Accueil Séances plénières
Tables
des matières Biographies Livres numérisés Bibliographie
et liens Note d’intention
Séance précédente Séance suivante
Chambre des représentants de Belgique
Séance du vendredi 7 mars 1834
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre
2) Motion d’ordre portant demande de renseignements sur la libération du commissaire de district Hanno par le gouverneur militaire de la forteresse de Luxembourg (d’Hoffschmidt, F. de Mérode, Gendebien, F. de Mérode, d’Huart, F. de Mérode, Dumortier, F. de Mérode, Gendebien, Legrelle, Pirson, F. de Mérode, Gendebien, d’Hoffschmidt, Nothomb, Ernst, d’Hoffschmidt)
3) Projet de loi relatif aux frais d’entretien des enfants trouvés et abandonnés. Répartition de ces frais entre les communes, les provinces et l’Etat et moralité publique (Rouppe, Pirson, Verdussen, Gendebien, de Brouckere)
(Moniteur belge
n°67, du 8 mars 1834 et Moniteur belge n°68, du 9 mars 1834)
(Présidence de M. Raikem)
(Moniteur belge
n°67, du 8 mars 1834) M.
de Renesse fait l’appel nominal à midi et demi.
M. Liedts donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier, qui est adopté sans
réclamation.
PIECES ADRESSEES A
M.
de Renesse. - « Les
conseils de régence de diverses communes du canton de St.-Gilles (Waes)
réclament contre le projet de suppression de ce canton. »
_________________
« Le sieur de Bellemarre, capitaine directeur
adjoint à l’hôpital militaire d’Ypres, demande la naturalisation. »
_________________
« La dame veuve de Henry Lammens, mort des suites des
blessures qu’il a reçues en 1830, demande une pension. »
_________________
« Le conseil de régence de la ville de Venloo
adresse des observations sur les explications données par M le ministre des
finances sur sa pétition, et renouvelle sa demande de rentrer en possession du
passage d’eau sur
_________________
- La première de ces pétitions est renvoyée à la
commission spéciale chargée de l’examen du projet de loi sur la circonscription
des justices de paix. Les autres pièces sont renvoyées à la commission des
pétitions.
MOTION D’ORDRE PORTANT DEMANDE DE RENSEIGNEMENTS SUR
M. d’Hoffschmidt. - Je demande que la
discussion du rapport du ministre des affaires étrangères sur les événements du
Luxembourg soit fixée à demain ou au plus tard à lundi.
Vous avez ressenti vivement, messieurs, l’outrage fait
à la nation par l’enlèvement de M. Hanno ; vous avez, à cette occasion, voté
unanimement une adresse au Roi. La nation et l’Europe entière ont approuvé
votre langage. Mais cet élan général se changerait en blâme si vous en restiez
là, si vous ne soumettiez à aucune discussion le rapport du ministre des
affaires étrangères.
Qu’attendez-vous messieurs, pour cette discussion ?
Est-ce un nouveau rapport de M. le ministre ? Mais c’est nous renvoyer aux
calendes grecques car M. le ministre ne se presse guère de vous présenter ce
nouveau rapport, qui ne sera que le corollaire du premier.
D’ailleurs, les pièces les plus importantes vous sont
connues ; elles ont paru dans les journaux. II ne manque plus que des pièces
qui ne sont pas présentables ; car vous savez qu’il en est de cette dernière
catégorie, et celles-là resteront longtemps enfouies dans le portefeuille
ministériel.
L’outrage que nous avons reçu, messieurs, n’est pas
réparé. Nous ne devons la mise en liberté de M. Hanno qu’à
Sont-ce donc les étrangers qui doivent nous procurer
la réparation de l’outrage que nous avons reçu ? Si l’un de nous, messieurs,
avait reçu un soufflet, chargerait-il quelqu’un de demander une réparation ? Ne
se croirait-il pas obligé de la poursuivre lui-même ? Non sans doute.
Eh bien, messieurs, agissez pour la nation, que vous
représentez, comme vous le feriez pour vous.
Nous devons donc demander une réparation ; nous devons
demander le renvoi du général Dumoulin, sinon envoyer nos troupes dans le rayon
au lieu de les en tenir éloignées, comme on le fait, de 14 lieues. Le
gouvernement lui-même a senti que l’outrage n’est pas réparé ; car il n’a pas
répondu à la 5ème question posée par notre honorable collègue M. Ernst, savoir
si le gouvernement considérait comme une satisfaction suffisante la restitution
de M. Hanno, après qu’il avait été brutalement enlevé de son domicile.
Le ministère, messieurs, a éludé cette question, ou
plutôt il n’y a pas répondu. Le gouvernement non plus que nous ne peut pas
regarder cette satisfaction comme suffisante. D’ailleurs, messieurs, veuillez
revoir la lettre du général Dumoulin du 28 février ; elle est remplie de
menaces, qu’une nation qui se respecte considérerait comme une déclaration de
guerre.
La chambre a-t-elle besoin après cela d’un autre
rapport pour discuter des faits ? Que le gouvernement ne se figure pas qu’il
peut nous tromper sur les conditions auxquelles il a obtenu ce qu’il appelle
une réparation, conditions qui doivent faire rougir les Belges qui ont encore
du sang dans les veines. Nous avons à examiner si le gouvernement n’aurait pas
donné des réparations, au lieu d’en exiger comme il l’aurait dû.
Le gouvernement n’a-t-il pas confirmé en effet la
cessation de la levée de la milice ? Qu’a-t-il ordonné pour les coupes de bois
? Je l’ignore ; mais je ne crois pas qu’il ait osé les approuver purement et
simplement. Il ne les a approuvées, je pense, que sous certaines restrictions ;
il n’en a pas garanti le prix aux acheteurs.
N’attendez rien d’ailleurs d’un ministère disposé à
sacrifier le Luxembourg pour procurer au pays une paix ignominieuse. Voyez en
effet ce qu’écrivent les journaux semi-officiels. Permettez-moi de vous-citer
un passage de l’Union d’hier :
Le correspondant de Nuremberg contient sous la
rubrique de Berlin, 21 février, ce qui suit :
« On apprend que l’arrangement des affaires
hollando-belges va se terminer à Vienne par la cession entière du Luxembourg à
Ah ! messieurs, mettez-vous à la place des
Luxembourgeois ; songez quelle doit être leur inquiétude, lorsqu’ils pensent
que le ministère est capable de les céder pour avoir une paix honteuse.
Une discussion importante est à
l’ordre du jour, celle du chemin de fer. Comment voulez-vous que nous nous
occupions d’un projet qui doit grever le pays de 50 ou 60 millions, nous
Luxembourgeois, dont l’existence est mise en question par l’inertie de notre
gouvernement ?
Est-ce le moment de discuter autre chose ? Vidons
d’abord la question de l’outrage que nous avons reçu ; c’est la question la
plus intéressante pour la nation. J’insiste donc pour que la discussion du
rapport du ministre des affaires étrangères soit fixée à lundi au plus tard.
M.
le ministre des affaires étrangères (M. F. de Mérode) - Toute chose doit avoir un but, et je ne vois pas, je l’avoue, celui
de la proposition de M. d’Hoffschmidt, qui tendrait à fixer à lundi la discussion
sur le rapport que j’ai eu l’honneur de vous présenter.
Nous avons eu une première satisfaction par la
restitution de M. Hanno. D’autres satisfactions sont, demandées mais il faut un
temps moral pour les obtenir. Les choses ne peuvent pas s’arranger en un
instant.
Quant à cette prétention de faire nos affaires
absolument seuls, je déclare pour moi que je ne puis l’avoir. Je ne pense pas
qu’un pays de 4 millions d’habitants puisse résister par lui-même à des
difficultés qui lui sont suscitées par des puissances beaucoup plus fortes que
lui. S’il devait en être ainsi, autant vaudrait déclarer qu’il n’y a plus de
Belgique. Pour moi, dans ce cas, non seulement, je ne voudrais pas être
ministre, mais je ne voudrais plus siéger dans cette chambre comme représentant
du pays.
Quant aux menaces du général Dumoulin, elles n’ont
pas, je crois, servi à grand-chose. Il a bien été forcé de céder : il a mis M.
Hanno en liberté, et il est resté dans les limites du rayon stratégique.
On a parlé d’un article de
M.
Pirson. - L’Indépendant est
plus infâme que tous les journaux allemands.
M. le ministre des affaires étrangères (M. F.
de Mérode) - Je ne sais pas ce que l’Indépendant a à faire ici. Il est
possible que le Courrier Belge
convienne davantage à M. Pirson.
Mais il est certain que la position n’est pas critique. Nous recevons du
Luxembourg des renseignements satisfaisants. On n’y a pas envie d’être écrasé
de logements militaires, sans aucun avantage.
M.
Gendebien. - M. le ministre des affaires étrangères vient de dire que
nous avions obtenu une première satisfaction par la mise en liberté de M.
Hannno ; que, quant à la satisfaction ultérieure, il fallait du temps pour
l’obtenir. Je demanderai au ministre des affaires étrangères de quelle nature
est cette seconde satisfaction qu’il attend ? Quelles sont les démarches qu’il
a faites pour l’obtenir ? Cette satisfaction ultérieure pourrait bien n’être
qu’un leurre, qu’une mystification comme nous en avons déjà éprouvé, et il est
indispensable de savoir quelle elle est, et comment on se propose d’y arriver.
Messieurs, remarquez-le bien, la première satisfaction ressemble à beaucoup
d’autres satisfactions avec lesquelles on a endormi la représentation nationale
: Ce n’est pas nous qui avons reçu satisfaction par la mise en liberté du
commissaire de district ; en effet, messieurs, il a été arrêté dans la nuit du
15 au 16 février, et dès le 17 le général Dumoulin écrivit au général Tabor
qu’il relâcherait sa proie aussitôt que nous aurions révoqué les ordres
antérieurs et renoncé au droit de lever la milice, c’est-à-dire aussitôt que le
gouvernement belge lui aurait donné la satisfaction qu’il exigeait : il n’a
donc relâche que parce que nous avons donné satisfaction à cet homme qui était
venu nous souffleter ; de sorte que nous n’avons réellement reçu aucune
satisfaction. Mais en supposant que la mise en liberté du commissaire de
district soit une satisfaction, je demande quelle est la seconde satisfaction
que nous avons le droit d’attendre ? Lorsque nous en connaîtrons la nature,
nous pourrons juger s’il faut ou non remettre à lundi la discussion du rapport
fait par le ministre des affaires étrangères.
M. le ministre des affaires étrangères (M. F.
de Mérode) - Les satisfactions que nous
demandons sont des choses que nous ne pouvons publier ; nous ne pouvons
toujours parler sur la place publique ; car parler ici revient à peu près au
même. Ce n’est pas ainsi que l’on traite les affaires d’un pays. On a parlé
d’amende honorable et demandé quelle espèce d’amende honorable nous avons faite
? Nous avons, au contraire, refusé toute espèce d’explication au général
Dumoulin, avant la mise en liberté de M. Hanno ; c’est le général et non le
gouvernement belge qui a subi des humiliations ; le général les a bien senties.
M.
d’Huart. - Le ministre des affaires
étrangères a dit qu’il ne comprend pas le but d’une discussion qui aurait lieu
lundi prochain ; voici, moi, comment je comprends ce but, et quel en doit être
le résultat : il doit en résulter que si le ministère ne s’est pas conduit
comme un ministère vraiment national doit faire, nous ferons une adresse au
souverain pour obtenir un ministère plus digne du pays. Voilà le but de la
discussion que l’on réclame.
On vous a déclaré que l’on ne comprenait pas non plus
comment on pouvait demander que nous fissions nous-mêmes nos affaires ; on a
ajouté que l’on ne resterait pas au ministère ni dans cette chambre, si on
faisait une pareille demande ; c’et-à-dire qu’on veut s’en rapporter
exclusivement à l’étranger. Dans ce cas, que devient l’indépendance nationale,
que vous, ministres, vantez si haut ? que devient le pays lui-même ? Il n’y a
plus de Belgique ; le pays est en tutelle.
S’il doit en être ainsi, nous n’avons plus besoin de
gouvernement ; nous pourrons nous contenter d’un commissaire français et
anglais ; il y aura économie…
Plusieurs membres. - Des préfets.
M. d’Huart. -
Le ministre dit qu’il ne peut pas s’expliquer sur la nature de la répartition
qu’il demande : mais la nature de cette réparation peut-elle être un mystère ?
Est-ce que le général Dumoulin a enlevé notre compatriote à huis clos ? La
violation du droit des gens est sue de tout le monde ; pour qu’il y ait
réparation, il faut qu’elle soit patente comme l’attentat commis ; il faut que
vous agissiez au grand jour ; il faut employer des moyens énergiques aussi
puissants que ceux qui ont été employés contre nous.
Je n’en dirai pas davantage parce que ce serait
anticiper sur la discussion. Je demande que cette discussion soit à l’ordre du
jour très prochainement.
M. le ministre des affaires étrangères (M. F.
de Mérode) - Si la chambre veut faire une
adresse au Roi pour obtenir changement de ministres, je ne demande pas mieux ;
mais cela ne m’empêchera pas d’agir comme je fais ; cela ne changera pas ma
manière de voir ; je ne modulerai pas ma pensée pour suivre la politique de M.
d’Huart ou de M. Gendebien. Non
seulement comme ministre, mais encore comme représentant, je m’oppose à une
politique qui serait très nuisible au pays.
M.
Dumortier. - Je ne m’attendais pas à prendre la parole dans cette
discussion, mais j’ai entendu sortir de la bouche d’un ministre du Roi des
principes tellement étranges que je croirais manquer à mon mandat si je ne
protestais pas contre des paroles aussi déshonorantes pour la patrie. Comment,
vous osez venir dire dans cette chambre que
Quoi ! les sentiments qui ont enfanté notre révolution
sont-ils donc déjà si loin de vous ? Quels pouvoirs aviez-vous dans le
gouvernement provisoire autres que ceux que vous puisiez dans la volonté
nationale ? C’est cette volonté seule qui a renversé le trône décrépit
inhabilement élevé par les puissances étrangères, et vous venez dire que
Songez qu’une nation, quelle que soit sa grandeur
numérique, est puissante quand elle peut jeter des entraves dans les affaires
des potentats : oui, nous sommes forts, non par notre nombre, mais par notre
situation politique, notre union et notre patriotisme.
Vraiment, je suis peiné, je suis scandalisé d’entendre
dire que
Et n’allez pas dire que nous cherchons à nous mettre
en guerre avec les puissances, à exciter une conflagration générale ; je
repousse un pareil système de toute la force de mon âme.
Personne, messieurs, ne veut pousser la patrie dans
les extrêmes ; personne d’entre nous ne propose de rompre avec les alliés ;
mais nos allies ne doivent pas être nos maîtres, ne doivent pas nous traiter en
esclaves ; ils ne doivent pas nous dicter la loi. Et cependant, il est
malheureusement vrai que depuis l’avènement du ministère déplorable, nous avons trop souvent vu
M.
le ministre des affaires étrangères (M. F. de Mérode) - Est-ce fini ?
M.
Dumortier. - Non, ce n’est pas fini.
Je m’étonne que les ministres oublient ou négligent
les plus belles pages de notre histoire. Méconnaîtraient-ils le décret du
congrès national, rendu en présence de l’Europe, sur notre indépendance : « Le
peuple belge traite de puissance à puissance. »
Messieurs, je suis faible ; je relève d’une maladie :
dans l’intérêt de ma santé j’aurais dû garder le silence ; mais je n’ai pu
m’empêcher de m’élever contre les indignes paroles que je viens d’entendre. (Bien ! bien !)
M.
le ministre des affaires étrangères (M. F. de Mérode) - Je suis fâché que l’honorable préopinant ait trouvé mes paroles
indignes et qu’il en ait été scandalisé. J’entends autrement que lui l’intérêt
de mon pays ; aussi, loin de me scandaliser de ce que je fais, je m’en
applaudis.
Je n’ai pas dit que
Messieurs, les gouvernements de France et d’Angleterre
ne dictent pas des lois à
On parle constamment de ministère déplorable ; je
voudrais qu’on me citât ce qui est arrivé de si malheureux depuis son avènement
? Les fonds publics sont aujourd’hui à 99 fr. ; je prierai nos adversaires de
se rappeler à quel taux ils étaient lorsque ce ministère déplorable fut appelé
à la direction des affaires.
La citadelle d’Anvers était au
pouvoir des Hollandais,
Par la convention du 21 mai, nos affaires ont fait
encore un immense progrès.
Je ne sais si tous ces avantages doivent être
attribués au ministère déplorable, ou à
M. d’Huart et M.
d’Hoffschmidt. - Très mal !
M.
Legrelle. - Très bien !
M.
Gendebien. - Libre à M. Legrelle de dire très mal quand j’aurai fini de
parler comme il a dit très bien, après les dernières paroles du ministre des
affaires étrangères ; cela ne m’empêchera pas de dire tout ce que je croirai
utile aux intérêts du pays.
M.
Legrelle. - Il n’y a plus de liberté dans la chambre.
M.
Gendebien. - Je trouve étonnant qu’un membre de cette chambre se
permette de vouloir régler à lui seul la marche du gouvernement et de se faire
ainsi la mouche du coche.
M.
le ministre des affaires étrangères (M. F. de Mérode) - Je demande la parole.
M.
Gendebien. - J’ai la parole ; je prie M. le ministre de ne pas
m’interrompre.
Messieurs, on s’est élevé dernièrement contre mes
paroles, parce que, répondant aux observations de M. le ministre de
l'intérieur, qui avait fait une fausse interprétation de ce que j’avais dit, je rappelais que les tribunes avaient
couvert d’applaudissements les opinions émises par certains membres de cette
assemblée ; je ne sais s’il est plus permis à un membre de cette chambre
d’applaudir le ministère, qu’aux tribunes d’applaudir les orateurs qui le
combattent.
Chaque fois que les ministres parlent, une approbation
se manifeste derrière eux ; l’approbation est relatée dans le compte-rendu de
la séance : on croit que c’est la chambre entière qui a approuvé, tandis que ce
n’est que M. Legrelle ou son honorable voisin M. Ullens.
M. le ministre des affaires étrangères vous a dit
qu’il ne voyait rien de honteux et de déshonorant dans la conduite du
ministère, qu’au contraire il s’honorait de cette conduite et des résultats
obtenus tous les jours. Quels sont les résultats obtenus par ce ministère si
glorieux qui n’ose pas dire quel genre de satisfaction il demande pour
l’affront sanglant fait au pays ?
Conciliez donc, s’il est possible, tant d’arrogance et
de pusillanimité. On n’ose pas dire le genre de satisfaction qu’on réclame, et
on se fait honneur de sa conduite C’est encore une déception ! Je suis
convaincu qu’aucune satisfaction n’a été demandée et que le ministère, en
disant qu’il attend de nouvelles satisfactions dont il ne peut dire la nature,
n’a d’autre but que de justifier son silence qui est une nouvelle preuve de
honte et de faiblesse.
On nous a dit que
Depuis trois ans, nous ne faisons que demander
l’exécution des promesses faites par M. Lebeau. A son entrée au ministère, il
faisait des reproches au comité diplomatique de n’être en relations qu’avec
On vous a dit, messieurs, que le ministère actuel vous
avait procuré le traité du 21 mai et la prise de la citadelle d’Anvers.
Veuillez bien vous rappeler que ce ministère n’a jamais eu de système fixe ;
qu’il a toujours passé d’un système à un système contraire. Rappelez-vous que
ce ministère, à son avènement, s’est vanté d’avoir forcé
Quand
Au reste, quel que soit le motif de cette expédition,
il n’en est pas moins vrai que le ministère a changé de système ; qu’il a
abandonné celui de mesures coercitives, qu’il regardait comme le seul moyen
d’arriver à un résultat, pour rester dans un statu quo, dans un état
provisoire, précaire, incertain, qui arrête tous les spéculations commerciales
et industrielles ; et les paroles louangeuses n’ont pas plus manqué à ce
dernier système qu’au premier.
Ce n’est pas tout, aujourd’hui il ne nous est pas même
permis de nous défendre alors qu’on vient nous insulter chez nous ; il n’est
même pas permis à la nation belge de savoir quel genre de satisfaction on
revendiquera pour elle, de sorte que
Pourquoi, messieurs, sommes-nous réduits à ce point
d’abaissement ? C’est que le ministère est dans un tel état de faiblesse
vis-à-vis de l’Europe et de ses tuteurs,
Je répète, au surplus, que son refus de s’expliquer à
cet égard n’est qu’une déception ; je le mets au défi de nous prouver qu’il ait
demandé une satisfaction quelconque. D’après cela jugez si on peut lui
attribuer l’état florissant de
Si le commerce et l’industrie sont
florissants, ce n’est pas parce que le ministère Lebeau est aux affaires, mais
quoiqu’il soit aux affaires. De tous temps, et quels que soient les
gouvernements qui se sont succédé dans le pays, le commerce et l’industrie y
ont été florissants, parce que le pays a toujours eu et des capitaux et de
l’industrie, parce que ses habitants ont une ténacité, une patience qu’aucun
obstacle n’arrêté, parce qu’ils ont plutôt le goût que le besoin du travail. Si
donc nous ne sommes pas réduits à l’état de la dernière misère, ce n’est pas
grâce au ministère, c’est malgré du ministère.
M.
Pirson. - Messieurs, les affaires du Luxembourg sont bien graves sans
doute ; elles me fourniront l’occasion de vous raconter une conversation que
j’avais jusqu’à présent tenue secrète et dont je pourrai vous citer les
témoins.
Si M. le ministre des affaires étrangères n’a rien à
vous dire si, en thèse générale, il se croit autorisé à se taire, et cela est
possible, puisque relativement aux réclamations à faire à
Sitôt que j’ai vu les événements du Luxembourg, dans
mon opinion, j’ai été persuadé (et d’après ce qui s’est passé, j’en ai la
conviction entière) que ces événements se liaient à un projet de restauration ;
et voici comment je le prouve :
Et quel était le but de tous ces agitateurs. Il
n’était autre, soyez-en sûrs, que le rétablissement de l’ancienne dynastie et
qu’une nouvelle restauration. Ne pensez-vous pas, et même ne le voyez-vous pas
jusqu’à l’évidence par les récits de tous les journaux ; ne voyez-vous pas que
les événements du Luxembourg n’étaient qu’un brûlot jeté en avant ? Si
Cette conversation, je l’ai eue avec M. le maréchal
Gérard. Les personnes qui en furent témoins sont : MM. le marquis Chasteler,
l’abbé Boucqueau, et je crois, le comte de Baillet.
M. le maréchal Gérard nous a dit qu’il était à sa
connaissance, et qu’il en avait eu les preuves en main, que plusieurs
souverains au nombre desquels figurait le roi de Hollande avaient fait un fonds
commun divisé en deux parts : l’une pour susciter des troubles en France,
l’autre pour se défaire de Louis-Philippe.
Il a cité la somme proposée par
Ce fait nous parut si extraordinaire que nous élevâmes
des objections. Nous dîmes que nous ne doutions pas que
Ce nous donne la clef de toutes ces tentatives que
nous voyons en France ; elles ne sont pas, quoi qu’on puisse dire, l’ouvrage
des patriotes mais des gens salariés par l’étranger. Ce n’est pas la première fois
qu’on attribue aux patriotes des conspirations auxquelles ils sont étrangers.
C’est ainsi que Bonaparte attribua aux hommes de l’opinion patriote et
républicaine l’affaite de la machine infernale ; et il fut prouvé ensuite que
les émigrés étaient les auteurs de cet attentat.
Vous voyez d’après cela, messieurs, que les
circonstances sont graves. Si les troubles de France devenaient plus sérieux,
C’est au contraire le moment de la
porter au grand complet. Mais il faut en même temps déclarer à
Voilà de la diplomatie de tribune que vous pouvez
faire ; car sous le rapport financier vous avez l’initiative. Il faut donc
déclarer que
M. le ministre des affaires étrangères (M. F.
de Mérode) - Si on veut discuter un futur
contingent, je ne peux y consentir : je l’ai dit plusieurs fois, je ne connais
pas cette manière d’agir en fait de négociations. Si au contraire on veut
discuter des faits accomplis, je suis prêt à répondre Je ne m’y oppose pas,
quoique cette discussion me paraisse fort inutile, fort oiseuse et destinée
uniquement à nous faire passer notre temps que réclame un grand nombre d’objets
importants. Quoi qu’il en soit, je le répète, je ne m’y oppose pas.
M.
Gendebien. - J’engage M. d’Hoffschmidt à retirer sa proposition. La
chambre et la nation sont convaincues qu’il n’en résultera rien ; tout le monde
sait que le gouvernement n’a reçu aucune satisfaction. Il suffira que la
chambre et la nation sachent que le ministère n’ose pas même énoncer la
satisfaction qu’il demande. Laissons donc le ministère Lebeau achever de
s’embourber. Le jour arrivera, et ce jour je ne le désire pas, où il ne pourra
suffire aux embarras de sa position.
Nous en avons eu un exemple frappant dans la chute du
dernier gouvernement. On s’est d’abord borné à demander le renvoi du ministre
Van Maanen, ; le jour où le gouvernement y a consenti il était trop tard. Ce
n’est pas le renvoi de Van Maanen, c’est le renvoi de Guillaume qui a été
prononcé.
Puissent, je ne dirai pas mes
désirs, mais mes appréhensions ne pas se réaliser. Personne moins que moi n’a
jamais désiré les révolutions, personne moins que moi n’y a fait de bénéfice.
Le seul parti que j’aie cherché à tirer de la révolution, ç’a été d’empêcher
qu’elle ne fut déshonorée. Je ne désire aucun bouleversement, mais je les
redoute parce que je sais que les mêmes causes ont toujours les mêmes effets.
Lorsqu’il est constant qu’au lien d’exiger la
satisfaction à laquelle nous avions droit, c’est nous qui l’avons donnée, je
dis qu’il est inutile de prolonger la discussion sur ce sujet, de chercher à
provoquer de nouvelles explications.
M. d’Hoffschmidt. - M. Gendebien m’engage à retirer ma proposition ; c’est sans doute
parce qu’il prévoit qu’elle ne sera pas accueillie par la chambre. Ce résultat,
je l’avais d’abord prévu ; mais il ne me déterminera pas à retirer ma
proposition. Si elle est rejetée, ce sera d’un mauvais effet, dira-t-on ; mais
cet effet sera toujours produit si je la retire, car on ne manquera pas de dire
: M. d’Hoffschmidt a retiré sa proposition parce qu’il était sûr qu’elle serait
repoussée. Je la maintiens donc ; et je demande qu’elle soit votée par appel
nominal, afin que le pays sache quels sont ceux qui la rejettent.
M.
Nothomb. - Je désire que mon honorable collègue monsieur d’Hoffschmidt,
ne retire pas sa proposition ; une discussion est nécessaire pour éclairer le
public, et pour le rassurer. Trois faits étaient venus fixer l’attention des
chambres et du pays : l’arrestation d’un fonctionnaire public belge,
l’extension du rayon stratégique de Luxembourg, les entraves mises à
l’administration civile dans le rayon. De ces faits, le premier seul n’existe
plus, le deuxième paraît être maintenu jusqu’à un certain point, le troisième
subsiste en entier. Il n’a donc pas été fait droit à toutes nos réclamations :
il faut y donner suite, nous sommes tous d’accord sur ce point. Mais quels
moyens faut-il employer ? Ici commence le désaccord. Je n’hésite point à
approuver les moyens auxquels le gouvernement a eu recours ; moyens que les
explications succinctes données par le comte de Mérode, dans la séance du 3,
nous ont fait connaître. Le gouvernement a fait ce que font tous les
gouvernements régulièrement constitués qui, ayant contracté des engagements, ne
donnent ni d’eux-mêmes, ni des autres : il a demandé l’exécution de la garantie
promise par les puissances liées envers
L’événement a promptement donne gain de cause aux
partisans du système pacifique. Supposez que, dans la séance du 1er mars, après
avoir entendu les organes du système belliqueux, vous ayez adopté les
conclusions de votre commission, en décrétant que l’armée belge sera remise au
grand complet pour faire la guerre dans le Luxembourg, attendu que l’appel à la
diplomatie ne peut être qu’inefficace. Eh bien, l’événement qui est venu à
notre connaissance le lendemain, 2 mars, vous aurait obligés de rapporter votre
résolution de la veille, attendu que l’appel à la diplomatie n’a pas été
inefficace. Nous n’avons point tout obtenu : il nous faut, pour le moment,
attendre le reste des mêmes moyens qui ont été employés, mais en continuant nos
mesures purement défensives, à moins que la garantie des puissances ne vienne à
nous manquer. J’ai toujours vu avec regret la province de Luxembourg dépourvue
de troupes ; il faut que des troupes y restent pour protéger les populations et
les fonctionnaires, ce serait tomber dans une autre faute que d’envoyer
aujourd’hui dans cette province toute l’armée belge que d’y aventurer des
masses armées.
La marche du gouvernement n’est pas
nouvelle ; je dis à dessein le gouvernement, car le ministère actuel n’a fait
que suivre les errements de ses prédécesseurs : rappelez-vous, par exemple, ce
qui est arrivé pour l’Escaut. Nous avions droit à la liberté du fleuve, en
vertu d’engagements garantis par les puissances ; l’Escaut a été fermé. Nous ne
nous sommes point jetés dans une guerre agressive : d’une part, nous en avons
appelé à la garantie des puissances ; de l’autre, nous avons pris des mesures
défensives pour mettre la ville d’Anvers et les environs à l’abri d’un coup de
main. Nous nous sommes bien trouvés de cette conduite.
En résumé, j’accepte pour ma part la discussion qu’on
propose ; il apparaîtra à tout le monde que le gouvernement, fidèle à lui-même,
a employé dans cette dernière occurrence les mêmes mesures qui jusqu’à présent
ont maintenu le nouvel état belge, mesures qui, suivant moi, dérivent d’un
système qu’il ne faut point abandonner.
M.
Ernst. - L’honorable préopinant et l’un des ministres viennent de faire
l’apologie du gouvernement dans une circonstance fort déplorable. J’étais, à
mon regret, éloigné de la chambre pour des raisons de famille, quand elle a
protesté si énergiquement contre la violation du droit des gens à notre égard ;
je m’estime heureux de trouver une occasion de pouvoir émettre mon opinion. Je
crois qu’on a dit la vérité lorsque dans les deux chambres on a accusé le
ministère d’imprévoyance et de faiblesse ; je crois qu’on a dit la vérité quand
on a soutenu qu’il n’avait pas répondu à l’attente du pays.
Un des préopinants a dit que si le gouvernement ne
sentait pas les injures faites à
Lorsque vous avez ordonné la levée de la milice dans
le Luxembourg, lorsque vous avez ordonné les coupes des bois, vous étiez-vous
rendu compte des difficultés que vous rencontreriez ? Vous saviez ce qui en
était résulté eu 1832 : je ne prétends pas que vous ayez eu tort de revendiquer
des droits qui sont les nôtres ; mais vous deviez prévoir que l’exercice de ces
droits amènerait des complications. Si vous aviez eu de la prudence, vous vous
seriez entourés des moyens de le garantir, de protéger les fonctionnaires
belges, de prévenir des affronts. Avez-vous pris des mesures ? non, aucune :
vous vous êtes jetés dans les plus grands embarras. Je vous accuse
d’imprévoyance, et votre conduite justifie l’accusation.
Je vous accuse de faiblesse. Les premiers vous aviez
appris l’injure faite à la nation : êtes-vous venus l’annoncer à ses
représentants avec cet accent d’indignation qu’inspirent l’honneur outragé et
le besoin de le venger ? Non : vous avez attendu que les mandataires de la
nation protestassent contre la brutalité du gouverneur de Luxembourg ; alors
vous vous êtes associés à son adresse au Roi, parce que vous ne pouviez pas
reculer.
Que demandait la chambre ? des mesures promptes et
énergiques ; et vous assuriez aussi que vous vouliez des mesures promptes et
énergiques : eh bien ! c’était donc une moquerie de votre part que cette
assurance puisque vous ne vouliez que des mesures diplomatiques ; vous n’avez
pas pris de mesures énergiques, et c’était seulement pour endormir la nation
que vous aviez souscrit à l’adresse.
J’ai été étonné de la manière dont l’honorable
préopinant a exposé le système de l’opposition ; il s’est trompé gravement : il
semble, d’après lui, que la chambre ne voulait pas qu’on réclamât
l’intervention des puissances étrangères ; qu’on demandait la guerre à tout
prix. Ce système n’a été celui d’aucun orateur ; voici quelle était notre
pensée :
Réclamer l’intervention de nos alliés, mais en même
temps user de nos propres forces, envoyer dans le Luxembourg toutes nos troupes
disponibles ; alors le danger d’une conflagration aurait ému les puissances qui
sont autant que nous intéressées à éviter les chances de la guerre, et qui,
pour la prévenir, nous auraient donné toute satisfaction.
Nous ne reculons pas devant une discussion approfondie
; mais sur quoi roulera-t-elle Sur des faits ; nous ne connaissons pas ces
faits ; nous ne connaissons pas toutes les circonstances qui entourent ces faits
; nous ne savons que ce que le gouvernement veut nous faire connaître : aussi
je crois que mon honorable ami M. d’Hoffschmidt se trompe en insistant pour que
le rapport soit discuté lundi. L’avantage serait actuellement du côté du
ministère qui ne nous dit pas ce qu’il a fait ni ce qu’il se propose de faire
Encore si nous pouvions espérer de donner de l’énergie à des hommes qui n’en
ont pas, de leur donner ce stimulant d’honneur qui nous anime tous, nous
pourrions discuter ; mais cet espoir n’existe pas.
Attendons que nous apprenions
de l’étranger toute la conduite du ministère, car c’est de l’étranger que
viennent les nouvelles qui intéressent le pays : alors les armes seront égales,
alors le combat sera porté sur son véritable terrain, alors on verra ce que
sont nos ministres, et la voix de cette honorable assemblée pourra enfin
s’élever jusqu’au trône pour demander justice.
M.
Gendebien. - Je renonce à la parole.
M.
d’Huart. - J’y renonce également.
M.
d’Hoffschmidt. - J’ai déclaré que je ne voulais
pas retirer ma proposition, parce que je voulais montrer à nu l’indigne faiblesse
du ministère ; cependant si mes honorables amis persistent à penser que je dois
la retirer....
M.
Fleussu et M.
Ernst. - Retirez-la ! retirez-la !
M.
d’Hoffschmidt. - En ce cas je retire ma
proposition.
M.
Nothomb. - Puisque la motion est retirée, je n’ai plus rien à dire.
Discussion générale
M.
le président. - L’ordre du jour est la suite de la discussion du projet
de loi concernant les enfants trouvés et abandonnés.
M.
Rouppe. - Messieurs, je viens appuyer près de vous de toutes mes forces
les propositions de la section centrale.
Il est temps, il est plus que temps d’adopter sur la
matière qui nous occupe un système plus conforme à la justice distributive, aux
lois de l’équité.
En effet, messieurs, depuis le funeste décret par
lequel le gouvernement précédent a interprété en 1822, d’une manière si
arbitraire, les dispositions de la loi du 28 novembre 1818, les dépenses
relatives à l’entretien des enfants trouvés et abandonnés ont dû être
supportées par les communes où les parents de ces enfants avaient leur domicile
de secours, et à défaut par les communes dans le ressort desquelles ces enfants
avaient été exposés ou abandonnés.
Or, comme il est souvent extrêmement difficile de
déterminer ce domicile de secours, soit parce que les marques caractéristiques
dont les enfants sont porteurs n’indiquent, pour la plupart, que des prénoms et
la date de naissance, soit parce qu’elles désignent une commune à laquelle leur
mère est étrangère, il est résulté que les communes où des hospices sont
spécialement ouverts à ces malheureuses et intéressantes créatures n’ont cesse
de faire face à des frais d’un grand nombre d’enfants, qui ne leur
appartenaient point.
Ainsi, l’administration de la ville de Bruxelles, dont
l’hospice des enfants trouvés et abandonnés n’est doté que de fr. 231 par an, a
supporté pendant plusieurs années l’énorme charge de fr. 150,000 à 160,000 ;
tandis qu’il paraît bien certain que cinq sixièmes au moins des enfant
recueillis à cet hospice sont nés de personnes ayant domicile ailleurs.
Notre honorable collègue, monsieur de Theux, a établi
hier que le chiffre total des enfants trouvés et abandonnés, recueillis dans
tous les hospices réunis de
210 de parents connus, mais dont le domicile de
secours n’a pu être déterminé et qui ne présentent aucune solvabilité, ont
coûté 13,829 fr. 85 c.
75 enfants pour lesquels la ville a pu recouvrer les
frais d’entretien ont coûté 4,939 fr. 25 c.
Donc, pour 2,434 enfants, 160,294 fr. 99 c.
La position de ces chiffres établit d’une manière plus
saillante que ne pourrait le faire le discours le plus éloquent combien tous
les principes d’équité et de justice distributive se trouvent blessés par le
système adopté sous le règne du roi Guillaume. Je croirais, messieurs, faire
injure à votre perspicacité si j’insistais davantage sur ce point. A la vérité,
le gouvernement a accordé pendant l’exercice expiré, à la ville de Bruxelles,
un subside pour l’aider à assurer les besoins du service dont il s’agit ; mais
ce subside étant précaire et d’ailleurs insuffisant, les motifs que je viens de
déduire n’en subsistent pas moins dans toute leur force.
J’ajouterai avant de terminer,
messieurs, une seule considération, c’est que lorsque j’ai dit que moins d’un
sixième des enfants recueillis a l’hospice de Bruxelles appartient à cette
ville, je n’ai pas entendu insinuer qu’ailleurs la chasteté des jeunes
personnes fût moins robuste. J’ai fondé mon opinion sur ce que les femmes
domiciliées en cette ville, qui donnent le jour à des enfants naturels, les
conservent assez généralement près d’elles, non seulement par amour maternel,
mais aussi parce qu’elles n’oseraient reparaître en public sans pouvoir
présenter ces enfants, de crainte d’être honnies par leurs voisins et leurs
connaissances.
Je voterai donc, messieurs, pour le projet de la
section centrale, sauf réserve des modifications que la discussion sur les
articles du projet pourrait me porter à adopter.
M.
Pirson. - Messieurs, en ce qui concerne les enfants trouvés et abandonnés,
je voterai pour le projet de la section centrale, amendé par mon honorable ami
Seron.
Il n’en est pas des enfants trouvés comme des
mendiants, à l’exception de quelques vagabonds. On peut toujours découvrir la
commune à laquelle celui-ci appartiennent, mais il est un très grand nombre de
communes qui ne pourraient alimenter leurs mendiants. Quant aux enfants
trouvés, il est à peu près impossible, d’après notre législation, de découvrir
d’où ils proviennent. Cependant, il est certain que le nombre en est plus grand
dans les villes populeuses que dans les petites villes ou les campagnes,
proportion gardée avec la population.
On en a dit les causes : la démoralisation et la
pauvreté, plus grandes dans les villes populeuses.
On ne va pas exposer à la campagne les enfants nés en
ville, mais les enfants nés à la compagne sont quelquefois exposés en ville. De
là, impossibilité de faire supporter à chaque commune les enfants exposes ou
abandonnés. Maintenant, les enfants exposés dans une province sont-ils bien tous
enfants de cette province ? non, sans doute. Ceux qui exposent se dirigent vers
les lieux ou ils rencontrent le moins d’obstacle et le plus de secret. Si,
depuis longues années, il y avait eu des établissements dans chaque province,
pour recevoir les enfants trouvés, je comprendrais que chaque province fût
chargée de supporter la dépense des enfants trouvés sur son territoire, mais il
n’en est pas ainsi. Beaucoup de provinces ont manqué et manquent encore
d’établissement.
Il en existait un a Namur, il y avait un tour. A
mesure que la démoralisation a augmenté, les enfants abandonnés y sont arrivés
de toutes parts, du pays de Liége, du Luxembourg, beaucoup de France. Et, sous
toutes les législations, tous les gouvernements qui se sont succédé ont dû accorder
des subsides considérables à Namur qui se trouvait dans une position toute
particulière.
Il en est du transport des enfants trouvés comme du
commerce : lorsqu’il a pris certaine direction, il continue jusqu’à ce qu’il
survienne un grand obstacle.
Eh bien, pendant un temps, il y a eu obstacle à Namur
; on a supprime le tour, lorsque le gouvernement a voulu cesser les subsides.
Eh bien, après cela, des enfants ont été exposés sur les grandes routes : on
croit que plusieurs venaient de France. J’ai dit qu’on ne pouvait vérifier à
quelle commune les enfants exposes appartiennent. J’ajoute : on ne peut pas
davantage vérifier à quelle province ils appartiennent.
Dans l’état actuel des choses il y a dans telle
localité une masse d’enfants trouvés, il y en a peu dans telle autre : si l’on
voulait changer l’ordre de choses, il y aurait du moins des mesures
transitoires à prendre ; il faudrait pendant un certain nombre d’années
accorder des subsides aux provinces qui, comme Namur par exemple, ont dû
recevoir des enfants trouvés de tous pays, lesquels ne sont point arrivés à un
âge où on pourrait les expulser ; on ne pourrait non plus les renvoyer d’où ils
parviennent, puisqu’on ne le sait pas.
Irez-vous maintenant imposer aux provinces de
Luxembourg et de Limbourg l’obligation de créer des établissements nouveaux et
des tours pour recevoir les Prussiens et les Hollandais. Il est bien plus
simple, me semble-t-il, d’accorder aux hôpitaux existants les subsides
nécessaires à l’entretien des enfants trouvés, prélèvement fait des revenus
affectés pour cet objet à ces hôpitaux.
Je ne relèverai point ce qu’a dit de fort étrange M.
le ministre de la justice, relativement à la moralité qu’il est nécessaire de
rétablir. Il paraît vouloir en charger les conseils provinciaux ; voudrait-il
bien indiquer les moyens par lesquels les administrations de province
pourraient faire diminuer le nombre des enfants trouvés ?
Serait-ce en rétablissant dans la
législation la recherche de la paternité ? Serait-ce en ordonnant aux fille
enceintes de faire déclaration de leur état avant l’accouchement ? Mais ces
moyens ne sont pas au pouvoir des administrations provinciales. Loin de nous
l’idée de ressusciter toutes ces causes de scandale et l’infanticide, ou de
provoquer les filles mères à se suicider elles-mêmes en voulant détruite dans
leur sein l’objet de leur honte.
Ou bien, M. le ministre voudrait-il faire des
prédicateurs de nos administrateurs provinciaux ? Nous n’en avons déjà que trop
de prédicateurs déhontés, qui plus que nos miliciens peut-être contribuent à la
démoralisation de nos campagnes. Je pourrais vous en citer bon nombre, sans
calomnie et même sans médisance car il n’y a plus de médisance lorsque, les
choses sont trop publiques. Il y aurait bien des choses à dire sous le rapport de
la moralité. Que les réformateurs de nos mœurs commencent à se réformer
eux-mêmes ; que les gouvernants soient honnêtes gens, s’ils croient avoir
besoin de l’appui des honnêtes gens.
M.
Verdussen. - Ce ne sera pas par les mêmes arguments que l’honorable
préopinant que j’appuierai le système proposé par la section centrale. En
prenant la parole dans cette discussion générale, je crois devoir déclarer que,
membre de la section centrale, je faisais partie de la majorité.
Messieurs, une discussion générale s’est aussi établie
dans le sein de la section centrale et l’on s’est arrêté à quelques points
principaux.
Le premier à été la question de savoir si on
conserverait les tours, et un motif d’humanité nous a déterminés à les
maintenir. En émettant cette opinion, je n’ai pas voulu dire qu’il fallait en
augmenter le nombre ; je me réserve de développer mon opinion à cet égard
lorsque nous nous occuperons de l’article 4.
Je pense qu’il faut conserver les tours là où il en
existe, parce que la partie de population qui dans ces localités, soit par
dépravation, soit par misère, met ses enfants à l’hospice, est habituée à se
servir de ces tours, et que si on venait à les supprimer on s’exposerait à voir
s’accroître le nombre des infanticides. C’est donc par le motif d’humanité qui
a dominé toute la question, que je me suis décidé pour le maintien des tours.
La question générale a ensuite porté sur la question
de savoir à la charge de qui devrait tomber l’entretien des enfants trouvés ou
abandonnés.
J’ai soutenu, avec la même majorité de la section
centrale, que cet entretien devait être mis à la charge de l’Etat.
Mon premier motif a été que tout homme qui meurt de
misère doit être nourri par la société entière ; or, qui représente la société
entière, si ce n’est l’Etat ?- C’est à tel point que si un homme était trouvé,
sur notre sol, mourant d’inanition, quelque étranger qu’il fût à
Je me suis opposé à ce que l’on fît de cet entretien
une charge provinciale, parce que j’ai voulu que la législature fût conséquente
avec elle-même.
C’est dans la loi du mois d’août 1833 que vous avez
établi le principe dont le ministre s’était écarté dans la loi actuelle et que
la section centrale y a rétabli.
Je suis loin d’admettre ce qu’a dit l’honorable M. de
Theux, quand il a prétendu que le ministre avait mis le projet de loi actuel en
harmonie avec la loi sur les dépôts de mendicité.
Dans l’article où se trouve le principe sur lequel
repose toute l’économie de cette loi, il est dit que les frais d’entretien des
dépôts de mendicité et d’indigents continueront à être à la charge des communes
de ceux qui y seront admis, et à la charge de l’Etat quand leur domicile ne
pourra pas être connu.
Il suit de là une chose singulière, c’est que le
ministre et M.de Theux invoquent, à l’appui du système ministériel, la loi dont
je me sers pour le combattre.
On trouve cependant dans cette loi ces deux faits
importants : d’abord que c’est aux communes qu’appartient l’entretien des
mendiants, et par conséquent l’entretien des enfants trouvés et abandonnés,
quand le domicile de secours est connu ; mais que c’est à l’Etat, et à l’Etat
seul quand ce domicile est inconnu.
L’honorable M. de Theux a donc commis une erreur
lorsqu’il a dit que le projet ministériel était en harmonie avec la loi d’août
1833.
On a voulu mettre à la charge des provinces une partie
de l’entretien des enfants trouvés ; mais, messieurs, si la commune d’un enfant
ne peut être connue, comment pouvez-vous dire que cet enfant appartient à la
province ? C’est là, à mon avis, une absurdité ; car, pour établir la localité
de la province, il faudrait avant tout établir la localité de la commune. Je
crois que les enfants trouvés dont les pères et mères sont inconnus, doivent
être assimilés aux mendiants dont le domicile de secours n’est pas connu, et
qu’ils doivent être adoptés par le pays.
Permettez-moi une comparaison. Que feriez-vous,
messieurs, d’un sourd-muet que vous trouveriez sur la voie publique ? il ne
pourrait pas répondre à vos questions ; vous devriez alors le placer dans un
dépôt de mendicité et le nourrir aux frais de l’Etat en vertu de l’article 1er
de la loi du mois d’août 1833. Les enfants ne sont-ils pas des sourds-muets qui
ne peuvent indiquer la commune à laquelle ils appartiennent ? Pourquoi donc
leur faire une position différente ?
Passons aux considérations présentées par le ministre
de la justice, et par les autres orateurs qui ont appuyé son projet.
Le ministre a dit qu’on donnait une prime
d’encouragement à la débauche, si l’opinion de la section centrale prévalait.
Je ne sais comment il pourrait établir ce qu’il pose
là comme véritable. Soit que l’on considère les enfants trouvés ou abandonnés
comme le produit du vice ou le fait de la faiblesse, je crois que dans l’un et
l’autre cas il est fort indifférent pour les auteurs de ces malheureux que ce
soit l’Etat, la province ou la commune, qui pourvoie à leur entretien. Il suffit
à la mère d’être sûre que son enfant sera nourri et ne mourra pas de misère.
Je pourrais concevoir que l’augmentation des tours fît
accroître la débauche. C’est par ce motif que je persiste à penser qu’on doit
maintenir le nombre de tours actuels, et qu’il vaut mieux mettre la dépense à
la charge de l’Etat qu’à la charge des provinces. Qu’arriverait-il si vous
mettiez la dépense à la charge de celles-ci ? Il faudrait établir un tour dans
chacune d’elles et par conséquent en augmenter le nombre, ce qui serait un
encouragement donné au vice. Si au contraire vous laissez tous les frais à la
charge de l’Etat, on pourra se contenter des tours qui existent et même en
supprimer quelques-uns, parce qu’il est fort indifférent que l’enfant d’une
province soit déposé dans une province voisine.
On a dit que les provinces ne supporteraient qu’une
partie de la dépense et que la majeure partie serait supportée par l’Etat. Il
résulte de là que s’il y a injustice, l’injustice est moindre. C’est parler
contre le projet ; car s’il est juste que l’Etat supporte une partie de la
dépense, il est juste qu’il la supporte tout entière.
On a invoqué les lois françaises ; mais la législation
française sur cette matière présente dix systèmes différents, ainsi que vous
l’avez su par le rapport de notre honorable collègue M. Quirini. Il faudrait savoir quel est parmi ces systèmes celui
qu’on invoque. On a trouvé dans cette législation et on a invoqué un système
que je ne crains pas de qualifier d’odieux, celui qui tiendrait à mettre la charge
de chaque commune une partie des frais de l’entretien des enfants trouvés. Ce
système a été révélé par M. le ministre de la justice et présenté ensuite par
l’honorable M. de Theux. J’avoue
que je ne conçois pas cela, car ce système a été sous le gouvernement français
l’objet de continuelles réclamations.
J’ai fait partie depuis 1822 jusqu’à
la révolution des états-provinciaux d’Anvers. D’année en année ce système a été
le sujet de réclamations adressées aux états ; j’ai vu qu’il était l’objet de
la réprobation générale.
Je me résume, messieurs, et je conclus. Les communes
ne doivent concourir qu’aux dépenses de l’entretien des enfants abandonnés,
parce qu’ils ont un domicile de secours connu. Lorsque la commune à laquelle
appartient un enfant trouvé est inconnue, la province l’est également, celui
enfin qui n’appartient à personne appartient à l’Etat. Je crois avoir démontré
que ce serait encourager la débauche qu’augmenter le nombre des tours, ainsi
que cela résulterait du projet présenté par M. le ministre de la justice. Je
maintiens donc les propositions de la section centrale.
M.
Gendebien. - Je ne me dissimule pas tout ce que cette question a de
délicat. Il me sera permis d’exprimer le regret d’en voir la discussion aussi
précipitée, et à tel point, qu’à peine en avons-nous été informés la veille.
Quoi qu’il en soit, j’émettrai mon opinion, mais avec la défiance que m’inspire
la question sous le rapport des antécédents et de l’avenir : sous le rapport
des antécédents, par les abus révoltants qui ont eu lieu et qui ont motive mon
opinion ; sous le rapport de l’avenir, parce que je ne suis pas certain des
résultats du système que j’adopte.
Sans remonter au déluge, qu’il me soit permis de jeter
un coup d’œil rapide sur la législation antérieure. Le droit primitif n’avait
pas réglé le sort des enfants trouvés, et il ne le devait pas, puisque les
enfants trouvés étaient traités et considérés comme esclaves. Dès lors, on
était loin d’avoir intérêt à exposer les enfants nouveau-nés, on était plutôt
disposé à les voler. On les élevait comme nous élevons une bête de somme à
l’écurie ; on en faisait enfin un objet de commerce.
L’empereur Justinien ayant considéré, par une fiction
heureuse, que la présomption était en faveur de la liberté, déclara les bâtards
hommes libres. Dès lors on n’eût plus intérêt à nourrir et à élever les enfants
abandonnés. Les dépenses de leur entretien furent mises à la charge de
l’église. J’en tire la conséquence qu’en général c’est un corps quelconque qui
doit être chargé de la dépense des enfants trouvés, et non la commune ou la
province à laquelle ils appartiennent.
En France, soit par imitation de ce que l’Etat fait en
Italie soit par tout autre motif, ce fut d’abord l’église qui fut chargée de
cette dépense. Lorsque le système féodal s’établit, les seigneurs
hauts-justiciers qui jouissaient de tant de privilèges et surtout du droit de
déshérence furent considérés comme les premiers intéressés à l’entretien des
enfants abandonnés ; cette dépense fut mise à leur charge. En Belgique on
adopta les mêmes dispositions qu’en France : ce fut d’abord le clergé et
ensuite les seigneurs qui furent chargés de cette dépense.
Si dans quelques communes, en France comme en
Belgique, il y avait obligation de secourir les enfants abandonnés c’était
comme substituées aux seigneurs que cette charge leur était imposée. On ne peut
pas assimiler les seigneuries aux communes, car les seigneuries étaient des
gouvernements à part. Cet état de choses pouvait se supporter sans excès de
charges, attendu qu’avant la révolution la recherche de la paternité n’était
pas interdite. Dans le Hainaut et dans beaucoup de localités il suffisait de la
déclaration, sous serment, d’une fille enceinte pour que la personne désignée
comme auteur fût chargée de la dépense. Malgré cela on est étonné du grand
nombre de procès qui naissaient entre les seigneurs et les communes sur la
question de savoir qui devait nourrir les enfants.
La loi de 89 ayant aboli les seigneuries, et les
seigneurs ayant par cela perdu les droits attachés à leur magistrature, il
était naturel qu’ils fussent déchargés de l’obligation de nourrir les enfants ;
aussi une loi de 90 les en décharge-t-elle.
Par suite de ces diverses législations nous arrivons à
ces conséquences, c’est que l’Etat qui jouit du droit d’épaves et de déshérence
doit être chargé aux mêmes titres que les seigneurs, ou les gouvernements,
petits ou grands, des mêmes obligations.
Je sais qu’en France, et depuis la loi de l’an V,
qu’on avait imposé à la république la charge d’entretenir les enfants
abandonnés, il y a eu des dispositions contraires à cette loi ; mais veuillez
bien remarquer que ces dispositions ont été prises sans que la question eût été
traitée législativement ; c’est toujours à l’occasion des budgets qu’on a
dérogé à la jurisprudence de tous les temps. On a déclaré, non par une loi de
floréal an X, mais par le budget, que l’entretien des enfants abandonnés serait
à la charge des départements. Cette dérogation, qui n’était pas le résultat
d’une discussion approfondie sur la matière, a été bientôt suivie d’un subside
de quatre millions, et on a déclaré que les hospices et les bureaux de
bienfaisance supporteraient le surplus. Ainsi, par le vote de quatre millions
on a consacré le principe, puisque les bureaux de bienfaisance venaient au
secours, et par exception, pour combler l’insuffisance du crédit.
Aujourd’hui, messieurs, il s’agit de vous prononcer
légalement, et non pas d’allouer une somme annale au gouvernement ; il faut
donc examiner mûrement la question.
Trois systèmes sont en présence :1° Celui de mettre
les enfants abandonnés à la charge de l’Etat ; 2° celui de les mettre à la
charge des provinces ; 3° celui de les mettre à la charge des communes. Je ne
parle pas du système mixte de faire concourir les provinces et les communes ;
pour moi, je crois que c’est l’Etat qui doit être chargé de l’entretien des
enfants abandonnés. Tous les inconvénients que l’on signale sur ce système sont
à peu près les mêmes dans les deux autres ; mais il a cet avantage sur les deux
autres : c’est que la charge sera répartie également entre les communes, et
nous sommes appelés ici pour faire supporter également les charges de l’Etat à
toute
J’ai été étonné, hier, d’entendre le ministre de la
justice, et après lui, M. de Theux, dire que le système présenté par la section
centrale était en désharmonie avec la loi portée au mois d’août 1833 ; tandis
que celui du ministre et de M. de Theux était conforme à cette loi de 1833.
Je serais tenté de croire, d’après cette assertion,
que le ministre ne lit pas les lois qu’il nous présente, ou qu’il a le jugement
très faux quand il s’agit de leur interprétation et de leur exécution. L’art.
1er de la loi d’août 1833 dit qu’en attendant la révision des lois sur la
mendicité et le vagabondage, les frais d’entretien des mendiants et des
vagabonds continueront à être à la charge des communes du domicile de secours,
et à la charge de l’Etat quand le domicile est inconnu.
Remarquez d’abord qu’il y aurait inconvenance à
prendre pour base de la loi en discussion, une loi transitoire ; mais je fais
abstraction de cette observation, et j’en viens au fond des choses.
Lorsqu’il s’agit de la mendicité, les frais sont à la charge
de la commune quand le domicile est connu ; et c’est pour cela que la section
centrale dit que les enfants délaissés, lorsque les parents sont connus, sont à
la charge des communes.
Moi, je vais plus loin que la section centrale ; je
voudrais que la nation nourrît tous les enfants délaissés. La section centrale
marche avec la loi de 1833 sans s’en écarter d’un seul point. Les mendiants
dont le domicile pas connu sont à la charge de l’Etat ; il y a même raison pour
mettre les enfants délaissés dont les parents ne sont pas connus à la charge de
l’Etat ; ainsi pour marcher avec la loi de 1833 il faut adopter la proposition
de la section centrale et abandonner le projet ministériel. C’est là à quoi on
aboutit en interprétant sainement, logiquement la loi de 1833,et non en
l’interprétant d’une manière absurde.
On prétend que depuis qu’on a adopté le système de
l’arrêté de 1822, le nombre des enfants trouvés avait considérablement diminué
: quelle conséquence y a-t-il à en tirer ? pouvez-vous en tirer la conséquence
qu’il y a plus de moralité publique ? non, certainement ; la seule conséquence
que vous puissiez en tirer, c’est qu’à y a moins de tours qu’autrefois, mais
aussi qu’il y a plus de victimes.
On nous a dit que depuis 1826 jusqu’à 1832, il n’y
avait eu que 28 crimes d’infanticide ; quelle conséquence en tirer ? C’est que
l’on poursuit ce crime rarement ; que tous les magistrats locaux font ce qu’ils
peuvent pour ne pas épouvanter la morale publique par le crime ; c’est que la
peine de mort répugne à tous et suffit à elle seule pour éviter de mettre au
jour de pareils crimes. Voilà les seules raisons pour lesquelles il y a peu de
poursuites contre l’infanticide ; mais cela ne prouve nullement que l’arrêté de
1822 ait amélioré les mœurs publiques.
On vous a dit que si on mettait les enfants trouvés à
la charge des communes, les autorités locales étant intéressées à découvrir les
parents, le nombre des enfants abandonnés diminuerait.
L’honorable membre qui a fait cette observation n’a
pas fait attention que la recherche de la paternité est interdite d’une manière
absolue, et que la maternité ne peut être recherchée que par les personnes
intéressées, sans qu’aucune autorité puisse s’immiscer dans cette recherche.
Au surplus, messieurs, à quel scandale ne donneraient
pas lieu de semblables recherches faites par l’autorité, sans parler des
infanticides et des suicides qui en résulteraient ?
L’honorable membre qui a parlé le dernier à la séance
d’hier, et auquel je réponds, vous a dit qu’il fallait adopter un système qui
tendît, autant que possible, à diminuer l’immoralité qui s’attache à l’abandon
des enfants. Un des moyens indiqué est de mettre l’autorité locale dans la
position d’avoir intérêt à rendre difficile l’adoption des enfants trouvés par
le trésor public ou par un corps quelconque. Si vous voulez faire diminuer le
nombre des enfants trouvés par des crimes, vous raisonnez très logiquement,
mais ce n’est pas par des crimes que nous voulons diminuer les charges de
l’Etat.
On accuse constamment les populations d’immoralité ;
ce n’est pas dans les populations, mais dans les lois qu’elle existe. Faites de
bonnes lois et vous aurez de la moralité. En effet, toutes les lois tendent au
célibat : chacun sait que c’est là la principale source des malheureux dont nous
nous occupons en ce moment. Rappelez-vous l’expression énergique de notre
honorable collègue, M. Trentesaux, lorsqu’aux états-généraux, appelé à voter
sur le système désastreux de 1821, qui amena la révolution belge, il s’écria :
« La loi que vous proposez est une véritable prime offerte au célibat ;
vous trouverez une augmentation de dépense qui compensera au moins le surcroît
d’impôt que vous voulez établir. » Immédiatement après le vote de cette
loi fut rendu l’arrêté qui a mis les dépenses des enfants trouvés à la charge
des communes, et justifia ainsi l’énergique prédication de l’honorable M. Trentesaux.
Il n’y a pas un homme qui ose nier que le système de
contributions qui a si longtemps pesé sur
Vous préférez accorder des primes à quelques
producteurs privilégiés et vous traîner péniblement dans une ornière vicieuse,
que de vous occuper des moyens de ramener la moralité. Faites en sorte que
l’homme de la classe pauvre ne soit pas obligé de repousser les idées de
mariage, et le libertinage diminuera. Doublez les contributions du célibataire
qui se soustrait aux charges du mariage, vous lui ferez verser au trésor une
faible portion de ce qu’il aurait dû payer pour alimenter une famille et des
citoyens utiles au pays sans lui imposer aucune charge.
Messieurs, en me résumant : d’après la législation
romaine, et lorsqu’on a commencé à s’occuper des enfants trouvés, la charge a
été supportée par une généralité, et non par les provinces ou les communes.
J’irai plus loin ; je voudrais que tous les enfants du
pauvre fussent instruits aux frais de l’Etat, Alors que nous voyons tant
d’hommes faire des dépenses superflues pour l’éducation de leurs enfants,
dépenses qui s’élèvent jusqu’à 4, 5 et 6,000 francs par an, pourquoi ne leur
demanderait-on pas de retrancher 50, 100 ou 200 francs, pour les donner aux
malheureux condamnés à mourir en naissant ou à vivre dans l’état de
brutes ?
Messieurs, quand il s’agit de la
défense de l’Etat, c’est la généralité du pays, et en général le peuple, qui en
supporte les charges ; eh bien, consacrez les enfants trouvés à la défense du
pays ; qu’ils remboursent à l’Etat les avances qu’il leur a faites, en se
vouant pendant quelque temps de plus au service de la patrie ; qu’au lieu de
rester, comme les autres miliciens, 5 ans sous les drapeaux, ils y restent 8 ou
10 ans. Ils viendront ainsi en déduction du contingent de l’armée ; ils
allégeront, pour les fils légitimes, la charge de la milice, et dispenseront
une partie des familles riches de la nécessité de fournir des remplaçants. Par
ce moyen, vous répartirez plus également les charges de l’Etat, et à l’égard
des enfants délaissés et pour ce qui concerne le contingent de l’armée.
Je crois que, d’après toutes ces considérations, on
doit mettre la dépense des enfants trouvés à la charge de l’Etat. Je me
réserve, lorsque nous arriverons à la discussion des articles, de soutenir non
pas toutes, mais la plupart des dispositions de la section centrale.
(Moniteur belge
n°68, du 9 mars 1834) M.
de Brouckere. - Je partage l’opinion des honorables préopinants sur
l’importante de la question dont il s’agit, et sur les difficultés que présente
sa solution. C’est par ce motif que j’ai cru devoir expliquer, en peu de mots,
quelle est mon opinion : je dis en peu de mots, parce qu’en effet je ne
parlerai que sur le principe qui, selon moi, doit dominer dans la loi ; je
pourrai revenir sur les détails quand nous nous occuperons des articles.
Si j’avais à me prononcer exclusivement entre le
système du ministre et celui de la section centrale, c’est-à-dire, entre le
système qui met à la charge des provinces la dépense nécessaire pour subvenir à
des enfants trouvés, et celui qui met cette dépense à la charge de l’Etat, je
me prononcerais pour le premier de ces deux systèmes ; mais il en est un
troisième, c’est celui qui a été exposé hier par l’honorable M. de Theux : il
consiste à mettre l’entretien des enfants trouvés à la charge de la commune.
Ce système est le mien ; c’est celui que je veux
défendre, et je le défendrai, bien qu’un honorable préopinant ait cru devoir,
tout à l’heure, le qualifier d’odieux. Les qualifications ne m’effraient point.
Il ne suffit pas qu’un membre trouve mon opinion odieuse pour m’en faire
changer. Il faut qu’il m’en démontre les mauvais résultats ; jusqu’ici rien de
semblable n’a été prouvé quant au principe que j’ai posé.
Je dis donc, que le principe qu’on doit admettre,
c’est que les enfants abandonnés ou trouvés doivent être élevés aux frais de la
commune où ils ont délaissés, à moins qu’on ne connaisse le lieu de leur
naissance, ou celui qu’habitaient leurs parents ou leurs mères. Je m’empresse
d’ajouter que, selon moi, rien n’empêche que la province ne subvienne pour une
partie dans les frais d’entretien : par exemple, pour une moitié ; mais je
soutiens que, dans aucun cas, l’Etat ne doit donner une subvention quelle
qu’elle soit.
Je rappellerai d’abord à l’assemblée que mon opinion a
été adoptée par la section centrale chargée de l’examen de la loi provinciale.
Dans un article où sont énumérées les dépenses mises à la charge des provinces,
se trouve la disposition suivante : « Les frais des enfants trouvés,
conjointement avec les établissements de bienfaisance et les communes, dans la
proportion à déterminer par la loi. »
Dans les développements de la section centrale,
quelques raisonnements sont insérés à l’appui de cette opinion ; je me
dispenserai de les lire, parce qu’ils se présenteront d’eux-mêmes dans la
discussion.
Messieurs, c’est, selon moi, une charité mal entendue,
et nécessairement funeste dans ses résultats, que de vouloir un grand nombre de
nouveaux établissements d’enfants trouvés et un grand nombre de tours ; c’est
porter le mal à son comble que de subsidier ces établissements aux frais du
trésor.
Ces deux vérités sont évidentes à mes yeux ; je vais
tâcher de vous les démontrer.
A l’appui de la première, Je pourrais énumérer une
foule de faits, de calculs statistiques ; mais j’ai promis d’être court ; je me
bornerai à quelques-uns.
D’abord, en Angleterre, il n’y a point
d’établissements d’enfants trouvés, et aussi le nombre de ces enfants est
tellement minime que la dépense de leur entretien mérite à peine d’être prise
en considération.
En France, où il y a un très grand nombre de ces
établissements, il y a aussi un nombre considérable d’enfants trouvés. D’après
une statistique que j’ai sous les yeux, il y avait naguère dans ce pays 362
hospices d’enfants trouvés ; et je suis porté à croire ce nombre exact,
puisque, dans un décret du 11 janvier 1810, je lis : « Art. 4. Il y aura
au plus dans chaque arrondissement un hospice où les enfants trouvés pourront
être reçus. » Or, le nombre de 362 coïncide à peu près avec celui des
arrondissements de
Pour ne point vous fatiguer en citant trop de chiffres,
je n’établirai de comparaison qu’entre Londres et Paris. A Londres, ville dont
la population est de 1,250,000 habitants, il n’y a eu, de 1819 à 1823,
c’est-à-dire dans une période de 5 ans, que 151 enfants exposés ; à Paris, où
la population n’est que de 800,000 habitants, les deux tiers de celle de
Londres, il y a eu dans la même période 25,277 de ces enfants.
L’Angleterre n’est, du reste, pas le seul pays où il
n’y ait pas d’établissements d’enfants trouvés : plusieurs Etats de l’Allemagne
sont dans le même cas ; et j’en puis dire autant d’un pays dont les
institutions nous sont souvent offertes comme un modèle, des Etats-Unis de
l’Amérique.
Mais voulez-vous, messieurs, un exemple plus frappant
des inconvénients qu’il y a à multiplier les établissements d’enfants trouvés.
Je le prendrai dans notre pays. Je vous rapporterai un fait qui s’est passe
pour ainsi dire sous mes yeux, relativement auquel je pourrais appeler en
témoignage plusieurs honorables membres de cette assemblée, entre autres l’honorable
M. Schaetzen, qui a été aussi bien que moi témoin du fait.
A Maestricht, il existait depuis longues années un
hospice d’enfants trouvés et un tour. En 1824, on se décida à le supprimer, et
la commune se borna dès lors à mettre les enfants exposés chez des nourrices à
la campagne. Les expositions s’étaient élevées annuellement à 200 ou 300, elles
furent tout d’un coup réduites, par suite de cette mesure, à 2 ou 3,
c’est-à-dire à la centième partie de ce qu’elles avaient été jusque-là.
Je conviens que, parmi les deux ou trois cents enfants
exposés annuellement, il y en avait de Liége et d’Aix-la-Chapelle, villes
situées à une faible distance de Maestricht ; mais le plus grand nombre
appartenait à la ville même, et cela est si vrai que, lors de la suppression de
la maison, on trouva le moyen d’en renvoyer une partie dans leurs familles.
Une chose qu’il ne faut pas perdre de vue, et qui
servira de réponse à un argument qu’a fait valoir l’honorable orateur qui a
parlé avant moi, c’est que, de 1824 à 1830, il y a eu comparativement moins de
poursuites pour infanticides dans le Limbourg qu’il n’y en avait eu les années
précédentes.
Il paraît du reste, qu’en France on a aussi compris
l’inconvénient qu’il y a à multiplier les établissements d’enfants trouvés. J’en
trouve la preuve dans une instruction adressée au préfets par le ministre de
l’intérieur, le 8 février 1823, qui les autorise à proposer de réduire le
nombre de ces établissements à un par département, nombre établi par le décret
du 11 janvier 1810.
La conclusion à tirer de ce que je viens de dire est
donc que l’administration a tort de pousser la charité jusqu’à l’excès, de
multiplier les hospices d’enfants trouvés, et qu’elle ferait mieux de se borner
à recueillir les enfants exposés et à les faire élever à la campagne : première
vérité que j’avais promis de démontrer.
La seconde est que c’est porter le mal à son comble
que de faire subsidier par l’Etat les établissements d’enfants trouvés.
L’honorable M. de Theux a cité, à l’appui de cette opinion, deux des meilleurs
motifs que l’on puisse faire valoir : d’abord l’admission dans les hospices
d’un grand nombre d’enfants dont les parents auraient pu facilement être
reconnus, si l’autorité locale avait eu intérêt à les découvrir ; ensuite
l’augmentation de dépense qui résulterait de ce que les établissements
entretenus par l’Etat ne peuvent être ni aussi bien ni aussi économiquement
administrés que ceux qui appartiennent aux localités.
Pour vous prouver, messieurs, combien est réel le
danger que je signale, permettez-moi de vous donner lecture d’une circulaire
adressée, il y a quelques années, par le ministre de l’intérieur de France, aux
préfets ; en voici le contenu : « Je dois, M. le préfet, exciter votre
sollicitude sur l’énorme accroissement qu’éprouve successivement le nombre des
enfants trouvés et abandonnés. D’un côte, la misère ; de l’autre, les soins que
l’administration apporte à la conservation des enfants et les bienfaits de la
vaccine, sont des causes naturelles qui, l’une, en augmentant le nombre des
expositions, et les deux autres, en diminuant la mortalité, doivent accroître
le nombre des enfants trouvés et abandonnés à la charge des hospices ; mais on
ne peut se refuser à considérer comme une des causes les plus puissantes de cet
accroissement, les abus qui se commettent dans l’admission des enfants au rang
des enfants trouvés et abandonnés. Dans plusieurs départements, où l’on a
vérifié avec quelque sévérité les titre d’admission des enfants, on en a
découvert un grand nombre qui n’avaient pas de droits à la charité publique, et
qui, rendus à leur famille, ont considérablement diminué le nombre des enfants
à charge des départements. Le ministère a plus d’une fois appelé l’attention
des préfets sur ces abus et sur les moyens de les détruire et d’en prévenir le
retour ; mais ces instructions ont été perdues de vue dans plusieurs
départements. »
J’ajouterai que favoriser et subsidier ces
établissements, c’est donner matière à une spéculation de la part de la classe
pauvre, qui bientôt ira y déposer ses enfants pour s’épargner les frais de leur
éducation ; c’est empêcher cette classe de donner aux enfants les soins que
leur doivent de bons parents.
Ainsi, vous le voyez, par suite du système que je
combats, on en était venu en France à introduire dans les hospices un grand
nombre d’enfants qui n’avaient aucun droit à être nourris par l’Etat et dont
les parents faisaient une véritable spéculation en les y introduisant.
Mais je ne connais point de preuve plus convaincante à
vous donner en faveur du système que je défends qu’un relevé du tableau qui
vient de nous être distribué de la part du gouvernement, et qui contient le
mouvement annuel de la population des enfants trouvés et abandonnés pendant ces
dernières années. Jetez les yeux sur ce tableau et vous verrez que depuis 1822,
c’est-à-dire depuis l’époque où les enfants trouvés ont été mis à la charge des
communes, le nombre de ces enfants a toujours été en diminuant dans toutes les
provinces, sauf une, le Hainaut ; et j’ignore le motif de cette exception. Je
me bornerai à comparer deux chiffres pour chaque province.
Dans la province d’Anvers, il y avait en 1822 2,625
enfants trouvés ; en 1832, 1,651 ; différence en moins, 974.
Dans le Brabant, en 1822, 2,518 enfants trouvés ; en
1832, 2,300 ; différence en moins, 974.
A Liége, en 1824 (j’ignore le chiffre de 1822), 241 ;
en 1832, 197 ; différence en moins, 44.
Dans
Dans
A Namur, en 1822, 1,013 ; en 1832, 868 ; différence en
moins, 145.
Nous n’avons pas de données statistiques sur le
Luxembourg et le Limbourg.
Vous voyez donc, messieurs que dans la plupart des provinces
la mesure qui consiste à mettre les enfants trouvés à la charge des communes a
produit le meilleur effet ; nous en pouvons conclure, à bon droit, qu’elle est
pleine de sagesse.
Le nombre des infanticides s’est-il augmenté ? Qui
donc oserait le prétendre, alors que vous avez sous les yeux la preuve du
contraire ? Pendant les années 1826, 1827, 1828 et 1829, il y a eu dans tout le
royaume 28 accusations d’infanticide. Sur une population de 4 millions
d’habitants, 28 accusations d’infanticide, en 4 ans ! est-il possible de
toucher quelque chose de plus concluant.
A cela l’honorable orateur, dont j’ai parlé tout à
l’heure répond que ce chiffre ne prouve point que les infanticides ne soient
pas fréquents ; la peine comminée contre ce crime est tellement sévère,
tellement peu en harmonie avec nos mœurs, que les juges reculent devant son
application. Cela peut être vrai ; mais remarquez que, dans le relevé dont je
viens de m’appuyer, il est question non
point de condamnations, mais de poursuites. Or, la peine peut effrayer le juge,
mais elle n’effraie pas le ministère public. Du moment où il existe des
soupçons d’infanticide, le ministère public n’hésite point et ne peut hésiter à
faire les démarches nécessaires pour traduire les personnes inculpés devant les
tribunaux. Eh bien, malgré toute l’activité des officiers du ministère public,
on n’est parvenu à traduire devant les tribunaux que 28 individus dans l’espace
de quatre années.
Ne croyez pas cependant messieurs, que je veuille en
venir aux extrêmes, que je désire voir supprimer instantanément tous les
établissements d’enfants trouvés. En administration il ne faut rien brusquer ;
les améliorations ne doivent jamais s’introduire que graduellement et avec
lenteur ; mais je crois que le gouvernement agira avec sagesse en rendant
l’abandon et l’exposition des enfants de plus en plus difficiles.
Ce but vous l’atteindrez si vous vous décidez à mettre
les dépenses des enfants trouvés à la charge des communes ; et je le dis sans
crainte d’être démenti par l’expérience, l’intérêt général et la morale
publique se trouveront d’accord dans cette circonstance avec l’intérêt des
communes.
En résume, ce système est le seul politique, le seul
juste, le seul moral : c’est à vous de le consacrer ; le gouvernement remplira
son devoir en faisant ce qui dépendra de lui, en rendant l’exposition et
l’abandon des enfants aussi rares que possible.
- La séance est levée à quatre heures.