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d’intention
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Chambre des représentants de Belgique
Séance du samedi 31 mai 1834
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre
2) Projet de loi portant organisation des provinces. Discussion des articles.
a) Droit du Roi d’annuler ou de suspendre les actes du conseil qui blessent l’intérêt général ou sortent de ses attributions et/ou recours à une loi interprétative (Ernst, de Theux, Milcamps, Doignon, Dubus, d’Hoffschmidt, de Theux, H. Dellafaille, Jullien, Fallon, Jullien, (+refus de la sanction royale) Dubus, Jullien, Ernst, Rogier, Pollénus, Rogier, Dubus, de Theux, Fallon, Doignon, Rogier, Doignon, Fallon, de Theux, Fallon, de Robaulx, Milcamps, Jullien, de Theux, Jullien, Fallon, (compétentes judiciaires du conseil, notamment en matière de milice) (Fleussu, de Theux, Rogier, Jullien, de Theux, Fleussu, de Robaulx, Rogier, de Robaulx, d’Huart, Lebeau, de Robaulx, Milcamps)
b) Nullité des actes pris en séance illégale et mesures pénales à l’encontre des conseillers présents à cette même séance (Fallon, de Theux, Rogier, Dubus, Jullien, d’Hoffschmidt, de Theux, H. Dellafaille, d’Hoffschmidt, de Theux, Fallon)
(Moniteur belge n°152, du 1er juin 1834)
(Présidence de M. Raikem)
La séance est ouverte à midi
et demi.
M.
de Renesse fait l’appel nominal.
M. H. Dellafaille donne lecture du
procès-verbal de la séance d’hier ; il est adopté sans réclamation.
M.
de Renesse fait connaître l’objet des pétitions suivantes adressées à
la chambre.
PIECES
ADRESSEES A
« L’administration
communale et plusieurs habitants de Burght demandent
l’établissement d’un tribunal de première instance à Saint-Nicolas. »
- Renvoi à la commission
chargée de l’examen du projet de loi présenté par MM. Dewitte et Desmet.
______________
« Le sieur Pauwels
à Waesmunster désigne comme cause de l’ophtalmie qui
désole l’armée, le savon, la lessive et l’eau qui en est infectée, dont se servent
les soldats. »
______________
« Quatre
propriétaires de Bruxelles, dont les maisons ont été gravement endommagées dans
les journées de septembre, demandent de nouveau le paiement de l’indemnité qui
leur revient de ce chef. »
_______________
- Ces deux pétitions
sont renvoyées à la commission des pétitions.
M. Deschamps, élu à Snef, et dont les pouvoirs ont été récemment examinés, est
présent à la séance. Il prête serment.
Dispositions
ajournées
Titre
VI - Du conseil provincial
Chapitre
III. De l’approbation et de l’intervention du Roi ou du pouvoir législatif,
relativement aux actes du conseil
Article 88
M.
le président. - Nous en sommes à l’article 88 qui a été renvoyé à la
section centrale. Voici la rédaction qu’elle propose :
« Art 88. Le Roi peut
dans le délai fixé par l’article 112, annuler les actes des conseils
provinciaux qui blessent l’intérêt général ou sortent de leurs attributions.
« Lorsque, pour
l’annulation d’un acte d’un conseil provincial, le Roi juge qu’il y a lieu de
recourir à l’intervention de pouvoir législatif, il peut proroger la suspension
indéfiniment. Dans ce cas il présente un projet de loi aux chambres dans le
cours de la session, ou, si elles ne sont pas assemblées, dans leur première
session.
« Les actes des
conseils provinciaux qui n’auront point été annulés par le Roi, conformément au
premier paragraphe du présent article, ne pourront être annulés que par le
pouvoir législatif.
« Les arrêtés
royaux portant annulation ou suspension seront motivés et insérés au Bulletin officiel.
« Les conseils
provinciaux ne pourront, sous aucun prétexte, refuser de se conformer aux
arrêtés portant annulation ou suspension de leurs actes. »
M.
le président. - M. Ernst propose l’amendement suivant :
« Les arrêtés
royaux portant annulation ou suspension en spécifieront les motifs, et seront
insérés au Bulletin officiel. »
(L’honorable membre
expose en ces termes le développement de sa proposition :)
M.
Ernst. - Messieurs, la section centrale, dans la première disposition
de l’article
Des motifs vagues et
généraux ne suffisent pas ; il faut des motifs précis et déterminés.
Je crois bien que telle
est la pensée de la section centrale ; dès lors mon amendement ne peut
présenter aucun inconvénient. Il est d’autant plus nécessaire d’exiger des
motifs spéciaux qu’il y a deux catégories de nullités dans lesquelles il serait
facile de se réfugier, et d’éluder ainsi des garanties précieuses. L’annulation
est une chose très grave ; il ne faut pas qu’elle dégénère en affaire de style.
Nous sommes avertis par
l’expérience. J’aurai l’honneur de rappeler à la chambre une discussion qui a
eu lieu dans cette enceinte relativement à la loi concernant l’ordre de
Léopold.
Dans
cette discussion M. le ministre des affaires étrangères est convenu lui-même
que les arrêtés conférant l’ordre n’avaient pas été suffisamment motivés
quoique la loi dont il s’agit exige des motifs précis.
Je crois inutile
d’entrer dans d’autres développements.
- L’amendement est
appuyé.
M. de Theux, rapporteur. - Il n’y a
pas de doute, comme l’a dit l’honorable auteur de l’amendement, que la pensée
de la section centrale a été que les arrêtés royaux ne peuvent pas se borner à
dire : « attendu que les actes sortant des attributions du conseil
; » ou bien : « attendu qu’ils blessent l’intérêt général ; »
elle a compris que les arrêtés royaux devaient exposer les motifs. Dans la
section centrale on avait proposé une rédaction dans ce sens ; mais il lui a
paru inutile d’entrer dans ce détail, et qu’il suffisait de dire que les
arrêtés seraient motivés.
M.
Milcamps. - Le paragraphe de l’article nouveau proposé par la section
centrale diffère peu de celui qu’elle avait proposé précédemment et qui a été
rejeté.
Quand l’annulation des
actes supposera-t-elle l’interprétation de la loi ? Evidemment dans le cas de
l’obscurité, du silence ou de l’insuffisance de la loi.
Alors le Roi ne pourra
interpréter par voie de doctrine ; mais qu’arrivera-t-il ? Au lieu de suspendre
l’exécution des actes, il les annulera. Et il fera bien.
D’après la jurisprudence
suivie en France, les juges interprètent les lois civiles et commerciales par
voie de doctrine.
En matière pénale, le
silence, l’obscurité ou l’insuffisance de la loi profite au prévenu ou à
l’accusé ; on ne peut jamais condamner qu’en vertu d’un texte formel.
En matière
administrative, l’autorité ne peut se refuser à juger. Elle doit en cas
d’obscurité, du silence ou de l’insuffisance de la loi, juger ex aequo et bono, comme jury d’équité. Telle est l’ordonnance du Roi en
date du 26 janvier 1820, rendue en conseil d’Etat de l’avis du comité du
contentieux.
D’après l’amendement
proposé, le Roi pourra juger et suspendre indéfiniment les actes ; et en
vérité, messieurs, cela équivaut à une annulation : outre qu’il présente de
graves inconvénients, l’amendement est donc inutile, illusoire.
Dans une séance
précédente j’ai dit que dès que vous admettiez un pouvoir inférieur et
supérieur, le droit devait rester au pouvoir supérieur.
Faire intervenir la
législature pendant la suspension de l’acte, en quelque sorte l’appeler à juger
une contestation entre l’autorité provinciale et l’autorité supérieure ; c’est
régler le passé. donner raison à l’une ou à l’autre
des parties. Il ne peut résulter de là que déconsidération pour des deux
pouvoirs.
Voyez, messieurs, en
matière de lois civiles et commerciales, après combien d’épreuves on doit
recourir à l’interprétation de la loi, et ici, en matière administrative, vous
placez le gouvernement dans l’alternative d’y recourir pour chaque cas
particulier, ou bien d’annuler l’acte, et il est évident que ce sera le dernier
parti qu’il prendra toujours.
Je
pense donc qu’il y a lieu de repousser l’amendement proposé par la section
centrale.
M.
le président. - L’amendement suivant est présenté par M. Doignon :
« Le Roi peut
suspendre les actes des conseils provinciaux qui blessent l’intérêt général ou
qui sortent de leurs attributions.
« Le veto du
gouvernement cesse s’il n’est pas confirmé par le pouvoir législatif ; s’il est
approuvé, l’acte du conseil sera déclaré nul et de nul effet. »
M.
Doignon. - Le droit de suspension, ou ce qui est la même chose, le
droit de veto, suffisent au gouvernement, sauf à déférer au corps législatif
les actes du conseil.
L’article 108 de la
constitution porte que le Roi ou le pouvoir législatif interviendront pour empêcher
que les conseils ne blessent l’intérêt général ou ne sortent de leurs
attributions.
Ainsi, deux autorités
sont appelées, en pareil cas, le Roi et le corps législatif, ou l’un et l’autre
dans différents cas. Je demanderai à la section centrale pourquoi elle a exclu
d’une manière absolue l’intervention du pouvoir législatif ? Quel est le but de
l’article 108 ? C’est d’empêcher que les conseils provinciaux ne prennent des
mesures contraires à l’ordre, à la tranquillité publique ; eh bien, ce but est
parfaitement atteint en donnant le veto au gouvernement ; à l’instant même il
réprime l’acte du conseil ; il en arrêté l’exécution ; ce veto lui suffit, et
c’est au pouvoir législatif qu’il doit appartenir de décider définitivement.
Les chambres
législatives, par la nature de leurs fonctions, sont bien plus capables que le
gouvernement de juger quand les actes des conseils blessent l’intérêt général.
La constitution déclare que les pouvoirs émanent de la nation et que les
chambres représentent la nation (article 25 et 32 de la constitution .)
Ainsi, quand il s’agit de juger si un acte intéresse tout le pays, intéresse la
nation, c’est le pouvoir législatif qui est juge naturel de cette question.
L’on objectera que
d’après mon système les chambres auront à s’occuper des débats particuliers
d’individualités : je réponds par la constitution elle-même ; l’article 108
suppose que la législature peut intervenir.
Le congrès national
connaissait l’inconvénient que l’on veut signaler, et il ne s’y est pas arrêté
; il a admis en pareil cas l’intervention du Roi et du pouvoir législatif.
Dans les pays
constitutionnels, où les chambres représentent la nation, toujours le pouvoir
législatif peut faire des actes de haute administration.
En
Angleterre, le département s’occupe d’actes administratifs ; c’est ce que
prouvent les sessions parlementaires ; on y décide sur ce que l’on appelle des
« actes privés. »
Au reste ces cas sont
très rares ; nous avons vécu sous le régime provincial pendant 15 années et
nous n’avons pas vu d’exemple où il fallût annuler les actes d’un conseil.
Quoiqu’il en soit, si la législature doit consumer quelque temps pour conserver
une garantie que la constitution donne au pays, ce sacrifice ne doit rien
coûter.
Je crois avoir
suffisamment développé mon amendement. J’y persiste.
M.
Dubus. - Les observations qui viennent d’être présentées par le
préopinant s’appliquent aux dispositions de l’art. 88 relatives au droit
d’annulation des actes des conseils provinciaux. Ces dispositions étaient les
plus importantes de l’article, alors qu’il existait des actes qui échappaient à
la nécessité de l’approbation royale. Maintenant tous les actes des conseils
provinciaux sont soumis à cette approbation avec cette seule différence, comme
l’a fort bien fait observer M. le rapporteur, que les uns moins importants ne
sont approuvés qu’une fois, tandis que les autres plus importants sont soumis
deux fois à l’approbation du gouvernement.
Nous devons maintenant
attacher fort peu d’intérêt à une discussion qui accorderait au Roi le droit
d’annulation des actes des conseils, si ces actes ne peuvent recevoir
l’exécution qu’après l’approbation royale. Je ne sais plus dans quel cas il
peut être nécessaire de conserver ce droit d’annulation.
La disposition la plus
importante de l’article 88 est précisément celle qui est relative aux
délibérations sujettes à l’approbation royale. C’est cependant cette
disposition que la section centrale propose de retrancher.
Le gouvernement qui
avait senti lui-même, dans l’intérêt du pays, les inconvénients de la
centralisation, a cru pouvoir apporter un remède à l’un de ces inconvénients
par une disposition ainsi conçue :
« Les délibérations
du conseil sur les objets mentionnés à l’article précédent seront considérées
de plein droit comme approuvées par le Roi si, dans le délai de 40 jours après
celui de l’adoption par le conseil, il n’est intervenu de décision
contraire. »
En effet, si toutes les
délibérations du conseil sont soumises à l’approbation royale, si le Roi doit
donner ou refuser cette approbation, il faut déterminer un délai dans lequel le
gouvernement ait à se prononcer, il ne faut pas que le gouvernement en
s’abstenant de donner une décision, soit par négligence, soit par astuce,
entrave l’administration. Cependant, c’est ce qui pourra arriver si la
disposition dont je viens de donner lecture n’est pas maintenue.
La section centrale
propose la suppression de cette disposition par différents motifs. L’un de ces
motifs est que ce paragraphe est en opposition avec les dispositions de l’art.
87, qui soumettent à l’approbation royale les actes les plus importants des
conseils. Je ne trouve entre ces deux articles aucune opposition. Plus
l’article 87 est étendu, plus il y a de centralisation, plus les inconvénients
que la centralisation présente sont à craindre, et plus il importe d’y porter
remède. La disposition dont il s’agit peut être contraire à l’esprit de l’art.
87, niais elle vient pour en empêcher l’abus.
Le second motif de la
section centrale est qu’il peut arriver que le gouvernement ait besoin d’un
plus grand délai. Parce que cette disposition, qui présentait une garantie aux
conseils, pouvait dans certains cas gêner le gouvernement, on la supprime.
Si cette disposition
présentait des inconvénients, il fallait y chercher un remède : il fallait
formuler des exceptions pour certains cas, et maintenir la garantie pour les
autres.
Il
arrivera rarement que le délai de 40 jours soit insuffisant, mais il serait
pourvu à tout en autorisant le gouvernement à prolonger le délai pour un arrêté
motivé qui fixerait le nouveau délai. De cette manière la garantie posée dans
l’article 88 serait consacrée et le gouvernement ne serait jamais gêné dans son
action. La garantie serait conservée, parce que le gouvernement n’irait pas,
sans nécessite, prendre un arrêté spécial pour prolonger le délai de 40 jours
fixé par l’article.
L’article 88 serait
ainsi conçu :
« Les délibérations
du conseil sur les objets mentionnés à l’article précédent seront considérées,
de plein droit, comme approuvées par le Roi, si, dans le délai de 40 jours
après celui de l’adoption par le conseil provincial, il n’est intervenu de
décision contraire, ou au moins un arrêté motivé, par lequel le gouvernement
fixera le nouveau délai qui lui est nécessaire pour se prononcer. »
M. d’Hoffschmidt. - La nouvelle rédaction de
l’article premier en discussion, présentée par la section centrale, n’apporte,
selon moi, d’autre changement notable au premier projet qu’en ce qu’il est fixé
un délai pour l’annulation des actes des conseils provinciaux, tandis que
primitivement la section centrale, ainsi que le projet du gouvernement,
accordait au Roi le pouvoir exorbitant d’annuler ces actes en tout temps ;
cette disposition que rien ne pouvait justifier étant abandonnée, je ne m’y
arrêterai pas.
Mais les autres
inconvénients graves de l’art. 88, signalés dans l’une de nos précédentes
séances, restent debout, et c’est dans le paragraphe 1er de la nouvelle
rédaction qu’ils se représentent ; car la disposition qu’il contient nous
replonge dans le vague de l’arbitraire que nous voulons éviter.
La section centrale
objecte que la constitution ayant consacre ces expressions (qui sortent de
leurs attributions ou blessent l’intérêt général), elle a cru devoir les
conserver.
Mais, messieurs, si ces
expressions ne sont que la reproduction d’une disposition de la constitution,
elles sont inutiles, vous pouvez les rayer ; car une disposition
constitutionnelle n’a pas besoin d’être reproduite pour recevoir son exécution.
Il vous restera alors à déterminer les cas dans lesquels le conseil pourrait
par ses actes blesser l’intérêt général en sortant de ses attributions : par là
vous remplirez l’intention évidente du législateur qui n’a fait que consacrer
des principes dans l’art. 108 de la constitution, en disant que la loi doit
empêcher que les conseils sortent de leurs attributions et blessent l’intérêt
général.
Mais encore une fois
c’est là le principe ; et moi aussi, messieurs, je veux empêcher que les conseils
provinciaux s’ingèrent dans les intérêts généraux du pays, parce que ce pas là
leur mission ; mais je ne puis consentir que la loi qui doit servir pour
l’exécution de ce principe ne consacre rien de plus que la constitution et
laisse ainsi le vague que le congrès vous a chargés de lever.
L’on me répondra sans
doute que mon amendement laisse aussi ce vague ; mais il a au moins le mérite
d’obliger, comme l’amendement de l’honorable M. Ernst, le pouvoir à citer les
dispositions en vertu desquelles il annule les actes des conseils ; car s’il ne
le faisait pas, il violerait évidemment la loi. Je préférerais cependant que
les cas d’annulation fussent précisés, mais la section centrale a trouve
(d’après son honorable rapporteur) la tâche embarrassante, et elle a reculé
devant des difficultés qui ne sont sans doute pas insolubles, pour ouvrir la
porte à l’arbitraire.
Ce n’est pas là,
messieurs, ce que le congrès ni la chambre attendaient de vous ; vous avez
précisé des cas dans d’autres articles généraux, dans l’art. 79 par exemple ;
vous pouviez encore, vous deviez même le faire à plus forte raison dans celui
qui nous occupe ; si votre série n’eût pas été complète, la chambre y eût
pourvu par des amendements.
Sans cela, messieurs,
nous allons retomber dans l’inconvénient grave qui s’est fait si fortement
ressenti, sous l’ancien gouvernement, lorsque les états-provinciaux se
trouvaient entièrement sous la tutelle par suite de dispositions semblables à
celles que vous voulez introduire aujourd’hui.
Quant
à moi je les redoute, et je voterai pour les amendements proposés par les
honorables MM. Ernst, Fallon et Dubus.
Quant au deuxième
paragraphe, je le trouve inutile, insignifiant ; en effet, que signifie une
disposition telle que celle-ci : « Lorsque
le Roi juge qu’il y a lieu de recourir à l’intervention du pouvoir
législatif, il peut, etc., » sinon que lorsqu’il ne le juge pas,
c’est-à-dire ses ministres, il fait ce qu’il veut. Je trouve de pareilles
dispositions dérisoires, et je voterai aussi contre ce paragraphe.
Je n’ai pris la parole,
messieurs, que pour motiver mon vote. Je n’ai pas la prétention d’éclairer
l’assemblée sur une question aussi ardue ; ce vote sera négatif sur tout
l’article, s’il reste conçu tel qu’il nous est présenté, et même contre toute la
loi, si quelques dispositions semblables étaient encore admises.
M. de Theux, rapporteur. -
L’honorable préopinant aurait voulu voir disparaître de la loi la faculté de
suspendre l’exécution d’une délibération accordée au Roi.
L’honorable membre a
raisonné comme s’il s’agissait d’une contestation, soit en matière judiciaire,
soit en matière administrative. Il a dit que le juge ne peut se dispenser de
prononcer sous le prétexte du silence ou de l’obscurité de la loi.
Cette maxime de droit
civil et de droit administratif n’est pas applicable ici, car il ne s’agit plus
de porter un jugement, il s’agit de contenir les conseils dans les limites de
leurs attributions et de les empêcher de porter atteinte à l’intérêt général.
Dans ces cas, il faut nécessairement que le Roi ait le double droit d’annuler
et de suspendre.
Quand il y a un doute
réel qu’il ne peut pas lever, il soumet la question au pouvoir législatif.
C’est donc à tort qu’on
a dit que la chambre serait constituée juge entre le Roi et le conseil. Il n’y
aura pas de procès, le Roi et le conseil ne seront pas en cause, le Roi
présentera aux chambres un projet de loi dans le but de suppléer à
l’insuffisance des lois existantes : si les chambres adoptent le projet, le Roi
pourra, en vertu de la loi, annuler la délibération ; si le projet est rejeté,
la suspension tombera d’elle-même.
Je crois que ce serait
placer le gouvernement dans une position funeste que de l’obliger d’annuler les
délibérations des conseils provinciaux sans droit suffisamment établi, ou de
garder le silence sur des actes qui dans son opinion seraient contraires à
l’intérêt général ou dépasseraient les attributions des conseils. Il faut donc
bien qu’il ait un droit de suspension pour que le pouvoir ait le temps de
présenter au besoin un projet de loi.
L’honorable M. Doignon
s’est plaint de ce que dans le projet de la section centrale on écartait
l’intervention du pouvoir législatif. Il a fait la proposition que le Roi n’ait
que le droit de suspendre...
M.
Doignon. - Je prie M. le président de vouloir bien relire mon
amendement.
M. de Theux, rapporteur. -
L’honorable M. Doignon ne m’a pas compris. J’ai dit qu’il avait proposé que le
Roi n’eût que le droit de suspension des actes des conseils provinciaux, et non
celui d’annulation. L’honorable préopinant, en invoquant à l’appui de son
opinion le paragraphe 5 de l’art. 108 de la constitution, a détruit son
système. Son amendement consiste à ne reconnaître que l’intervention du pouvoir
législatif, tandis que la constitution a (paragraphe 5 de l’art. 108)
formellement reconnu l’intervention du pouvoir exécutif. Il y a donc
contradiction entre son amendement et l’autorité qu’il a invoquée pour en
motiver l’adoption.
Le projet de la section
centrale n’accorde pas toujours au Roi le droit d’annuler les actes des
conseils provinciaux. Il suffit de lire le projet pour être convaincu qu’il ne
peut annuler que lorsque leurs attributions ont été dépassées, ou lorsque
l’intérêt général a été blessé. Mais lorsque le pouvoir exécutif a besoin d’une
loi pour appuyer l’annulation d’un acte provincial, il faut qu’il ait recours à
la législature pour en obtenir une disposition en vertu de laquelle il ait la faculté
de prononcer l’annulation. C’est ce qu’indique suffisamment le droit de
suspension. Je voterai également les arguments émis par l’honorable M.
d’Hoffschmidt. Il aurait voulu que la loi indiquât les cas où le gouvernement
sera obligé de s’adresser à la législature.
Je vous prie de vouloir
vous rappeler que les membres de la section centrale ont invité leurs collègues
à formuler, chacun de son côté, les cas qu’ils désiraient que l’on spécifiât.
Aucun d’eux n’a répondu à cet appel, et n’a fourni à cet égard aucune lumière.
La section centrale, en méditant de nouveau cet article, est demeurée
convaincue qu’il était impossible de poser la question comme on le demandait.
Elle a dû s’en tenir à la reproduction des principes généraux.
L’honorable M. Dubus a conservé
le premier paragraphe de l’article 88 du projet du gouvernement, qui considère
comme approuvées les résolutions du conseil provincial qui sont soumises à
l’approbation du Roi, quand quarante jours ont suivi la délibération.
Il propose de laisser au
Roi la faculté de fixer lui-même le nouveau délai qu’il croit nécessaire pour
donner en connaissance de cause son approbation à une mesure du conseil
provincial. Je crois que l’amendement de M. Dubus ne présenterait aucun
avantage. Le gouvernement pourrait fixer un délai très long, puisque
l’amendement ne lui impose aucune limite. Cet amendement se bornerait à obliger
le pouvoir exécutif à reconnaître qu’il n a pas encore examiné l’affaire qui
lui a été soumise. En second lieu, j’ai dit que l’approbation de plein droit
était, en quelque sorte, en opposition avec l’esprit de l’art. 79, qui soumet à
l’approbation expresse du Roi les actes les plus importants des conseils
provinciaux.
Au moyen du système du
premier paragraphe de l’article 88 et de l’amendement de M. Dubus, le
gouvernement, lorsqu’il ne voudrait pas s’expliquer, laisserait écouler le
délai, et l’acte du conseil provincial serait exécutoire.
Il vaut mieux que le
gouvernement soit forcé à s’expliquer. Il se rend, en ce cas, en quelque sorte
responsable des actes qu’il approuve.
Je
ne reviendrai pas sur les allusions qui ont été faites à la séance précédente.
On a prétendu que
j’avais dit que les actes les plus importants devaient être soumis à une double
approbation royale tandis qu’il suffirait d’une simple approbation à l’égard
des actes moins importants. J’ai dit que quand il s’agissait d’une dépense
d’argent, il fallait qu’il l’eût portée au budget provincial. Et du moment
qu’au moyen de cette formalité il était possible de faire face à la dépense,
l’ouvrage projeté pouvait être immédiatement mis à exécution. Mais je n’ai pas
dit que les actes les plus importants du conseil provincial devaient être
approuvés deux fois. Il eût été absurde de le soutenir. J’ai seulement dit que
quand cet acte devait entraîner une dépense supérieure à la somme de 30,000
francs, l’ouvrage même devait être agréé par le gouvernement.
Je pense donc que
l’amendement de la section centrale adopté hier ne dérange en aucune manière
l’économie de l’art. 79.
M. H. Dellafaille - Je ne partage point
l’opinion de l’honorable préopinant sur la contradiction qu’il trouve entre
l’article qui impose le délai fatal imposé au gouvernement et l’article qui
soumet certains actes des conseils provinciaux à l’approbation de l’autorité
supérieur. Cet article a voulu que les actes les plus importants des conseils
provinciaux ne pussent être mis à exécution sans l’approbation royale. Du
moment que le Roi ne s’oppose pas à une mesure prise par un conseil provincial,
cette mesure est suffisamment approuvée.
La disposition primitive
du projet offre un avantage ; elle donne un moyen d’éviter les lenteurs dans la
marche administrative. Mais si cette disposition offre des avantages, elle a
aussi ses inconvénients. Nous avons déjà dit qu’il se présentera des actes des
conseils provinciaux sur lesquels le pouvoir exécutif devra s’aider des
lumières de diverses administrations et consulter les conseils des provinces
voisines. Il peut arriver au gouvernement des réclamations particulières dans
les derniers jours de l’époque fatale fixée pour l’approbation.
Si l’on met le
gouvernement dans la nécessité de prononcer immédiatement, il se verra obligé
d’annuler l’acte en question sans connaissance de cause, sans avoir pris les renseignements
que la matière comportait, ou bien de le laisser devenir exécutoire malgré les
vices qu’il pouvait offrir.
L’amendement de M. Dubus
pare, il est vrai, à ces inconvénients ; la seconde partie de sa proposition
détruit la première. Le gouvernement devra donner ou refuser son approbation
aux actes des conseils provinciaux dans le délai de 40 jours, s’il ne lui plaît
pas de prolonger ce délai. Le gouvernement pourra dire chaque fois qu’il n’a
pas eu le temps de s’éclairer, Il vaut mieux supprimer ce paragraphe, et
laisser au ministère toute la responsabilité d’une trop longue suspension des
actes provinciaux.
L’honorable M. Milcamps
a critiqué le deuxième paragraphe sur le prétexte que le pouvoir exécutif
pourrait suspendre indéfiniment l’exécution des actes provinciaux.
La rédaction du deuxième
paragraphe répond à son objection. La suspension n’est qu’un moyen de demander
aux chambres une décision. Il est impossible que le délai soit indéfini,
puisque le cas qui a donné lieu à la suspension doit être soumis à la décision
de la législature pendant la session, ou si elle n’est pas réunie, à la session
suivante.
Il y a des cas dans
lesquels la loi peut recourir au pouvoir législatif : le premier serait celui
où il trouverait la loi douteuse et obscure. Alors il est nécessaire que la loi
soit interprétée aux termes de la constitution, et le pouvoir législatif doit
intervenir ; l’autre cas est celui où le Roi pourrait avoir besoin du concours
du pouvoir législatif à l’égard de la décision qu’il prendrait ; c’est une
nouvelle autorité dont on le renforce.
On a fait le reproche à la section centrale de
ne pas avoir formulé le cas d’annulation des actes du conseil ; la chose est
impossible ; l’honorable rapporteur l’a dit ; on ne peut formuler les cas où le
conseil pourrait sortir de ses attributions ou violer la loi ; il est
impossible de prévoir les cas où la résolution du conseil nuirait à l’intérêt
général. Il pourrait arriver que, cet acte, dans certains cas, ne nuisît
aucunement à l’intérêt général, et que, dans d’autres circonstances, il nuisît
aux intérêts de plusieurs provinces : je le répète, il est impossible de
formuler les cas d’annulation de la résolution du conseil ; personne dans la
section centrale n’a essayé de le faire.
Je pense avoir répondu
aux objections qui ont été faites contre la proposition de la section centrale.
M.
le président. - La parole est à M.
Fallon.
M.
Jullien. - Je demanderai tout à l’heure la parole pour une motion ; la
discussion doit être réglée, car on ne se comprend plus.
M.
Fallon. - Autant je désire faire profiter les conseils provinciaux de
la plus grande liberté d’action dans le ménage provincial, autant je suis porté
à accorder au gouvernement tous les pouvoirs nécessaires pour empêcher l’effet
d’actes d’un conseil qui seraient contraires à l’intérêt général, ou qui
contiendraient un excès de pouvoir ; d’autant, surtout, que je suis bien
déterminé à refuser au gouvernement le remède extraordinaire et toujours
dangereux, le droit de dissolution.
Ainsi que je l’ai dit
dans une séance précédente, j’adopterai le premier paragraphe du nouvel article
proposé par la section centrale, en ajoutant, toutefois, au droit d’annulation
le droit de suspendre.
Moyennant cette
addition, je demanderai la suppression des paragraphes 2 et 3 qui, suivant moi,
ne font autre chose que de renouveler des débats que je considère comme
parfaitement inutiles. Je vais exposer les motifs de mon opinion sur ces deux
points.
Quel que soit le système
politique d’un gouvernement constitutionnel, tous les pouvoirs émanent de la
souveraineté, mais ils ne s’exercent que par délégation de la manière
déterminée par la constitution.
Ici, en Belgique, cette
souveraineté, qui réside dans la nation, a été répartie exclusivement entre
trois grands pouvoirs : le pouvoir législatif, le pouvoir exécutif et le
pouvoir judiciaire.
Lors de la discussion de
la constitution, on proposa de faire concourir à cette répartition le pouvoir
provincial et communal ; mais cette conception fut rejetée, et les intérêts
provinciaux et communaux restèrent en sous-ordre.
A-t-on bien fait ?
A-t-on mal fait ? Sur ce point nous n’avions pas à nous livrer à des théories
pour rechercher ce qui devrait être, nous n’avons à constater que ce qui est.
Et ce qui est dans notre constitution, c’est que les administrations
provinciales et communales ne peuvent agir qu’en sous-ordre de l’un ou de
l’autre des grands pouvoirs de l’Etat, auxquels seuls l’exercice de la souveraineté
se trouve déléguée.
L’institution
provinciale est donc une institution secondaire constitutionnellement dont le
régime est abandonné à l’arbitraire de la loi, sauf l’application de quelques
règles spéciales déterminées dans l’article 108 de la constitution.
Dans l’application de
ces règles comme dans tous les cas non prévus spécialement par la constitution,
le principe qui me semble devoir servir de solution aux difficultés qui se
présentent, c’est que le cercle d’action de cette institution est placé dans le
cercle d’un pouvoir plus élevé, et qu’en conséquence, dans tous les cas où
l’harmonie des mouvements pourrait être troublée, c’est au pouvoir supérieur
constitutionnel que l’institution secondaire dont être nécessairement
subordonnée.
Vous empêcherez, nous
dit la constitution, que le conseil provincial ne sorte de ses attributions et
ne blesse l’intérêt général.
On est d’accord sur le
mode d’empêchement, c’est l’annulation ou la suspension de l’acte au cas prévu.
Mais qui sera juge du
point de fait et par qui la mesure sera-t-elle appliquée ?
Choisissez, nous répond
la constitution, entre l’intervention du Roi ou du pouvoir législatif.
Ici, je dois m’arrêter
sur ces expressions de la constitution.
C’est une alternative et
non une copulative que je lis dans le paragraphe 5 de l’article 108 de la
constitution.
Ce n’est pas tout à la
fois dans l’intervention du Roi et du pouvoir législatif que nous devons
prendre le moyen, mais bien seulement dans l’intervention de l’un ou l’autre de
ces pouvoirs.
Il faut donc choisir, et
j’ai déjà dit que, pour moi, le choix ne pouvait être douteux.
Il faut qu’un acte qui
blesse l’intérêt général ou qui renferme un excès de pouvoir puisse être
comprimé sur-le-champ.
Le pouvoir législatif n’étant
que temporairement en exercice, il y aurait trop de lenteur dans son action. Ce
pouvoir sortirait d’ailleurs du véritable caractère de sa mission qui est de
faire les lois et non de les appliquer.
Le pouvoir administratif
n’est pas d’ailleurs dans les attributions du pouvoirs législatif, et annuler
ou réformer un acte administratif, c’est incontestablement administrer.
C’est donc au pouvoir
exécutif seul qu’il faut attribuer le droit d’annuler les actes des conseils
provinciaux dans les cas dont il s’agit, parce que c’est ce pouvoir qui tient
de la constitution la mission de faire exécuter les lois administratives, de
veiller à la sûreté de l’Etat et à l’ordre public.
Mais, dit-on, cette loi
sur le régime administratif peut être absurde, peut prêter à un double sens et,
s’il y a lieu, à interprétation d’autorité ; il faut alors que le pouvoir
exécutif n’ait que le droit de suspendre, parce que c’est au pouvoir législatif
seul qu’appartient l’interprétation d’autorité.
Soit, tout cela est vrai
; mais je ne vois ni nécessité ni utilité de nous occuper de cette éventualité
dans la loi que nous discutons.
Je ne partage cependant
pas l’opinion de ceux qui pensent qu’en matière administrative il ne peut
jamais y avoir lieu à interprétation d’autorité.
Le motif de cette
opinion, c’est qu’à la différence de ce qui se pratique en matière judiciaire,
où la cour qui casse ne connaît pas du fond de la question ; en matière
administrative, le chef de l’Etat, qui annule, peut connaître du fond de
l’affaire.
Ce raisonnement ne me
paraît ni exact, ni concluant.
Pas plus qu’à la cour de
cassation nous n’avons l’intention de donner au Roi, alors qu’il casse l’acte
d’un conseil provincial, de connaître du fond de l’affaire, dans ce sens qu’en
l’annulant il aurait le droit de remplacer l’acte annulé en se mettant à la
place du conseil provincial ; pas plus à lui qu’à la cour de cassation nous ne
voulons attribuer le pouvoir de fixer le sens de la loi par voie de disposition
générale et réglementaire, puisque ce n’est qu’au pouvoir législatif
qu’appartient exclusivement l’interprétation d’autorité ; mais aussi pas plus à
lui qu’à la cour de cassation, nous ne pouvons contester la faculté
d’interpréter les lois administratives par voie de doctrine et d’annuler l’acte
dans lequel, à sa manière de comprendre la loi, il croit remarquer une
atteintes aux lois d’ordre et d’intérêt général dont il est le gardien et qu’il
est spécialement chargé de faire respecter.
Ainsi donc, quant à
l’interprétation de doctrine, il n’y a pas de différence à faire entre les
matières administratives et judiciaires, par la raison que, dans l’un comme
dans l’autre cas, c’est toujours de l’application d’une loi qu’il s’agit.
Mais cette loi qu’il
faut appliquer peut être ambiguë et obscure ; les conseils provinciaux
l’entendront d’une manière et le gouvernement la comprendra dans un sens
différent. Le gouvernement cassera et d’autres conseils provinciaux
reproduiront la délibération cassée.
Pour faire cesser une
semblable collision, on pourrait, à l’instar de ce que l’on a fait pour le
pouvoir judiciaire, déterminer les cas où le pouvoir exécutif devrait requérir
l’interprétation législative en se bornant en ce cas à user du droit de
suspendre l’exécution de l’acte.
Mais pour faire une
bonne loi sur ce point, il faudrait pouvoir en préciser les cas où il y aurait
nécessité du recours à l’interprétation d’autorité.
Avant d’introduire cette
innovation dans notre législation ; avant d’essayer d’un régime qui n’est connu
dans aucun Etat constitutionnel ; avant d’imposer au gouvernement, chargé de
faire respecter les lois d’intérêts général et d’ordre public, l’obligation de
s’arrêter en présenter d’une ou de plusieurs délibérations de conseils
provinciaux qui persisteraient à vouloir comprendre ces lois dans un autre sens
; avant d’astreindre le chef de l’Etat à se constituer partie contradictoire
avec une administration de second ordre devant le pouvoir législatif dont il
forme lui-même l’une des branches, il est prudent d’attendre les leçons de
l’expérience, ; d’autant que rien ne presse et qu’en l’absence de toute
disposition sur l’interprétation d’autorité en matière administrative il ne
peut réellement exister aucun inconvénient auquel il ne soit possible de parer
aisément.
Il faut bien faire
attention qu’il ne s’agit pas ici d’aviser au moyen d’assurer l’uniformité de
jurisprudence en matière administrative ; car, pour les matières
administratives en général, ce moyen existe dans l’article 67 de la
constitution qui charge le Roi de faire les règlements et arrêtés nécessaires
pour l’exécution des lois.
Il s’agit
exceptionnellement et exclusivement du cas où le pouvoir administratif, usant
de son droit et exerçant l’un des premiers devoirs de sa surveillance, arrête
l’exécution d’une disposition d’administration en sous-ordre qu’il croit
hostile à l’intérêt général ou à l’ordre des attributions.
Sans doute, le pouvoir
exécutif, à qui nous abandonnons l’appréciation de la disposition, peut se
tromper en l’annulant, et il faut bien reconnaître qu’il est permis de le supposer,
puisqu’on a bien appliqué cette supposition d’erreur à la cour de cassation,
dans l’application des lois qu’elle est chargée de faire respecter.
Sans doute, si pour le
cas où, malgré la cassation, le second arrêt est rendu dans le même sens que le
premier et est encore cassé à son tour, on a trouvé bon de déclarer qu’il y
avait lieu à l’interprétation d’autorité, il semble qu’il y a parité de raison
à déclarer qu’il y a également lieu au même recours dans le cas où, malgré
l’annulation de la résolution d’un conseil provincial, ce conseil ou tout autre
conseil prend une résolution dans le même sens que la première.
Cependant, si l’on veut
bien y faire attention, cette parité est loin d’être parfaite ; ces ordres de
choses ont des caractères qui leur sont propres et qui les distinguent. Là,
dans l’ordre judiciaire, la mesure est de nécessité et ne peut être remplacée
par aucun autre moyen ; et ici dans l’ordre administratif son utilité peut être
contestée, et le moyen ne manque pas pour faire cesser les inconvénients
éventuels qui pourraient se présenter dans l’absence de toute disposition
spéciale.
Le pouvoir judiciaire
est placé constitutionnellement sur la même ligne que le pouvoir législatif et
le pouvoir exécutif ; il ne relève ni de l’un ni de l’autre de ces pouvoirs.
S’il y a conflit d’opinion sur l’application de la loi entre la cour de
cassation et les cours royales, le conflit est levé concurremment par les deux
autres pouvoirs qui concourent à la formation de la loi d’interprétation, et
cela est tout à fait dans les convenances politique.
L’institution
provinciale, au contraire, n’est qu’une branche secondaire du pouvoir
administratif. S’il y a conflit d’opinion sur l’application de la loi entre
l’administration inférieure et l’administration supérieure, il faut, pour être
conséquents, ou bien nous en tenir à l’effet naturel que doit produire tout
ordre hiérarchique, et laisser faire, sauf à intervenir d’office au besoin ; ou
bien il faut observer à l’égard du pouvoir exécutif les mêmes convenances
d’ordre politique qu’à l’égard du pouvoir judiciaire et ne point le soumettre à
intervenir lui-même comme juge dans sa propre cause ; car, au moyen du veto, le
chef de l’Etat fait partie du pouvoir législatif. A part cette distinction
d’ordre politique, il en est une autre qui vous paraîtra plus décisive.
Dans le conflit
judiciaire, il y a une instance que le conflit ne renverse pas, il y a une
instance qui reste debout et qu’il faut évacuer, il y a enfin un procès qui
doit être jugé. Il fallait bien aviser au moyen de faire arriver le procès à
son terme. Le recours à l’interprétation législative, avant d’en saisir la
dernière cour d’appel qui peut en connaître, était donc de nécessité
indispensable.
Dans le conflit
administratif, la difficulté n’est pas la même, Il n’y a pas là de procès qui
reste en souffrance et attend une solution. L’action du pouvoir exécutif
s’exécute dans l’ordre hiérarchique et la mesure d’astreindre ce pouvoir à
recourir dans certains cas à l’interprétation législative est d’autant moins
nécessaire qu’il pourrait lui-même la rendre illusoire aussi longtemps qu’il le
trouverait bon, puisqu’au moyen du veto il empêcherait bien la législature
d’interpréter la loi autrement qu’il n’aurait cru devoir le faire dans
l’intérêt général et dans l’ordre des attributions : et, comme vous voyez qu’il
annule ou qu’il suspende, la chose sera la même à son gré.
A quoi bon donc nous
attacher plus longtemps à formuler une disposition pour le cas d’interprétation
législative, alors qu’une loi n’est nullement nécessaire pour assurer
l’indépendance des conseils provinciaux et les soustraire à toute oppression de
la part du juge supérieur que la constitution leur assigne ?
Et en effet, si, en
annulant l’acte d’un conseil provincial, le gouvernement n’a usé de cette
mesure que parce qu’il a interprété la loi autrement que ne la comprend le
conseil provincial dont l’acte a été annulé, ce conseil sera sans doute le premier à connaître les motifs
de cette annulation. S’il croit que l’interprétation du gouvernement est
erronée, une loi n’est pas du tout nécessaire pour lui faciliter le recours à
l’interprétation législative ; cette voie lui est ouverte. Il peut directement
dénoncer le fait à la chambre. Si la chambre juge qu’en effet c’est le
gouvernement qui a mal interprété la loi, elle usera du droit qui lui
appartient constitutionnellement, elle usera du droit d’initiative et de son
droit d’interprétation d’autorité. Si elle juge au contraire que c’est le
conseil provincial qui se trompe, elle s’abstiendra.
Mais, dit-on, que faire
si c’est le gouvernement qui, en présence de l’acte d’un conseil provincial,
est en doute sur le véritable sens de la loi ? La réponse est fort simple.
Ou bien, comme la chose
sera douteuse, et c’est bien le cas où la contravention à la loi d’intérêt
général sera loin d’être évidente, il laissera exécuter un acte qui lui
paraîtra inoffensif ;
Ou bien dans le doute,
il l’annulera, et dans ce cas le recours en interprétation d’autorité est ouvert
au conseil comme nous venons de le faire observer.
Ou bien enfin dans ce
doute, il ne fera usage que d’une portion du droit que nous lui concédons ; et
comme qui peut plus, peut moins, il suspendra l’exécution de l’acte et
provoquera lui-même l’interprétation d’autorité.
Nous
n’avons donc aucunement besoin de déterminer les cas où il serait du devoir du
gouvernement de provoquer l’interprétation législative en matière
administrative.
Tous les actes du
pouvoir administratif sont dans le contrôle des chambres, et par, conséquent il
est impossible qu’il puisse abuser de son droit d’annulation ou de suspension
sans que le remède ne se trouve à côté du mal.
L’oppression, pas plus
que l’erreur, n’est à craindre, que l’on fasse ou que l’on ne fasse pas de loi
sur l’interprétation d’autorité en matière administrative ; et comme, en fait
de lois, il est toujours prudent de n’en pas faire là où la nécessité n’est pas
démontrée, je persiste à demander la suppression des paragraphes 2 et 3.
M.
Jullien. - La discussion est tellement obscure, tellement compliquée,
qu’il me semble impossible d’en sortir.
L’art. 88 qui vous est
soumis contient cinq paragraphes qui tous équivalent à cinq articles, ayant
chacun une très grande portée. Il est arrivé dans la discussion qu’un orateur a
attaqué la tête de l’article, un autre l’a pris par la fin, et un troisième l’a
pris par le centre. (On rit.)
D’autres orateurs ont amendé l’article, et se sont attaches à tel ou tel
paragraphe. Il est résulté de là que la discussion s’est embrouillée de plus en
plus.
Je vous prie, messieurs,, de vous rappeler tous les éléments de la discussion.
M. d’Hoffschmidt ne veut
pas qu’on pose dans la loi un principe qui est général, et qui se trouve dans
la constitution ; il énonce une opinion qui peut être également soutenue et
donner lieu à des contestations.
M. Doignon veut que le
Roi ait le droit de suspension ; je ferai remarquer à cet égard que dans
l’article de la section centrale on parle de droit de suspendre, avant qu’on en
ait posé le principe. Il dit que la suspension aura tels effets ; et cependant,
il faut recourir à l’article qui viendrait après l’art. 112, pour trouver que
le pouvoir royal a le droit de suspension
M. Dubus veut qu’on
rétablisse dans l’article une disposition primitive proposée par le
gouvernement. Je suis de l’avis de l’honorable membre.
M. Ernst s’est attaché à
l’avant-dernier paragraphe. Il voulait qu’on expliquât d’une manière formelle
le motif qu’aurait le gouvernement d’annuler les arrêtés du conseil.
Enfin, M. Fallon vient
de vous soumettre, sur le pouvoir d’interprétation qui sera donné au Roi, une
théorie, une doctrine qui mérite toute votre attention.
Tels sont les éléments
de la discussion. Je crois qu’il est impossible de les examiner simultanément.
(C’est vrai !)
Je propose, pour
rétablir l’ordre de la délibération, de discuter paragraphe par paragraphe, en
s’occupant des amendements qui s’y rattachent. (Assentiment.)
Une voix. - Il s’agit d’une discussion
générale.
M. Jullien. - On parle de discussion générale ;
mais si on fait une discussion générale pour tous les articles de la loi qui
sont au nombre de 120 ou de 130, je ne vois pas l’espoir de terminer. Je
demande en tout cas que l’on passe à la discussion des paragraphes, et j’invite
chacun des membres qui ont présenté des amendements de déclarer auxquels des
paragraphes ils se rattachent ; de cette manière, nous mettrons un terme à la
discussion et nous aurons le moyen de voter en connaissance de cause. (Appuyé ! appuyé !)
- La proposition de M.
Jullien est adoptée.
M.
le président. - La discussion s’ouvre sur le premier paragraphe et sur
la proposition de M. Dubus.
M.
Dubus. - Je crois devoir répondre aux objections faites contre la
proposition que j’ai eu l’honneur de vous soumettre.
On objecte contre ma
proposition qu’elle blesse l’esprit de l’article 87 qui a été adopté hier par
la chambre. On dit qu’il est dans l’esprit de cet article que l’approbation à
donner par le Roi soit toujours expresse ; d’ou il résulte qu’on ne saurait
adopter mon amendement puisque, d’après son texte, l’approbation pourrait être
tacite. Je nie que l’approbation du Roi doit être expresse. Je dis que ni le
gouvernement ni la chambre n’a entendu qu’il en fût ainsi. Le gouvernement et
la chambre ont pensé que les arrêtés du conseil devaient être approuvés, soit
tacitement soit d’une manière expresse.
Je dis que de l’esprit
de l’art. 87 il résulte que l’approbation peut seulement être tacite. La
chambre, en votant cet article, avait sous les yeux la proposition du
gouvernement auquel le ministre n’avait pas encore renoncé ; elle n’a pas pensé
que l’approbation royale devait être expresse ; s’il en eût été autrement, elle
aurait mis le mot expresse dans l’article.
Le sens de l’art.
On a dit aussi que ma
proposition ne présentait aucun avantage ; car, a dit l’honorable rapporteur,
le Roi pourra toujours fixer un délai très long, et l’honorable préopinant a
même dit que mon amendement aurait un but contraire à celui que je veux
atteindre, et que le délai serait plus long. C’est précisément en supprimant la
disposition dont il s’agit que vous êtes dans cet état de choses. Alors il
n’existe aucun délai ; le gouvernement peut approuver quand il lui plaît, il
peut même s’abstenir de toute approbation. Pour supprimer les inconvénients
résultant de cet état de choses, il faut fixer un délai pour tous les cas, sauf
une exception.
Quant à l’exception, il
est vrai qu’elle laisse trop de latitude au pouvoir ; mais sans doute, sous ce
rapport elle ne sera pas critiquée par l’honorable préopinant qui veut
n’astreindre le gouvernement à rien ; au moins moi, je l’astreins à quelque
chose.
Les deux honorables
préopinants ne sont pas d’accord sur les inconvénients qu’ils trouvent dans
l’article : l’un veut que le gouvernement ne soit soumis à aucun délai, et
trouve qu’il serait fâcheux qu’il en fût ainsi ; l’autre dit que l’article est
inutile, parce que le gouvernement usera continuellement de la faculté de
proroger le délai ; faculté qui lui est accordée pour quelques cas
exceptionnels. Ceci n’est pas possible car il faudra que l’arrêté soit motivé ;
il sera publié et jugé.
D’ailleurs, dès que vous
fixez un délai avec obligation pour le gouvernement de prendre un arrêté pour
le proroger, dans le cas où le temps que la loi lui accorde ne lui suffirait
pas, il arrivera nécessairement que la députation aura soin de joindre à la
délibération du conseil tous les documents propres à la justifier, afin de
mettre le gouvernement à même de se prononcer. Or, si le gouvernement est saisi
de tous les documents, il ne pourra pas déclarer qu’il n’est pas en mesure pour
se prononcer et qu’un nouveau délai lui est nécessaire.
Si
aucun délai n’est déterminé, l’administration provinciale souffrira de la
lenteur et de la négligence des bureaux. Il arrivera en outre que le
gouvernement, ne voulant ni approuver ni refuser l’approbation, s’abstiendra ;
et une délibération du conseil, quoique subsistante, ne recevra aucune
solution.
Cela est arrivé de la
part du gouvernement envers les deux autres branches du pouvoir législatif, le
sénat et la chambre des représentants. Il y a 2 ans et demi qu’un projet adopté
par les deux chambres a été présenté à la sanction royale ; la sanction n’a
encore été ni donnée ni refusée ; et il y a deux ans et demi. Lorsqu’on traite
avec aussi peu de cérémonie les premiers pouvoirs de l’Etat ; je demande
si on le gênera pour faire attendre éternellement aux conseils provinciaux
l’approbation de leurs délibérations.
M.
Jullien. - La disposition proposée par l’honorable préopinant est celle
qui se trouvait dans le projet rédigé par la commission nommée par le Roi, et
dont j’avais l’honneur de faire partie ; cette disposition est la même que le
gouvernement a reproduite dans l’art. 88 du projet en discussion. Je dois
rendre compte à la chambre des motifs qui ont déterminé la commission et le
gouvernement à adopter cette disposition.
Vous avez vu dans l’art.
87 que les délibérations les plus importantes des conseils provinciaux devaient
être soumises à l’approbation du Roi. Ce principe sur lequel on était d’accord
une fois posé, on s’est dit : Si le gouvernement attend des mois entiers pour
accorder son approbation, au bout d’un mois peut-être l’intérêt provincial aura
péri, il faut donc fixer un terme à l’approbation, sinon la délibération sera
censée approuvée. Voilà le but de l’art. 88 du projet du gouvernement et de
l’amendement proposé par l’honorable M.
Dubus.
Je prie la chambre de
faire attention aux termes et à l’étendue des délais fixés par l’art. 88. En
voici le premier paragraphe :
« Art. 88. Les délibérations
du conseil sur les objets mentionnés à l’article précédent seront considérées
de plein droit comme approuvées par le Roi, si, dans le délai de 40 jours après
celui de leur adoption par le conseil provincial, il n’est intervenu de
décision contraire. »
Cette disposition de la
loi accorde au gouvernement tout le temps nécessaire pour apprécier les
délibérations du conseil. Que peut-on y objecter, à moins qu’on ne veuille tout
abandonner au caprice du gouvernement ou à la lenteur des bureaux ? Le
gouverneur, aussitôt qu’une délibération aura été prise par le conseil,
n’informera-t-il pas le gouvernement des vices, des nullités, qui pourraient
s’y trouver ? Le délai de 40 jours est donc plus que suffisant.
On craint que
l’amendement ne remplisse pas le but qu’il se propose ; que le gouvernement,
ayant le droit de prendre un nouveau délai, ne proroge à plaisir celui fixé par
la loi et ne rende inutile la précaution qu’a eue en vue l’honorable
préopinant. Pour avoir une telle crainte, il faut supposer que le gouvernement
sera de mauvaise foi. Or, la règle générale pour tous les contrats, toutes les
obligations, c’est que les parties contractantes doivent être supposées de
bonne foi. Je suppose donc que le gouvernement sera de bonne foi, et je ne crois
pas lui faire injure.
En vérité, si la chambre a à cœur d’affranchir la commune et la province
de la tutelle sévère où elles sont, elle n’y parviendra pas par le moyen que
proposent plusieurs honorables préopinants. Car si vous écartez les amendements
proposés, la province sera moins émancipée que sous l’ancien gouvernement.
Voilà où vous arriverez avec l’intention sans doute d’améliorer la situation de
la province. Je voterai pour l’amendement de M. Dubus.
M.
Ernst. - Si j’avais pu croire que le gouvernement se fût rallié à
l’amendement de M. Dubus, je n’aurais pas pris la parole.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) se lève aussitôt, et dit. - Si le
gouvernement avait vu dans l’amendement quelque chose de dangereux, il s’y
serait opposé. Mais par la maxime rappelée par M. Jullien : « Qui ne dit mot
consent, » notre silence était en quelque sorte une adhésion.
Véritablement, je ne
vois pas d’inconvénient à l’amendement de M. Dubus ; cependant il a besoin
d’explications. Si le gouvernement, par un arrêté, fixe un second délai,
pourra-t-il le renouveler, si ce second délai n’est pas suffisant ?...
M. Gendebien. - Ainsi il prendrait des délais
jusqu’au jugement dernier !
M.
le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - C’est la conséquence de
l’amendement.
M.
Pollénus. - Je ne conçois vraiment pas le doute que paraît trouver M.
le ministre de l’intérieur dans l’amendement proposé par l’honorable M. Dubus.
Que veut l’auteur de l’amendement ? Il veut limiter l’exercice du droit
d’approbation attribué au Roi, il veut lui assigner un délai après lequel le
silence du gouvernement serait envisagé comme une approbation. Que vient proposer
M. le ministre ? de rendre indéfinie une faculté à
laquelle l’amendement est destiné à assigner une limite ; ainsi, ce que le
ministre propose est précisément le contraire de ce que veut atteindre
l’amendement.
Je ne puis prévoir que
l’intention de l’honorable M. Dubus puisse être de consentir à adopter la
proposition du ministre ; il ne peut vouloir le contraire de ce qu’il propose ;
je ferai au besoin mien un amendement qui est destiné à prévenir les abus de la
centralisation et à garantir l’autorité royale même contre ces abus-là ; déjà
il vous a été signalé que dans différentes occasions l’on avait pu apprécier le
besoin d’une disposition telle que celle que nous propose M. Dubus,
L’on
ne doit pas le perdre de vue, il y a deux choses à concilier ici : la
prérogative royale et les franchises attribuées à la province ; il faut bien se
garder de donner à l’une une extension par laquelle l’autre pourrait se trouver
paralysée. Ce n’est qu’en réglant l’exercice de l’une et de l’autre qu’on les
concilie, et je ne puis concevoir comment la fixation d’un délai dans lequel le
gouvernement devra se prononcer puisse être envisagée comme détruisant le
pouvoir que reconnaît l’art. 79 ; car je le répète, régler l’exercice d’un
pouvoir ou d’un droit n’est ni paralysée, ni anéantir le pouvoir.
M.
le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - J’ai fait une question et non
une proposition.
M. Pollénus. - Veuillez, messieurs, ne pas
perdre de vue que l’amendement de M. Dubus laisse au gouvernement la faculté de
prolonger le terme de 40 jours d’un autre délai qui doit être irrévocablement
fixé par l’arrêté de prorogation.
Cette disposition donne
au gouvernement toute la latitude qu’il peut désirer. Vous savez que cette disposition
va bien plus loin que le projet même du gouvernement qui se contentait d’un
seul délai. Je ne puis terminer sans recommander encore cet amendement à toute
l’attention de la chambre : si vous le rejetez, vous renforcez inutilement la
centralisation, et les institutions provinciales promises par la constitution
seront illusoires parce qu’elles seront dépourvues même de la faible garantie.
M.
Dubus. - Je veux répondre à la question faite par le ministre de
l’intérieur.
D’après mon amendement
il est évident que le gouvernement n’avait pas le droit de prendre un troisième
délai après en avoir pris un second, puisque le second délai doit être pris
après le premier délai de 40 jours ; or, il n’est rien dit sur la durée du second
délai.
-
L’amendement de M. Dubus est mis aux voix et adopté unanimement.
M.
le président. - Nous allons délibérer sur le premier paragraphe de
l’article en discussion.
M. de Theux, rapporteur. - Nous
voyons, par l’amendement de M. Fallon, qu’il admet le droit de suspension comme
la section centrale ; cependant des explications sont nécessaires, car la
section centrale n’admet pas ce droit indéfiniment. D’après l’art. 127 de la
loi que nous discutons, il faut que le gouverneur ait pris recours près du
gouvernement contre un acte du conseil ou de la députation, dans les 10 jours
qui suivent celui où il a été rendu ; et le gouvernement doit prononcer dans
les 30 jours qui suivent le délai de 10 jours.
Dans
le système de M. Fallon, il n’y a pas de limites au droit de suspension : il
faut que le gouvernement prononce définitivement au bout d’un certain temps,
soit qu’il prolonge la suspension soit qu’il annule. La section centrale a cru
que, si dans les 30 jours après le recours du gouverneur, le gouvernement ne
pouvait se prononcer, il fallait qu’il prorogeât indéfiniment en provoquant une
mesure législative.
M. Fallon. - Il est indispensable de parler du
droit de suspension dans le paragraphe premier. En demandant que ce droit soit
inséré dans le paragraphe premier, ce n’est pas une raison pour qu’il ne soit
réglé par l’article 127.
M.
le président. - Il me semble que nous devons délibérer sur l’amendement
de M. Doignon.
M.
Doignon. - L’on vous a dit que d’après mon système j’écartais
l’intervention du Roi pour empêcher les états provinciaux de sortir de leurs
attributions ou de blesser l’intérêt général ; c’est une erreur évidente.
J’admets la suspension par le Roi ; or, la suspension est une intervention.
J’ai soutenu, et je soutiens encore, que cette intervention est suffisante.
Quelle est l’intention du législateur ? S’il a voulu que le Roi intervînt ici,
c’est pour réprimer à l’instant même les écarts des états ; ce but est atteint
en accordant le veto au gouvernement. J’ai démontré qu’il n’y avait aucun
inconvénient à appeler le pouvoir législatif à prononcer définitivement ; on
n’a pas répondu.
Je ne sais pourquoi,
messieurs, de gaîté de cœur, la législature irait sacrifier une garantie qui
est accordée au pays en vertu de l’art. 108 de la constitution.
Les principaux
inconvénients qui résultent des dispositions présentées par le gouvernement et
de celles présentées par la section centrale, consistent en ce qu’elles
accordent au gouvernement un droit absolu d’annuler. C’est exactement du
pouvoir absolu, comme si nous étions en Belgique sous une monarchie pure, comme
s’il n’existait pas de constitution. Sous prétexte d’ordre public et d’intérêt
général, on abandonnerait au bon plaisir du gouvernement la faculté d’annuler
dans tous les cas, et cela sans nécessité, lorsque la suspension peut suffire
pour remplir le but qu’on se propose.
Si toutefois cet
amendement ne pouvait être accueilli, je le sous-amenderai de manière même à
donner aussi au Roi le droit d’annulation. Je le rédigerai en ces termes :
« Le Roi peut
suspendre et annuler les actes des conseils qui sont contraires aux lois ou
sortent de leurs attributions.
« Lorsque le
gouvernement juge qu’un acte du conseil est susceptible d’être annulé, non
comme contraire à une loi, mais comme blessant l’intérêt général, il peut le
faire suspendre : dans ce cas, son veto cesse, s’il n’est pas confirmé par le
pouvoir législatif. S’il est approuvé, l’acte du conseil sera déclaré nul et de
nul effet. »
Cet amendement établit
une distinction entre les actes contraires aux lois, ou qui sortiraient des
attributions du conseil, et ceux qui blesseraient l’intérêt général.
A l’égard des premiers,
j’accorderai subsidiairement, d’une manière absolue, le droit d’annulation.
Lorsque le Roi annule un acte contraire à la loi, il est nécessaire qu’on
rapporte dans l’arrêté le texte de loi auquel le conseil a contrevenu. Il est
facile alors d’apprécier si le gouvernement a abusé ou non de son pouvoir. Mais
quant aux actes qui peuvent blesser l’intérêt général, comme le vague de cette
expression laisse une grande carrière à l’arbitraire, car il peut y avoir sur
ce point autant de sentiments qu’il y a d’esprits, dans ce cas la prudence veut
que le gouvernement ait uniquement le veto ; et nous trouverons une garantie
dans le pouvoir législatif qui prononcera définitivement.
Un
honorable membre a pensé que le n°5 de l’art. 108 présentait une alternative ;
que la chambre était tenue d’opter entre l’intervention du Roi ou celle du
pouvoir législatif. Je crois que l’honorable préopinant s’est trompé. La
particule ou n’est pas disjonctive. Le
congrès, en adoptant cette disposition n’a pas entendu que l’intervention d’un
pouvoir serait admise à l’exclusion de l’autre, mais que l’un et l’autre
pourraient intervenir chacun en ce qui le concernerait. Or, c’est ce que nous
faisons au cas actuel.
Je ne puis passer sous
silence une autre observation du préopinant, qui a prétendu que j’aurais avancé
que la souveraineté était dans les chambres. Je rien dit
de semblable, je me suis borné à invoquer les articles 25 et 32 de la
constitution. L’article 25 porte que tous les pouvoirs émanent de la nation, et
l’article 32 que les chambres représentent la nation. Or, je le répète, quant
aux questions de haute administration et qui sont d’intérêt national, les
chambres en sont les juges naturels, et non le gouvernement.
M.
le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Quoique je ne pense pas que
l’amendement de M. Doignon soit destiné à recevoir l’approbation de la chambre,
je crois devoir dire quelques mots pour le combattre. On refuse au Roi le droit
d’annuler d’une manière absolue les actes des conseils provinciaux qui blessent
l’intérêt général. On dit que ce serait placer le pouvoir sur la même ligne que
dans les pays qui ne jouissent pas du régime constitutionnel. Je ferai d’abord
observer que les arrêtés royaux annulant des actes des conseils ne peuvent pas
le faire d’une manière tellement absolue, qu’ils soient soustraits à toute
espèce de responsabilité.
Ces arrêtés sont motivés
et insérés au Bulletin officiel. Tout
à l’heure, vous avez entendu M. Dubus vous dire qu’il trouvait des garanties
dans cette circonstance, que l’arrêté prorogeant les délais serait motivés,
parce qu’on pourrait le juger. Eh bien, cette fois encore l’arrêté sera motivé
et jugé. Vous savez que ceux qui contresignent cet arrêté sont justiciables de
cette chambre. Si le pouvoir s’avisait d’annuler légèrement des actes d’administration provinciales, il aurait à en répondre
devant vous.
Le système de M. Doignon
placerait le pouvoir exécutif dans une position embarrassante, si après avoir
cru devoir suspendre l’exécution d’une délibération d’un conseil, le pouvoir
législatif venait à décider qu’il a eu tort. Vous forceriez le pouvoir exécutif
à se réformer lui-même ; mais il pourra ne pas le faire, et pour ne pas se réformer
lui-même, il ne donnera pas sa sanction à l’acte des deux branches du pouvoir
législatif. Il faut remarquer qu’il est maintes circonstances où le conseil
provincial sortant de ses attributions ne portera pas atteinte aux attributions
du pouvoir exécutif.
Le
gouvernement, pour ne pas courir la chance d’être désapprouvé par les chambres,
pourrait s’abstenir d’apposer son veto à des actes auxquels il ne reconnaîtrait
pas un caractère qui lui fût hostile, Il ne faut pas encourager le gouvernement
à rester dans cette voie d’inertie ; il faut lui imposer l’obligation d’apposer
sous sa responsabilité son veto aux actes qui sortent des attributions du
conseil, comme à ceux qui sont contraires à l’intérêt général.
M.
Doignon. - Messieurs, on nous a dit que dans le cas où le Roi ne
sanctionnerait pas la loi adoptée par les chambres, il y aurait une collision
fâcheuse entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif : cet inconvénient
n’en est pas un ; car si la décision du Roi n’est pas confirmée par le pouvoir
législatif, il en résulte que le veto cesse.
La suspension cesserait
par cela même que la législature n’aurait pas donné son assentiment à cet acte.
Toutes les fois qu’un tribunal de première instance prononce sauf appel, quand
la cour réforme son jugement, on ne vient pas dire qu’il y a collision entre le
tribunal et la cour d’appel. Il n’y a même rien de fâcheux dans ces deux
décisions contraire. Le veto n’offre qu’une décision qui, de sa nature, ne peut
être que provisoire.
Le ministre a dit que,
dans tous les cas, on avait la responsabilité ministérielle. Cette
responsabilité, je ne la répudie pas, c’est une garantie qui vaut quelque chose
; mais ce n’est pas à dire pour cela que nous devions renoncer aux autres
garanties de notre loi fondamentale. La première garantie est dans le pouvoir
législatif. C’est lui qui doit prononcer définitivement, du moins dans des
circonstances semblables.
M. le président. donne
une nouvelle lecture de l’amendement de M. Doignon.
- La première partie est
mise aux voix et rejetée. La seconde est retirée.
M. le président. - Nous revenons à l’amendement de
la section centrale.
M.
Fallon. - Je persiste à croire qu’il y lieu d’insérer dans le
paragraphe premier le droit de suspension accordé au pouvoir royal.
M. de Theux, rapporteur. - Je crains
que l’économie de l’article ne soit dérangée. Le droit de suspension est
accordé au gouverneur, afin qu’il ait le temps de consulter le gouvernement,
qu’il représente auprès du conseil provincial. Le paragraphe 2 suppose que le
gouvernement trouve à propos de proroger la suspension prononcée provisoirement
par le gouverneur. Je crains qu’en adoptant la proposition que vient de faire
M. Fallon, on ne trouve dans le paragraphe premier le droit pour le pouvoir
royal de suspendre indéfiniment l’exécution des actes d’un conseil provincial.
M. Fallon. - Je n’avais pas compris le paragraphe
2 dans le sens que vient de développer l’honorable rapporteur de la section
centrale. Je croyais qu’il s’agissait dans ce paragraphe d’un arrêté royal de
suspension. Je demanderai alors que dans le paragraphe 2 on insère ces mots : « Lorsque
le Roi aura suspendu un acte émané d’un conseil provincial, il présentera un
projet de loi à la législature dans le courant de la session ou dans la session
suivante, si elle n’est pas assemblée. »
M. de Robaulx. - D’abord, messieurs, je
ferai observer à l’assemblée que si l’on insère le mot suspendre dans le premier paragraphe, il faut ajouter l’exécution des actes ; car suspendre
des actes n’est pas français. Je saisis cette occasion pour rectifier la
manière erronée dont on a rendu mon opinion dans les journaux. Plusieurs
membres avaient demandé le renvoi de tous les articles relatifs à la
dissolution à la section centrale. J’ai cru, comme mes honorables collègues,
que la question d’annulation avait une grande connexité avec celle de la
dissolution.
J’ai dit que telle
personne qui voudrait la dissolution pure et simple la rejetterait, si on
accordait au pouvoir royal le droit d’annulation. Cette opinion a été mal
rendue, et c’est cette erreur que je viens rectifier. On m’a fait dire que
j’étais d’avis d’accorder au pouvoir exécutif le droit de dissolution. J’ai au
contraire annoncé à la chambre que je partageais les opinions émises dans le
congrès sur la représentation provinciale. Le congrès voulait que cette représentation
fût émancipée.
Vouloir à la fois et
l’émancipation des provinces et le droit de dissolution, c’est n’être guère
conséquent avec soi-même. Aussi je n’ai jamais dit que les élus du peuple, au
nombre de 50 à 60, n’importe, assemblés en représentation provinciale, agissant
au nom de leurs commettants, dépositaire de la confiance publique, pussent en
aucun cas relever du pouvoir exécutif. Je n’ai jamais pu concevoir qu’un chef
de division du département de l’intérieur, que le ministre de l’intérieur lui-même,
pût prétendre avoir plus d’esprit que ces assemblées. J’ai l’intime conviction,
moi, que vous avez remis les provinces sous la férule du gouvernement.
Plusieurs
députés, dont les nuances d’opinions se sont confondues dans l’adoption de ce
système, s’en repentiront, je le leur prédis d’avance. Pour moi, j’ai cru
devoir rester conséquent avec moi-même. Je n’ai pas voulu ôter en faveur du
pouvoir exécutif, toujours transitoire, toujours mobile, les avantages que leur
avait accordés le congrès. Je voterai donc contre le droit de dissolution et
contre le droit d’annulation. Du reste, je n’insisterai pas pour défendre mon
opinion, bien certain de ne pas la voir accueillie par la majorité.
M. Milcamps. - Il me semble que la proposition
de M. Fallon détruit l’article 112 qui a été adopté précédemment. L’honorable
M. Fallon accorde au pouvoir exécutif le droit de suspendre les actes des
conseils provinciaux, tandis que l’article 112 oblige le gouverneur à prendre
son recours auprès de l’autorité supérieure dans un délai fixé. La proposition
de M. Fallon me paraît donc détruire l’article 112.
M. Jullien. - Il y a dans la rédaction du deuxième
paragraphe en discussion quelque obscurité. On y parle de la prorogation d’une
suspension qui n’est pas posée en principe, et l’on se réfère pour
l’application de l’article 88 à l’article 112, qui lui est postérieur. On
pourrait éviter cet inconvénient et remplir les vues de l’honorable M. Fallon. Ce serait de dire, au lien
de : « proroger la suspension indéfiniment, » ces mots :
« Il peut suspendre indéfiniment l’exécution. etc.»
Alors viendrait tout naturellement la disposition
finale : « Dans ce cas il présente un projet de loi aux chambre,
etc. » Vous voyez qu’au moyen de cette rédaction il n’est plus nécessaire
de recourir à un article postérieur, ce qui est contraire à la marche du
raisonnement. Vous posez le principe en même temps que vous en déterminer
l’application.
M. de
Theux, rapporteur. - L’obscurité que l’on a rencontrée dans le
paragraphe 2 vient de ce qu’on le lit isolément. Le premier paragraphe rappelle
l’article 112. Je proposerai de rédiger le paragraphe 2 ainsi : « Il peut
proroger indéfiniment la suspension autorisée par l’article 112. »
M.
Jullien. - Ce n’est pas la même chose.
M.
Fallon. - Je me rallier à cette rédaction.
M. de Theux, rapporteur. - C’est la
même chose évidemment. L’article 112 dit également que le gouverneur peut
prendre son recours contre les actes des conseils provinciaux qui blesseraient
l’intérêt général, ou qui sortiraient de leurs attributions. Ce recours n’est
suspensif que pendant 30 jours. Il est nécessaire de lier les deux articles
pour qu’il n’y ait pas deux espèces de suspension.
-
L’amendement de M. de Theux est adopté paragraphe par paragraphe et dans son
ensemble.
Le 3ème paragraphe de
l’art. 88 nouveau est adopté.
L’amendement de M. Ernst
est adopté, et remplace le 4ème paragraphe.
Le 5ème et dernier
paragraphe de l’art. 88 est adopté.
M.
Fleussu. - Avant de voter sur l’ensemble de l’article, je voudrais
avoir une explication de l’honorable rapporteur de la section centrale.
Déjà vous avez voté
l’art. 104 qui se réfère à l’article en discussion, en ce qu’il donne au
gouvernement le droit d’annuler les actes de la députation. Je voudrais savoir
si le Roi peut annuler tous les actes de la députation. Voici le but de ma
question : dans les attributions de la députation, il y en a d’administratives,
et il y en a de judiciaires. Je conçois que, pour ce qui concerne les
attributions administratives, le Roi puisse annuler les actes de la députation
; c’est le seul moyen qu’il y ait de l’uniformité dans l’administration.
Mais je ne conçois pas
que le gouvernement puisse annuler les décisions judiciaires de la députation.
Car remarquez que les députations ont aussi des matières contentieuses à
examiner, que leurs attributions comprennent les contributions, la grande
voirie, les cours d’eau, les alignement, la milice, la garde civique, et les
difficultés auxquelles donne lieu l’application de la loi électorale.
Alors
ce sont de vraies décisions judiciaires que porte la députation. Voudrez-vous
que le Roi ait également le droit de les annuler ? Je ne pense pas que telle
soit l’intention de l’honorable rapporteur de la section centrale. Je ne puis
croire qu’il veuille donner une telle latitude au gouvernement. Mais je
voudrais bien avoir de lui sur ce point une explication. Je crois que les
objets que je viens d’énumérer doivent former l’objet d’une loi spéciale, afin
que tous ces actes de la députation fussent jugés en dernier ressort par la
cour de cassation qui déjà connaît des difficultés en matière d’élection et de
garde civique. Alors il y aurait de l’uniformité dans la législation. Ce ne
serait pas tantôt devant le conseil des ministres, tantôt devant la cour de
cassation qu’il faudrait appeler des acte de la députation.
M. de Theux, rapporteur. - J’adhère
entièrement à l’opinion de l’honorable préopinant. Evidemment, lorsque la
députation juge comme pouvoir judiciaire, elle est tout à fait indépendante du
pouvoir royal. Déjà, pour plusieurs cas, c’est devant la cour de cassation
qu’on doit se pourvoir contre les décisions de la députation. Pour d’autres
cas, pour la milice par exemple, il y a une lacune, et cette lacune devra être
comblée par une loi spéciale. Je le répète, la députation comme pouvoir
judiciaire est indépendante du pouvoir exécutif ; je ne pense pas que les
termes de l’article puissent d’appliquer à cette hypothèse.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) -
L’observation de l’honorable M. Fleussu mérite de fixer l’attention de la
chambre. Certainement je regarde les attributions judiciaires de la députation
comme les plus importantes de celles qui leur sont confiées. Comme on l’a dit,
sous ce rapport, il y a véritablement lacune. Ainsi, dans les questions de
milice et de garde civique, la députation juge souverainement.
D’un autre côté, les
tribunaux ont enlevé aux députations une partie de leurs attributions, qu’il
serait nécessaire de leur restituer ; par exemple, les contraventions en
matière de voirie. Dans l’état de choses actuel, les tribunaux ont une
multitude d’affaires de ce genre, qui sont en souffrance. Des plaintes sont
parvenues sur cet objet à l’administration. Je crois qu’il sera nécessaire de
s’en occuper, lorsqu’on réglera les attributions judiciaires de la députation.
M.
Jullien. - La question soulevée par l’honorable M. Fleussu mérite en
effet de fixer toute l’attention de la chambre. La question est de savoir qui
connaîtra en dernier ressort des décisions de la députation en matière de
milice et de garde civique. Je prie la chambre de faire attention que si le
gouvernement pouvait décider ces questions définitivement, il serait à la fois
juge et partie. Car c’est le gouvernement qui réclame les miliciens et le
service de la garde civique ; si vous le rendez juge des difficultés auxquelles
donnent lieu les demandes d’exemption de service, vous le rendez juge dans sa
propre cause.
Nous
avons vu beaucoup de demandes de cette nature jugées par telle députation dans
un sens et par telle autre dans un autre. Ces décisions, soit par erreur, soit
par ignorance, soit tout autre cause, étaient contraires à la loi. Qu’ont fait
les intéressés ? Ils se sont adressés au gouvernement. Le gouvernement a
déclaré que dans l’état de la législation c’était la députation qui jugeait en
dernier ressort, et qu’il n’y avait d’autre moyen de réparer l’injustice que la
bienveillance du ministre de l’intérieur qui pouvait s’entendre avec le
ministre de la guerre pour faire accorder un congé au milicien qui avait droit
à l’exemption. C’est ce qu’a fait le ministre de l’intérieur dans plusieurs
occasions.
Vous voyez, messieurs,
que cet état de choses n’est pas tolérable. Il a donné lieu, depuis la
révolution, à une infinité de réclamations. Je crois qu’il serait bon de mettre
un terme à ces abus et de déterminer le recours à prendre en ces matières. Je
ne sais si les explications que vient de donner, à cet égard, l’honorable
rapporteur de la section centrale sont suffisantes.
M. de
Theux, rapporteur. - S’il s’agit de conflit en matière judiciaire,
c’est la cour de cassation qui en est juge. Lorsqu’on parle d’actes qui
blessent l’intérêt général, on n’a pas entendu parler d’un jugement, car c’est
un acte d’un intérêt particulier.
Il ne peut exister aucun
doute à cet égard ; le gouvernement l’entend aussi de la même manière.
M.
Fleussu. - Je me déclare satisfait.
M. de Robaulx. - Ce n’est pas tout : si M.
Fleussu se déclare satisfait, je désire une satisfaction plus complète. D’après
les observations de M. Fleussu, je crois qu’il y a lieu à formuler un amendement
; je ne me propose pas de l’improviser ; mais quoique tout le monde est
d’accord sur le principe, il y aurait lieu, il me semble, à présenter une
disposition d’après laquelle les décisions du conseil en matière contentieuse
ne seraient pas soumises à l’approbation du Roi. Je ne vois pas, en effet,
comment le gouvernement jugerait les affaires particulières, et comment il
serait chargé de recevoir les pétitions qui lui seraient envoyées à cet égard.
M.
Fleussu. - Je proposerai, sauf rédaction, l’amendement suivant :
« Cette disposition n’est pas applicable aux décisions du conseil en
matière contentieuse. » (Appuyé ! Appuyé
!)
M. le ministre de
l'intérieur (M. Rogier) - Il est convenu qu’on ne veut rien innover ? (Non ! Non !) Il est certaines matières
contentieuses qui sont soumises à l’approbation du Roi. Il est des
établissements qui ne peuvent être fondés qu’avec l’autorisation des villes et
le concours de la députation. Si un conflit s’élève, le pouvoir central doit
décider entre la ville et la députation. Je ne voudrais pas que la disposition
de M. Fleussu fût aussi générale.
M. de Robaulx. - Je demande le renvoi à la
section centrale (Appuyé !)
Quelques voix. - Il faut au moins mettre aux voix
le principe.
M. d’Huart. - Il faut, je crois, voter sur la proposition
de M. Fleussu ; car si elle n’était pas admise, il est possible que quelques
membres votent contre l’article.
Voix diverses. - Tout le monde est d’accord. (Aux voix ! aux voix !)
- L’ensemble de
l’article 88 est mis aux voix et adopté.
M. le président.
- Je mets maintenant aux voix la proposition de M. Fleussu.
M.
le ministre de la justice (M. Lebeau) - M. le président, M. de Robaulx
a demandé le renvoi à la section centrale.
M. de Robaulx. - Je crois qu’il faudrait
rédiger la disposition de telle manière, qu’elle indiquât qu’il n’est rien
innové à ce qui existe relativement aux décisions de la députation en matière
contentieuse.
M.
Milcamps. - La disposition de M. Fleussu me paraît avoir un grande
portée, on doit attendre au moins quelques heures pour l’examiner.
J’appuie le renvoi à la
section centrale.
- Ce renvoi est mis aux
voix et adopté.
Article nouveau,
proposé par la section centrale
M.
le président. - La discussion s’ouvre sur l’article suivant qui a été
également soumis de nouveau à la section centrale :
« Tout acte du
conseil délibéré dans une réunion illégale est nul de droit.
« Le gouverneur déclare
par un arrêté la réunion illégale, prononce la nullité des actes, prend toutes
les mesures nécessaires pour que l’assemblée se sépare immédiatement, et
transmet son arrêté au procureur-général du ressort pour l’exécution des lois
et l’application, s’il y a lieu, des peines déterminées par l’article 258 du
code pénal. En cas de condamnation, les membres condamnés sont exclus du
conseil et inéligibles aux conseils provinciaux pendant les quatre années qui
suivront la condamnation. »
M. Fallon. - Je ferai seulement quelques
observations sur la rédaction de l’article. Il me semble d’abord qu’au lieu de
ces expressions : nul de droit, il
conviendrait mieux de mettre, pour se conformer au langage consacré : nul de plein droit. Il me semble ensuite
qu’il est inutile de dire, dans le second paragraphe que le gouverneur déclare
la réunion illégale, puisque l’article porte dans son premier paragraphe que
tout acte du conseil dans une réunion illégale est annulé. Je proposerais de
rédiger le second paragraphe de la manière suivante :
« Le
gouverneur prendra toutes les mesures nécessaires pour que l’assemblée se
sépare immédiatement. Il dresse procès-verbal du fait, et le transmet au
procureur-général pour l’exécution de la loi. »
M. de Theux, rapporteur. - La
rédaction proposée par la section centrale est la même que celle qui a été
adoptée en France.
En France, on n’a pas
dit : nul de plein droit. On a dit
simplement nul de droit. On a
également prévu l’application de l’article 258 du code pénal ; il est bon de le
prévoir aussi dans la loi, afin qu’il n’existe aucun doute sur l’application de
l’art. 258.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Je
crois que la rédaction doit être maintenue telle qu’elle a été prise dans la
loi française. Il semble qu’on a voulu que le gouverneur donnât un
avertissement aux membres du conseil qui, de bonne foi, croiraient faire partie
d’une réunion légale.
Le gouverneur prononce
la nullité des actes ; il est indispensable de lui attribuer ce droit. En règle
générale l’annulation est prononcée par le Roi ; mais ici il y a urgence de
prononcer la nullité, car les actes émanent d’une réunion illégale ; il y a
péril en la demeure.
Je ne vois pas qu’une
ligne de plus introduise une longueur.
Je maintiens la
rédaction.
M.
Dubus. - Nous délibérons maintenant sur un article qui n’avait été
proposé ni par le gouvernement, ni par la section centrale dans son projet ;
c’est l’honorable rapporteur de la section centrale qui, l’ayant trouvé dans
une loi française, l’a mis à profit et l’a inséré dans notre nouvelle loi. Vous
aviez décidé que cet article serait renvoyé à la section centrale pour être
examiné, pour être l’objet d’un rapport : aucun rapport n’a été fait ;
seulement on l’a fait imprimer à la suite d’un rapport fait sur un autre
article. Il est impossible que la rédaction de l’article qui nous occupe, et
qui peut soulever beaucoup de difficultés dans cette enceinte, n’en ait pas
soulevé dans le sein de la section centrale ; je puis même dire qu’il en a
soulevé. Il est étonnant que l’on ne nous en ait pas rendu compte et que le
rapporteur ne nous ait pas entretenus des avis émis dans la section centrale.
Je demanderai ce que
c’est qu’une réunion illégale ?...
Le gouverneur déclare
par un arrêté la réunion illégale !... Ainsi la réunion sera illégale par cela
seul que le gouverneur l’aura déclarée telle ; et quand il voudra qu’elle soit
illégale, il lui suffira de déclarer qu’elle est illégale.... Ceux qui
entendent la valeur des termes doivent comprendre ainsi l’article que l’on a été
chercher dans une loi française ; et l’on sait que les lois françaises sont
libérales en fait d’administration : ainsi ce gouverneur est omnipotent sur les
réunions.
Ce n’est sans doute pas
ainsi que l’entend le rapporteur de la section centrale ; mais alors pourquoi ne pas dire ce que l’on
veut dire ? On a voulu entendre par réunion illégale celle qui aurait lieu hors
du temps déterminé par la loi pour la tenue des sessions des conseils
provinciaux ; c’est ce qu’il fallait exprimer. Il ne faut pas imiter le vague
de la loi française.
Remarquez combien on
pourra abuser d’un semblable article : le gouverneur croira pouvoir déclarer la
réunion illégale s’il se soulève, dans le sein du conseil, une question sur le
sens du règlement, sur son application, ou sur le sens de l’un des articles de
la loi provinciale qui doit faire partie du règlement provincial.
Il déclarera l’assemblée
illégale si elle entend le règlement autrement qu’il ne l’entend lui-même.
Je crois que la
disposition est inutile.
Il ne faut pas dire que
les actes seront nuls quand ils seront rendus hors des temps déterminés par la
loi pour la tenue des sessions des conseils provinciaux : cela est évident. Il
est inutile de mettre dans la loi que le gouverneur déclare nul ce qui est nul.
Il est
également inutile de rapporter les dispositions de l’article 258 du code pénal
; car s’il y a lieu à appliquer cet article, on l’appliquera ; et le rappel de
cet article est une superfluité.
Je ne sais pas si c’est
pour faire une menace aux mandataires de la province, aux élus du peuple, que
l’on rappelle l’art. 258 du code pénal ; alors pourquoi ne pas faire aussi des
menaces aux agents du gouvernement et rappeler l’art. 114 du code pénal ? Un
gouverneur verrait par cet art. 114 qu’il ne peut interrompre, par voies de
fait, comme l’amendement en discussion lui prescrit, un conseil provincial
lorsqu’il a droit de délibérer. Si vous rappelez l’art. 258, il faut rappeler
l’art. 114 ; il ne faut pas seulement attirer la défiance sur les élus de la
province, il faut aussi attirer la défiance sur les agents du gouvernement.
M. Jullien. - Je crois que dans la loi française
l’article nouveau proposé par la section centrale est très bien à sa place. Je
pense que dans cette loi, si je me la rappelle bien, on a déterminé les cas qui
constituent l’illégalité de la réunion. Or toutes les fois que vous avez
déterminé tous les cas constitutifs de l’illégalité, il est tout simple qu’on
prenne des dispositions pour annuler ces actes entachés d’illégalité et tirer
les conséquences de l’illégalité commise. Mais venir, avant d’avoir articulé
les cas où l’illégalité existerait, parler des conséquences d’illégalités qui
ne sont pas prévues, voilà ce qui dans mon opinion, comme dans celle du préopinant,
n’est pas logique. Si on avait dit que toute délibération prise par un conseil
provincial, hors du temps fixé par la loi, ou dans un autre lieu que celui
déterminé pour ses réunions, je concevrais qu’on pût dire, par voie de
conséquence, que ces actes illégaux doivent donner lieu à des poursuites. Mais,
dès l’instant que vous n’avez pas posé de précédent, la proposition de la
section centrale est un hors-d’œuvre. Il y aurait danger à l’admettre, car le
gouverneur pourrait s’ingérer de déclarer illégales des réunions dont
l’illégalité ne serait que dans son imagination, et empêcher l’exécution de
délibérations du conseil qui seraient d’une grande importance pour la province.
Si la section centrale
propose les précédents de la loi française, je pourrai être disposé à admettre
l’article nouveau. Sans cela, je le rejetterai.
M.
d’Hoffschmidt.
- J’entends parfois dire qu’on ne veut pas être le vassal de
Il y a plusieurs espèces
de mesures qu’on peut prendre pour défendre une réunion. On laisse le choix au
gouverneur. Seulement on lui ordonne de dissoudre le conseil. Requerra-t-il la
gendarmerie ? Fera-t-il braquer les canons ? Quand on veut dissoudre
immédiatement une assemblée, on a recours à des mesures semblables. Je ne sais
pas si c’est là l’intention de la section centrale ; je la féliciterai
d’adopter la loi française en pareil cas.
M. de Theux, rapporteur. - Le
rapporteur de la section centrale est un de ces hommes qui n’admettent pas pour
bonne toute disposition, parce qu’elle se trouve dans une loi française ; mais
qui aussi ne la trouvent pas mauvaise, à cause de son origine. C’est encore un
de ces hommes qui veulent que pleine liberté soit laissée aux corps constitués,
pour tout ce qui est juste et raisonnable, et ne veulent pas de désordre-, même
quand il émanerait de corps constitués qui ne veulent pas qu’un conseil
s’assemble dans un temps ou un lieu où il n’a pas droit de s’assembler pour
délibérer.
Maintenant je reviens à
une objection faite par M. Jullien.
Il a dit que, dans la loi française, on avait déterminé ce qui constituait les
réunions légales, et que tout ce qui n’était pas dans ces prévisions était
illégal ; qu’on avait ainsi un moyen d’appréciation. L’honorable membre paraît
avoir perdu de vue les articles que nous avons votés. L’article 41 indique le
lieu où s’assemble le conseil ; l’art. 42 précise le temps et les cas dans
lesquels il se réunit, et l’article 43 détermine la durée de la session. Si le
conseil tient des réunions dans un autre lieu, s’il s’assemble à une autre
époque ou prétend proroger la session au-delà du terme fixé par la loi, il est
évident que dans ces circonstances les réunions seraient illégales : le
gouverneur serait tenu d’employer les pouvoirs qui lui sont conférés par la loi
pour dissoudre une assemblée qui ne serait plus que séditieuse ; je ne connais
pas d’autre expression.
Je
ne pense donc pas que l’article renferme de disposition injurieuse, seulement
il prévient le cas où un conseil deviendrait séditieux. Dans ces circonstances,
on donne au gouverneur les moyens de le rappeler à l’ordre.
Je n’ai jusqu’à présent
entendu aucune objection sérieuse.
On s’est plaint de ce
que je n’avais pas rendu compte de la discussion de la section centrale. Il n’y
a eu aucune discussion dans son sein, elle a adopté l’article avec un léger
changement de rédaction.
M. H. Dellafaille - M. le rapporteur vous a
dit les motifs qui avaient fait adopter par la section centrale l’article qu’elle
vous présente ; il vous a dit aussi le sens dans lequel il doit être entendu.
Si quelque membre croit pouvoir formuler un article mieux que celui-là, qu’il
le présente ; aucun des membre de la section centrale
n’est assez attaché à son idée pour ne pas lui donner son approbation ; et
quant à moi, je serai le premier à l’appuyer.
Je
viens de dire que M. le rapporteur vous avait donné les motifs qui nous avaient
fait adopter cet article. Je n’ai à répondre qu’un mot au député de Bastogne.
J’ai eu l’honneur de dire que souvent
L’honorable membre a
commencé par me prêter le mot d’un autre ; c’est M. de Theux qui a dit que la
disposition était tirée de la loi française. Il vous en a indiqué l’origine,
sans vous la donner comme motif d’adoption. Ainsi il m’attribue un mot de mon
honorable collègue après l’avoir dénaturé.
M. d’Hoffschmidt. - Je n’ai pas dénaturé les faits ; M.
Dellafaille est membre de la section centrale. J’ai parlé des membres de la
section centrale collectivement. Je ne me souvenais pas si c’était lui qui
avait employé ce mot « vassaux. »
- Le premier paragraphe
de l’article est mis aux voix et adopté.
L’amendement présenté
par M. Fallon sur le deuxième paragraphe est mis aux voix et adopté.
M. de Theux, rapporteur. - Je propose
d’ajouter ces mots : de plein droit, dans le premier paragraphe.
M.
Fallon. - Cela était convenu.
- La rédaction proposée
par M. de Theux est adoptée.
L’ensemble de l’article
est mis aux voix et adopté.
La séance est levée à 4
heures et demie.