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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 25 mars 1834

(Moniteur belge n°85 du 26 mars 1834 et Moniteur belge n°86 du 27 mars 1834)

(Présidence de M. Raikem.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(Moniteur belge n°85 du 26 mars 1834) M. de Renesse procède à l’appel nominal à onze heures et demie ; il donne ensuite lecture du procès-verbal de la séance d’hier, qui est adopté sans réclamation.

Pièces adressées à la chambre

Le même fait connaître l’analyse des pétitions suivantes qui ont été adressées à la chambre.

« L’administration communale de Gyseghem demande de continuer à faire partie du canton judiciaire d’Alost. »


« Les administrations des communes de Templeuve, Blandain, Leers-Nord, Estaimpuis, Evregnies, Baillouel et Esquelmes demandent que le chef-lieu de justice de paix soit conservé à la commune de Templeuve. »


« Les habitants notables de Hamme réclament contre le projet de suppression de leur justice de paix. »


« L’administration communale de Hezzels demande que son canton soit maintenu et qu’il en soit érigé un quatrième dans l’arrondissement d’Alost. »


« Les notables de la commune de Marche-les-Ecaussines demandent que cette commune fasse partie du canton de Soignies dans la nouvelle circonscription des justices de paix. »


« L’administration de Wareghem (Flandre occidentale) demande que cette commune soit érigée en chef-lieu de canton. »


- Ces pétitions sont renvoyées à la commission chargée de l’examen du projet de loi relatif aux circonscriptions judiciaires.


« Plusieurs miliciens de la commune de Vergnies réclament contre l’abus qui résulte du mariage d’autres miliciens avec des femmes nonagénaires et qui les oblige à servir pour eux. »


« Les habitants de St.-Aubin renouvellent leur demande de continuer à jouir du privilège d’extraire de la mine de fer dans le bois dit des Minières. »


- Ces deux dernières pétitions sont renvoyées à la commission chargée d’en faire le rapport.

Projet de loi qui prescrit l’établissement d’un système de chemins de fer en Belgique

Discussion des articles

Article premier (rapport de la section centrale)

M. le président. -La discussion continue sur l’article premier de la loi. La parole est à M. Smits, rapporteur de la section centrale.

M. Smits, rapporteur. - Messieurs, la section centrale a entendu hier soir les auteurs des différents amendements à la loi sur le chemin de fer qui vous ont été présentés.

Ce matin elle s’est réunie de nouveau ; elle vient de terminer ses délibérations ; je m’empresse, messieurs, de vous en faire connaître le résultat.

Les amendements dont il s’agit sont au nombre de neuf, mais ils peuvent être classés en trois catégories :

La première, qui s’écarte le plus du texte du projet, a pour but de restreindre la loi à l’exécution d’une route de Louvain à Liége comme première section d’une route en fer de Louvain à Cologne.

La seconde catégorie comprend six amendements dont l’objet est d’établir ou de conserver entre les plus importants foyers de production de la province de Liége et du Hainaut, une pondération équitable dans leurs moyens d’arrivage sur les principaux marchés de consommation, soit par l’ouverture de routes en fer dirigées du centre du royaume vers les divers bassins houillers, soit par l’abaissement éventuel des péages existants sur les canaux qui aboutissent déjà à ces divers bassins dans le Hainaut.

Enfin la troisième catégorie concerne la simultanéité des travaux qui seront ordonnés par la loi.

L’amendement de M. Quirini, tendant à borner la loi à l’établissement d’une route en fer de Louvain sur Cologne, était principalement motivé sur la crainte de voir le commerce actuel de la ville de Louvain détruit ou déplacé, si une route en fer s’exécute parallèlement au canal de cette ville vers la capitale, les Flandres et le port d’Anvers.

Cette crainte n’a point paru fondée, et l’expérience même des canaux de Manchester et Liverpool, citée par M. Quirini à l’appui de son système, et dont la prospérité va toujours croissant depuis l’ouverture du railway entre ces deux villes, a confirmé votre section centrale dans l’opinion que la route en fer doit s’étendre de nos frontières orientales et méridionales jusqu’à l’Escaut et jusqu’à l’Océan.

Sans contredit la partie de route spécialement recommandée par M. Quirini est la plus utile, puisque c’est entre Louvain et Liége que la Belgique manque principalement de communications faciles.

Mais, sous le rapport du transit, le transbordement auquel la route arrêtée à Louvain obligerait, nuirait considérablement à l’économie des transports tant pour les frais que pour la durée du voyage, et nous ne devons pas oublier que sous ces deux rapports il importe de ne point se créer d’entraves, car le commerce de Rotterdam et d’Amsterdam, ont pour soutenir leur concurrence sur les marchés du Rhin, l’avantage de bateaux à vapeur rapides et extrêmement économiques. D’ailleurs, les revenus de la route projetée n’ont pas été calculés comme le croit l’auteur de cet amendement, dans la supposition que la totalité des transports qui ont lieu aujourd’hui par la voie navigable et dont le bon marché conservera toujours la préférence au canal de Louvain, mais seulement sur les transports très coûteux qui se font par essieu, en diligences, messageries ou gros roulage, plus une légère quantité éventuelle des transports précieux par eau dans le cas d’interruption annuelle de la navigation.

Une considération première suffit d’ailleurs pour engager la chambre à rejeter l’amendement dont il s’agit.

Car en supposant que la législature limite la loi à l’ouverture d’une route d’Allemagne à Louvain (ce qui obligerait à frapper des péages extrêmement élevés), il est évident que l’intérêt particulier s’emparerait aussitôt des bénéfices considérables qu’on doit attendre de l’établissement d’une route en fer entre la capitale, Anvers, Gand et Louvain, sous le simple rapport du transport accéléré des personnes, et en obtiendrait nécessairement la concession ; alors leur route pouvant également servir au transport des marchandises priverait Louvain des avantages plus ne peut d’ailleurs vouloir monopoliser, et cette compagnie particulière jouirait seule ainsi de tous les avantages et bénéfices dont le projet de loi promet le partage au pays tout entier.

Les amendements de la deuxième catégorie se divisent en deux classes.

Ceux de la première classe, savoir l’amendement de M. Brixhe et les deux premiers articles de l’amendement de M. Gendebien, stipulent le tracé de l’embranchement décrété en principe vers la Flandre dans le projet de la loi de la section centrale auquel le gouvernement s’est rallié.

Nous n’avons point cru devoir admettre la désignation spéciale de ces divers tracés avant l’achèvement des projets qui seuls peuvent en démontrer la possibilité et les avantages.

Nous avons pensé que l’amendement présenté par M. Dumortier, sauf à laisser subsister à l’article premier le mot immédiatement qu’il proposait de rayer, stipulant dans un sens plus général que cet embranchement aurait lieu par le Hainaut, remplissait suffisamment l’objet que les députés de cette province se sont proposé.

En effet il résulte des développements dont ils ont accompagné leurs amendements qu’ils ne désirent uniquement que de conserver, après l’ouverture de la route en fer qui traverse le bassin houiller de Liége, un équilibre équitable pour les produits des bassins houillers du Hainaut sur les divers marchés de l’intérieur.

Or les amendements de MM. de Puydt, Dubus et Frison, et le troisième article de l’amendement de M. Gendebien, offrent un moyen plus simple de conserver cet équilibre, soit par l’abaissement des droits sur les canaux que le Hainaut possède déjà aujourd’hui, soit par l’élévation des péages sur la nouvelle voie à travers la province de Liége.

Cependant c’est à l’amendement de M. de Puydt que votre section centrale se rallie, en faisant observer qu’il serait dangereux et inutile de stipuler le rachat du canal de Charleroy, l’administration ayant un moyen plus efficace et plus économique de rabaisser les péages de ce canal par un drawback, ou, comme elle le fait déjà en partie, par abonnement avec les concessionnaires.

En conséquence votre commission vous propose l’adoption de l’amendement de M. Dumortier, qui serait inséré à l’article premier de la loi ;

Et l'amendement de M. de Puydt, dont il serait fait mention à l’article 8.

Quant à la simultanéité et de l’entreprise, il résulte des explications données relativement à l’amendement présenté par MM. les députés des Flandres que c’est plutôt la simultanéité d’achèvement que celle de commencement des travaux que l’on désire ; et M. le ministre ayant déclaré que tel était également le vœu du gouvernement, d’ouvrir la route à la fois de l’Océan et de l’Escaut jusqu’à la frontière de Prusse, la section centrale a été unanime pour l’adoption de cet amendement.

Pour ce qui concerne l’amendement de M. de Theux, il était motivé sur l’obligation de n’entreprendre un ouvrage aussi important qu’avec toute la prudence que son importance réclame. Mais votre section a pensé que la partie de route proposée pour essai par les honorables membres réclamait 2 à 3 ans d’exécution et la mise dehors d’un capital énorme, tandis qu’en adoptant le système du gouvernement on ne commencerait d’abord les travaux que dans les endroits où des terrassements exigent beaucoup de temps, c’est-à-dire aux environs de Tirlemont, mais qu’on exécuterait sans retard la route de Bruxelles à Malines qui ne demande que 1 1/2 million environ qui serait d’un rapport immédiat et donnerait à la chambre, dès le courant de cette année, un échantillon satisfaisant du nouveau système de transport.

Par l’acceptation de l’amendement de M. de Theux on ne pourrait rien connaître du mouvement des voyageurs, ni des marchandises ; ces dernières seraient assujetties à des transbordements nuisibles surtout aux charbons par les achats qu’ils occasionnent ; et les formalités de douane que ces transbordements exigeraient ôteraient à cette voie son principal mérite qui est l’économie et la célérité.

Par ces motifs la majorité de la section centrale croit devoir vous en proposer l’ajournement et borner les modifications du projet en discussion aux amendements de M. Dumortier, des députés de la Flandre et de M. de Puydt.

M. le président. - Je vais donner connaissance d’un amendement que M. Pollénus vient de déposer sur le bureau.

« Amendement de M. Pollénus : Je propose à l’article premier d’ajouter : par Tongres à Liége ; le reste comme dans le projet. »

M. Dumortier. - Mon amendement consiste dans le retranchement d’un mot et dans l’addition d’un autre.

La section centrale a adopté le retranchement du mot immédiatement, parce qu’elle a parfaitement senti que les travaux ne pouvaient se commencer que progressivement. En effet, il est encore des parties du chemin dont les plans ne sont pas levés. Le mot immédiatement serait donc superflu, un véritable non-sens.

Voilà les motifs de ma première proposition. Quant à la seconde, elle consiste à faire ajouter à l’article premier ces mots : par le Hainaut, pour que l’embranchement qui doit se diriger vers le midi le fût à travers cette province. C’est par ces motifs de justice que j’ai été dirigé. La section centrale m’a parfaitement compris, aussi a-t-elle admis ma proposition.

M. Gendebien. - Messieurs, en proposant une adition à l’article premier, j’ai eu l’intention de faire déterminer d’une manière moins vague les embranchements dont on a, dit-on, l’intention de gratifier le Hainaut. J’ai demandé que l’embranchement qui doit se diriger vers la frontière de France passât par Mons et Quiévrain. J’ai indiqué ces points comme devant servir de jalons ; c’est au gouvernement à rechercher la direction qui pourra le mieux assurer la voie la plus commode et présentant des pentes moins rudes.

Les embranchements qui partiraient de la route principale seraient dirigés vers la Dendre, et vers Houdeng, Lahestre et Morlanwez.

Ces embranchements partiraient, je suppose, de Soignies, et se dirigeraient comme je viens de l’indiquer ; cela aurait l’avantage de mettre Mons en rapport avec Bruxelles et Anvers, et les autres points avec les marchés qu’ils fournissent actuellement.

Le chemin de fer arrivant jusqu’à la Dendre, il faudrait peu de frais pour la canaliser, et ce serait un travail d’une très haute importance.

Je n’ai point perdu de vue non plus le bassin houiller de Charleroy, et j’ai indiqué encore la direction du chemin de fer par les vallées de la Dyle, de l’Ornoz et de la Sambre, comme des jalons, et surtout comme présentant aussi des pentes très douces.

Remarquez, messieurs, que je n’ai point entendu indiquer ces directions d’une manière absolue. Je désirerais que l’on suivît cette direction, si l’exécution est possible. Ce sont plutôt des jalons que j’ai voulu planter.

Si l’on veut sincèrement mettre la route en fer à portée de toutes les localités, si on ne veut pas ruiner l’une au profit de l’autre, il faudra faire commencer les travaux simultanément sur toutes les sections : c’est ce que j’ai voulu faire déterminer par l’article 2 de mon amendement.

Si je demande à faire commencer l’exécution du chemin de fer partout à la fois, c’est pour que toutes les localités, où il doit passer, entrent en même temps en jouissance des avantages qu’elles pourront en retirer.

Cet article n’est, pour ainsi dire, qu’une répétition de mon article premier, avec la garantie nécessaire pour assurer des jouissances à toutes les localités en même temps, et éviter la ruine des unes au profit d’autres.

Quant à l’article 3, il a été conçu dans la pensée de faire jouir les diverses localités d’une compensation de la route en fer, dans le cas où les travaux n’auraient pas commencé simultanément dans toutes les parties de la Belgique.

Je vois, en effet, dans le mémoire de MM. Simons et de Ridder que, pour certaines marchandises, le bénéfice, par la voie nouvelle, sur les autres voies, sera de 60 p. c., et pour les charbons de 80 pour cent.

J’ai pris pour bases les calculs des auteurs mêmes du projet, et si vous adoptez mon amendement, vous arriverez à un résultat exact et équitable pour tous.

M. Pollénus. - Déjà, dans la discussion générale, j’ai eu l’honneur de vous soumettre les considérations qui motivent l’amendement que je viens de déposer à l’effet de faire participer la province de Limbourg aux avantages de la voie de grande communication avec l’Allemagne.

La décision de la chambre, qui porte que le chemin en fer serait exécuté aux frais de l’Etat, me paraît venir à l’appui de mon amendement, en ce que l’intention de la chambre a bien évidemment été de trouver dans ce mode d’exécution, un moyen de faire participer toutes les provinces dans une proportion équitable aux avantages de cette vaste entreprise.

Dans une séance précédente, je crois avoir établi que le Limbourg avait des droits incontestables à la grande communication commerciale qui fut stipulée dans le traité du 15 novembre 1831 comme le prix de grands sacrifices ; votre équité ne peut permettre que cette province soit entièrement frustrée des avantages que votre assentiment aux traités lui a irrévocablement garantis.

Le chemin en fer, en traversant cette partie du Limbourg, serait en rapport avec les communications qui existent dans cette province et dont le tracé projeté s’éloigne à tel point qu’il ne peut offrir le plus faible avantage à cette contrée : mon amendement, en assurant des bienfaits au Limbourg, ne fait point dévier d’une manière bien notable le tracé indiqué sur les plans de MM. les ingénieurs du gouvernement.

J’ai proposé la ville de Tongres parce que les routes qui traversent cette ville la lient avec les centres les plus importants de production et de consommation de la province ; d’ailleurs, le tracé indiqué dans l’avant-projet de 1832 me fait supposer que le terrain ne présente point de graves obstacles dans la direction de Tongres.

Cependant, comme le dernier tracé n’indique qu’une ligne unique, il serait possible que des objections fondées pussent être faites contre ma proposition : dans ce cas je déclare que dès ce moment je consens à la modifier dans ce sens qu’au lieu de faire passer le chemin de fer par la ville de Tongres, je proposerai d’adopter le tracé de Louvain par St-Trond à Liége. De cette manière une ville du moins de la province de Limbourg participerait d’une manière directe aux avantages du chemin en fer et sous ce rapport le projet du gouvernement serait justifié en partie du reproche d’une odieuse préférence pour une autre province.

Vous voudrez bien remarquer, messieurs, que l’amendement que j’ai l’honneur de vous proposer s’applique à tous les amendements sur l’article premier sans être en désaccord avec les termes du projet de loi.

M. de Theux. - J’avais d’abord pensé que le gouvernement devait, à titre d’essai, faire exécuter la section du chemin de fer de Bruxelles à Anvers.

Dans la discussion générale, je vous ai exposé les motifs de mon opinion. Depuis j’ai réfléchi que, dans l’intérêt général, les sections les plus importantes à entreprendre de suite étaient celles de Louvain à Liège et de Liège à la frontière de Prusse, dans l’espoir que les travaux commenceraient en même temps sur le territoire prussien.

Vous comprendrez facilement, en effet, messieurs, les motifs qui m’ont dirigé. Il y a urgence à ouvrir des communications commerciales de l’Escaut avec l’Allemagne. Il est évident que les communications de l’Escaut à Louvain sont faciles, et qu’à partir de cette dernière ville elles deviennent lentes et dispendieuses vers l’Allemagne ; il faut donc ouvrir une route qui puisse ouvrir des communications vers la frontière de Prusse.

Un fait qui m’a été appris dans le cours de la discussion générale, fait très important, c’est que toutes les actions de la compagnie prussienne, pour entreprendre les travaux de la roule, sont placées : c’est ce qui m’a déterminé.

Si le gouvernement met la main à l’œuvre dans ces deux sections, la Prusse commencera en même temps. Des communications commerciales faciles se seront promptement établies, et le but de la loi se trouvera atteint.

En effet, remontez, messieurs, à l’origine du projet ; lisez l’exposé des motifs, suivez la discussion générale, vous verrez que l’idée principale et qui a toujours dominé, c’est le désir de faciliter nos relations commerciales avec l’Allemagne, relations interrompues depuis notre séparation avec la Hollande. L’adoption de mon amendement, en rétablissant ces relations, nous mettrait en concurrence avec la Hollande.

Je pense que la simultanéité proposée pour les travaux nuira au but que l’on se propose et qu’elle le reculera car il est impossible que l’administration porte ses soins sur tous les embranchements.

En deuxième lieu, il peut survenir telle circonstance qui empêche de négocier facilement l’emprunt que l’on se propose de faire : ces circonstances sont de diverses natures, et rien ne peut garantir que le crédit de la Belgique se maintienne au taux élevé où il est aujourd’hui.

Or, qu’adviendra-t-il si l’entreprise est commencée sur tous les points à la fois ? c’est que l’argent peut devenir difficile à trouver et que l’on sera obligé d’en passer par toutes les conditions imposées par les prêteurs, si l’on ne veut pas laisser les travaux incomplets ?

Réfléchissez ensuite qu’un ajournement ferait manquer complètement le but de l’entreprise.

Sous le rapport même de la dépense, la proposition de la simultanéité ne serait pas admissible, car rien ne garantit que les estimations de MM. les ingénieurs soient exactes.

Mais, dira-t-on, la dépense à faire depuis Louvain jusqu’à la frontière de Prusse est considérable ; elle n’exige pas moins de 12 à 13 millions.

Cela est vrai, mais ce ne serait pas trop, selon moi, d’acheter par un sacrifice de 2 à 300,000 fr. d’intérêt l’ouverture de cette nouvelle communication. Je ne vois donc pas de motif d’ajourner cette section de la route.

Déjà il a été signalé dans le cours de la discussion, et il est bon de le rappeler, que bientôt les navires de 200 tonneaux arriveraient jusqu’à Louvain. Il suffit de rapporter ce fait pour faire comprendre combien les arrivages jusque-là seront peu dispendieux et faciles.

Il est incontestable qu’avec une route de Louvain à Cologne, la Belgique pourra non seulement concourir avec la Hollande, mais encore obtenir sur elle, sinon la supériorité, au moins un avantage marqué.

Il ne saurait être douteux, en effet, que les voyageurs qui en grande partie consentent à faire un long détour pour aller prendre les bateaux à vapeurs de Rotterdam, ne viennent débarquer à Ostende, pour rejoindre ensuite le chemin de fer de Louvain à Cologne.

Si ce n’est pas une économie d’argent, c’est au moins une économie de temps.

Quant aux marchandises, on a parlé de l’inconvénient qu’il y aurait à les transborder à Louvain, mais ces transbordements ne sont pas difficiles et n’occasionnent que très peu de frais, ils ne peuvent donc détruire les avantages que promet la route en fer.

Le Hainaut ne gagnerait rien à l’exécution simultanée des travaux. Il est impossible d’arrêter un tracé à travers cette province, sans connaître quelles peuvent être les intentions du gouvernement français, et s’il peut faire un chemin de Paris à la frontière de Belgique. C’est alors seulement que l’on pourrait retirer tous les avantages de l’exécution d’un chemin se dirigeant vers la frontière de France.

En commençant par Louvain, cela ne pourrait pas exciter la rivalité entre les villes d’Anvers et d’Ostende, elles resteraient respectivement dans la même position.

On a dit dans le rapport de la section centrale qui combat mon amendement, que ma proposition, si elle était admise, exigerait deux ou trois ans de travail, et nécessiterait des dépenses énormes et on ajoute qu’il vaut mieux suivre le projet du gouvernement qui consiste à construire le chemin de fer entre Bruxelles et Malines, et à commencer en même temps les travaux entre Louvain et la frontière.

Je ne sais en vérité comment ces deux opinions peuvent s’allier. Le capital sera-t-il moins avancé alors que vous commencerez les travaux entre Louvain et la frontière, en même temps que ceux entre Bruxelles et Malines ? Il faudra seulement un capital de plus ; d’ailleurs il est évident qu’en commençant en même temps le chemin de Bruxelles à Malines, le gouvernement ne peut l’arrêter à cette ville, ce chemin serait sans objet ; aussi résulte-t-il du même rapport que le gouvernement adhère à l’amendement de quelques députés des Flandres qui exigent l’exécution simultanée vers Ostende ; or, c’est cette simultanéité qui ne peut être admise.

Je crois, messieurs, avoir suffisamment développé mon amendement.

M. le président. - La parole est à M. Donny pour développer son amendement ; il est ainsi conçu :

« L’exécution commencera par les sections de Malines à Verviers, de Malines à Ostende, de Malines à Anvers, et de Malines à Bruxelles.

« Dans les sections de Malines à Verviers et de Malines à Ostende, les travaux seront commencés simultanément et poursuivis sans interruption. »

M. Donny. - Au point où est arrivée la discussion, de longs développements seraient, je crois, superflus pour justifier l’amendement que j’ai eu l’honneur de vous proposer.

J’ai dit, à l’ouverture des débats, quelles conditions la route devait remplir selon moi, pour pouvoir être considérée comme d’intérêt général. Sans contester que le principe de ces conditions se trouve dans le projet de la section centrale, je ne trouve pas que ce projet m’offre des garanties suffisantes pour l’application de ce principe. C’est pour obtenir de votre justice ces garanties que je ne trouve pas dans le projet de la section centrale, que notre amendement a été proposé.

Ces garanties nous les demandons au nom de l’intérêt général, et pour moi je les fonde sur les motifs que j’ai développés dans une précédente séance. Nous les demandons, ces garanties, au nom des deux Flandres, qui sont appelées à contribuer pour les 5/15 dans tout ce que le pays aura à supporter par suite de la construction du chemin de fer, et qui en compensation demandent qu’un embranchement qui doit emporter simplement les 3/15 de la totalité de la dépense ; au nom des deux Flandres, qui doivent payer le tiers des immenses remblais et creusements, des galeries souterraines, des plans inclinés et de tant d’autres ouvrages d’art qui sont nécessités par le passage de la route par la province de Liège. Nous demandons encore ces garanties au nom de la pêche nationale, à qui l’embranchement par les Flandres doit donner un grand développement et qui, vous le savez, est une grande source de prospérité pour le pays. Enfin nous les demandons pour tranquilliser une population de 1,300,000 habitants qui, sans doute, occupe dans votre sollicitude une place égale à celle des habitants du Hainaut dont les justes doléances ont reçu tant d’accueil dans cette assemblée.

Je bornerai là les développements de mon amendement.

M. le président. - L’amendement de M. Donny est-il appuyé ?

M. C. Rodenbach. - Il a 17 signataires.

M. le président. - La parole est à M. Dubus, pour développer son amendement. Cet amendement est ainsi conçu :

« Les péages sur les houilles, les chaux, les fers ne pourront être inférieurs à ceux qui seront établis sur les autres marchandises. »

M. Dubus. - Quelques mots suffiront, je pense, pour justifier l’amendement que j’ai eu l’honneur de proposer à la chambre.

La route en fer dont il s’agit est, dit-on, entreprise dans un intérêt tout national ; mais lorsqu’on examine les développements fournis par MM. les commissaires du Roi, on s’aperçoit que sous l’ombre d’un grand intérêt national, il ne s’agit en réalité que de faveurs iniques, que de privilèges à accorder à certains intérêts particuliers qui ont eu d’avance le crédit de se faire écouter et appuyer par le gouvernement lui-même.

Les péages à percevoir sur la route en fer devaient être calculés de manière à couvrir les intérêts du capital qui sera employé pour la construction de la route en fer, et les dépenses annuelles d’entretien de cette route. On dit que c’est en effet sur cette base que les péages ont été calculés, et qu’ils sont suffisants pour couvrir ces dépenses. Mais on a tant de confiance dans cette assertion, qu’on propose de faire garantir par l’Etat non seulement le capital de l’emprunt que l’on doit ouvrir pour la construction de la route en fer, mais encore les intérêts de cet emprunt, calculés à un taux bien supérieur à l’intérêt courant.

Ce n’est pas tout, on veut qu’entre diverses natures de marchandises, une seule, la houille, ait le privilège d’un rabais de moitié dans le prix du transport établi pour les autres. Est-ce l’intérêt national qui dicte cette proposition ? Je pourrais le concevoir sous ce rapport que ce serait dans l’intérêt de l’Etat qui serait celui d’une province, s’il était question de favoriser des marchandises destinées à être exportées, parce qu’ainsi cette province s’enrichirait et l’Etat en profiterait ; mais ce n’est point le cas ; car on avoue naïvement que cette proposition n’a d’autre but que de faire obtenir à certains exploitants de la province de Liége la jouissance d’un marché dont on prive certains exploitants de la province du Hainaut. Y a-t-il là un intérêt national ?

Est-il de l’intérêt de l’Etat d’enrichir quelques exploitants de la province de Liége aux dépens d’autres exploitants de la province du Hainaut ? car voilà, messieurs, l’unique considération par laquelle les ingénieurs motivent leur proposition d’établir le prix du transport des houilles à un taux moitié moins élevé que celui des autres marchandises. MM. les ingénieurs ont réduit cela en calculs ; d’où il résulte que le transport des houilles sur la route en fer doit s’effectuer au taux de 2 centimes par tonneau et par kilomètre, et au taux de 4 centimes pour les autres marchandises. Ce nouveau débouché augmentera, selon eux, de 65,000 tonneaux les expéditions de houilles de la province de Liége, et diminuera d’autant celles de la province du Hainaut. Voilà, messieurs, comment se présente la question.

Admettre un pareil système ce serait consacrer une véritable injustice ; ce serait, selon moi, violer la constitution qui s’oppose à ce qu’il soit établi des privilèges eu matière d’impôt.

Etablir des privilèges en faveur d’une province pour le transport de certaine nature de marchandises, c’est porter préjudice aux autres provinces : vous n’avez pas le droit d’accorder de semblables primes à certaines industries au préjudice des autres et aux dépens du trésor public. Vous ne devez pas par cette prime accorder au commerce de Liége sur le marché d’Anvers un avantage qui ne lui serait justement acquis qu’avec la libre concurrence.

Je ne vois pas d’ailleurs pourquoi le prix du transport des houilles serait moindre que celui des autres marchandises. Le péage est établi d’après le poids des marchandises. Il est hors de doute que les houilles à égalité de poids causent plus d’encombrement que tout autre objet. Il n’y a donc pas le moindre motif pour diminuer le péage sur les houilles.

On pourrait objecter que l’amendement que je propose est devenu inutile depuis que la section centrale a accueilli un amendement de l’honorable M. de Puydt, d’après lequel les péages sur les canaux du Hainaut seraient réduits par tonneau et par kilomètre au même taux que ceux sur la route en fer de Liége sur Anvers, Louvain et Malines.

Je ferai observer que cet amendement que j’appuierai, je le déclare, ne garantit pas assez que le privilège dont j’ai parlé tout à l’heure n’aura pas lieu.

Le privilège ne pourra avoir lieu sur la route en fer qu’autant qu’il aurait lieu en même temps sur les canaux du Hainaut ; mais le privilège ne doit avoir lieu nulle part, ni sur les canaux, ni sur la route en fer. Etablir pour une certaine nature de marchandises un prix de transport moitié moindre que pour les autres, ce serait accorder un privilège en matière d’impôt ; ce serait une inconstitutionnalité ; ce serait une injustice.

Je pense donc que l’adoption de l’amendement de M. de Puydt (et je suis presque certain qui sera adopté) ne doit pas être un motif pour faire écarter celui que j’ai soumis à la délibération de la chambre. Je persiste donc dans mon amendement.

- La chambre décide que l’amendement de M. Quirini sera mis le premier en délibération. Il est ainsi conçu :

« Le gouvernement est autorisé à faire construire au compte de l’Etat une route à ornières de fer, à ouvrir entre Louvain et Liége, et destinée à former le commencement d’exécution d’une route en fer de Louvain à Cologne. »

M. Donny. - Messieurs, je voterai contre l’amendement de M. Quirini, parce qu’il me paraît être de telle nature qu’il tend à substituer au système de la section centrale un système bien plus mauvais. Il suffit pour s’en convaincre de comparer le mode de communication offert par la section centrale au transit commercial avec celui proposé par M. Quirini.

La section centrale veut offrir au transit un mode uniforme de transport sur toute la longueur de la route. De cette manière les marchandises, du moment où elles sont embarquées, ne sont plus manipulées avant d’être déchargées au lieu de leur destination.

M. Quirini, au contraire, propose un mode de transport mixte : partie par canal, partie par route en fer. Dans ce système les marchandises devraient être déchargées en route pour être rechargées sur des wagons. C’est un désavantage que tous les négociants apprécieront.

La section centrale veut un moyen de transport accéléré. L’amendement de M. Quirini au contraire présente un mode qui entraînerait beaucoup de lenteurs. Et la différence qui existe entre ces deux systèmes est telle, qu’il faudrait employer dans le système de M. Quirini autant de jours pour le transport des marchandises qu’il faudrait d’heures dans le système de la section centrale.

La route en fer proposée par la section centrale est une communication constante que rien ne vient interrompre ; l’autre communication au contraire est sujette à des interruptions prolongées et même assez fréquentes. Car en hiver, vous le savez, la voie des canaux ne peut souvent être employée à cause des gelées ; en été même, les canaux sont souvent hors d’usage, surtout sur une ligne aussi longue de navigation : il suffit pour cela qu’il y ait une réparation quelconque à faire à l’une ou l’autre partie de la ligne.

Dans le système de la section centrale la surveillance de la douane n’oppose aucune entrave, aucun retard au commerce ; avec le système de M. Quirini, au contraire, le séjour et le transport sur les canaux rend la surveillance de la douane difficile et nécessite par conséquent une foule de formalités toujours plus ou moins vexatoires pour le commerce. Le système de M. Quirini est aussi désavantageux à l’Etat qu’au commerce ; car s’il cause des entraves et des retards au commerce, il entraîne pour l’administration des douanes une augmentation de dépense en ce qu’il nécessite un personnel plus nombreux, soit qu’il faille placer des employés sur toute la longueur de la route, soit qu’il faille en placer un sur chaque bateau qui naviguera sur les canaux.

Sur la route en fer, la célérité est une garantie qu’il n’y aura pas d’infiltration de marchandises étrangères. Quelques précautions accessoires, qu’il faudra que l’administration prenne, la mettront à même de s’assurer que rien ne s’infiltrera dans le pays. Sur les canaux, au contraire, la fraude est facile et ne peut être complètement réprimée.

Ces considérations agissent avec tant de force sur mon esprit, que je ne crains pas de déclarer que si l’amendement de M. Quirini était adopté, il faudrait dès à présent renoncer à voir le transit s’établir en Belgique, alors que la Hollande, indépendamment d’une navigation facile, soit à la vapeur, soit à voiles, lui offrira un chemin de fer parallèle au nôtre. Je vote donc contre l’amendement.

M. Legrelle. - Si j’envisageais des intérêts de localité au lieu du bien-être général, je pourrais accueillir l’amendement de M. Quirini. En effet, le tracé de Louvain à Verviers étant 2/3 du chemin de fer de l’Escaut à Verviers ferait obtenir indubitablement le reste du tracé d’Anvers à Louvain, et ôterait ainsi au commerce d’Anvers la perspective de la rivalité d’Ostende. Mais telle ne peut être l’opinion d’un seul député d’Anvers.

Les députés de cette province se sont unis aux députés des deux Flandres pour admettre de concert le tracé proposé par le gouvernement ; ils ont repoussé ensemble le système des concessions. Il serait indigne de nous de nous séparer d’eux maintenant et de profiter des circonstances pour écarter le tracé d’Ostende jusqu’à la frontière de Prusse.

Comme l’a fait remarquer l’honorable préopinant, en admettant seulement le tracé de Louvain à Verviers, vous ôtez toute possibilité du transit. C’est le résultat de l’amendement de M. Quirini comme de celui de M. de Theux. J’ajouterai une réflexion, c’est que, avec l’amendement de M. de Theux, il est impossible d’avoir une preuve de l’exactitude des évaluations faites par le gouvernement relativement au produit des péages. On ne peut être éclairé sur ce point que par la construction d’une route qui ira d’un bout du pays à l’autre, comme de l’Escaut à Cologne et de l’Océan au Rhin.

Je terminerai par une considération que j’ose dire vitale et que je soumettrai avec franchise à la chambre et particulièrement à vous tous, députés qui voulez un chemin de fer.

Si l’amendement de M. Quirini ou celui de M. de Theux est adopté, qu’en résultera-t-il ? Il aura été voté par notre accord avec les députés qui ne veulent pas du chemin de fer et qui, préférant la partie au tout, feront passer l’amendement. Mais lorsqu’on arrivera au vote de la loi, les députés des deux Flandres, dont on aura repoussé la demande se joindront à ceux qui ne veulent pas du chemin de fer ; et l’existence du chemin de fer serait en péril.

Cette considération sera assez puissante sur mon esprit pour me déterminer à rejeter l’amendement de M. Quirini, et plus tard celui de M. de Theux.

M. Gendebien. - Les amendements de MM. Quirini et de Theux ont le même but, quoique sur deux articles différents. Il serait rationnel de les discuter tous deux d’abord ; car si l’un d’eux est adopté, la discussion d’un grand nombre d’amendements deviendra inutile. (Adhésion.)

M. Trentesaux. - Les deux amendements de MM. Quirini et de Theux me semblent avoir le même but ; mais lorsqu’on y fait attention, on voit que leur substance est bien différente. L’amendement de M. Quirini supplée à l’article premier : il pose le principe. L’amendement de M. de Theux, au contraire, suppose le principe posé et dit que, pour son exécution, il faudrait un essai. Il faut, pour arriver à l’amendement de M. de Theux, que l’article premier ait été voté, il faut que le principe ait été posé.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier) - J’ai demandé la parole pour appuyer la proposition de l’honorable M. Gendebien, de commencer par discuter l’amendement de M. Quirini, et ensuite celui de M. de Theux ; car si l’un de ces amendement était adopté…

- Plusieurs voix. - On est d’accord.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier) - Dès lors je n’ai plus rien à dire.

M. le président. - S’il n’y a pas d’opposition, les amendements de MM. Quirini et de Theux seront successivement mis en délibération. La discussion continue sur l’amendement de M. Quirini. La parole est à M. F. de Mérode.

M. le ministre des affaires étrangères (M. F. de Mérode) - Une opinion de laquelle on ne s’est point encore occupé jusqu’ici pendant cette longue discussion du chemin de fer (et tout ce qui a été énoncé jusqu’ici même par le nouveau rapport de la section centrale ne m’empêchera pas d’y adhérer fermement) c’est l’opinion qu’a développée la régence de Louvain dans son avis inséré au Moniteur du 10 novembre. Permettez-moi de vous en rappeler encore brièvement la substance. Elle se résumé en ces termes :

1° Le but principal de la nouvelle et importante communication en projet étant de réunir l’Escaut ou la mer à la frontière de l’Allemagne la nécessité de cette communication ne se fait absolument sentir que de la frontière germano-belge à Louvain, lieu où se termine la navigation de l’Escaut et où aboutit aussi celle de toutes les eaux navigables de la Belgique.

2° La partie de route en fer à construire de Louvain à Liége, Verviers et la frontière belge à l’est, ne peut nuire à aucune des voies navigables actuellement existantes en Belgique ; au contraire, elle ne ferait que multiplier les transports sur ces voies navigables en fournissant une voie économique par terre qui rapprocherait singulièrement Verviers et Liége de Louvain et de son canal, par lequel cette ville est en rapport commercial facile avec Anvers et les riches provinces des Flandres.

3° La traversé d’Anvers à Louvain pouvant s’effectuer ordinairement en deux jour par eau, les marchandises seraient rendues d’Anvers à Cologne en deux jours, après l’achèvement du chemin en fer de la Prusse ; et serait-il raisonnable de dire que le commerce réclame plus de célérité ? Rien, par conséquent, ne doit empêcher que l’essai qu’on se propose d’une route en fer se borne à la partie de la route d’Anvers à la Prusse qui est privée des transports par eau.

4° Plus tard, si les avantages en étaient démontrés, on pourrait continuer en meilleure connaissance de cause le chemin de fer jusqu’à Anvers, Bruges et Ostende.

Je vous avoue, messieurs, que j’ai toujours été frappé de la justesse des observations présentées par la régence de Louvain.

On objecte à ces considérations que les canaux sont gelés une partie de l’hiver. On grossit ainsi à plaisir un empêchement qui peut se réduire, année commune, à une quinzaine de jours ou trois semaines au plus ; car nous ne sommes pas ici en Norwège, par même dans la Nord-Hollande, et il arrive, au moins une année sur deux, qu’au moyen des brise-glaces la navigation n’est pas interrompue un seul jour. La jeunesse qui s’adonne à l’exercice du patin sait bien ce que valent ces allégations de gelées et combien il lui arrive souvent de ne pouvoir se livrer au plaisir d’un vol rapide sur nos canaux.

L’inconvénient dont il est question est-il aussi grave pour nécessiter immédiatement la construction d’une route en fer là où il existe actuellement une très belle voie navigable ; n’y a-t-il pas une foule d’améliorations locales dont il serait plus urgent de s’occuper, et auxquelles il conviendrait infiniment mieux de consacrer le crédit de l’Etat et les ressources des contribuables ? Tout ne doit pas être arrangé de suite pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles en faveur du commerce de transit d’Anvers et d’Ostende, il suffit de procurer à ce commerce des moyens suffisants ; or, ces moyens ne manqueront pas lorsque la route en fer de Louvain aux frontières de Prusse et de là à Cologne sera établie.

Si vous voulez agir avec un véritable esprit de justice, vous vous bornerez donc pour le moment, messieurs, à voter les fonds nécessaires à cette partie de route qui ne doit jamais, selon moi, être livrée à des concessionnaires. En vous restreignant dans ces limites, aucune province n’aura des motifs fondés de se plaindre ; Les villes de Liége et de Verviers ont le droit d’être mises en communication autrement que par de simples routes ordinaires, avec la capitale du royaume et la mer. Le Hainaut a déjà ces communications importantes et de premier ordre par les canaux de Pommeroeul et de Charleroy ; mais si vous faites, pour les communications de la province de Liége avec le Brabant et les Flandres, des dépenses de luxe, des dépenses superflues, vous devez, en réalité ou en apparence, injustes envers le Hainaut, vous contractez l’obligation de couvrir le pays tout entier d’un réseau de routes en fer construites par l’Etat, et vous vous jetez dans une série de dépenses incalculables.

On a déjà fait valoir que Liége possède un débouché vers la mer par la Meuse. Ceci était vrai pendant l’existence du royaume des Pays-Bas. Aujourd’hui Liége a trop perdu, sous ce rapport, pour ne pas lui procurer un dédommagement. D’autre part, j’ai entendu dire, et je suis porté à le croire, que les voyageurs allant d’Angleterre en Allemagne donneront une activité, et par conséquent un revenu considérable à la route en fer, si elle se prolonge immédiatement jusqu’à Ostende.

Messieurs, je suis persuadé que la route en fer partant de Louvain en aura presqu’autant que si elle s’étendait jusqu’à la mer, et voici pourquoi : dans les deux hypothèses, la navigation de Londres à Ostende ne sera ni plus ni moins longue ; d’Ostende à Bruxelles et Louvain, le voyage, effectué en partie par les barques commodes de Bruges et de Gand, ou en totalité par les diligences, est assurément très facile. Que cette portion de la route soit parcourue en un jour ou en une demi-journée, que l’on circule dans ce trajet sur une route en fer ou sur une route pavée, cette modification pour une fraction de la distance à parcourir entre Londres et Cologne, fraction qui offre déjà des moyens très économiques de transport, n’arrêtera aucunement les voyageurs, qui ne rencontreront nulle part une voie plus courte, plus agréable et moins chère que celle-là.

Messieurs, j’ai déjà offert à votre attention des considérations de justice distributive. J’en ferai valoir une dernière en faveur de Louvain.

Si le chemin de fer prend naissance à Louvain, le canal qui appartient à cette ville sera très fréquenté ; il s’opérera des transbordements qui donneront du travail aux ouvriers, et par suite de moyens et de débit aux marchands en détail. Louvain a rendu d’éminents services à l’affranchissement de la Belgique. De plus le bien-être général d’un pays consiste rarement dans un monopole de richesse et de population concentrée sur tel ou tel point de territoire, mais dans la répartition plus générale des moyens de prospérité. Faire affluer tous les avantages, tous les bénéfices du transit à Anvers et à Ostende, ce n’est point favoriser la division du bien-être général. La Hollande est heureuse si le bonheur consiste dans les tonnes d’or que possèdent les marchandises et les capitalistes de Rotterdam et Amsterdam, pivots sur lesquels s’appuie le roi Guillaume. Mais si la félicité nationale doit s’entendre de l’aisance relative de la multitude, dans quel pays est-elle moins heureuse qu’en Hollande malgré les riches fortunes qu’on y rencontre encore plus qu’ailleurs sur le continent ?

Je ne me dissimule pas, messieurs, la défaveur que peut rencontrer le système national que j’admets comme préférable, conformément à l’avis émané de la régence de Louvain. Pour l’adopter, il faut se dégager des affections locales, considérer les intérêts belges équitablement dans leur ensemble et largement, il faut être avant tout attaché à la Belgique entière, comme si elle ne composait qu’une seule et vaste province. C’est le sentiment qui me domine, et j’ai cru de mon devoir de militer aujourd’hui pour une œuvre progressive, restreinte provisoirement dans les bornes des véritables besoins nationaux.

En agissant ainsi, messieurs, je ne crois pas être en opposition avec mon collègue, M. le ministre de l’intérieur. Nous sommes d’accord, quant au but essentiel du projet de route en fer. Je regarde l’exécution de ce projet comme indispensable à la nationalité belge ; je pense que rien de plus utile ne peut être entrepris par l’Etat. Seulement nous différions en ce point, que l’utilité, l’urgence surtout de la communication nouvelle, ne me paraît plus la même au-delà du point où se terminent à l’est les eaux navigables de la Belgique.

Le transport un peu plus prompt des voyageurs allant d’Ostende à Cologne, la possibilité d’expédier plus loin le poisson de mer et de donner ainsi plus d’activité à la pêche, la rapidité supérieure qu’obtiendrait le transport des marchandises, ne sont pas assurément des avantages sans valeur. Cependant ces avantages ne sont pas tels, selon moi, qu’ils doivent nous décider à des entreprises trop vastes et simultanées. Commençons par le nécessaire ; l’expérience nous instruira sur ce qui doit être accordé plus tard.

Vous ménagerez ainsi, messieurs, des ressources à votre industrie ; car, si vous dépensez par des emprunts, dans un laps de temps trop court, des sommes aussi considérables, qu’arrivera-t-il ? L’industrie en fer, par exemple, qui doit livrer les ornières de nos routes à rainures, prendra un accroissement démesuré, mais temporaire, et que deviendront, à l’époque du ralentissement de cette industrie par la cessation des fournitures, les ouvriers qu’elle aura extraordinairement occupés ? Et ici, en considérant les débouchés nouveaux que recevront surtout les forges au coak, par la construction des routes à rainures de fer introduites en Belgique, je ne puis m’empêcher de faire remarquer à la chambre que le Hainaut, loin de perdre sous le rapport de l’exploitation charbonnière, gagnera sa bonne part de ce que promet à l’avenir une consommation beaucoup plus considérable de houille.

La concurrence des charbons liégeois qui, après tout, ne pourront certainement pas obtenir une préférence exclusive sur les marchés de Bruxelles et d’Anvers, sera moins nuisible aux exploitations charbonnières du Hainaut que l’accroissement donné à l’industrie des fers ne lui sera profitable. D’ailleurs, la houille doit payer 4 centimes comme les autres marchandises sur une route construire aux frais de l’Etat. Cette égalité de péage existe sur les routes pavées : pourquoi n’existerait-elle pas sur la route en fer ? Et en ce cas les houilles de Liége n’auraient aucun avantage sur celles du Hainaut/

Je crois ne point me tromper dans mes prévisions, en pensant que l’entreprise nationale qui vous est soumise doit enrichir, par des effets directs ou indirectes, prévus ou imprévus, toutes les provinces du royaume. Je ne parle point de certains intérêts privés que des modifications importantes, industrielles ou commerciales, frappent inévitablement ; je parle de l’ensemble des intérêts du pays, et si j’étais représentant nommé par un district de la province du Hainaut, je croirais servir la généralité de mes commettants, en accordant mon concours favorable à l’établissement du chemin de fer qui lierait la Meuse et le Rhin au bassin de l’Escaut et à la mer, par l’intermédiaire du beau canal de Louvain.

De là, messieurs, jusqu’à Liége, la route est évaluée à 9 millions 300 mille francs ; de Liége à Verviers, 2 millions 400 mille fr. ; et de Verviers à la frontière, un million 300 mille francs ; en totalité, 13 millions, somme qui, pour un immense intérêt politique et commercial, n’est certainement pas de nature à effrayer les hommes les plus timides en spéculations, les plus soigneux des ressources du trésor public ; et je suis de ce nombre car personne, plus que moi, ne redoute les emprunts légèrement contractés par l’Etat, et l’imprévoyance qui charge l’avenir au bénéfice inconsidéré d’un présent qui sera bientôt écoulé.

On a parlé de ministère liégeois (car le ministère jouit maintenant, à ce qu’il parait de l’avantage de posséder deux noms. Il s’appelle, lorsqu’il s’agit d’affaires extérieures, ministère Lebeau, et lorsqu’il s’agit d’entreprises intérieures, ministère liégeois) ; j’ai déjà déclaré que je n’étais pas inféodé au ministère Lebeau, mais à la Belgique. Je ne sais si je dois me défendre d’appartenir au ministère liégeois ; ce serait, en effet, bien bénévole de ma part, car ni moi ni ma famille ne possédons rien dans la province de Liège, et nous avons, au contraire, des liens très particuliers avec le Hainaut et même des intérêts d’exploitations charbonnières dans cette province.

Mais, sans être ministre liégeois, je suis représentant belge. Liége et Verviers font partie de la Belgique. A ce titre, ces villes manufacturières et populeuses ont le droit de ne pas être parquées dans l’isolement de la capitale du royaume, dans l’isolement de nos canaux et de nos ports de mer.

Toutefois, comme la prudence et l’équité l’exigent que l’on commence par le nécessaire et que le superflu soit ajourné, je voterai de préférence pour la construction de la partie du chemin de fer qui réunira Louvain à la frontière de l’Allemagne.

Personne ne peut nier que cette portion ne soit la plus utile, la plus urgente, la plus indispensable au commerce de transit, et la plus convenable pour rattacher Liège et Verviers au centre commun du pays et à la mer. Il y a un proverbe ainsi conçu : « Qui en dit trop, ne dit rien, » auquel on peut joindre celui-ci : « qui veut trop faire, ne fait rien. »

M. le président. - La parole est à M. Dumortier.

M. Dumortier. - Après ce qui vient d’être dit par l’honorable M. F. de Mérode, je n’ai rien à ajouter.

M. A. Rodenbach. - Messieurs, si on vous lisait le discours qu’a prononcé il y a quelques jours M. le secrétaire-général du ministère des affaires étrangères parlant comme député, cela suffirait pour combattre le discours que vient de prononcer M. le ministre des affaires étrangères parlant aussi comme député ; car l’un de ces discours réfute l’autre. (On rit.)

M. Nothomb nous a dit qu’il ne concevait pas une route en fer, sinon d’Ostende au Rhin ; il a ajouté qu’une route d’Ostende à Louvain était à la fois commerciale et politique. Si la navigation de l’Escaut n’est pas libre, ou si on nous cherche sous ce rapport une foule de chicanes comme nous pouvons l’attendre de la mauvaise foi de la Hollande, il faudra encore recourir à la diplomatie ; or, si les courriers des affaires étrangères galopent, la diplomatie ne galope pas, et va au contraire bien lentement. Le chemin en fer nous offre une communication sûre et rapide à l’abri de tels embarras, et garantit au pays le commerce de transit.

Je sais bien que, comme l’a dit M. le ministre des affaires étrangères, nous ne sommes ni en Norwège ni en Pologne, ni sous un climat aussi froid ; néanmoins nous avons, sinon cette année, quelquefois au moins des hivers très rigoureux. Lors de la gelée, on ne peut point naviguer ; et encore lors du dégel il y a des inondations, et le navigation est également arrêtée. Ainsi ce n’est pas pendant trois semaines, c’est souvent pendant trois mois que la navigation est interrompue.

Je ferai remarquer que le transport d’Ostende à Louvain se fera en sept heures par le chemin de fer, en autant d’heures qu’on met de jours pour le faire par les canaux. Cette célérité est d’une grande importance pour le commerce et surtout pour le commerce de transit.

On préconise la navigation des canaux, les avantages des barquettes ; pour ceux qui veulent rester trois heures à table, cela est très bien. Sous ce rapport, je le sais, on est à merveille dans les barquettes : cela peut convenir au rentier, au fashionable ; mais cela ne convient nullement à celui qui a des affaires ; il a besoin d’une voie plus prompte,

Je crois en avoir dit assez pour faire rejeter un amendement qui tendrait à la construction d’un chemin de fer, seulement de Louvain à Verviers, contrairement aux intérêts des deux Flandres, et faire sentir la nécessité d’un chemin qui joigne le Rhin à la mer.

M. Quirini. - Je n’ai pas été peu étonné en entendant l’honorable rapporteur M. Smits s’écrier à l’occasion de la proposition que j’ai eu l’honneur de présenter à la chambre, que c’est de tous les amendements présentés sur l’article premier, celui qui s’éloigne le plus du but que s’est proposé le gouvernement.

Messieurs, commençons d’abord par nous entendre. Quel est le but que s’est proposé le gouvernement ? D’après l’honorable M. Smits faire partir la route en fer de Louvain et la diriger vers l’Allemagne, c’est s’écarter du but que le projet en discussion s’est constamment proposé ; et établir une communication à ornières en fer entre Bruxelles et Anvers, c’est se rapprocher du but.

Messieurs, pour ma part, je ne sais si mes idées sont bouleversées, mais j’avoue franchement que je ne reconnais plus dans cette dernière proposition le but du gouvernement. Le gouvernement veut-il établir un ouvrage de luxe, une promenade entre Bruxelles et Anvers. C’est la seule question que je soumets à la sagacité de M. le rapporteur ; ou bien veut-il établir une nouvelle communication plus économique entre la Belgique et l’Allemagne ? Si cela est, que l’honorable M. Smits convienne donc qu’en proposant de faire partir la route de Louvain à Liége, je rentre dans le but du gouvernement, et que la proposition qu’il a faite d’établir et d’établir de suite une communication entre Anvers et Bruxelles, s’en éloigne on ne peut pas davantage.

Voyons quelles sont les autres objections dont mon amendement a été l’objet. D’abord, on a prétendu que mon amendement nuirait à l’avantage qui résulte des routes en fer, celui de procurer une très grande célérité au transport des marchandises ; je ne sais si on a oublié que d’Anvers à Louvain, la traversée se fait en moins d’un jour. En supposant que les marchandises expédiées d’Anvers arrivent à Louvain en un jour, il est évident qu’au moyen de la communication par le chemin en fer de Louvain à Cologne, ces marchandises seraient rendues en moins de deux jours d’Anvers à leur dernière destination.

La troisième objection porte sur le fret ; on a dit que les frais de transport seraient plus coûteux par le canal de Louvain que par la route en fer. Je dois croire qu’on n’a pas tenu compte des observations que j’ai eu l’honneur de présenter dans la séance d’hier. Dans la séance d’hier, je crois avoir prouvé jusqu’à satiété, m’étayant des raisonnements de MM. les commissaires du Roi, qu’entre la communication par canaux et celle par le moyen des chemins en fer, l’avantage était tout entier au profit de la première, qu’il était impossible que les chemins de fer lutassent avantageusement contre la navigation. J’ai établi ce fait au moyen des calculs présentés par les commissaires du roi eux-mêmes, en réponse à un critique qu’avait faite de leur travail M. l’ingénieur Vifquain.

On m’a objecté encore les difficultés de transbordement, on m’a dit : le système que vous présentez est un système qui dénature le plan du projet en discussion, c’est un système mixte, sans uniformité ; il ne tend à rien moins qu’à soumettre les marchandises à une double manipulation.

L’honorable M. de Theux a déjà fait observer qu’au moyen du canal de Louvain les navires de 200 tonneaux arrivent avec une facilité extrême jusqu’à cette ville. A l’appui de cette assertion j’ajouterai encore que la ville de Louvain ne s’est pas bornée à exprimer le désir que la route en fer commençât à Louvain, mais qu’elle s’est engagée en outre à apporter à sa navigation les améliorations qui pourraient être jugées nécessaires. J’ajouterai que, cédant aux réclamations réitérées du commerce de Louvain, le conseil de régence s’est montré disposé à faire une dépense d’un million de frais pour approfondir son canal ne s’engageant à n’exiger aucune augmentation de péage pour cette nouvelle dépense.

Il est donc évident qu’au moyen de cette amélioration les marchandises pourront arriver directement sur Louvain, et conséquemment que la crainte manifestée de voir le commerce entravé par suite des transbordements deviendra sans objet.

Messieurs, dans la séance d’hier, je n’ai pas plaidé uniquement la cause des intérêts de Louvain, bien que la nouvelle communication qu’on annonce comme si désirée ait excité la plus vive inquiétude dans cette ville à laquelle j’appartiens ; je n’ai présenté que des considérations d’intérêt général et dans l’intérêt de l’entreprise elle-même.

Partant de ce principe, qu’entre la navigation et la communication par chemin de fer, la préférence appartenait tout entière au premier système ; que, de l’aveu même des commissaires du Roi, jamais la route en fer d’Anvers à Louvain, ne pourrait compter sur la masse des transports, j’en ai inféré cette conséquence, fondée sur la raison, que la section de Louvain à Anvers, ne produira pas assez pour couvrir les frais d’entretien qui sont de plus d’un quart de la dépense totale. J’en ai inféré cette autre conséquence, que les commissaires du Roi, en comptant dans leurs évaluations tout le mouvement commercial entre Anvers et Louvain, se sont étrangement trompés, par cela même qu’en avouant que la masse des transports continuerait à se faire par le canal, ils ont calculé, pour la nouvelle route, sur la plus grande partie de ces mêmes transports.

Ceci répond à l’objection faite par l’honorable M. Smits, que les commissaires du roi n’ont compté que sur leurs transports faits par essieu et seulement pendant les interruptions de la navigation.

On a parlé de monopole exercé au profit d’une ville, de préoccupation pour des intérêts de localités ; en vérité ce reproche a été si souvent réfuté dans cette discussion que je crois inutile d’y répondre. Je me bornerai à dire que d’après ma manière de voir la route en fer est destinée à tuer le commerce de Louvain, à l’écraser, au profit de certaines villes du royaume ; et quant à moi, j’aurai du moins la franchise de déclarer que je ne saurais consentir à une pareille injustice. D’ailleurs, qu’on ne s’y méprenne point, à la différence de plusieurs autres villes, celle de Louvain ne réclame aucune faveur, aucun avantage ; ce n’est pas elle qui vous a demandé ce chemin si désiré ; ce qu'elle réclame, ce qu’elle sollicite comme un acte de justice, et non comme une faveur, c’est que vous ne lui enleviez pas les avantages qu’elle a, qu’elle s’est créés à ses propres frais, c’est que vous ne l’immoliez pas au profit de quelques autres villes du royaume.

L’amendement de M. de Theux ressemble sous plus d’un rapport à celui que j’ai présenté ; cependant il y a une différence très sensible. M. de Theux persiste à maintenir l’article premier du projet qui fait partir la route non pas de Louvain, mais d’Anvers.

Pour ma part je déclare que je ne consentirai jamais à ce qu’elle ait une autre direction que celle de Louvain à Anvers. J’admets l’utilité d’une nouvelle communication vers l’Allemagne, mais je désire que l’on fasse un essai préalable en faisant la première section depuis Louvain jusqu’à Liége.

Pour prouver que le commerce de Louvain n’éprouvera aucune perte par l’établissement de la route projetée, on a rechaussé pour la dixième fois au moins l’argument tiré de Liverpool à Manchester ; j’ai déjà répondu plusieurs fois que si entre ces deux villes on a établi plusieurs communications, et si même l’on se dispose d’y ajouter de nouvelles, c’est seulement parce que la nécessité s’en est fait sentir. Mais est-il bien logique, est-il raisonnable d’étendre l’exemple de ces deux villes uniques à deux foyers commerciaux tels que Louvain et Anvers ? Où donc et depuis quand a-t-on prétendu que les deux communications existantes entre ces deux villes soient devenues insuffisantes ?

Qu’il me soit permis de rapporter ici les opinions émises par MM. les commissaires dans leur brochure portant pour titre : Route en fer projetée d’Anvers à la Meuse.

Voici comment ils s’expliquent : « Entre deux ou plusieurs foyers commerciaux, une seule route bien établie suffit à leurs relations ; il est évident qu’une seconde route, exigeant la même dépense que la première, tandis qu’elle ne peut compter sur le partage du mouvement commercial que par moitié avec la route existante, aura besoin d’un tarif deux fois plus élevé, que si cette nouvelle entreprise pouvait compter sur la totalité du mouvement commercial : or, le premier occupant ayant toujours la faculté de réduire au moindre prix, sans perte réelle pour lui, vu la réalisation de ses bénéfices antérieurs, les tarifs trop élevés qui lui étaient concédés, cette faculté est un épouvantail suffisant pour empêcher une nouvelle compagnie à risquer des capitaux de plusieurs millions. »

Mais, messieurs, voici un passage bien plus remarquable :

« Le gouvernement peut-il d’ailleurs (ce sont MM. les ingénieurs du gouvernement qui font cette question), peut-il avec justice prononcer l’utilité publique d’un sacrifice dont l’agriculture alors paie tous les frais, d’une expropriation pour un double emploi, occasionné par l’avidité d’une compagnie ? »

C’est ainsi que s’expriment les organes du gouvernement. Vous voyez, messieurs, qu’ils sont parfaitement d’accord avec moi ; je dis plus : leurs scrupules vont beaucoup plus loin que moi, puisqu’ils reconnaissent que le gouvernement commettrait une très grande injustice en autorisant des compagnies concessionnaires à venir exploiter une route, uniquement dans la vue de nuire à une communication existante ; mais l’injustice ne serait-elle pas plus grande encore si le gouvernement lui-même s’obstinait à vouloir employer les fonds du trésor public à une entreprise hasardeuse, et pour établir une communication que d’avance il a reconnue devoir être inutile ?

Eh bien, messieurs, ce que les commissaires du Roi réclament et qu’ils dénient à une société, je le dénie au gouvernement. Les raisons sont les mêmes. Je maintiens que pour établir une communication qui doit favoriser certaine ville, le gouvernement n’est pas eu droit de ravir à une autre ville une industrie qui constitue toute sa ressource ; qu’il y aurait injustice, ainsi que le commissaire du roi l’avance à l’égard d’une compagnie concessionnaire. Il n’y a pas de différence entre les deux cas.

M. de Robaulx. - Messieurs, je me lève pour appuyer l’amendement de M. Quirini. D’abord, je répondrai à une observation de M. A. Rodenbach. Il nous a dit : les canaux qui existent vers Ostende sont quelquefois embarrassés par la glace, et dès lors, le chemin de fer devient nécessaire. Je lui adresserai une question toute simple, qui est celle-ci : Faut-il créer un chemin en fer le long d’un canal, pour fonctionner un mois ou deux mois par année ? Quoi, en supposant, ce qui n’existe pas, qu’il y ait des glaces ou des débordements pendant un mois ou deux par année, on construirait des chemins en fer le long des canaux pour effectuer les transports pendant les interruptions de la navigation.

La solution de cette question ne peut pas être douteuse. On ne créera pas de route en fer à grands frais uniquement pour éviter l’inconvénient passager des glaces ou des débordements. Il est une autre observation qui me paraît décisive. Nous allons faire un chemin en fer qui puisse concourir d’une manière avantageuse avec les canaux de la Hollande pour le commerce de l’Allemagne. Mais les canaux hollandais sont sujets à l’inconvénient des glaces et plus sujets que les nôtres ; comment se fait-il que nous devions faire un chemin en fer pour fonctionner pendant l’interruption de la navigation, quand en Hollande il n’y en a pas ?

Mais si vous créez un chemin de fer pour les temps de glace, comment ferez-vous quand il y aura de la neige, votre chemin ne pourra pas fonctionner ?

M. A. Rodenbach. - La neige n’empêche pas de marcher sur le chemin de fer.

M. de Robaulx. - Je dis que la Flandre aurait mauvaise grâce à demander l’exécution d’un chemin de fer, là où il y a des canaux. Il n’y a pas ici d’intérêt de localité ; comme député du Hainaut, je reconnais, je l’ai déjà dit, que là où il y a des canaux, nous ne demandons pas de chemin de fer ; il serait souverainement ridicule d’en établir le long des canaux. Cependant si les Flandres persistaient à en demander un pour effectuer les transports pendant les temps de glace, nous pourrions en demander aussi, car nos canaux ne sont pas moins exposés à ces inconvénients, avec cela qu’ils sont d’une plus grande importance, et transportent infiniment plus de produits que ceux des Flandres.

Ce n’est pas pour quelques curieux qui voudraient se rendre en Angleterre en fashionables qu’on fait des chemins de fer, c’est pour donner des débouchés à notre commerce, et ce n’est que subsidiairement qu’on le fait pour le transit. Pour le transit, vous avez la ligne d’Anvers à Cologne. Comment se fait-il que le Hainaut ne vienne pas demander de chemin de fer ? C’est que nous ne demandons pas à transporter nos charbons en poste ; pourvu qu’on diminue les péages sur les canaux de manière que le transport par cette voie ne coûte pas plus que par le chemin en fer, il nous importe peu de mettre deux ou trois jours de plus à faire le voyage ; nous sommes persuadés que nos fers et nos marchandises ne soutiendront pas moins la concurrence avec les fers et les charbons de Liége.

Je demanderai donc aux députés des Flandres s’il n’est pas contraire au bon sens de réclamer des chemins en fer, là où il y a des canaux.

M. les ministres des affaires étrangères (M. F. de Mérode) - Et surtout immédiatement.

M. de Robaulx. - Oui, et surtout immédiatement.

Si plus tard vous trouvez que les communications de l’Allemagne avec la mer ne peuvent pas soutenir la concurrence avec la Hollande, vous le reconnaîtrez par ce qui se sera passé. Les faits parleront plus haut que toutes les théories ; vous demanderez alors de nouvelles communications et nous n’aurons pas sur les bras un immense réseau de chemins de fer dont vous ne pouvez pas calculer la dépense, surtout l’exécution étant abandonnée au gouvernement. Restreignez votre route au nécessaire, faites le plus pressé, l’entreprise ne sera déjà que trop vaste, sinon chaque localité viendra demander un chemin de fer d’agrément ou pour éviter les inconvénients passagers de la glace, et vous ne pourrez pas en sortir quand vous auriez à votre disposition les trésors du Pérou : si on fait des chemins de fer le long des canaux, pour effectuer les transports pendant les temps de glace, comme je l’ai déjà dit, le Hainaut en demandera aussi le long des siens.

Cependant nous regardons la chose comme inutile dans cette province où les produits sont les plus considérables et qui a le plus besoin de débouchés, nous trouvons que la demande serait essentiellement ridicule.

- Un membre. - Mais vous n’avez pas de port de mer !

M. de Robaulx. - C’est pour y arriver que nous demandons des communications, c’est pour pouvoir arriver en concurrence avec Liège, sur la place d’Anvers, que nous demandons qu’on diminue les péages sur les canaux.

Ne créez donc pas sans utilité des chemins de fer dont vous ne pouvez pas calculer la dépense.

Que voulez-vous ? une communication facile entre l’Allemagne et Anvers pour le transit et pour ouvrir des débouchés à nos marchés intérieurs ? Vous avez des canaux faciles et éprouvés, au moyen desquels il se fait déjà aujourd’hui un immense commerce de transit. Vous allez donc tout détruire, sans savoir si les chemins en fer seront favorables. Faites-les d’abord là où il n’y a pas de concurrence, vous êtes certains d’y avoir avantage ; mais là où il y a des canaux, je ne puis trop le répéter, je ne conçois pas qu’on en établisse, la chose est inutile. Tout esprit de localité à part, j’espère que les députés des Flandres penseront comme les députés du Hainaut, qu’on doit commencer par un bout, et que, dans l’intérêt du trésor, la section par laquelle on doit commencer, c’est celle de Louvain à Liége.

Quand on aura acquis la preuve que cette construction est favorable au commerce, la législature pourra, en connaissance de cause, voter l’exécution des autres sections de la route.

Quant à présent faisons le nécessaire et rien de plus.

J’espère que sentant l’importance de ces observations, les députés des Flandres imiteront la conduite des députés du Hainaut, et ne persisteront pas dans une demande qui, sans utilité, entraînerait le trésor dans une dépense immense.

M. Devaux. - Je n’étais pas au commencement de la séance ; je demande si la discussion porte exclusivement sur l’amendement de M. Quirini. (Oui ! oui !)

Messieurs, je ne connais pas d’amendement moins fondé en raison, moins logique, moins appuyé sur les faits que celui de M. Quirini, et qui tend à borner la route en fer à Louvain. Quelle est la position de Louvain ? Les communications par eau vers l’Allemagne cessent à Louvain ; de là obstacle pour le commerce et nécessité de transbordement.

Par suite de cet obstacle on a créé à Louvain le commerce de commission. Si nous nous arrêtions à des considérations pareilles à celles qu’on fait valoir, qu’aurais-je fait ? Moi, député de Bruges, j’aurais demandé que la route en fer s’arrêtât à Bruges. Arrêter la route à Louvain, c’est arrêter la route à ce qu’elle aurait de plus onéreux : c’est la route vers Bruxelles et Anvers qui sera la partie la plus productive. Tous les arguments qu’on a fait valoir devraient conduire à ne pas arrêter la route à Louvain, mais à la pousser jusqu’à Bruxelles.

Je crois que l’embranchement des Flandres ne sera pas onéreux à l’Etat, qu’il sera productif et qu’il rendra productives les autres parties de la route. Dans les calculs qu’on vous a présentés, on s’est borné à considérer la circulation actuelle ; mais l’avenir en promet une bien plus considérable.

Je ne parle pas des considérations politiques : si la nationalité de cette partie de la route n’est pas comprise, je désire qu’elle soit méditée. Je suis trop fatigué de la longueur de la discussion pour revenir sur cette partie du débat : qu’on se mette une carte géographique de l’Europe sous les yeux, et on verra que la voie que le voyageur doit choisir pour aller de l’Allemagne en Angleterre et en Amérique est tracée à travers la Belgique ; il est donc certain que, dans un avenir très rapproché, toute l’immense circulation de voyageurs qui se rendent de l’Allemagne à la mer le sera sur notre territoire quand nous aurons un chemin de fer, et quand même il y en aurait un de Strasbourg à Paris, parce que ce chemin de fer de Strasbourg fera un coude considérable pour aller à un port de mer.

Si vous considérez les avantages incontestables d’économie, de temps et de frais que les routes en fer présentent aux voyageurs, vous serez persuadés qu’elles seront préférées à toutes les autres communications. Le trajet d’Ostende à Douvres se fait en 8 heures…

M. Dumortier. - Vous voulez dire en 12 ou 13 heures ?

M. Devaux. - Par cela seul que ce trajet en mer est court, il sera préféré. Celui de Calais à Douvres se fait en 4 heures, et vous savez qu’on le recherche.

Messieurs, on vous a montré que sur le Rhin, depuis la navigation à vapeur, cent mille voyageurs qui n’ont pas été enlevés aux diligences, et aux autres moyens de communication, ont fréquenté les bateaux à vapeur. Voilà ce qui résulte de la rapidité des moyens de voyager. Je ne demande pas cent mille voyageurs sur le chemin en fer ; accordez m’en cinquante mille nouveaux : comme chacun, d’après le tarif, paiera 10 francs, voilà un revenu de 500 mille francs sur lequel on n’a pas compté.

Plus vous facilitez les voies de communication, plus vous multipliez les voyageurs ; cette multiplication est infinie. Ce n’est pas tout : vous aurez le transit des lettres de l’Allemagne vers l’Angleterre et l’Amérique. Que demande la poste aux lettres ? elle demande de la rapidité ; or il sera impossible à prendre une voie plus rapide qu’à travers la Belgique. Il s’agit ici de l’Allemagne septentrionale et d’une grande partie de l’Allemagne méridionale. Chaque ordinaire de la Belgique transporte quatre à cinq cents lettres pour et autant au retour ; est-ce trop croire que le transit de ces lettres, pour une population dix fois plus forte que la nôtre, triplera le nombre de lettres de l’ordinaire ? Mais donnez seulement l’ordinaire et mettez cent mille lettres à un demi-franc, vous aurez un revenu de 150 mille francs. Ce sont là des éventualités, cependant si vous ne voulez pas borner l’avenir à deux ou trois ans, mes prévisions ne sont pas assez fortes.

Permettez-moi, messieurs, de parler d’un genre de commerce qu’on a tourné en ridicule. Je ne connais rien de noble ni de ridicule en fait de commerce ; je crois que tout commerce n’est pas moins noble que tout autre commerce. On a dit que 70 bateaux pêcheurs existaient seulement à Ostende ; mais, par la confection de la route en fer, aucun port ne sera dans une position aussi avantageuse pour la pêcherie : il sera sans concurrents : il sera en communication avec une partie très étendue du continent, et le poisson frais, qui ne se consomme que sur une partie du littoral, pourra se consommer, par suite de la rapidité du transport, dans l’intérieur des terres, et la consommation deviendra immense.

Je pourrais parler d’autres avantages de la route ; mais je crois que quelques exemples suffisent pour montrer quels pourront être nos revenus dans l’avenir.

J’ai entendu faire une objection par M. de Robaulx ; il a dit : Si vous demandez un embranchement pour les Flandres, le Hainaut en demandera un, quoiqu’il n’en ait pas besoin.

M. de Robaulx. - Le Hainaut ne veut pas de chemin en fer le long des canaux.

M. Devaux. - L’embranchement sur Ostende est un complément indispensable de sa route : les autres embranchements ne présentent pas la même importance. Mais, dit-on, enfin, l’étendue de l’entreprise la rend avantageuse : Je dirai sur ce point que hier, à la section centrale, M. le ministre de l’intérieur a proposé un amendement qui calmera beaucoup de craintes et qui présentera plus de garanties que l’amendement présenté par M. de Theux.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier) - Je présenterai bientôt mon amendement. Quant à la proposition de M. Quirini, je dois la combattre de la manière la plus absolue, attendu qu’elle dénature le caractère de la route.

Nous voulons faire une route commerciale, une route nationale, une route de transit, nous ne retrouverions plus ces avantages dans une route de Verviers qui viendrait mourir à Louvain. Ce serait une route construite sur un plan nouveau, et le gouvernement ne l’a point examiné. Je ferai une observation qui montrera l’inutilité de la proposition de M. Quirini : il ne veut pas que la route aille au-delà de Louvain ; mais empêchera-t-il l’intérêt particulier de prolonger cette route, de faire la route de Bruxelles à Anvers, de Louvain à Malines, etc. ? Messieurs, je ne mets pas en doute que ces routes seraient entreprises ; depuis un an des demandes ont été faites au gouvernement : la ville d’Anvers, sans doute, ferait un sacrifice pour obtenir une route en fer sur Bruxelles.

M. Jullien. - Laissez-la faire.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier) - Mais on retomberait dans les inconvénients de l’exécution par l’intérêt privé. Les entreprises par des concessionnaires ne peuvent ici convenir au pays, parce qu’ils exploiteraient la route de la manière la plus onéreuse pour le commerce, nous ne le voulons pas même dans l’intérêt de Louvain et de Liége. D’après nos calculs, c’est par les grands produits de la route de Bruxelles à Anvers, que nous pouvons nous promettre de diminuer les transports de Louvain à Liége, ou de les fixer à un taux modéré.

Je prie l’honorable M. Quirini de vouloir bien réfléchir à cette conséquence des routes exécutées par concession ; la ville de Louvain y perdrait si on admettait les concessions ; et le gouvernement y perdrait aussi, parce qu’il ne pourrait pas établir les péages sur les différentes parties de la route à un taux modéré, au moyen des compensations que les bénéfices de la route d’Anvers à Bruxelles lui présenteront pour les routes qui produiront moins.

M. Davignon. - Je présenterai d’abord quelques observation pour rencontrer ce que vient de dire l’honorable M. de Robaulx.

La création d’un chemin en fer le long ou dans les environs d’un canal ou d’une rivière peut être avantageux et nécessaire dans certaines circonstances. Il est question actuellement d’en construire un d’Amsterdam à Cologne, et on va mettre la main à l’œuvre sous peu, s’il faut ajouter foi à l’assurance donnée par un ingénieur hollandais à un membre de cette assemblée qui nous a donné lecture de la lettre qu’il avait reçue à ce sujet.

Il est également question d’en construire un de Manheim à Bâle quoique la communication entre ces villes soit établie par le Rhin.

C’est pour nous mettre à l’abri des tracasseries que pourrait nous susciter la Hollande dans le passage des eux intérieures, qui nous est assuré, mais avec des péages, c’est pour éviter les retards occasionnés par les glaces, dont chaque année le commerce souffre, dont quiconque est dans les affaires éprouve les inconvénients, que nous nous sommes décidés à établir une communication avec le Rhin par un chemin de fer.

Admettre le système de M. Quirini, ce serait faire crouler l’édifice dont tout le monde a reconnu l’utilité.

On me croira désintéressé dans le débat actuel, puisque l’amendement proposé assure la construction jusqu’à Verviers et même au-delà ; il ne s’agit pas d’établir ou de donner suite à des voies navigables, comme vient de le dire l’honorable comte de Mérode ; celles qui existent conserveront leur utilité, mais ne seront plus augmentées que dans des cas bien rares.

Je ne crois pas me tromper en émettant l’opinion qu’il n’est nullement entré dans l’intention de la chambre de faire des essais, mais d’établir, par un système de routes à ornières de fer, de grandes communications pour lier toutes les parties du pays. Tous les motifs qui militent en faveur de cette conception ont été trop longuement développés pour vous en fatiguer de nouveau.

La proposition de l’honorable député de Louvain ne tend à rien moins qu’à dénaturer le projet et à faire manquer le but qu’on s’est proposé. Une considération principale, irréfutable, doit dominer ici : c’est qu’il suffirait de régler la construction de la route par fractions incertaines et conditionnelles pour engager la compagnie rhénane à ajourner le commencement de ses travaux.

Son unique but est de se mettre en rapport direct, immédiat, non pas avec Louvain ou une autre localité quelconque, mais avec l’Escaut et la mer. Elle veut obtenir économie, et surtout célérité par le mode proposé on n’obtiendrait entièrement ni l’une ni l’autre,

La conséquence de ceci, messieurs, serait que le commerce de Cologne n’aurait plus de confiance en nous, et pourrait bien nous abandonner à nos hésitations, à nos tâtonnements ; il finirait par tourner ses vues et ses plans vers un autre pays malgré l’éloignement que lui avaient inspiré les procédés antérieurs.

L’honorable député de Bruges vous a démontré la nécessite d’une communication d’Ostende au Rhin ; vous avez apprécié les considérations politiques qui en prescrivent le besoin. Ceci satisfait les deux Flandres.

Pour ce qui concerne la province du Hainaut, elle trouvera ses apaisements dans l’amendement de l’honorable M. de Puydt, si, comme le propose la section centrale, il est adopté, outre qu’un embranchement de la route en fer lui est assuré par le projet.

De cette manière tout le monde serait d’accord. C’est pour atteindre ce but si désiré, que je refuserai mon assentiment à la proposition de M. Quirini.

M. Polfvliet. - Je me souviens, messieurs, qu’une société d’amis à Malines se proposa de faire une excursion à Louvain par le canal ; lié dans ce temps avec la respectable maison commerciale Serruys d’Ostende, à ma sollicitation les MM. Serruys eurent la complaisance de me confier gratis leur navire nommé la Rosalinde, pour cette partie de plaisir ; voulant retourner de Louvain à Malines avec notre navire, mon étonnement fut grand quand nous nous trouvions empêchés de partir avec ce navire sans autre charge qu’une cinquantaine de personnes, et cela parce que le navire touchait le fond. Il est vrai de dire que toutes les écluses de la Dyle qui nourrissent le canal furent spontanément ouvertes et que c’était avec la plus grande difficulté, que ce navire, les eaux du canal parvenues au plus haut degré, a pu partir ; joignez à ceci que les ponts et écluses sont si étroits, qu’à tout instant nous nous trouvions arrêtés avec notre navire, parce que pour passer ces ponts et ces écluses, il n’y avait pas plus d’un pouce d’espace vide : vouloir se servir du canal du Louvain pour quelque navire d’un certain tonnage, c’est impossible. Il faudrait donc un second et un troisième bateau, peut-être un quatrième d’une moindre dimension, il faudrait transborder et transborder les marchandises, ce qui ferait un grand retard toujours nuisible ; il faudrait se procurer un commissionnaire à Anvers, il en faudrait un à Louvain, et vous savez tous combien ces commissions coûtent et combien elles font tort aux transactions commerciales ; c’est pourquoi je voterai contre l’amendement de M. Quirini.

(Moniteur belge n°86, du 27 mars 1834) M. Dumortier. - Je déclare d’abord que si un préopinant a trouvé qu’il n’y avait rien de moins logique, de moins fondé en fait que l’amendement de M. Quirini, c’est qu’il n’a pas pris la peine d’écoute le discours de M. le comte de Mérode, qui n’est basé que sur des faits, rien que sur des faits.

Du reste, je le répète, je me rattacherai toujours à toute proposition qui aura pour but de ne pas grever le trésor public, et c’est ce qui arrivera pour l'embranchement de Malines à Ostende. Je voterai donc pour l’amendement de M. Quirini et je m’appuie sur les motifs développés par l’honorable M. de Mérode.

Je répondrai maintenant à M. Devaux ce sur qu’il a dit des ressources pour couvrir l’intérêt de la dépense de l’embranchement vers Ostende. L’honorable M. Devaux a cité le transport du poisson, des lettres et des voyageurs.

Examinons donc quels produits ces divers objets peuvent rapporter.

Quant à moi, je verrais avec le plus grand plaisir le commerce du poisson prendre une grande extension. Cette branche peut être en quelque sorte considérée comme l’agriculture de la mer, et de nature à assurer des revenus certains pour ceux qui s’en occupent ; mais je vous le demande, est-ce avec les 40 ou 60 bateaux pêcheurs que nous avons, que nous pourrons couvrir les intérêts de la route en fer ? Doublez, triplez-les même : pensez-vous qu’ils puissent jamais rapporter un revenu suffisant pour couvrir le montant de la dépense ?

Quant au revenu des postes, le préopinant reconnaît lui-même que son évaluation était exagérée.

D’ailleurs, l’administrateur général des postes vous a dit, il y a quelques jours, que la Belgique transportait presque toutes les lettres de l’Allemagne pour l’Angleterre.

S’il en est ainsi, la recette n’augmentera pas dans la proportion indiquée par l’honorable M. Devaux.

Reste donc le transport des voyageurs !

Comment est-il possible que le nombre des voyageurs puisse augmenter dans la proportion déterminée par le préopinant, alors que vous réfléchissez que la route ira aboutir aune impasse sans issue ?

A coup sûr ce ne sera pas la ville d’Ostende, qui compte au plus 10 ou 12 mille habitants, qui pourra fournir 50 mille voyageurs.

- Une voix. - Et les voyageurs d’outre-mer ?

M. Dumortier. - Les voyageurs d’outre-mer ! Mais il faut bien peu connaître le mouvement des voyageurs pour croire qu’il puisse s’élever à un chiffre aussi considérable.

D’ailleurs, messieurs, en admettant même le chiffre de 50 mille, vous n’avez pas encore la sixième partie des revenus nécessaires pour couvrir le montant de la dépense.

J’ai établi dans une séance précédente que, pour pouvoir construire le chemin de fer et pour que la recette ne reste pas au-dessous de la dépense, il fallait transporter au moins 300 mille tonneaux ou voyageurs.

Si donc vous admettez le chiffre de 50 mille voyageurs que l’on suppose, vous aurez encore un déficit de 250 mille voyageurs.

Qu’est-ce qui fait d’ailleurs le principal des bénéfices des chemins de fer ?

C’est de pouvoir, au moyen d’une machine locomotive, transporter à la fois une masse considérable de marchandises.

Mais quand vous aurez fait voyager vos 50 mille personnes, les lettres, le poisson, toutes choses d’un poids peu important, vous n’en retirerez qu’un bien faible bénéfice. La Flandre ne produit ni houille, ni chaux, ni fer, ni enfin aucune matière pondéreuse. Vous ne pourrez pas avoir sur la route d’Ostende à Malines, comme sur celle de Liége à Louvain par exemple 4, 5, 8,10 wagons à la suite des uns des autres, vous aurez au plus une diligence ou un chasse-marée ; vous ne retirez donc pas l’intérêt de votre argent.

M. Teichmann, inspecteur général des ponts et chaussées, vous a formellement déclaré que jamais cette partie de route ne rapportera ce qu’elle aura coûté.

M. A. Rodenbach. - Qu’est-ce que cela prouve ?

M. Dumortier. - Ce que cela prouve, c’est que l’Etat ou le trésor sera en déficit, et que vous n’aurez point ce gouvernement à bon marché, que vous réclamiez si vivement au congrès, réclamation dont, je le remarque avec peine, on s’écarte chaque jour.

Je dirai donc que M. Teichmann avait déclaré que la partie de la route en fer de Malines coûterait beaucoup et ne rapporterait jamais l’intérêt de la dépense.

En effet, pour qui connaît le terrain, et j’ai parcouru à pied tout l’emplacement sur lequel le chemin doit passer, il est évident que les travaux d’art ne seront pas moins coûteux que pour la partie de Liège. Vous n’aurez pas, je le sais, de percements souterrains à faire, point de rochers à tailler ; mais, à la hauteur de Maldeghem entre Gand et Bruges, et vers Ostende, vous rencontrerez des terrains marécageux, comme ceux qui existent entre Liverpool et Manchester ; vous serez obligés, pour asseoir votre route sur une base solide, de faire des travaux dont il vous est impossible de calculer l’importance et qui vous coûteront aussi cher peut-être que ceux à faire entre Liége et Verviers. Cela est tellement vrai que la route pavée actuelle d’Ostende à Bruges offre une lieue et demie de détour ; celle de Gand à Bruges trois à quatre lieues, tant il a fallu s’écarter pour ne pas rencontrer ces marais fangeux que l’on prétend trouver avec la route en fer.

Remarquez ensuite que si vous construisez votre route dans le voisinage des canaux, vous serez obligés d’indemniser les constructeurs de ces canaux.

Ainsi qui est-ce qui a construit le canal de Louvain, par exemple ? C’est la ville elle-même, elle en a fait les frais ; le magnifique canal de Gand à Bruges a été creusé aux frais de la province ; en résumé ce sont les communes ou les provinces qui ont supporté ces frais. Ainsi, quand vous viendrez avec votre chemin de fer leur enlever les bénéfices qu’elles font aujourd’hui, elles seront en droit de vous réclamer des indemnités qu’en bonne justice vous ne pourrez pas leur refuser. Il m’est donc bien démontré que les routes en fer ne doivent jamais être établies parallèlement avec les canaux.

M. Devaux, en parlant de l’amendement de M. Quirini a dit qu’il ne trouvait rien de moins logique : moi je pense, au contraire, qu’il n’y a rien de plus logique que cet amendement, puisqu’il repose sur ce grand principe, que là où les canaux finissent les chemins de fer doivent commencer.

Messieurs, je dis qu’à l’exception de quelques cas bien rares, jamais on ne fait de routes en fer parallèles à d’autres communications. On a cité les communications de Liverpool à Manchester et les deux routes en fer construites sur les bords du Rhin. Il y a à cela une réponse bien facile. Quant aux canaux de Liverpool à Manchester, c’est à cause que les moyens de communication étaient insuffisants qu’on les a construits. Le second canal a été construit à cause de l’insuffisance du premier, et la route en fer a été construite par suite de l’insuffisance des deux canaux.

Je pense qu’on ne voudra pas prétendre que les beaux canaux de Flandre sont insuffisants pour les transports.

Quant aux routes établies sur les bords du Rhin, pourquoi les a-t-on faites ? C’est qu’il s’agissait de remonter le Rhin, dont la remonte est très difficile ; s’il eût existé un canal latéral, ces routes en fer n’auraient jamais été établies, parce que le transport par canal est toujours excessivement moins frayeux.

On a cru encore présenter un argument irrésistible, en disant : En hiver les canaux sont gelés, il faut un chemin de fer pour effectuer les transports pendant l’interruption de la navigation. Je ne sais pas en vérité comment on peut avancer un argument aussi futile. Comment, les canaux sont gelés en hiver ? Mais est-ce que l’Escaut ne charrie pas des glaces quand les canaux sont gelés, et alors n’est-il pas fermé ? Les routes en fer alors ne pourront plus fonctionner.

Maintenant, messieurs, je dirai quelques mots sur ce qu’a dit le préopinant relativement aux dispositions du commerce de Cologne. Je suppose que la chambre ne sera pas disposée à se laisser prendre à toutes ces espèces de fantasmagories. Elle a été plusieurs fois dupe de ces correspondances intimes. Vous vous souvenez de ce qui est arrivé lors de l’élection du duc de Nemours : alors aussi on avait une correspondance sur la foi de laquelle on pouvait donner les assurances les plus positives, on savait, on avait appris en haut lieu des choses qu’on pouvait proclamer hautement. Qu’est-il advenu ? Quand on est arrivé en haut lieu, il s’est trouvé qu’on n’avait appris rien du tout : c’est la même chose ici. Je me défie des correspondances particulières.

J’ai établi que la société du Rhin, loin d’avoir couvert ses dépenses, n’avait trouvé de souscripteurs que pour un million et demi de francs.

- Une voix. - C’est inexact.

M. Dumortier. - C’est inexact ? Je l’ai prouvé pièces en main.

A la fin de février, la société n’avait pas encore fait un million et demi de fr. En supposant que toutes les actions soient prises, que va-t-il résulter du vote que vous avez émis hier ? que nous allons nous soumettre à cette société, qu’elle nous dictera des lois. Nous ne pouvons pas dépenser ainsi des millions pour cette route sans avoir des garanties de la part de la société prussienne. Voilà le premier résultat du système de non-concession, c’est de nous mettre à la merci des caprices de la société du Rhin, qui viendra dire : Si vous ne voulez pas faire la route jusqu’à tel point, je vais y mettre des entraves ; si vous ne me laissez pas la grosse part dans les bénéfices, je ne ferai pas la route. Et vous vous trouverez dans un cul-de-sac sans issue. C’est là la conséquence de ce qu’on a fait hier.

Je ne terminerai pas sans dire quelques mots sur ce qu’on a appelé les considérations politiques. Quant à moi, j’ai toujours défendu beaucoup plus que les députés d’Anvers eux-mêmes la souveraineté de l’Escaut, que je regarde comme un point de la plus haute importance pour la Belgique. Dans mon opinion, ce serait en faire abnégation que de voter une route en fer à travers les Flandres, ce serait rendre moins grande l’importance du port d’Anvers, importance que nous ne devons jamais chercher à diminuer en aucune manière. La législature qui l’atténuerait, manquerait à son devoir, à ses obligations envers le pays tout entier.

J’ai entendu un honorable député d’Anvers dire qu’il y avait association entre les députés des Flandres et les députés de Liége et Anvers. Si un tel fait était vrai, si un pacte avait été fait entre les députés de ces provinces pour se partager les dépouilles du pays, notre devoir serait tout tracé ; si des députés se réunissaient, s’entendaient ainsi pour former une majorité, notre devoir serait de sortir de cette enceinte et de les abandonner à leur seul vote.

J’espère que les députés des Flandres sentiront que dans de pareilles circonstances il ne faut pas sacrifier le pays à des calculs d’intérêt et de localité. Qu’ils fassent comme nous, nous nous contentons de nos canaux plutôt que de voir grever le trésor pour nous procurer une communication nouvelle, et nous avons préféré voter dans l’intérêt du pays que dans l’intérêt de la ville que nous représentons. Voilà comme les députés du Hainaut ont compris leur devoir et comme j’espère que les députés des Flandres comprendront le leur. C’est, au reste, à leur propre intérêt que j’en appelle. N’avez-vous pas, députés des Flandres, déposé une proposition sur les lins et les toiles ? Eh bien, si vous persistiez à vous entendre avec les députés d’Anvers, de notre côté nous voterions contre vous ; nous dirions que, dans l’intérêt des consommateurs, nous voulons la libre entrée des toiles. Voilà comme nous nous conduirions.

M. Legrelle. - Je demande la parole pour un fait personnel. Messieurs, je ne puis laisser sans réponse ce que vient de dire l’honorable préopinant. Je ne crois pas avoir dit un seul mot qui ait pu donner à penser qu’un pacte aurait été fait entre les députés des Flandres et les députés d’Anvers. S’il y association, c’est dans la nature des choses ; si leurs opinions se sont rencontrées, c’est que les intérêts étaient les mêmes : mais pour ma part j’atteste qu’il n’y a eu aucune association, aucun pacte entre eux pour les faire prévaloir. Ce que j’ai voulu signaler, c’est la communauté d’intérêts qui était la conséquence de la proposition de la section centrale, et pas autre chose. Mais l’honorable préopinant, selon sa louable habitude, a dénaturé mes paroles et ma pensée.

M. Dumortier. - Je ne répondrai qu’une seule chose. Je demanderai à l’assemblée si j’ai dénaturé les paroles de l’honorable M. Legrelle.

- Plusieurs voix. - Non ! non !

M. Davignon. - Ce que vient de dire l’honorable préopinant concernant la compagnie rhénane n’est pas exact : je dois croire aux renseignements qui ont été donnés, non par ma propre correspondance, mais par celle d’une maison très respectable du pays, qui m’a assuré que la souscription proposée par le comité de Cologne était remplie. Pareille assurance m’a été répétée hier, ainsi qu’à plusieurs de nos collègues par un négociant de cette dernière ville qui se trouve ici.

Je saisis cette occasion pour vous dire, messieurs, que ce n’est pas sur des correspondances de commerce basées les assertions données par M. Smits dans une séance précédente ; c’est sur une pièce officielle, à laquelle j’ai aussi fait allusion et qu’on a osé qualifier de compérage. Cette pièce, que je tiens en main, émane du comité nommé par la ville de Cologne, et sur laquelle figurent les signatures de :

MM. Stemberger, premier bourgmestre ; Camphausen, Schnitzler, Boecker, Deichmann, Merkens et Koch, banquiers et négociants de premier ordre.

Ces deux derniers sont en même temps députes à la diète rhénane.

Qu’on juge si des hommes aussi honorables se prêteraient à un compérage !

Et qu’on veuille bien me dire de quel côté est la fantasmagorie.

M. le président. - La parole est à M. Quirini.

- Un grand nombre de membres. - Non ! non ! la clôture !

- La chambre, consultée, ferme la discussion.

L’amendement de M. Quirini est mis aux voix. Il n’est pas adopté.

M. le président. - Nous passons à la discussion des autres amendements sur l’article premier présentés par MM. Gendebien, de Puydt, Pollénus et Dumortier. Ce dernier a été adopté en partie par la section centrale.

Plusieurs membres. - Et celui de M. de Theux.

M. le président. - Il se rapporte à l’article 2.

M. Gendebien. - Il me semble que l’amendement de M. de Theux doit être discuté le premier. Cet amendement suppose un principe qui a été adopté implicitement par la chambre quand elle a décidé que les chemins de fer seraient exécutés par le gouvernement.

M. Trentesaux. - L’amendement de M. de Theux suppose un article premier par lequel un principe est décrété ; on ne peut pas voter sur la manière de mettre le principe à exécution si on ne vote d’abord le principe lui-même.

M. le président. - L’amendement de M. Gendebien contient deux parties.

M. Jullien. - Je crois que l’amendement de M. Gendebien doit être discuté avant celui de M. de Theux, par la raison bien simple que cet amendement est ampliatif de l’article premier. On demande, en effet, un embranchement pour la province du Hainaut ; mais quel est l’objet de l’amendement de M. de Theux ? C’est de laisser subsister le principe de l’article premier en le restreignant dans l’exécution. On doit discuter d’abord l’amendement qui amplifie l’article premier.

M. Gendebien. - Vous avez décide implicitement qu’on ferait des chemins en fer, en rejetant le principe des concessions et en décidant qu’ils seraient exécutés par le gouvernement : dès que vous admettez les chemins en fer, ce n’est pas contrarier les idées logiques que de prononcer sur l’amendement de M. de Theux avant de prononcer sur le mien.

Si on ne suit pas la marche que j’indique, on va être entraîné dans des discussions de faits pour lesquelles on n’a pas de renseignements ; car vous allez discuter l’utilité des embranchements demandés.

M. Trentesaux. - Pour répondre à M. Gendebien, je prendrai sa proposition : Nous ne pouvons parler avant d’admettre en principe si des chemins en fer seront établis.

M. Gendebien. - Le principe de l’existence des chemins en fer est adopté.

M. Smits, rapporteur. - La chambre a admis implicitement les chemins en fer ; mais la chambre n’a pas prononcé sur leur tracés. L’amendement de M. de Theux doit faire l’article premier.

M. Gendebien. - Eh bien ! discutons comme on le propose et nous en avons pour longtemps !

M. Devaux. - Je sens bien que l’ordre logique indique la marche tracée par M. Smits ; mais cela allongera la discussion. En prononçant sur l’amendement de M. de Theux, nous n’aurons plus à nous occuper que de la question du Hainaut, et c’est le mode le plus court.

M. Legrelle. - L’intérêt du Hainaut n’est pas que son embranchement soit discuté un peu plus tôt, un peu plus tard ; il faut délibérer sur l’article premier. L’amendement de M. de Theux n’est qu’un corollaire de l’article 2.

M. Gendebien. - Qu’on procède comme on voudra ; pour ne pas allonger ce débat, je retire ma proposition.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Je la reprends. L’amendement de M. de Theux a quelque analogie avec celui de M. Quirini ; ainsi, pour abréger une discussion fort longue, il faut examiner l’amendement de M. de Theux qui admet le système général des routes en fer. L’honorable membre croit utile de commencer par la route de Louvain à Liége : nous pensons qu’un pareil mode d’exécution n’est pas admissible. J’insiste pour que l’on continue la discussion sur l’embranchement de Louvain à Verviers.

M. Doignon. - Je prends pour mon compte la proposition de M. Gendebien ; c’est ainsi que la section centrale a procédé dans l’examen des amendements. Elle a rejeté à l’unanimité celui de M. Quirini, et à la presque unanimité celui de M. de Theux.

M. Jullien. - Il ne faut pas que la chambre prenne le change sur les paroles du ministre de l’intérieur, Il trouve qu’il y a de la ressemblance entre l’amendement de M. de Theux et celui de M. Quirini, et il veut profiter de la défaveur jetée sur l’amendement de ce dernier pour faire écarter l’amendement du premier. M. de Theux veut une épreuve et laisse l’article premier en son entier. Je n’attache pas grande importance à ce que l’on commence par tel ou tel amendement, mais je ne veux pas que la chambre soit exposée à prendre le change sur l’analogie prétendue entre les deux amendements.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - En reprenant tout à l’heure la proposition de l’honorable M. Gendebien, je n’ai eu pour but que de simplifier la discussion ; il n’y a pas eu de tactique de la part du gouvernement, il n’a pas voulu non plus faire prendre le change à la chambre. Dans une question aussi importante que celle-ci, je regarderais comme au-dessous de moi de recourir à d’aussi petits moyens, et j’avoue que c’est une chose qui passe ma portée que les finesses que m’attribue M. Jullien. La chambre rendra, je l’espère, plus de justice à ma conduite.

- Plusieurs voix. - Oui ! oui !

M. de Theux. - Messieurs, c’est le règlement à la main que je viens m’opposer à l’ordre de délibération qui vous est proposé.

Il porte en effet que la discussion s’ouvrira successivement sur chaque article ; vous ne pouvez donc pas faire discuter, avant la délibération sur l’article premier, un amendement qui se rapporte à l’article 2 ; ce serait une violation du règlement.

M. le président. - Je mets aux voix la proposition de discuter l’amendement de M. de Theux, au lieu de continuer la délibération sur l’article premier.

Articles 2, 6 et 12

M. de Theux. - M. le ministre a annoncé qu’il aurait sur le même article des amendements à proposer ; je désirerais qu’il les fît connaître.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Mes amendements ne concernent pas directement l’article 2, mais bien les articles 6 et 12 du projet.

Ils sont ainsi conçus :

Art. 6. En attendant la négociation de l’emprunt, qui ne pourra avoir lieu avant le 1er juillet 1835, le gouvernement est autorisé à faire sur le trésor public une avance de 5 millions de francs, et à émettre des bons du trésor jusqu’à concurrence de la même somme. »

« Art. 12. Avant le 1er juillet 1835, et d’année en année jusqu’au parfaitement achèvement des travaux, il sera rendu un compte détaillé aux chambres de toutes les opérations autorisées par la présente loi. »

Messieurs, d’après les développements de l’amendement de M. de Theux, l’établissement de la route en fer de Louvain à Liége serait proposé en grande partie comme moyen d’essai.

D’après les amendements que je viens d’avoir l’honneur de vous présenter, le gouvernement se soumet de lui-même à l’espèce d’épreuve par laquelle doit passer une entreprise qui nécessite l’emploi de capitaux considérables. Si les essais que nous allons faire ne réussissaient pas, et, pour moi, j’ai la conviction intime qu’ils offriraient promptement des résultats importants ; si, dis-je, ces essais ne réussissaient pas, le trésor ne se trouverait pas entraîné dans une dépense considérable.

Le gouvernement a l’intention de mettre la main à l’œuvre aussitôt que la loi aura été adoptée. Il se propose de commencer par la section de Bruxelles sur Malines.

Par l’établissement de cette partie de la route, nous serons à même de reconnaître bientôt si nos évaluations en dépenses sont ou ne sont pas exactes, quant à l’acquisition des terrains, quant au prix des railways, des travaux d’art, et enfin de tous les ouvrages sur le prix desquels il s’est particulièrement élevé des doutes.

Deux millions au plus suffiront pour la partie à construire entre Bruxelles et Malines. Elle sera promptement faite, et, d’ici au premier juillet 1835, l’essai qui aura été fait nous indiquera ce que la route aura coûté et déjà même ce qu’elle pourra rapporter.

Si l’on construisait la route de Louvain à Liége, les dépenses seraient très considérables, et l’épreuve ne saurait être faite de sitôt d’une manière complète, car les travaux entre Liége et Louvain demanderont au moins deux ou trois ans avant d’être achevés.

Si le gouvernement s’était trompé, si cette entreprise, qu’il croit si utile, devait nuire, au contraire, aux intérêts du pays, l’amendement de M. de Theux est bien plus de nature à compromettre ces intérêts que les amendements que j’ai eu l’honneur de vous présenter.

Cependant, en exécutant la route de Bruxelles à Malines, le gouvernement se réserve de commencer ailleurs les travaux là où ils sont le plus nécessaires. La route entre Liége et Louvain nécessitera l’exécution de travaux considérables de terrassement, de déblais et de remblais d’une grande étendue ; la construction de la route dans les Flandres nécessitera d’autres travaux préparatoires qui pourront s’exécuter sans compromettre gravement les finances de l’Etat.

Nous ne doutons pas que la section entre Bruxelles et Malines ne soit terminée avant le 1er juillet 1835. Nous espérons même qu’elle le sera avant le 1er janvier ; mais la prudence nous oblige à prendre plus de latitude. Avant le 1er juillet, nous ferons un premier rapport à la chambre ; s’il n’est pas satisfaisant, si la chambre reconnaît que le gouvernement s’est trompé, que le gouvernement l’a trompée, rien ne sera plus facile que d’arrêter le gouvernement dans la voie désastreuse dans laquelle il serait entré.

La proposition de M. de Theux compromettrait l’intérêt de la route. Vous ne pouvez pas obliger le gouvernement à commencer les travaux par la partie qui exigera le plus de temps. L’amendement laisserait le pays dans l’incertitude sur le résultat de la route, et confierait au gouvernement 11 à 13 millions sans qu’il y eût moyen de s’assurer avant un assez long temps s’ils eût été bien dépensés.

Cette proposition serait de plus une injustice vis-à-vis du gouvernement, en ce qu’elle le forcerait à commencer l’essai de la route par la partie la plus coûteuse et la plus lente à exécuter.

Je dis qu’il est juste que la chambre laisse à l’Etat la latitude de commencer les travaux par la partie que lui offrira le plus de facilité. Assurément la route de Bruxelles à Malines ne sera jamais un travail perdu, alors même qu’on ne ferait les routes ni vers Ostende, ni vers Liége ; on pourrait toujours la prolonger jusqu’à Anvers.

Si les travaux ne commencent que de Liége à Louvain, nous devons craindre que la Prusse dont on a tant parlé, ne sachant pas à quoi s’en tenir, ne choisisse chez nos voisins un chemin qui présente un degré de certitude de plus.

L’honorable M. de Theux ne pense pas que la route entre Bruxelles et Malines puisse être faite par concession. Mais qu’est-ce que le gouvernement aurait de bon à répondre à des actionnaires qui se présenteraient pour exécuter les travaux de Bruxelles à Anvers ? Pourrait-il dire : Nous devons attendre que la route de Louvain à Liège soit terminée ; attendre 2 ou 3 années ? La chambre a voulu qu’il en fût ainsi ; que les villes de Bruxelles et Anvers fussent privées plusieurs années encore d’une communication utile.

Je ne parlerai pas ici de la ville de Bruxelles dont il n’a été nullement question jusqu’ici dans cette discussion, bien qu’il fût très facile de faire sonner haut ses intérêts et de manière à contrebalancer ceux de telles ou telles localités qui ont trouve, comme chacun sait, de très chauds défenseurs dans cette chambre.

M. de Theux. - Messieurs, l’amendement que j’ai eu l’honneur de vous proposer diffère de celui de M. Quirini. Cet amendement se bornait au seul point de Louvain à Liége ; le mien comprend l’exécution du chemin de fer de Liège à la frontière de Prusse. En adoptant mon amendement, vous n’aurez pas besoin d’une loi nouvelle pour le chemin vers la frontière de Prusse ; et, par conséquent, vous éviterez de nouveaux retards. Cet amendement écartait plusieurs des principaux embranchements : ceux vers Anvers, vers Ostende, et vers la frontière de France ; ces embranchements étaient donc laissés à l’industrie particulière, du moment qu’il était décidé que le gouvernement ne les entreprendrait pas, ce qui contrariait en partie la décision que la chambre a prise avant-hier.

J’ai dit que le système de la section centrale et aussi l’amendement de M. le ministre de l’intérieur embrassait l’exécution simultanée et différait du tout au tout avec que j’ai proposé.

L’amendement de M. le ministre n’a nullement pour résultat de garantir les intérêts du trésor ; au contraire, il engage nécessairement l’Etat dans une dépense plus considérable.

En effet, ce n’est pas pour abandonner la route de Louvain à Liège qu’on commencerait sur ce point ; de même que la route jusqu’à Malines, dont on propose l’exécution immédiate, ne s’arrêtera pas là ; car je ne concevrais pas le but d’une route de Bruxelles à Malines, à moins qu’il ne fût uniquement d’exciter la curiosité de ceux qui n’ont pas encore vu de chemins en fer.

De Bruxelles à Malines il n’y a pas de difficultés, pas d’ouvrages d’art. J’admets que MM. les ingénieurs se soient trompés de quelques milliers de francs sur les évaluations ; on ne pourrait pas considérer cette erreur comme un motif pour abandonner l’entreprise.

Lorsque j’avais pensé à l’exécution de la route de Bruxelles à Anvers, j’avais eu en vue l’appréciation des produits de la route ; car, sans doute, on pourrait voir le mouvement des voyageurs sur cette route d’une importance marquée, puisqu’elle réunit les deux principales villes de la Belgique ; mais il n’en peut être de même sur la section de Bruxelles à Malines, qui a peu de relations commerciales.

Les motifs que j’ai allégués contre l’exécution simultanée n’ont pas encore été combattus.

J’ai dit que l’exécution simultanée de toutes les parties de la route aurait pour résultat de retarder l’établissement des communications avec les frontières de l’Allemagne. Je crois que c’est évident pour quiconque a l’expérience des travaux publics : plus on entreprend des travaux sur une grande échelle moins chacune des parties avance. Il est d’une sage administration de commencer par la partie la plus urgente, la plus indispensable, et d’y consacrer tous ses soins et son crédit.

C’est à dessein que je dis tout son crédit, car il ne faut pas se faire illusion, et croire que le crédit restera toujours sur le même pied qu’il est actuellement. Les prévisions financières ne se réalisent pas toujours ; pour le budget de la guerre, nous avions cru pouvoir faire des réductions, et nous avons été obligés de voter de nouveaux crédits pour le service de ce département ; peut-être encore ne suffiront-ils pas. Des événements peuvent survenir en Europe, qui influent considérablement sur le pays. Néanmoins, une fois que vous aurez commencé tous les travaux simultanément, vous serez obligés de les continuer tous, quelque onéreux que puissent être les emprunts, sous peine de vous voir priver de l’objet principal, la route d’un débouché vers l’Allemagne pour votre commerce ; je dis de l’objet principal, car si le projet n’avait été présenté comme une question de transit, j’aurais voté contre.

Je crois que plusieurs de nos honorables collègues pensent, à cet égard, comme moi, et que ce qui les a déterminés à voter hier comme ils l’ont fait, c’est que la route promettait à la Belgique le commerce de l’Allemagne.

Messieurs, je tâcherai de rencontrer quelques-unes des observations de l’honorable député d’Anvers. Après nous avoir annoncé qu’une coalition existait entre Anvers et les Flandres, il nous a appris que c’était un fait résultant de ce que les intérêts de ces provinces se trouvaient liés, mais qu’il n’y avait aucun pacte. J’ai été charmé d’entendre cette déclaration car c’eût été une nouveauté à déplorer, toujours on a cherché à détruire l’esprit provincial, et à établir l’intérêt général du pays, comme but unique des lois que nous portons.

Il serait d’autant plus déplacé de ressusciter ici l’esprit de province, que nous ne sommes plus députés des provinces, mais députés de districts. Sous ce rapport, il y a une grande différence entre notre situation et celle des membres des états-généraux qui étaient élus par les états de chaque province.

Messieurs, le même orateur a dit : C’est par générosité que les députés d’Anvers repoussent notre amendement : c’est pour ne pas laisser croire aux députés des Flandres qu’Anvers aura son embranchement, tandis qu’on n’exécutera pas l’embranchement dans les Flandres. Je répondrai que la loi ne fait pas de distinction entre les directions vers Anvers, les Flandres et le Hainaut ; que la loi consacre l’exécution des diverses parties, et que le gouvernement a trop d’équité pour exécuter la loi dans l’intérêt d’Anvers et négliger ce qui concerne les autres provinces. L’observation faite pour inspirer des craintes au Hainaut et aux Flandres n’est donc d’aucune importance.

On a ajouté : Si vous voulez avoir un chemin, ne faites aucun amendement. Je veux un chemin de fer et cependant je fais un amendement. Je dirai même que je veux le chemin aussi sincèrement que l’honorable député d’Anvers, mais je veux un chemin national et je veux qu’il soit dans l’intérêt le plus général. C’est pour cela que je crois qu’il faut concentrer tous les efforts, tous les moyens du pays pour amener le plus tôt possible l’exécution de la route de Louvain à la frontière de Prusse. C’est parce que j’ai pensé que c’était la section principale, que j’ai présenté mon amendement. Tout en voulant de la route entière, Je crois que la prudence commande de commencer par la partie principale et de différer les autres, jusqu’à ce que le résultat de l’exécution de la première partie soit connu.

On a fait valoir diverses considérations plus ou moins spécieuses en faveur de la direction d’Ostende. Mais je n’ai pas dit que le chemin d’Ostende fût inutile ; si telle eût été mon opinion, je n’aurais pas proposé d’adopter l’article premier, j’aurais appuyé l’amendement de M. Quirini. Cependant son utilité ne peut pas être comparée avec celle de la route de Louvain à la frontière de Prusse. Ceci est si vrai que si vous faisiez le chemin de fer avec tous ses embranchements, vous n’auriez rien si vous si faisiez pas la section de Louvain à la frontière d’Allemagne.

J’ai dit quant aux voyageurs que la route de Louvain à Ostende n’en augmenterait pas le nombre et que l’exécution de celle de Louvain à la frontière de Prusse était suffisante pour déterminer le transit des marchandises. D’après tous les calculs présentés dans cette enceinte, il ne peut pas exister de doute, et surtout il ne peut pas en être élevé par ceux qui ont soutenu l’exécution du chemin par l’Etat.

On a parlé de l’interruption momentanée de la navigation sur les canaux des Flandres, par la gelée, la crue des eaux et le curage des canaux. Mais en vérité ces considérations sont bien minces vis-à-vis de la grande entreprise. Je dis de la grande entreprise, parce que jusqu’à présent il n’est pas démontré qu’elle soit avantageuse à l’Etat. Mais il est suffisamment démontré que la section principale doit être maintenant exécutée, sauf à attendre le résultat de cette exécution pour voir s’il y a lieu de continuer les autres parties de la route.

On a encore ajouté : Il est impossible de savoir le produit présumé de cette route, vous exécutez la partie la moins avantageuse, vous négligez la partie la plus lucrative, vous serez en perte. Messieurs, à moins de n’avoir pas foi dans les calculs de l’administration, les partisans du projet ne peuvent pas soutenir que l’exécution de cette section de la route sera onéreuse à l’Etat.

On a dit : Vous négligez la partie la plus productive ; si vous ne commencez pas en même temps la route au centre du pays, vous aurez un mauvais résultat. Mais, messieurs, j’ai conservé le souvenir des observations que j’ai entendu faire dans des entretiens particuliers, quand j’ai annoncé que je proposerais de commencer par la section de Bruxelles à Anvers. On m’a objecté : Mais vous exposez tout le projet ; la route en fer aura à concourir avec le canal et le service des messageries, il n’est pas certain que la route ne soit pas plusieurs années avant qu’on ne puisse juger ce qu’elle produira. J’ai entendu dire aux adversaires du projet du gouvernement : Si on commence par cette section, cela nous entraînera dans l’exécution de toutes les autres parce que vous prenez pour essai la meilleure partie.

Il résulte de ces diverses opinions que c’est encore un problème que l’évaluation des produits. Tout ce que j’ai entendu, soit dans les discussions particulières, soit dans les discussions publiques, ne m’a pas fait changer d’opinion. Je considère toujours la route, quant à ses produits, comme problématique, tout en la regardant comme utile ; aussi je n’hésite pas à dire qu’il y a des motifs plus que suffisants pour entreprendre l’exécution de la section de Louvain à la frontière d’Allemagne.

On a encore manifesté des craintes sur l’exécution de la route en Prusse, dans le cas où la chambre adopterait mon amendement.

A qui pourra-t-on persuader qu’une société constituée abandonnerait son association par cela seul que nous nous bornerions à exécuter la partie de la route de la frontière de Prusse à Louvain ? Les habitants des rives du Rhin, et surtout les habitants du territoire entre Cologne et Aix-la-Chapelle, n’auraient-ils pas un intérêt immense à faire arriver leurs marchandises à bas prix jusqu’à Louvain et de Louvain à la mer ? Ce n’est pas à moi qu’on fera croire une supposition aussi contraire à la nature des choses. L’Allemagne aura un intérêt évident à continuer la route ; on ne me fera pas croire qu’elle agira contrairement à ses intérêts.

Je bornerai là mes observations, j’en présenterai d’autres non moins importantes si mon amendement est combattu.

M. Bekaert. - Je demande la parole pour un fait personnel.

Il n’existe pas de coalition entre les députés des Flandres et ceux d’Anvers ; nous ne voterons que dans l’intérêt général et pour la prospérité de notre pays.

M. Devaux. - Si je compare l’amendement de M. de Theux aux propositions de M. le ministre de l’intérieur, je donne l’avantage à ces propositions. M. de Theux demande un essai, mais un essai qui coûte beaucoup d’argent et qui donne moins de garanties que n’en offre le gouvernement. D’après cet amendement vous hasarderiez d’abord treize millions et demi ; et si les calculs des ingénieurs sont erronés, comme on l’a dit, vous pourriez hasarder 20 à 26 millions au lieu de 13. Les dépenses les plus grandes à faire dans la route entière sont de Louvain à Liège ; cette section est longue et demandera plus de travaux que les autres : cet essai retarderait de deux ans au moins l’établissement des autres parties du chemin en fer, tandis que si l’on fait l’essai de Bruxelles à Malines, il durera 8 mois environ : ce n’est pas là à proprement parler un retard.

Il faut commencer par une route qui donne des produits. La route de Louvain à Liége en donnera sans doute ; mais elle ne produira que quand elle sera entièrement achevée, c’est-à-dire, au bout de deux ou trois ans. Si vous faites une section entre Bruxelles et Malines, entre Malines et Anvers, ou entre Bruxelles et Liége, vous retirerez immédiatement un intérêt de vos capitaux.

L’honorable M. de Theux a dit que l’amendement du ministre de l’intérieur était contraire aux Flandres. (M. de Theux fait des signes de dénégation).

Il s’est trompé : aussi quand il a été présenté hier à la section centrale, les députés des Flandres l’ont tous accepté.

Un essai fait entre Bruxelles et Malines permettra de travailler aux autres sections de la route : on préparera les terrassements de Louvain à Liége, on s’occupera des expropriations.

Je ne sais pas si la proposition de M. le ministre de l’intérieur a été bien comprise : il propose de dire dans la loi que l’emprunt ne pourra être fait qu’au premier juillet 1835 ; avant l’emprunt une partie de la route de Bruxelles à Malines sera achevée ; le ministre fera un rapport sur ce qu’aura coûté cette section de chemin en fer, et la chambre saura à quoi s’en tenir ; elle aura toute garantie. De toute manière la proposition du gouvernement me semble la plus prudente ; on ne peut pas désirer un essai plus favorable.

M. Gendebien. - Qu’on relise l’amendement du ministre de l’intérieur.

M. Dumortier. - Que cet amendement soit imprimé !

M. Dubus. - On ne peut pas le voter par surprise ; il faut que nous connaissions l’amendement.

M. le président. - La parole est à M. Donny. (Aux voix ! aux voix ! la clôture !)

M. Dumortier. - C’est le ministre de l’intérieur qui a demandé, dans une séance précédente, le dépôt de tous les amendements ; il est étonnant qu’il n’ait pas déposé le sien ou tout au moins qu’il ne l’ait pas fait imprimer. Nous ne pouvons pas voter sur l’amendement de M. de Theux sans avoir examiné l’amendement du ministre.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Si le ministre avait fait imprimer son amendement, avant de le présenter à la chambre, l’honorable membre aurait trouvé ce procédé fort étrange : au reste l’amendement se rapporte à l’article 2 et à d’autres articles.

M. Donny. - Je voterai contre l’amendement de M. de Theux, et par les mêmes raisons pour lesquelles j’ai voté contre l’amendement de M. Quirini. Je sais qu’on a dit qu’il y avait entre les deux amendements une très grande différence ; en effet, ils présentent des différences, mais il y a aussi entre eux de grandes analogies.

L’amendement de M. de Theux peut se traduire ainsi : Il faut ajourner à deux ou trois ans d’ici le projet de construire un chemin en fer pour le transit, et ne faire en ce moment qu’une route en faveur de Liége et de Louvain. La proposition de M. Quirini peut se traduire de cette manière : Il faut abandonner entièrement l’idée de construire un chemin de la mer au Rhin et il faut construire une route en fer en faveur de Louvain et de Liége. Voilà les deux propositions réduites à leur plus simple expression : vous pouvez d’après cela apprécier les différences et l’analogie qui existent entre elles. Pour moi je crois, je le répète, que les motifs pour lesquels j’ai voté contre l’amendement de M. Quirini sont applicables à la proposition de M. de Theux.

On a soutenu que la section d’Ostende à Malines ne donnerait que de produits de beaucoup inférieurs aux dépenses annuelles de cet embranchement ; et à cette occasion M. Dumortier a voulu nous prouver par des calculs qu’il faudrait au moins 300,000 voyageurs par an pour couvrir les frais annuels : si j’ai mal compris son chiffre, je le prie de bien vouloir me rectifier. En lui entendant énoncer ce résultat, j’ai pensé que ses calculs d’aujourd’hui ressemblaient à ceux qu’il a faits il y a quelques jours, et par lesquels il évaluait à un cents et demi par tonneau le montant du péage d’Ostende à Bruges, ou le montant du transport entre les deux villes.

M. Dumortier. - Cette erreur a été reconnue ; c’est du droit de péage que j’ai parlé.

M. Donny. - Je me sers à dessein de la phrase alternative : « montant du péage ou montant du transport. » S’il faut en croire le rapport du Moniteur sur la séance du 21 mars, ce serait du péage que M. Dumortier aurait parlé, bien qu’il ne se perçoit pas de péage sur le canal d’Ostende à Bruges.

Ainsi, si l’on s’en rapporte au compte qu’ont rendu de la séance du 19 mars les sténographes du Moniteur, qui mettent sans doute quelque soin à reproduire les paroles de M. le questeur ; si l’on s’en rapporte aux sténographes de l’Indépendant et à ceux de l’Emancipation ; si, enfin, j’en puis croire mes propres souvenirs, c’est du transport que M. Dumortier a parlé dans la séance du 19.

Quoiqu’il en soit, je tiens à rectifier l’erreur dans laquelle on est tombé lorsque l’on vous a dit que la partie du chemin de fer d’Ostende à Bruges serait peu productive, erreur qui semble s’être accréditée, parce que MM. Simons et de Ridder ont mal établi les évaluations de leurs produits.

Dans un mémoire consacré à l’embranchement de Malines à Ostende, MM. Simons et de Ridder portent les produits de cet embranchement à 493,800 fr. Il faut majorer cette somme ; 1° de 101,200 fr. pour erreur dans l’évaluation du produit des voyageurs de Gand à Bruxelles et de Gand à Anvers ; 2° de 26,750 fr. au moins pour erreur dans l’évaluation du produit des voyageurs entre Ostende et Gand ; 3° de 13,500 fr. au moins pour erreur sur l’évaluation du produit des marchandises entre ces deux villes.

L’erreur relative aux voyageurs entre Gand et Bruxelles ou Anvers provient de ce que MM. Simons et de Ridder ont déduit des produits de l’embranchement des Flandres 92 centimes par voyageur, pour le péage de la section de Malines à Bruxelles ou à Anvers, que ces voyageur doivent parcourir pour arriver à leur destination ; mais si l’embranchement des Flandres n’était pas construit, ce péage ne serait pas perçu attendu que la section de Malines ne serait pas parcourue par les voyageurs en question. Il est, en effet, hors de doute qu’à défaut de cet embranchement, l’on se rendrait directement de Gand à Bruxelles ou Anvers par la route et les voitures ordinaires, et qu’on n’irait pas se faire voiturer d’abord de Gand à Malines pour y prendre ensuite la diligence à vapeur. Les 92 centimes payés sur les sections de Malines par les voyageurs de Gand sont donc une dépendance de l’embranchement des Flandres, et ne devaient pas être déduits des produits de cet embranchement. Cette rectification s’élève 92,000 fr. à quoi il faut ajouter 9,200 fr. ou 10 p. c. pour augmentation de circulation, ensemble 101,200 fr.

L’erreur de fr. 26,750 sur le produit des voyageurs entre Ostende et Gand provient de ce qu’on n’a pas tenu compte de toutes les barques qui circulent entre ces deux villes. Il y en a 10 par jour, et MM. Simons et de Ridder n’ont tenu compte que de 4 ou tout au plus de 6.

L’erreur sur les marchandises devrait être calculée à plus de fr. 90,000, d’après la chambre de commerce d’Ostende ; mais je ne la porte ici qu’à fr. 13,500 fr. que je fais résulter de ce qu’on a omis de comprendre dans les produits de la section d’Ostende des valeurs qu’on a admises dans les calculs de ceux de la section de Malines à Gand, et qui doivent l’être proportionnellement dans les deux sections. je ne fatiguerai pas la chambre par des détails ultérieurs sur ce point.

Comme le résultat des produits rectifiés présente ainsi un chiffre de fr. 635,250, et que les frais annuels ne s’élèvent qu’à 630,000, vous voyez, messieurs, que malgré tout ce qu’on a pu dire à ce sujet, les produits de l’embranchement des Flandres surpasseront les dépenses.

Et veuillez remarquer, messieurs, que jusqu’ici je n’ai rien fait entrer dans mes calculs pour les produits du transit, ni pour les produits des voyageurs entre l’Allemagne et l’Angleterre. Je pense pouvoir établir que le transit seul produirait fr. 245,000, et les voyageurs dont je parle fr. 500,000. Pour ce qui regarde les voyageurs, je n’ai pas établi mes calculs sur le nombre de 300,000 que l’honorable M. Dumortier nous a représenté comme indispensable pour mettre les produits de la route au niveau de ses dépenses. J’ai consulté une brochure allemande sur l’embranchement de Cologne à Verviers…

M. Lardinois. - A la question !

M. Dumortier. - Je demande la parole pour un fait personnel.

M. Donny. - Il m’importe de détruire des erreurs qui semblent avoir pris une certaine consistance ; je demande donc que la chambre veuille bien m’entendre demain, si elle est pressée de lever la séance aujourd’hui.

- Demain séance publique à onze heures.

La séance est levée à 4 heures et demie.