Accueil Séances Plénières Tables des matières Biographies Livres numérisés Note d’intention

Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 29 avril 1834

(Moniteur belge n°120, du 30 avril 1834)

(Présidence de M. Raikem)

La séance est ouverte à midi.

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Renesse fait l’appel nominal.

M. Dellafaille lit le procès-verbal ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Renesse fait connaître l’analyse des pétitions suivantes.

« La dame veuve Thorn réclame le paiement de ce qui était dû à feu son mari pour l’arriéré de sa pension de la légion d’honneur. »

- Cette pétition est renvoyée à la commission des pétitions.


« L’administration communale de Tourpie demande la réunion de cette commune au canton de Fleurus. »

« La régence de Tervueren réclame contre le projet de réunir cette commune à l’arrondissement de Bruxelles, en la détachant de celui de Louvain. »

- Ces deux pétitions sont renvoyées à la commission chargée de l’examen du projet de loi sur la circonscription des justices de paix.


« Un grand nombre de propriétaires de la province de Liége demandent que le cadastre soit mis à exécution et qu’il soit opéré une réduction générale de 10 p. c. sur les évaluations. »

- Cette pétition est renvoyée à la commission chargée de l’examen de la situation des opérations cadastrales.


Il est donné lecture d’une lettre de M. Rouppe par laquelle il annonce que l’état de sa santé ne lui permet pas de se rendre à la séance.

Rapports du gouvernement sur les pillages des 5 et 6 avril 1834, et sur les expulsions d’étrangers qui y ont fait suite

Discussion générale

M. le président. - La parole est continuée à M. Gendebien.

M. Gendebien. - Messieurs, avant d’entrer dans l’examen des questions de fait relatives aux pillages, il me reste un compte à solder avec l’honorable M. Nothomb. Il vous a parlé longuement des désordres de Lyon et de Paris. J’ai pensé et je pense encore qu’il n’y a rien de politique dans les désordres de Lyon ; mais en admettant que ces troubles fussent le résultat des passions politiques, il me semble qu’ils n’auraient rien d’étonnant pour M. Nothomb ; car il les avait prévus dès le mois d’octobre 1830 Voici quelles étaient ses théories en 1830 :

« La révolution doit rester fidèle à son principe : destruction du passé ; si on s’attache à un autre principe pour l’achever, ou parvenir à un état de choses qu’on prend pour un dénouement et qui n’est qu’un épisode, la révolution avec laquelle on a voulu composer et qui s’était arrêtée un moment se relève, et avec elle-même, elle détruit de nouveau, une œuvre qui représente le passé sous d’autres formes, et avec quelques nouveaux noms. »

Puis M. Nothomb nous dit :

« La révolution de juillet a effleuré l’administration, a épargné la magistrature, et semble reculer aujourd’hui devant les choses. Ces mots résument toute la position de la France. Deux mois se sont écoulés, et c’est encore la France des Bourbons entée sur la France de l’empire, moins les noms des ministres, des préfets, des sous-préfets, et des officiers du parquet. La marche de la révolution sera-t-elle la même ? »

Vous voyez donc qu’il est inutile d’attribuer les mouvements de France à une effervescence républicaine, au désir de l’anarchie, au désir du désordre, au désir d’accomplir, ainsi que quelques membres le disent sans y croire, le système de la loi agraire, absurdité à laquelle on n’a jamais pensé sérieusement. Messieurs, l’origine, le principe des mouvements qui se renouvellent chaque jour en France. C’est M. Nothomb qui l’a établi dès octobre 1830 : là la branche cadette des Bourbons, au lieu de suivre les belles et glorieuses destinées de la révolution, a voulu ne faire que continuer le système de la branche aînée. Que M. Nothomb ne s’étonne donc point des résultats qui semblent le frapper aujourd’hui pour la première fois.

Voulez-vous savoir quelles étaient les opinions de M. Nothomb sur la république en octobre 1830 ? Non seulement il était d’avis de la république, mais il était de cet avis contrairement à mon avis, contrairement aux appréhensions de tous les hommes qui, sans nier la république, discutaient la question de savoir si nous pouvions l’établir sans danger de la part des puissances étrangères ; et il disait : « D’ailleurs qu’avons-nous à craindre de l’Europe ? Elle sait que la monarchie est une innovation en Belgique ; que jusqu’à la fin du dernier siècle nous avons formé un Etat fédératif sous le protectorat plutôt que sous la souveraineté de l’Autriche. Notre restauration républicaine ne portera ombrage à aucun Etat. »

Je pardonne bien volontiers à M. Nothomb de changer d’avis, parce qu’il est secrétaire-général ; mais qu’il ne fasse pas un crime aux autres d’avoir conservé les opinions qu’ils avaient en 1830 ; qu’il ne nous accuse pas de vouloir l’anarchie et un système absurde.

D’autres membres de cette assemblée ont jeté aussi les hauts cris sur les tendances républicaines ; mais veuillez-vous rappeler que si les doctrines républicaines ont été enseignées en Belgique, c’est par les saints-simoniens, lesquels ont proclamé en quelque façon le principe de la loi agraire sous un autre nom ; et veuillez-vous rappeler encore, en portant ici l’accusation, témérairement et sans motifs, d’avoir empêché les prédications saint-simoniennes, avec quelle chaleur M. Lebeau et M. le comte Vilain XIIII ont défendu les saint-simoniens.

Alors ces honorables membres voulaient le progrès en tout et pour tout ; or les saint-simoniens prêchaient la république et, sinon le partage de biens, du moins une meilleure répartition,

Quelle est donc la raison de ce grand changement dans toutes les idées de nos hommes d’Etat ? car c’est ainsi qu’ils s’appellent eux-mêmes. M. Lebeau était sur le banc de l’opposition et voulait arriver aux affaires, et tous les moyens lui étaient bons. Aujourd’hui qu’il y est arrivé, tous les moyens lui sont bons pour s’y maintenir.

On a lu hier de grands fragments de journaux pour prouver le peu de respect que l’on a pour les institutions d’un pays où les étrangers sont reçus, le peu de respect que l’on y a pour la majesté royale ; mais voyons si les hommes qui font de si graves reproches ont toujours tenu le même langage.

Un honorable proscrit a dit qu’on reniait la révolution en Belgique comme en France ; c’est pour avoir dit cette vérité incontestable qu’il a été expulsé. Eh. bien, M. Lebeau disait, en janvier 1831, alors que M. Sebastiani écrivait au congrès que la France n’avait pas le moins du monde l’intention d’entraver l’élection du duc de Leuchtenberg ; mais qu’usant de ses droits, elle ne le reconnaîtrait pas, M. Lebeau disait ainsi que M. Devaux :

« La France renie le principe de sa propre existence, elle renie la révolution, » et il le disait le 23 janvier 1831, à une époque où la France seule était amie de la Belgique ; à l’époque où le roi Louis-Philippe, hypocritement peut-être, était encore dans les voies de la révolution ; alors que Louis-Philippe, 20 jours auparavant, avait dit à l’envoyé belge, à moi-même enfin : « Mais je suis républicain autant que qui que ce soit en Belgique ; la république fera un jour le bonheur de la France ; mais la France n’est pas mûre pour la république. La Belgique, il est vrai, a toujours eu des institutions républicaines ; elle a toujours été indépendante, elle a été république avant le reste de l’Europe ; mais si l’éducation de la Belgique est faite pour la république, elle n’est pas faite pour les autres peuples du Nord, vous serez écrasés par eux, parce qu’ils craindront la propagande. »

Et c’est de ce gouvernement que M. Lebeau disait : « Il renie le principe de sa propre existence. » Croyez-vous qu’il craignait l’anarchie à cette époque ? Non, il cherchait à l’introduire en France, au profit de qui ? Au profit de son candidat d’alors, le duc de Leuchtenberg ; en effet il s’écriait : « Si vous voulez élire le duc de Leuchtenberg ; il ne faut pas s’adresser au gouvernement ; c’est à la nation, à la France elle-même qu’il faut s’adresser. » Vous voyez que M. Lebeau cherchait à séparer la nation du gouvernement.

Le 29 janvier M. Lebeau s’exprimait ainsi : « J’espère que l’égoïsme cynique du cabinet français sera flétri par le parlement anglais ; il le sera aussi par la France, si noble, si généreuse. Nous nommerons le prince de Leuchtenberg, et le ministère Sébastiani tombera aux huées de la France entière. » Ainsi M. Lebeau ne se fait aucun scrupule de soulever la France contre son gouvernement.

Et ce ministre Lebeau nous accuse calomnieusement de vouloir bouleverser la Belgique, de vouloir bouleverser l’Europe entière ! Où sont vos preuves ? A quelle époque avons-nous tenu un pareil langage ? M. Lebeau, dans notre révolution, a eu aussi ses principes républicains, si j’en crois certain rapport qui m’a été adressé de Liége. Il a développé clairement ses principes, et il a été plus loin que je ne suis allé, que je n’irai jamais. Je ne lui en fais pas un reproche ; je respecte toutes les opinions, et même celles de M. Lebeau comme les autres.

Au congrès quand nous eûmes la certitude que le duc de Nemours n’accepterait pas la couronne, M. Lebeau ne s’opposait pas à la république : il la trouvait toute simple et ne la trouvait pas une monstruosité affreuse. Certes, les principes ne sont pas changés ; qui donc a changé ? ce sont les hommes.

« Je ne crois pas, disait M. Lebeau, le 7 février, qu’il faille proclamer la constitution avant l’acceptation du duc de Nemours ; car, dans le cas du refus de la couronne, bien des articles y seront changés dans le sens de la république peut-être.

Je ne vous rappellerai pas, messieurs, que dans la fameuse séance du 2 avril M. Lebeau, appartenant à un ministère que l’on accusait de tendre au juste-milieu, disait :

« On a dit que nous étions un ministère du juste milieu : pour ma part, je le déclare, par mon âge, par mes antécédents, par mon caractère, je suis homme du mouvement ; je veux la liberté et les progrès en tout, et je ne reculerai devant aucune des conséquences de mes principes. » Voilà le langage que tenait M. Lebeau au congrès, alors qu’il cherchait à captiver sa confiance et à se rendre l’opinion publique favorable. Mais voyez M. Lebeau quand il aspira à rentrer au pouvoir dans un autre ordre d’idées ; il se constitue le patron d’un journal, le Mémorial : Lisez son prospectus et vous y verrez une petite différence avec les déclarations précédentes ; alors il se proclamait du juste-milieu ; alors il se faisait un mérite d’établir un journal du juste-milieu. Il n’y avait que six mois d’intervalle ; ainsi il y a tout au moins beaucoup de versatilité dans les principes de M. Lebeau, et il n’est pas difficile d’y voir une nouvelle preuve que ses principes fléchissent et se modifient toujours selon ses vues et ses intérêts personnels.

Après avoir fait quelques rapprochements sur les désordres de France et de Belgique pour montrer quel profit les gouvernements en avaient tiré successivement, j’ai fait voir qu’il n’y avait rien d’étonnant que le gouvernement de Léopold cherchât à s’en prévaloir dans l’intérêt de l’arbitraire, du pouvoir absolu. Maintenant je ne serai plus que simple narrateur et je me dispenserai, autant que possible, de tout commentaire.

Lorsque nous nous sommes réunis au mois de juin dernier, nous fîmes une adresse au Roi pour nous plaindre des désordres qui avaient eu lieu à Anvers, à Gand et même à Bruxelles où les personnes furent attaquées. Dans sa réponse le Roi nous assura qu’il avait donné des ordres à son gouvernement pour réprimer les désordres qu’il n’avait pu prévoir et les prévenir pour l’avenir.

Le ministère était donc averti dès le mois de juin dernier, cet avertissement devait suffire. Néanmoins le ministère en a reçu bien d’autres. Dès le mercredi 2 avril, quatre jours avant l’événement, on savait dans les administrations que quelques mouvements devaient se faire ; et on annonçait qu’on prenait des mesures pour les prévenir ; cela se disait par des hommes appartenant à des grades supérieurs dans l’armée ; cela se disait au spectacle et ailleurs ; cela se disait au ministère de la guerre, à l’état-major du général Hurel, chez le commandant d’armes ; on en parlait aussi au gouvernement de la province : ainsi le gouvernement avait été averti ; je ne sais par quelle voie. Le samedi, nouvel avertissement par des menaces et un commencement d’exécution ; et cependant le gouvernement n’arrêtait ni ceux qui mettaient des potences avec les noms des personnes à pendre, ni les provocateurs, ni ceux qui insultaient la nation, et qui n’en sont que malheureusement trop punis.

Le samedi soir, au dire du ministre de l’intérieur, 600 personnes se réunirent vis-à-vis du cercle orangiste de la rue l’Evêque. Le fait est inexact, car j’ai vu de mes fenêtres ce qui s’est passé ; il y avait peut-être douze polissons. Eh bien, une réunion de 600 personnes n’est pas de nature, à troubler le sommeil du ministre de l’intérieur, ni de personne de nos grands hommes d’Etat ; chacun dort paisiblement jusqu’au lendemain. Quelle conséquence à tirer de là ? Ou il y avait insouciance bien grande, bien criminelle ; ou la police de M. Lebeau le sert bien mal.

On avait déjà dévasté quelques maisons le matin ; cela valait bien la peine de s’éveiller et de se rappeler qu’il y avait garnison dans la ville, et dans un rayon de quatre lieues autour de la capitale dix à douze mille hommes de troupes.

On pouvait donner aux troupes qui sont à Alost, à Louvain, à Malines, à Asch l’ordre de faire une promenade militaire vers Bruxelles et de s’arrêter à mi-chemin en attendant d’autres ordres. On ne fait rien et on s’arrange de manière que la troupe n’arrive qu’à 7 heures, 9 heures et 10 heures du soir.

Que les faits se soient passés comme vous voudrez, comment qualifier une pareille incurie ? Si les douze mille hommes n’arrivent pas plus tôt, ne croyez pas que ce soit par négligence de la part des chefs, ni par mauvaise volonté de la part des soldats. Jamais les troupes n’ont montré plus de bonne volonté. L’infanterie a fait une lieue et demie à l’heure ; la cavalerie a fait de deux lieues à l’heure ; mais on n’a rien voulu prévoir ; on n’a rien voulu faire à temps.

Cependant depuis quatre mois les feuilles orangistes, dit le ministre de la justice, étaient remplies de provocations irritantes, et aucune mesure judiciaire ni extra-judiciaire n’est prise ; mais quand le mal est fait, on expulse tous les écrivains, les anti-orangistes comme les auteurs des articles provocateurs. S’ils sont coupables, ce n’est pas assez de les avoir expulsés, il fallait qu’ils subissent sur le sol de la Belgique la peine de leur faute, de leurs insultes au pays ; s’ils sont innocents, il ne fallait pas les expulser. Vous avez violé la constitution sans fruit ; car ceux qui écrivaient à Gand écriront de Lille : vous aurez les mêmes délits à réprimer, et les auteurs seront absents ; vous aurez des hommes de paille, comme vous l’avez dit, pour subir les condamnations, tandis que les écrivains étant dans le pays, vous aviez l’action directe sur leur personne.

On établit aujourd’hui contre la liberté de la presse tous les mêmes arguments qu’on faisait autrefois sous le gouvernement déchu. On se demande par quels moyens on pourrait réprimer les abus de la presse ; on dit qu’avec de l’argent on trouvera des hommes qui subiront les peines pour les coupables, d’autres, qui paieront les amendes ; enfin, messieurs, vous le voyez, c’est une conspiration, c’est un dévouement général ; vous le voyez, on ne peut atteindre les délits de la presse, et le ministère, s’il reste encore trois mois, sera obligé d’en venir à étouffer cette liberté : pourquoi cette conspiration, si elle existe, comme le disent les ministres ? parce qu’ils n’inspirent aucune confiance à personne. S’il y avait un ministère qui eût la confiance de la nation et de la chambre, on ne l’attaquerait pas ; la presse ne serait pas accusée de violence, la presse n’aurait rien de dangereux, car dans le public les attaques n’auraient pas d’écho.

Retirez-vous donc au plus vite, ministres, car vous êtes un obstacle au bonheur de mon pays. (Mouvements divers ; applaudissements.)

C’est chez le prince de Ligne que les dévastations ont commencé ; il y avait à peine douze enfants et deux ou trois femmes ; ils virent arriver la troupe et s’enfuirent d’abord ; la troupe les laissa entrer, dès lors la maison fut livrée au pillage.

Le général Niellon, qui n’était pas loin de là, fut aperçu par M. Faider, administrateur-général de l’enregistrement, qui vint lui dire : Comment n’arrête-t-on pas ces désordres ! vous êtes général ; donnez donc des ordres aux soldats. Niellon répondit ; Je ne suis pas en activité ; je ne suis ni en fonction ni en uniforme : mais voilà le général d’Hane qui arrive, il a sans doute un commandement et des ordres à donner.

M. Faider s’adresse à ce général, et je ne sais pas ce qui s’est passé entre eux. Ils se sont séparés, dit Niellon, Faider en haussant les épaules, et d’Hane en se dirigeant vers le ministère. Le pillage a continué paisiblement sous la protection de la troupe ; le brave colonel du 5ème eut beau demander des ordres à tous ses supérieurs, il n’en reçut de personne.

Le pillage a continué même en présence du Roi. Je suis arrivé sur le lieu des scènes de dévastation au moment où le roi se présentait : alors le pillage a cessé pendant quelques secondes pour que les cris de vive le roi fussent unanimes ; quand le roi s’est retiré, on a continué à briser. Quelle est la conséquence fâcheuse, désastreuse même, que le peuple a tirée de ce fait ? C’est que le Roi autorisait le pillage, et qu’en s’y livrant on faisait chose qui lui était agréable, ainsi que le bruit n’a pas tardé à se répandre dans toute la ville.

Quand le soir on arrêtait ces malheureux, comment, disaient-ils, comment ! vous nous arrêtez ; mais les soldats, les généraux, le Roi lui-même nous ont vus ; ils nous ont permis de dévaster ; le Roi ne l’a pas empêché ; les pillages ont eu lieu en sa présence.

Ah ! vous, qui vous vantez d’être royalistes quand même, vous avez bien peu de respect pour la majesté royale. Vous la comprenez bien mal ; je ne la comprends pas ainsi moi, qu’on accuse d’avoir des principes républicains ; je connais trop l’utilité, la nécessité du respect que l’on doit au chef d’une nation, pour approuver qu’on l’expose ainsi, ou à des actes de rigueurs personnelles, ou à une tolérance plus funeste, plus préjudiciable encore. Si j’avais fait partie du conseil du Roi, je ne l’aurais pas laissé sortir de son palais. Voilà une leçon de dignité royale qu’un républicain se permet dc vous donner, MM. les ministres de la royauté.

En effet je demanderai, messieurs, quelle nécessité il y avait de l’exposer ainsi à une défaite ?

Toutes les scènes de désordres se faisaient avec un ordre admirable ; lorsque les directeurs du pillage avaient mis une exécution en bon train, ils laissaient achever et allaient en commencer une autre ; c’est ainsi qu’après avoir organisé le pillage du prince de Ligne, on s’est présente chez Mme de Lalaing ; on y planta le drapeau, car tout cela se faisait drapeau déployé. Quelqu’un tira une liste de sa poche, il dit aux pillards d’aller plus loin, et les pillards s’en allèrent plus loin. Quelle était la raison qui fit donner cet ordre ? c’est que Mme de Lalaing a un fils attaché à la diplomatie du gouvernement, et qu’il avait, assure-t-on, obtenu un sauf-conduit. Mme de Lalaing ne fut pas pillée parce que son fils était bon patriote.

Vers onze heures, et quelques minutes après le passage du roi, on se présenta chez la sœur de Mme de Lalaing, Mme de Trazegnies, on commença le pillage en présence de plusieurs officiers de l’état-major, et la troupe ne vint que pour cerner la maison. Je n’ai pas vu les faits, mais ils m’ont été contés par plusieurs personnes dignes de foi.

Je suis allé au Parc à 3 heures 1/4, et à cinquante pas du palais du roi, vis-à-vis duquel il y avait réuni un bataillon, on pillait encore, toujours en présence des troupes.

Chez M. de Trazegnies, un officier des guides, fatigué probablement du rôle honteux qu’on lui faisait jouer exécuta une charge, non pas, messieurs, une charge à coup de fusil ou à coup dc sabre, mais seulement en marchant sur les pillards avec 5 cavaliers qu’il avait avec lui : en deux minutes, 300 individus qui se trouvaient rassemblés vis-à-vis de la maison, disparurent et s’évanouirent comme de la fumée.

Ainsi un officier et cinq hommes ont suffi pour faire tout disparaître ; je demande ce qui serait arrivé si le gouvernement avait donné des ordres. Un escadron de guides et un bataillon d’infanterie auraient suffi pour tout arrêter et même pour prévenir tout le mal.

Je prouverai tout à l’heure qu’il fallait moins de 6 hommes encore pour arrêter les pillages commencés et continués sous les yeux, et je le dis avec un brave colonel, sous la protection des troupes.

Chez M. Dewasmes, un de nos industriels qui ont fait faire le plus de progrès à la lithographie, les pillards se présentent : deux fois les ouvriers les repoussent ; par la persuasion plus que par la force. Enfin les pillards se présentent de nouveau, un honorable citoyen, que je dois croire sur parole, m’a assuré que les pillages n’avaient commencé que lorsque la troupe était venue pour protéger la maison. Tout a été détruit dans l’établissement de M. Dewasmes. Une instance a été introduite contre la régence de la ville, on lui demande 234,000 francs ; c’est donc en doublant cette somme, 468,000 francs, que Bruxelles devra payer, si elle est condamnée, et si sur son appel en garantie le gouvernement n’est pas condamné lui-même.

C’est dans cette maison que M. Leboeuf, qui s’est signalé par une éclatante bravoure dans nos combats, et surtout au pont de Walheux, c’est chez M. Dewasmes, que ce brave jeune homme, indigné des désordres qui s’y commettaient, chassa à lui seul, les trois quarts des pillards ; ceux-ci s’aperçurent qu’il était seul, et que la troupe restait l’arme au bras, ils revinrent, M. Lebœuf fut maltraité, et il n’échappa à la mort que par miracle. Plus tard, lorsque la troupe reçut l’ordre d’agir, un officier et 6 fantassins firent évacuer cette maison en trois minutes.

Vous aviez une garnison de 2,380 hommes, vous voyez, d’après les faits que je viens de rapporter, qu’elle était dix fois suffisantes pour arrêter tous les pillages ; au surplus, à moins que le ministre de la guerre ne nous trompe, la garnison devait être beaucoup plus forte. Je citerai encore quelques faits.

Chez M. d’Auverchies, qui occupe un appartement dans la maison de M. Allard, rue des Fripiers, même ordre, même laisser-faire. On demande à M. Allard, où loge M. d’Auverchies ; on indique son appartement, et les pillards déclarent qu’ils n’en veulent aucunement à M. Allard. Ils ne passent pas par sa maison, et demandent à entrer par la grande porte qui est celle de l’appartement désigné au pillage. M. Allard demande si on allait laisser entrer tout le monde. « Non, répond le chef, nous n’avons besoin que de peu d’hommes, et 10 ou 12 seulement entreront. » Il désigne nominativement quelques hommes, puis il place le drapeau en travers de la grande porte, et fait défense d’entrer.

On voulait entrer dans un appartement au premier, mais M. Allard déclara que c’était le logement de son père, et aussitôt les pillards s’en allèrent et montèrent au second, chez M. d’Auverchies où tout est brisé et jeté par les fenêtres. Quelques hommes, non embrigadés sans doute dans la bande des briseurs, entrèrent furtivement dans l’appartement du premier ; ils forcèrent un secrétaire et s’emparèrent d’une soupière en argent ; on en avertit le chef qui chassa les hommes qui se trouvaient au premier, à coups de pied, et la soupière fut restituée deux heures après.

Il faut avouer que s’il n’y a pas d’ordre dans le ministère, s’il est impuissant pour maintenir l’ordre, les pillards en ont plus que lui ; ils font les choses avec on ne peut pas plus d’ordre ; et si un jour le type de l’ordre se perdait, c’est chez les pillards qu’ils pourront le retrouver.

J’allais vers 3 heures au Parc avec mon honorable ami, M. Vanderlinden, mon ancien collègue au gouvernement provisoire ; nous vîmes une traînée de peuple qui se dirigeait vers la porte de Scharbeek ; mon ami courut au ministère de la guerre pour demander qu’on y envoyât quelques soldats, on ne le laissa pas entrer, mais M. François, l’administrateur de la police, sortit et dit, après avoir appris de lui les scènes qui allaient se passer dans ce quartier où des maisons étaient désignées : « Il faut attendre M. Hurel. - Mais dans cinq minutes les ravages seront commencés, dans un quart d’heure il sera trop tard peut-être. - Peu importe, dit M. François ; il faut attendre M. Hurel. - Donnez-moi seulement 25 hommes, dit M. Vanderlinden, et je réprimerai le pillage. - Non, dit encore M. François, nous attendrons M. le général Hurel. » (On rit.)

C’est ainsi, messieurs, qu’on a pillé une maison en dehors de la ville, celle de M. Coenaes ; on a pillé cette maison de fond en comble. Quelques temps après on est entré chez M. Vinck, au boulevard ; d’abord les pillards voyant arriver la troupe s’enfuirent ; mais persuadés qu’elle les laisserait faire, elle revint bientôt, et une des plus belles maisons de Bruxelles, fut ravagées de fond en comble. On demande maintenant pour le dommage 306,000 francs ; ainsi, en doublant cette somme, plus de 613,000 francs, doivent être payés par la ville ou par le gouvernement.

M. le ministre de l’intérieur a dit avec assurance, dans son rapport, que les dégâts des maisons ne montaient pas à plus de 300,000 francs ; et dans la seule maison qui a été pillée, parce qu’il fallait, disait M. François, attendre les ordres de M. Hurel, on a demandé dans l’instance qui a été introduite, contre la ville de Bruxelles, plus du double de la somme évaluée par M. le ministre. Et voilà comment on fait des rapports aux chambres.

A 7 heures, messieurs, les pillages continuaient encore ; on est entré chez le comte Marnix, les pillages ont commencé comme tous les autres ; mais ils ont été arrêtés, devinez par combien d’hommes ? par deux hommes, par deux lanciers ! Un capitaine de lanciers fait mettre pied à terre, à 8 cavaliers, six restent dans la cour, et deux entrent dans la maison ; bientôt tout fut évacué, sans qu’on fût obligé de donner un seul coup de sabre ; et veuillez remarquer que cette maison où deux lanciers ont suffi, est un des plus grands hôtels de Bruxelles, on eût donc pu faire la même chose partout ; et ne venez pas vous excuser en alléguant que des cavaliers et même des fantassins ne sont pas armés pour entrer dans des maisons, puisque deux cavaliers ont suffi.

Ne nous dites pas que vous craigniez l’effusion du sang, puisque partout il a suffi de faire comprendre au peuple qu’on ne voulait plus que les pillages continuassent, pour qu’ils cessassent comme par enchantement. Ce pauvre peuple que vous tenez maintenant en prison, que vous allez condamner à des peines sévères, parce que vous n’avez pas osé, ou parce que vous n’avez pas jugé à propos de réprimer le pillage, et qu’il a cru et qu’il devait croire qu’ils étaient autorisés, puisque le roi lui-même les avait tolérés, puisque le roi lui-même, entouré d’un brillant état-major ne les avait pas fait réprimer. Ce malheureux peuple vous allez le punir des scènes que tout le monde a tolérées, tandis que les hommes du pouvoir en retirent déjà le profit ; car M. le comte Vilain XIII vous l’a dit : « Sans l’arrêté d’expulsion, le ministère tombait en ruines ;» c’est cet acte qui maintient le ministère, et cet acte est la conséquence du pillage ; oui, on ne peut le nier, c’est le ministère lui-même qui vous l’a dit, ce sont les scènes de pillages qui l’ont déterminé à recourir aux mesures d’expulsion.

Je dis qu’alors que 100, 120, ou 130 hommes du peuple gémissent dans les prisons ; expient l’incurie des ministres et la fausse confiance dans laquelle le ministère les a placés, ce sont les ministres qui profitent des désordres, parce que la mesure d’expulsion, véritable violation de la constitution, n’est qu’un premier pas vers d’autres violations, qu’on vous a fait clairement entrevoir et dont on vous a positivement menacés ; et voilà comme le peuple est toujours dupe ; comment on abuse de sa confiance et de sa crédulité ! et comment on procède au dépouillement de ses libertés !! oui, bon peuple, c’est aux dépens de votre bourse, c’est aux dépens de la liberté de plusieurs d’entre vous qu’on vous arrachera toutes vos libertés.

M. le général Niellon que je cite avec plaisir, parce qu’il s’est montré dans cette occasion, comme toujours, prêt à venger l’honneur du pays, le général Niellon a fait tous ses efforts et il a réussi à sauver une maison du pillage ! eh bien, il a été l’objet de calomnie et a été sur le point d’être l’objet d’une mesure exceptionnelle. M. Labrousse qui a aidé le général Niellon pour arrêter les pillages, a été expulsé malgré toutes les bonnes qualités que le ministre lui a reconnues. Vous voyez donc bien que les pillages ne sont point la cause mais le prétexte des mesures exceptionnelles, du coup d’Etat qui menace notre constitution tout entière.

Enfin, messieurs, je vous citerai un dernier fait qui prouve qu’on eût pu arrêter les pillages et même les prévenir, si on eût agi contre les pillards. Quelques officiers de la garde civique et quelques hommes faisant partie de cette force citoyenne, onze personnes, ils n’étaient pas plus, suffirent pour empêcher les pillages qui étaient déjà commencés par un nombreux rassemblement. C’était au bout de la ville chez le sieur Messel Blesset en cinq minutes toute la rue fut évacuée.

Neuf pillards furent arrêtés, ils s’en montrèrent étonnés.

« Comment, dirent-ils, vous nous arrêtez ; mais vous ne savez donc pas que nous avons l’autorisation de piller : depuis ce matin, nous brisons ; on nous a laissé faire, personne ne s’y est opposé, et c’est lorsque tout est à peu près fini que vous voulez nous conduire en prison. » Tous les officiers auxquels on s’adressait disaient, et ils étaient unanimes à cet égard : « Qu’on nous donne des ordres, et sans faire usage de nos armes, nous terminerons tout en un instant.» Ces officiers étaient honteux, ils étaient furieux du rôle que le ministère leur faisait jouer ; ils disaient à ce sujet : « Le ministère Lebeau est bien malencontreux, il a préparé notre défaite aux mois d’août 1831 ; lors du siège d’Anvers, le même ministère nous force de rester l’arme au bras alors que l’armée française se faisait tuer pour nous. Aujourd’hui il nous force à subir la honte des pillages, qui ont lieu dans la capitale au milieu du jour, en pleine paix ; nous y assistons aussi l’arme au bras, comme à Anvers. A la chambre, il accuse l’armée d’avoir abandonné le roi au mois d’août ; puis il accuse nos soldats de brigandages et de vol, et aujourd’hui il les force à protéger les pillards. » Ces réflexions étaient surtout poignantes pour ces officiers, mais elles étaient également faites par toute la population. Chacun se disait : « le gouvernement non content de nous déshonorer au dehors, déshonore le pays au dedans, déshonore l’armée.

Vous croyez, vous ministres, gouverner au milieu de l’animadversion de l’armée, du pays, et couverts du mépris de l’étranger ; vous vous trompez.

Mais a-t-on dit et répété sans cesse, les cris de vive le roi ! se faisaient entendre au milieu des bandes de pillards, comment vouliez-vous que l’armée pût agir contre la foule, comment vouliez-vous qu’il empêchât le pillage ?

Mais ces cris de vive le roi ne changeaient pas la discipline militaire ; si le roi qui est le chef de l’armée, avait donné des ordres, non pas de faire couler le sang, c’était un crime inutile, mais seulement l’ordre de s’opposer à l’entrée des maisons et de faire évacuer celles envahies, les officiers et les soldats eussent fait leur devoir, malgré le cris de vive le roi, et tout fût rentré dans l’ordre.

Mais, prenez-y garde, messieurs ; c’est au cri de vive les Nassau, que des massacres ont eu lieu en Hollande ; c’est au cri de vive les Nassau que les frères De Witt, les meilleurs patriotes de Hollande, ont été sacrifiés à la jalousie de la famille des Nassau ; c’est au cri de vive les Nassau, que nous, députés de Belgique, nous avons failli être égorgés au mois d’août 1830 ; c’est aussi au cri de vive les Nassau, qu’on a pillé et qu’on a établi la terreur en Hollande en 1787, et que par suite l’armée prussienne est entrée en Hollande.

La Saint-Barthélemy, les dragonnades et tous les grands crimes politiques ont eu lieu au cri de vive tel ou tel personnage qui était en position de faire ou de laisser faire ; n’espérez donc pas vous excuser en alléguant que les pillages ont eu lieu au cri de vive le roi ; c’est à mon sens plus qu’une maladresse.

N’imitons ni la Hollande pour les pillages, ni Van Maanen pour la conservation de nos libertés. Nous ne voulons imiter ni les Nassau, ni les Van Maanen, ni les Hollandais, car nous les avons chassés pour incompatibilité de mœurs et d’humeur.

Ne pouvant se justifier des pillages, les ministres et leurs séides sont venus nous faire une peinture effrayante du régime de 1793 ; on a semblé vouloir essayer de faire des applications. Qui donc a le droit de gémir des excès de 93 ? Sont-ce ceux qui n’ont pas réprimé les excès des 5 et 6 avril 1834 qui ont le droit de faire des allusions sur ceux de 1793 ? Pour moi, j’appartiens à une famille proscrite, tout entière en 93 ; la famille de ma mère forcée à s’émigrer perdit la moitié de sa fortune. Par suite de la révolution mon père perdit un emploi très élevé, il était pensionnaire des états du Hainaut ; toute ma famille enfin fut en butte aux forcenés de 1793 dont quelques-uns aujourd’hui sont dans les rangs des soi-disant amis de la royauté et font chorus avec eux pour calomnier les vrais amis de leur pays, et pour les vexer parce qu’ils ne veulent pas plus être des jacobins du pouvoir absolu que de l’anarchie de 93.

Le régime de 1793 était un régime de terreur. C’était aussi alors une certaine classe du peuple qui se livrait au pillage et à tous les désordres, aux cris de vive la république ; comme on le faisait naguère à Bruxelles, aux cris de vive le roi.

Si vous souffrez que les désordres soient tolérés ou excusés, parce qu’ils se sont faits aux cris de vive le roi, vous aurez l’horreur de 1793, sans en avoir le profit.

Après vous avoir fait un tableau fantastique et mensonger des horreurs de 93, on vous a parlé de la législation de cette époque. Je vais mettre en rapport la conduite de nos ministres, les doctrines émises par le comte Vilain XIIII, avec les hommes de 93.

A cette époque, comme vous le savez, la révolution était attaquée par toute l’Europe. La guerre civile était établie dans plusieurs départements. L’or corrupteur de l’Angleterre y circulait en abondance.

Voyez si les hommes de 93, quoique placés dans une position toute différente, avaient quelque chose de commun avec nos ministres, lorsqu’il s’agit d’arbitraire.

Voici la loi du 21 mars 1793 :

Les considérants qui précèdent la loi, prouvent que ce n’est qu’une loi de circonstance et qui doit cesser avec la guerre extérieure et les intrigues alimentées au-dedans par les ennemis de la France. En lisant cette loi, on n’y verra point comme M. Nothomb et les séides du ministère, une monstruosité d’arbitraire et de cruauté, mais on y verra, j’ose le dire, un monument de modération, non seulement pour cette époque de troubles et d’inquiétudes bien légitimes, mais même pour des temps ordinaires ; et je doute fort que si le gouvernement propose une loi pour régler le droit d’asile, et établir les exceptions prévues par l’article 128 de notre constitution, il imite la modération des républicains de 1793, si violemment accusés et si souvent calomniés dans cette enceinte ou ailleurs.

Rien dans cette loi n’est abandonné au caprice ou au bon plaisir du pouvoir ; et toutes les garanties compatibles avec la sûreté bien entendue de la république, sont assurées aux étrangers. Rien ne se fait sans examen ni sans jugement.

Art. 1er. Il sera formé dans chaque commune de la république et dans chaque section de communes divisées en section, à l’heure qui sera indiquée à l’avance, un comité composé de douze citoyens.

Art. 2. Les membres de ce comité, qui ne pourront être choisis ni parmi les ecclésiastiques, ni parmi les ci-devant nobles, ni parmi les ci-devant seigneurs de l’endroit, et les agents des ci-devant seigneurs, seront nommés au scrutin, et à la pluralité des suffrages.

Art. 3. Il faudra pour chaque nomination, autant de fois cent votants que la commune ou section de commune contiendra de fois mille âmes de population.

On ne peut se refuser de voir dans ces articles un jury de jugement, présentant non les garanties de la justice ordinaire, mais au moins les garanties d’une justice sommaire, tel que les circonstances permettaient de le composer. Cela valait sans contredit beaucoup mieux que l’arbitraire de la loi de l’an VI, dépassé par le ministre Lebeau, et amplifié, comme nous le verrons tout à 1’heure par M. le comte Vilain XIIII.

Art. 4. Le comité de la commune, ou chacun des comités des sections de communes, sera charge de recevoir pour son arrondissement les déclarations de tous les étrangers actuellement résidants dans la commune, ou qui pourront y arriver.

Art. 5. Ces déclarations contiendront les noms, âge, profession, lieu de naissance et moyens d’exister du déclarant.

Art. 6. Elles seront faites dans les huit jours après la publication du présent décret ; le tableau en sera affiché et imprimé.

Art. 7. Tout étranger qui aura refusé, ou négligé de faire sa déclaration devant le comité de la commune ou de la section sur laquelle il résidera, dans le délai ci-dessus prescrit, sera tenu de sortir de la commune sous 24 heures, et sous huit jours du territoire de la république.

Les articles 4, 5 et 6, avertissent les étrangers, les préviennent de ce qu’ils ont à faire, et leur donnent le temps de se mettre à l’abri d’une expulsion injuste. L’article 7 punit les récalcitrants. Est-ce ainsi que M. Lebeau a agi, est-ce ainsi que M. le comte Vilain XIIII veut qu’on agisse ? Non ; l’un expulse sans examen, sans avertissement, sans discernement ; il expulse des absents et même des morts. L’autre approuve tout, et veut même qu’on donne au ministre plus de vague dans l’arbitraire, afin de donner à l’arbitraire un champ plus vaste.

Art. 8. Tout étranger né dans les pays avec les gouvernements desquels les Français sont en guerre, qui en faisant sa déclaration, ne pourra pas justifier devant le comité, ou d’un établissement formé en France, ou d’une profession qu’il y exerce ou d’une propriété immobilière acquise, ou de ses sentiments civiques par l’attestation de six citoyens, domiciliés depuis un an dans la commune, ou dans la section, si la commune est divisée en sections, sera également tenu de sortir de la commune sous 24 heures, et sous huit jours du territoire de la république ; dans le cas contraire, il lui sera délivré un certificat de l’autorisation de résidence.

Vous voyez, messieurs, que l’expulsion n’atteint que les étrangers dont les gouvernements sont en guerre avec la France, et pour autant encore que ces étrangers en guerre avec la France ne soient pas domiciliés en France, n’y aient point d’établissement, n’y possèdent point de propriété.

Il y a plus, c’est que l’attestation ou la caution de six citoyens, des sentiments civiques de l’étranger, suffit pour le garantir contre toute expulsion. M. Vilain XIIII veut-il qu’on opère ainsi ? Est-ce ainsi que M. Lebeau a opéré ? non, messieurs ; il a expulsé des Français, des Suisses, des Allemands, des Polonais, des Anglais, des Italiens, avec lesquels nous ne sommes nullement en guerre, mais qui sont ici au contraire parce qu’ils sont en guerre avec leurs gouvernements, et précisément parce que ces étrangers ont adopté les principes de notre révolution. M. Lebeau a expulsé des négociants, des industriels qui ont des établissements en Belgique, qui y sont domiciliés depuis un grand nombre d’années, qui ont épousé des Belges, et qui ont une nombreuse famille belge. Comparez et jugez.

Art. 9. Les étrangers qui n’auront pas en France de propriété ou qui n’y exerceront pas une profession utile, seront tenus sous les peines y portées, outre les certificats de six citoyens, de donner caution jusqu’à concurrence de la moitié de leur fortune présumée.

Art. 10. Tous ceux que la disposition des précédents articles exclurait du territoire français, et qui n’en seraient pas sortis au délai fixé seront condamnés à dix ans de fer, et poursuivis par l’accusateur public du lieu de leur résidence.

(La loi après avoir accordé aux étrangers le temps nécessaire pour justifier de leur droit à résidence en France, et pour remplir les conditions d’ailleurs faciles à réaliser pour continuer à y résider, pouvait et devait même prononcer des peines sévères contre les récalcitrants, qui devaient être considérés comme suspects, en raison des circonstances graves et malheureuses dans lesquelles se trouvait la république française. Mais ces condamnations étaient prononcées par les tribunaux ordinaires. Que ferait M. Lebeau contre les récalcitrants dans le système arbitraire qu’il a adopté ?)

Art. 11 : Les déclarations faites devant le comité seront en cas de contestation, soit sur lesdits déclarations, soit sur la décision, portés devant le conseil général ou devant l’assemblée de la section, qui statueront sommairement et définitivement ; et à cet effet lorsque le conseil ou les sections d’une commune suspendront leur séance, il sera préalablement indiqué sur le registre l’heure à laquelle le retour de la séance sera fixé.

Cet article donne une nouvelle garantie aux étrangers ; on leur laisse la faculté de discuter les motifs de leur expulsion, et on leur donne les moyens d’obtenir justice ; rien n’est donc laissé à l’arbitraire.

Art. 12. Hors les cas de convocation extraordinaire, desquels l’objet, la nécessité ou la forme seront constatés sur le registre, toute délibération arrêtée dans l’intervalle de suspension des séances, est annulée par le fait, le président et le secrétaire qui l’auront signée seront poursuivis devant le tribunal de police correctionnelle et condamnés à trois mois de détention.

Cet article offre aux étrangers une nouvelle garantie contre l’intrigue, la suggestion et la captation. C’est dans l’ombre que vous faites vos listes de proscription, M. Lebeau, et les républicains de 1793 voulaient que tout fût fait dans des formes protectrices, en public et au grand jour, sans surprise ni déception.

Art. 13. Tout étranger saisi dans une émeute, ou qui serait convaincu de l’avoir provoquée ou entretenue par voie d’argent ou de conseil, sera puni de mort.

Je n’ai jamais applaudi à la peine de mort et aucune circonstance, quelque grave qu’elle soit, ne me la fera adopter. Cependant le sang français était versé par tous les soldats de l’Europe sur les frontières, et à l’intérieur par les intrigues de la coalition et surtout de l’Angleterre. Cette peine sévère pourrait donc se justifier ; mais veuillez le remarquer, messieurs, les républicains de 1793 n’admettaient point pour excuse les cri de vive la république, la loi n’admet pas d’exception pour les étrangers qui auraient fait des émeutes ou des pillages au cris de vive la république. Les doctrines de nos ministres nous mettent sous ce rapport en progrès, non vers la civilisation, mais vers les temps les plus reculés de la barbarie.

Au sujet de cette loi que je viens de vous exposer, les ministres ont fait la grosse voix ; ils ont dit nous, hommes de la monarchie, nous abandonnons une pareille loi aux continuateurs de 93 ; nous n’en avons pas besoin ; nous nous arrêtons à celle de l’an VI.

Eh bien ! cette loi, hommes de la monarchie, vous ne l’avez pas lue si vous n’y avez trouvé que de l’arbitraire ; certes on n’y trouvera pas l’arbitraire qui autorise un ministre à expulser un journaliste, parce que cet homme l’a appelé Tristan Lebeau.

Les étrangers qui étaient expulsés en vertu de la loi étaient en guerre avec la France ; c’étaient des étrangers qui ne pouvaient justifier d’avoir un domicile, d’exercer une industrie, qui ne pouvaient trouver six citoyens répondant de leur moralité. Lorsque ces hommes étaient exclus, en cas de réclamation sur leur expulsion, il y avait jugement.

Je ne parlerai pas des théories de M. Vilain XIIII ; elles ne peuvent souffrir de comparaison. L’honorable membre voudrait qu’il régnât dans la législature beaucoup de vague qui permette d’étendre au besoin la loi ; il voudrait des lois d’exception les plus larges, il faut en un mot selon lui, l’arbitraire le plus complet. Je reviendrai tout à l’heure aux théories de M. Charles Vilain XIIII.

Je citerai maintenant la loi du 28 vendémiaire. L’article 7 est ainsi conçu :

« Tous étrangers voyageant dans l’intérieur de la république, ou y résidant sans y avoir une mission des puissances neutres et amies reconnues par le gouvernement français, ou sans y avoir acquis le titre de citoyen, sont mis sous la surveillance spéciale du Directoire exécutif, qui pourra retirer leurs passeports et leur enjoindre de sortir du territoire français, s’il juge leur présence susceptible de troubler l’ordre et la tranquillité publique. »

Vous voyez, messieurs, que la loi de l’an VI n’est pas aussi arbitraire qu’on l’a dit, puisqu’elle détermine et restreint les cas où elle est applicable ; vous voyez que s’il y a arbitraire dans cette loi, c’est dans celles de ses dispositions qui diffèrent entièrement de la loi de 93, qui est sans contredit beaucoup plus libérale que la loi de l’an VI que nos ministres préfèrent sans doute précisément parce qu’elle offre plus d’arbitraire que la loi de 1793.

Effrayez-vous donc tant que vous voudrez de la république ; mais au moins ne calomniez pas ses institutions, alors que vous les dépassez au moyen de terreurs que personne ne peut avouer ; vous allez plus loin : vous expulsez 27 individus dont les noms sont étonnés de se voir à côté l’un de l’autre. Quel rapport y a-t-il, je vous le demande, entre les 27 personnes que vous avez expulsées. (Ici l’orateur fait plusieurs rapprochements assez piquants mais, que nous ne pouvons saisir par la difficulté de produire les noms propres qu’il cite.)

Il n’y a pas 3 de ces hommes qui se soient jamais rencontrés dans le monde. Voilà cependant la conspiration que vous avez découverte, que vous avez conjurée. Vous expulsez 27 personnes qui auraient bien de la peine à citer dans la liste de ceux qui partagent leur sort, 3 personnes dont ils connaissent le nom. Voilà l’abus que vous faites des lois ou plutôt de l’arbitraire ; sous la loi de 93 ces expulsions n’auraient pas pu avoir lieu ; car la moitié des personnes portées sur la liste avaient des établissements de commerce qui étaient florissants dans le pays, avaient épousé des Belges, ou étaient dans le pays depuis longtemps. M... d’Anvers était parti depuis 5 mois et sans esprit de retour, M. Wolfrum était mort ; M. Cramer était ici depuis 19 ans, il avait épousé une Belge ; il a 9 enfants nés en Belgique. Presque tous ces expulsés auraient assurément pu trouver six habitants du pays qui auraient répondu pour lui. Et alors, sous le régime de la loi de 93 l’expulsion ne pouvait pas avoir lieu. Cette loi avait tracé des règles, elle ne laissait rien à l’arbitraire.

Et vous, qui vous vantez d’être des ministres d’ordre et de repos public, pour vous, la loi de l’an 6 ne suffit pas.

Voulez-vous comparer avec la loi de 93 la doctrine d’un membre qui a défendu le ministère, du vicomte Vilain XIIII ; écoutez :

« C’est bien, me dirait-on, vous prouverez peut-être que la mesure est juste ; soit, mais est-elle légale ? Vraiment je n’en sais rien, je ne m’en occupe guère. L’honorable M. Pirson nous a dit l’autre jour qu’il était athée en politique ; eh bien, moi, je suis athée en ordre légal ; je ne crois pas à cette nouvelle religion. Un acte peut être mauvais, quoique légal, un acte peut-être nécessaire et bon sans être légal.

« La légalité est un vieux manteau que je ne saurais respecter ; endossé et rejeté tour à tout par tous les partis, porté, usé par tout le monde, composé de mille pièces de mille couleurs, il est trouvé par les uns, raccommodé par les autres ; il porte les souillures de tous ses maîtres ; la féodalité s’est assise dessus et lui a laissé une odeur de bête fauve que nos codes respirent encore ; la royauté l’a foulé aux pieds et traîné dans la fange ; la république l’a tout maculé de sang, car la guillotine fonctionnait légalement en 93. Napoléon l’a déchiré partout, avec la pointe de son sabre ou le talon de sa botte, et voilà ces lambeaux qu’on élève, aujourd’hui que tout tombe en poussière, religion, mœurs, patrie, famille, que tout tombe en dissolution ; voilà ces lambeaux qui doivent sauver le monde ! L’ordre légal est le dernier mot de la civilisation !... Ah ! c’est une amère dérision ! Oui, le mensonge, la fraude, le vol, la spoliation, l’injustice ont besoin de la légalité pour s’introduire chez une nation et s’y faire obéir matériellement ; mais la vérité et la justice peuvent aller toutes nues, elles sauront toujours se faire respecter par tous les peuples. »

Je ne sais à quoi l’orateur fait allusion lorsqu’il nous dit que la fraude, le vol, la spoliation ont besoin de la légalité pour s’introduire chez une nation ; est-ce préoccupation des scènes scandaleuses dont Bruxelles a été témoin, et qui ont eu réellement besoin de la légalité armée pour se consommer impunément ?

Puis avec quelle légèreté l’homme du gouvernement parle de la légalité ! « C’est la chose dont il se soucie le moins, dont il ne s’occupe guère. ». Heureux les peuples qui ont de pareils hommes d’Etat !

« L’ordre légal est bon tant qu’il suffit ; mais dès qu’il ne suffit plus, le pouvoir est obligé de recourir aux coups d’Etat : son devoir est n’est pas de périr avec les principes, comme l’esclave romain mourait selon les règles, mais de sauver le peuple par tous les moyens possibles. Salus populi suprema lex ; c’est le cas de le dire. Toute nation qui a une constitution écrite doit nécessairement faire des coups d’Etat : c’est ce que l’histoire des cinquante dernières années prouve à l’évidence. »

Messieurs, jusqu’ici j’avais pensé que la nation la moins exposée à ce que l’on appelle des coups d’Etat, c’était celle qui vivait sous le régime constitutionnel. C’est encore une illusion que M. le comte Vilain XIIII est venu dissiper. Mais voudrait-il bien me dire de quelle utilité serait l’article 130 s’il n’avait pour but de prévenir les coups d’Etat ; a-t-il oublié que le congrès, tout ému encore du coup d’Etat qui en violant la constitution de France avait renversé le trône de Charles X, voulut par une disposition expresse de la constitution enlever à la royauté belge jusqu’à la possibilité du coup d’Etat ?

La constitution, a-t-il dit (article 130) ne peut être suspendue en tout ou en partie. Ce texte si précis, si positif, ne déconcerte pas le moins du monde M. Vilain XIIII ; il ne fait du coup d’Etat qu’une question de temps, car il n’a de scrupules que pour l’opportunité ; puis il ajoute « Charles X et Guillaume expient les ordonnances du 25 juillet et le message du 11 décembre. »

Il est vraiment bien mal avisé de citer ces exemples ; les ordonnances de juillet sont exécutées en France ; Louis-Philippe les a dépassées de beaucoup ; mais aussi sur la presque totalité de la surface de la France, on prélude à de nouvelles journées de juillet. Le message du 11 décembre a renversé le roi Guillaume ; mais faites-vous mieux que lui ; croyez-vous que vos théories sur l’arbitraire et les coups d’Etat ne dépassent pas de beaucoup le message du 11 décembre ? Sous Guillaume le message du 11 décembre n’a guère été exécuté, que je sache, et il avait le mérite du moins d’avertir les fonctionnaires, en ne les destituant pas brutalement, comme on a destitué M. Desmet.

Dans la constitution des Pays-Bas, il n’y avait pas un article 130 qui défend de suspendre la constitution, ni un autre article qui défend de rechercher les députés à l’occasion des opinions et des votes. Ces dispositions existent dans la nôtre ; et cependant le ministre de l’intérieur a déclaré nettement que c’était en raison de ses opinions et de ses votes émis à la chambre, que notre honorable collègue, M. Desmet, a été destitué de ses fonctions de commissaires de district. Il me semble d’ailleurs que l’orateur aurait agi prudemment en ne citant pas le message du 11 décembre, car c’est un reproche sanglant adressé à certain membre de cette assemblée qui a adhéré sans réserve au message, et en a même fait l’apologie. Or quand ce membre était ministre, M. Charles Vilain XIIII semblait se complaire à être toujours de son avis. Il y a là tout au moins une inconséquence de la part de l’honorable orateur.

« Ainsi donc, me dirait-on, continue M. Vilain XIIII, vous allez accorder un bill d’indemnité et provoquer une nouvelle loi ? Non, je ne veux pas de nouvelle loi. D’abord je ferai toujours le moins de loi possible, car je suis de l’avis, de Tacite : Passimae reipublicae plurimae leges ; et je désire bien vivement voir s’introduire en Belgique, comme en Angleterre, des précédents, des usages, des coutumes, qui se plient à une sage expérience, plutôt que toutes ces lois politiques toujours mauvaises et toujours à refaire. »

Vous le voyez, M. Vilain XIIII ne se borne pas à nous donner ses idées sur la nécessité de l’arbitraire et des coups d’Etat chez les nations constitutionnelles ; il nous dit encore ce qu’il désire, ce qu’il espère pour l’avenir ; ce qu’il espère, ce qu’il désire pour son pays, c’est d’y voir introduire des précédents, des usages, des coutumes. Et ces précédents, ces usages, ces coutumes, vous savez de reste de quelle nature ils sont d’après les théories de l’orateur. Eh bien ! que M. Vilain XIIII se rassure, l’article 130 de la Constitution, qui porte qu’elle ne pourra être suspendue même en partie, est aussi fortement enraciné en Belgique, que la royauté créée par un autre article de la constitution. Obéissez à l’un, si vous voulez qu’on obéisse à l’autre ; ce n’est qu’autant que vous obéirez que l’autre sera respecté.

Voilà le droit, voilà le devoir de chacun. C’est une veille maxime en Belgique que la royauté est un contrat synallagmatique. Si d’une part on manque à l’une des dispositions du contrat, il n’y a plus d’autre part de disposition qui soit obligatoire, l’article 130 a dit : « La Constitution ne peut être suspendue en tout, ou en partie. » Arrière donc les doctrines contraires ; arrière ces doctrines liberticides !

« Son résultat, ajoute M. Vilain XIIII (le résultat d’une loi sur l’expulsion des étrangers), serait le même que celui de la loi d’extradition que l’honorable M. Ernst nous a proclamé avant-hier : L’étranger, a-t-il dit, est entouré de telles garanties qu’on n’a pas encore pu en expulser un seul. »

M. Vilain XIIII saisit mal le sens des paroles de M. Ernst. Il n’a pas dit qu’il était impossible d’expulser un seul étranger. Il a dit que la loi entoure l’étranger de garanties telles qu’il était impossible de l’extrader, si ce n’est dans les cas prévus par la loi ; à moins, par exemple, qu’il n’ait été condamné pour crimes que cette loi a indiqués, et toujours faut-il qu’il y ait un traité avec la puissance qui réclame l’étranger, traité que beaucoup de puissances ne voudront pas signer peut-être.

« Il y a doute sur l’abrogation de la loi de l’an VI, dit encore M. Vilain XIIII, cela me suffit ; il faut du vague dans l’arbitraire, et remarquez, messieurs, que ce vague, cet arbitraire, sont bien plus favorables à la liberté qu’une loi expresse et définie, car ils forceront les ministres à rendre compte aux chambres chaque fois qu’ils en useront. »

Ainsi il faut du vague et beaucoup de vague dans l’arbitraire ; ainsi ce vague, cet arbitraire sont bien plus favorables à la liberté qu’une loi expresse ! Ah ! quel dévergondage d’absolutisme et de tyrannie. Cela me rappelle ce mot affreux des bourreaux de Don Carlos, malheureux prince dont le crime était d’aimer trop les Belges, et de détester le despotisme et le vague de l’arbitraire du tyran de la Belgique. Lorsque les bourreaux lui coupaient les cheveux, préliminaire d’une opération que son indigne père, le roi Philippe II avait ordonnée, avant enfin qu’on lui tranchât la tête par ordre de son royal père, les bourreaux en lui coupant les cheveux lui disaient : « Laissez-nous faire, Monseigneur, c’est pour votre bien. »

Soyez donc tranquilles Belges, et vous étrangers, plus il y aura de vague dans l’arbitraire, plus vous aurez de garanties ; car le ministre sera obligé de rendre compte aux chambres, et vous savez comment les chambres traitent les ministres quand il s’agit de les mettre en accusation. Il faut du vague dans l’arbitraire ! oui, pour les tyrans, pour les despotes, et surtout pour les courtisans qui savent exploiter le despotisme.

Et si, dit l’orateur la justice ne présidait pas à leur arbitraire, nous ne leur ferions pas attendre longtemps leur condamnation ni leur expulsion à eux-mêmes : »

Ainsi soit-il (on rit).

« Si nous faisons une loi, dit-il encore, les ministres en repos derrière la légalité pourraient commettre des injustices à leur aise. »

Je ne savais pas que la légalité fut un moyen de commettre des injustices. C’est probablement un jeu de mots. Je ne le comprends pas. Je ne comprends pas toute cette théorie nébuleuse tout au moins, je n’ose pas l’approfondir ; car je craindrais de la comprendre trop bien et d’exprimer trop vivement ma pensée, et mon indignation.

« En général, dit en terminant l’orateur, dans les lois d’exception plus le champ est large et moins il y a de victimes. »

J’ai, je l’avoue, des idées toutes différentes sur le droit civil, le droit politique et le droit criminel. En fait de lois de répression, voici les seules règles que je reconnaisse : Tout est permis hors ce qui est défendu. - Nulle peine ne peut être prononcée même contre l’étranger si elle n’est écrite dans la loi. - Nul fait n’est criminel s’il n’est ainsi qualifié par la loi. Ces règles sont d’éternelle justice ; elles sont du droit naturel ; elles sont écrites dans tous les codes, changez ces règles et vous vous jetez imprudemment dans le vague de l’arbitraire, ou si vous voulez dans l’arbitraire du vague, l’un et l’autre conduisent à la même fin.

Ainsi voilà les doctrines d’un de nos collègues, homme d’Etat, appartenant à notre gouvernement constitutionnel, les voilà mises en regard avec le régime de 93. D’un côté des individus couverts de sang, comme disent certains orateurs, et qui cependant ne laissent rien à l’arbitraire dans les moments les plus calamiteux ; de l’autre des hommes civilisés, très civilisés, mais qui trouvent très simple, dès qu’on ne s’attaque pas à eux, qu’on attaque le profanum vulgus, et dans ce cas ils approuvent l’arbitraire.

Ce n’est rien que des théories dans le sens qu’on en a parlé, mais il faut voir tout ce qu’a de gracieux pour le bon peuple, l’arbitraire mis en pratique ; en voici un petit échantillon. Sous l’ancien régime, il y avait aussi de l’arbitraire. Les grands, lorsqu’ils étaient importunés par leurs créanciers, ou lorsqu’on leur contestait des propriétés, trouvaient très commode de provoquer, de leur très gracieux souverain et maître, un décret de sursis de justice. Nous en avons un exemple frappant dans un honorable président de la haute cour militaire ; il pourrait vous dire combien de temps sa famille a eu à souffrir d’un décret semblable, obtenu de la faiblesse du prince, par certain grand seigneur.

Nous en avons eu un autre exemple. En 1813 un seigneur gantois, qui habitait Paris, obtint un décret impérial qui le libérait d’une rente de cent mille florins, créée au profit d’un établissement de bienfaisance d’une grande cité belge, au moyen d’argent payé par cet établissement et dont le seigneur flamand trouvait tout simple de se libérer sans débourser un sol, mais au moyen d’un tout petit coup d’Etat.

Je conçois qu’à ce compte on aime l’arbitraire, qu’on le veuille large et très large : mais pour moi, mais pour les patriotes qui comme moi repoussent cette manière de payer leurs dettes ; mais pour nous qui ne voulons de l’arbitraire ni pour nous enrichir, ni pour ruiner les autres, ni pour les expulser ; pour nous, nous repoussons et nous repousserons toujours ces théories abominables.

Ce que je viens de dire en second lieu n’est pas une indiscrétion. Le tribunal d’une grande ville du pays, et la cour de Bruxelles, ont retenti pendant plusieurs années de ce procès qui a suivi tous les degrés de juridiction et a été jusqu’en cassation ; des mémoires ont été imprimés et ont été tirés à un grand nombre d’exemplaires ; les personnes qui veulent connaître l’affaire plus à fonds peuvent lire ces mémoires. L’honorable M. Cokaert plaidait pour l’administration qu’on voulait spolier ; M. Beyens était également avocat dans la cause ; on pourra se procurer des exemplaires de ces mémoires dans leur ancienne demeure.

Voilà comme on entend l’arbitraire ; voilà les profits qu’en tirent les hommes haut placés. Pour quelques gens bien en cour, bien lotis, les gros traitements, les grosses sinécures, les grosses pensions, les grosses épaulettes ; puis pour le peuple, les mauvais traitements, la misère, le mépris, l’opprobre, l’arbitraire enfin, et l’arbitraire bien large, bien vague, pour faire taire cette canaille, lors qu’elle devient importune.

Voilà l’arbitraire qu’on nous prépare ! Depuis 6 jours, vous avez entendu développer toutes les jongleries dont on ne se fait jamais faute quand on marche au despotisme. Pour vous y amener, depuis trois semaines, on cherche à vous effrayer, on cherche à tromper le peuple belge et à lui faire prendre en haine tous les citoyens honorables ; il en est un surtout qui est l’objet de toutes les calomnies, de toutes les critiques, on lui fait l’honneur de le considérer comme le plus difficile à vaincre ; Mais vous aurez beau faire, vous ne changerez pas la faveur populaire en un cri de proscription. Vous ne vous débarrasserez pas de ce citoyen ; il restera à son poste pour combattre le despotisme et l’arbitraire ; et jusqu’à ce qu’on l’arrache de son banc, toujours il y remplira son devoir. (Applaudissements dans les tribunes.)

Messieurs, après tant d’émotions, il me serait difficile d’aborder la question de droit ; plus difficile encore de dire à cet égard quelque chose de nouveau. Il est impossible de ne pas se rendre aux arguments qui ont été présentés par mes amis politiques, et je rougirais vraiment de voir devant un tribunal ordinaire, revenir sur des choses aussi simples, sur des principes aussi positifs.

La loi de 93 était une loi du moment, elle a disparu avec les circonstances extraordinaires qui y avaient donné lieu. Si elle n’avait pas été une loi de circonstances, où était la nécessité de la loi de l’an VI ? La loi de l’an VI, comme dit M. Nothomb, a abrogé la loi de 93. De quelle disposition résulte cette abrogation ? La loi n’en dit pas un mot. La loi de 93 était tombée en désuétude, elle n’était plus appliquée, elle n’avait plus de force législative depuis que les circonstances qui l’avaient fait naître, avaient disparu.

A son tour la loi de l’an VI a disparu avec les circonstances qui l’avaient fait naître. En voulez-vous une preuve ? Voici comment se prononçaient au conseil des anciens où la loi fut discutée et adoptée, non pas ceux qui ont combattu la loi, mais ceux qui l’ont adoptée :

« La résolution au surplus n’est qu’une loi du moment. Ses dispositions ne seront point placées dans le code de la république. Ainsi, en les appliquant, le gouvernement peut en tempérer la rigueur. Le corps législatif n’a voulu qu’armer le directoire de moyens suffisants pour assurer la tranquillité publique ; et plus il donne de force au gouvernement, plus il a droit de compter sur la modération. »

Cette loi de l’an VI, temporaire par sa nature, et déclarée telle, par ceux même qui l’ont votée, sera-t-elle perpétuelle pour la révolution de 1830, et la royauté de 1834 ? Cela est impossible en principe de droit civil, et à plus forte raison en principe de droit constitutionnel, d’autant plus que la constitution contient un article qui détruit nécessairement le principe et la loi.

Voici maintenant une autre preuve ; c’est un avis du conseil d’Etat du 4 nivôse an VIII, qui prouve bien clairement que les législateurs de France n’ont entendu faire à l’égard des étrangers comme des émigrés, que des lois de circonstances.

« Le conseil d’Etat est d’avis que les lois dont il s’agit, et toute autre loi dont le texte serait inconciliable avec celui de la constitution, ont été abrogées par le fait seul de la promulgation de cette constitution, et qu’il est inutile de s’adresser au législateur pour lui demander cette abrogation.

« En effet, c’est un principe éternel, qu’une loi nouvelle fait cesser toute loi précédente, ou toute disposition de loi précédente contraire à son texte, principe applicable, à plus forte raison, à la constitution qui est la loi fondamentale de l’Etat.

« (…) Les lois dont il s’agit n’étaient d’ailleurs que des lois de circonstances, motivées sur le malheur du temps et la faiblesse du gouvernement d’alors. »

Ouvrez tous les ouvrages de droit ; que M. Lebeau relise sa consultation, l’opinion du célèbre Toullier qu’il a citée. Là se trouvent les éléments de la question. Relisez les articles que M. Lebeau écrivait dans le Politique ou dans le Mathieu Lansberg ; je ne sais si ce journal avait changé de titre à cette époque ; depuis il a changé de couleur ; si la chambre n’était fatiguée pas de si longs débats, je lui lirais ces articles, je réfuterais M. Lebeau par lui-même. Je ferais voir à la chambre que c’est la plus dégoûtante palinodie, dont on lui donne la représentation depuis 5 jours.

Encore si M. Lebeau était resté dans la même position, s’il était journaliste aujourd’hui comme en 1830, et qu’il dît franchement : « J’ai changé d’avis, » on se bornerait à le plaindre de la versatilité de ses opinions. Mais alors que M. Lebeau devenu ministre, renie ses opinions pour rester au ministère ; car c’est M. Vilain XIIII qui l’a dit : « L’expulsion des étrangers raffermit sur son banc un ministère prêt à tomber. » Alors, messieurs, ce n’est pas seulement une longue et ignoble palinodie ; ce sont des turpitudes. Vous ne sortirez pas de là.

L’honorable M. Doignon a établi que la loi de l’an VI a été abrogée explicitement ou implicitement, par l’arrêté du prince souverain des Pays-Bas, du 18 août 1814, et tout au moins par l’article 4 de la Constitution de 1815. Lisez ce qui s’est passé aux états-généraux, lors de la discussion de Fontan, vous y verrez que tous les anciens membres de la Commission de constitution déclarèrent que les Hollandais ne voulaient pas de l’article 4.

Ils disaient que l’hospitalité était dans l’essence de la nation, dans le sang des Hollandais ; qu’en inscrire le principe dans la loi, c’était en diminuer la force, attendu qu’une disposition de loi écrite peut être ensuite modifiée ; ils aimaient mieux voir l’article 4 retranché que modifié dans le sens de quelques députés belges, qui voulaient y établir les exceptions qui sont exprimées à l’article 128 de notre constitution. Il est donc de toute évidence que les députés hollandais à la Commission de la constitution, comme les députés belges, considéraient l’article 4 comme abrogeant nécessairement toutes les lois antérieures. Il résulte de la même discussion que l’article 4 devait être entendu dans le sens d’une assimilation complète entre les Belges et les Hollandais, en un mot, il a toujours été entendu que l’article 4 avait abrogé la loi de l’an VI.

Comment pouvez-vous concevoir que la loi de l’an VI ait survécu à la constitution ? elle n’a pas même survécu aux circonstances qui l’ont fait naître. Ce sont les auteurs de cette loi qui l’ont dit eux-mêmes.

Je dois rectifier une erreur que je crois involontaire. M. Lebeau a désiré que mon nom retentît dans cette enceinte relativement à l’article 4, et il a cité le nom de mon père. « M. Gendebien père, a-t-il dit, n’a pas entendu l’article 4 comme on l’entendait aux états-généraux ; » mon père a 82 ans ; il a toujours professé les doctrines les plus libérales ; il n’a jamais rempli que des fonctions électives ; ce serait faire croire qu’on l’a trouvé à côté des principes de liberté qu’il a toujours soutenus : dans l’affaire de Cauchois-Lemaire, il ne s’est pas agi d’expulsion ni de fixer le sens de l’article 4, ni de lui faire subir des exceptions. Savez-vous le tour qu’a voulu jouer aux états-généraux M. Kemper, conseiller d’Etat ? Il a voulu faire décider la question quand il était sûr de la majorité ; c’était à la première législature. On a vu le piège. Le père de M. d’Hoffschmidt était là et a voté comme mon père. On a passé à l’ordre du jour en éludant la question, et la totalité des Belges a voté dans ce sens. Voilà ce que l’on prend pour l’opinion de mon père sur l’article 4.

Notre constitution dit, article 128, que les étrangers jouissent de la protection accordée aux personnes et aux biens des régnicoles, sauf les exceptions établies par la loi. M. Lebeau vous a expliqué très clairement dans son Politique, journal de Liége, et dans sa consultation, que cette protection accordée par l’article 4 était égale à celle qu’on donnait aux régnicoles ; ainsi qu’on ne pouvait arrêter, qu’on ne pouvait expulser pas plus un étranger qu’un Belge. Eh bien maintenant qu’il a changé de position ! maintenant qu’il a pris la position de Van Maanen, il se sert de tous les arguments de cet odieux ministre ; tous les moyens lui sont bons ; il confond tout, le droit et le fait ; il confond le droit avec l’exercice du droit.

L’article 128 de la constitution a proclamé le droit d’asile ; toutes les lois qui repoussent le droit d’asile sont donc incompatibles avec l’article 128, et par conséquent sont abrogées par cet article ; au contraire, les lois qui règlent l’exercice du droit d’asile, ne faisant que le modifier sans le détruire, peuvent survivre à l’article 128 ; et ce n’est que sur ces dernières que peuvent porter les exceptions prévues par cet article... Voilà des principes clairs, positifs, que pas un homme de bonne foi ne peut nier et qu’un bachelier en droit rougirait de contester.

Dans une loi ordinaire établissez-vous une exception, cette exception peut modifier la règle ; et en la modifiant elle la confirme ; mais on ne peut vouloir qu’elle prenne la place de la règle. L’exception ne peut jamais absorber la règle ; elle n’est qu’une modification de la règle ; sans cela c’est l’exception qui serait établie en règle ; or c’est une absurdité que d’établir l’exception en règle, un non-sens législatif.

Savez-vous quelle serait la conséquence de ce non-sens législatif. C’est qu’il faudrait substituer à l’article. 128 cette disposition-ci, par exemple : Tout étranger qui se trouve sur le territoire de la Belgique pourra toujours être expulsé par le pouvoir exécutif, et selon son bon plaisir, et sans devoir rendre compte de ses motifs ; cependant quand il plaira au bon plaisir de ne pas l’expulser, il restera.

Personne ne peut contester que c’est là réellement le sens de l’article 128, s’il doit être exécuté avec l’exception puisée dans l’article 7 de la loi de l’an VI.

Pour prouver que l’article 4 de la constitution de 1815, et l’article 128 de notre constitution, ne peuvent pas être entendus dans un sens absolu, pour prouver qu’il y a des exceptions, MM. Lebeau et Nothomb ont cité la loi de septembre 1807, et l’article 272 du code pénal. Mais ces lois, et tant d’autres qu’on eût pu citer, ne font que modifier le droit d’asile sans l’absorber, comme le ferait la loi de l’an VI ; puisque cette dernière loi remettrait au bon plaisir du pouvoir exécutif ce que la constitution lui a ôté, ou plutôt ne lui a pas donné.

Si le système de M. Lebeau et Nothomb devait être admis, il arriverait aux conséquences les plus absurdes, non seulement à l’égard des étrangers, mais même à l’égard des indigènes ; car s’il fallait entendre les articles 4 et 128 dans le sens absolu dont ils ont parlé, il s’en suivrait qu’on ne pourrait ni emprisonner un citoyen, ni le contraindre par corps, ni le retenir sous les armes, parce que la liberté individuelle est garantie par la constitution ; il s’en suivrait encore qu’on ne pourrait ni prohiber, ni imposer les marchandises à l’entrée ou à la sortie du royaume, qu’on ne pourrait pas exproprier pour cause d’utilité publique, parce que la liberté du commerce et de l’industrie, parce que le droit de propriété sont aussi consacrés par la constitution.

Vous voyez bien que votre système prouverait trop et il est de règle en droit civil, que ce qui prouve trop ne prouve rien. Il est aussi de règle en droit constitutionnel que le pouvoir exécutif n’a d’autres droits que ceux qui lui sont accordés par la constitution ; et ce principe est écrit en toutes lettres dans notre constitution, et il est aussi de principe que le gouvernement qui s’arroge un droit ou qui prétend exercer des prérogatives qui ne sont pas écrites dans la constitution, la viole.

Je ne vous rappellerai pas, messieurs, que M. Raikem, alors ministre de la justice, en présentant le 1er octobre une loi d’expulsion, lui avait donné une très courte durée, et reconnaissait que ce n’était qu’une loi de circonstances. Il reconnaissait donc que les lois antérieures étaient abrogées, et en même temps que les lois de cette nature sont essentiellement temporaires.

M. Lebeau n’a pas fait preuve d’intelligence, lorsqu’il a cité à l’appui de ses doctrines le rapport de M. Barthe à la chambre de France ; car M. Barthe a dit que la constitution française n’est pas un obstacle au maintien de la loi sur les étrangers ; et pourquoi M. Barthe dit-il cela, messieurs ? parce que, notez-le bien, la constitution française ne contient, ajoute-t-il, aucune disposition en faveur des étrangers. Eh bien ! M. Barthe, tout Barthe qu’il est, et pour peu qu’il eût de bonne foi, serait forcé de convenir que son rapport à la chambre de France tue le système de M. Lebeau, son digne émule en Belgique, parce que la constitution belge contient précisément en faveur des étrangers la disposition qui manque à la constitution française,

Je suis très fatigué ; il me serait difficile d’aller plus loin, et je regrette de ne pouvoir vous lire quelques fragments de consultations et des écrits de MM. Lebeau, Rogier et Devaux, au sujet de l’expulsion de Bellet et Jador, et de Fontan. Vous y verriez comment les questions y sont nettement posées, et encore plus nettement résolues ; vous y verriez comment ils traitent Van Maanen, après l’avoir attaché au pilori de l’opinion publique.

Par quelle contradiction ces mêmes hommes viennent-ils vous dire aujourd’hui que Van Maanen entendait sainement les théories de l’article 4, mais que seulement il l’appliquait trop durement à Fontan ? Soutenir aujourd’hui aussi effrontément que Van Maanen et Guillaume entendaient bien l’article 4, n’est-ce pas effacer l’un de nos griefs, n’est-ce pas attaquer la révolution ? Et pourquoi cette honteuse palinodie ? Pour conserver quelque temps encore un pouvoir qui leur échappe.

Ce n’est pas moi qui ferai l’éloge ni de Guillaume ni de Van Maanen ; mais j’ai déjà dit la différence qu’il faut établir, quant au point de droit, entre Bellet et Jador, et Fontan, et entre eux trois et les proscrits de M. Lebeau. Et que MM. les ministres ne se retranchent pas derrière la gravité des circonstances ; les conspirations dont on cherche à effrayer le pays depuis trois semaines, sont des prétextes dont on peut abuser en tout temps, et dont Van Maanen ne s’est pas fait faute non plus. Si quelqu’un conspire aujourd’hui, ce n’est pas le peuple ; et ceux qui crient aujourd’hui si haut à la conspiration conspiraient en 1829 ; et l’on sait que Guillaume et Van Maanen avaient une telle frayeur de l’union des catholiques des libéraux, que chacun disait qu’ils avaient un jésuite sur le bout du nez.

La conspiration était plus dangereuse qu’on ne pensait : le résultat en est la preuve. Dans cet état de chose on a expulsé Fontan : mais actuellement on expulse en masse, sans examen et sans motifs légitimes ; 27 personnes, de tous pays, de toutes opinions, sont jetées à la frontière et on ne leur donne pas comme à Fontan le choix entre l’exil et une résidence déterminée.

On a choisi pour l’expulsion un homme qui a combattu sous la restauration le despotisme de tous les ministères ; qui a défendu les accusés dans les plus grands procès politiques de la France ; qui a défendu tous les hommes généreux qui ont été compromis pour les délits de la presse ; un homme qui a été rayé du tableau des avocats pour ses défenses énergiques ; un homme qui a été aveugle pendant quatre ans par suite d’excès de travail pour défendre les hommes politiques poursuivis par les ministres de Louis XVIII. Cet homme a concouru à la révolution de juillet ; il a concouru puissamment à placer Louis-Philippe sur le trône ; cet homme a été nommé procureur-général en France ; il est resté dans ces fonctions jusqu’au ministère du 13 mars : quand il a vu le système bâtard que l’on adoptait alors, en homme d’honneur, il n’a pas voulu donner les mains à un pareil système, il s’est retiré. Il est maintenant condamné pour un délit politique, pour avoir dit que Louis-Philippe était décidé à faire fusiller et mitrailler les Français toutes les fois qu’il le faudra ; chacun sait qu’il ne s’en est pas fait faute depuis.

Il demande un asile à un homme qui n’a pas conspiré comme ceux qui expulsent aujourd’hui, mais qui a le courage de continuer la révolution que d’autres avaient commencée, qui a tout exposé pour cette révolution, repos, santé, famille. Et c’est dans le domicile de ce citoyen, c’est en violant le domicile de ce Belge, meilleur patriote que les ministres, que ces ministres arrachent l’honorable hôte qu’il avait accueilli, en un mot c’est moi qu’ils ont choisi pour subir l’humiliation d’une violation du domicile et du droit d’asile ; c’est moi qu’ils ont choisi pour témoin d’une double violation de la constitution, pour la conquête de laquelle j’ai fait tant de sacrifice.

Non content d’avoir enlevé de mon domicile l’honorable M. Cabet, on fait courir le bruit que c’est M. Cabet qu’on a arrêté, empoisonneur venu tout exprès de Hollande pour assassiner le roi ; on fait circuler mille bruit plus absurdes encore, s’il est possible.

Et cet homme auquel j’ai donné asile, et qui est porté sur la liste des proscrits, se trouve sur la même ligne que M. Charles Fromont dont la plume vénale s’est prostituée depuis 17 ans à nos ennemis ; et de tant d’autres que je ne nommerai pas.

Messieurs, veuillez je vous prie comparer la conduite des ministres avec la loi des infâmes républicains de l’an 93, époque a laquelle j’étais proscrit avec ma famille ; en 93, enfin, chez l’homme le plus vulgaire, si M. Cabet s’était présenté, et si cinq autres citoyens avaient répondu de son civisme, il serait resté : et alors que moi, répondant sur l’honneur de l’hôte que j’ai reçu du malheur, et qu’on aurait dû respecter, on me l’arrache. La situation d’un proscrit, les services que j’ai rendus au pays seraient en vain invoqués ; on m’enlève mon hôte ; on ordonne de le traiter comme une bête fauve ; et de le conduire à la frontière avec les mêmes précautions qu’on prend contre un tigre qu’on veut empêcher de se jeter sur sa proie.

Et vous voulez vous faire beaucoup d’amis en humiliant des citoyens contre lesquels je vous défie, vous ministres, d’articuler la moindre accusation. Depuis assez longtemps on fait des insinuations contre moi ; eh bien ! accusez-moi ; qu’une voix s’élève dans mon pays pour m’accuser, à l’instant je me présente à la justice. Tout le monde peut-il en dire autant ? je ne le pense pas ; je ne ferai pas comme fit le ministre en septembre 1831, comme il fit en juillet 1833 ; je ne provoquerai pas une accusation pour la décliner ensuite : non, messieurs ; que l’on m’accuse et je me présenterai devant mes juges, je justifierai tous les actes de ma vie, et je prouverai qu’il n’en est pas un dont je ne puisse me glorifier.

Avocat depuis 25 ans, qu’on articule un seul grief contre moi dans l’exercice de cette profession délicate ; qu’on articule un seul grief contre moi comme citoyen. Et c’est chez ce citoyen que vous profanez le droit d’asile, et c’est lui que vous calomniez. La loi dont vous vous servez a été faite pendant les moments de crise de la révolution française ; alors que l’Europe était soulevée contre la France, que l’or corrupteur de l’Angleterre circulait en France, et c’est chez moi que vous l’appliquez ; mais en vous servant d’une telle loi, ne craignez-vous pas à votre tour l’expulsion ? Si un changement politique arrivait, ne seriez-vous pas heureux de trouver un asile à l’étranger ?

Prenez-y garde, pour peu que vous vous obstiniez à suivre les doctrines de l’arbitraire que l’on prône maintenant, vous pourriez bien un jour ne pas trouver dans le monde entier, une pierre où reposer votre tête : les peuples les moins civilisés font la guerre à l’arbitraire ; et par un juste retour des choses de ce monde, par une juste application de la loi du talion, on pourrait vous frapper avec l’arbitraire. (Des applaudissements se font entendre dans les tribunes.)

M. le président enjoint aux auditeurs de garder le silence.

M. le ministre des affaires étrangères (M. F. de Mérode) - Je demande la parole. (La clôture ! la clôture ! la clôture !) J’ai quelques mots à dire (Parlez ! parlez ! parlez !). Messieurs, je crois que les accusés, en toute circonstance, ont le droit de parler les derniers, lorsqu’on les incrimine ignominieusement, comme l’a fait le préopinant.

C’est une chose très singulière pour moi, membre du ministère, et qui me suis donné, ainsi que mes collègues, tout le soin que nous dictait notre zèle, afin d’arrêter les désastres, de me trouver accusé par qui ? par M. Gendebien qui s’est promené dans la ville pour regarder ce qui se sait, car il ne nous a signalé aucun effort de sa part pour réprimer le désordre. Je me trompe, il est allé à l’hôtel-de-ville et là il a conseillé à la régence de ne pas empêcher la représentation de la Muette.

C’est ainsi, messieurs, que notre accusateur entendait la prudence répressive. Agissait-il par méchanceté, par incurie, par absence inconcevable des plus simples prévisions ? Messieurs, je ne me charge pas d’adopter à cet égard des conclusions que j’aurais le droit de prendre dans le sens le plus dur, après le langage si durement agressif qu’a tenu le préopinant ; mais je préfère repousser quelques assertions évidemment contraires aux enseignements que j’ai recueillis de chefs militaires supérieurs qui ont souvent montré leur bravoure sur les champs de bataille.

Passant la nuit du 6 au 7 avril au ministère de la guerre avec le général Hurel, car, messieurs, les ministres n’ont pas dormi quand ils ont eu lieu de croire qu’une veillée était utile, je lui ai entendu dire, et il ne démentira pas assurément : « Chargez-moi de vous défendre contre vos ennemis, c’est mon métier ; mais ne me mettez plus dans une position semblable à celle où j’étais hier ; jamais, non jamais, je n’ai aurait souffert. Que faire au milieu de gens inoffensifs contre la troupe, de gens qui n’attaquent point le gouvernement, qui se laissent souvent arrêter sans résistance, mais qui ne sortent d’une maison d’où on les expulse que pour rentrer dans une autre ? Faut-il les frapper de coups de baïonnettes ? Faut-il les jeter par les fenêtres des maisons où ils détruisent tout en quelques minutes ? »

Messieurs, voici ce que m’a raconté le général Gérard, car il doit m’être permis aussi d’opposer des narrations aux narrations de M. Gendebien. Vers le soir le général Gérard se trouvait en face d’une maison remplie de pillards ; un brave officier, énergique, comme vous le verrez, vint lui annoncer qu’il lui était impossible de vaincre leur obstination à détruire à moins d’en précipiter quelques-uns par les fenêtres, que si l’ordre en était donné il serait aussitôt exécuté. Je vous l’avoue, me dit le général, je ne me crus pas autorisé à un tel mode de répression.

Messieurs, qu’en certains lieux du théâtre varié où s’accomplissaient ces tristes scènes, il se soit trouvé des facilités plus grandes pour faire cesser partiellement et momentanément le désordre, cela peut être, mais faut-il en inférer qu’avec peu d’hommes, on pouvait empêcher les désastres tentés sur un vaste terrain qui embrassait tous les quartiers de la vile ? C’est ainsi que raisonne un esprit haineux et passionné ; ce n’est point ainsi que juge les choses l’homme sincère, l’homme juste, l’homme vraiment libéral, l’ennemi des turpitudes et des ignobles palinodies, car quiconque s’écarte de la vérité, de l’équité, sera tôt ou tard forcé à d’embarrassantes rétractations.

M. Gendebien qui n’a rien fait le 6 que de se promener soi avec M. Cabet, soit avec tout autre spectateur commode des événements, M. Gendebien nous a chargés du reproche que méritait selon lui la sortie du Roi, vu qu’elle n’avait point produit d’utile résultat. Depuis quand, je vous le demande, les ministres ont-ils la responsabilité des actes personnels du chef de l’Etat ? En vérité, messieurs, le Roi ne nous a point consultés sur son excursion, il ne nous a point demandé la permission de monter à cheval et de voir par lui-même les événements déplorables qui se passaient dans la ville et auxquels il espérait porter remède ; il n’a pas réussi, donc il est coupable aux yeux prévenus.

Mais non ! messieurs, vous qui êtes justes, vous apprécierez autrement les intentions royales. Et quant à nous, vous nous jugerez aussi avec plus de droiture que le préopinant, dont toutes les sympathies sont pour les étrangers qu’il appelle d’excellents citoyens, et auxquels nous n’avons pas, il est vrai, l’ambition de ressembler.

M. Gendebien. - Je suis charmé que M. le ministre m’ait fourni l’occasion de repousser une de ces lâches calomnies qu’on a mis en circulation pendant dix jours.

M. de Mérode vous a dit que j’avais mauvaise grâce d’accuser les ministres de n’avoir pas arrêté les pillages tandis que je n’ai fait aucun effort pour les arrêter, et que je n’ai fait que me promener pendant la journée du 6 avril.

D’abord j’ai fait autre chose que me promener, et je me suis peu promené parce qu’il m’était difficile de contenir mon indignation. Je demanderai d’ailleurs en quelle qualité j’aurais pu faire quelque chose ? Comment un citoyen aurait-il pu empêcher le pillage, lorsque les pillards étaient entourés et pour ainsi dire protégés par la force armée, ainsi que l’a dit un brave colonel ? Aurais-je été assez dupe pour suivre l’exemple du brave et généreux Lebœuf, qui faillit être assommé par la populace, et sous les yeux de la troupe.

Je ne veux pas attribuer à M. de Mérode des sentiments de haine ni de méchanceté ; mais je pense qu’il n’eût pas été désagréable à certains personnages d’apprendre que M. Gendebien avait été assommé. (Mouvement). M. le comte de Mérode a dit que le dimanche 6 avril, j’avais demandé avec instance au conseil de régence de ne pas empêcher la représentation de la Muette. Le fait est inexact et faux. Ceux qui ont fait circuler tant de bruits calomnieux ont commencé par celui-là ; un journal de cette ville, l’Indépendant, l’a reproduit par une insinuation méchante et calomnieuse, et un journal anglais, le Times, je crois, a répété la même chose, mais en me désignant plus clairement. C’était une calomnie infâme, en raison des circonstances dans lesquelles on l’a mise en circulation.

Voici le fait : le dimanche, à 10 heures du matin, je suis allé à l’hôtel-de-ville pour y offrir mes services ; ne trouvant personne au lieu ordinaire des séances (le bourgmestre et les échevins étaient dans une autre partie de l’hôtel-de-ville), j’écrivis à M. le bourgmestre pour l’inviter à réunir immédiatement le conseil, ce qui eut lieu. Il fut question de la représentation de la Muette ; quelques membres pensaient qu’on pourrait la donner sans danger ; d’autres pensaient qu’il ne fallait pas faire d’injonction au directeur au nom de la ville, mais une invitation par suite d’injonction supérieure, afin d’éviter une réclamation d’indemnité à charge de la ville, et je pensais comme eux ; des membres ayant fait remarquer que le conseil n’était pas compétent, et que la chose concernait plus particulièrement M. le bourgmestre et les échevins ; je dis alors, du moment que nous ne sommes pas compétents je n’ai pas d’avis à donner, mais je pense qu’il faut surtout éviter que l’indemnité pour la suspension des représentations ne tombe à la charge de la ville.

Loin qu’il y eût insistance de la part d’aucun membre pour qu’on donnât la Muette, il n’en fut pas même délibéré. (Addendum au Moniteur belge n°126, du 6 mai 1834 : Nous recevons la lettre suivante : « A M. le directeur du Moniteur belge, Bruxelles, 5 mai 1834. Monsieur, le sixième supplément au Moniteur du 30 avril expédié le matin seulement, publie la seconde partie du dernier discours de M. Gendebien et sa réplique à mes observations sur l’avis qu’il avait donné à la régence en faveur de la représentation de la Muette. Il m’importe que rien ne soit changé ou retranché aux paroles prononcées de part et d’autre dans cette discussion ; je crois donc utile de vous rappeler que M. Gendebien a reconnu lui-même avoir dit à l’hôtel-de-ville : « Quant à moi je ne vois pas d’inconvénient à ce qu’on donne la Muette ce soir. » Cette phrase ne figurant point dans l’organe officiel des séances parlementaires, veuillez-y insérer la présente réclamation de ma part et agréer, monsieur, mes civilités. Comte F. de Mérode.)

A une séance subséquente du conseil je rappelai ce qui s’était passé au sujet de la Muette, je dis les bruits que l’on faisait circuler, et je lus l’article de l’Indépendant, j’adjurai tous les membres du conseil de s’expliquer sur le sens qu’on avait donné à mes paroles, et sur ma prétendue insistance pour qu’on représentât la Muette. Tous reconnurent que je m’étais exprimé ainsi que je viens de le dire, sans aucune insistance ; tous furent convaincus de la méchanceté et de la fausseté des bruits qu’on faisait circuler.

Quant aux expressions plus ou moins dures dont M. le comte de Mérode m’a gratifié, je ne prendrai pas la peine de les relever ; je ne répondrai pas même au reproche d’incurie, et je suis prêt à reconnaître et à proclamer solennellement que les connaissances de M. de Mérode sont supérieures aux miennes ; je m’incline et m’humilie devant la transcendante de son esprit. (On rit.)

- Quelques membres. - La clôture ! la clôture !

M. Ernst. - Par déférence pour la chambre, je n’avais pas interrompu le cours de la discussion pour donner des explications ; j’espérais qu’il me serait encore permis de parler pour répondre à mes contradicteurs ; maintenant que la clôture est demandée, je prie l’honorable assemblée de m’accorder cinq minutes d’attention. (Parlez ! parlez !)

Voici les paroles de M. le ministre de l’intérieur dans une des dernières séances :

« La responsabilité ministérielle était niée sous le régime du ministère van Maanen ; il était défendu aux officiers du parquet de professer d’autres doctrines ; il était défendu aux professeurs des universités d’enseigner une doctrine contraire au programme épouvantable du 11 décembre. Nous n’avons pas vu, messieurs, qu’à cette époque ceux qui, aujourd’hui, prennent un ton si haut à notre égard, eussent pris la parole pour protester contre ces doctrines. Il n’est donc pas étonnant que ceux-là n’aient pas de contradictions à redouter dans leur carrière politique. »

On a souvent dit, messieurs, que les doctrines du message du 11 décembre avaient été imposées aux professeurs des universités. Je me félicite de l’occasion qui m’est offerte de faire connaître la vérité : j’affirme sur l’honneur que ce fameux message n’a pas été envoyé aux universités ; j’affirme sur l’honneur que jamais on ne leur a demandé aucune adhésion à ce message ni directement ni indirectement.

Les journaux du temps ont parlé d’une circulaire du ministère de l’intérieur du 14 janvier 1830 ; mais cette circulaire n’avait pas le moindre rapport avec les dispositions du message du 11 décembre : aucune doctrine n’a été imposée aux professeurs, aucune doctrine ne leur a été interdite, ils ont conservé la plus grande liberté dans leurs fonctions ; et c’est le seul enseignement qui convienne à un homme d’honneur. (Très bien !)

Du reste, avant la révolution comme après, mon opinion a toujours été qu’il ne convient pas, dans les universités, de mêler les jeunes gens a la politique. Dans une correspondance récente, j’ai encore déclaré à des jeunes gens que je désapprouvais une démarche politique qu’ils faisaient à mon égard.

Ainsi, M. le ministre de l’intérieur, dans l’espoir d’atteindre un membre de cette chambre, que je le défie de jamais atteindre, n’a pas craint d’attaquer injustement les universités placées sous sa protection !

Ainsi, M. le ministre de l’intérieur n’a pas craint d’attaquer injustement les professeurs dont il a suivi les leçons, je ne dirai pas dont il a reçu l’instruction. (Mouvement prolongé.)

M. le président. - Une proposition vient d’être déposée sur le bureau ; je crois que la lecture en est suffisamment autorisée. (Oui ! oui !)

« 1° A l’égard des pillages, l’adresse contiendrait la pensée suivante :

« La chambre des représentants a vu avec regret que le ministère n’ait pas pris les mesures nécessaires pour prévenir ou arrêter, dès le principe, les pillages qui ont récemment affligé la capitale, quoique les intentions de S. M. et des représentants du pays eussent été positivement manifestées à cet égard à l’ouverture de la session de juin 1833 et que le ministère eût été averti par les audacieuses provocations de quelques partisans de la maison d’Orange et la publication d’un pamphlet incendiaire.

« 2° A l’égard des étrangers, une proposition conçue dans ce sens :

« Si le gouvernement croit qu’il soit nécessaire pour la sécurité de l’Etat de soumettre les étrangers à des mesures exceptionnelles autorisées par l’article 128 de la constitution, la chambre, toujours prête à concourir au maintien de l’ordre, autant que des libertés publiques, prendra en mûre considération le projet qui plaira S. M. de lui présenter.

« Dubus-Ernst. »

- Une voix. - Il faut entendre le développement de la proposition.

M. le président. - Il y a plusieurs orateurs inscrits.

- Quelques voix. - La clôture sur la discussion générale !

M. de Robaulx. - Je conçois qu’il y ait déjà des opinions formées dans cette chambre et même avant d’arriver ici ; mais les cris de ceux qui demandent la clôture ne peuvent nous bâillonner ; les ministres entendront la vérité malgré eux.

Eh quoi ! lorsque la capitale est encore effrayée de désordres qui sont le résultat de l’incurie, et peut-être de la culpabilité des ministres, nous n’aurions pas le droit de protester contre les maximes liberticides qui ont été avancées !

Je demande à être entendu sur la question de principe ; vous ne nous ferez pas l’injustice d’empêcher que nous puissions répondre au discours dans lequel on nous parle de jacobin et dans lequel on dit : Nous protestons contre l’anarchie ; je crains Robespierre, je crains le bonnet rouge, dont il m’a semblé tout à l’heure voir passer un bout.

On a parlé de fauteurs de l’anarchie. Nous sommes des hommes qui voulons l’ordre ; vous, qui nous attaquez, c’est vous qui voulez saper la liberté pour exploiter l’arbitraire.

Il faut que chacun de nous puisse discuter tant sur la forme que sur le fond de la proposition ; je demande, non que la discussion continue, mais qu’elle commence.

M. le président. - Persiste-t-on à demander la clôture ? (Oui ! oui !)

M. Jullien. - Je demande sur quoi on demande la clôture ? ce n’est pas sans doute sur la proposition, puisqu’elle n’a pas été développée. Je demande que la discussion générale soit fermée afin que l’on puisse commencer celle sur le projet d’adresse. (Appuyé.)

Après ce qui a déjà été dit, je crois que la proposition de M. Dubus ne soulèvera qu’une discussion très courte.

M. Dubus. - Si on insiste sur la clôture, je dirai qu’il est impossible d’aller aux voix sur une proposition dont vous n’avez pu entendre le développement. On a paru tomber d’accord sur ce que la discussion devait s’ouvrir sur cette proposition ; je pense qu’il n’y a pas lieu à clore la discussion.

M. Milcamps. - Si la proposition qui vous est soumise avait pour objet de rouvrir la discussion générale, je serais assez disposé à appuyer la clôture ; mais si la proposition de MM. Dubus et Ernst n’a pour objet que de discuter la convenance d’une adresse au Roi, je ne m’opposerai pas à la continuation de la discussion. Nous ne devons pas oublier, messieurs, que voilà sept ou huit jours que nous discutons sur un même sujet et que nous avons à voter sur des lois qui sont réclamées par le pays.

M. Dumortier. - Je commencerai par faire remarquer qu’il n’est ni convenable ni parlementaire, lorsqu’un membre vient d’obtenir la parole, qu’on demande la clôture pour empêcher de répondre à cet orateur.

Je demanderai avec l’honorable M. Jullien sur quoi on demande la clôture ; pour moi, je l’ignore complètement.

Si vous clôturez la discussion, ce sera une illusion, puisque la discussion recommencera sur la proposition de M. Dubus.

Je demande comment il a pu tomber dans la tête de quelques membres de venir demander la clôture en ce moment. Je prie ces membres de s’expliquer sur ce qu’ils veulent clôturer.

M. Gendebien. - Je le demanderai également.

M. Poschet. - J’avais demandé la clôture sur une discussion qui n’aboutissait à rien ; maintenant qu’il y a une proposition soumise à la chambre, on ne me pense pas, je crois, assez maladroit, assez absurde pour demander la clôture sur une discussion qui n’est pas encore ouverte. Je persiste à demander la clôture sur la discussion générale. (Appuyé ! Appuyé !)

M. de Brouckere. - On doit examiner la question de savoir s’il est convenable d’envoyer une adresse au Roi, ou s’il y a inutilité dans cette mesure. Ainsi, il doit être décidé que la discussion continuera sur ce point. Je demanderai comment on pourrait appuyer la proposition, sans parler des faits qui l’ont motivée. Si vous ordonnez la clôture, vous aurez émis un vote inutile ; la chambre fera bien de s’en abstenir.

M. Devaux. - Vous devez épuiser la liste des orateurs inscrits, ensuite vous entendrez les développements des auteurs de la proposition.

M. de Robaulx. - Je n’insisterai pas sur ce qu’a dit l’honorable M. de Brouckere aux paroles duquel je me réfère. Ordinairement lorsqu’on a fermé la discussion générale, on passe à la discussion des articles, des spécialités ; or ici qu’est-ce que les spécialités, sinon les rapports de MM. les ministres ? Pouvez-vous m’empêcher de répondre aux discours qui ont été prononcés par MM. Lebeau, Nothomb et Devaux ? Je me proposais de répondre à M. Lebeau, et je lui répondrai ; ou bien faudra-t-il que mon discours soit perdu et que j’en fasse un nouveau ? En réponse à ce qu’il a dit sur sa manière de changer d’opinion, du boulet qu’il a traîné pour ses émotions généreuses en faveur des réfugiés politiques, c’était la question de fond dont on s’occupât dans la discussion générale. Or qu’est-ce que la discussion sur l’adresse, sinon le résultat de la discussion générale ? prononcez ce que vous voudrez, vous ne prononcerez rien, à moins que vous ne prononciez la clôture sur le tout ; et il serait trop ridicule de clôturer une discussion que vous allez commencer.

- La clôture est mise aux voix et adoptée.

Propositions d'adresse au roi

M. le président. - La clôture générale est close sur les rapports de MM. les ministres de la justice et de l’intérieur. La discussion est ouverte sur la proposition de MM. Ernst et Dubus.

La parole est à M. Dubus pour le développement de sa proposition.

M. Dubus. - Messieurs, ainsi qu’on l’a dit, la discussion à laquelle nous nous livrons depuis plusieurs jours paraissait ne devoir produire aucun résultat. Un de mes honorables collèges et moi avons pensé qu’il était convenable de formuler une proposition sur laquelle chacun des membres de la chambre émettrait son vote. Nous avons cru que la chambre ne pouvait se dispenser, dans les circonstances actuelles, de voter une adresse au Roi et lui exprimer ses sentiments. Il nous a semble que cette adresse devait renfermer les deux points qui forment l’objet de la discussion dont je viens de parler.

D’abord les événements déplorables des 5 et 6 de ce mois ; en second lieu l’expulsion violente de plusieurs étrangers en vertu d’une loi abolie et que l’on soutient exister encore.

Sur le premier point, il me semble évident que la chambre ferait preuve de l’inconséquence la plus manifeste si elle gardait le silence. Quand la chambre a présenté une adresse au sujet des événements de juin 1833, peut-elle garder le silence sur ce qui arrive en 1834 ?

En juin 1833, la chambre s’est réunie après des désastres aussi affligeants pour les vrais amis de la patrie ; mais ces désastres étaient moins grands que ceux que nous déplorons aujourd’hui, quoiqu’ils eussent la même cause. Alors on a brisé des vitres, on a brûlé des journaux, on a brisé une presse ; mais on n’a pas saccagé en présence de la force armée 16 à 17 maisons, comme le ferait une armée ennemie dans une ville livrée au pillage. Cependant quelle conduite a tenue la chambre en 1833 ? Elle a pensé qu’elle ne pouvait se taire après ces désastres ; elle a présenté une adresse à Sa Majesté.

Dans la réponse à cette adresse, le gouvernement s’engagea à prendre les mesures nécessaires pour empêcher que ces désastres ne se renouvelassent. A quoi la chambre devait-elle s’attendre d’après cela ? Elle devait espérer que des mesures seraient prises afin que dans le cas où les odieuses provocations de 1833 se renouvelleraient en 1834 on réprimât ces manifestations dont l’effet ordinaire est d’exciter l’irritation populaire. Eh bien, les provocations ont lieu avec plus de violence que jamais ; le gouvernement reste impassible. Qu’en est-il résulté ? la faiblesse du pouvoir, l’impunité des coupables a fait croire au peuple qu’il avait le droit de se faire justice lui-même. C’est là en grande partie la cause des désastres.

On devait attendre à ce qui est arrivé. Un pamphlet incendiaire répandu partout désignait les maisons qui devaient être pillées. Rien n’a été fait pour prévenir l’effet de ces menaces. Les menaces des pamphlétaires ont été accomplies. Les pillages ont eu lieu sous les yeux mêmes de la force armée dont la mission était de réprimer ces excès. Je demande si en présence de ces faits la chambre peut garder le silence.

J’ai cru de mon devoir de loyal député de déposer une proposition pour pouvoir exprimer mon opinion pas un vote. Ceux qui voudront garder le silence seront responsables de cet acte que je ne veux pas qualifier.

Lorsque les désastres ont éclaté, dans le commencement il était facile de les réprimer efficacement. Mais si vous encouragez les désastres par votre mollesse, le mal s’aggrave et les pillards qui se seraient sauvés si la troupe était arrivée dans le commencement, quand elle vient trop tard, finissent par lui opposer de la résistance. C’est ce qui est arrivé dans la fatale journée du 6 avril.

Je ne pense pas que l’on puisse excuser l’inaction de la force armée. Sur ce point il est incontestable qu'on a attendu jusqu’à 2 heures de l’après-midi dans la journée du 6 pour donner des ordres au commandant de la force armée. L’autorité militaire ne devait attendre pour agir les sommations de l’autorité municipale. Car l’autorité municipale ne pouvait pas être présente partout, tandis que la troupe pouvait être présente partout. Les maisons à saccager étaient désignées d’avance ; la troupe pouvait les défendre toute. On a cité l’article 106 du code d’instruction criminelle qui porte que dans le cas de flagrant délit, il y a lieu à arrestation par tout dépositaire de la force publique et même par toute personne sans sommation préalable. Je vais plus loin et je dis que s’il résulte des coups et blessures de la force armée, elle n’en est pas responsable.

En effet, l’article 328 du code pénal porte :

« Il n’y a ni crime ni délit, lorsque l’homicide, les blessures et les coups étaient commandés par la nécessité actuelle de la légitime défense de soi-même ou d’autrui. »

Remarquez, messieurs, que la défense d’autrui est assimilée à la défense de soi-même. L’article suivant est ainsi conçu :

« Art. 329. Sont compris dans les cas de nécessité actuelle de défense, les deux cas suivants :

« ° Si l’homicide a été commis, si les blessures ont été faites, ou si les coups ont été portés en repoussant pendant la nuit l’escalade ou l’effraction des clôtures, murs ou entrée d’une maison ou d’un appartement habité ou de leurs dépendances ;

« 2° Si le fait a eu lieu en se défendant contre les auteurs de vols ou de pillages exécutés avec violence. »

Ainsi en repoussant les auteurs des vols et des pillages, la force armée défendait autrui. Si elle faisait des blessures, elle était dans le cas de légitime défense. Tout ce que j’ai cité prouve à plus forte raison que la force armée, au lieu de rester spectatrice paisible des désastres avait le pouvoir de les réprimer. Il est donc étrange que ce ne soit qu’à 2 heures d’après-midi et après avoir longuement délibéré que le conseil des ministres, croyant même en cela engager gravement sa responsabilité, ait autorisé les militaires à agir sans le concours de l’autorité municipale. Si donc on avait commis des assassinats dans les rues, on les aurait laissé faire, à moins que l’autorité municipale….

Je demande si nous apercevons là les mesures énergiques que nous avions le droit d’attendre d’après la réponse que le gouvernement avait faite à notre adresse en juin 1833. Je demande si après cela nous pouvons en honneur garder le silence.

L’autre objet de ma proposition est relatif au second rapport fait sur l’expulsion des étrangers. Les expulsions, nous annonce-t-on, ont été faites en vertu de la loi du 28 vendémiaire an VI, que l’on proclame loi en vigueur ; le gouvernement en demeure armé, il ne s’en dessaisit pas. Si vraiment la loi est abrogée depuis longtemps, le gouvernement s’arme d’illégalité et d’arbitraire ; dans ce cas encore vous ne pouvez pas garder le silence.

La loi du 28 vendémiaire an VI est une loi de circonstance ; elle a été demandée au corps législatif comme loi du moment ; il a été déclaré formellement qu’elle tomberait avec les circonstances qui y avaient donné naissance et qu’elle n’entrerait jamais dans les codes français. M. le ministre de la justice a eu moins de pudeur que la défunte république française ; il a gratifié notre code de cette loi.

Si la loi a pu survivre aux circonstances qui y ont donné naissance, au moins n’est-il pas permis de douter qu’elle n’ait été abrogée par l’article 4 de la loi fondamentale de 1815. Cependant on s’est attaché à faire naître des doutes sur le sens de l’article 4 ; et quoiqu’on ait sous les yeux l’avis de tous les barreaux de la Belgique, l’opinion des meilleurs jurisconsultes, unanimes pour reconnaître que la loi fondamentale abroge toutes les lois pareilles à celles de l’an VI, le ministre soutient le contraire. C’est là une absurdité.

Je viens donner un brevet d’absurdité à tous les hommes généreux qui ont soutenu cette thèse dans les années qui ont précédé la révolution.

On dit même que c’est incontestable. Et comment arrive-t-on à cette étrange assertion ? On y arrive en donnant à l’article 4 une portée qu’il n’a jamais eue dans l’opinion de ceux mêmes qui se plaisent à en faire un non-sens, apparemment pour le mettre à l’écart.

Il me semble qu’il a été répondu d’avance sur ce point, par la consultation de Liége. Dans cette consultation, on a bien pesé la question, on a fait voir que les articles 4, 5, 6, étaient relatifs aux droits des régnicoles ; que les uns étaient relatifs aux droits politiques des citoyens ; les autres aux droits civils ; que les droits naturels qui sont la sûreté de la propriété, appartiennent à l’étranger comme au régnicole, parce que la loi fondamentale avait, à cet égard, mis l’un et l’autre sur la même ligne.

Ceux qui se sont occupés de la question avant la révolution, ont toujours prétendu que l’article 4 de la loi fondamentale n’était pas relatif aux droits civils, mais qu’il était relatif aux droits de la personne et de la propriété. Les jurisconsultes qui rédigeaient l’Observateur, un jurisconsulte, actuellement président de la cour de cassation, et un autre jurisconsulte qui siégea dans cette enceinte, ont très bien établi la doctrine.

Voici ce qu’on lit dans l’Observateur :

« Nous avons des lois qui distinguent le régnicole et le citoyen de l’étranger, qui laissent l’étranger dans la classe de simple habitant ; qui l’excluent de toute participation à nos droits civils et à nos droits politiques aussi longtemps qu’il n’y aura été admis conformément à ces lois.

« Mais en avons-nous qui l’excluent des droits connus sous le nom de jus innoxiae utilitatis, jus emigranti, commandi, commorandi ? En avons-nous qui chargent ou qui investissent les pouvoirs de l’Etat, ou l’un de ces pouvoirs, ou les agents d’un de ces pouvoirs, d’extrader, d’expulser, hors de droit et sentence l’étranger qui séjourne, réside ou habite le royaume ? Non.

« Les droits civils, les droits politiques et les obligations qui en sont les conditions, restent propres aux régnicoles ; mais les droits naturels, les droits sociaux de sûreté et de police ou d’ordre public, avec toutes les obligations qui en dérivent, se communiquent à l’étranger qui habite le territoire, qui y réside, qui y séjourne, qui le traverse.

(Ici il développe, etc.,)

« (…) Concluons : d’après nos lois, l’étranger ne jouit, ni de nos droits politiques, ni de nos droits civils : mais les droits naturels et sociaux, la liberté, la propriété, la sûreté, le droit de ne souffrir ni force, ni volonté et n’être traité qu’en droit et par sentence, lui sont communes avec nous et reposent sur les mêmes garanties. »

Même distinction dans la consultation de Liège et dans de nombreuses pétitions.

La doctrine de Touillier est conforme à celle des jurisconsultes de Liège.

Ainsi voilà la conséquence de l’article 4 ; l’étranger peut demeurer en Belgique aussi longtemps qu’il voudra, sans être forcé d’en sortir.

M. le ministre de la justice (M. Lebeau). - Si ce n’est en vertu d’une loi.

M. Dubus. - Mais il fallait faire cette loi ; et dans aucun article on ne la demande.

La consultation de Liège a été rédigée et délibérée le 28 novembre par un collaborateur de MM. Lebeau et Devaux, rédacteurs du Politique. Elle a été signée par M. Raikem, bâtonnier de l’ordre ; par M. Fleussu ; par MM. Devaux, de Robaulx. M. Lebeau a adhéré par correspondance ; MM. Jaminet et Destouvelles ont aussi donné leur adhésion par correspondance. On vous a dit qu’il n’y avait que le barreau de Liège qui s’était prononcé de cette manière sur la question : dans ce recueil qui est sous les yeux de la chambre, vous verrez que l’élite du barreau français a prononcé dans ce sens : Ch. Lucas, Degerando, lsambert, Bervile, Odilon Barrot, Dupin jeune, Raynouard, etc. Il y a plusieurs consultations de Paris, et il a unanimité sur la question.

Il y a une consultation de Louvain, signée par MM. d’Elhougue, Van Meen, Quivrésé, Carlier, etc.

M. Jullien a donné son avis dans ce sens, par une consultation délibérée à Bruges.

Cependant on a insinué que ces signatures avaient été données par une sorte de complaisance. Le ministre de la justice vous a dit : Tous les mauvais arguments paraissent bons contre les mauvais gouvernements. Messieurs, je vous ferai remarquer que la question qui a occupé les jurisconsultes, est précisément une de celles qui ont été développées avec le plus de soins dans la consultation de Liége. Ce n’est pas en passant, et à la légère, que l’on donne avis ; l’avis est très raisonné.

Je crois que c’est faire injure à l’honorable caractère de l’avocat que de supposer que le jurisconsulte donne ainsi sa signature par complaisance au bas d’une consultation, et cela pour faire de l’opposition ; j’aurais peu d’estime pour un jurisconsulte qui, au mépris de son serment, mentirait à sa conscience dans une consultation ; je crois que ceux qui ont apposé leur signature à cette consultation seront peu flattés de l’insinuation qui a été faite dans cette chambre.

Il m’est revenu que les barreaux actuels partageait l’opinion des barreaux de 1828, sur la question qui nous occupe.

Mais ce n’était pas seulement l’opinion des jurisconsultes, c’était l’opinion générale du pays, opinion proclamée dans un grand nombre de pétitions. Je me souviens que ces pétitions portaient au nombre des griefs contre le gouvernement, celui d’avoir violé l’article 4 de la loi fondamentale par l’expulsion des étrangers.

C’était tellement l’opinion du pays que dans un écrit publié à Londres, 8 ou 9 mois après la révolution, par l’ordre du gouvernement, pour justifier aux yeux de l’Europe notre révolution, on s’expliquait sur les expulsions.

Cet écrit semi-officiel est daté de Londres, 16 juin 1831

Voici un extrait de cet écrit :

« Lettres sur la révolution belge.

« Londres, 16 juin 1831.

« Il expulsa violemment du sol de la Belgique des étrangers qui venaient, à l’ombre protectrice d’une constitution, qu’ils croyaient une vérité, demander l’hospitalité à une nation qui met cette vertu au rang de ses premiers titres à la sympathie des peuples. »

Si je ne me trompe, M. Lebeau était ministre quand cette lettre a été publiée, et assurément elle ne l’a pas été sans son aveu. Alors il ne voulait pas renier la révolution en ce point ; alors il considérait que l’on avait violé la loi fondamentale en expulsant ; alors il se serait élevé contre quiconque aurait prétendu qu’on pouvait expulser les étrangers en vertu de la loi de vendémiaire de l’an VI.

J’ajouterai que les actes du congrès et de la première chambre des représentants attestent encore que cette opinion était vivante dans le pays, que l’article 4 était opposé à l’expulsion des étrangers ; et c’est parce que l’article 4 rendait impossible toute loi contre les étrangers, que dans notre constitution on a mis : sauf les exceptions établies par la loi.

Cela était l’opinion du comité de rédaction et l’opinion de la section centrale du congrès. Lisez le rapport de cette section centrale et vous y verrez que l’on a eu en vue la nécessité qu’il pourrait y avoir dans des circonstances futures d’user soit du droit d’expulsion, soit du droit d’extradition, tant pour assurer la tranquillité à l’intérieur que pour conserver des relations amicales avec les autres Etats ; et dans ce dessein on a ajouté à l’article hollandais : sauf les exceptions établies par la loi. Mais on n’excepte jamais ce qui est compris dans la règle. Et au moment où le congrès avait conservé à la législature future les moyens de porter une loi sur l’extradition, il trouvait qu’on ne pouvait faire d’exception à la règle de la constitution hollandaise.

Le congrès donnait donc à l’article 4 de la loi fondamentale précisément le même sens que lui donnait le pays, sens indiqué dans les consultations qui avaient été publiées et dans les pétitions qui avaient afflué de toutes parts ; Le congrès lui donnait un sens conforme aux justes griefs du pays contre le gouvernement déchu ; il donnait une nouvelle vie au grief en mettant : sauf les exceptions établies par la loi, tandis que nos ministres veulent effacer ce grief.

Il paraît que le roi Guillaume ne voit pas cela de mauvais œil. Le Journal de La Haye, qui se rédige dans le cabinet du roi, trouve très bien les expulsions et approuve les mesures prises par le gouvernement, car cela donne un démenti à la révolution belge.

Ce qui est surtout évident, c’est que l’article 128, qui pose une règle générale et qui autorise les exceptions, c’est que cet article abroge la loi de vendémiaire de l’an VI. Sur ce point je ne puis mieux faire que de me référer au développement donné par un membre de cette chambre, relativement à la loi de sûreté publique. Au mois d’octobre 1831, les traditions du congrès étaient encore vivantes dans la chambre, composée en grande partie de membres du congrès. On avait reproduit dans ce projet de loi la disposition de vendémiaire de l’an VI avec une différence extrêmement grave qui, à mes yeux, changeait tout à fait la question, mais qui ne la changeait pas aux yeux de l’honorable membre dont je veux parler, de sorte que sa discussion s’applique au point que je veux établir, qui est que si la loi de vendémiaire existait encore, elle serait tombée devant l’article 128 de la constitution.

M. Fallon est l’honorable membre dont je parle. Il s’exprimait ainsi :

Le système des articles 3 et 4 est une offense à la générosité du caractère national ; il détruit complètement le régime hospitalier de la Belgique ; il souille le sol de la liberté, et, s’il n’est pas en révolte ouverte contre les termes de la disposition de l’article 128 de la constitution, il en tue tout au moins l’esprit.

Je sais que cet article permet d’établir des exceptions à la règle ; mais on sait aussi que, là où la règle est fondamentale, il n’est pas permis de l’étouffer par l’exception, et l’on sait encore que là où il n’est permis d’établir l’exception que par une loi, il n’est jamais permis de concevoir la loi exceptionnelle de manière à corrompre le principe de la règle et à la livrer à l’arbitraire du pouvoir exécutif.

Sans doute il ne faut pas ouvrir en Belgique un asile au crime, ni permettre qu’on vienne y abuser de l’hospitalité, au point de troubler l’ordre intérieur ou de compromettre la sûreté de l’Etat ; et l’on peut ainsi, par une loi exceptionnelle, restreindre la protection que la constitution garantit à l’étranger.

Mais nos pouvoirs constitutionnels ne vont pas jusqu’au point de nous permettre de remplacer la règle par l’exception.

Il faut donc que la loi exceptionnelle soit spéciale ; il faut qu’elle définisse les cas et les seuls cas où il sera permis de refuser à l’étranger la protection que lui garantit la constitution ; sinon, ce n’est plus une loi exceptionnelle que vous faites, c’est le principe constituant que vous remplacez par une loi. En effet, alors que la constitution ne subordonne pas le droit d’asile à une autorisation du gouvernement, n’est-ce pas dénaturer de principe que de déclarer que ce droit d’asile ne sera plus désormais accordé que par ordonnances ?

Enfin, il n’est pas possible de s’y méprendre. Si, en l’absence de toute loi qui spécifie les cas d’exclusion et sans aucune intervention des tribunaux, le gouvernement peut arbitrairement, et sans même en faire connaître les motifs, repousser l’étranger du sol de la Belgique ou le parquer où il lui plaira, l’article 128 sort tout entier de la constitution pour entrer dans les attributions du pouvoir exécutif : et nous ne donnerons pas sans doute l’exemple d’une violation aussi contagieuse de notre loi fondamentale.

Messieurs, proclamer que le projet de loi est une violation de la loi fondamentale, c’est reconnaître que la loi de vendémiaire serait tombée en 1830 devant l’article 128 de la constitution ; c’est une réponse à l’opinion émise par M. le ministre que la loi fondamentale se référait à toutes les lois faites et à faire, et qu’ainsi la loi de vendémiaire avait survécu.

Le projet de loi présenté en octobre 1831 contenait une modification à la loi de vendémiaire ; elle était extrêmement grave puisqu’elle effaçait ses inconstitutionnalités.

Dans l’opinion du gouvernement on prétend être armé de la loi de vendémiaire, d’une manière perpétuelle ; on dit que cette loi est sans terme, tandis que pour le projet de loi d’octobre 1831 on annonçait qu’on proposait une loi temporaire ; alors on pouvait dire avec raison, quoique cela ait été contesté, que ce n’était pas remplacer l’article 128 de la constitution par une autre loi, que ce n’était faire qu’une exception, et que la règle subsistait toujours.

Je pense que la loi n’était pas inconstitutionnelle ; les motifs que j’ai cités démontrent qu’elle n’avait pas pour objet de remplacer l’article 128.

Pourquoi a-t-on proposé une loi sur la sûreté de l’Etat ? C’est précisément parce qu’on n’avait pas de loi sur la matière dans les circonstances qui se présentaient. La conviction était que le gouvernement n’en avait aucune. Si le gouvernement avait été armé de la loi de vendémiaire, il en aurait toujours été armé, et il n’eût pas proposé une loi nouvelle.

On a demandé la loi pour un terme plus ou moins éloigné. En accordant cette loi le gouvernement restait-il armé de la loi de vendémiaire ? évidemment non. N’y aurait-il pas eu absurdité à ce qu’on vînt demander une loi temporaire sur la sûreté de l’Etat, tandis qu’on en aurait eu une pour toujours, et qui aurait été applicable aussi longtemps qu’on l’aurait voulu.

On a prétendu que la loi d’octobre 1831 étendait la loi de vendémiaire, parce qu’elle autorisait le gouvernement à assigner une résidence aux étrangers. Pour apprécier cette disposition de la loi, il faut savoir que si les étrangers ne voulaient pas accepter la résidence qui leur était indiquée, ils sortiraient du pays. Je vous demande si c’est là étendre la loi de vendémiaire ?

Il résulte bien de l’exposé des motifs de la loi sur la sûreté de l’Etat, et des paroles de MM. Raikem et de Muelenaere, que la loi de vendémiaire n’existait plus. Les étrangers étaient sans crainte à cet égard. Si la loi eût existé, ils auraient été dans de continuelles alarmes. Dans l’opinion des ministres d’alors, la loi devait exister jusqu’à la paix. Les étrangers domiciliés n’avaient rien à craindre jusque-là, et lorsque la paix serait venue, ils auraient été expulsés.

La loi de vendémiaire n’existait plus : M. le ministre de la justice l’a proclamé en signant, en 1828, la consultation des avocats de Liége. C’était aussi l’opinion de l’honorable ministre de l’intérieur d’alors, car dans la discussion de la loi d’extradition il déclare que la loi fondamentale avait abrogé la loi de vendémiaire et qu’on ne pouvait expulser les étrangers avant qu’une loi nouvelle n’intervînt. Il partait de là, pour établir que la loi d’extradition était nécessaire.

Le projet de loi sur la sûreté de l’Etat était attaqué par beaucoup de membres. Ne croyez pas qu’un seul membre l’ait attaqué, parce qu’il aurait supposé que la loi de vendémiaire existait encore ; si on l’eût pensé ainsi, on se serait empressé d’adopter la loi nouvelle en disant qu’elle serait temporaire. Le gouvernement disait que la loi sur la sûreté de l’Etat était indispensable ; ceux qui l’attaquaient la trouvaient trop étendue, ils pensaient qu’elle était arbitraire.

MM. de Robaulx, de Brouckere, Jullien, d’Huart, Seron, Fallon, Ragenaken, Fleussu, Leclercq, Barthelemy, Davignon, Delahaye et Osy, étaient opposants à la loi, tous ont supposé que la loi de vendémiaire était morte depuis longtemps. L’honorable M. Leclercq en a parlé comme d’un fait historique, comme d’une loi éteinte ; il l’a seulement rappelée pour faire remarquer que le projet présenté était copié sur cette loi à laquelle le directoire devait sa chute.

Voilà, je pense, assez d’autorités sur la question. A moins de renier la révolution et de vous renier vous-mêmes, vous ne pouvez avoir d’autre opinion que celle-ci : la loi de vendémiaire est abrogée.

Je pourrais citer encore un arrêt qui repose sur l’article 4 de la loi fondamentale des Pays-Bas, et qui a été rendu le 4 décembre 1829 : un juge de paix avait été condamné à la peine de la dégradation civique, comme coupable d’un acte arbitraire et attentatoire à la liberté individuelle d’un Français dont il avais ordonné l’extradition en le faisant remettre aux autorités françaises.

Le juge de paix fut poursuivi et condamné à la dégradation civique en vertu de l’article 114 du code pénal qui punit de cette peine, celui qui attente à la liberté individuelle d’un citoyen. Le condamné se pourvut en cassation ; il prétendit que l’article 114 ne pouvait lui être appliqué, attendu qu’il avait agi contre un étranger.

Voilà la décision de la cour de cassation :

« Considérant, que si la disposition de cet article avait besoin d’une interprétation quelconque, elle se trouverait dans l’article 4 de la loi fondamentale qui assimile l’étranger au régnicole sous le rapport de la protection qui doit être accordée aux personnes et aux biens. - La cour rejette le pourvoi de François-Antoine Deseille »

Voici ce que dit le Courrier de la Meuse à propos de cet arrêt :

« On se rappelle que, par arrêt de la cour d’assises de la province de Namur, en date du 10 octobre dernier, le sieur François Antoine Deseille, juge de paix du canton de Couvin, a été condamné à la peine de la dégradation civique et aux frais de la poursuite, comme coupable « d’avoir, au commencement du mois de juillet 1829, commis à Couvin un acte arbitraire et attentatoire à la liberté individuelle du nommé Marchand, né Français, mais demeurant depuis environ trois ans dans le royaume des Pays-Bas, pour avoir donné son extradition, en le faisant remettre aux autorités françaises illégalement, sans qu’aucun crime n’ait été commis sur le territoire du royaume, et sans qu’aucun mandat n’ait été décerné contre ledit Marchand. »

« Le sieur Deseille s’est pourvu en cassation contre cet arrêt ; mais la cour de Liége a rejeté son pourvoi. »

Voici ce que dit le Politique sur le même sujet :

« Ce n’est pas assez de se plaindre par la voie des journaux, ni même de signer des pétitions pour faire rentrer dans les limites légales. Il est un moyen plus efficace d’atteindre ce but ; nous voulons parler de la résistance à lui opposer devant les tribunaux. Nul doute que nous trouvions dans le pouvoir judiciaire une garantie qui se fortifiera à mesure que nos juges comprendront mieux le gouvernement constitutionnel et l’importance du rôle que la constitution leur assigne. »

Le congrès avait compris cette importance, et avait inséré dans la constitution un article qui rendait les tribunaux juges des arrêtés illégaux.

Messieurs, je croirais abuser de la patience de la chambre, si je développais plus longuement une proposition. Je tenais à l’honneur de manifester mon opinion dans cette occasion.

Je suis partisan de la légalité, et quoiqu’on ait dit, je crois que la majorité de la chambre ne dédaignera pas le vieux manteau de la légalité et ne voudra pas précipiter le gouvernement dans les voies de l’arbitraire comme on l’a demandé. Je crois que la manifestation que je propose aura effet d’arrêter le gouvernement dans la voie où on cherche à l’égarer.

Je ne nie pas que les circonstances ne rendaient momentanément nécessaire une loi sur l’expulsion des étrangers ; que le gouvernement en signale le besoin, qu’il propose une loi ; mais, dans aucun cas, il ne doit s’armer des lois qui n’existent plus et violer d’une manière flagrante la constitution.

- Plusieurs voix. - La clôture.

M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Ceci me paraît continuer la discussion générale. Je pensais que l’honorable préopinant aurait présenté des arguments nouveaux ; mais je vois qu’il me serait impossible de prendre la parole sans tomber dans des redites. Cette discussion s’est déjà prolongée pendant fort longtemps. De nombreux et importants travaux réclament l’attention de la chambre. Je renoncerai donc à la parole, si on persiste à demander la clôture.

- Plusieurs membres. - Oui, la clôture.

M. de Robaulx. - Messieurs, j’ai les mêmes motifs que précédemment pour demander que la discussion continue. Ce n’est sans doute pas l’intension de l’assemblée de déférer à l’invitation indirecte de M. Lebeau ; car c’est ainsi qu’on indique ce qu’il faut faire. Je conçois que cette discussion soit pénible et paraisse longue à ceux qui sont si gravement compromis dans les affaires qui en sont l’objet ; mais le pays a besoin de satisfaction, le pays qu’on veut gouverner avec des lois exhumés de la poussière de la république, de la poussière du greffe de la république française au moment de ses réactions les plus terribles. Je demande que la discussion soit continuée à demain, pour entendre les orateurs inscrits.

- Un grand nombre de membres. - La clôture, la clôture.

M. de Brouckere. - Messieurs, j’étais inscrit pour prendre une deuxième fois la parole. Ce qui m’avait engagé à la demander, c’est que plusieurs interpellations m’avaient été directement adressées, Je consens à sacrifier mon amour-propre à ne pas répondre aux interpellations qui m’ont été adressées, mais je demande à la chambre une seule faveur, la permission de lui donner lecture de deux rapports d’officiers de la garde civique.

On s’est plaint de l’inaction de la garde civique. Plusieurs officiers de cette garde se sont rendus chez moi en ma qualité de député de Bruxelles et m’ont prié pour leur justification de lire à la chambre ces rapports ; ils ne sont pas longs et sont, je crois, de nature à jeter du jour sur la discussion. Si la chambre veut me permettre cette lecture, je renonce à toute autre explication.

- Un grand nombre de membres. - Lisez ! Lisez !

M. de Brouckere. - Après les événements du 6, un lieutenant-colonel de la garde civique écrivit au major sous ses ordres pour savoir par quel motif la garde civique ne s’était pas montrée aussi active qu’à l’ordinaire. Voici ce qu’il lui écrivit :

« Bruxelles le 16 avril 1834

« Le lieutenant-colonel commandant la 3ème légion de la garde civique de Bruxelles.

« Monsieur le Major.

« Veuillez, après vous être fait faire à ce sujet un rapport spécial par chacun des capitaines de votre bataillon, me faire connaître quelles sont les causes auxquelles vous attribuez le peu d’empressement que les gardes de la légion ont apporté à se rendre au poste dans la journée du dimanche 5 de ce mois, nonobstant les billets de convocation portés chez eux, le rappel battu dans les diverses rues et les démarches faites à domicile, par les officiers, sous-officiers et gardes qui s’étaient rendus à leur devoir au premier appel : serait-il vrai que l’indignation excitée par la publication des listes de souscription pour les chevaux du Prince d’Orange y serait pour beaucoup ?

« Veuillez joindre à votre rapport ceux que vous recevrez de MM. les capitaines de votre bataillon.

« Recevez, monsieur le Major, l’assurance de ma considération distinguée. »

En réponse le major adressa au lieutenant-colonel les deux pièces suivantes :

« Rapport fait par le capitaine de la compagnie du bataillon…, légion…, à M. le major, du bataillon…, légion...

« Monsieur le Major,

« Pour répondre à l’invitation de M. le lieutenant-colonel, par sa lettre du 16 de ce mois, j’ai l’honneur de vous faire connaître que le 6, à une heure et demi après-midi, il me fut donné communication de l’ordre du lieutenant-colonel, qui convoquait notre légion pour trois heures ; que, ne consultant que mon amour pour le maintien de l’ordre public, je m’empressai de répondre à l’appel de notre bourgmestre, tant en convoquant par billets, qu’en me rendant à domicile de tous les gardes de ma compagnie, employant tous les moyens de persuasion afin de réunir le plus de monde que possible ; malheureusement toutes mes démarches ont été couronnées d’un bien faible succès, et ce n’est que vers huit heures du soir, que j’ai pu réunir quelques hommes avec lesquels j’ai rejoint le détachement de la légion, peu d’instants après l’expédition qu’elle venait de faire à la maison de M. de Marnix.

« Quant aux motifs qui sont cause de cette apparente inertie de la part des gardes de ma compagnie, voici, d’après leur déclaration, ceux auxquels il faut l’attribuer.

« Dès le 5 de ce mois de sinistres rumeurs n’annonçaient que trop qu’il se préparait une de ces démonstrations violentes et hideuses, une de ces expéditions anarchiques pour lesquelles les villes populeuses ont toujours un personnel et un matériel tout prêts au service de quiconque veut les employer et les payer ; jamais les préparatifs de brigandage ne furent moins cachés.

« Au milieu de ces apparences menaçantes, la garde civique dut s’étonner et s’étonna en effet de ne pas être convoquée afin de contenir par sa seule présence le développement du plan de dévastation impudemment annoncé d’avance. Cet étrange oubli de la mesure préservatrice la plus facile et la plus efficace jeta l’effroi et le découragement parmi les citoyens honnêtes, qui vint s’accroître encore quand on vit la nuit entière s’écouler sans que le secours de la garde civique fût réclamé ; lorsque les premiers rayons du jour suivant éclairèrent les dispositions des agitateurs sans rencontrer nulle part les moyens de répression légale qu’il était du devoir de l’autorité de leur opposer ; lorsque le pillage et la dévastation enfin entamés sur une vaste échelle, ne provoquèrent de la part des agents de la force publique que des marches et des contremarches sans objets.

« Nous avons tous vu dans cette déplorable journée la force militaire immobile et muette en présence de la plus flagrante violation des lois ; je n’entrerai dans aucun détail à ce sujet ; toutes les scènes de ce drame fatal se sont passées sous les yeux de la population entière. Mais, si dans leur imprévoyante insouciance, grand nombre de spectateurs ne venaient chercher sur le théâtre des dévastations que des émotions d’un spectacle inaccoutumé, les citoyens plus particulièrement appelés au maintien de l’ordre et des lois y apportaient bien d’autres pensées ; ils se demandaient s’il existe un gouvernement là où de pareilles horreurs se consomment ; constitution, lois, morale publique, tout leur paraissaient foulé aux pieds dans cette infâme saturnale.

« Telle était la disposition générale des esprits lorsqu’un appel tardif convoqua la garde civique, alors qu’il n’y avait plus que des décombres à préserver ! Faut-il s’étonner que la grande majorité des citoyens n’ait plus vu dans cette démarche qu’un recours dérisoire à son patriotisme courageux et consciencieux, qu’on avait jusqu’à ce moment redouté ou dédaigné ?

« Serait-il fort étonnant que bon nombre de chefs de famille eussent craint de s’éloigner de leurs propres demeures où, à défaut des lois, leur présence était devenue indispensable pour la sécurité de leurs familles et de leurs propriétés.

« L’indignation, il est vrai, était grande et la publicité des listes de souscription pour le rachat de quelques chevaux du prince d’Orange était cause de cette indignation, mais jamais l’animadversion qu’elle a pu soulever n’a égaré la raison des citoyens au point de leur faire oublier que c’est aux lois seules et à ceux qui sont chargés de leur exécution qu’appartiennent le droit et le devoir de poursuivre, d’atteindre les coupables. Or, vouloir que la publicité de ces listes tolérait la dévastation et le pillage sous la protection tacite de la garde civique, c’est lui faire injure. Jamais cette garde ne se départira de sa noble devise : Sécurité, Ordre public.

« Je borne ici mon rapport dans lequel les motifs qui ont déterminé la conduite des citoyens qui composent la compagnie que j’ai l’honneur de commander sont plutôt indiqués qu’exposés ; il me serait trop douloureux de développer toutes les conséquences des funestes événements qui viennent de s’accomplir ; elles intéressent l’ordre social tout entier ; en demandant compte à la garde civique de la manière dont elle comprend et remplit ses devoirs, on la force imprudemment de rechercher si chacun de ses membres peut compter sur les garanties et sur les droits en échange desquels il a accepté les charges et les devoirs du citoyen.

« On lui rappelle que les actes exercés avant-hier contre les orangistes, hier contre les républicains, pourront l’être demain contre les meilleurs patriotes.

« On la force de déclarer qu’il n’y a de liberté possible, d’espérances d’ordre et de durée, que là où les lois sont souveraines et où c’est leurs dispositions seules que le pouvoir exécutif prend pour règle quand il cherche des coupables, signale des délits et inflige des punitions.

« J’espère que notre lieutenant-colonel voudra bien le mettre sous les yeux de qui il appartiendra.

« Je saisis cette occasion pour vous renouveler l’assurance de ma considération distinguée. »

« Rapport demandé par M. le colonel, commandant la 3ème légion de la garde civique de Bruxelles.

« Sur l’invitation de M. le major, les six capitaines du bataillon de la légion se sont réunis chez lui le 18 avril 1834, à dix heures du matin ; communication prise de la lettre de M. le lieutenant-colonel, commandant la légion, en date du 16 courant. Ils ont l’honneur de faire connaître, que ce n’est qu’immédiatement après douze heures du matin de la journée du 6 courant que l’ordre de convoquer la garde civique leur est parvenu ; que, ne consultant que leur zèle et leur amour pour le maintien de l’ordre public, ils se sont empressés de répondre à l’appel de leur digne bourgmestre, tant en convoquant par billets, qu’en se rendant en personne au domicile des gardes de leur compagnie respective, afin de réunir par la persuasion, dire même la sollicitation, le plus de monde que possible ; leurs démarches n’a pas eu tout le résultat désirable et ce n’est que vers les sept heures du soir qu’ils sont, après de nouveaux efforts, parvenus à réunir une colonne de cent à cinquante hommes, qui n’a pas démenti ses institutions, ainsi qu’il en est arrivé, par le résultat qu’elle a obtenu à la maison de M. Marnix.

« Quant aux motifs qui sont connus que tous les gardes n’aient répondu au premier appel, ils s’expliquent d’eux-mêmes.

« La garde civique de Bruxelles peut se flatter que, depuis les journées d’août 1830, elle n’a pas peu contribué à la consolidation de l’indépendance belge ; ses peines, ses veilles ne se sont pas ralentis un seul instant, et pour toute récompense, on a cherché, nous ne dirons pas qui, à attirer sur elle la plus parfaite déconsidération, en l’abandonnant, pour lâcher le mot, à une loi sans répression et sans efficacité ; il y aurait trop à dire, mais le rapport demandé n’ayant trait qu’à la journée du six courant, nous nous bornerons, quant à ce, à développer en peu de mots les causes qui ont donné lieu à une si faible réunion et les voici :

« En première ligne nous dirons que les cadres de la 3ème légion se trouvèrent réunis à l’exercice le dimanche 6, dès six heures du matin, dans la cour du Palais de justice, et qu’aucun ordre de réunion ne leur a été communiqué.

« Que les scènes de désordre, de dévastation et de vandalisme, ont commencé, dès huit heures du matin, dans ladite journée du 6, en présence de nombreuses troupes réunies l’arme au bras et au pied, voire même en présence de brillants états-majors de l’armée et d’officiers supérieurs, ayant des commandements à Bruxelles, sans ordres d’agir ; il semblait même que ces scènes de désordres étaient hautement tolérées !

« Plusieurs citoyens dont le patriotisme est à toute épreuve, nous répondirent incontinent « qu’ils ne pouvaient point assister l’arme au bras à de semblables scènes d’horreur, sans compromettre l’honneur national. »

« Quelques considérations secondaires viennent s’y joindre encore, et chacun le sait, depuis deux années le gouvernement berce la garde civique d’un espoir qu’elle avait conservé, confiante qu’elle était et qu’avec justice elle devait attendre de nos hommes d’Etat ; c’était une organisation nouvelle sur des bases solides, afin de lui rendre la considération qu’elle s’était justement acquise, mais que M. le ministre de l’intérieur semble avoir pris à tâche d’ensevelir dans la poussière des cartons, et en abreuvant du plus profond dégoût cette noble garde qui, d’après la constitution même, est la garantie et le palladium de nos libertés.

« Oui, l’indignation était grande et la publicité des listes de souscription pour les chevaux du prince d’Orange était cause de cette indignation, laquelle n’était autre cependant que du mépris et de la pitié, pour ces hommes assez malheureux qui ont la faiblesse de caresser tout pouvoir étranger, et qui renient leur patrie ou ne connaissent pas le bonheur d’en avoir une.

« Or, vouloir que la publicité de ces listes tolérât la dévastation et le pillage sous la protection tacite de la garde civique, c’est lui faire une nouvelle injure ; jamais cette garde ne départira de sa devise, sécurité, ordre public, et la preuve vient à l’appui de ce que nous avons l’honneur d’avancer, nous ne craignons point d’être démenti, la garde civique de Bruxelles est unanime sur ce point, et c’est lorsqu’elle a été informée que des ordres d’agir avec vigueur étaient donnés qu’il fallait repousser la force par la force, que l’élite de la cité s’est levée en masse, afin que force demeurât à la loi, et comme par un enchantement, à la voix du digne et respectable magistrat de cette ville, par un concours unanime, tous ont couru aux armes. C’est ainsi, dirons-nous, que sur deux cents hommes convoqués pour le poste de la Monnaie, pas un n’a manqué à l’appel, et le nombre a même dépassé l’attente de tous.

« Pour éviter d’autres et de plus pénibles détails, ici doit cesser notre rapport, et nous espérons que notre digne colonel voudra bien le mettre sous les yeux de qui il appartiendra.

« Fait à l’unanimité du major et des six capitaines du 2ème bataillon de la 3ème légion.

« A Bruxelles, le 18 avril 1834,

« (Signés) Le Major, les six capitaines. »

M. Seron. - Cette lettre est un bon discours ; elle vaut bien tous ceux qui ont été prononcés ; il n’y a que la canaille qui puisse désapprouver les sentiments qu’elle exprime. Les républicains les approuvent ; ils ne sont pas des pillards.

- Plusieurs membres. - L’impression.

M. le président. - L’impression aura lieu au Moniteur.

M. Trentesaux. - J’étais inscrit pour parler dans la discussion générale, je dois être entendu au moins une fois, car un membre a pris la parole à deux reprises différentes. Je ne vois aucun motif pour précipiter la discussion ; la proposition n’a pas été contredite. Je ne sais pas si le ministre est d’avis de s’y opposer.... Y a-t-il quelqu’un qui s’y oppose ?...

- Voix diverses. - La clôture ! la clôture !

M. le président. - Persiste-t-on à demander la clôture ? (Oui ! oui !)

M. de Robaulx a la parole contre la clôture.

M. de Robaulx. - J’aurais toujours à faire valoir contre la clôture les diverses considérations que j’ai déjà soumises. La chambre a refusé de m’entendre ; comme je vois que c’est une décision prise de vouloir étouffer une discussion qui est à peine commencée, je déclare que je n’ai qu’un mot à ajouter tout en protestant contre la clôture. Je plains la nation d’être gouvernée par de pareils ministres, je plains le Roi, s’il les croit digne de lui. (Bruit.)

M. Jullien. - La clôture serait non seulement contraire à vos usages, mais elle serait contraire à votre règlement.

Lorsqu’une proposition est faite elle doit être développée, et c’est après qu’elle est développée que la discussion s’ouvre. Il doit en être ainsi pour la proposition de MM. Dubus et Ernst.

Je crois qu’on ne rentrera pas dans les motifs de la discussion générale, il me paraît que ce qui se passe depuis quelques jours dans cette chambre inspire trop de dégoût.

Il s’agit dans l’adresse d’une question d’opportunité, de convenance, c’est sur cette question que la discussion doit être ouverte. S’il en était autrement, vous auriez fermé la discussion sur la proposition avant de l’avoir ouverte, car le développement d’une proposition n’est pas une discussion.

Vous devez conformément à votre règlement et à vos antécédents, accorder la parole à tous ceux qui la demandent, jusqu’à ce que vous croyiez que la discussion est épuisée. S’il n’en est pas ainsi, vous afficherez une intention que dans ce moment je ne veux pas qualifier.

M. Pirson. - Il est bien question du règlement, lorsqu’il existe un parti pris contre nos libertés. Croyez-vous que les ministres soient autres que les exécuteurs des projets de la sainte-alliance ? Bientôt vous verrez la constitution, nos libertés réformées, puis ensuite anéanties. On fera pour nous ce qu’en 1820 on a fait pour les Espagnols, et nous ne sommes pas éloignés de l’époque où elle arrivera.

Si les ministres ont compromis le Roi, s’ils veulent aussi nous compromettre, je déclare que, quant à moi, je n’entends pas l’être. Jusqu’à ce que les scellés soient mis sur la presse, si je ne puis me faire entendre dans cette chambre, je ferai imprimer mon opinion. Je ne serai pas le représentant des brigands.

- Voix nombreuses. - La clôture ! la clôture !

- Autres voix. - L’appel nominal.

- On procède à l’appel nominal sur la clôture. En voici le résultat.

Nombre des votants, 84.

Ont répondu oui, c’est-à-dire ont voté pour la clôture, 44.

Ont répondu non, 40.

Ont répondu oui :

MM. Bekaert, Boucqueau, Coppieters, Davignon, de Laminne, A. Dellafaille, H. Dellafaille, de Man d’Attenrode, F. de Mérode, W. de Mérode, de Muelenaere, de Nef, C. Vuylsteke, de Sécus de Stembier, de Theux, Devaux, Dewitte, d’Hane, Dubois, Duvivier, Eloy de Burdinne, Cornet de Grez, Hye-Hoys, Lardinois, Lebeau, Legrelle, Milcamps, Morel-Danheel, Nothomb, Olislagers, Polfvliet, Poschet, Raikem, A. Rodenbach, C. Rodenbach, Rogier, Schaetzen, Simons, Thienpont, Ullens, H. Vilain XIIII, Vuylsteke.

Ont répondu non :

MM. Angillis, Coghen, Cols, Dautrebande, de Brouckere, de Meer de Moorsel, de Puydt, de Renesse, de Robaulx, de Roo, Desmanet de Biesme, Desmet, de Terbecq, d’Hoffschmidt, d’Huart, Doignon, Dubus, Dumortier, Ernst, Fallon, Fleussu, Frison, Gendebien, Helias d’Huddeghem, Jadot, Jullien, Liedts, Pirson, Pollénus, Quirini, Seron, Smits, Trentesaux, Vandenhove, Van Hoobrouck, Verdussen, Vergauwen, C. Vilain XIIII, Watlet.

Vote sur les propositions

M. le président. - Je vais mettre aux voix le projet d’adresse.

M. de Robaulx. - Je demande la division des deux parties de la proposition.

M. le président. - Je consulterai la chambre sur la question de savoir s’il y a deux propositions.

M. de Robaulx. - Il n’y a aucun doute.

M. le président. - Il faut que le principe soit posé.

M. de Brouckere. - La proposition est évidemment complexe ; elle renferme deux membres distincts. Je demande qu’on aille aux voix séparément sur les deux parties de la proposition qui n’ont entre elles aucun rapport. Quelques membres pourraient être d’accord avec le projet d’adresse, quant aux événements du 5 et 6 avril, et ne pas l’être sur la partie relative à l’expulsion des étrangers. Ils pourraient désirer qu’il y eût une adresse au Roi à l’égard des journées d’avril, et non à l’égard des arrêts d’expulsion.

Il faut donc mettre aux voix séparément les deux parties de la proposition. (Appuyé ! appuyé !)

- Quelques voix. - L’appel nominal !

M. Desmanet de Biesme. - Il faut s’expliquer sur l’adresse : nous voulons tous protester contre les pillages, nous sommes tous disposés à les flétrir, car ils sont horribles, mais il n’est pas juste de déclarer qu’ils sont la faute du ministère.

D’après les rapports mêmes de M. de Brouckere, je ne vois pas que la faute des pillages doive être plus applicable aux ministres qu’à la régence. Si vous vous chargez d’une enquête vous ne pouvez rien présager avant cette enquête. Je crois, je le répète, que vous ne pouvez spécifier que les événements des journées d’avril sont la faute du ministère ; je n’ai pas l’habitude de voter avec les ministres, mais je déclare que je voterai contre la première partie de la proposition si vous ne la prenez pas dans le sens que j’indique.

M. Coghen. - J’adhère à l’opinion que vient d’émettre un honorable député de Namur. Que dans l’adresse au Roi on exprime le sentiment pénible qu’ont causé à la chambre les excès affreux, horribles, les dévastations, les pillages et les actes de vandalisme commis dans la capitale ; mais s’il faut en imposer la responsabilité aux ministres, je ne puis voter sur cette question s’il n’y a auparavant une enquête. Je ne crois pas pouvoir juger, dans une affaire aussi importante, sans une instruction préalable. D’après les pièces publiées…

M. le président. - Je ferai remarquer à l’orateur qu’il ne peut pas rentrer dans le fonds de la question.

M. Coghen. - M. le président, je me rends à votre invitation et me borne à déclarer que je voterai contre le projet d’adresse, si la question reste ainsi posée, et que je voterais pour, si on accueillait la proposition de M. Desmanet de Biesme.

M. Brabant. - Je demande la parole sur la position de la question.

- Un grand nombre de membres. - Aux voix ! aux voix !

M. Brabant. - J’ai le droit de parler sur la position de la question et je parlerai.

Il est dans l’ordre qu’il y ait deux questions, parce qu’il y a deux faits distincts : les pillages et les expulsions. Mais je prétends qu’encore la première question est complexe. Il y a d’abord les pillages et les sentiments qu’ils ont excités en vous. Il n’est pas douteux que la chambre ne soit pas unanime pour les flétrir. (Adhésion.)

Serons-nous aussi unanimes lorsqu’il s’agit d’attribuer les pillages à l’incurie, à la négligence du ministère, à sa culpabilité (car de l’incurie eût été une vraie culpabilité) ? Ce n’est pas mon opinion. Il faut donc que la question soit divisée. Sans cela, il est impossible d’émettre un vote consciencieux.

M. de Robaulx. - Sans doute, nous sommes unanimes pour flétrir les pillages ; mais il serait inutile, il serait ridicule de faire une adresse au Roi pour lui dire qu’il y a eu des pillages et que nous en sommes affligés. Le Roi n’a pas besoin de votre adresse pour savoir que les pillages ont affligé tout le monde.

M. Fleussu. - Ce serait un non-sens.

M. de Robaulx. - Le but de l’adresse proposée, il faut le dire franchement, c’est de blâmer le ministère de ce qu’il n’a pas empêché les pillages. Mais l’adresse ne dit pas et ne donne pas à entendre qu’il les ait suscités (à cet égard chacun a son idée, pour moi, je soupçonne mais je n’accuse pas), il ne s’agit que de blâmer le ministère de ce qu’il n’a pas pris les mesures que le Roi a annoncées en réponse à notre adresse en juin 1833. S’il est vrai que nous sommes unanimes pour reconnaître que les pillages sont une chose abominable, sont un horrible vandalisme nous devons être également unanimes pour reconnaître qu’aucune mesure n’a été prise pour les empêcher. C’est sous ce rapport que nous devons critiquer, que nous devons blâmer le ministère.

M. Brabant. - Le Roi, dit-on, connaît l’opinion du pays sur les pillages et il n’y a pas besoin d'adresse, sinon pour blâme le ministère. Dès lors je propose qu’on mette d’abord aux voix la question de savoir s’il faut imputer au ministère la faute des événements. Si cette question est résolue négativement, il n y aura pas besoin de mettre aux voix la proposition d’adresse (Rumeurs dans une partie de l’assemblée. Un grand nombre de membres demandent que la question soit mise aux voix.)

M. Dumortier. - Je crois que nous discutons faute de nous entendre. S’il s’agit d’attribuer au ministère le fait des pillages, de prétendre qu’il les a suscités, je crois que pas une voix ne s’élèvera pour l’accuser. Je crois avoir démontré quels étaient les véritables auteurs de provocations…

M. le président. - Je ferai observer à l’orateur qu’il n’a la parole que sur la position de la question.

M. Dumortier. - Je parle précisément sur la position de la question.

M. Brabant. - Puisque ma proposition excite des réclamations, je déclare la retirer.

M. Dumortier. - La proposition subsiste encore, car elle a été faite également par M. Desmanet de Biesme.

M. Desmanet de Biesme. - Je n’ai pas fait de proposition, je n’ai pas réclamé.

M. Dumortier. - Alors, messieurs…

M. le président. - Vous n’avez pas la parole, il n’y a rien en discussion.

M. Dumortier continue de parler.

M. le président agite sa sonnette.

Un grand nombre de membres crient : aux voix ! (Il est impossible d’entendre ce que dit l’orateur.)

M. le président met aux voix par appel nominal le premier paragraphe du projet d adresse.

- Voici le résultat de cet appel nominal.

On procède à l’appel nominal, 78 membres sont présents.

27 votent l’adoption de la première partie de la proposition d’adresse au Roi.

51 en votent le rejet.

En conséquence cette première partie est rejetée.

Deux membres se sont abstenus, ce sont MM. Dumortier et Helias d’Huddeghem.

M. Dumortier. - Vous avez facilement compris les motifs pour lesquels je me suis abstenu. Après avoir démontré que c’est la maison d’Orange qui a suscité les pillages dans le pays, je n’ai pas voulu me mettre en contradiction avec moi-même en en attribuant la faute au ministère.

Si on avait voulu m’entendre, j’aurais évité cette contradiction car je pense que le ministère est fautif en ce qu’il a fait tout pour anéantir la garde civique.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - C’est faux.

M. Pirson. - A l’ordre ! à l’ordre ! le ministre.

M. Dumortier. - N’a-t-on pas désarmé le premier ban tout entier ?

M. Helias d’Huddeghem. - Je ne puis décider sur une question semblable sans être éclairé par une enquête.

Ont voté l’adoption :

MM. Angillis, Dautrebande, de Brouckere, de Meer de Moorsel, de Puydt, de Renesse, de Robaulx, Desmaisières, Desmet, d’Hoffschmidt, d’Huart, Doignon, Dubus, Ernst, Fallon, Fleussu, Frison, Gendebien, Jadot, Jullien Liedts, Pirson, Quirini, Seron, Trentesaux, Van Hoobrouck, Vergauwen.

Ont voté le rejet :

MM. Bekaert, Boucqueau de Villeraie, Brabant, Coghen, Cols, Coppieters, ((erratum inséré dans un Moniteur postérieur) Cornet de Grez, Davignon, de Laminne, A. Dellafaille, H. Dellafaille, de Man d’Attenrode, F. de Mérode, W. de Mérode, de Muelenaere, de Nef, de Roo, de Sécus, ((erratum inséré dans un Moniteur postérieur) Desmanet de Biesme, de Stembier, de Terbecq, de Theux, Devaux, Dewitte, d’Hane, Dubois, Eloy de Burdinne, ((erratum inséré dans un Moniteur postérieur) , Hye-Hoys, Lardinois, Legrelle, Milcamps, Morel-Danheel Nothomb, Olislagers, Polfvliet, Poschet, Raikem, A Rodenbach, C. Rodenbach, Schaetzen, Simons, Smits, Thienpont, Ullens, Vandenhove, Verdussen, C. Vilain XIIII, H. Vilain XIIII, Vuylsteke, C. Vuylsteke, Watlet.


M. le président. - La chambre passe au vote sur la seconde partie de la proposition, laquelle est relative à la légalité des actes d’expulsion.

- On procède par appel nominal.

82 membres sont présents.

31 votent l’adoption de cette seconde partie de la proposition d’adresse.

51 en votent le rejet.

En conséquence elle est rejetée.

Ont voté l’adoption :

MM. Angillis, Brabant Coghen, Dautrebande, de Brouckere, de Meer de Moorsel, de Puydt, de Renesse, de Robaulx, Desmaisières, Desmet, d’Hoffschmidt, d’Huart, Doignon, Dubus, Dumortier, Ernst, Fallon, Fleussu, Frison, Gendebien, Helias d’Huddeghem, Jadot, Jullien, Liedts, Pirson, Quirini, Seron, Trentesaux, Van Hoobrouck, Vergauwen, ((erratum inséré dans un Moniteur postérieur) Watlet.

Ont voté le rejet :

MM. Bekaert, Legrelle, Boucqueau de Villeraie, Cols, Milcamps, Coppieters, Morel-Danheel, Davignon, Nothomb, de Laminne, Olislagers, H. Dellafaille, de Man d’Attenrode, Polfvliet, W. de Mérode, A. Rodenbach, de Muelenaere, C. Rodenbach, de Nef, Rogier, de Roo, Schaetzen, C. Vuylstere, Simons, de Sécus, Desmet de Biesme, Thienpont, de Stembier, Ullens, de Terbecq, Vandenhove, de Theux, Verdussen, Devaux, C. Vilain XIIII, Dewitte, d’Hane, H. Vilain XIIII, Dubois, Vuylsteke, Duvivier, Eloy de Burdinne, Raikem, Cornez de Grez, Hye-Hoys, Lardinois, Lebeau.

M. le président. - Voici une proposition déposée par M. Dumortier.

- Un grand nombre de députés qui ont quitté leurs places s’écrient : à demain ! à demain ! Il est cinq heures.

M. le président les invite inutilement à reprendre leurs places.

M. Fleussu. - Je demande qu’il soit inséré au procès-verbal qu’on n’a pas laissé voter sur la proposition de M. Dumortier.

M. Dumortier. - Je ferai remarquer à l’assemblée…

M. le président. - Il y a clôture de la discussion sur les rapports présentés par les ministres.

M. Dumortier. - Il est hors de doute... (à demain ! à demain ! à demain !)

C’est une proposition tout à fait neuve et sur laquelle aucune clôture n’a été prononcée. Le procès-verbal doit constater que je l’ai déposée. Un vote doit avoir lieu. J’adjure les membres de cette assemblée de se prononcer sur cette proposition ; alors qu’un coup de massue doit être porté sur nos libertés, il ne faut pas nous répondre par un dédaigneux silence. Si à vos libertés vous préférez… (Ici le bruit que font les membres qui ont quitté leurs banquettes couvre la voix de l’honorable membre.)

M. Jullien. - Je demande que la discussion de la proposition soit renvoyée à demain.

M. Dumortier. - Je la retire.

- La séance est levée. Il est plus de cinq heures.