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Chambre des représentants de Belgique
Séance du jeudi 10 juillet 1834
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre, notamment plainte relative à une expropriation pour la construction du chemin de fer (Liedts (rapporteur), Rogier, d’Huart, Rogier, (+mise en accusation du ministre) Dumortier, Jullien, Rogier, de Muelenaere, d’Huart, Rogier, de Renesse, Jullien)
2) Projet de loi relatif à l’organisation des communes. Discussion des articles. incompatibilités relatives au mandat de conseiller communal, notamment les fonctions de ministre du culte (A. Rodenbach, d’Hoffschmidt, de Foere, Dumortier, Pirson, Dubus, d’Huart, F. de Mérode, Rogier, Dumortier, Jullien, Dumortier) et celle de commissaires d’arrondissement et de leurs employés (Dubois, de Theux)
3)
Proposition de loi fixant les droits sur les céréales (essentiellement le
froment et le seigle) (Eloy de Burdinne, Meeus,
Milcamps, Lardinois, Helias d’Huddeghem)
(Moniteur
belge n°193, du 11 juillet 1834)
(Présidence de M.
Raikem)
M. de Renesse
procède à l’appel nominal à midi et demi.
M. H.
Dellafaille donne lecture du procès-verbal ; la rédaction en est
adoptée.
M. de Renesse
fait connaître l’objet des pièces adressés à la
chambre.
PIECES ADRESSEES A
« Plusieurs habitants de Tervueren s’adressent à la chambre afin d’être déchargés
des logements militaires. »
________________
« L’administration communale et les ghabitants notables des communes de Morlé
et thismes (Namur) demandent que la chambre
intervienne pour faire cesser leurs logements militaires et caserner les
troupes dans les villes. »
________________
- Ces deux pétitions sont renvoyées à la
commission chargée de l’examen des pétitions.
________________
« Plusieurs notaires demandent le rapport
de la loi du 25 ventôse an X, sur le notariat. »
________________
« Les bourgmestres des communes composant
le canton de Quévaucamps (Ath) réclament contre le
projet de transporter le chef-lieu de ce canton dans la commune de
Bel-Œil. »
- Renvoyées à la commission chargée de l’examen
du projet de loi sur les circonscriptions judiciaires.
« Le baron de Poederlé,
propriétaire, domicilié à Bruxelles, se plaint de la violation de l’article 11
de la constitution, en ce que par ordre du ministre de l’intérieur, une partie
de sa propriété a été envahie pour la construction du chemin de fer, sans qu’il
ait reçu une juste et préalable indemnité. »
M. Liedts.
- Parmi les pétitions dont on vient de vous faire connaître analytiquement
l’objet, je viens d’en remarquer une d’une propriétaire dont la propriété doit
être traversée par le chemin de fer, et qui se plaint des moyens violents que
l’on veut employer pour le déposséder. Personne ne peut être privé de sa
propriété sans une juste et préalable indemnité. Si les faits cités sont
exacts, ils sont très graves. Dans une circonstance semblable on peut bien
passer par-dessus les formes ordinaires ; je proposerai de renvoyer la pétition
directement à M. le ministre de l'intérieur. Sans respect pour les lois et pour
l’article 11 de la constitution, on se serait emparé d’un terrain par où doit
passer le chemin de fer ; on se serait dispensé d’un jugement provisoire avant
de disposer de la propriété. Attendu la gravité de ces allégations, je demande
que la pétition soit renvoyée au ministre de l’intérieur.
M. le président.
donne ici lecture de la pétition.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Messieurs, je demande moi-même le
renvoi de la pétition au ministre de l’intérieur. Le fait énoncé par le
propriétaire m’est tout à fait inconnu. Je n’ai point appris qu’on se soit
emparé de vive-force d’un terrain de quatre bonniers ni d’aucun autre terrain.
Je serai toujours le premier à appeler toute
publicité sur les actes de l’administration pour ce qui concerne le chemin de
fer ; je serai toujours le premier à appeler le contrôle de la chambre sur ces
actes. Depuis que les travaux relatifs au chemin de fer sont commencés,
différentes absurdités ont été publiées par les feuilles ; le gouvernement n’a
pas cru devoir y répondre d’une manière officielle ; mais quand des accusations
viennent devant la chambre, le gouvernement s’empressera de justifier ses actes
s’ils sont justifiables, ou de les réparer si des abus ont été commis par ses
agents.
M. le
président. - On demande le renvoi de la pétition au ministre de
l’intérieur.
M. Dumortier.
- Avec demande d’explications.
M. d’Huart. - Il s’agit d’une question sur un objet des
plus importants ; il s’agit de la violation du droit de propriété. Si les faits
sont vrais, on a lacéré l’article 11 de la constitution. Il faut que la chambre
montre toute sa sollicitude pour la conservation de la loi fondamentale, il
faut qu’elle demande des explications au ministre dans le plus bref délai, afin
de savoir quelles mesures elle doit prendre dans l’intérêt de la constitution
et dans l’intérêt de la dignité du pays.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Je ne sais quelle mesure la chambre
pourrait prendre dans l’intérêt de la dignité du pays. Je ne m’oppose pas au
renvoi de la pétition au ministre ; mais je m’oppose à ce que des explications
soient demandées dans le plus bref délai possible. Il se peut que le réclamant
soit dans l’erreur ; cependant le bref délai serait préjuger contre les actes
de l’administration.
Je demande le renvoi simple. Je ferai observer
que s’il y a violation de la propriété, les tribunaux sont là pour juger le
fait, et poursuivre les violateurs d’un droit constitutionnel. Les tribunaux
même sont, dit-on, déjà saisis de la question, de manière qu’il n’y a rien de
très urgent à obtenir des explications. D’ailleurs je les donnerai le plus tôt
possible.
M. Dumortier.
- J’appuie pour mon compte et de tous mes moyens la proposition de M. d’Huart.
Il est vrai qu’elle n’est pas conforme à ce qui se pratique ordinairement en
matière de pétitions ; il est très vrai aussi que la pétition repose sur un
fait extraordinaire. En effet, on vous signale une des violations les plus
graves que l’on puisse commettre contre l’ordre social et contre la
constitution. Le ministre nous dit ne pas savoir ce que la chambre peut faire
en pareil cas ; eh bien, il faut le lui apprendre ; en pareil cas on peut mettre
les ministres en accusation.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Mettez ! mettez
!
M. Dumortier.
- Voilà ce que l’on ferait en Angleterre et voilà ce que notre devoir nous
dicterait de faire.
Il ne faut pas qu’on s’y trompe : la liberté
individuelle, le respect des propriétés, la liberté de la presse, la liberté
des cultes, toutes les libertés se tiennent par la main. Si vous permettez une
fois que l’une soit violée, vous devez vous attendre à la violation de toutes
les autres. Je m’étonne que le ministre qui appelle lui-même le contrôle de la
chambre sur les actes de l’administration, qui vient de vous dire qu’il est
satisfait de voir la publicité s’étendre sur toutes les opérations relatives au
chemin de fer, sur tous les travaux qui grèveront si fort le trésor public, je
m’étonne qu’après s’être expliqué de la sorte, il s’oppose aux explications
dans le plus bref délai possible.
On objecte : Mais ordinairement cela
ne se fait pas ; on renvoie les pétitions au ministre qui fait ensuite un
rapport. Messieurs, vous ne devez pas ignorer que lorsque vous renvoyez les
pétitions aux ministres avec demande d’explications, il s’écoule cinq ou six
mois avant d’obtenir réponse ;. voilà
pourquoi j’appuie la proposition de M. d’Huart : il ne faut pas que de
nouvelles violations de propriété aient lieu envers d’autres citoyens. Le
ministre ayant promis promptement un rapport, il est donc disposé à satisfaire
la chambre.
M. Jullien. -
Si j’ai demandé la parole, c’est pour rectifier les idées du ministre sur les
pouvoirs de la chambre. Il a semblé dire que le propriétaire devait s’adresser
aux tribunaux, comme s’il déclinait l’autorité de la chambre ; il ne nous
appartient pas seulement de faire des lois ; il nous appartient encore de
surveiller leur exécution : il n’y a même que le pouvoir législatif qui ait le
droit de surveiller l’exécution des lois lorsque le pouvoir exécutif s’en
écarte ; c’est là un principe de droit public, c’est pourquoi la constitution
nous a donné le droit d’enquête. Eclairés par les enquêtes, c’est à nous à
ramener le pouvoir exécutif à l’exécution des lois. Or, il n’y a pas de
violation plus flagrante des lois que d’être dépouillé de sa propriété sans
indemnité. Nous demandons des explications, pourquoi ? C’est parce qu’il paraît
que d’autres propriétaires seront dans le même cas que celui dont la plainte
nous est parvenues.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - C’est tout à fait inexact.
M. Jullien. -
Je tiens mes renseignements d’une personne qui appartient à la chambre, et à la
véracité de laquelle je crois autant qu’à celle du ministre, sans lui faire
injure. Si les propriétaires sont dépouillés violemment, il faut que les agents
de l’administration n’aient pas reçu d’instructions ou qu’ils en aient reçu de
très mauvaises. Le chemin de fer est une superbe entreprise ; mais il faut
l’exécuter en respectant les lois. La demande d’une explication prompte est
tout à fait justifiée par les motifs exposés par les préopinants et par les
motifs que moi-même j’expose.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Ayant dit que je donnerais des
explications dans le plus bref délai, il me semblait que tout devait être
terminé par là. Si l’on insistait sur le reproche préalable à toute
investigation, sur cette prévention contre le ministre, je ne me croirais pas
lié par la promesse que j’ai faite. La formule adoptée pour demander des
explications est celle qui est mise en usage par la chambre. La chambre doit,
dans cette circonstance comme dans toute autre, compter sur ma promesse ; je
serai toujours prêt à soumettre aux chambres tous les actes de mon
administration et notamment ceux qui concernent le chemin en fer. J’y suis
d’autant plus intéressé que les adversaires de cette entreprise nationale ne
manqueront pas d’en entraver l’exécution par tous les moyens possibles.
J’appelle le contrôle de la chambre, mais sans partialité et sans
précipitation. La plainte a d’autant plus lieu de me surprendre qu’aucune
propriété n’a donné lieu jusqu’ici à une difficulté sérieuse, et que tout s’est
fait à l’amiable et sans opposition.
C’est pour répondre à une confidence qu’avait
reçue M. Jullien d’un de ses collègues, que je donne ces éclaircissements. Ma
réponse s’adresse et à M. Jullien et à son collègue.
M. de Muelenaere.
- Messieurs, je crois que la discussion actuelle est oiseuse, et je vous avoue
que c’est avec peine que j’entends parler d’accusation. En effet, de quoi
s’agit-il ? Un habitant de Bruxelles se plaint d’une atteinte portée à sa
propriété et signale une violation à l’article 11 de la constitution : M. le
ministre présent à la séance déclare qu’il n’a aucune connaissance du fait, et
que si une atteinte avait été portée à la propriété d’un particulier, si on
avait violé la constitution, ce ne pouvait être que de la part d’un agent
inférieur de l’administration, et qu’il se ferait un devoir de redresser
l’erreur ou l’abus.
Il me semble messieurs, qu’il ne peut être
question ici d’accusation, les ministres ne peuvent devenir responsables d’un
fait commis par un de leurs agents inférieurs à leur insu ; tout ce qu’on peut
exiger d’eux c’est qu’ils fassent redresser l’erreur ou l’abus.
Lorsqu’on a proposé le renvoi au
ministre de l’intérieur avec demande d’explications, M. le ministre a dit qu’il
ne s’opposait pas à ce renvoi, et qu’il prenait l’engagement de donner des
explications dans le plus bref délai possible, c’est-à-dire dans le délai
nécessaire pour prendre les renseignements qui doivent être pris afin que le
ministre lui-même s’éclaire ; c’est seulement lorsqu’il aura ces renseignements
que M. le ministre pourra donner des explications.
Je le répète, la discussion actuelle n’a aucun
but.
M. d’Huart. - Lorsque j’ai demandé le renvoi de la
pétition avec des explications dans le plus bref délai possible, je vous prie
de remarquer, messieurs, que M. le ministre de l’intérieur n’avait pas dit un
seul mot sur la prompte réponse dont on vient de parler. Il s’était exprimé sur
la pétition avec une sorte d’indifférence et en avait parlé à la chambre comme
d’une chose ordinaire, très simple et semblable au cas que présentent les
pétitions qui nous sont lues tous les jours. Voilà pourquoi j’ai demandé des
explications dans un bref délai.
Maintenant, puisque M. le ministre déclare
qu’il donnera des explications dans le plus bref délai possible, je ne suis pas
assez absurde pour réclamer ce que le ministre demande lui-même. Je répondrai à
M. de Muelenaere que personne n’a demandé d’accusation pour le cas dont il
s’agit ; l’honorable M. Dumortier, en répondant à M. le ministre de l'intérieur
qui semblait en quelque sorte braver la chambre, a dit : Voilà ce que la
chambre pourrait faire dans ce cas-là. L’honorable M. Jullien a dit ensuite
qu’on pourrait faire une enquête ; mais une accusation n’est entrée dans la
tête de personne.
M. le ministre a parlé d’adversaires du chemin de fer : si M. le
ministre pense que c’est parce que je suis un adversaire du chemin de fer que
j’ai parlé en faveur de la pétition, il se trompe. Je ne vois ici que la
constitution, et chaque fois qu’il sera question de l’enfreindre, je
m’efforcerai de la maintenir dans toute son intégrité.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Je ne m’adressais pas à
l’honorable M. d’Huart.
M. de Renesse.
- Je dois dire que des propriétaires de Malines se proposent d’assigner en
justice le gouvernement, pour les mêmes faits qui ont été signalés dans la
pétition.
M. Jullien. -
Ce que vient de dire M. de Renesse prouve l’urgence des explications, et répond
aux insinuations auxquelles M. le ministre de l’intérieur s’est livré au sujet
des renseignements dont j’ai parlé moi-même. (Aux voix ! aux voix !)
- La pétition est renvoyée à M. le ministre de l'intérieur avec demande
d’explications.
Discussion des articles
Titre I. - Du corps
communal
Chapitre 1er. - De la
composition du corps communal et de la durée des fonctions de ses membres
Section 1ère. De la
composition du corps communal
Article 6
M. le président.
- La délibération est repris sur l’article 6.
« Art. 6 (du projet du gouvernement). Ne
peuvent faire partie des conseils municipaux :
« 1° Les gouverneurs de province ;
« 2° Les membres de la députation
permanente du conseil provincial ;
« 3° Les secrétaires-généraux des gouvernements
provinciaux ;
«4° Les commissaires de district et de milice ;
« 5° Les employés salariés par la commune
;
« 6° Les commissaires et agents de police et de
la force publique. »
« Art. 6 (du projet de la section centrale). Ne
peuvent faire partie des conseils de régence :
« 1° Les gouverneurs de province ;
« 2° Les membres de la députation
permanente du conseil provincial ;
« 3° Les greffiers provinciaux ;
« 4° Les commissaires de district et de
milice ;
« 5°
Les militaires et employés militaires appartenant à l’armée de ligne en
activité de service ou en disponibilité ;
« 6° Les employés salariés par la commune
ou par les administrations dépendantes de la commune ;
« 7° Les commissaires et agents de police et de
la force publique. »
Voici les amendements qui sont proposés sur cet
article :
Amendement de M. F. de Mérode : « Les
ministres des cultes rétribués par l’Etat ou la commune en en fonctions dans la
commune. »
M. d’Hoffschmidt propose d’ajouter, aux incompatibilités
énumérées à l’article 6 le numéro suivant : « 5° Les ministres des
cultes. »
M. d’Huart propose le sous-amendement suivant :
« Les ministres des cultes en fonctions dans la commune. »
M. A. Rodenbach.
- Messieurs, je repousserai tous les amendements qui ont été présentés dans la
séance d’hier, relativement à l’exclusion des ministres des cultes du conseil
communal. J’excepte toutefois l’amendement de M. le ministre de l'intérieur.
Dans cet amendement ce n’est pas le prêtre que M. le ministre exclut, mais
l’homme salarié par la commune.
On a dit, dans la séance d’hier, que puisque
les ecclésiastiques ne font pas partie de la milice, de la garde civique, on
peut avec autant de raison les exclure du conseil communal. Messieurs, si
c’était un service actif que d’être membre du conseil de la commune, je conçois
que si les ministres des cultes ont des privilèges, il soit prononcé contre eux
certaines exclusions.
Je conçois qu’on ne les considère pas comme des
citoyens ordinaires, et qu’on les exclue comme bourgmestre et comme échevins,
parce qu’il s’agit là d’un service actif incompatible avec le caractère
d’ecclésiastique.
Je conçois encore qu’on prononce contre les
membres du clergé l’exclusion des fonctions de gouverneur de province ; mais
c’est justement parce que vous prononcez contre ces exclusions, qu’ils ont
quelques privilèges dans l’intérêt même de la liberté des cultes.
Je crois qu’il est rationnel que les ministres
des cultes puissent faire partie du conseil de la commune.
Je suis, messieurs, assez partisan des faits :
le gouvernement provisoire a fortement protégé les libertés, il n’a point voulu
de l’exclusion des prêtres du conseil communal. Eh bien, les ministres des
cultes n’ont point voulu entrer dans le conseil municipal ; on assure que les
évêques leur ont donné l’ordre de ne pas accepter les fonctions qui leur
seraient offertes, et des prêtres sentaient leur position délicate dans le sein
du conseil.
Ainsi, lorsque l’on parle ici d’exclusions, je
ne le conçois pas, puisqu’on ne peut craindre l’abus, puisque les membres du
clergé ne veulent pas accepter les fonctions de conseillers communaux. C’est
donc, ainsi qu’on l’a dit, une injure gratuite que l’on prête aux prêtres. Il
faut des faits pour motiver l’exclusion que l’on demande, et il n’y en a pas
ici.
Nous devons être conséquents en tout ; nous
admettons des membres du clergé dans cette chambre, et ils peuvent y voter des
80, des 100 millions ; nous les admettons dans les conseils provinciaux où ils
votent aussi des millions, et quand il s’agit des conseils communaux, où ils
n’auraient qu’à voter sur des sommes beaucoup moindres, sur des sommes qui ne
s’élèveraient pas à plus de 100,000 fr., vous prononcez contre eux une
exclusion. N’y a-t-il pas là une inconséquence, d’après ce que vous avez décidé
? Je ne soutiens pas qu’il faut que les prêtres
siègent au conseil communal, mais je soutiens en principe qu’ils doivent
pouvoir être choisis pour y siéger.
On parle du droit canon qui s’oppose, dit-on, à
ce que les prêtres fassent partie du conseil municipal : messieurs, ce n’est
pas à nous à interpréter le droit canon, c’est aux prêtres à savoir quelles
fonctions ils peuvent accepter. L’interprétation du droit canon appartient aux
évêques, il n’est pas de notre compétence ; nous ne devons rien connaître en
matière religieuse.
On a dit que ce serait une économie, si les
curés étaient bourgmestres, si les évêques étaient gouverneurs, et si les
archevêques étaient ministres ; c’est là, messieurs, une plaisanterie qu’il est
inutile de réfuter.
Quant au parallèle du clergé de France et du
clergé belge, on a dit qu’en France, avant la révolution de juillet, les
membres du clergé s’étaient associés avec le pouvoir, avec un gouvernement
cagot pour détruire toutes les libertés du pays.
En France, messieurs, les prêtres carlistes ont
effectivement voulu anéantir la liberté de la presse et les autres libertés ;
mais, en Belgique, les prêtres les ont toutes acceptées.
Ils ont
demandé le jury, la liberté provinciale et communale, un cens électoral peu
élevé ; en France, les membres du clergé ont repoussé ces institutions et en
cela les prêtres carlistes ont été d’accord avec les orangistes.
Je le répète, les prêtres ont voulu toutes nos
institutions libérales, et je rappellerai que dans le congrès il y a eu des
ministres du culte qui ont voté la constitution.
Je
voterai seulement pour l’amendement de M. le ministre de l’intérieur.
M. d’Hoffschmidt. - Le principal argument que
l’honorable M. Dubus a fait valoir contre l’amendement que j’ai eu l’honneur de
proposer, c’est que, dans l’état de notre législation, les ministres du culte,
éligibles au conseil communal, ne font pas usage de la faculté qui leur est
accordée de siéger dans ce conseil.
Mais, messieurs, la raison en est très simple.
Lorsque les habitants ont été appelés à élire
les chefs de l’administration communale, ils ne pouvaient pas supposer que les
ministres des cultes pussent être élus membres du conseil communal, car on n’en
avait jamais vu faire partie de ces conseils.
Je sens qu’on me répondra que si les habitants
ignoraient que les ministres du culte fussent aptes à faire partie du conseil,
ceux-ci le sauraient et auraient eu soin de l’apprendre aux électeurs dont ils
auraient voulu obtenir les suffrages. Mais vous savez tous que les ministres du
culte ont un esprit de corps et beaucoup de tactique.
Ils ont senti qu’il y aurait une loi communale,
qu’ils devaient s’abstenir de paraître dans les conseils avant que la loi fût votée
pour ne pas, par trop de précipitation, éveiller l’attention sur l’influence
qu’ils peuvent exercer et se nuire ainsi pour l’avenir. Voilà, selon moi, les
raisons pour lesquelles on voit fort peu de ministres du culte faire partie des
conseils communaux.
Si plus tard, dit l’honorable M. Dubus, on
s’aperçoit de quelques abus, le législateur pourra y porter remède. Cet
argument, selon moi, ne signifie pas grand-chose. Vous savez que pour rapporter
une disposition d’une loi, il faut le concours des trois branches du pouvoir
législatif, et il suffit de l’opposition d’une seule branche pour empêcher
qu’un article soit rapporté.
Voici un autre argument présenté par
l’honorable député auquel je réponds. Tout amendement, dit-il, tendant à
établir une exclusion que le gouvernement provisoire n’a pas cru devoir
prononcer contre les ministres des cultes est une injustice et une injure. Et
en effet, l’arrêté du gouvernement provisoire n’a pas établi d’incompatibilité
entre les fonctions de ministre du culte et celles de membre du conseil
municipal. Mais alors tous les citoyens étaient admis, aucun n’était excepté.
Aujourd’hui de nombreuses incompatibilités ont été prononcées. Pourquoi ne pas
ranger parmi ces incompatibilités des ministres du culte, par les raisons que
j’ai exposées hier ?
Où est, je vous le demande, l’injustice qu’on
peut trouver dans cette incompatibilité ? Pourquoi y aurait-il plus d’injustice
à la prononcer à l’égard des ministres des cultes qu’à l’égard de tant d’autres
citoyens ? L’honorable M. Dubus trouve aussi que l’exclusion est injurieuse
pour les ministres du culte ; c’est pour ce motif seul qu’il s’y oppose. En
quoi serait-elle injurieuse ? L’est-elle pour les greffiers des conseils
provinciaux, pour les militaires appartenant à l’armée ? L’est-elle pour les
employés salariés par la commune et pour tous les fonctionnaires exclus jusqu’à
présent ? Cette exclusion n’est pas plus injurieuse pour une catégorie de
citoyens que pour l’autre. S’il y a injure, c’est quand, sur la proposition de
M. Dubus, vous excluez les citoyens qui ne paient pas le cens, sous prétexte
qu’ils sont des fauteurs de désordres. Voilà où je vois l’injure.
L’honorable membre, en commençant, s’est armé
de l’ironie pour me répondre. Je conçois la chaleur avec laquelle il combattait
mon amendement ; mais je lui demanderai s’il croit que le saint zèle qui
l’anime l’autorise à dénaturer les expressions de celui à qui il répond (hilarité). C’est cependant ce qu’a fait
l’honorable M. Dubus. Vous vous
rappelez que, dans la séance d’hier, j’ai dit que si un ministre du culte
faisait partie du conseil, la discussion n’y serait plus libre parce que son
caractère l’entourait de trop de respect pour que ses collègues osent le
contredire quand ils ne partagent pas son opinion.
J’ai cité un exemple ; j’ai parlé d’un conseil,
unanime pour prendre une résolution, qui, à l’arrivée du curé et sur sa
proposition adopta une résolution contraire sans lui opposer une seule
objection. J’ai ajouté que ce curé était aimé et qu’il avait de l’influence.
J’ai ajouté cela parce que je n’ai pas voulu dire par là que tous les ministres
du culte avaient de l’influence, car il y en a qui se conduisent si mal qu’ils
ne peuvent en avoir aucune.
L’honorable membre m’a fait dire, dans sa
bienveillance, que le curé avait eu le tort d’employer des arguments auxquels
on ne pouvait répondre, d’être un homme judicieux usant d’arguments solides,
difficiles à réfuter et rendant à tout le monde des services qui le faisaient
aimer.
Vous avouerez qu’il faut qu’il soit bien dénué
de raisonnement pour employer de pareils moyens pour combattre mon amendement.
Ce qui m’a surtout étonné, c’est qu’il a dit qu’on redoutait les lumières des
ministres des cultes. Ce que nous redoutons, messieurs, c’est l’influence du
confessionnal, l’influence de la chaire d’où ces ministres lancent l’anathème.
L’honorable député auquel je réponds
a dit que si nous redoutions l’influence du curé, nous devrions craindre
également celle du riche propriétaire. Mais l’influence que le grand
propriétaire exerce est d’une tout autre nature que celle du curé. Cette
influence il ne l’obtient que par sa capacité et le bien réel qu’il fait ; il
l’a encore à raison des grandes propriétés qu’il possède. S’il est propriétaire
du quart, du tiers ou quelquefois de la moitié des biens situés sur la commune,
les charges de la commune l’intéressent en raison de ces propriétés, et quand
il s’agit de les voter, son opinion doit être de quelque poids. Il n’y a donc
aucune analogie entre cette influence et celle que nous craignons de la part
des prêtres.
Il y aurait bien d’autres arguments à
présenter, mais je n’ai guère l’espoir de voir adopter mon amendement ; je
crois que la majorité s’est formée à cet égard ; je me rallierai cependant à
celui de l’honorable M. de Mérode.
M. de Foere.
- Messieurs, si dans ces débats je prends la parole, ce n’est pas que je sois
personnellement intéressé dans la question, je ne suis salarié ni par l’Etat,
ni par la province, ni par la commune. Ce n’est pas non plus pour réclamer un
privilège en faveur de telle ou telle classe de la société, car je suis ennemi
de tous les privilèges ; mais aussi, par la même raison que je repousse tout
privilège, je repousse également toutes les exclusions. Aussi longtemps que j’aurai
l’honneur de siéger dans cette chambre, je ferai tous mes efforts pour que la
liberté ne soit exploitée par aucun parti, pour qu’aucun parti ne parvienne à
établir dans le pays des privilèges, des catégories, des exclusions, de
l’ilotisme.
Cette déclaration franche et nette répond déjà
à une réticence très significative dont s’est servi hier l’honorable député de
Bastogne, lorsqu’il a dit qu’il ne s’attendait pas à l’adoption de son
amendement et que chacun de nous savait pourquoi. Ce pourquoi, messieurs, est
dans la déclaration que je viens de faire. Mes honorables amis et moi nous ne
voulons de privilèges pour aucune classe de citoyens, ni pour aucun individu ;
mais aussi nous ne voulons pas d’exclusions injurieuses. Nous voulons que la
loi soit juste en tout et envers tous.
Le même honorable député dit que les ministres
des cultes étaient déjà privilégiés sous plusieurs rapports. Si, avant d’user
du terme privilège, l’honorable membre avait ouvert un livre de droit et médité
pendant quelques instants, sur la définition du privilège et sur celle
d’incompatibilité, il se serait bien gardé de confondre une incompatibilité
admise par la législature avec un privilège.
Une incompatibilité légale n’est pas un
privilège. Si la loi admet l’incompatibilité de telle classe d’individus et que
cette classe soit exemptée de telle ou telle charge, ce n’est pas par privilège
pour cette classe qu’on l’exempte ; c’est parce que la législature a cru que,
dans l’intérêt de l’Etat, deux fonctions ou deux charges ne pouvaient être
exercées concurremment et que, dans ce même intérêt, l’exemption était
préférable.
Le même honorable membre, répondant à un
honorable député de Tournay, vient de soutenir encore dans la section actuelle
que l’exclusion qu’il nous propose ne serait pas une injure. Messieurs, toute
exclusion est injurieuse là où il n’y a pas incompatibilité. Elle cesse de
l’être quand il y a incompatibilité ; c’est ce que notre honorable adversaire
ne cherche pas même à prouver. Son assertion reste donc gratuite et la proposition
que nous soutenons demeure intacte.
Cependant le même député avait cité hier un cas
particulier pour prouver cette incompatibilité. Messieurs, il n’est aucun
membre dans cette chambre qui ne sache que les lois ne sont pas fondées sur des
exceptions, sur des faits particuliers, mais sur des faits généraux, sur des
faits qui se reproduisent tous les jours ou du moins souvent. Le fait allégué a
été bien jugé par l’honorable M. Dubus ; mais il serait vrai, il ne prouverait
rien, parce que, comme je viens de vous le dire, les lois ne se fondent pas sur
des exceptions, sur des faits particuliers. Ce sont des faits généraux qui
servent de base à la législation.
Il vient de nous révéler un autre fait : un
grand nombre de ministres des cultes se conduiraient de telle manière qu’ils
n’exercent aucune influence. Si le fait est vrai, pourquoi les craint-il dans
les élections communales ? Dans ce cas ils seront mieux exclus par leur
mauvaise conduite que par son amendement. Ils se trouveront, dans ce cas, sur la
même ligne que les autres éligibles qui, par leur mauvaise conduite, ne
méritent pas la confiance des électeurs. Et si quelques membres du clergé ne
méritent pas, selon lui, d’être élus conseillers communaux, pourquoi
voudrait-il exclure les autres qui, selon lui encore, le mériteraient ; car,
par la position de son objection, il n’y aurait qu’une partie du clergé qui ne
serait pas digne de l’élection.
L’honorable M. Jullien a débuté par dire qu’il
allait prendre la défense des intérêts sacerdotaux. Cette déclaration de mon
collègue de Bruges m’a, je l’avoue, agréablement surpris. (Hilarité.)
A côté de cette surprise, j’en ai éprouvé une
autre : je ne concevais pas que quand il ne s’agissait que d’intérêts
communaux, M. Jullien pût parler en faveur des intérêts sacerdotaux. Enfin j’ai
éprouvé une troisième surprise : M. Jullien, dans une séance précédente et en
opposition aux capucins et aux jésuites, a bien voulu admettre que les membres
du clergé séculier étaient des ministres de paix et de concorde. Maintenant, il
les représente sous des couleurs bien différentes. Je concevrais que M. Jullien
eût voulu exclure des conseils communaux les capucins, voire même les jésuites.
Dans ce cas, il aurait été conséquent avec lui-même. Mais vouloir exclure
aujourd’hui des hommes qu’il avait dépeints comme des ministres de paix, comme
des ministres de concorde, c’est être en contradiction avec soi-même. Cette
contradiction devient plus saillante, lorsque l’honorable membre cherche à
justifier son exclusion par le motif que ces mêmes ministres, qui dans son
opinion étaient des hommes de paix et de concorde, sont aujourd’hui, selon lui,
des agents de désordre. Ils sont tout à coup transformés en artisans de
troubles ; selon lui, ils domineront les bourgmestres ; ils attireront sur eux
tout le pouvoir communal ; ils sèmeront dans la commune la division.
Ce sont là, messieurs, des lieux communs ;
disons mieux, des banalités qui datent de 93, et qui n’ont survécu à cette
époque si honteuse pour que dans l’esprit de ceux qui n’ont rien compris aux
immenses progrès qu’a faits depuis la civilisation européenne en justice, en
tolérance, en paix, en concorde et en fraternité.
Le projet de notre constitution était à peine
connu que certain parti déclamait dans le même sens. Le clergé allait tout
envahir, tout dominer, tout usurper. La constitution est mise à exécution
depuis trois années. Quand on demande à ce même parti : Où sont maintenant ces
envahissements, cette domination, ces usurpations ? Il n’a aucun fait à
produire pour justifier ses sinistres prédictions. Le clergé est resté dans
l’ordre ; il n’a pas même tenté de rien envahir. Comme toute autre classe de la
société, il a observé et respecté la constitution et les lois du pays.
Sur quels motifs pourrait-on sainement fonder aujourd’hui
des soupçons aussi contraires à l’honneur et aux vrais intérêts du clergé
belge, alors que l’histoire atteste qu’il a été toujours l’ami du peuple, que
toujours il a été le protecteur de ses libertés et de ses intérêts, que
toujours il s’est opposé aux entreprises du pouvoir, à l’oppression de la
richesse et de la puissance ? C’est un fait constant, c’est un fait qui résulte
de l’examen de nos annales. Je ne conçois donc pas que dans les temps actuels
les accusations de M. Jullien puissent transformer le clergé en brandon
perpétuel de discorde et de désunion ou en usurpateur du pouvoir.
La religion, a-t-il dit encore, n’a jamais été
menacée que par les entreprises audacieuses de ses ministres. Cette accusation
est encore purement gratuite, pour ne dire rien de plus. Le clergé a exercé une
influence tout à fait contraire, et c’était sa mission et son devoir. Je ne
rétorquerai pas l’assertion de mon adversaire par une récrimination.
Je pourrais dire avec plus de raison que la
religion et les Etats n’ont jamais été plus menacés que par les entreprises
audacieuses des avocats. (Hilarité.)
Chacun de nous défendrait ses assertions contradictoires, et la discussion se
prolongerait sans en obtenir aucun résultat, je n’entrerai pas non plus dans
une discussion historique sur ce point ; elle nous mènerait trop loin.
Je me bornerai à protester hautement contre les
accusations de mon honorable collègue de Bruges, persuadé d’ailleurs que
l’esprit du siècle fera justice de toutes ces accusations intolérantes et calomnieuses.
L’honorable M. Jullien a dit que les membres du
clergé étaient des citoyens sui generis,
des hommes d’une espèce particulière.
La raison qu’il a donnée à l’appui de cette
singulière opinion est que les prêtres catholiques sont soumis à une influence
étrangère, à la puissance de Rome.
Je ne répondrai que par l’article 16 de la
constitution qui a affranchi le gouvernement et l’exercice de la religion de
toutes les entraves que les lois antérieures leur avaient imposées. Mais si la
constitution a admis cet affranchissement, s’ensuit-il que par cette
disposition elle a créé une classe de citoyens à part qui devrait être privée
de droits politiques et civils et être constituée en état d’ilotisme ? C’est
donc évidemment un langage inconstitutionnel que M. Jullien vous a tenu.
L’honorable M. Brabant est entré, de son côté,
dans des incompatibilités canoniques. Je ne discuterai pas la question au fond.
Je ne crois pas que de semblables observations doivent diriger le vote de la chambre.
Elles ne tendent à rien moins qu’à constituer la chambre interprète et juge des
lois canoniques et de leur application.
S’il y avait réellement incompatibilité
canonique, ce serait aux évêques du pays, seuls juges dans cette question, à la
décider. Nous n’avons pas à nous prononcer sur cette objection. Notre seul
point de départ, notre seul droit régulateur, c’est la constitution.
Quant à la question du fond, je crois que
l’amendement de M. d’Hoffschmidt et ceux présentés par d’autres membres consacreraient
une injustice. Je les rejetterai. Je me prononcerai pour tout amendement qui
n’admettra ni privilège d’un côté ni exclusion injurieuse de l’autre.
M. le président. - La parole est à M.
Vuylsteke. (La clôture !)
- La clôture est mise aux voix et adoptée.
M.
Dumortier, rapporteur. - Je désirerais présenter des observations sur
l’amendement de M. le ministre de l’intérieur. Je pense que la clôture n’a été
prononcée que sur la proposition de M. de Mérode, à laquelle se sont ralliés
MM. d’Huart et d’Hoffschmidt.
M. Pirson. -
Messieurs, je demande la priorité pour la proposition de M. de Mérode. C’est
celle qui s’écarte le plus du projet de la section centrale.
M. Dubus.
- Je ne suis pas de l’avis de l’honorable préopinant. Je pense au contraire que
l’amendement de M. le ministre de l'intérieur s’écarte plus du projet de la
section centrale que celui de M. de Mérode. En effet, ce dernier tend à exclure
des conseils provinciaux une spécialité, tandis que l’amendement de M. le
ministre de l'intérieur exclut une généralité.
Il me paraît qu’il faut commencer par mettre
aux voix la seconde proposition.
M. d’Huart. - Je crois que M. Dubus est dans
l’erreur. L’amendement de M. de Mérode est celui qui s’écarte le plus du projet
de la section centrale ; car il tend à exclure des conseils communaux les
prêtres salariés par l’Etat ou la commune. La proposition de M. le ministre de
l’intérieur, au contraire, propose l’exclusion de toute personne salariée par
la commune. Elle n’est que la reproduction, aux expressions près, du paragraphe
en discussion. Je demande donc la priorité pour la proposition de M. de Mérode.
M. le ministre des affaires étrangères (M. F. de
Mérode) - Il est évident que ma proposition prononce une exclusion plus large.
Il y a d’autant plus lieu à la voter la première, que ceux qui la rejetteront
pourront admettre celle de mon honorable collègue, M. le ministre de
l’intérieur.
- La question de priorité en faveur de la
proposition de M. le ministre de l’intérieur est mise aux voix.
M. le président.
- Il y a doute, nous allons passer à l’appel nominal.
M. Dumortier,
rapporteur. - Il faut tirer au sort lequel des deux amendements aura la
priorité.
M. de Robaulx.
- Nous demandons l’appel nominal.
M. le président.
- La parole est à M. de Foere.
M. de Brouckere.
- On ne peut pas lui donner la parole.
- Un de MM. les secrétaires fait l’appel
nominal.
79 membres sont présents.
39 votent la priorité en faveur de l’amendement
du ministre de l’intérieur.
40 votent contre.
La priorité n’est pas accordée à cet
amendement.
M. le président.
- Aux chiffres du résultat de l’appel nominal, vous voyez qu’il n’est pas
étonnant que le bureau ait trouvé les épreuves douteuses.
Ont voté pour la priorité :
MM. Bekaert, Coppieters, de Behr, de Laminne,
H. Dellafaille, de Longrée, W. de Mérode, de Muelenaere, de Puydt, de Roo,
Deschamps, de Sécus, Desmaisières, Desmet, de Stembier, de Theux, Dewitte,
Doignon, Dubus, Dumortier, Helias d’Huddeghem, Hye-Hoys, Jadot, Legrelle,
Morel-Danheel, Olislagers, Polfvliet, Pollénus, Poschet, A. Rodenbach, Smits,
Thienpont, Trentesaux, Ullens, Verdussen, C. Vilain XIIII, C. Vuylsteke, L.
Vuylsteke, Zoude, Raikem.
Ont voté contre la priorité :
MM. Angillis, Brixhe, Coghen, Cornet de Grez,
de Brouckere, de Man d’Attenrode, F. de Mérode, de Renesse, de Robaulx,
Desmanet de Biesme, de Terbecq, Devaux, d’Hane, d’Hoffschmidt, d’Huart, Donny,
Dubois, Dumont, Eloy de Burdinne, Ernst, Fleussu, Frison, Jullien, Lardinois,
Lebeau, Liedts, Meeus, Milcamps, Nothomb, Pirson, Quirini, Rogier, Schaetzen,
Seron, Simons, Vanderbelen, Vanderheyden, H. Vilain XIIII, Watlet.
M. de Foere. s’est abstenu et expose ainsi les motifs de son abstention.
- Je me suis abstenu parce que je ne voulais pas d’appel nominal sur une
question aussi futile. J’avais demandé la parole sur la position de la question
pour renoncer à la priorité, espérant qu’à cet égard j’aurais rencontré l’opinion
de mes honorables amis.
M. le président.
- Je vais mettre aux voix l’amendement de M. de Mérode ; il est ainsi conçu :
« Les ministres des cultes rétribués par l’Etat ou la commune et en fonctions
dans la commune, ne peuvent faire partie des conseils communaux. »
Plusieurs membres. - L’appel nominal ! l’appel
nominal !
M. de Renesse
fait l’appel nominal.
80 membres sont présents.
33 votent l’adoption de l’amendement.
47 votent le rejet.
L’amendement n’est pas adopté.
Ont voté l’adoption :
MM. Angillis, Brixhe, Coghen, Cornet de Grez,
de Brouckere, F. de Mérode, W. de Mérode, de Robaulx, Desmaisières. Desmanet de
Biesme, de Terbecq. Devaux, d’Hoffschmidt, d’Huart, Donny, Dumont, Eloy de
Burdinne, Ernst, Fallon, Fleussu, Frison, Jullien, Lardinois, Liedts, Meeus,
Nothomb, Pirson, Seron, H. Vilain XIIII, Watlet, Zoude.
MM. Bekaert, Coppieters, de Behr, de Foere, de
Laminne, H. Dellafaille, de Longrée, de Muelenaere, de Roo, Deschamps, de
Sécus, Desmet, de Theux, Dewitte, d’Hane, Doignon Dubus, Dumortier, Helias
d’Huddeghem, Hye-Hoys, Jadot, Lebeau, Legrelle, Milcamps, Morel-Danheel,
Olislagers, Polfvliet, Pollénus, Poschet, Quirini, A. Rodenbach, Rogier,
Schaetzen, Simons, Smits, Thienpont, Trentesaux. Ullens, Vanderbelen, Vanderheyden, Verdussen,C.
Vilain XIIII, C. Vuylsteke, L. Vuylsteke, Raikem.
M. le président.
- Voici l’amendement de M. le ministre de l’intérieur : « Toute personne
qui reçoit un salaire ou un subside de la commune. »
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - On m’a fait apercevoir que cet
article excluait les bourgmestres et les échevins. Cette exclusion n’était pas
dans mon intention.
M. Dumortier,
rapporteur. - L’amendement me paraît en effet incomplet, certaines
personnes peuvent recevoir des pensions : par exemple, un ancien secrétaire de
la commune peut avoir une pension et être apte à être membre du conseil ; on
l’exclurait par l’amendement.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Une pension n’est pas un subside.
M. Dumortier,
rapporteur. - Vous me pardonnerez, une pension est un subside.
Je demande que l’on ajoute à l’amendement de M.
le ministre de l'intérieur : « à l’exception des pensions. »
M. Jullien. - Il est certain que lorsque la loi
parle de subsides, elle veut parler de subsides accordés soit à des bureaux de
bienfaisance, soit à des fabriques, par défaut de moyens de ces établissement ;
jamais la loi n’a entendu parler d’une pension accordée à un ancien employé,
soit à titre gratuit, soit à titre onéreux. Cette pension ne peut être
confondue avec les subsides.
M. le ministre a donc eu raison de dire que son
amendement n’avait pas besoin d’être modifié. (Aux voix !aux voix !)
M. Dumortier,
rapporteur. - J’ai l’honneur de répondre à l’honorable préopinant qu’il
s’est complètement trompé ou qu’il n’a pas lu l’amendement.
L’honorable membre dit que les subsides dont il
est parlé dans l’article, sont les subsides qui sont accordés aux fabriques
d’église : il ne s’agit pas d’établissements auxquels il est accordé des
subsides, il s’agit de personnes qui reçoivent des subsides : cela résulte de
l’article, il ne faut que le lire. Du reste, si la chambre l’entend comme l’a
dit l’honorable M. Jullien. je ne m’oppose pas à ce qu’on aille aux voix ; dans ce cas
on pourra revenir sur le paragraphe lors du second vote.
- L’amendement de M. le ministre de
l'intérieur est mis aux voix et adopté, avec la substitution du mot traitement au mot salaire.
Cet amendement formera le n°6 de l’article.
M. le
président. donne une nouvelle lecture de
l’article.
M. le président.
- M. Dubois a la parole sur le paragraphe 4.
M. Dubois. - Messieurs, dit-il, je demande qu’on rédige le
paragraphe 4 de la manière suivante :
« Les commissaires de district et de
milice et les employés de ces commissariats. »
Je pense que la même raison qui fait exclure
les commissaires de district et de milice du conseil communal, doit exister à
l’égard de leurs employés. Cette raison même, messieurs, est plus forte à
l’égard de ces derniers, car ils peuvent davantage être choisis pour faire
partie du conseil communal.
M. de
Theux. - J’appuierai l’amendement de l’honorable M. Dubois ; déjà on
avait senti sous le gouvernement précédent la nécessité d’établir cette
incompatibilité.
Il est certain, en effet, que les employés des
bureaux qui sont dans les affaires de la commune à un degré supérieur, ne
peuvent comme conseillers communaux être intéressés aux affaires de la commune
à un degré inférieur.
- L’article 6 est adopté avec l’amendement de
M. Dubois.
Discussion générale
M. le président.
- la discussion est ouverte sur la loi des céréales, en vertu de la décision
prise hier par la chambre.
M. Eloy de
Burdinne. - Messieurs, je ne vous parlerai ni de Rome, ni d’Athènes pour
vous intéresser dans la cause que je défens, n’ayant aucune intention de faire
de l’historique ni de vous débiter un discours éloquent.
Je vous parlerai le langage simple et franc
d’un cultivateur qui a quelques notions dans cette branche importante, fruits
d’une expérience de plus de 30 années ; en un mot, je vous entretiendrai des
intérêts matériels de l’agriculture belge ; et, messieurs, faites-y bien
attention, les intérêts matériels, dans le moment actuel, se rattachent
singulièrement aux intérêts moraux. Voici ce que dit Thouin
(extrait d’un ouvrage intitulé : Cours de culture, etc., etc., par André Touin, Paris, 1827) :
« Le premier des agronomes modernes,
Olivier de Serres, disait à Henri IV, etc., etc. :Vous
parler d’agriculture, sire, c’est vous entretenir de vos affaires.
« Ce vrai roi employait quelques instants
de ses journées à lire et à étudier l’ouvrage de de Serres, nommé le père de
l’agriculture française. Il avait compris l’importance d’une pareille étude.
« (Suit l’opinion de André Thouin à la suite de ce qui précède.)
« Rien n’est en effet plus digne de fixer
l’attention des gouvernements et des peuples que l’art de faire rapporter au
sol tous les produits qu’il est susceptible de donner.
« Quelle source plus féconde de richesses et de
prospérité pour les nations que l’agriculture ? Avec elle le travail, la
tempérance, la santé, l’aisance et toutes les vertus sociales, répandent leurs
bienfaits sur les campagnes ; sans elle on ne rencontre partout que la misère
et le cortège hideux des vices et des maux qu’elle entraîne inévitablement à sa
suite. Que l’on observe les pays bien cultivés et ceux qui le sont mal ; que
l’on compare leurs habitants. Il devient dès lors inutile d’énumérer les
avantages de l’agriculture : les faits parlent mieux que des phrases. »
Je dirai plus, elle se rattache à une sage politique. Prenez-y garde, en négligeant de vous
occuper de cette branche, vous mécontenteriez les trois quarts de la
population.
Oui, messieurs, une question de haute
importance vous est soumise : j’entends parler de la loi sur les céréales.
C’est, selon moi, une question vitale pour
notre beau pays ; sans agriculture prospère, pas de gouvernement en Belgique ;
avec elle
Si je devais entrer dans des détails pour le démontrer,
je pourrais vous en entretenir pendant plus de quatre heures ; mais je crois
inutile de vous répéter ce que j’ai déjà dit sur cette matière, de vous faire
part des nouveaux motifs qui viennent à l’appui des arguments que j’ai fait
valoir. La grande majorité de la chambre les reconnaît ; en un mot c’est un
fait jugé et une vérité qui court les rues.
Tous, autant que nous sommes ici, nous voulons
la prospérité du pays. Sur ce point nulle discordance. Mais en quoi nous
différons, c’est sur les moyens à employer pour y parvenir.
Un partie de nous croit que c’est en favorisant
l’industrie manufacturière, d’autres en favorisant le commerce. Quant à moi, je
crois que pour y parvenir, il faut favoriser toutes les branches d’industrie et
particulièrement celle qui est la principale et qui est la source de vie de
toutes les autres ; celle, en un mot,
qui donne à l’Etat le moyen de faire face à ses dépenses, dont notre pays ne
peut se passer, et dont l’existence dépend de sa prospérité. C’est assez vous
dire, messieurs que c’est de l’industrie agricole que je veux parler, et je
suis persuadé que vous m’aviez deviné avant même que j’eusse touché cette
corde.
Je l’ai déjà dit, nous ne sommes pas tous
d’accord sur la route à suivre pour atteindre le but que chacun de nous veut
atteindre. J’en conviens, on peut faire valoir des arguments en faveur du
commerce, en faveur de l’industrie manufacturière, à laquelle on voudrait
donner la préférence sur l’industrie agricole : selon moi, ces arguments ont
été réfutés par divers orateurs qui ont traité cette question avant nous
relativement aux pays qui, comme
Les hommes qui ne partagent pas mon opinion sur
cette question, pourraient se convaincre en lisant les discussions sur la loi
des céréales lorsque les gouvernements anglais et français ont reconnu la
nécessité de protéger cette branche d’industrie ; qu’ils lisent les arguments
que les diverses opinions ont fait valoir, et ils seront, si pas forcés, au moins
entraînés à revenir d’une erreur qui n’en est plus une pour les trois quarts de
nos hommes d’Etat. Ces opinions sont consignées au Moniteur universel de France, deuxième semestre de 1819, mois de
juillet. La loi est du 16 juillet 1819 ; idem du premier semestre de 1821, mois
d’avril, et finalement, Moniteur,
premier semestre 1832, mois de mars.
Le résultat de la discussion a fait justice des
diverses opinions, puisque les lois protectrices de l’agriculture ont été
toutes adoptées à une grande majorité en France et en Angleterre : et
remarquez-le bien, messieurs, dans quels pays ces lois ont-elles été adoptées à
une grande majorité ? C’est en Angleterre où le sol ne donne qu’environ le
tiers de grains nécessaire à la nourriture de ses habitants. C’est en France où
le sol ne donne que les trois quarts des grains que la consommation exige (la
loi a été admise à la majorité de 282 contre 84.) Et en Belgique, où les
produits sont supérieurs à la consommation, on n’adopterait pas une législation
de l’espèce de celles adoptées dans les pays où les produits ne suffisent pas
aux besoin des habitants, où l’impôt foncier est compris pour un sixième dans
les revenus de l’Etat, tandis qu’en Angleterre il l’est seulement d’un
quarantième ?
En Belgique, dis-je, on ne prendrait pas des
mesures suffisantes pour soutenir l’industrie agricole où l’Etat est intéressé
pour environ un cinquième dans la prospérité de l’agriculture ; on
l’abandonnerait à sa ruine ? Eh ! messieurs, réfléchissez-y bien, c’est
comme si on voulait la ruine de son pays, un désastre général, en un mot,
réduire son pays à l’extrême nécessité de disparaître du nombre des nations
civilisées : car la misère abrutit, vous le savez, et rend nulles les nations
pauvres. D’après ces considérations, peut-on se refuser à se rendre à
l’évidence ? Je n’en dirai pas davantage pour le moment sur ce chapitre.
J’attendrai que les orateurs qui ne partagent pas mon opinion aient parlé.
S’ils parviennent à me convaincre, je serai le
premier à revenir de mon opinion. Si je ne suis pas convaincu, je tâcherai de
les réfuter, et j’aime à le croire, ils ne se refuseront pas à revenir à moi,
si je parviens à les convaincre. Tons ayant le même but, la discussion sera
calme, et les arguments pour et contre, sagement pesés dans la balance de
l’équité.
J’ajouterai, messieurs, quelques mots en vue
d’abréger les longs discours que je m’attends à voir prononcer, et de résoudre
d’avance les arguments de mes contradicteurs.
On vous dira que pour favoriser l’industrie
manufacturière et commerciale, il faut favoriser l’arrivage des grains
étrangers : ces navires apportent en Belgique pour quelques mille francs et
emportent pour des millions, et il ne faudrait pas paralyser cette belle
branche de notre industrie par une loi qui prohibe l’entrée des grains
étrangers.
S’il en était ainsi, la question deviendrait
importante ; mais, selon moi, elle ne devrait pas encore nous arrêter.
Seulement nous aurions à examiner quelles
branches d’industrie, dans l’intérêt général, nous devrions sacrifier. Mais, messieurs,
je vais vous rassurer et vous prouver que quand même il n’entrerait pas un
vaisseau chargé de grains en Belgique, vous ne manquerez pas encore de navires
étrangers qui vous importent d’autres denrées que des grains, pour emporter en
retour les produits de votre industrie.
Je dirai plus, je dirai que tous ne se
chargeraient même pas ; j’en ai la preuve dans le mouvement du port d’Anvers
pendant le cours de 1832, où l’on voit par le tableau que je viens d’avoir
l’honneur de vous faire remettre, qu’il est entré en céréales, dont nous
n’avions que faire, 116,432,818 kilog. de diverses espèces de céréales, pour
l’énorme somme de 24,129,893 francs, et que par suite de ces arrivages énormes
de grains étrangers, les nôtres sont destinés à être la pâture des charançons ;
en d’autres termes, c’est comme si on avait jeté 124,129,893 francs dans les
entrailles du mont Vésuve.
Je reviens aux arrivages et à mon calcul sur le
mouvement du port d’Anvers, extrait du Journal
du Commerce de ladite ville. Je prie la chambre de vouloir écouter
attentivement :
It est entré dans le port d’Anvers, pendant le
courant de l’année 1832, 1,256 navires chargées de diverses marchandises. 998
venant des ports anglais et de
Voilà le mouvement des entrées.
Voyons le mouvement de la sortie :
Il est sorti, même année, 1,255 navires, dont
580 chargés de marchandises diverses, 875 sur lest,
Comme il en est entré 730 chargés de grains, je
trouve encore qu’il en est sorti sur lest 145. De manière que s’il n’était pas
entré un seul navire chargé de grains en Belgique en 1832, pendant le courant
de 11 mois (il n’est rien arrivé pendant le mois de novembre) (siège d’Anvers)
Il serait encore sorti du port d’Anvers 145 navires sur lest ; et vous voyez,
messieurs, qu’on ne doit pas craindre de manquer de navires de retour, pour
emporter nos produits. Il en fut ainsi pendant notre union avec
Et pour abréger la discussion, les honorables
membres qui se proposent de traiter la question qui nous occupe, pourraient
trouver la solution des diverses opinions en lisant les discussions françaises,
et la peine de nous répéter ce qui a été dit à extinction, tant en France qu’en
Angleterre et en Belgique.
Je finis pour le moment et je me
réserve de revenir sur la discussion, si je rencontre des contradicteurs.
Quant au projet qui vous est soumis par la
commission d’industrie, je déclare ne pouvoir l’admettre ; mais, vu l’urgence,
je dois en adopter le principe comme loi transitoire.
A la discussion des détails, je ferai des
amendements aux divers articles de la loi, que je considère ne pas devoir
remplir le but que la chambre se propose par la mesure qu’elle croit devoir
prendre dans ce moment. J’ai dit.
M. Meeus. - Je me crois obligé, messieurs, de venir combattre la loi qui est en
ce moment en discussion, sans m’effrayer de ce qu’a dit M. Eloy de Burdinne
dans une autre séance que les membres du sénat ne voteraient pas l’impôt
foncier, et sans m’effrayer non plus des paroles de M. d’Huart qui vous a dit
que les cultivateurs sont ceux qui sont le plus attachés à l’ordre de choses
actuel, et qu’il fallait surtout les protéger. Malgré ces considérations, je
voterai contre la loi et j’ajouterai que je ne pense pas que le sénat, composé
de propriétaires, soit dans la disposition de ne point voter l’impôt foncier,
parce que la chambre jugerait convenable de ne pas adopter une loi entièrement
contraire aux consommateurs, et entièrement favorable aux propriétaires.
Le sénat n’est pas destructeur, il est plutôt
conservateur ; je m’en rapporte à sa sagesse. Je répondrai à M. d’Huart que
s’il faut favoriser ceux qui ont fait la révolution, il faut favoriser le
peuple qui mange du pain, le matin, à midi, et qui en mange encore le soir.
Je ne m’arrêterai pas aux considérations qu’ont
fait valoir les deux honorables membres dont j’ai parlé.
Messieurs, la question dont il s’agit doit être
envisagée sous différents points de vue.
D’abord, dans son rapport avec les véritables
principes que l’on n’a pas encore examinés dans cette enceinte, parce que c’est
toujours à l’improviste que l’on propose des lois pour modifier notre tarif de
douane, sans qu’antérieurement la chambre ait posé et assis un seul principe.
J’essaierai, messieurs, d’établir, d’après mon
opinion, les véritables principes qui doivent régir
Vous le savez, messieurs, l’école moderne
d’économie sociale a surtout enseigné la liberté illimitée du commerce ; je ne
pense pas que ce système soit protégé par aucun membre de cette assemblée ;
car, ainsi qu’on l’a dit, ce système est une utopie.
Pour que les nations pussent s’entendre entre
elles sur la liberté illimitée du commerce, il faudrait d’abord qu’elles
pussent s’accorder sur des intérêts de moindre importance.
Il faudrait que la situation de chaque nation fût
la même, que la même somme d’impôt pesât sur toutes.
Dans l’état actuel des choses, quand on le
considère, on voit que
Le système prohibitif a eu souvent de très
grands partisans. En France, on l’a suivi et on le suit encore en grande
partie. On a cru dans ce pays qu’il n’y avait rien de mieux à faire que de
frapper de droits prohibitifs tout ce qui venait de l’étranger, pour avoir la
consommation livrée à l’industrie du pays.
On a ainsi inconsidérément frappé tout ce qui
venait de l’étranger, sans faire la distinction bien simple entre les produits
qui se consomment et se détruisent et ceux qui servent d’aliments à
l’industrie. C’est ainsi que le gouvernement français a frappé les charbons
belges. En frappant ces charbons, au lieu de protéger, il a frappé
Mais, me direz-vous ; quel est donc le système
qu’il faut suivre ? Ce système me paraît fort simple. Je dirai avec l’honorable
abbé de Foere : Il suffit de consulter les règles éternelles de la justice. Il
ne faut jamais frapper la généralité au profit d’une minorité, Pour rendre
cette proposition plus sensible, permettez-moi de vous soumettre quelques
exemples. Supposons une industrie en Belgique, qui n’exporte pas. Cette
industrie produit annuellement un capital de 10 millions. Les consommateurs
belges emploient ce capital de dix millions à leur usage. L’Angleterre ou
Il faut nécessairement établir des droits
conservateurs en faveur de cette industrie, de manière que le pays voisin ne
puisse pas venir détruire un capital réel, car si ce capital n’était plus créé
par l’industrie du pays, la consommation irait s’approvisionner à l’étranger,
et ce serait un capital perdu. Le pays est intéressé alors à ce que les
consommateurs soient frappes d’un impôt ; car, malgré tous les beaux noms qu’on
peut lui donner, le droit qu’on établit est un véritable impôt, et ici c’est
bien un impôt de deux millions. Mais, par cet impôt de deux millions dont vous
allez frapper les consommateurs, vous conservez à
Etablissez donc des droits conservateurs, je
l’admets, La généralité alors ne perd rien. Si elle subit un impôt, c’est pour
conserver un capital dans l’intérêt de tous. Mais si imprudemment vous allez
élever votre droit, de manière que l’Angleterre ne puisse faire entrer ses
marchandises, alors que notre industrie ferait des bénéfices de 20 p. c., que s’en suivra-t-il ? c’est que vous aurez déplacé des
capitaux, que vous aurez pris dans la bourse du consommateur, pour la faire
passer dans celle du producteur, une somme de…
Si les fabricants créent un capital qu’ils
livrent pour 14 millions au lieu de 12, le pays sera-t-il enrichi ?
Vous aurez imprudemment pris deux millions dans
la poche des consommateurs pour les verser dans celle de ces fabricants,
puisque l’Angleterre ne pouvait fournir ces fabricats que pour dix millions. Suivant
ce principe qui est tout naturel, ne frappez le consommateur que pour autant
qu’en le frappant vous produisiez un bien réel pour tous. Ce principe une fois
admis, il est facile d’en déduire ce que doit être à l’avenir notre tarif de
douane et la loi actuellement en discussion.
Je suppose une fabrique produisant à la
consommation belge un capital de dix millions. Personne ne peut entrer en
concurrence avec cette fabrique. Il n’est donc pas question de lui donner une
protection. Il est impossible que la même marchandise vienne de l’étranger, et
s’il en vient, c’est dans une proportion si minime, qu’il est inutile d’en
parler. Dans ce cas, où l’existence de la fabrique ne peut être menacée, si
vous établissez un droit, c’est un privilège pris sur la généralité, c’est
faire payer les consommateurs en faveur de quelques fabricants.
Appliquant ce principe qui est le seul sage, le
seul raisonnable, à la loi actuellement en discussion, je demande si
l’agriculture belge est en danger de crouler, au prix où est actuellement le
froment. J’ai vu les années 1822, 23 et 24 ; c’était bien un autre désordre,
pour parler le langage des auteurs du projet car ce qu’ils appellent désordre,
je l’appelle richesse. Le froment, au marché de Bruxelles se vendait 10 fr.,
l’avoine 2 fr. et demi, le colza 5 fr.
Avons-nous vu alors les champs incultes ? Que
fait à
Un fermier récolte 100 hectolitres, il en
consomme 80 pour la nourriture de sa famille. Peu lui importe pour ces 80
hectolitres que le prix soit de 10, 20, 30 ou 40 fr. Mais il a 20 hectolitres à
vendre : pour ces 20 hectolitres, il doit chercher les moyens de les vendre le
plus cher possible, Or, ce qui est vrai pour un cultivateur est vrai pour
Le revenu de
Eh bien, si
Examinons maintenant la loi en elle-même, je ne
dis pas dans tous ses détails, parce que je finirais par n’être plus écouté. Si
nous recherchons les causes qui produisent les grandes années d’abondance et
ensuite des années de cherté, l’histoire est là pour attester que, presque
toujours après quatre ou cinq années d’abondance, il est rare de voir cinq
années d’abondance de suite ; il a des années de cherté.
Cela provient d’abord de ce que, quand les blés
sont élevés, le cultivateur autant que possible force la culture à l’aide
d’engrais afin d’en obtenir le plus possible. Il en fait de même pour l’avoine
si le prix en est élevé. Enfin il fait produire ce qui rapporte le plus.
Cependant, pendant ces années de cherté que se
passe-t-il ? Les malheureux, les ouvriers, au lieu de manger du pain de
froment, mangent du pain de seigle. Il se passe alors ce qui a lieu dans tout
commerce quelconque. C’est que les prix élevés nuisent à la consommation. Les
bas au contraire l’augmentent. Il en résulte que tout d’un coup le pays se
trouve regorger de grain, parce que, comme il était trop cher, il ne s’est pas
écoulé facilement, parce qu’il n’était pas à la portée de toutes les bourses.
Quel est aujourd’hui l’ouvrier qui mange du pain de seigle ? Je ne me rappelle
pas en avoir vu un seul qui en fasse usage. Je suis très heureux que cette
denrée soit mise actuellement à la portée de tout le monde. Voilà ce que le
législateur doit vouloir. Il doit désirer que les produits naturels comme les
produits manufacturés soient toujours au plus bas prix possible. Plus la somme
des consommateurs sera grande, plus vous aurez rempli votre devoir.
Mais vous croyez favoriser l’agriculture. Vous
vous trompez. Si la loi qui est soumise à vos délibérations était acceptée,
était votée par vous, messieurs, soyez persuadés que le commerce des grains cessant
en Belgique, il arriverait à la première hausse du prix des grains à l’étranger
le contraire de ce que nous avons vu en
Il prit un accroissement successivement
jusqu’en 1823. Alors qu’il était essentiel de pourvoir promptement l’Angleterre
des céréales qui lui manquaient, il fallait que le commerce fût en mesure
d’opérer immédiatement des importations considérables. C’est au commerce
d’Anvers que les agriculteurs doivent ce débouché qui s’ouvrit à cette époque.
Si les négociants de cette ville, négociants qui y sont encore établis, ne
s’étaient pas livrés à une spéculation aussi favorable, ce n’aurait pas été
Cette exportation immense de nos grains fit
affluer dans notre pays des capitaux énormes. C’est de ce moment que la
prospérité commerciale de
Messieurs, vous le savez, le cultivateur belge
est dans l’aisance. Il garde ses grains en magasin. Ce n’est pas faire une
assertion erronée que de dire que les cultivateurs ont aujourd’hui dans leurs
greniers jusqu’à trois récoltes. Font-ils bien ? Font-ils mal ? C’est ce que le
temps nous apprendra ; si l’année prochaine
Ils recueilleront les fruits de leur attente,
parce qu’ils n’auront pas vendu à vil prix comme les autres nations. Est-ce
donc là un motif pour frapper les grains étrangers d’un droit excessif ?
Les grains étrangers ne nous nuisent en rien.
L’honorable M. Eloy de Burdinne a dit que
M. Eloy de
Burdinne. - C’est trop fort.
M. Meeus. - Je ne doute pas que ce ne soit trop fort pour l’honorable M. Eloy de Burdinne. Je ne doute pas
que cet honorable membre ne soutienne la discussion avec beaucoup de talent, et
qu’on ne le cite comme ayant victorieusement réfuté les arguments de ses
adversaires, absolument comme il nous citait tout à l’heure les orateurs qui
ont parlé en faveur de la loi sur les céréales à la chambre française. Je suis
persuadé qu’il possède infiniment de connaissances de la matière, mais il ne
pourra me faire partager sa conviction qu’un pays ait intérêt à faire payer au
consommateur le pain à un prix plus cher afin que le propriétaire puisse mieux
louer ses terres aux dépens de l’agriculteur.
L’agriculteur doit nécessairement recouvrer en
premier lieu ses frais de labour. Je ne pense pas qu’il puisse lui arriver de
ne pas être en état de le faire. En second lieu il faut qu’il paie le fermage
annuel des terres à son propriétaire. Dans ce second cas, lorsque les grains se
vendent à un prix trop peu élevé, quand le prix des céréales ne permet plus au
fermier de remplir les conditions de son bail, c’est au propriétaire à se
désister de ses prétentions et à diminuer le prix du fermage. Aussi longtemps que ne me prouvera pas que
l’agriculteur est obligé de payer à son propriétaire une certaine quotité de
revenu, je croirai que c’est au propriétaire à subir la réduction que nécessite
la position de son fermier. C’est le riche dont le revenu doit subir une
diminution, et non pas le pauvre. Car, ainsi que je l’ai dit, le revenu du
propriétaire, pour être moins élevé, n’en sera que plus assuré et lui offrira
par conséquent plus de garanties de son entier recouvrement ; tandis que si
l’on établit un droit sur les céréales, ce sera, en définitive, de la poche du
malheureux, de l’ouvrier, que vous tirerez la perception de ce droit.
Messieurs, les mots pour moi sont peu de chose.
Lorsqu’en 1825, je crois, on proposa la loi sur la mouture, je vous avoue que je
crois qu’elle devait être rejetée parce qu’elle était odieuse au peuple. Vous
me direz qu’elle était vexatoire Mais au moins elle offrait l’avantage
d’établir un impôt qui frappait la généralité du pays, tandis que la loi sur
les céréales favorisera les propriétaires de terres aux dépens de la masse des
consommateurs. Ce n’est pas moi qui vous dirai combien je trouvais l’impôt
mouture absurde. Eh bien, l’absurdité que je reprochais à la première, je la
retrouve également dans celle-ci.
On m’objectera avec quelque apparence de raison
que les députés belges aux états généraux avaient constamment réclamé un droit
à l’entrée des grains étrangers, et qu’ils finirent par obtenir que l’on
établît le droit assez minime qui existe encore aujourd’hui.
Mais il y avait une raison qui n’existe plus
aujourd’hui. Les députés belges cherchaient à atténuer autant qu’il était en
leur pouvoir l’injustice des relations commerciales de
Lorsque l’on considère les sacrifices auxquels
le mariage forcé des deux nations nous a obligés, l’on conçoit que nos
représentants aux états généraux devaient tâcher autant que possible d’alléger
la charge du fardeau supporté par les provinces belges, et donner aux grains
qu’elles importaient en Hollande un prix plus élevé. Voilà comme je conçois
qu’une forte majorité a pu voter une loi sur les céréales.
Je vous ferai une observation relative à un
tableau que l’on m’a remis à l’ouverture de la séance. Il résulte de ce
document qu’il n’est entré en définitive dans notre pays, depuis 3 années, que
pour une valeur de 35 millions de francs de grains étrangers.
Si vous établissez une comparaison entre les
importations et les produits de
Je demande quel est le pays où les grains
peuvent être produits à un tel prix ? Quoiqu’il en soit je ne verrais encore là
qu’une condition pour le cultivateur belge, c’est celle de baisser ses prix ;
et je ne verrais là pour
Pourquoi
admettre aujourd’hui la loi proposée, ou toute loi analogue ? ce n’est faire autre chose qu’un déplacement dans le pays
même ; c’est prendre dans la poche du consommateur pour mettre dans la poche du
propriétaire. Je ne veux plus me servir du mot de cultivateur. Je ne dis pas
que le cultivateur ne soit victime des baux élevés. Savez-vous ce que vous avez
à faire, messieurs les propriétaires ? c’est de
baisser les baux. Si vous n’en avez pas la volonté, vous y serez forcés, parce
que le cultivateur veut avoir un bénéfice. Si, par miracle, un pays produisait
du grain sans que l’homme y mis son travail, ce jour-là je craindrais que nos
champs ne devinssent incultes ; et si vous veniez vous en plaindre, je ferais
l’application de ce que j’ai dit.
Je ne veux pas m’étendre davantage sur la loi.
J’ai cru devoir développer un système, le seul bon chez toutes les nations par
ce qu’il est le résultat des principes de justice. Vous ne pouvez frapper la généralité
qu’autant que la généralité trouve un bénéfice. Vous ne pouvez forcer quelqu’un
à payer plus cher. On peut frapper la consommation de deux millions, par
exemple, pour qu’un capital de dix millions ne soit pas perdu pour
M. Milcamps.
- Messieurs, une législation sage sur le commerce des grains aura toujours,
ai-je lu quelque part, un rapport intime avec le sort du peuple.
Le prix de la denrée, disait l’auteur, doit
servir à distinguer les moments où il convient de s’opposer à l’exportation des
grains ; d’où je crois pouvoir conclure que c’est ce prix aussi qui doit servir
à distinguer les circonstances où il convient de s’opposer à l’importation.
Si le gouvernement doit désirer que l’abondance
de la denrée et la modération des prix préviennent le désordre et les clameurs
publiques, il doit lui convenir aussi que le prix soutenu des denrées rende
plus facile le paiement des impositions.
Voilà des idées simples, claires, à la portée
de tout le monde, et que chacun, sans être initié dans la science de l’économie
politique peut facilement saisir.
Je vois des faits. L’exploitation des terres
est dans notre pays l’industrie la plus importante. Elle occupe la plus grande
partie de la population. Dans ce moment, l’abondance des céréales, la
modération des prix, la perspective d’une bonne récolte excitent
les réclamations des exploitants.
J’entends l’honorable M. de Burdinne dire que
c’est aux nombreux arrivages des grains en 1832 et 1833 qu’il faut attribuer en
partie la baisse de cette denrée. Je l’entends qui dit qu’au prix actuel des
grains, les cultivateurs pourront à peine, avec leurs produits, couvrir les
frais de culture, et qu’ils devront faire servir les économies des années
antérieures au paiement de leurs fermages et contributions.
Cet état de choses me convainc de la nécessité
de mesures législatives sur cet important objet.
J’en suis encore plus convaincu lorsque je vois
l’honorable M. Coghen, ancien ministre, grand propriétaire et grand industriel,
et qui en cette triple qualité peut apprécier les besoins généraux du royaume,
se charger de justifier la nécessité de ces mesures législatives.
La loi qu’il nous propose consiste, après avoir
consacré la liberté d’exportation de nos céréales, à prohiber l’entrée des
grains étrangers, lorsque sur nos marchés le prix du froment sera de 13 francs
l’hectolitre et celui du seigle de 8 fr., et à assujettir ces grains à un droit
d’entrée, lorsque le prix de la denrée sera de 14 francs, 8 francs et
au-dessus.
Cette loi répondra-t-elle aux besoins généraux
du royaume ? Ici est toute la gravité de la question.
Depuis quelques jours, dans des entretiens
particuliers, j’ai été témoin d’une grande controverse.
Les uns, raisonnant sur les circonstances,
soutenaient que l’on devait suspendre la liberté de l’exportation ; lorsque le
prix du froment était de 15 à 16 francs et celui du seigle de 9 fr. ; il y a,
disaient-ils, vu l’abondance des céréales dans le pays, peu d’espoir de voir
promptement ce résultat ; mais la suspension de la liberté de l’importation
peut seule le produire. Ils concluaient donc qu’il fallait suspendre l’entrée
des grains étrangers du moment que le prix de l’hectolitre de froment était sur
nos marchés en dessous de 16 francs et celui du seigle en-dessous de 9 francs
et un centime.
Les antres, raisonnant en thèse générale,
soutenaient que les prohibitions seraient plus funestes qu’utiles : le commerce
des grains prendra tout d’abord une autre direction, l’Angleterre et
Mais la conséquence de ce dernier système,
c’est la liberté du commerce des grains ; et cependant de bons esprits, entre
autres M. Coghen, reconnaissent qu’il y a des circonstances où il convient de
suspendre la liberté de l’importation.
M. Coghen convient du principe et en propose
l’application. Il ne s’élève des réclamations que contre l’application qu’il en
fait. Suivant cet honorable membre, je l’ai déjà dit, la prohibition ne doit
avoir lieu que lorsque sur nos marchés le prix de l’hectolitre de froment est
moins de 13 fr. 1 centime et celui du seigle moins de 16 fr. I cent., tandis que, suivant d’autres, la prohibition doit
commencer lorsque le prix de l’hectolitre de froment est moins de 16 fr. et
celui du seigle moins de 9 fr. 1 cent.
Ainsi le
principe de la prohibition ne sera pas sérieusement contesté dans cette chambre
; il n’y aura et il ne peut s’élever de discussion que sur son application.
Admettra-t-on le chiffre de prohibition proposé par M. Coghen, ou
l’élèvera-t-on ? Là est toute la question. C’est sur cette question seule, si
nous étions économes de discours, que les débats devraient uniquement porter.
Dans les circonstances actuelles on proclamera vainement les avantages de la
liberté du commerce, ou plutôt on s’élèvera vainement contre le système
prohibitif ; on objectera vainement que si l’on repousse des marchandises
étrangères, les peuples froissés peuvent repousser à leur tout les marchandises
qu’on les envoie ; cette théorie, quelque juste, quelque séduisante qu’elle
soit à bien des égards, ne produira aucun effet en présence des souffrances de
l’agriculture, à la prospérité de laquelle le pays tout entier est et doit être
intéressé ; car toutes les classes ont intérêt à ce que les prix des céréales
se soutiennent d’une manière convenable. Pour ma part, dans la situation des
esprits, j’ai l’intime conviction qu’on ne portera son attention que sur un
seul point, le prix de la denrée qui servira de base à la prohibition.
Du moins c’est là qu’après un examen sérieux
que j’ai fait du projet de loi, j’en ai aperçu l’objet le plus important. Et si
la discussion ne vient pas modifier mon opinion, elle sera pour une élévation
du chiffre proposé par l’honorable M. Coghen à la prohibition à l’entrée.
M. Lardinois.
- La question des céréales s’est toujours présentée aux yeux des législateurs de
tous les pays comme une de ces questions vitales, intimement liées aux intérêts
les plus chers de la société. Aussi, avant de la résoudre, elle a besoin d’être
longtemps méditée, et il es nécessaire de soumettre à
une investigation sévère les principes et les faits.
J’ignore, messieurs, si la marche que nous suivoons est celle que réclame cette grave question. J’en
doute. Vous avez refusé au ministère un délai de quelques jours pour examiner
les avis des chambres de commerce et se préparer à une discussion sur un objet
de la plus haute importance, et sur lequel son opinion n’était pas encore
définitivement arrêtée. Quant à moi, je le déclare, je suis pris au dépourvu ;
j’avais cru qu’on aurait discuté avant tout les lois d’organisation intérieure
ainsi qu’il en avait été convenu, et qu’une question aussi immense que celle
des céréales ne serait pas traitée ex abrupto, et lorsque l’époque de clore la
session est arrivée. Mon but donc, en prenant la parole, est de motiver mon
vote plutôt que de concourir à une discussion approfondie.
Lorsque Colbert voulut transformer
L’expérience des Hollandais en cette matière,
messieurs, nous a beaucoup servi, et peut-être malgré nous, pendant notre
réunion. C’est à eux que nous devons le système des douanes qui nous régit
encore et à la protection duquel notre commerce et la plupart de nos industries
ont prospéré. Ces hommes expérimentés savaient que les progrès de l’industrie
étaient attachés à la modération des droits, et que le commerce en général ne
peut se mouvoir lorsqu’il est environné d’entraves ; ils comprenaient enfin la
législation qu’il fallait adopter pour assurer la prospérité des intérêts
matériels d’un pays.
Je pense que cette opinion sera partagée par
tous ceux qui voudront se dégager de leurs préventions contre nos anciens
frères néerlandais. Les lois de douanes sont un bienfait qu’ils nous ont légué
; mais, au train que nous allons, je crains beaucoup que l’intérêt de localité
ne parvienne à détruire la poule aux œufs d’or.
De tous côtés, on entend crier : protection au
commerce et à l’industrie ! Et la protection se résume en définitive dans le
privilège que réclame pour chaque industrie particulière. Si on examine
froidement ce qui se passe, messieurs, on ne trouve dans ces diverses
prétentions qu’égoïsme et contradiction.
Les uns vous demandent de protéger le commerce
maritime et ils veulent entraver de toute manière les importations des grains
étrangers qui peuvent si puissamment contribuer à activer notre marine
marchande ; les autres veulent la protection de l’agriculture, et ne trouvent
pas étrange de frapper d’un droit la sortie des lins et des étoupes ; un troisième,
enfin, vous dit gravement que les manufactures qui occupent une population
immense méritent une sollicitude toute spéciale du gouvernement, et on le
provoque bon gré malgré à faire renchérir les matières premières et à forcer
l’augmentation du prix de la main-d’œuvre. C’est, en vérité, messieurs, la tour
de Babel, il n’y a plus à s’y reconnaître, et l’on est saisi de pitié et de
dégoût à la vu /de ces projets de loi qui ruinent l’un sans enrichir l’autre,
et qui menacent de détruire la prospérité matérielle du pays.
Je ne dirai pas que c’est aujourd’hui le tour
de l’agriculture, mais celui des céréales qui ne font qu’une partie de
l’agriculture. Cette partie est bien la plus considérable de la culture, mais
pas la plus intéressante ni celle dont les produits ont le plus de valeurs
intrinsèques. D’ailleurs, produire des grains est le fait de l’homme sauvage
comme de l’homme civilisé ; c’est une industrie qui peut être exercée dans tous
les climats et sans aucun effort d’intelligence.
Je fais ces remarques, parce que, dans
plusieurs rapports et développements, on a voulu faire considérer la culture
des céréales comme absorbant toute l’agriculture, et que d’un autre côté on a
voulu lui donner une suprématie marquée sur le commerce et l’industrie
manufacturière.
Dans une circonstance semblable je me suis
expliqué sur cette prétention, et j’ai prouvé que ces deux dernières sources de
la fortune publique, multipliant à l’infini les produits et les valeurs,
avaient sur le travail une action immense que ne peut avoir l’agriculture : du
reste, il ne s’agit pas de savoir quelle est la branche qui occupe le premier
rang et qui mérite la préférence ; nous devons connaître que lorsqu’il y a
souffrance dans quelque grande partie de la richesse nationale, elle réagit sur
le reste dc l’état social, et le malaise devient général ; ainsi il est de
l’intérêt de l’agriculture, du commerce et de l’industrie de se porter
mutuellement secours, car leur destin les oblige à partager leurs souffrances
comme leur prospérité.
Malheureusement, dans la complication des
intérêts divers, il est difficile de les concilier et de les harmoniser, et
dans ce conflit le législateur doit se féliciter lorsqu’il a pu rencontrer
l’intérêt général dans ses décisions. La question des céréales a fait le tourment
de tous les pays, et chaque fois la dernière législation était en apparence
toujours la meilleure ; mais le problème est encore à résoudre et il est
probable que sa solution tient à la liberté du commerce des grains.
Les économistes sont d’accord sur une chose :
c’est que de tous les impôts celui sur le blé est considéré comme le plus
odieux parce qu’il se prend sur le consommateur, non au profit de la société,
mais en faveur d’une certaine classe de producteurs, et que les premières et
les plus nombreuses victimes de cette iniquité sont les ouvriers qui doivent
vivre d’un faible salaire acquis par un travail pénible. Les propriétaires ne
sont pas de l’avis des économistes, messieurs, et je crains bien que le soleil
de juillet 1834 n’éclaire pas encore le triomphe de cette opinion généreuse ;
mais patience, cela viendra.
Depuis 1814 notre législation sur les céréales
a éprouvé plusieurs changements : le droit à l’entrée sur les grains étrangers
fut d’abord faible, mais il grandit successivement, et l’honorable M. Coghen
nous apprend que ce succès fut le fruit du courage et de l’éloquence des
députés belges aux états-généraux. En 1827. le droit
d’entrée sur les céréales avait atteint l’apogée qu’on pouvait raisonnablement
désirer même pour une année d’abondance extrême. Lorsque la révolution éclata,
le gouvernement provisoire n’eut rien de plus empressé que dc permettre la
libre importation des céréales et d’en défendre l’exportation. C’était à la
fois une mesure sage et politique, et personne ne s’avisait de la critiquer ni
de s’en plaindre, car alors chacun cherchait à plaire au peuple qui régnait sur
la place publique et qui combattait les bras nus pour nos libertés.
Cet état de choses a duré pendant 1830, 1831 et
1832 ; malgré l’abondance des deux dernières années et les nombreuses
importations qui eurent lieu le prix des grains se soutint parce que
différentes circonstances en augmentèrent la consommation ; mais, la récolte de
1833 se présentant riche, les agriculteurs en furent effrayes, et après de longs
débats ils parvinrent à faire rétablir le tarif de 1827.
C’est ce tarif, sous le régime duquel le
commerce des grains se fait, dont on se plaint comme n’accordant pas une
protection suffisante à l’agriculture. A cet effet deux propositions ont été faites,
l’une par l’honorable M. Eloy de Burdinne, l’autre par M. Coghen comme
rapporteur de la commission
C’est en présence de ces deux propositions que
vous vous trouvez, messieurs ; la première paraît avoir été coulée par les
arguments relatés dans le rapport du 10 juin, fait par M. Coghen au nom de la
section centrale et de la commission d’industrie réunies. Je souhaite que
l’honorable M. Eloy coule à son tour le projet de M. Coghen ; il y aura ainsi
compensation, et le pays gagnera à ces deux défaites.
En supposant que telle pourrait être
l’intention de l’honorable membre, je me permettrai de présenter quelques
considérations auxiliaires.
Si j’avais à me rallier à un des deux projets
de loi, je crois que je donnerais la préférence à celui de la première proposition.
J’estime la franchise de l’honorable M. Eloy de Burdinne, il ne va pas par
quatre chemins, et il ne veut pas ménager la chèvre et le choux. L’agriculture,
vous dit-il, c’est-à-dire la culture des céréales, tient le haut bout parmi les
industries en Belgique ; elle remplit abondamment les coffres de l’Etat ; elle
est une source de bien pour le commerce et pour les manufactures : protégez
l’agriculture. Je ne conteste pas ces vérités, je sais que l’agriculture
fournit sa bonne part pour les besoins sociaux ; mais il faut s’entendre sur la
protection que quelques esprits regardent comme synonyme de monopole. Lorsque
le prix des grains est à un taux capable de satisfaire un cultivateur
raisonnable, il est encore protégé par un droit de 9 à 11 p.c. suivant l’espèce
; et lorsque le froment est à
L’honorable M. Coghen déplore la détresse de
l’agriculture, mais il s’attendrit aussi sur le sort du commerce et des
manufactures, et personne mieux que lui n’est à même de se faire une idée de
leur pénible situation. En jetant un coup d’œil sur le tarif des grains qu’il
présente, il me fait l’effet de ce dieu de la fable qui n’embrassait ses
enfants que pour les étouffer. Il propose de fixer le droit d’entrée du froment
à 37 francs 50 centimes l’hectolitre et le seigle à 21-40 ; de sorte qu’au
cours précité de 12 francs et de 8 francs l’hectolitre, cela fait pour le
froment un droit de 30 p.c. et pour le seigle 24 p. c. environ de la valeur.
Ce n’est pas tout, il va encore plus loin, plus
loin que l’honorable M. Eloy de Burdinne et même que le système français ; il
établit un minimum et un maximum, c’est-à-dire, en certains cas, la prohibition
à l’entrée et à la sortie des céréales. Ah ! c’est
trop, laissez-nous ; l’aménité de votre langage nous fait mal en présence de
ces faits ! Votre proposition nuit à la fois au commerce, à l’industrie, au
producteur et au consommateur.
Je préfère en plusieurs points le tarif de M.
Eloy ; car s’il sacrifie souvent le consommateur, il est beaucoup de cas où il
laisse seulement au cultivateur le prix moyen qui permet une culture fructueuse
modérée.
La prohibition ! Mais ce point d’économie
politique est jugé sans retour. La prohibition est aussi fâcheuse pour le
producteur que pour le consommateur. Elle laisse le commerce dans l’incertitude
; elle produit des intermittences et des alternatives d’importation et de
prohibition qui découragent la spéculation, qui est le grand moyen de rétablir
l’équilibre entre les bonnes et mauvaises années de récolte. D’un autre côté
elle pousse aux approvisionnements extraordinaires dans les entrepôts, et fait
baisser les prix outre mesure en versant à l’improviste des quantités énormes
de grains sur les marchés intérieurs.
Ces réflexions s’appliquent également au
système gradué qui laisse le commerce et la spéculation avec l’inconvénient de
l’instabilité des prix. Ce seul motif me suffirait pour rejeter la loi.
Lorsque l’on considère l’état avancé de notre
industrie et les besoins réels du commerce proprement dit, on est vraiment
effrayé du système prohibitif qui paraît dominer dans cette assemblée. Toutes
les grandes industries, armes, coton, toile, draps, productions agricoles,
manufacturières, exploitations de toutes natures, etc., ont besoin d’écouler
l’excédent de leurs produits ; c’est à l’étranger qu’on doit trouver des
débouchés, et chaque jour on ferme davantage la porte aux échanges. Les
manufactures et les arts industriels ne grandissent et ne peuvent soutenir la
concurrence qu’en produisant à bon marché, et l’on cherche à faire augmenter
les matières premières et les denrées de première nécessité. Qu’on me permette
de répéter ici une vérité qui paraît triviale à force d’être dite : C’est que
le prix de la journée de l’ouvrier suit invariablement le prix des céréales.
J’ajouterai que la prospérité des fabriques
qui, réunies, emploient un million et demi d’individus, procure une
consommation immense des produits agricoles supérieurs aux valeurs des
céréales, tels que houille, fer, garance, vin, huile, lin, viande, etc., etc.
Si vous les sacrifiez, vous portez par là atteinte à une grande partie de
l’agriculture.
En faisant élever les prix des denrées de
première nécessité, vous frappez plus particulièrement la masse pauvre des
consommateurs ; vous propagez ainsi la misère, et vous savez qu’elle enfante
l’émeute, le pillage et l’assassinat.
Une considération d’ordre public doit aussi
vous frapper, messieurs. La société entière est agitée d’un besoin qu’elle ne
peut pas encore définir ; on ne peut prévoir quelles convulsions sortiront de
la tourmente actuelle, mais ce que nous voyons de plus positif, c’est que les
plus grands génies du siècle prêchent des doctrines anarchiques qui commencent
à faire trembler ; que partout l’on reconnaît le besoin d’une amélioration
sociale, et qu’on proclame cette vérité consolante ; il est injuste de
n’accorder pour salaire au travailleur que la continuité de sa misère.
Les gouvernements prévoyants comprennent leur
intérêt et celui de la société, en cherchant à améliorer la condition des
prolétaires. Ce n’est pas en inscrivant dans les lois des doctrines plus ou
moins libérales que l’on y parviendra, mais en les pratiquant surtout pour les
intérêts matériels. L’ouvrier anglais s’inquiète fort peu des réformes morales
ou religieuses, mais il sait quel bien ferait la suppression de la taxe sur la
drèche. Le ministère anglais a commencé par supprimer le droit de fabrication
sur la bière, qui s’élevait à 75 millions, parce que c’était un objet que le
peuple consomme.
Lorsqu’un pays est régi par de mauvaises lois
sur les céréales, le commerce des grains ne tarde pas à s’en éloigner ; alors
le gouvernement, dans un temps de disette, doit se résigner à d’énormes
sacrifices pour faire venir des blés de l’étranger, et ce remède est souvent
inefficace pour secourir des populations affamées. C’est dans le cas de ces
disettes que je conçois la possibilité de défendre la libre exportation des
céréales.
Sans doute, le pays doit protection à toutes
les industries ; mais lui est-il permis et ne serait-il pas dangereux pour la
paix publique de frapper de 30 p. c. une denrée de première nécessité ? Les
producteurs de céréales réclament une nouvelle protection ; je pense que celle
dont ils jouissent est suffisante : je m’explique.
Déjà je vous ai fait remarquer que le droit
d’entrée sur le froment et le seigle s’élève de 9 à 20 p. c. de la valeur,
selon le prix de l’hectolitre. Ajoutez à cela les frais de transport, de
commission, etc., et vous verrez si la concurrence n’est pas possible contre
les grains étrangers.
Par votre dernière loi sur les distilleries,
vous avez encore sacrifié plusieurs millions d’impôts en faveur de
l’agriculture.
Cette loi a de plus une influence funeste sur
le moral des ouvriers et des soldats, elle favorise l’ivrognerie par le bas
prix du genièvre, et c’est une cause de beaucoup de crimes.
J’estime que l’importation des grains étrangers
pour la consommation est dans un rapport de 3 à 100 : du moins c’est le
résultat des calculs que j’avais faits sur les importations de 1832, en blé
sarrasin, orge, seigle et froment.
D’après ces observations, je crois pouvoir
conclure que l’avilissement du prix des céréales n’est pas le résultat des
importations, mais la cause doit être principalement attribuée à l’abondance
des récoltes.
Je répète que la question des
céréales est immense ; je vous ai soumis quelques considérations bien courtes
et bien superficielles pour un pareil sujet, mais je n’étais pas préparé pour
la discuter sous toutes ses faces. Je désire que l’idée d’augmenter le droit à
l’entrée sur les céréales soit abandonnée, parce que dans le cas contraire vous
compromettriez évidemment le commerce maritime et les manufactures. D’un autre
côté, le peuple qui a fait la révolution en attend les conséquences, et en
améliorant son sort sous le rapport matériel que vous pouvez acquitter votre
dette à son égard. Si mes prévisions ne se réalisaient pas, si on ne montrait
aucune sympathie pour les souffrances du peuple, on pourrait accuser la
propriété, qui est si puissamment représentée dans cette chambre, de soutenir
un système qui lui assure le privilège de vendre ses produits à des prix
élevés, et de faire ainsi un bénéfice odieux au détriment des consommateurs.
J’ai dit.
M. Helias d’Huddeghem. - Est.il bien vrai, messieurs,
qu’il suffit d’interroger le commerce pour connaître les besoins et même les
vœux de l’industrie agricole et de l’industrie manufacturière ? Je ne pense pas
qu’on pourrait le soutenir sérieusement lorsque des faits attestent le
contraire, aussi bien pendant les quinze années de notre réunion à
C’est ce qui a fait dire à un orateur distingué
de la chambre des députés de France :
« Qu’il y a trois intérêts distincts qui
doivent être pondérés : l’intérêt agricole, l’intérêt des commerçants et
l’intérêt des industriels.
« L’intérêt de l’industriel peut exiger
des prohibitions, tandis que l’intérêt du négociant s’y oppose ; l’intérêt du
commerçant peut exiger des importations, et ces intérêts peuvent blesser les
intérêts de l’industriel et de l’agriculteur. »
Je pense que nous serons d’accord que la
prospérité d’une nation consiste à exporter le plus et à importer le moins ; à
n’importer surtout que les produits fabriqués ou à fabriquer, qu’elle n’a pas
assez abondamment pour sa consommation ; à ne les importer que lorsqu’ils ont
dépassé chez elle le prix qu’il coûte pour les produire ou les fabriquer ;
autrement le producteur et les fabricants seraient obligés de renoncer, l’un à
la culture du sol, l’autre à son genre d’industrie.
C’est en suivant ce système qu’on est parvenu
en France et en Angleterre à faire prospérer l’agriculture et les manufactures.
Une liberté déréglée du commerce n’amènerait-elle pas infailliblement
l’anéantissement de l’une et de l’autre industrie ? Je vais prendre pour
exemple l’importation en Belgique des céréales.
Il est inutile d’insister sur un point
généralement reconnu.
Certes notre culture ne peut produire un
hectolitre de blé au-dessous de seize à vingt-quatre francs. Eh bien,
L’honorable M. Meeus vous a dit que le fret des
grains du Nord revient à 4 ou 5 francs, et je me fonde ici sur un mémoire
présenté par les cultivateurs de Groningue en 1825 aux états-généraux : ils
exposent que si la baisse des grains continuait, leur état serait déplorable
puisque les grains de Lubeck et de l’Occident seraient livrés au marché
d’Amsterdam à meilleur compte que ceux provenant de Groningue. Pour prouver
leur assertion, ils joignaient un tableau du prix courant des grains du marché
de Lubeck envoyé en septembre 1823 ; il résulte de ce tableau que la rasière
revenait libre à Amsterdam, fret et tout compris, à 3 florins des Pays-Bas.
Sur quelle hase percevra-t-on l’impôt, il
faudra diminuer les baux de moitié, de plus peut-être, les impôts devront
décroître dans la même proportion.
Quand les prix des grains baissent, les revenus
territoriaux diminuent dans la même proportion : avec ce revenu diminuent d’un
côté les ressources pour procurer l’amélioration des terres et entretenir tous
les bras employés à la culture ; de l’autre, les moyens de consommation des
produits du commerce et des manufactures. « Il est évident, disait un
membre à la chambre des communes, en 1815, que le manufacturier doit souffrir
de la baisse des grains ; car, si par exemple le revenu territorial est diminué
de moitié, qu’il consulte ses livres, il faut qu’il se décide ou à restreindre
sa vente, ou à diminuer ses prix de moitié, qu’il laisse les bras sans emploi
ou qu’il renonce à une partie de ses bénéfices. » Or, si cette proposition
n’est point contestée dans un pays où le tiers seulement de sa population tire
directement ses ressources de l’industrie agricole, que ne peut-on pas dire de
celui où les trois quarts ne vivent que par elle, où l’autre quart n’est
employée, pour la plus grande partie, qu’à la consommation intérieure ? Que si
dans un pays où un fermier, d’après des calculs authentiques soumis à la
chambre des communes, ne paie pas toutes les contributions, y compris la taxe
des chiens, des chevaux et des domestiques de luxe, que de deux jusqu’à cinq
pour cent de sa ferme, il montre une si grande crainte de voir diminuer son
revenu, quelle compassion ne doit-on pas avoir du malheureux propriétaire qui,
d’après notre budget, paie depuis 9 jusqu’à 20 pour cent de son revenu en
contribution foncière seulement ?
L’excédant des importations en froment, pendant
l’année 1833, n’a été que de
Un approvisionnement de 15 à 20 millions peut,
en se réalisant dans ses mains, devenir l’élément d’un grand accroissement de
produits et de nouvelles valeurs.
Du moment qu’une nation conserve forcément des
produits qui doivent périr dans ses mains, l’état de ruine commence, et, quel
que soit le capital dont elle se trouve privée chaque année. elle
agit en sens inverse de ces capitaux qui font pencher la balance du commerce en
faveur de certains peuples étrangers.
Si le capital, dont est aujourd’hui privée
l’agriculture, est de 15 à 20 millions, cette somme paraîtra sans doute d’une
mince importance aux yeux de ceux qui se sont accoutumés à traiter de ces
sommes prodigieuses qui figurent aujourd’hui dans le budget. Mais, on ne peut
trop le dire, c’est ici un capital productif, un capital qui se serait
multiplié à l’infini, comme une nouvelle semence de richesse. Toutes les fois
que des circonstances procurent des bénéfices ou des allégements à
l’agriculture, sa prospérité se fait promptement remarquer ; c’est une nouvelle
époque de développement pour elle.
Il est de l’intérêt du commerce, comme il est
dans l’intérêt des cultivateurs et des propriétaires, que les productions
soient vendues à leur prix nécessaire ; en obtenant une indemnité convenable de
toutes choses, le commerce étend la culture, augmente la masse des richesses
renaissantes, la puissance de l’Etat et sa prospérité ; c’est ainsi que son
intérêt particulier est entièrement conforme à l’intérêt général, tandis que
celui des agents du commerce tend constamment à exciter des mouvements
convulsifs dans les prix pour augmenter leur rétribution, qui est le résultat
du prix entre la vente de la première main et celui de la revente ; s’il
leur est impossible d’augmenter le second, ils font tous leurs efforts pour
diminuer le premier, afin de rendre la différence de ces deux prix plus
considérable. Si ces moyens sont insuffisants, ils deviennent les instigateurs
de fausses mesures, ils égarent l’autorité, font une guerre intestine au
commerce national, et détruisent toutes les opérations possibles de l’intérieur
; à l’aide d’une loi de trafic indéfini qui sera constamment la cause d’un vide
meurtrier, ou plus souvent d’un superflu ruineux, ils trafiquent avec le nord,
sans aucun risque ; ils en reçoivent des masses énormes de grains qu’ils
livrent sans cesse en baisse à la consommation, au moment où leur propre patrie
se trouve dans une situation désespérante par une grande surabondance, et par
l’impossibilité permanente d’exporter ses produits, dont la vilité du prix est
au-dessous de celui de la reproduction ; tout entiers à leur trafic, qu’ils
regardent encore exclusivement comme une des principales branches de leur
politique, malgré que les trois quarts de la population ne vivent que par
l’agriculture, ils soutiennent des systèmes dont les principes factices sont
contraires à l’ordre physique.
Cette opposition d’intérêts, qui durera tant
que la législature n’y aura porté remède, est le principe des dommages que le
trafic s’efforce constamment de causer au commerce, et qu’il ne peut manquer de
lui faire souffrir, pour peu qu’il continue d’avoir la préférence sur les
véritables intérêts du pays.
Quelle serait l’extrême surprise des
législateurs s’ils connaissaient tout le dommage que ce système porte à leur
patrie, et si on leur désignait en même temps le genre d’atteinte qu’elle porte
à la propriété ; cette analyse serait un contraste frappant avec les fausses
idées de bonheur et de prospérité dont on les a assourdis pour captiver leurs
suffrages.
Pour faire diversion à l’état d’abandon et de
misère dans lequel languit l’agriculture, on oppose des opérations brillantes
et multipliées du trafic maritime dans les contrées éloignées ; mais un grand
étalage de commerce au-dehors, dont les résultats nous restent inconnus, avec
un infiniment faible en dedans, ne peut éblouir personne de raisonnable, car il
ne peut être que le fruit d’un besoin impérieux et la preuve la plus
authentique de la misère ; ces entreprises ne peuvent être que les efforts par
où on fait passer le terme de la richesse, pour ne plus revenir au foyer qui devait
la reproduire.
C’est à la faveur de ces méprises que l’erreur
ouvre un vaste champ à la cupidité du trafic ; elle l’invite pour ainsi dire à
spolier l’agriculture sans crainte de réclamations qu’on ne pourrait traiter de
séditieuses ; et tandis que celui-ci jouit de son inviolable immunité, il n’est
aucun lieu où l’agriculture puisse se soustraire aux atteintes multipliées
qu’on porte à la sienne ; elle trouve partout une foule de taxes sur les
laboureurs, sur leurs opérations, sur leurs logements, et notamment sur leurs
consommations ; elle ne peut parcourir les routes, naviguer sur les rivières ou
canaux, sans être soumise à des contributions onéreuses ; les taxes
municipales, les octrois l’épient aux portes des villes et l’attaquent sur les
marchés.
On ne peut voir sans satisfaction la prospérité
des hommes, quelque part qu’elle ait lieu ; mais que cette prospérité soit
violemment créée par nous, à nos dépens, par le malheur de 3 millions de
Belges, par l’anéantissement de leur industrie, la destruction de leur culture,
c’est ce qui est intolérable ; c’est à cela que l’on vous propose de remédier :
le remède, nous le pensons, est simple, facile, et sans danger quelconque.
Ayons plus de confiance dans les ressources
d’un territoire qui, sevré du commerce des mers pendant tant d’années a accru
son agriculture, augmenté sa population en proportion, quadruplé son industrie
; et nous verrons si c’est contre du blé que nous devons échanger nos capitaux
les plus précieux, puisque ce sont eux qui retournent immédiatement à la source
de toutes richesses. .
Laissons ce pénible soin aux peuples déshérités
par la nature ; mais, quant à nous, la nature nous a trop bien traités pour
abandonner nos propres ressources, qu’il ne s’agit que de développer et de
ménager.
- La séance est levée à 4 heures.