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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 6 juin 1834

(Moniteur belge n°158, du 7 juin 1834)

(Présidence de M. Raikem.)

La séance est ouverte à midi.

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Renesse fait l’appel nominal à midi et demi.

M. H. Dellafaille donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier ; il est adopté sans réclamation.

Pièces adressées à la chambre

M. de Renesse fait connaître l’objet des pétitions suivantes adressées à la chambre.

« Les administrations communales de Baeverghem, Waerzele et Trondeghem demandent qu’il soit formé un arrondissement judiciaire dans la ville d’Alost et que les cantons de Herzele et de Ninove soient détachés de l’arrondissement d’Audenaerde pour en faire partie. »

« Les régences des communes de Tamise, Zuyndrecht, Beveren, Haerdonck, Melzèle et Belzèle, demandent qu’il soit établi un tribunal de première instance à St-Nicolas. »

- Ces deux pétitions sont renvoyées à la commission chargée de l’examen des propositions de MM. Dewitte et Desmet.


« Le baron de Scherpenzel-Heusch, né en Gueldre et commandant la garde civique du canton de Ruremonde, demande la grande naturalisation. »

- Renvoyée à la commission des pétitions.


« La régence de Hasselt demande que cette commune jouisse du droit d’élire trois conseillers provinciaux, au lieu de deux que la loi provinciale lui accorde. »

- Cette pétition est renvoyée à la section centrale chargée de l’examen du projet de loi sur l’organisation provinciale.


M. le ministre de la guerre (M. Evain) adresse les explications demandées par la chambre sur une pétition du sieur Eskens dit Borremans, du chef de l’arrêté qui prive le pétitionnaire de son grade et de son traitement. Ces explications sont renvoyées à la commission des pétitions.

Projets de loi accordant des crédits supplémentaires au budget du ministère de la guerre

Dépôt

M. le président. - M. le ministre de la guerre a la parole pour une communication du gouvernement.

M. le ministre de la guerre (M. Evain) donne lecture de l’exposé des motifs et des articles de trois projets relatifs à une demande de crédit pour son département. (Nous ferons connaître ces projets.)

M. le président. - La chambre donne acte à M. le ministre de la présentation des trois projets qui seront imprimés et distribués.

M. d’Huart. - Je demande le renvoi des projets dans la section. Ces projets sont très importants puisqu’il s’agit de 5 millions 200,000 fr. environ. Il faut que les investigations de la chambre portent sur ces nouvelles demandes de crédit. Nous savons par les journaux, et par différents bruits qui circulent de tous côtés, que l’administration de la guerre est accusée de prodigalité ; la chambre ainsi avertie doit surveiller une semblable administration. J’engage les membres de cette chambre à se rendre dans les sections, afin de bien examiner la nécessité des dépenses qu’il faut couvrir ; nous devons, vis-à-vis de nos commettants, faire justice des inculpations qui pèsent sur le département de la guerre.

Dans la ville de Bruxelles, par exemple, des officiers supérieurs jouissant de leur traitement d’activité parlent des prodigalités de l’administration de la guerre ; il faut voir si cette assertion est fondée ; il faut, je le répète que justice soit faite.

M. A. Rodenbach. - Je partage l’opinion de l’honorable préopinant ; déjà plusieurs fois on a renvoyé le budget de la guerre à des commissions. Je vous avoue que dans ma province on a trouvé étonnant que des millions fussent demandés dans des projets de loi sans que ces projets soient examinés dans les sections. Il s’agit ici d’une demande de crédit très considérable, nous devons l’examiner avec une grande attention. Sans doute notre armée doit être aussi formidable que celle de la Hollande, mais il ne faut pas qu’elle nous coûte trop cher.

M. Legrelle. - Il me semble que le mode d’examen que propose M. d’Huart et qu’appuie M. Rodenbach, n’atteindrait pas le but que se proposent les honorables préopinants.

Je veux aussi, autant que possible, que la chambre se livre à des investigations à l’égard de l’administration de la guerre ; non pas que je croie aux bruits qui circulent, mais parce qu’il est du devoir des membres de cette assemblée de bien examiner toutes les dépenses qu’elle vote.

Les sections s’occupent en même temps de l’examen de divers projets ; je ne pense pas qu’elles puissent examiner avec tous les soins nécessaires les projets qui vous ont été présentés. Je crois que ces projets seront beaucoup mieux examinés par une commission qui serait composée de membres ayant les connaissances spéciales sur l’objet dont il s’agit.

Je pense en outre qu’au lieu de faire nommer une commission de six personnes par le bureau, il conviendrait que la commission fût plus considérable.

- La question de renvoi est d’abord mise aux voix ; le renvoi à une commission est adopté. La chambre décide que cette commission sera nommée par le bureau.

M. Legrelle. Je demanderais que la commission fût composée au moins de 10 membres.

M. Pirson. - Je demande qu’il soit nommé deux membres par section.

- Quelques voix. - Une commission de 8 membres.

M. le président. - On demande 8, 10, 12 membres.

M. d’Huart. - Prenez le juste milieu. (On rit.)

- La chambre décide que, la commission sera composée de 10 membres.


M. le ministre de la guerre (M. Evain) soumet à la chambre de nouveaux projets également relatifs à son département.

- Les projets présentés par M. le ministre de la guerre seront renvoyés à une commission.

Projet de loi réprimant les démonstrations publiques en faveur de la famille d'Orange-Nassau

Discussion des articles

Article premier

M. le président. - La discussion continue sur l’article premier. M. C. Rodenbach propose d’ajouter après ces mots : « aura publiquement, » ceux-ci : « attaqué la révolution ou sa légitimité, ou l’indépendance nationale. »

M. C. Rodenbach. - En présentant mon amendement, je n’ai pas eu la prétention de le croire parfait, inattaquable. J’ai entrevu dans le projet de loi maintenant en discussion une lacune grave qui, si elle n’était pas comblée, rendrait la loi entièrement illusoire.

En effet, messieurs, on ne fera plus de démonstrations en faveur de la famille d’Orange ; mais, pour éluder la loi, on attaquera l’indépendance nationale ; de cette manière il y aura toujours impunité.

Je suppose que des agitateurs, des émeutiers, des anarchistes, voulussent, pour marcher plus facilement vers la restauration, changer le mode de gouvernement. D’après quelle loi pénale punirez-vous les coupables ? Je ne vois dans le code pénal, dans la section 2 qui traite des crimes contre la sûreté intérieure de l’Etat, que l’article 87, en vertu duquel vous pourriez appliquer la peine de mort et la confiscation.

Vous avez, messieurs, trop de lumières, trop d’élévation dans les sentiments, trop de philosophe morale pour vouloir appliquer aux délits de la nature dont il s’agit, des lois draconiennes, des lois de sang. On pourrait m’objecter qu’on peut avoir recours au droit de grâce. Mais, messieurs, le droit de grâce, dont on a tant abusé, est encore une impunité qui peut souvent être dangereuse pour le pays.

C’est donc pour écarter une peine trop sévère, peine qui au 19ème siècle devrait être bannie de nos codes, que j’ai présenté mon amendement. Quoique je n’aie pas l’honneur d’être jurisconsulte, pas même avocat, j’ai cru bien faire en présentant une ajoute, dans l’espoir que la discussion perfectionnerait cette ajoute et qu’il en sortirait quelque chose de meilleur.

C’est aussi dans ce but que j’avais demandé hier le renvoi de mon amendement à la section centrale, amendement qui signale, quoi qu’on en dise, une véritable lacune. La section centrale aurait pu l’améliorer, le modifier pour le mettre en rapport avec le projet que nous avons sous les yeux.

D’après l’observation qui vient d’être faite par un de mes collègues que la loi en discussion est temporaire, je me décide à retirer mon amendement, avec l’intention de présenter à la chambre une proposition spéciale, si toutefois le gouvernement ne prend pas l’initiative.

M. le président. - M. Boucqueau de Villeraie propose d’ajouter après les mots : provoqué le retour de la famille d’Orange-Nassau ou d’un de ses membres, ceux-ci : ou le renversement du gouvernement constitutionnel établi en Belgique.

M. Boucqueau de Villeraie. - Messieurs, on a épilogué hier sur le mot légitimité de la révolution. Je sais qu’on a divisé les gouvernements en gouvernements légitimes et gouvernements constitutionnels ou établis par la volonté du peuple. De cette espèce de légitimité la révolution belge n’a pas à s’en enquérir. Elle n’a rien à y voir. Il est une autre espèce de légitimité, et celle-là, l’histoire la jugera : c’est celle de la révolution belge.

Pour en revenir au projet de loi qui nous occupe, car il n’est pas question de démontrer ici la légitimité de la révolution (ce serait d’ailleurs s’occuper en quelque façon de ce qui est passé), il me paraît important de compléter le projet proposé qui, s’il restait tel qu’il est, ne remplirait pas le but du ministre qui l’a présenté.

Ce projet de loi a pour but de réprimer les menées que pourraient se permettre les partisans de la dynastie déchue pour la restaurer sur la trône de la Belgique ; mais il paraît que ce projet n’atteindra pas parfaitement le but proposé, si on se borne à y comminer des peines contre les provocations directes au retour de la famille d’Orange-Nassau ou d’un de ses membres, puisque ceux qui auraient de ces vues liberticides échapperaient aux termes du projet, en ne désignant pas nominativement dans leurs provocations cette famille repoussée par le décret du congrès national, et qu’ils pourraient tenter d’atteindre la même fin, en provoquant simplement au renversement des institutions constitutionnelles qui régissent actuellement la Belgique, bien persuadés que personne ne se méprendrait sur leurs intentions ni sur la famille en faveur de laquelle ils travaillent et en faveur de laquelle ils font ces provocations, quoique sans la nommer.

C’est pourquoi il me paraît qu’il conviendrait que dans l’article premier du projet, après les mots : « aura publiquement appelé ou provoqué le retour de la famille d’Orange-Nassau, ou d’un de ses membres, » on ajoutât les mots suivants : « ou le renversement du gouvernement constitutionnel établi en Belgique. »

De sorte que l’article premier serait rédigé de la manière suivante :

« Quiconque, soit par des discours, des cris ou menaces proférés dans des lieux ou réunions publics, soit par des écrits, des imprimés, des dessins, des gravures, des peintures ou emblèmes vendus ou distribués, mis en vente ou exposés dans des lieux ou réunions publics, soit par des placards ou affichés exposés aux regards du public, ou de toute autre manière, aura publiquement appelé ou provoqué le retour de la famille d’Orange-Nassau ou d’un de ses membres, ou le renversement du gouvernement constitutionnel établi en Belgique, sera puni d’un emprisonnement de trois mois à cinq ans et d’une amende de 500 à 10,000 francs. »

Dans toute révolution tendant à changer le gouvernement d’un pays, quel que puisse être l’assentiment qu’elle obtient dans la nation, il y a toujours un parti qui lui est opposé, et qui se compose des individus qui jouissaient des faveurs du gouvernement déchu. Il est naturel qu’ils regrettent une dynastie sous laquelle ils participaient au pouvoir, aux honneurs, aux places publiques et au budget de l’Etat pour eux et pour leurs familles.

Aujourd’hui le parti de ceux qui regrettent le gouvernement hollandais, ce gouvernement si anti-belge qui nous fut imposé par la force des baïonnettes alliées, n’est autre chose par lui-même que le parti des regrets pour les pensées et l’expression de l’intérêt personnel des individus froissés par la perte des faveurs de l’ancien régime. Il n’est aucun Belge qui, par sentiment national puisse regretter au fond du cœur de n’être plus Hollandais, ou soumis, si on veut, aux Hollandais ; car, il n’est pas possible de se le dissimuler. Il existe entre les deux nations une antipathie qui ne nous empêche pas de nous estimer, mais qui ne nous permettra jamais de nous aimer.

Peu nombreux dans le commencement de la révolution (car on ne peut révoquer en doute que tout le corps de la nation n’y ait pris part avec affection et empressement) ; peu nombreux, dis-je, le parti orangiste s’est depuis recruté de gens qui, chose étonnante, avaient été du nombre des plus actifs artisans de la révolution belge et qui avaient mis le plus d’ardeur à renverser de son trône le roi Guillaume, et que l’on voit aujourd’hui travailler, avec une ardeur non moins grande, à retirer de ses ruines et à réédifier ce trône qu’ils ont eux-mêmes contribué si activement à démolir.

Oui, il est aujourd’hui des hommes en Belgique qui se sont montrés les plus chauds partisans de la révolution, les ennemis les plus acharnés de Guillaume, qui se sont même battus contre lui, et qui ont pris les armes pour la révolution en septembre ; il en est qui ont tué deux ou trois Hollandais, du moins on les a entendus s’en vanter, qui aujourd’hui, devenus de fiers orangistes, rappellent à cor et à cri ces mêmes Hollandais qu’ils ont tués ou chassés, et qui veulent renverser la révolution pour laquelle ils ont fait eux-mêmes le coup de fusil !

Voilà une conduite bien étrange, bien versatile ! comment l’expliquer ? Messieurs la réponse est facile. Monsieur un tel n’est pas gouverneur ou conseiller, major ou colonel, voire même ambassadeur ou ministre ? M. un tel s’est fait orangiste : il faut bien être quelque chose dans le monde. (On rit.)

Ces gens-là n’ont pas obtenu de la révolution belgique les avantages et les faveurs qu’ils en attendaient, et c’est pour cela qu’ils en sont devenus les ennemis.

Je connais un homme qui s’est battu aux barricades de Bruxelles en septembre, qui y envoya ses domestiques dont un même fut blessé grièvement. Eh bien, cet homme est aujourd’hui un fougueux partisan de la restauration. Ah ! Oui, mais ce monsieur prétendait devenir commissaire de district et on n’a pas rendu hommage à ses talents, on n’a pas voulu de lui. Messieurs, après un tel affront, on sent qu’il n’y a plus moyen d’être patriote, et la révolution belge est évidemment la chose la plus affreuse, puisque M. un tel n’est pas commissaire de district.

Tant que le parti des regrets ou du repentir, c’est-à-dire des partisans de l’ancienne dynastie ou de ceux qui sont chagrins de ce qu’ils ne jouent pas de rôle dans le nouveau régime, ou du moins pas celui qu’ils croient leur être dû, tant que ce parti se borne à nourrir ces sentiments contraires, à faire des vœux en particulier en faveur de leur patron chéri, on ne doit nullement les rechercher, encore moins les persécuter ; on doit, au contraire, les protéger comme tous les autres citoyens dans leurs personnes et leurs propriétés.

Mais, si de l’entretien de tels sentiments de regrets ils passent à des actions, à des actes contre le gouvernement constitutionnel établi en Belgique, à des provocations et des démonstrations tendant à renverser l’ordre de choses établi par la volonté nationale, ils deviennent coupables et doivent être réprimés dans leur entreprise par l’action publique, par l’autorité judiciaire.

Le premier devoir de tout gouvernement existant, comme de tous les êtres vivants, c’est de veiller à sa propre conservation, au maintien de son existence, c’est de le défendre par tous les moyens qui sont à sa disposition.

Un gouvernement qui laisserait agir sous ses yeux ses plus acharnés ennemis, dans le but avoué d’arriver à le renverser et à lui substituer une dynastie repoussée par une décision solennelle de la nation qui se laisserait injurier, vilipender, traîner dans la boue sans se défendre ni même donner, à cette occasion, signe d’existence, serait un gouvernement non seulement faible, sans énergie, mais indigne de sa mission, de la confiance de la nation généreuse qu’il représente et qui lui a confié ses destinées ; il serait parmi les gouvernements ce qu’est parmi les particuliers un homme qui se laisserait bafouer et injurier sans se défendre ; ce serait un gouvernement poltron.

M. Gendebien. - Et quand un homme est tué en due, vous refusez de l’enterrer ?

M. Boucqueau de Villeraie. - J’ai entendu hier M. Gendebien avec plaisir et patience. Je crois que je n’abuse pas de la parole.

M. Gendebien. - Je vous écoute avec admiration.

M. Boucqueau de Villeraie. (reprenant). - Un pareil état de choses ne doit pas subsister en Belgique, et nous serions indignes de notre mandat, de notre situation sociale, si nous y consentions. Eh quoi ! messieurs, la nation belge se sera donné une constitution libérale, une organisation constitutionnelle, un gouvernement approprié à ses besoins et à sa position, et des individus méprisant la volonté générale travailleront à renverser ce qui est l’expression du vœu universel, parce qu’ils trouvent que cet état de choses contrarie leur intérêt personnel, leurs vues particulières et on les laissera agir impunément !

Toute la nation belge aura par sa valeur et son unanimité renversé le pouvoir despotique d’une dynastie qui lui avait été imposée par la force et l’arbitraire ; elle aura refoulé, au-delà de ses frontières et vers les eaux de la Hollande, des armées nombreuses qui soutenaient ici un gouvernement devenu insupportable à la nation par son absolutisme et sa partialité ; et des Belges pourront provoquer impunément au rappel et au retour de ses armées et à toutes les réactions, à toutes les vengeances publiques et particulières, à tous les malheurs qui accompagneraient évidemment, pour la malheureuse Belgique, leur retour dans nos provinces. Je persiste donc à demander l’insertion de mon amendement dans l’article premier du projet de loi.

M. de Theux. - Messieurs, à l’occasion de l’amendement proposé par M. Trentesaux, un orateur a demandé si, en adoptant cet amendement, les provocations indirectes ne se trouveraient pas prévues dans l’article 2 du projet de loi. On a paru attacher hier une grande importance à cette question. Quant à moi, je n’y en attache pas autant.

Dans mon opinion si les provocations indirectes ne sont pas comprises dans l’article premier, elles le seront dans l’article 2. Comment ne pas considérer une provocation, même indirecte, mais publique, comme prévue dans la loi, quand vous punissez une simple démonstration ? Il y a plus de culpabilité dans une provocation que dans une simple démonstration. Il est donc certain que la provocation indirecte se trouverait comprise dans la démonstration. Il n’y a pas de doute ; mais cette circonstance n’influe en rien sur mon opinion quant au rejet de l’amendement de M. Trentesaux. En effet, le projet de loi distingue clairement deux catégories de délits. La première est la provocation, et la seconde est la simple démonstration. Or, il est impossible de confondre ces deux catégories de faits pour leur appliquer les mêmes peines.

Il y a dans la provocation un degré de gravité qui n’est pas dans la simple démonstration. Il faut donc qu’il y ait des peines spéciales pour la provocation.

Vous remarquerez que l’échelle des peines proposée dans l’article premier est considérable. Elle est de vingt degrés du minimum au maximum. Il y a donc là une latitude très grande pour punir les provocations suivant la gravité de leur nature et la gravité des circonstances qui les ont accompagnées. Dès lors nous n’avons pas à craindre d’adopter une disposition qui confond les provocations directes avec les provocations indirectes. Ce sera aux juges à faire l’application de la peine en considération de la gravité du délit, et des circonstances qui l’auront accompagné.

J’ai demandé pourquoi l’on voudrait confondre les provocations indirectes avec les simples démonstrations. Evidemment ce sont deux catégories de faits distincts de leur nature qui ne peuvent pas être compris sous la même dénomination. C’est si vrai que vous qualifiez l’une de provocation et l’autre de démonstration. Ce qui est différent dans la nature, dans la dénomination, doit également être différent aux yeux de la loi.

Je demanderai en second lieu quelle est la véritable limite entre la provocation directe et la provocation indirecte. J’ai bien entendu prononcer l’une et l’autre expression. Mais jusqu’à présent aucune des expressions n’a été accompagnée de définition. Je sais très bien que le mot directement introduit dans quelques dispositions de loi a donné lieu à une infinité de difficultés non seulement auprès du jury, mais auprès des cours de justice. Je dis donc que, si vous introduisez le mot direct dans l’article premier, vous n’aurez rien fait d’autre que d’embarrasser le jury et d’empêcher l’application de votre loi.

Il me suffit que le jury qualifie un fait de provocation, pour qu’à mes yeux ce fait doive subir une peine spéciale. Je ne vois pas quelle inquiétude on pourrait concevoir de cela. En effet, a-t-on vu les jurys disposés à prononcer des condamnations ? Non certainement. Eh bien, s’il est un moment favorable pour faire une loi de cette nature, c’est l’époque actuelle où les faits sont appréciés avec plus de sang-froid : c’est maintenant qu’on peut avoir plus de confiance dans l’esprit qui guidera le jury pour l’application de la loi.

Je ne crains pas de dire qu’on ne verra jamais une fausse application de cette loi. Je pourrais, pour prouver cette assertion, citer ce qui s’est passé sous le gouvernement des Pays-Bas. Ce gouvernement porta le 20 avril 1815 un arrêté singulièrement célèbre par son élasticité, par lequel la simple méfiance semée parmi les citoyens suffisait pour être poursuivie ; l’exécution de cet arrêté était confiée à des cours spéciales. Malgré cette latitude on n’a cependant vu que très peu de condamnations. Aujourd’hui que votre loi doit être appliquée par le jury, comment peut-on craindre qu’on en abuse ?

D’ailleurs une provocation peut être indirecte, et cependant constituer un délit assez grave à cause des circonstances qui l’accompagnent. Voudrez-vous alors ranger cette provocation indirecte dans la simple catégorie des démonstrations ? Il y aurait là une injustice révoltante. Il faut donc, si vous voulez faire autre chose que le code pénal, il faut une disposition plus large que le jury puisse appliquer en appréciant la nature et les circonstances du fait.

Laisser beaucoup à l’arbitrage du jury, c’est la pensée qu’on a toujours émise quand on en a réclamé l’institution. On a cru que cette institution présentait de grandes garanties ; il a fallu laisser aux jurés une certaine latitude dans l’appréciation des faits. On ne peut pas dire que la latitude soit trop grande puisqu’il faut toujours que les faits constituent une provocation.

Personne ne pourra se méprendre sur ce qui devra constituer ce genre de délit.

Je persiste à penser qu’il n’y a pas lieu d’adopter l’amendement de M. Trentesaux.

M. Ernst. - Messieurs, est-il convenable, est-il juste d’introduire dans l’article premier de la loi que nous discutons le mot directement ? Vous savez, messieurs, que pour apprécier le changement qu’on propose à une loi pénale, il faut, avant tout, rechercher quelle influence ce changement amènera sur le délit lui-même et sur l’application de la peine ; et pour cela, la première chose à faire, c’est de voir le but qu’on se propose. Que voulons-nous, messieurs, par l’article premier de la loi dont il s’agit ? Nous voulons punir les provocations au rappel de la maison d’Orange-Nassau.

Nous voulons prévenir que ces provocations soient de nouveau une occasion de désordre.

Je ferai remarquer à l’assemblée que la dernière circonstance que je viens d’indiquer est le principal but du projet de loi ; je vous prie de ne pas le perdre de vue.

Quand y a-t-il donc provocation ? Suivant moi il y a provocation lorsque le fait que je pose est dans mon intention, en relation nécessaire avec l’appel de cette famille d Orange-Nassau ou d’un de ses membres. Je crois que personne ne contestera la vérité de cette assertion. Si le fait que je pose n’est pas en relation nécessaire avec l’appel de cette famille ou d’un de ses membres, il peut avoir un autre caractère de gravité, de criminalité, mais à coup sûr ce ne sera plus une provocation.

Cependant, vulgairement partant, on attribue un autre effet au mot provocation. C’est ainsi que généralement, en Belgique et dans les journaux, on a qualifié d’acte provocatoire la démonstration qui existait dans la souscription orangiste. Pourtant ce n’était pas une provocation, c’était une simple démonstration. Il faut prendre garde de confondre les provocations avec les démonstrations. Si vous voulez prévenir un abus qui pourrait devenir dangereux, il faut introduire dans la loi le mot directement.

M. Milcamps a dit que le mot directement est inutile ; que dans tous les cas il fallait deux choses, le fait provocatoire et l’intention qui suppose toute la portée du fait. L’honorable M. Milcamps a dit juste. Passant à l’application du principe il ajoute : Ainsi, par exemple, il ne suffirait pas d’attaquer les actes du gouvernement, de les blâmer de la manière la plus déclamatoire, de comparer le pouvoir sorti de la révolution avec celui qu’elle a renversé, de mettre en regard les hommes d’aujourd’hui et les hommes d’autrefois ; il ne suffirait pas, et j’ajoute cet exemple qui rentre dans sa pensée, d’établir une comparaison entre la manière dont la loi constitutionnelle est exécutée actuellement, et celle dont la loi fondamentale était observée dans les 15 dernières années.

Il y a certes là bien lieu de se méprendre sur l’appréciation de semblables allégations ; mais, légalement parlant, il n’y a pas provocations. C’est ainsi que vous l’entendez tous. Vous ne devez donc pas faire une loi dont l’interprétation pût être douteuse. Vous appuierez le mot directement qui remplira le but que vous vous êtes proposé, évitant que l’on confonde la provocation avec tout autre acte.

J’aborderai les observations présentées par l’honorable préopinant. Il a demandé pourquoi nous établissions une distinction entre la provocation directe et la provocation indirecte. Je répondrai que nous faisons cette différence parce que ces deux espèces de faits sont d’une nature tout autre ; parce que la provocation directe a des conséquences que la loi que nous discutons actuellement a pour but de prévenir, tandis que la provocation indirecte n’offre aucune espèce de danger. Je ne sais si je m’explique bien ; mais j’attache une grande importance à mon observation.

La provocation est un appel ouvert aux partis ; c’est là une espèce d’adresse au peuple, une nouvelle qui se transmettra de bouche eu bouche ; c’est là une provocation directe. Mais si c’est une provocation détournée, indirecte, entortillée dans des phrases de journal, quelle influence peut-elle avoir sur l’opinion populaire ? Le peuple, celui qui se livre au pillage, ne lit pas les journaux orangistes. Mais il pourra venir à ses oreilles que le Messager de Gand, que le Lynx fixe pour tel jour tel lieu de réunion. Voilà de ces faits qui constituent la provocation directe. N’oubliez pas, messieurs, que c’est sous l’influence des événements du mois d’avril que la loi qui fait l’objet de nos discussions vous a été présentée. C’est dans le but de prévenir le retour de ces déplorables scènes.

Vous êtes donc à même de bien préciser les cas de provocations, puisque vous avez à remplir une lacune de la législation ordinaire. Etablissez au moins un degré entre les peines dont vous frappez la provocation directe et celles dont vous croirez devoir frapper la provocation indirecte. L’on a dit qu’il y a plus d’analogie entre la provocation directe et la provocation indirecte qu’il n’y en a entre la provocation indirecte et les simples démonstrations.

Je ne le conteste pas. Mais le point sur lequel je ne suis pas d’accord avec les orateurs que je combats, c’est que les deux catégories de provocations amènent les mêmes résultats. C’est ce que je nie formellement.

La provocation indirecte ne constituant pas un appel au peuple, n’exercera pas sur les masses l’influence que vous voulez éviter, quoique l’intention soit peut-être plus coupable, quoiqu’elle puisse peut-être dénoter plus de véritable méchanceté. Mais ce que vous voulez punir, ce n’est pas l’intention, c’est l’effet qu’elle peut produire. Ce que vous voulez prévenir, c’est le danger qu’il y a pour la paix de l’Etat dans des démonstrations publiques, c’est qu’elles puissent devenir une cause de réunion populaire. Ce qui n’arrivera jamais dans le cas de provocation indirecte.

Je crois donc avoir réfuté à cet égard les observations présentées par l’honorable M. de Theux. Je le prierai de vouloir peser cette considération, J’admets qu’il y ait quelque analogie entre la provocation directe et la provocation indirecte. J’espère que l’honorable M. de Theux conviendra lui-même qu’il y a une différence dans leur gravité.

N’est-ce pas une des notions les plus élémentaires en matière pénale, qu’il ne faut pas confondre dans la même criminalité des actes d’une nature différente, qu’il ne faut pas leur appliquer les mêmes peines ? C’est donc ce degré dans les peines que j’ai réclamé. Ce que je vous demande, c’est que vous marquiez une ligne de démarcation entre la provocation directe et la provocation indirecte, et que vous mettiez celle-ci au-dessous de la première. En agissant ainsi, vous ferez une chose juste, et le but que vous voulez atteindre, la punition de la provocation, quelle qu’elle soit, n’en sera pas moins rempli.

Je ne m’attacherai pas à répondre à toutes les objections que l’on nous a faites. Quelques-unes ont déjà été réfutées. Je ferai une seule observation, Ce que vous voulez, c’est une loi qui soit efficace. Or rejetez le mot directement et vous renierez la loi.

On a objecté que si l’insertion de ce mot était admise, il serait facile d’éluder la loi et qu’elle serait par conséquent inefficace. Je suis d’avis, comme vous, qu’il serait absurde d’établir des peines que l’on ne se trouverait pas dans le cas d’appliquer. La loi ne sera pas moins efficace, si vous séparez, comme je vous le propose les deux espèces de provocations. Loin de là, son efficacité n’en sera que plus certaine. La presse éludera la loi, nous dit-on. Elle ne l’éludera jamais qu’en provoquant indirectement au rappel de la maison d’Orange, et en employant beaucoup de détours pour arriver à un fait que le ministère public puisse qualifier de démonstration indirecte. Je vous demande quelle influence pourra exercer sur le peuple une démarche aussi prudente.

Il est fort singulier que dans tout le cours de la discussion actuelle on se soit préoccupé uniquement d’une face de la question, la répression des démonstrations envers la famille déchue. Mais il est une autre face de la question que l’on semble avoir négligée totalement, je veux dire la liberté de la presse. Vous le sentez tous, messieurs, c’est la seule difficulté qui nous arrête.

Nous ne voulons pas que le pouvoir puisse atteindre indirectement les hommes qui croiraient de leur devoir de censurer ses actes. La liberté de la presse est la garantie la plus forte de la nation sous un régime constitutionnel. C’est un droit que nous avons réclamé pendant quinze ans. Aujourd’hui que l’on vous dit que cette liberté pourrait recevoir une atteinte, vous ne resterez pas impassible. Vous ne risquerez pas de compromettre une garantie aussi précieuse, que le pouvoir pourrait atteindre en faisant passer pour provocations au retour de la famille déchue, ce qui ne serait que l’emploi libre d’un droit constitutionnel, la légitime censure des actes du gouvernement,

M. le ministre de la justice nous a dit que le jury saurait apprécier la nature des délits, qu’il dirait que la provocation n’est pas directe. M. le ministre sait bien que le jury ne répondra pas ainsi. Sa réponse ne pourra être que la réponse sacramentelle : Oui, l’accusé est coupable, ou : Non, l’accusé n’est pas coupable. Ce serait bon s’il s’agissait de circonstances aggravantes détachées du caractère primitif de la peine. Le jury n’est appelé qu’à juger l’intention de l’accusé ; la question de provocation ne fera donc que l’objet d’une seule question. Ce qu’a supposé M. le ministre de la justice n’arrivera jamais. Mais, dans le système que je viens de développer à la chambre, on pourra poser aux jurés ces deux questions : Y a-t-il eu provocation. La provocation est-elle directe ou indirecte ?

Je crois que l’honorable M. de Theux ne doit pas attacher tant de prix à ce que le mot directement ne soit pas inséré dans la loi. Selon lui, il n’y a pas de doute sur l’application de l’article 2 à l’égard des provocations indirectes. Que l’on ne dise donc plus que l’insertion du mot directement rendra la loi inefficace. La loi recevra tout son effet. Seulement on proportionnera les peines aux délits.

On a prétendu, messieurs, que le jury n’est pas de sa nature enclin à des condamnations. Le jury a souvent été prôné comme étant une institution beaucoup plus précieuse dans les causes politiques dans les causes purement judiciaires. C’est ce que je n’ai jamais pensé. Je trouve que le jury est souvent une institution dangereuse en matière politique. Pendant tout le temps que dura la réunion de la Belgique à la Hollande, oui, l’influence politique du jury aurait eu un effet admirable, parce que, formé de Belges, partageant la pensée de la majorité du pays, il aurait opposé une barrière utile aux provinces méridionales dans les procès politiques.

Si vous consultez le jury aujourd’hui sur cette matière, j’admets que la plupart du temps sa réponse formulera les vœux du pays. Mais il devra nécessairement se trouver par les jurés des hommes de partis contraires. Si leurs opinions sont celles que l’on qualifie d’orangistes, dans les procès qui seront suscités en vertu de la loi que nous discutons, ils ne verront pas dans les provocations au retour de la famille déchue un acte criminel. Si ce sont des patriotes, et que ce soient des hommes passionnés, exaltés, n’est-il pas à craindre qu’ils ne regardent un fait peut-être excusable comme une provocation directe, eux qui sont peu au fait de la législation criminelle ?

L’arrêté de 1815, a dit l’honorable préopinant fut rarement appliqué ; cela est vrai ; mais il est vrai aussi que rarement et très rarement, on en a provoqué l’application. Quand son application a été provoquée, il y a eu condamnation ; mais le gouvernement n’ignorait pas combien cet arrêté était impopulaire en Belgique ; il craignait que les tribunaux n’en fissent pas l’application. Or, il n’en sera pas de la loi en discussion comme de l’arrêté de 1815. Le ministère ne se rendra pas impopulaire en poursuivant les orangistes ; il ne craindra pas de poursuivre. La question est donc toute différente.

Si vous rejetez le mot directement, je prends acte en terminant de deux choses dont on est convenu dans tous les sens ; si vous rejetez le mot directement (et ici j’invoque le témoignage de M. le ministre de la justice, et j’attache de l’importance à ce que ce témoignage vienne d’un homme du gouvernement), vous n’autorisez personne à croire que ce soit la même chose que si vous insériez dans la loi le mot indirecte, que si vous disiez provocation directe et indirecte. M. le ministre de la justice a fait entendre qu’il pourrait arriver qu’une provocation indirecte ne donnât pas lieu à l’application de la loi ; c’est supposer que la provocation indirecte ne sera jamais punissable d’après la loi ; car s’il en est autrement, lorsque ce fait sera constant, la loi devra être appliquée.

L’autre chose dont je veux prendre acte, c’est que suivant l’opinion émise par l’honorable M. Milcamps, opinion que personne n’a contredite, on ne peut envisager comme coupables des vœux ou l’expression d’une simple opinion. Il faut que ces vœux ou l’expression de cette opinion présentent les caractères déterminés par les articles premier et 3 de la loi.

Je terminerai par cette observation : l’amendement doit se présenter à vous sous les meilleurs auspices ; il est soumis à la chambre par un ancien défenseur des libertés de la Belgique, par un homme qui a défendu la presse sous l’ancien gouvernement. Il est beau pour lui de servir de tradition vivante du même attachement à cette liberté dont il a donné un si bel exemple autrefois.

M. le président. - La parole est à M. Legrelle.

M. Legrelle. - Je n’avais demande la parole que pour combattre la proposition de M. C. Rodenbach ; comme il a retiré sa proposition, je n’ai rien à dire.

M. de Theux. - L’honorable préopinant a dit qu’il pouvait y avoir une distance immense entre une provocation directe et une provocation indirecte, et qu’on ne pouvait leur infliger les mêmes peines. Je ferai remarquer que la distinction des peines dans ce cas a été consacrée par le code pénal.

Lorsque la provocation prend le caractère d’attentat, de complot, le code pénal contient à cet égard des dispositions spéciales. Il est donc inutile d’ajouter le mot directement pour caractériser particulièrement certaines provocations. Les distinctions établies par le code pénal sont, je crois, suffisantes. Mais il résulte de cette observation que l’article en discussion ne se rapporte qu’à des délits d’une gravité moindre et qui ont de l’analogie entre eux.

M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Je ne prolongerai pas cette discussion que la chambre paraît généralement disposée à clore ; mais comme on a pris acte de quelques paroles que j’ai prononcées dans la séance d’hier, je crois qu’il est nécessaire que je rende ma pensée bien claire, pour qu’on ne puisse pas prétendre que les subordonnés du gouvernement, les officiers du ministère public ne peuvent exercer des poursuites sans se mettre en contradiction ouverte avec les paroles du ministre de la justice.

J’ai dit et je répète que le rejet de l’amendement de l’honorable M. Trentesaux n’aurait pas les mêmes conséquences que l’insertion dans la loi du mot indirecte ; évidemment le rejet de l’amendement ne change rien à la teneur du projet qui veut qu’il y ait une provocation, mais qui ne dit pas que les provocations indirectes ne seront passibles ni de poursuites ni de condamnations.

J’ai dit que le jury apprécierait le caractère de la provocation, déciderait si elle est directe ou indirecte ; en effet, il est incontestable que ces circonstances sont entièrement livrées à l’appréciation du jury. Le jury, lorsqu’il est saisi de la question de savoir s’il y a provocation, doit examiner les circonstances de lieu, le temps de coïncidence qui peuvent fixer, déterminer la gravité du fait.

S’il trouve dans la provocation un tel caractère d’atténuation que, par exemple, la société n’ait pas été mise un instant en péril sous le rapport de la paix publique, qu’elle ne soit qu’un vœu inoffensif, une simple imprudence, il peut déclarer qu’il n’y a ni provocation directe, ni provocation indirecte. Voilà le sens dans lequel je me suis exprimé hier.

Je terminerai en rappelant que dans la discussion qui a eu lieu à la chambre des députes de la loi du 17 mars 1819, on n’a fait aucune difficulté à élaguer l’expression directement. C’était la première fois qu’on introduisait dans la législation française l’intervention du jury ; et le principe général de la loi valut au ministère les éloges de l’opposition. MM. Bignon, Benjamin Constant, Manuel, toute l’opposition de gauche applaudirent à cette loi. Dans l’opposition la plus prononcée, la plus jalouse de défendre les libertés publiques, il ne s’éleva aucune objection contre l’absence du mot directement.

Aucune discussion ne s’éleva sur ce point, tant l’intervention du jury parut une immense amélioration. Cette observation suffira, je pense, pour calmer les craintes qu’on a manifestées sur la rédaction de la loi.

M. Pollénus, rapporteur. - A la fin de la séance d’hier, un honorable adversaire du projet a invoqué contre la loi en discussion l’autorité de la commission chargée par le congrès d’examiner une loi analogue. Il s’est borné à rappeler un passage du rapport qui, je pense, rend imparfaitement la pensée de la commission. Je tiens à compléter la pensée de la commission, et à combler la lacune laissée par l’honorable adversaire auquel je réponds.

Voici l’avis de la commission :

« Rapport fait au congrès national par la commission nommée pour examiner le projet de décret présenté par M. van Meenen, dans la séance du 7 janvier 1831.

« Messieurs,

« La commission ayant attentivement examiné le projet de décret présenté par l’honorable M. van Meenen, et les motifs sur lesquels il s’appuie a été unanimement d’avis que rien n’autorise à douter que les dispositions des lois actuellement existantes sur les crimes et délits contre la sûreté de l’Etat ne restent en vigueur ;

« Qu’aucun fait ayant caractère officiel ou précis n’a été signalé comme preuve de l’existence d’un pareil doute ;

« Que si, dans les circonstances présentes, et dans le mouvement qui accompagne et suit une révolution, il est impossible de ne point rencontrer des hommes dont les intentions soient hostiles au bonheur du pays, et qui préfèrent l’agitation au repos, il est cependant évident que la nation, fidèles à son devoir, à son honneur, à elle-même, offre par son caractère et sa moralité la plus forte garantie contre tout danger de conflagration ;

« Que, placés sous la sauvegarde nationale, le congrès et le gouvernement provisoire sont mieux protégés et seront mieux défendus que par les lois répressives ;

« Que si, ce que la commission ne doit pas supposer, un attentat venait à être commis, on pourrait, dans ce cas même, unissant la nécessité de l’exemple avec les besoins de l’humanité, adoucir la sévérité d’une condamnation, sans se livrer prématurément et partiellement à la réforme du code pénal.

« Elle a, en conséquence, l’honneur de vous proposer l’ordre du jour.

« Fait à Bruxelles, le 13 janvier 1831.

« Baron Beyts, de Behr, Raikem, M.-N.-J. Leclercq, J. Barbançon, P.-J. Destriveaux. »

Aussi, vous le voyez, le principal motif qui avait donné lieu à la proposition, c’est que son auteur doutait si les dispositions du code pénal étaient applicables sous le gouvernement établi en Belgique. Ce doute ayant été reconnu sans fondement, il n’y avait pas lieu à admettre la proposition.

La jurisprudence a depuis changé cet état de choses.

J’ai donc eu l’occasion de compléter la citation de l’honorable membre, tout comme dans le cours de la discussion j’ai eu l’occasion de relever une erreur qui s’était glissée dans une bienveillante insinuation…

Je dois dire quelques mots sur l’amendement présenté par l’honorable M. Boucqueau de Villeraie. La première section avait proposé une disposition à peu près semblable ; mais elle s’en rapportait à la section centrale sur la nécessité ou la convenance de l’introduire dans la loi. La section centrale a été d’avis qu’il convenait de conserver à la loi son caractère et son but tout à fait spécial, et qu’il ne convenait pas de reconnaître le besoin d’autres moyens que ceux qui étaient reconnus par le gouvernement lui-même qui, mieux que nous, doit être instruit des faits et de ce qu’exige la situation du pays.

La section centrale a encore eu un autre motif pour écarter la proposition de la première section. Il m’est agréable de voir que par ce motif même M. C. Rodenbach ait retiré son amendement. Oui, la loi doit être temporaire ; ce caractère ne peut être donné à la proposition de M. Boucqueau de Villeraie, parce que la nationalité belge ne peut pas réclamer une garantie temporaire. Cette proposition est de plus inconciliable avec l’article dernier du projet, lequel porte que la loi n’aura d’effet que jusqu’au traité définitif, terme qui n’est pas celui de la nationalité belge, je l’espère.

Je suis d’accord avec l’honorable membre qui vient de vous dire que la provocation dont il s’agit à l’article premier doit avoir une relation nécessaire avec l’idée du retour de la dynastie déchue. Mais il pourrait, ajoute-t-on, que la provocation entrainât une autre idée que celle du retour des Nassau, et c’est pour cela que l’on demande l’insertion du mot directement. La pensée de l’honorable M. Ernst est celle de tout le monde ; cependant l’insertion du mot directement ne pourrait avoir lieu sans causer des embarras dans l’application de la loi ; les monuments de la jurisprudence attestent quelles sont les difficultés qui se sont élevées à l’occasion de ce mot qui se trouve dans plusieurs lois pénales.

D’après les explications résultant de la discussion, il me semble impossible qu’il y ait doute sur le sens des termes de la loi ou sur son application. (Aux voix ! aux voix !)

M. d’Huart. - Est-ce la clôture de la discussion sur tous les amendements que l’on demande ? Il me semble cependant qu’il serait nécessaire de dire quelques mots sur l’amendement de M. Boucqueau de Villeraie ; il faudrait que le ministre nous fît connaître s’il partage l’opinion de l’honorable membre. L’amendement de M. Boucqueau changerait, selon moi, le caractère de la loi. Mais faisons une loi spéciale et temporaire, et point une loi générale et perpétuelle.

M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Je m’empresse de déférer aux interpellations faites par l’honorable préopinant.

J’apprécie l’intention toute patriotique qui a dicté l’amendement de l’honorable M. Boucqueau de Villeraie, mais je déclare que je partage contre cet amendement le sentiment du rapporteur de la section centrale. Il y a une raison déterminante pour ne pas admettre la proposition, c’est qu’elle a un caractère de permanence qui la mettrait en désharmonie avec le reste du projet.

Je pense, en outre, que la loi du 20 juillet 1831 contient des dispositions qui rendent superflu l’amendement de M. Boucqueau. Si nous en étions réduits au code pénal, si nous n’avions pas d’autres moyens de répression que ceux qu’il offre dans ce cas, j’approuverais l’amendement parce qu’il introduirait une atténuation qui augmenterait les chances de la punition.

En rendant donc hommage aux sentiments qui l’ont dicté, je me vois dans la nécessité de ne pas appuyer l’amendement.

- La clôture de la discussion des amendements et de l’article premier est mise aux voix et adoptée.

- L’amendement de M. Trentesaux est mis aux voix et rejeté.

L’amendement de M. Boucqueau de Villeraie est également rejeté.

L’article premier est adopté.

Il est ainsi conçu :

« Art ; 1er. Quiconque, soit par des discours, des cris ou menaces proférés dans des lieux ou réunions publics, soit par des écrits, des imprimés, des dessins, des gravures, des peintures ou emblèmes vendus ou distribués, mis en vente ou exposés dans des lieux ou réunions publics, soit par des placards ou affiches exposés aux regards du public, ou de toute autre manière, aura publiquement appelé ou provoqué le retour de la famille d’Orange-Nassau ou d’un de ses membres, sera puni d’un emprisonnement de trois mois à cinq ans et d’une amende de 500 à 10,000 francs. »

Articles 2 et 3

« Art. 2. Quiconque aura fait une démonstration publique en faveur de la même famille ou d’un de ses membres, sera puni d’un emprisonnement d’un mois à deux ans et d’une amende de 25 à 500 francs. »

- Adopté sans discussion.


« Art. 3. Quiconque aura arboré ou porté publiquement, sans l’autorisation du Roi un drapeau, une cocarde ou les insignes distinctifs d’une nation étrangère sera puni des peines portées en l’article précédent. »

- Adopté sans discussion.

Article 4 (additionnel)

« Art 4 (additionnel). Tout fonctionnaire public, tout militaire, toute personne jouissant d’une pension ou traitement à charge de l’Etat, qui aura été déclaré coupable de l’un des faits prévus par l’un des trois articles qui précèdent, sera en outre condamné, par le même arrêt, à la déchéance de toute fonction publique, grade, honneurs et pension. »

M. A. Rodenbach. - Je demandais que le condamné fût également privé des pensions sur la province ou sur la commune ; je retire mon amendement.

M. Legrelle. - Je ne puis me dispenser, messieurs, de vous soumettre une observation. Il y a une très grande différence entre les pensions ; il en est qui résultent de la munificence du gouvernement ; il en est d’autres qui sont devenues pour ainsi dire la propriété de ceux à qui elles sont accordées : on fait des retenues sur les honoraires d’un fonctionnaire, et au bout d’un certain temps il a une pension sur la caisse de retraite ; cette pension est sienne. Cependant, l’article 4 ne faisant aucune distinction, les pensions de la caisse de retraite pourront-elles être enlevées comme les pensions résultant de la munificence du gouvernement ?

Après avoir été condamné à une amende et à l’emprisonnement, le pensionnaire se verrait privé en outre de ce qui souvent est son moyen d’existence ; la peine ne me semble pas ici en harmonie avec le délit.

Il y a plus. Deux personnes sont prévenues du même délit ; l’une a une pension, l’autre n’en a pas ; la première sera frappée de manière à être privée de son existence ; l’autre paiera seulement une amende et subira un léger emprisonnement : où est l’égalité devant la loi ? Voilà deux peines très différentes pour le même fait.

M. Gendebien. - Messieurs, un homme qui aurait conspiré contre l’Etat belge, ou en faveur d’un des membres de la famille d’Orange-Nassau, serait condamnable et pourrait être privé de toute pension de munificence ; mais veuillez bien faire attention que le vague qui existe dans les articles que vous avez adoptés déjà, est tel, qu’il ne sera pas toujours bien certain que celui qui sera condamné avait l’intention, soit de détruire les résultats de la révolution, soit de ramener un des membres de la famille d’orange. Veuillez bien remarquer aussi qu’il y a dans la loi une échelle de peines, et que vous appliquez la privation de la pension à tous les degrés de cette gradation de peines.

Un homme, par exemple, peut être condamné à un mois de prison et à 25 francs d’amende, conformément aux articles 2 et 3 de la loi. Cet homme ainsi condamné à une faible peine, vous le soumettez ensuite à une nouvelle et bien plus forte peine, que vous considérez comme accessoire ; vous le condamnez à mourir de faim, après qu’il aura fait son mois de prison et payé ses vingt-cinq francs d’amende ; vous lui faites subir la même peine qu’à celui qui aura conspiré contre le gouvernement établi, qui aura directement provoqué au retour de Guillaume ou d’un membre de la famille d’Orange.

Je le demande, n’est-ce pas là, je ne dirai pas jeter la perturbation dans toutes les idées de la législation et de la jurisprudence criminelles, mais renverser toutes les idées du sens commun.

Que le coupable, fonctionnaire civil ou militaire, soit privé de ses fonctions, de son grade, de ses honneurs, je le conçois ; mais il ne peut être privé de sa pension dans toutes les circonstances possibles.

L’honorable M. Legrelle vous l’a fait bien sentir, il y a une différence à établir entre les pensions. Il faut faire en effet une différence à l’égard d’une pension arrachée à la faiblesse du gouvernement, accordée à la flatterie d’un moment ; s’il ne s’agissait que de ces pensions qui sont flétries dans leur origine, on pourrait, on devrait saisir toutes les occasions, tous les prétextes même de les abolir ; mais il est des hommes qui ont acquis une pension en versant sur leur traitement une somme mensuelle pour la former : atteindrez-vous ces pensions ?

Elles sont payées par l’Etat, elles sont aussi à la charge de l’Etat, puisqu’il est chargé de les payer ; condamnerez-vous à mourir de faim un ancien militaire qui aura obtenu non une pension de faveur, mais une pension réglée par la loi en raison de tel nombre d’années de service ?

Mon honorable ami M. Seron, retenu chez lui par une indisposition assez grave, m’a soumis de très judicieuses réflexions sur l’article en discussion ; je ne crois pas pouvoir mieux dire que ne l’a fait M. Seron malgré son état douloureux.

Voici la lettre que m’a écrite mon ami M. Seron ; il m’a autorisé à en donner lecture :

« Bruxelles, le 5 juin 1834.

« A M. Alexandre Gendebien, membre de la chambre des représentants.

« Parmi les observations que je voulais exposer, en voici une sur laquelle je crois devoir appeler votre attention.

« La section centrale, renchérissant sur les idées ministérielles, propose un article 4 additionnel ainsi conçu : « Tout fonctionnaire public, tout militaire, toute personne jouissant d’une pension ou traitement à charge de l’Etat, qui aura été déclaré coupable de l’un des faits prévus par l’un des trois articles qui précédent, sera, en outre, condamné par le même arrêt à la déchéance de toute fonction publique grade, honneurs et pensions.

« Il existe à Philippeville, à Mariembourg et dans les autres communes des quatre cantons détachés de la France en 1815, un assez grand nombre d’anciens militaires ayant fait les guerres de la république et de l’empire dans lesquelles ils ont gagné des infirmités et perdu une jambe un bras ou un œil. La plupart sont vieux et incapables de travailler. Ils jouissent, à cause de leurs services et de leurs blessures, d’une pension accordée sous le gouvernement français, et dont, aux termes des traités de 1814 et 1815, le paiement leur a été continué depuis notre réunion au royaume des Pays-Bas, d’abord par le gouvernement néerlandais, ensuite par le gouvernement belge.

« Ces anciens militaires sont en général fort paisibles ; mais ils ont leurs opinions et leurs moments d’honneur. Je suppose que l’un d’eux, en plein cabaret, après boire, s’avise de dire que le gouvernement actuel est un … gouvernement (ici se trouve une expression consacrée dans les camps), que le gouvernement de Guillaume valait mieux et mangeait moins ; que pour faire une révolution de Vandernoot, il ne fallait pas tant se presser, et qu’enfin il voudrait voir partir les c… et revenir les n… Des témoins ont entendu ces paroles indiscrètes ; les jurés déclarent le fait constant. C’est une démonstration publique en faveur de la famille d’Orange-Nassau. Les juges, toujours humains, comme on sait, parce que l’habitude de condamner n’endurcit pas leur cœur, les juges lui appliquent le minimum de la peine prononcée par l’article 2 ; ils le condamnent à un simple emprisonnement d’un mois et à la modique amende de 25 francs.

« Il n’est pas assez puni ; il faut, de l’avis unanime de la section centrale composée de 7 membres, qu’il soit à toujours privé de sa pension et qu’il meure de faim. Point de miséricorde ! car c’est là, dit l’honorable rapporteur, M. Pollénus, procureur du Roi et grand patriote, c’est là une peine toute rationnelle qui doit être attachée à la félonie et au parjure.

« Mais, M. l’avocat, félon vient du vieux mot fel qui signifiait méchant, faux, cruel, inhumain, traître, rebelle, infidèle ; mon vieux militaire n’est rien de tout cela.

« Il ne s’est point parjuré, car il n’a violé aucun serment ; il n’a pas fait un faux serment en justice.

« Le mot rationnel que vous mettez à toute sauce veut dire sans doute conforme à la raison, raisonnable. Or, la peine de la perte de la pension, des moyens d’existence d’un pauvre diable pour quelques mots par lui proférés inconsidérément, dans l’ivresse, cette peine est tout à fait déraisonnable par son énormité.

« Elle est absurde, puisque vous la regardez comme l’accessoire d’un mois de prison et de 25 francs d’amende qui sont cependant peu de chose au prix de la privation des moyens d’existence.

« Elle est inconséquente, parce qu’il ne s’ensuit pas nécessairement de ma condamnation à un mois de prison et à 25 francs d’amende, que vous ayez le droit de me couper la gorge, de me faire mourir de faim.

« Elle est souverainement injuste, puisque cette peine, prix de mes services, de mes privations, de mes souffrances, de mon sang, était un droit acquis qui ne devait mourir qu’avec moi, une propriété aussi sacrée que la maison, l’héritage que d’autres ont acheté et payé, et que vous n’avez pas le droit de leur ôter, quelque crime qu’ils commettent, à moins que vous ne rétablissiez la confiscation ! à moins que vous n’effaciez de la constitution la disposition de l’article 12, comme vous en avez effacé tant d’autres dispositions, ainsi conçue ;

« La peine de la confiscation des biens ne peut être rétablie.

« Voilà, mon ami, ce que j’aurais dit, entre autres choses, si ma situation m’avait permis de me rendre à la chambre. Voyez si au lieu de garder le silence dans la discussion comme vous paraissez vouloir le faire, attendu que la loi ne saurait être trop mauvaise, voyez s’il ne conviendrait pas que vous vous élevassiez du moins contre ce dégoûtant article 4 ajouté par la section centrale aux dispositions proposées par le ministère. »

J’achève ici la pensée de l’auteur de la lettre que je viens de citer, c’est ce que si vous ne voulez point rétablir la confiscation, vous ne pouvez maintenir l’article 4 dans toute l’étendue que son texte comporte. Je crois qu’il y aura lieu à renvoyer cet article à la section centrale ; peut-être même devrait-on le supprimer en ce qui concerne les pensions. Au reste, voici l’amendement sur lequel je proposerais à la section centrale de rédiger un nouvel article, afin de rendre l’article moins déraisonnable. Après les mots « coupable de l’un des faits prévus par l’un des trois articles qui précèdent, » je mettrais : « pourra (au lieu de sera) en outre être condamné par le même arrêt à la déchéance de toute fonction publique, grade, honneurs et pensions, mais dans les cas seulement de l’application du maximum de la peine d’emprisonnement. »

Si vous voulez étendre cet article à la destitution de certains fonctionnaires publics, je serais très disposé à l’admettre, attendu que nous ne manquons pas de fonctionnaires publics en Belgique, et qu’il n’y aurait pas de mal d’en diminuer le nombre en renvoyant les orangistes. Nous en avons qui ne se sont jamais compromis en rien, et qui, à tout événement, ont eu le soin d’avoir à la fois un pied en Hollande et un pied en Belgique ; il n’y aurait pas de mal de destituer quelques-uns de ces fonctionnaires, sans même recourir à l’application de la loi que nous discutons. (On rit.) Il n’y aurait là pas d’arbitraire ; mais bonne justice distributive si on le faisait au profit de tant de patriotes qui meurent de faim.

Si on admet mon amendement, je consens ainsi volontiers à ce que l’on applique la loi aux fonctionnaires dont je parle ; mais je veux qu’on les restreigne, quant aux pensions, au cas de l’application du maximum de la peine de l’emprisonnement et pour les pensions seulement qui ne constituent pas un droit acquis, qui ne résultent pas d’une loi.

M. Pollénus, rapporteur. - L’intention de la section centrale, en rédigeant l’article soumis en ce moment à vos délibérations, a été bien évidemment, ainsi qu’on l’a déjà fait remarquer à l’honorable M. Legrelle, de borner ses dispositions aux pensions à la charge de l’Etat ; la disposition ne s’étend pas aux autres pensions, qui sont affectées sur des caisses particulières dont les fonds auraient été faits des deniers propres des fonctionnaires, et cette expression « à la charge de l’Etat » ne peut laisser aucun doute à cet égard.

Un député, qui n’est pas présent à la séance, a adressé, par l’organe d’un de vos collègues, des observations contre l’article du projet, en rappelant au rapporteur la qualité qu’il a en dehors de cette chambre. Le rapporteur ne tiendra aucun compte de cette insinuation. S’il est procureur du Roi hors de la chambre, il saura montrer, et je puis dire qu’il a déjà montré, qu’il savait être député.

Il y a, dit ce député, un droit acquis pour les pensions. Mais l’amendement de l’honorable M. Gendebien détruit le système de M. Seron, dont il a donné l’analyse : si la pension est un droit acquis, vous ne pouvez pas plus l’enlever quand le maximum de la peine a été prononcé que quand on a applique le minimum.

Non, messieurs, une pension n’est pas un droit acquis, et la preuve la plus incontestable, c’est que la constitution elle-même, article 124, suppose qu’une pension peut être votée en vertu d’une loi.

Ainsi M. Seron a évidemment tort ; il est condamné par celui qui semblait soutenir son opinion.

Voici comme la section centrale a considéré la pension. Elle a pensé que la pension n’était pas une dette véritable ; elle y a vu un acte de munificence dont la continuation supposait également la permanence des motifs qui l’avaient fait obtenir.

La section centrale ne s’attendait pas et ne devait pas s’attendre à une attaque aussi vive à cet égard, surtout lorsqu’elle se rappelait qu’un ministre du Roi avait dit que la loi plaçait le gouvernement dans l’impossibilité d’ôter leur grade et leur pension à des hommes qui avaient manifestement manqué à ce qu’ils se devaient à eux-mêmes et à ce qu’ils devaient au Roi qu’ils avaient juré de servir. La section centrale s’est inspirée des sentiments manifestés dans cette enceinte à cette occasion, et en présentant cet article, elle a cru remplir les intentions de la chambre.

Je persiste donc, n’en déplaise à M. Seron, dans l’opinion de la section centrale, et m’emparant des avertissements de la chambre et les rattachant à cette peine, je persiste aussi à la considérer comme rationnelle.

D’après ces motifs, je ne puis même admettre aucune transaction. Si un fonctionnaire public ou un militaire de tout grade a manqué à ses devoirs au point de se rendre coupable d’un fait de la nature de ceux mentionnés dans la loi, il serait inconcevable qu’un tel homme continuât à jouir de la munificence d’un gouvernement qu’il aurait cherché à anéantir. Non, la transaction n’est pas possible.

Afin de jeter de la défaveur sur la disposition de l’article, on a présenté le tableau de quelques anciens militaires. Mais ces militaires ne doivent-ils pas savoir qu’en restant dans le pays dont le gouvernement continue un acte de munificence, de bienveillance, ils contractent envers ce pays l’obligation sincère de le servir, au moins de ne pas chercher à l’anéantir ? Au reste un acte puni par la loi ne peut jamais avoir de justification.

M. Legrelle. - Messieurs voudrez-vous, parce qu’un homme pour un délit aura encouru une légère peine le frapper dans son existence ? Songez que ce n’est pas seulement l’homme coupable que vous atteindrez, mais toute sa famille. La pension d’un ancien employé est un bien acquis non seulement pour lui, mais pour toute sa famille qui vit de cette pension. Ne pourra-t-il pas arriver que des démonstrations toujours coupables, il est vrai, présentent des circonstances atténuantes, aient lieu par entraînement ou dans l’ivresse ? Eh bien, je vous le demande, pour la faute d’un moment irez-vous condamner à mourir de faim, non seulement le coupable, mais toute sa famille ?

Non, messieurs, cette sévérité n’est nullement en rapport avec le délit.

Je croirais commettre une injustice en donnant mon assentiment à cette disposition.

M. Pirson. - On a dit qu’en mettant dans la loi pensions à la charge de l’Etat, on exceptait les pensions de la caisse des retraites. Mais il est un fait, c’est que cette caisse de retraite n’a pas assez de fonds pour faire face au service et que vous donnez des subsides considérables, de sorte que ces pensions sont non seulement des pensions de la caisse des retraites, mais d’une caisse à laquelle le trésor public fournit des fonds considérables. Ces pensions pourraient donc être considérées comme étant à la charge de l’Etat.

L’amendement de M. Gendebien, en substituant le mot pourra au mot sera, améliore l’article, mais il ne remplit pas le but. Comme on vient de le dire, il y a telle famille qui n’a pas d’autre moyen d’existence que la pension que reçoit son chef ; eh bien, ce chef aura encouru le maximum des peines portées dans la loi que vous discutez ; vous condamnerez toute sa famille à mourir de faim. Cependant tel chef de famille peut être un mauvais sujet, tandis que les membres de cette famille seraient de bons patriotes.

Je demande en conséquence le renvoi à la section centrale.

M. d’Huart. - Comme plusieurs préopinants, je pense qu’il faut supprimer ou modifier au moins la partie de l’article qui concerne la pension. Il est à remarquer que les pensions subsistent après que les gouvernements qui les ont conférées ont cessé d’exister. La preuve en est que la majeure partie des pensions actuelles a été donnée sous le gouvernement précédent. Là il y a un droit acquis que vous ne pouvez pas enlever comme vous destitueriez un fonctionnaire qui, après un changement de gouvernement, ne peut continuer ses fonctions sans un nouveau mandat. Une autre considération c’est que celui qui jouit d’une pension a subi une espèce de retenue. Il n’en est pas de même pour le fonctionnaire public.

Je désirerais que l’article restât, sauf à supprimer le mot pension. Car un fonctionnaire public qui commet un des délits prévus par cette loi est plus coupable qu’un autre ; il a prêté serment au gouvernement et il en est payé pour le servir fidèlement. Je pense donc qu’au lieu de donner la faculté de le destituer il faut en imposer l’obligation.

M. Desmanet de Biesme. - Les observations présentées par M. Gendebien sont de nature à faire impression sur l’assemblée.

Il n’y a pas de proportion entre le minimum de la peine comminée par la loi et la privation totale d’une pension. Je voudrais que pour les cas graves dont les tribunaux sont les justes appréciateurs, les coupables pussent être privés de leur pension.

Quant au mot pourra que l’honorable membre veut substituer au mot sera, j’avoue que je ne l’adopterai pas en ce qui concerne les fonctionnaires publics. Je pense qu’il faut que ce soit une règle bien établie que tout fonctionnaire qui se sera rendu coupable de délit contre le gouvernement, sera privé de ses fonctions. Assez et trop longtemps les emplois, messieurs, sont restés entre les mains des ennemis de notre révolution. Je trouve donc très juste que ceux qui se rendront coupables envers la révolution perdent grades, emplois, honneurs.

Mais pour la pension je crois qu’il faut laisser au tribunal la faculté d’en priver le condamné ; je propose en conséquence d’ajouter à la fin de la disposition : « Il pourra par le même arrêté être privé de sa pension. »

M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Je commencerai par déclarer que le gouvernement se ralliera à la proposition de l’honorable M. Desmanet de Biesme. Je crois que ce serait exposer le sort de la loi dans son application que de ne pas adopter cet amendement. Si l’action des magistrats était toujours forcée dans l’extension des peines portées par l’article 4, il serait à craindre que le jury, effrayé des conséquences qui atteindraient non seulement l’accusé, mais sa famille, dont un habile défenseur peut toujours faire ressortir la position malheureuse, surtout si des circonstances atténuantes viennent augmenter l’intérêt qu’elle inspire, que le jury, dis-je, ne préférât prononcer un verdict d’acquittement.

La première pensée du législateur, en faisant une loi pénale, est de calculer les chances de son application. C’est un moyen presque assuré de consacrer l’impunité que de créer des lois extrêmes. Je ne me dissimule pas que si dans beaucoup de cas les peines prononcées par la section centrale ne seront que des actes de justice, il peut s’en présenter d’autres où le juge sera enclin à n’appliquer que le minimum de ces peines. Cette même considération peut frapper le jury ; comme il est omnipotent, il y aurait lieu de craindre que pour épargner à leur conscience une condamnation qu’il regarderaient comme excessive, les jurés ne préférassent renvoyer l’accusé absous. Vous irez ainsi contre le but de la loi. C’est par ces considérations que je suis porté à croire que la chambre fera bien de se rallier à la proposition de M. Desmanet de Biesme.

M. A. Rodenbach. - L’amendement que j’ai retiré, je le reproduis maintenant. Je demande que ceux qui reçoivent des pensions sur les fonds de la province ou de la commune, que ceux qui exercent des fonctions dans la province ou dans la commune soient punis des mêmes peines que ceux qui reçoivent des pensions ou des traitements de l’Etat. Lorsque des démonstrations ont été faites en faveur de la famille d’Orange, lorsque la fameuse adresse a été rédigée, on se souvient que des fonctionnaires publics y ont apposé leur nom.

Je regrette que l’absence de l’honorable M. Dumortier nous prive des renseignements qu’il pourrait nous donner à cet égard. Oui, messieurs, des fonctionnaires provinciaux, des receveurs communaux ont apposé leur signature au bas de cette abominable adresse. Je reproduits mon amendement, parce que ceux qui sont félons ne doivent pas recevoir le prix de leur félonie et recevoir en beaux deniers comptants leurs émoluments.

M. Gendebien. - J’ai commencé par parler contre l’article en ce qui concerne les pensions. J’ai exprimé le désir de voir disparaître les peines qu’il consacrait à cet égard et j’ai demandé que l’on renvoyât l’article entier à la section centrale afin qu’elle pût nous présenter une rédaction plus convenable Je n’ai fait qu’indiquer ce qui me semblait devoir être ajouté à cet article, si on n’admettait pas ma première proposition. Nons sommes à peu près d’accord sur les différents points qu’il comporte, mais il en est un auquel je crois devoir donner des développements.

Je conçois très bien qu’un fonctionnaire public, qu’un militaire qui a reçu dans ces 4 dernières années une pension de l’Etat, s’il commet le délit prévu par la loi en discussion, se constitue en état de félonie contre le gouvernement, puisqu’il reçoit un bienfait et qu’il le paie d’ingratitude. Je conçois que toutes les pensions accordées sous le gouvernement actuel pourraient être retirées, si toutefois les individus qui en jouissent ne les ont pas obtenues après avoir rempli les conditions exigées par la loi.

On a contesté le droit acquis que mon honorable ami M. Seron a défendu. Je crois que l’on devrait considérer les pensions dont cet honorable membre a fait mention comme irrévocables. En effet, elles ont été acquises en exécution d’une loi. Elles ont été mises à la charge du gouvernement des Pays-Bas par les traités de 1814 et 1815. Et si l’Etat les paie actuellement, c’est en sa qualité de successeur du royaume des Pays-Bas. On ne peut pas priver un citoyen d’un droit que des lois et des traités antérieurs lui ont assuré. Ce serait donner à la loi un effet rétroactif que d’accorder au juge le pouvoir d’atteindre les conséquences d’un fait consommé avant sa promulgation.

Mais, vous a-t-on dit, reconnaître que les tribunaux peuvent priver d’une pension un condamné au maximum de la peine, c’est reconnaître que la loi n’a pas d’effet rétroactif. Je n’ai pas reconnu que la loi pouvait en agir ainsi, mais j’ai dit que la section centrale pourrait adopter la rédaction que je présente si ma première proposition n’était pas adoptée. Je n’ai entendu nullement abandonner ma première opinion.

La chambre montre des dispositions si bienveillantes pour la loi proposée, que je dois la placer dans toutes les positions possibles afin de rendre cette loi moins mauvaise. Je défie que l’on justifie la loi du reproche de rétroactivité à l’égard des pensions de retraite réglées d’après une loi, ou à l’égard des pensions sur la caisse de retraite.

Car toutes ces pensions sont des pensions à charge de l’Etat. Il est chargé de les servir ; il a reçu pour cet objet les retenues mensuelles que la loi fixait sur chaque traitement pour les unes et des services pour les autres, services pour lesquels la loi accordait une pension. La loi ne faisant pas de distinction, le juge ne fera pas la distinction. Il existe donc une difficulté sur l’interprétation de la loi à l’égard des pensions. Quand on fait une loi, c’est pour trancher des difficultés. Je persisté donc à demander le renvoi de l’article à la section centrale.

M. d’Huart. - Je propose la suppression du mot pensions. Mon amendement devra ainsi obtenir la priorité sur celui de M. Desmanet de Biesme.

M. Gendebien. - Je crois que l’amendement de M. d’Huart va trop loin et que celui de M. Desmanet de Biesme ne va pas assez loin, ou plutôt qu’ils vont trop loin tous les deux. Il y a diverses catégories de pensions. Si vous autorisez les juges à priver un individu de sa pension sans distinction, cependant vous devez distinguer entre la pension pour laquelle il y a droit acquis et la pension de faveur ; sous ce rapport l’amendement de M. Desmanet va trop loin, puisqu’il autorise le juge à priver indistinctement tout accusé de la pension.

L’amendement de M. d’Huart ne va pas assez loin ; en effet il y a telle catégorie de pensionnaires qui ne doivent et ne peuvent pas être privés de leurs pensions ; les hommes qui ont reçu des pensions de la munificence du gouvernement ou sur la cassette royale, pourquoi ne seraient-il pas privés de leur pension s’ils commettent des crimes et des délits contre l’existence du gouvernement ou du chef de l’Etat ? Il y a là ingratitude et même félonie.

Il faudrait distinguer entre les pensions de faveur et celles résultant de cas spéciaux déterminés par la loi.

Je persiste à demander le renvoi à la section centrale, à moins que quelqu’un n’improvise une rédaction satisfaisante.

M. Pollénus, rapporteur. - Puisque mes honorables collègues de la section centrale me donnent cette preuve de confiance d’abandonner à moi seul la défense de l’article en discussion, article qu’elle a voté à l’unanimité, je dois soumettre à la chambre le principal motif qui a déterminé ce vote.

On se rappelle que, lors de la discussion du budget de 1833, il fut question de la pension de M. l’abbé de Pradt : on fit valoir beaucoup d’objections contre cette pension ; mais on fit remarquer qu’il avait lancé un écrit contre la révolution ; ce motif fut plus fort que l’argument que l’on avait prétendu déduire du traité des 24 articles, et il détermina la chambre à faire refuser par le ministre des finances le paiement de la pension.

Après cet engagement, après un vote si unanime de la chambre, la section centrale pouvait-elle douter que la chambre hésitât à priver de leurs pensions des hommes vivant dans le pays, lorsqu’ils ont commis un délit par lequel ils ont cherché à compromettre notre révolution ?

Je persiste à demander le maintien de l’article.

M. Gendebien. - Il n’y a aucune espèce d’argument à tirer de la pension de M. de Pradt ; elle ne résulte d’aucune loi : tout le monde en connaît l’origine. M. de Pradt, en quittant l’archevêché de Malines, a échangé son titre d’archevêque contre une pension. Je ne conteste pas à M. de Pradt sa pension ; je ne suis pas ici pour cela ; je dis seulement qu’il y a une grande différence entre une telle pension et celle de 4, 6 ou 800 francs qu’un militaire aura gagnée en combattant pour son pays. Je dis qu’un militaire qui aura perdu un bras, une jambe, un œil, comme dit M. Seron, ne doit pas dans sa vieillesse être privé d’une pension qui l’empêche de mourir de faim et de misère. Il n’y a pas là de comparaison possible.

M. Legrelle. - Je repousse l’amendement de M. A. Rodenbach, parce que, s’il était admis, il donnerait lieu à des conflits entre l’autorité judiciaire et les administrations communales ou provinciales.

En effet, si après qu’un employé de l’une de ces administrations a été privé de son emploi et de sa pension en vertu d’un jugement, l’administration communale ou provinciale trouve dans son délit des circonstances tellement atténuantes qu’elle juge convenable de le réélire, il en résultera une espèce de scandale ; il y aura un conflit entre l’autorité judiciaire et l’autorité provinciale ou communale. Il est donc évident que vous devriez stipuler le terme dans lequel cet employé ne pourra être réélu, ou que vous devez rejeter l’amendement de M. A. Rodenbach.

M. d’Huart. - L’honorable M. Gendebien a dit que ceux qui tenaient des pensions de la munificence du gouvernement, qui avaient des pensions de faveur et non instituées par la loi, devaient en être privés s’ils sont condamnés pour l’un des délits spécifiés dans la loi. Mais je lui ferai remarquer qu’il n’y a pas de telles pensions, que toutes les pensions sont établies par des lois. Aurait-il voulu parler des pensions sur la cassette du Roi ? Mais sans doute le Roi est libre de disposer à son gré de sa liste civile ; et on ne doit pas croire qu’il en dispose pour pensionner les orangistes, les ennemis de son trône. (Rires d’approbation.)

L’honorable M. Gendebien ne veut pas sans doute laisser aux tribunaux la faculté d’ôter des pensions fondées sur des droits acquis avant la révolution. Cette observation tendrait à faire la révision des pensions, à établir des catégories entre les pensionnaires.

Quant à moi je pense qu’en général il ne faut pas laisser aux juges la faculté d’ôter les pensions, et que, s’il y a des abus, ils seront très rares. Je voterai pour l’amendement de M. Desmanet.

Quant à ce qu’a dit M. Legrelle sur la possibilité d’un conflit entre l’autorité judiciaire et les autorités provinciales ou communales, je ne pense pas que cela doive nous donner le moindre scrupule. Déjà dans la loi provinciale nous avons déterminé des incompatibilités. Il appartient d’ailleurs à la loi d’ôter les droits civiques aux individus qui se rendent coupables de tel ou tel délit. Je pense donc que nous ne devons avoir aucun scrupule à accueillir l’amendement de M. A. Rodenbach.

M. Donny. - Si je n’ai pas pris la parole comme membre de la section centrale pour défendre la disposition qu’elle a proposée relativement aux pensions, l’honorable rapporteur ne doit pas en être surpris ; car la raison en est toute simple. J’ai entendu alléguer de si bonnes raisons contre cette partie des propositions de la section centrale, que je suis plus disposé à voter pour la suppression de cette disposition qu’à l’appuyer. Je ne reproduirai certainement pas tous les arguments qu’on a présentés contre ce système ; mais s’ils ont fait sur l’esprit d’un grand nombre de membres de l’assemblée l’impression qu’ils ont faites sur le mien, le succès de ce système est bien douteux ; car je le répète, je me sens disposé à voter contre cette partie de l’article de la section centrale.

M. A. Rodenbach. - J’ajouterai à ce qu’a répondu à l’honorable député d’Anvers un représentant qui siège à ma droite, que s’il avait lu l’article 5 de la section centrale, probablement il n’aurait pas fait valoir les arguments qu’il a présentés pour le combattre.

Par qui donc sont payés les employés des administrations provinciales ? Par qui ? Par le peuple ; et lorsqu’ils ont par leurs crimes ou délits trahi ce peuple et sa révolution, sans doute ils n’ont plus aucun salaire à attendre de lui.

- L’amendement de M. d’Huart est mis aux voix, il n’est pas adopté.

L’amendement de M. Desmanet de Biesme est mis aux voix et adopté.

L’amendement de M. A. Rodenbach est également adopté.

L’ensemble de l’article 4 est adopté avec les amendements déjà votés.

Article 5 (additionnel)

« Art. 5 (additionnel). Les coupables seront, dans les cas prévus par les mêmes articles, déclarés déchus des droits d’électeurs et d’éligibilité pendant trois ans au moins et six ans au plus. »

M. le président. - Demande-t-on la parole ? Si personne ne demande la parole, je vais le mettre aux voix.

- L’article 5 est mis aux voix et adopté.

M. Gendebien. - Je ne pensais pas que l’on voterait si rapidement ; j’avais des observations à présenter sur cet article.

Il me semble qu’il ne faudrait pas condamner indifféremment à la perte des droits politiques les coupables : l’un sera condamné, attendu les circonstances atténuantes, à 25 francs d’amende et à un court emprisonnement ; l’autre aura mérité toutes les rigueurs de la loi. Peut-on condamner l’un et l’autre à la perte des droits politiques ? C’est la peur qui vous dicte cette loi ; mais du moins, dans la peur, n’oubliez pas, s’il se peut, les règles du sens commun. Pourriez-vous priver des droits politiques un homme dont les paroles recueillies par un infâme agent auront été rapportées travesties à un ministre qui a peur, comme vous priveriez des droits politiques un homme qui aurait conspiré contre l’Etat ?

M. le président. - L’article est voté ; avant de le mettre aux voix, j’ai demandé plusieurs fois si on voulait la parole.

Articles 6 à 10

« Art. 6. Quiconque aura porté publiquement, sans autorisation du Roi, l’un ou l’autre des insignes d’un ordre quelconque, sera puni d’un emprisonnement de huit jours à un an et d’une amende de 50 à 500 francs, sans préjudice de l’application, s’il y a lieu, des peines portées aux articles 2 ci-dessous et 259 du code pénal. »

- Adopté.


« Art. 7. Les articles 3 et 6 de la présente ne sont applicables ni aux agents diplomatiques et consuls accrédités et leur suite, ni aux étrangers chargés d’une mission auprès du gouvernement, ou voyageant avec l’agrément du gouvernement.

« Les bâtiments de guerre ou de commerce appartenant aux nations alliées ou neutres pourront également, dans les ports et eaux intérieures, arborer leur pavillon, selon les usages établis. »

- Adopté sans discussion.


« Art. 8. Les articles 57 et 58 du code pénal sont applicable à la présente loi. »

- Adopté sans discussion.


« Art. 9. La connaissance des délits prévus par les articles 1, 2 et 3 ci-dessus est attribuée aux cours d’assises. »

- Adopté.


« Art. 10. La présente loi cessera d’avoir son effet à l’époque du traité définitif entre la Hollande et la Belgique. »

- Adopté.

Ordre des travaux de la chambre

M. le président. - Comme un article a été amendé, on ne peut voter aujourd’hui définitivement.

M. Jullien. - C’est dommage !

M. le président. - Il s’agit de déterminer l’ordre du jour pour la séance prochaine.

- Des voix. - Rapport sur les pétitions ! les pétitions !

- D’autres voix. - La loi provinciale ! la loi provinciale !

M. Dubus. - Il y a de nombreux amendements sur la loi provinciale ; il faut qu’ils soient imprimés et distribués : nous devons, avant de voter définitivement, examiner l’ensemble de la loi tel qu’il est maintenant. Je demande que demain on s’occupe des pétitions, et que lundi nous nous occupions du second vote sur la loi provinciale.

M. Legrelle. - On dit que le droit de pétition est un droit sacré ; il ne suffit pas de le dire : pour que ce droit ne soit pas illusoire, occupons-nous demain des pétitions.

M. le président. - La chambre s’occupera demain des pétitions.

- La séance est levée à quatre heures.