donnait pas même la peine d’accorder des dispenses pour
lever les incompatibilités. On a nommé au même siège deux parents entre
lesquels il existe des incompatibilités reconnues par le ministre et l’arrêté
de nomination ne fait pas même mention de la dispense.
Vous voyez le mépris
qu’on affecte pour les lois existantes.
L’honorable M. Rodenbach
vous a parlé de la multiplicité des attentats contre la propriété ;
multiplicité qui résulte selon lui des journaux.
M. A. Rodenbach. - Je n’ai pas dit cela, j’ai
dit que nous lisions dans les journaux beaucoup d’exemples d’attentats contre
la propriété, et j’attribuais cela à ce que la surveillance de la haute police
n’existait plus, surveillance qui consistait à obliger les forçats libérés à se
présenter devant le commissaire de police pour faire acte de présence dans le
lieu qu’on leur avait assigné. J’ai dit que ces mesures avaient aussi été
supprimées en France, mais que là on les avait remplacées par d’autres. J’ai
dit que les forçats pouvant aller partout, n’étant plus astreints à prendre un
domicile, c’était peut-être là une des causes pour lesquelles on voyait se
multiplier les attentats contre la propriété, mais je n’ai pas attribué cette
augmentation des délits aux journaux.
M. de Brouckere. - J’ai donc eu raison de
dire que M. Rodenbach avait signalé la multiplicité des attentats contre la
propriété, et qu’il en trouvait la preuve dans les colonnes des journaux.
Je ne sais si les
attaques contre la propriété augmentent oui ou non, mais pour moi les journaux
ne sont pas une preuve. Quand ils n’ont pas de quoi remplir leurs colonnes, ils
envoient quelqu’un au parquet des tribunaux pour savoir s’il n’y a pas quelque
crime qu’ils puissent annoncer et par ce moyen combler la lacune qui se trouve
dans leur feuille. C’est ainsi que nous voyons les journaux annoncer un jour,
tel vol a été commis chez tel curé, telle diligence a été attaquée, etc. Il est
vrai que c’est souvent contredit le lendemain. Mais enfin je veux bien admettre
que cela soit réel, alors je dis avec l’honorable M. Rodenbach que le
gouvernement doit s’occuper à en rechercher la cause. Mais je verrais bien avec
du regret que l’opinion de cet honorable membre sur le rétablissement de la haute
police eût quelque écho dans cette enceinte.
M.
A. Rodenbach. - Je n’ai parlé que de la haute police judiciaire et non
de la haute police politique.
M. de Brouckere. - Je dis que M. Rodenbach a
demandé le rétablissement de la haute police ; eh bien, je me déclare
l’adversaire du rétablissement de la haute police. Vous savez, messieurs, que
d’après le code pénal qui nous régit, tous ou presque tous les condamnés sont
mis sons la surveillance de la haute police. Sous le gouvernement hollandais
cela s’exécutait dans les provinces méridionales et non dans celles
septentrionales. On réclama en Belgique contre une rigueur qui tournait en
injustice, puisqu’elle ne s’appliquait qu’aux Belges, tandis qu’elle épargnait
les Hollandais. Le gouvernement provisoire a cru devoir anéantir la haute
police et il a très bien fait. Elle avait pour résultat d’empêcher que tel
homme qui avait subi sa peine, pût se réhabiliter, cet homme devenait
l’esclave, le jouet du premier bourgmestre venu qui pouvait, pour passer
l’inspection, le faire venir parader à sa porte. Cela empêchait ce malheureux
de reprendre un état pour lequel il eût fallu qu’il se déplaçât. Il était
obligé de se confiner dans une commune, pour, je le répète venir le dimanche
parader à la porte du bourgmestre. Non, je l’espère, il n’y aura pas d’écho
dans cette chambre pour le rétablissement de la haute police.
M.
Dumortier. - Messieurs, à propos du budget du ministère de la justice,
on a agité beaucoup de questions très graves. Je dirai d’abord que je partage
les opinions qui sont émises sur le duel. Il est essentiel qu’une loi
intervienne sur cette matière. Le duel est un cruel et funeste préjugé, un
reste de barbarie. Le jour où on pourra le faire disparaître constatera un
progrès. On a ensuite parlé de la haute pénalité. Je dois avouer que j’ai vu,
avec infiniment de peine, la manière inconvenante, je puis le dire, dont il a
été répondu à l’honorable M. H. Dellafaille. relativement
à son opinion sur la peine de mort et le droit de grâce. Je suis peiné de voir
que l’honorable orateur, M. de Brouckere, ait présenté comme un homme
sanguinaire, comme un homme demandant la tête du coupable, M. H. Dellafaille
qui, certes, n’aime pas le sang et qui est tout aussi philanthrope que peut
l’être l’honorable député de Bruxelles.
La question est
seulement de savoir si la proposition n’est pas plus dangereuse que ne l’est la
peine de mort déterminée pour l’assassinat. Plus tard j’exposerai mes
observations à ce sujet. J’ai toujours eu pour opinion qu’il fallait faire
disparaître la peine de mort autant que possible, mais cela n’est pas de mon
avis dans tous les cas ; car il y a des circonstances ou l’abrogation de cette
peine porterait au meurtre ; les voleurs ayant intérêt à se débarrasser des
témoins de leur crime, et encouragés parce que la peine de mort n’existerait
plus, se déferaient de ces témoins en les tuant. Ce serait donc, en ce cas,
encourager l’assassinat.
Je dois parler ensuite
d’une question d’un autre genre, mais également d’une grande importance. Il
s’agit des dispenses. Je suis convaincu que lorsqu’ils en ont accordé, le
ministre précédent et celui-ci ont agi de bonne foi.
M.
le ministre de la justice (M. Ernst). - Je n’en ai jamais accordé.
M.
Dumortier. - J’ai vu pourtant qu’il en était question dernièrement dans
le Moniteur, à l’égard d’un magistrat
intérieur. Cette question est très grave, et j’ai sur elle des observations
très sérieuses à soumettre à la chambre. L’honorable ministre de la justice
s’est demandé, si les lois qui accordent les dispenses, sont ou ne sont plus en
vigueur. Non, elles ne le sont plus, et toute dispense accordée aujourd’hui est
un acte contraire à la constitution. Sous le gouvernement précédent, l’article
68 de la loi fondamentale, autorisait Guillaume à accorder des dispenses. Cette
autorisation et l’usage qui en fut fait, était regardé comme un des plus graves
abus du gouvernement hollandais. Lorsque le congrès s’assembla, son premier
soin fut d’abroger celte faculté. A cet égard je vais rappeler l’art. 67 de la
constitution qui est ainsi conçu :
« Il (le Roi) fait
les règlements et arrêtés nécessaires pour l’exécution des lois sans pouvoir
jamais ni suspendre les lois elles-mêmes, ni dispenser de leur exécution. »
Vous voyez, messieurs, par cet article, que le congrès a refusé au pouvoir
exécutif le droit des dispenses. Le gouvernement ne peut dispenser des
conditions d’éligibilité sans violation de la constitution. En vain voudrait-on
objecter que l’article se rapporte au pouvoir de faire des arrêtés pour des
lois. Pour détruire le doute qui pourrait rester encore, je donnerai lecture du
texte de la section centrale du congrès.
« Le chef de l’Etat
ne peut suspendre les lois ; il ne peut dispenser de leur exécution : il ne
pourra donc accorder des dispenses que dans le cas où ce pouvoir lui aura été
conféré par une loi d’une manière expresse. »
Il est donc positif que
le ministre ne peut accorder de dispense que dans le cas où ce pouvoir lui
aurait été conféré d’une manière expresse par la législation. Que répond à cela
le ministre ? que c’est une question préjugée ; qu’il
y a des lois antérieures d’où il résulte que le Roi peut accorder des dispense.
Hérésie constitutionnelle que cela ! J’en appelle à ceux qui ont siégé au
congrès ; alors il n’y eut qu’une seule pensée, c’est que le gouvernement ne
pouvait accorder de dispenses qu’avec autorisation de la loi.
C’est pour cela que le
gouvernement est venu demander à être autorisé à accorder des dispenses aux
membres de l’ordre judiciaire. S’il eût été investi de ce droit par la loi en
vigueur, la loi de 1832 eût été une superfluité. Mais c’est qu’au contraire le
gouvernement a reconnu qu’en vertu de la législation existante, il n’avait pas
le droit d’accorder des dispenses.
En
fait, quand la législature établit des conditions d’éligibilité, est-ce pour
que le gouvernement s’en écarte suivant son bon plaisir ? On ne peut le penser
; car s’il en était ainsi, ces conditions d’éligibilité, au lieu d’être une
garantie dans l’intérêt public, seraient seulement des garanties dans l’intérêt
du gouvernement. En effet, ces conditions n’existeront pas par les créatures du
gouvernement ; elles ne seront un empêchement que pour les personnes qui ne
sont pas les créatures du gouvernement.
C’est pourquoi le
congrès a voulu que le gouvernement ne pût accorder de dispenses qu’aux membres
de l’ordre judiciaire de cette époque.
Si le gouvernement croit
nécessaire d’avoir le droit de dispense, qu’il vienne le demander à la
législature ; elle verra si elle doit le lui accorder. Quant à moi, plutôt que
d’accorder ce droit au gouvernement, je préférerais modifier les conditions
d’éligibilité.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de
Muelenaere). - Je me permettrai de répondre deux mots à l’honorable
préopinant et à l’honorable député de Bruxelles, qui ont traité la question des
dispenses de parenté entre des membres de l’ordre judiciaire.
J’exprimerai d’abord le
regret que ce soit incidemment et à propos du budget que l’on ait soulevé une
question aussi importante, alors que mon honorable collègue, le ministre de la
justice, n’était pas préparé à défendre son opinion sur la matière ; toutefois
je crois que l’opinion qu’il a émise est incontestable,
L’honorable préopinant a
appliqué ici l’art. 67 de la constitution et a prétendu qu’en vertu de cet
article, le Roi (ou le pouvoir exécutif) ne peut accorder aucune dispense. Cet
article porte : « Le Roi fait les règlements et arrêtés nécessaires pour
l’exécution des lois, sans pouvoir jamais ni suspendre les lois elles-mêmes, ni
dispenser de leur exécution. »
Il résulte de cet
article que le roi ne peut suspendre l’exécution des lois ni dispenser de leur
exécution. Mais si le pouvoir législatif fait une loi qui renferme elle-même le
droit de dispense, si la loi elle-même donne au gouvernement le droit de donner
des dispenses dans certains cas, le pouvoir exécutif, en accordant des dispenses,
ne dispense pas de la loi, il ne fait qu’exécuter la loi. Dès lors, toute la
question est de savoir si une loi existante autorise le gouvernement à accorder
des dispenses dans certains cas prévus et déterminés. L’art. 55 de la loi du 4
août 1832, sur l’organisation judiciaire, est ainsi conçu :
« Les membres
actuels des tribunaux de première instance, des justices de paix, des parquets
et des greffes qui ne réunissent pas les conditions voulues par la loi, ou
entre lesquels il y a des incompatibilités quelconques, pourront, s’il y a
lieu, obtenir des dispenses du Roi. »
Sous le gouvernement
précédent, indépendamment de la loi de 1810, qui autorisait les dispenses dans
les cas déterminés, l’art. 68 de la loi fondamentale de 1815, autorisait,
d’après l’interprétation donnée par le gouvernement à cet article, les
dispenses d’une manière plus générale, et permettait au pouvoir exécutif
d’accorder des dispenses même hors les cas spécialement prévus par la loi.
Ainsi sous le gouvernement précédent il a été nommé dans les cours et les
tribunaux des individus qui ne réunissaient pas les conditions voulues par la
loi. On a nommé quelquefois des personnes qui n’avaient pas de diplôme ou qui
n’étaient pas graduées en droit.
A l’époque où l’on a
fait la loi actuellement en vigueur, qui détermine les conditions nécessaires
pour entrer dans l’ordre judiciaire, il y avait dans cet ordre des individus
qui ne remplissaient pas ces conditions et qui y avaient été admis sous le
gouvernement précédent ou sous l’empire. C’est surtout ces individus qui
n’étaient pas gradués et qui néanmoins appartenaient déjà à l’ordre judiciaire,
que la disposition de l’art. 55 de la loi du 4 août 1832 me semble avoir eus en
vue.
Mais indépendamment des
dispenses de ce genre plus particulièrement prévues par la loi du 4 août 1832,
les dispenses de parenté continuent-elles à pouvoir être accordées en vertu de
la loi existante, ou bien nos dernières dispenses sont-elles aujourd’hui
prohibées ? Voilà toute la question. Vous sentez, messieurs, que le
gouvernement est entièrement désintéressé dans cette question : si la loi
interdit ces dispenses, il n’en accordera plus ; si elle les autorise, il ne
pourra presque pas se dispenser d’en accorder dans certains cas ; ainsi lorsque
des individus auront été présentés simultanément par le sénat à la cour de
cassation, ou par les autres corps chargés de ces propositions, lorsqu’ils
rempliront toutes les conditions voulues, qu’ils jouiront de la considération
et seront enfin signalés au gouvernement comme les plus aptes à remplir les
fonctions vacantes il devra en quelque sorte user du droit de dispense consacré
par la loi. S’il n’a pas le droit de dispense, il nommera d’autres personnes.
Ce n’est donc pas, je le répète, une question gouvernementale ; l’honorable
préopinant lui-même l’a d’ailleurs reconnu.
J’ai déjà dit que
l’article 67 n’était pas applicable à l’espèce puisqu’il ne s’agit pas de
dispenser de la loi, mais d’accorder des dispenses en vertu de la loi. Quant à
l’art. 55 de la loi du 4 août 1832, s’il est vrai qu’il n’a eu en vue que les
personnes précédemment admises dans l’ordre judiciaire, sans réunir toutes les
conditions voulues par la loi, on ne peut pas en tirer la déduction qu’il a
infirmé le droit du gouvernement, en ce qui concerne les dispenses de parenté
établies par une loi antérieure. Le rapport de la section centrale vient encore
à l’appui de cette opinion. Il porte que le droit de dispense accordé au Roi se
borne à des cas trop rares, ces cas sont déterminés par la loi de 1810 ; et aux
yeux de la section centrale, ces cas étaient trop rares ; si l’on eût borné là
les dispenses, plusieurs personnes, remplissant des fonctions judiciaires,
eussent été forcées de les abandonner.
Le rapport ajoute :
« Il serait trop rigoureux de prononcer l’exclusion absolue des hommes
actuellement attachés à la magistrature. S. M. appréciera leurs titres. »
Veuillez remarquer que d’après le rapport il ne s’agit plus de savoir si ces
personnes réunissent toutes les conditions voulues par la loi ; il suffit qu’elles
aient des lettres, etc. ; le gouverneur est autorisé à apprécier ces lettres.
De
ce rapport il résulte qu’on reconnaît au gouverneur le droit indépendant de
l’art. 55 de la loi du 3 août 1832, d’accorder des dispenses dans des cas rares.
S’il y a des inconvénients à ces dispenses, qu’on en propose la suppression. Je
le répète, cette question n’est point gouvernementale, le ministère n’y est pas
intéressé. Si on signalait des inconvénients graves, mon honorable collègue le
ministre de la justice serait le premier à les reconnaître.
Messieurs, ce qui vient
encore à l’appui de ce que j’ai l’honneur de dire, ce sont les derniers mots du
rapport : « S. M. appréciera leurs titres. » Ces mots ne s’appliquent
évidemment qu’aux individus qui, sans avoir des grades universitaires, avaient
été introduits, dans l’ordre judiciaire avant la promulgation de la loi du 4
août.
M. Gendebien. - J’ai demandé la parole pour
répondre à M. Rodenbach, qui a attaqué la suppression de la haute police par le
gouvernement provisoire dont j’ai eu
l’honneur ou le malheur de faire partie. Je m’applaudis d’avoir contribué à
cette mesure ; et si on proposait de rétablir la haute police, fidèle â mes
principes d’autrefois, je m’y opposerais. Je n’en dirai pas d’avantage, M de
Brouckere a suffisamment justifié la mesure du gouvernement provisoire.
M. A. Rodenbach. - Je n’ai pas fait
l’apologie de la haute police ; j’ai dit seulement qu’il y avait une lacune dans
nos lois, parce qu’à la haute police on n’avait rien substitué. Aussi
qu’arrive-t-il ? Les malfaiteurs, en sortant des prisons, se forment en bandes
et portent la terreur dans certaines contrées. En France, on a aussi supprimé
la haute police ; mais on a mis quelque chose en place. L’homme qui a subi sa
peine est soumis à des mesures qui assurent la tranquillité publique. Les vols
commis maintenant dans notre pays, sont presque toujours faits par des hommes
sortis des prisons. Je crois que le ministre de la justice devrait nous
présenter une loi sur cet objet.
M.
le ministre de la justice (M. Ernst). - J’ai demandé la parole pour
répondre à une interpellation que m’a adressée l’honorable préopinant. La haute
police n’a rien de commun avec la police politique ; elle n’est qu’un moyen
d’ordre. Sa suppression offre les plus grands inconvénients. Les autorités
administratives comme les autorités judiciaires dans toutes les provinces du
royaume déplorent cette suppression, et je suis résolu à présenter un projet de
loi pour suppléer à cette lacune dans la législation.
Comme
il faut être juste envers tout le monde, même envers les malfaiteurs, je dois
faire observer à un honorable membre (M. Desmet), que Cambier
n’a pas été condamné à mort pour crime d’assassinat, d’empoisonnement, ou
d’infanticide, mais comme coupable de tentative d’assassinat et de vol
accompagné de toutes les circonstances aggravantes. Il était, il est vrai,
accusé d’infanticide, d’empoisonnement et d’autres crimes encore ; mais ces
crimes n’ont pas été reconnus en justice.
Je
ne répondrai qu’un mot a l’honorable député de Mons, il pourra encore attribuer
à l’embarras le peu de prolixité de mon discours ; mais je veux bien lui
laisser cette petite satisfaction. En disant que je ne croyais pas devoir
défendre la chambre du reproche d’avoir violé la constitution par l’article de
la loi communale qui concerne les théâtres, je n’ai pas voulu me cacher
derrière la chambre. Je me fais honneur, au contraire, d’avoir soutenu cet
article de toutes mes forces, je crois avoir prouvé qu’il était aussi conforme
à la constitution qu’à l’intérêt général, et l’honorable membre ne m’a pas
répondu.
M.
Desmet. - J’avais dit que Cambier avait été
condamné pour assassinat et prévenu d’empoisonnement et d’infanticide ; je
m’étonne que M. le ministre dît que ce criminel avait été condamné pour
infanticide, et qu’il se sache pas qu’il a été condamné pour cet effroyable
assassinat qu’il avait commis dans la commune de Maeler
sur un célibataire, cultivateur de cette commune.
M.
Dumortier. - Je veux répondre quelques mots à M. le ministre des
affaires étrangères ; je crois qu’il n’est pas parvenu à réfuter les objections
que j’ai tirées de l’inconstitutionnalité.
Le gouvernement a-t-il
le droit d’accorder des dispenses ? Cette question n’est pas aussi futile qu’on
le pense. S’il restait investi de ce droit, peut-être le verrions-nous en
accorder dans l’exécution des lois communale et provinciale ; peut-être
verrions-nous deux frères siéger dans le même conseil ; le tout, parce qu’en
vertu de lois antérieures le roi Guillaume avait ce privilège.
Le
roi Guillaume pouvait donner des dispenses pour cause de parenté, dans la loi
communale vous n’avez pas abrogé cette disposition ; le gouvernement
pourra-t-il se croire encore revêtu du même pouvoir ? Cela du moins pourrait-il
entrer dans l’esprit d’aucun membre de cette assemblée ? La constitution a
anéanti le droit d’accorder des dispenses ; le congrès a évidemment voulu le
supprimer. C’est ce qu’il a fait par l’article 67 de la constitution : Le
gouvernement ne pourra accorder des dispenses que dans les cas où ce pouvoir
lui aura été conféré par une loi spéciale. En vain le ministre des affaires étrangères
viendra citer ces mots : « S. M. appréciera les titres. » Ces mots ne
signifieront rien près de la loi d’où découlent toutes les lois. Ces
expressions s’appliqueront à tous les cas, ne s’appliquent pas au cas spécial
indiqué par le ministre.
Je soutiens que la loi
sur l’organisation judiciaire a abrogé tout ce qui était relatif aux dispenses.
Par le fait seul qu’elle exigeait de nouvelles conditions elle mettait à néant
les anciennes conditions. Il n’est personne dans cette chambre, personne dans
le pays, qui puisse présumer que le droit d’accorder des dispenses existe
encore. Du reste, je suis satisfait d’apprendre que le gouvernement n’en
faisait plus usage.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Mon
honorable collègue le ministre des affaires étrangères me semble avoir épuisé
la question concernant les dispenses, je n’ai rien à ajouter à ce qu’il a dit.
Je ne me propose ici que de montrer les conséquences de la doctrine soutenue
par M. Dumortier ; si l’article 67 de la constitution devait être interprété
dans le sens qu’il lui donne les lois civiles qui autorisent à délivrer des
dispenses pour le mariage seraient abolies aussi.
Je dois ajouter que cet
honorable orateur a mal compris mes paroles quand il m’a supposé l’intention de
ne pas faire usage du droit d’accorder des dispenses.
M.
Gendebien. - Si les attentats contre les personnes et les propriétés se
multiplient, vous en trouverez la raison dans le manque de surveillance de la part
de la police. Depuis trois ans elle n’est employée qu’à la surveillance des
patriotes, qu’à rechercher et à incriminer les opinions ; et quand elle s’est
épuisée dans cette odieuse recherche, elle croit avoir tout fait. Tout homme
qui tient a ses opinions est cent fois plus criminel à
ses yeux que tous les forçats libérés dont on fait tant de bruit ici.
Le ministre de la
justice se félicite d’avoir coopérée à l’adoption de l’article sur la censure
des pièces de théâtre ; à la bonne heure ! Eh bien, moi, je me félicite d’avoir
combattu ce même article. Que l’on consulte l’opinion publique et l’on verra
quelle est la conduite qu’elle approuve, celle de mes adversaires ou la mienne.
Relativement au droit de
dispense, le ministre de la justice croit qu’en conséquence de la doctrine
émise par M. Dumortier, on ne pourrait plus donner de dispenses pour le
mariage, cas prévu par le code civil ; mais le ministre ne réfléchit pas que le
code n’a rien de commun avec la loi du 4 août 1832 qui n’a traité que de l’ordre
judiciaire et des dispenses y relatives ; ainsi son observation est oiseuse
tout au moins.
Je
sais bien que vous ne pouvez pas prouver a priori, par l’article 67, que le Roi
ne peut pas accorder des dispenses. Mais c’est sur la loi du 4 août 1832, citée
et commentée jusqu’à satiété que les divers orateurs se sont appuyés pour
démontrer l’inconstitutionnalité dans les nominations de parents dans un même
tribunal.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux).
- Je voulais dire seulement à l’assemblée en réponse à M. Gendebien que la
police ne s’occupe pas des opinions des personnes, mais des projets des actes,
voilà sa seule mission.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de
Muelenaere). - Il me semble que c’est souvent parce qu’on attache trop
d’importance à un mot, qu’on tombe dans des erreurs plus ou moins graves. C’est
ainsi qu’en abolissant la haute police, dont le nom est odieux, l’on a aboli
une partie fort utile de la police judiciaire, qui consiste dans le droit de
surveiller les condamnés qui ont subi leurs peines. L’on a aboli en même temps
la police judiciaire si je puis la qualifier ainsi.
Je conviens qu’à
l’époque où cette police à l’égard des condamnés libérés existait, il s’élevait
des réclamations contre la manière dont elle était exercée. Je conviens même
que beaucoup de personnes la considéraient alors plutôt comme vexatoire que
comme efficace. On n’en a senti les avantages que depuis la suppression, et
tout le monde semble comprendre aujourd’hui la nécessité d’avoir quelque
nouvelle disposition sur cette matière.
Pour ce qui me concerne,
il me semble incontestable que c’est au défaut de surveillance des forçats
libérés que l’on doit attribuer la multiplicité des délits et des crimes qui se
commettent dans le pays.
On
a beaucoup parlé de la censure. Vous vous rappelez tous que dans la discussion
ou il s’est agi de dispositions relatives aux représentations théâtrales, il a
été prouvé jusqu’à l’évidence que ces dispositions n’avaient rien de commun
avec la censure proscrite par la constitution, que ce n’était là qu’une mesure
de police et de bon ordre.
A cet égard on vous a
dit qu’il résultait des manifestations qui ont eu lieu dans quelques localités,
je dirai plutôt dans quelques salles de spectacle, que le ministère avait perdu
la confiance du pays, que le peuple belge avait hautement improuvé ces mesures.
Il m’a toujours paru que
le vote des chambres, seuls organes légaux du peuple qu’elle
représentent, qui devait éclairer le ministère sur sa position, et lui
apprendre s’il conservait encore, ou s’il avait perdu la confiance du pays.
Pour ma part, je n’ai jamais cru que ce fût dans une salle de spectacle que le
ministère dût aller chercher cette preuve.
M.
Gendebien. - Je trouve fort étrange que le ministère forcé de garder le
silence sur les accusations que j’ai établies, vienne à la fin d’une séance et
pour se donner l’occasion d’une réponse facile, forcer les paroles d’un orateur
et lui prêter des choses qu’il n’a pas dites. Je n’ai pas dit que l’on avait
acquis au-dehors la preuve que le ministère avait perdu la confiance de la
chambre.
J’ai dit que puisque le
ministre de la justice se félicitait d’avoir concouru à un acte qui viole la constitution,
je pouvais me féliciter de mon côté d’avoir combattu cet acte flétri par
l’opinion désapprobative de toute
Si
cependant plusieurs jours après l’adoption de la censure sur les théâtres les
salles de spectacles ont été remplies, cela prouve bien
l’impopularité que cette mesure a attirée sur la tête des ministres ; cette
preuve là en valait bien une autre. Quand vous en viendrez au second vote, nous
verrons si le ministère pourra prouver qu’il n’a pas violé la constitution. Je
ne lui ai pas répondu, dit-il : je suis prêt, dès ce moment, à lui fournir la
preuve qu’il a violé la constitution. Mais il ne s’était pas élevé de
discussion cet égard, je n’avais pas cru devoir entamer cette question qui
avait été et qui sera bientôt encore traitée avec tous les développements dont
elle est susceptible.
M.
F. de Mérode. - Il est très vrai que les salles de spectacles ont été
remplies d’une foule considérable après le vote de la chambre. Mais je ne suis
nullement persuadé que la grande majorité des personnes qui étaient au
spectacle aient pris part aux cris ridicules et aux scandaleuses huées dont on
a accueilli les noms de quelques membres de cette assemblée. La plupart des
spectateurs rougissaient d’une pareille conduite. Je ne regarde pas comme
peuple les piliers du parterre, je ne considère pas comme l’expression de
l’opinion générale le tapage que font les habitués qui se prononcent pour tel
auteur ou telle actrice. (On rit.) Ce
ne sont pas là, selon moi, les représentations du peuple.
- La clôture de la
discussion générale est demandée. La chambre n’est plus en nombre pour
délibérer.
La séance est levée à 5
heures.