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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 11 janvier 1834

(Moniteur belge n°12 du 12 janvier 1834 et Moniteur belge n°13 du 13 janvier 1834)

(Moniteur belge n°12 du 12 janvier 1834)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(Présidence de M. Raikem.)

La séance est ouverte à une heure.

M. Dellafaille donne lecture du procès-verbal ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Renesse fait connaître l’objet des pétitions adressées à la chambre.

M. d’Huart. - Parmi les pétitions dont M. le secrétaire vient de faire l’analyse, il y en a une de la plus haute importance et sur laquelle je prierais la commission des pétitions de faire rapport le plus tôt possible.

Cette pétition est celle d’un industriel originaire de notre pays, et qui a établi en France une manufacture de tulle, très considérable, puisqu’il emploie par jour cinq cents ouvriers ; cet industriel demande, sous quelques conditions, de venir établir sa fabrique en Belgique. L’objet est donc de grande importance et peut contribuer puissamment à la prospérité nationale ; il mérite par conséquence qu’on le prenne le plus tôt possible en considération.

M. le président consulte la chambre sur cette motion, elle ne rencontre aucune opposition.

Proposition de loi relative aux droits sur les céréales

Lecture

M. le président. - Les sections ayant autorisé la lecture de la proposition déposée par M. Eloy de Burdinne, cet honorable membre est appelé à la tribune.

M. Eloy de Burdinne. - Voici, dit-il, quelle est ma proposition.

« Léopold., etc., etc., etc.

« Considérant que la législation actuelle sur le droit d’entrée et de sortie sur les céréales est insuffisante et qu’il importe de prendre des mesures qui puissent concilier à la fois les intérêts de l’agriculture, de l’industrie et du commerce ;

« Que l’expérience a démontré qu’un système gradué de droit d’entrée et de sortie est le plus propre à atteindre ce but ;

« A ces fins,

« Nous avons, de commun accord, etc. »

(Suit le texte de la proposition de loi proprement dite, non reprise dans la présente version numérisée.)

M. le président. - La chambre entendra mardi prochain les développements de cette proposition.

Projet de loi portant le budget du ministère des affaires étrangères de l'exercice 1834

Discussion des articles

Chapitre premier. Administration centrale

Articles 3 et 4

M. le président. - La chambre en est restée au chapitre premier, article 3, matériel : fr. 25,000 »

M. Nothomb, commissaire du Roi. - Hier, M. Verdussen a proposé un amendement tendant à ce qu’il ne soit porté au budget qu’une somme de 7,000 fr. pour les décorations, supposant qu’on pourrait employer les 3,000 fr. restant de l’année dernière ; d’après les renseignements que j’ai pris, j’ai reconnu qu’en effet on peut employer ces 3,000 fr.

M. le président. - Le chiffre de l’article serait de 22,000 francs.

M. Legrelle. - M. le commissaire du Roi est convenu que l’article était complexe, : je crois qu’on pourrait le divise en deux.

M. Nothomb, commissaire du Roi. - L’observation est très fondée ; on peut faire un paragraphe pour le matériel et un article pour les décorations.

M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Il vaut mieux faire deux articles.

M. le président. - L’article 3 fera : matériel, 15,000 fr.

- Cet article, mis aux voix, est adopté.

M. le président. - L’article 4 fera : décorations de l’ordre Léopold : fr. 7,000.

M. Gendebien. - J’insisterai pour demander le dépôt aux archives au greffe de la chambre, des divers arrêtés par lesquels on a conféré l’ordre de Léopold.

On nous a dit hier qu’il n’y a pas d’autres motifs à l’appui des nominations de ceux qui sont insérés au Moniteur. Je suppose que le ministre n’a pas parlé ainsi que parce qu’il n’avait pas les renseignements nécessaires ; je demande si aujourd’hui il peut nous donner d’autres explications.

M. Nothomb, commissaire du Roi. - J’ai écrit à M. le ministre de la guerre pour lui faire part de la discussion qui a eu lieu hier ; je n’ai pas reçu de réponse. Tout ce que je sais, c’est qu’il n’existe pas d’autres documents que les deux arrêtés insérés au Bulletin officiel, après avoir été insérés dans la partie officiel du Moniteur. Ces deux arrêtés sont motivés.

M. Gendebien. - Je n’insiste plus. Je me borne à faire observer à la chambre que j’ai signalé un abus, que j’ai rempli un devoir, qu’aucune responsabilité ne pèsera sur moi dans cette circonstance.

M. le ministre des affaires étrangères (M. F. de Mérode) - Je crois que les observations présentées par M. Gendebien devront être prises en considération, lorsqu’il y aura d’autres décorations à décerner ; alors il faudra développer les motifs plus explicitement.

- L’article 4, Décorations de l’ordre Léopold, fr. 7,000, mis aux voix, est adopté.

Chapitre II. Traitement des agents du service extérieur

Article premier

« Art. 1er. France : fr. 58,000. »

M. Doignon. - La Belgique n’est certainement pas un état du premier ordre, ni du deuxième ordre, c’est un Etat du troisième ordre. Les puissances du même rang n’ont pas de ministre plénipotentiaire ; elles n’ont que des ministres résidents. Je demande pourquoi le gouvernement belge ne les imite pas. Le ministère croirait-il que la dignité nationale sera compromise si nous descendions au rang qui nous appartient ? Il n’y a de petitesse qu’à se montrer plus grands qu’on n’est réellement ; c’est une vanité qu’on ne doit pas avoir aux dépens du peuple. J’émets le vœu qu’il n’y ait plus de ministres plénipotentiaires belges. Ce vœu a été émis par plusieurs sections.

M. Nothomb, commissaire du Roi. - C’est pour ne pas renouveler les débats qui ont eu lieu dans la dernière session que le gouvernement s’est borné à proposer les chiffres alloués par la chambre, après une longue discussion, Dans cette discussion, j’ai eu l’occasion de rectifier des allégations que le préopinant vient de reproduire. Ces allégations sont en fait inexactes.

La Belgique, il est vrai, est une puissance secondaire. Parmi les puissances européennes, la Belgique occupe le onzième rang. Au nombre des puissances qui viennent après elle, sont la Suède, le Portugal ; nous devons entrer en comparaison avec ces puissances, ainsi qu’avec celles qui nous précèdent immédiatement, telle que la Bavière, la Sicile, etc.

Or, à Londres, à Paris, ces Etats ont des ministres plénipotentiaires. Le ministre plénipotentiaire de Suède à Paris reçoit 92,000 fr. ; celui de Bavière y reçoit 75,000 fr. ; celui de la Saxe royale y reçoit 60,000 fr. La Saxe royale n’a cependant par l’importance numérique de la Belgique, elle n’a qu’une population de 1,400,000 âmes. Ces données, qui se trouvent au Moniteur, réfutent suffisamment les assertions du préopinant.

M. Davignon. - J’ajouterai à ce que vient de dire M. le commissaire du Roi que le ministre plénipotentiaire à Paris a d’autres soins à prendre que ceux qu’exige la politique ; c’est sous le rapport commercial que ce ministre est et nous sera surtout utile.

Le gouvernement belge a décidé que des commissaires se rendraient à Paris pour soutenir les intérêts commerciaux : la présence de ces commissaires, le besoin de les seconder dans leurs démarches occasionnera des frais. Je dois dire à la chambre que notre ministre à Paris, et j’ai eu l’occasion de m’en convaincre personnellement, remplit parfaitement ses fonctions, non seulement sous le rapport politique, mais encore sous le rapport des intérêts commerciaux auxquels il doit se vouer. J’appuie la demande faite pour ce ministre, et si on demandait une augmentation du chiffre, je l’appuierais dans l’intérêt du pays, me fondant sur des motifs qu’il serait trop délicat de développer ici.

(Moniteur belge n°13, du 13 janvier 1834) M. Gendebien. - Messieurs, lorsque notre ministre plénipotentiaire s’est rendu à Paris sous le régent, il a reçu 28,000 fr. Il était satisfait de la somme ; il eût même été satisfait de 25,000 fr. Il est vrai qu’avant lui notre ambassade coûtait beaucoup moins ; car, avant lui, le comte de Celles ne recevait aucun traitement. Il y a, vous le voyez, progrès dans les dépenses des agents politiques ; elle est en raison inverse des succès de la politique car nous sommes aujourd’hui autant humiliés que nous étions honorables et respectés alors ; nous sommes plus humiliés que nous ne l’avons jamais été.

On a vanté, on a exalte bien haut les services rendus par M. Lehon. Quels services M. Lehon a-t-il rendus ? Depuis trois ans, occupé de l’objet de sa mission, il devrait la connaître. Et cependant il faut que nous envoyions des commissaires à Paris, pour discuter les intérêts industriels.

Lorsque M. Lebon, simple avocat à Tournay, exerçait sa profession, recevait-il 47,000 fr. par an ou même en dix ans ? non, messieurs. Cependant il faut peu de causes au barreau pour nécessiter autant d’étude que les faits divers concernant notre position commerciale ; six mois de travail devaient suffire pour son éducation diplomatique, commerciale et industrielle, et il y a trois ans que nous le payons. Il ne faut donc pas tant exalter les services de M. Lehon sous les rapports purement diplomatiques. J’ignore les services qu’il a rendus ; ce que je puis attester, c’est que, parti de Bruxelles pour Paris au commencement de mars 1831, nous ne reçûmes de lui aucun renseignement sur la conspiration de mars, et dont le foyer était Paris ; cependant des Belges, ne recevant rien du trésor, mais mus par leur patriotisme, nous instruisaient de ce qui se passait.

Ils nous écrivaient tous les jours ; ils nous disaient le lieu, le jour et l’heure où se tenaient les conciliabules, les hommes mêmes qui y assistaient, ce qui avait été résolu. Ils nous annonçaient qu’un mouvement orangiste aurait lieu vers la fin de mars, et M. Lehon ne nous apprit rien. Voilà ce que ce ministre, ce que l’homme politique et commercial a fait pour la nation ; ce qu’il a fait depuis pour la dynastie, je l’ignore. On nous l’apprendra peut-être un jour.

Croyez-vous que les 47,000 francs que touche M. Lehon soient la seule rétribution qu’il perçoive ? En sa qualité d’ambassadeur il ne fait aucune dépense qu’elle ne soit payée par l’Etat, et il trouve encore le moyen de faire des bénéfices sur ces dépenses.

Je n’ai pas eu le temps de faire de longues investigations à la cour des comptes ; mais je sais, par exemple, que pour le premier semestre de 1832, indépendamment de son traitement, M. Lehon a reçu 1,876 fr. pour frais de correspondances, non compris les frais de courriers, mais uniquement pour les ports de lettres ; en faut beaucoup pour absorber cette somme en six mois.

Les aumônes faites par M. Lehon sont également au compte de l’Etat : deux francs, même un franc cinquante centimes donnés à un malheureux, sont inscrits sur le compte du trésor. Nous faisons tous des aumônes, et nous ne demandons pas que le gouvernement nous indemnise, bien que nous ne recevions aucun traitement.

Dans tous les journaux on a lu : M. l’ambassadeur belge a souscrit pour le choléra pour 500 francs : croyez-vous que c’est de sa poche que M. Lehon donne cette somme ? point du tout : voici la quittance dont j’ai pris copie à la cour des comtes : « 500 francs pour les cholériques ; versement fait le 8 avril 1832. »

L’insertion de la souscription dans les journaux a pu attirer des éloges à M. l’ambassadeur ; quant à moi ce fait ne me fera décerner que le blâme.

Ce n’est pas tout : on nous fait payer les décorations reçues par M. l’ambassadeur ; car on nous fait payer les frais de poste occasionnés par l’obtention de la décoration de commandant ou même de commandeur qu’il a gagnée à la course.

Soit dit en passant, notre ambassadeur ainsi que feu notre ministre des affaires étrangères nous font payer 8 fl. par poste.

Il est vrai que maintenant on paie par lieue 8 fr 46 c., ce qui est la même chose que 8 fl. par poste. Cependant un ambassadeur pourrait faire son voyage pour 5 fr. par poste : nous avons eu des souverains qui valaient bien nos diplomates, et qui voyageaient plus économiquement. Joseph Il, trop méconnu, trop calomnié, et qui a eu le malheur de naître un siècle trop tôt, voyageait en poste, dans une carriole allemande, et avec deux chevaux ; notre ambassadeur pourrait bien voyager de la même manière : cependant, s’il veut être plus grand que Joseph II, qu’il prenne trois chevaux, puisque la grandeur aujourd’hui se mesure sur le luxe et le nombre de chevaux ; qu’il en prenne même quatre, et il aura encore 50 p. c. de profit à courir la poste, sans compter ses frais de séjour.

Voulez-vous avoir la preuve que les frais de poste procurent du profit à notre ambassadeur ? Voici un petit compte de voyage :

Pour voyages faits pour recevoir le Roi, de Paris à Quiévrain, de Quiévrain à Compiègne et de Compiègne à Paris, ensemble 63 postes et 1/4, à raison de 3 florins par poste, fl. 506 00

Pour frais de séjour, à raison de 12 florins par jour, fl. 60

Total, fl. 566

Ainsi, 8 florins par poste, alors que quatre paieraient amplement la dépense, et 12 florins par jour de repos, alors qu’on est royalement hébergé à Compiègne. Enfin, 566 florins pour un voyage d’étiquette et de pure ostentation royale. Que la liste civile le paie, soit, c’est son affaire ; mais que le bon peuple y pourvoie, c’est une dérision.

Il est un second compte de voyage. Le voici :

Ce que je tiens ici est le compte précis copié de ma main à la cour des comptes. Je vous invite à vérifier ces pièces pour votre édification.

Pour voyages faits de Paris à Quiévrain, de Quiévrain à Compiègne, de Compiègne à Bruxelles et de Bruxelles à Paris, formant ensemble 120 postes à raison de 8 fl. par poste, sauf à l’égard de 50 postes qui sont comptées sur le pied de 4 florins seulement, la liste civile ayant supporté une partie de ces frais quant à ces dernières :

70 postes à 8 fl : fl. 560

50 postes à 4 fl. : fl. 200

Pour frais de séjour, en tout 23 jours à 12 fl. par jour : fl. 276

Total : fl. 1,036

Veuillez remarquer, messieurs, que vous trouvez dans ce compte la preuve que nos ambassadeurs considèrent comme un supplément de traitement 4 fl. par poste, puisque, lors du retour de Compiègne à Bruxelles, la liste civile a payé les frais de poste de notre ambassadeur et qu’il ne s’est pas moins fait payer par le trésor 4 fl. par poste, c’est-à-dire moitié de la somme qui lui eût été allouée s’il avait payé la poste ; ce qui prouve que M. l’ambassadeur gagne, comme je le disais tout à l’heure, 50 p. c. au moins sur les frais de poste, non compris les frais de séjour qu’il reçoit alors même qu’il a été royalement hébergé à Compiègne.

Ainsi ces voyages ont coûté 1,600 florins ; au profit de qui et pourquoi ? Pour procurer à M. Lehon la décoration de la croix de commandeur de la légion… d’honneur.... J’avais peine à prononcer ce mot. Voilà, messieurs, le cas que l’on doit faire des décorations ; on les gagne aujourd’hui en courant la poste, et c’est nous qui en payons les frais. N’est-ce pas déplorable de présenter au budget des sommes pour de semblables dépenses ? n’est-ce pas un leurre que de poser un chiffre pour traitement alors qu’on peut ainsi le majorer de mille manières ?

Quand nous n’en étions pas encore à l’époque des humiliations, des Belges refusaient les traitements attachés à leurs fonctions ; ils étaient heureux de pouvoir faire des sacrifices pour leur pays ; ils étaient fiers de les représenter sans faste. Aujourd’hui les ambassadeurs ne sont envoyés que pour recevoir de gros traitements. Ils en font même une condition sine qua non, d’après ce que nous dit le ministère lui-même. Ils devraient se contenter d’une indemnité et ne pas grossir les dépenses de l’Etat par des comptes de postes à 8 florins, et des restitutions de faibles aumônes, dont chacun de nous rougirait de se rendre compte à lui-même.

Indépendamment des comptes que nous payons chèrement à MM. les ambassadeurs, nous leur payons encore des frais considérables.

Allez à la cour des comptes, vous y verrez ceux que présente notre ambassadeur à Paris ; comptes revus, corrigés au ministère des affaires étrangères, envoyés à la cour des comptes qui est encore obligée d’en effacer une grande partie. Je déclare qu’il n’y a personne capable d’en faire d’aussi sottement établis, d’aussi bêtement rédigés, d’aussi.... J’allais dire autre chose ; mais je m’abstiens. Tout y est confondu, exercices de 1832 et 1833, dépenses concernant la liste civile, doubles emplois, etc.

M. Lehon, immédiatement après le voyage à Lille en janvier dernier, a fait un compte d’après lequel il a pris 50 p. c. de bénéfice. Il a présenté le compte de ces postes le 23 janvier ; M. F. de Mérode a alloué la somme demandée : ce n’est pas sur cet honorable membre que doit tomber le blâme ; il a suivi des antécédents fâcheux qui étaient établis. Cependant je regrette qu’il n’ait pas apporté, dans cette circonstance, le même esprit d’économie qui le dirigeait dans les commencements de notre révolution.

Alors, je l’ai entendu discuter pendant une demi-heure pour savoir si 45 ou 50 fr. seraient accordés pour frais de voyage à un officier, de Bruxelles à Paris ; 45 francs furent alloués. On représenta que 50 fr. étaient indispensables ; il tira 5 fr. de sa poche pour compléter la somme : j’arrivai à la fin du débat ; lorsque j’en connus le but, je voulus donner les 5 francs : Non, a dit M. de Mérode, c’est moi qui paierai le supplément si vous croyez qu’il soit dû.

Il est vrai qu’en 1830 nous avions des mœurs républicaines ; aujourd’hui c’est tout différent : nous avons une dynastie, nous sommes sous le régime royal, ce qui coûte toujours plus cher ; ce sont nos ministres eux-mêmes qui nous le démontrent chaque jour, et la discussion du budget des affaires étrangères nous en fournira plus d’une preuve,

Le 6 août, M. Lehon a présenté un compte semestriel, et, au milieu d’un grand nombre d’irrégularités, le même voyage de janvier figurait en double emploi. M. de Mérode avait d’abord approuvé ce compte dans le mois de septembre dernier, mais il a ensuite biffé sa signature. M. Goblet, qui est venu ensuite aux affaires étrangères, a approuvé le compte en octobre, après y avoir fait certaines réductions par suite du renvoi de la cour des comptes, mais en laissant subsister le double emploi pour le voyage à Lille en janvier dernier.

La cour des comptes a fait un nouveau travail ; mais tout était tellement embrouillé que la cour des comptes, pour en finir, a, je crois, accordé la demande. Je me proposais d’y aller ce matin pour vérifier les faits, mais je n’en ai pas eu le temps. Il reste toujours vrai néanmoins que nos ambassadeurs reçoivent le double de ce qu’ils dépensent en voyage, et je ne sais pas encore en définitive si le même voyage a été payé deux fois : tout ce que je sais c’est que le compte revu et remanié deux fois au ministère des affaires étrangères présente encore un double emploi avec l’allocation accordée par M. de Mérode en septembre ; et si ce double emploi a disparu, c’est la cour des comptes qui en a fait justice.

Cependant un membre se plaint ici de ce qu’on ne demande pas assez pour cet ambassadeur qui ne nous a rendu aucun service, à nous connu au moins. Il est possible qu’il en ait rendu à S. M. Louis-Philippe, puisqu’il en a reçu la croix de commandeur ; mais quels services nous a-t-il rendus ?

Comment se fait-il qu’étant depuis trois ans à Paris, que devant connaître les intérêts du pays, il faille encore envoyer des commissaires pour y soutenir les intérêts de notre industrie ? Mes observations ne portent que sur l’ambassadeur ; je n’ai que des louanges et des remerciements à adresser à nos commissaires qui veulent bien par leur zèle suppléer à l’insuffisance et à l’impuissance de notre ambassadeur.

Il est donc dérisoire ou du moins imprudent, de venir faire ici l’éloge du ministre plénipotentiaire et se plaindre qu’il ne reçoit pas assez.

Le traitement sous le régent était de 28,000 francs : on l’aurait bien porté plus tard à 40,000 fr. je pense, mais par la considération que des retenues étaient faites par le congrès sur tous les traitements et qu’on voulait que la retenue opérée, il restât toujours à peu près 28,000 francs.

Je ne demanderai pas de réduction sur le traitement parce que ce serait soulever une discussion longue et inutile.

Je me suis acquitté de mon devoir en signalant des abus. Je n’allouerai pas le chiffre demandé, parce qu’il est trop élevé.

On veut de gros traitements, afin de donner, vous répète-t-on sans cesse, de la considération à nos agents. Il y a deux manières d’attirer l’attention du monde. Les prodigues font beaucoup de bruit ; ils se font admirer du vulgaire dans de brillants équipages ; mais cela ne dure pas longtemps et ne procure que l’admiration des sots, et jamais cette estime et cette considération qui seule peut convenir à une nation comme le peuple belge. Tandis que des hommes connus par leur mérite et leur haute probité, quoique économes, s’attirent l’estime des gens éclairés et jouissent dans le monde d’une véritable considération, la seule utile aux nations comme aux individus.

Quand on veut se distinguer des autres nations et qu’on ne peut pas le faire sans se ruiner, il faut le faire par la simplicité et l’économie.

La nation belge s’est toujours distinguée par son économie.

Si cette nation a été plus riche que les autres, a été riche longtemps avant les autres, croyez-vous que c’est en donnant aux ambassadeurs de fortes sommes pour les jeter sur les grandes routes et les dépenser par des profusions d’étiquette ? Non, messieurs ; c’est par un travail assidu, c’est par une économie soutenue, c’est en n’affectant aucune prétention au-dessus de son rang et de son état social que la Belgique a été pendant une longue période à la tête de la civilisation ; c’est aussi par suite de son esprit d’ordre et d’économie que la Belgique a tenu beaucoup plus que les autres nations à son indépendance, à sa liberté qu’elle a conquise avant les autres nations.

Là où il y a industrie, travail et commerce ; la où il y a aisance sans luxe, il y a liberté : la corruption est impuissante sur des hommes modérés dans leurs goûts économes ; mais c’est près des hommes qui dépensent au-delà de leurs moyens, qui dilapident la fortune publique, que l’on trouve accès quand il y a des crimes politiques à commettre, et il en est encore une fois de même sous ce rapport des nations comme des individus.

Notre nationalité est, grâce à nos ministres, un vain mot au-dehors ; mais soyons Belges à l’intérieur ; au lieu de parler sans cesse de nationalité, d’indépendance, travaillons à redevenir réellement Belges ; ramenons l’administration aux habitudes du pays, à ce qu’elle était autrefois, sous le rapport de l’économie s’entend.

Améliorons la condition du peuple ; donnons-lui de l’instruction. Que la première instruction pour tous soit le mépris de tous les moyens de luxe, de faste. Voilà comment vous constituerez une nation forte. Mais, en constituant une nation à liste civile de 1,300,000 florins, à ambassadeurs et autres parasites, puisant fort avant dans le trésor, croyez-vous que ce sera le moyen de perpétuer notre nationalité ? Non, messieurs ; le peuple, quand on l’appelle à la défense du pays, croit que ce sont ces hommes dorés, qui s’engraissent aux dépens de l’Etat, qu’il s’agit de défendre, et il reste immobile. On trouve peu d’hommes prêts à se sacrifier pour d’autres hommes : la patrie seule trouve des défenseurs

Vous voulez donner à vos ambassadeurs une position qui leur donne de l’influence au-dehors : la meilleure manière de représenter la nation, c’est de tenir un langage simple, mais ferme. Notre histoire nous rappelle que ce ne sont pas les habits brodés qui, dans aucun temps, ont sauvé le pays. Rappelez-vous cette ancienne association, surnommée des gueux, à cause de la simplicité des mœurs et du costume, des hommes qui en faisaient partie, et de leur emblème. Croyez-vous qu’ils eussent sauvé la Belgique s’ils eussent été couverts d’habits galonnés ? non ; Philippe II aurait pesé sur la Belgique comme un rouleau. Vainqueur, il fut forcé de mettre un frein à ses fureurs, et trouva peu de Belges disposés à le servir.

N’allez pas si loin consulter les annales de notre histoire : voyez quels hommes ont reconquis l’indépendance belge il y a 3 ans. Interrogez, sur nos places publiques, non de misérables agents de police, mais des hommes de bon sens : demandez-leur où nous conduit la marche du pouvoir ? ils vous diront quelles sont les causes qui amèneront probablement une catastrophe avant dix-huit mois ; et, en effet, il y a plus de mécontentement en Belgique, actuellement, qu’il n’y en avait en 1830.

En 1830 la prospérité du pays était à un point que nous pourrions atteindre sans doute avec une bonne administration, c’est-à-dire avec une administration dirigée par des hommes probes et économes et non par des hommes à gros traitements et habits brodés. En 1830 il y avait bien quelques établissements factices, il est vrai ; mais ces établissements en auraient amené d’autres qui se seraient consolidés : sous le rapport des intérêts matériels, la nation avait peu à désirer ; sous le rapport des intérêts moraux, il y avait perpétuellement vexations de peuple à peuple. Les Belges se réveillèrent enfin, et nos oppresseurs disparurent comme des ombres. Aujourd’hui, on divise la nation en catégories, ; on déverse des calomnies sur les meilleurs citoyens ; il n’y a pas de calomnies qui n’aient été déversées sur ces chambre par des journaux salariés par la liste civile, ou ce qui revient au même, pour lesquels la liste civile souscrit pour 200 abonnements indépendamment d’un subside annuel.

Les hommes du pouvoir surpassent encore en audace leurs méprisables stipendiés :, tantôt on entend un ministre dire qu’on a ouvert tout exprès les prisons de la Hollande pour donner des officiers à l’armée ; qu’un colonel a fait prendre un bain à tout un régiment, officiers et soldats, et qu’on a reconnu 14 marques flétrissantes sur l’épaule de 15 officiers, faits qui ont été reconnus calomnieux, et le ministre n’en a pas moins conservé son portefeuille pendant 5 mois. Il n’en a pas moins été grassement récompensé. Tantôt on entend un autre ministre dire que le Roi a été lâchement abandonné à Louvain par l’armée et son état-major. Tantôt le même ministre dit que l’armée est composée de voleurs. Voilà, pour l’intérieur.

A l’extérieur éprouvons-nous plus de satisfaction pour nos affaires ? Nous n’éprouvons qu’une série sans fin d’humiliations, et c’est à tel point que la nation, qui se croyait avec raison quelque chose en 1830,se considère maintenant, et à tort sans doute, au-dessous de toutes les nations. En considérant une telle situation, comment ne pas prévoir une catastrophe ? Les mêmes causes amènent les mêmes effets, et vous subirez les conséquences de ces causes si vous ne vous hâtez de les faire disparaître.

Veuillez vous rappeler que les intérêts matériels, quelque florissants qu’ils soient, n’arrêteraient pas l’explosion si on ne satisfait pas en même temps les intérêts moraux.

Rappelez-vous que c’est au milieu de l’exposition de ce que l’industrie peut produire de plus parfait que la révolution a éclaté au mois d’août 1830.

Il y a cependant un remède bien simple à tant de maux qui menacent le pays : pour les prévenir, observez la constitution ; n’établissez pas des catégories ; ne dites pas un jour : Mort aux orangistes ; ne dites pas le lendemain : Les orangistes valent mieux que les autres car ils se sont montrés fidèles à leur roi ; il ne s’agit que de les décider à changer de couleur.

N’insultez pas l’armée ; ne traquez pas les hommes de la révolution ; ne souffrez pas qu’on leur fasse un crime de leur dévouement, ne leur préférez pas les hommes du lendemain. Je le répète, une grande partie des mécontentements qui travaillent l’esprit des peuples peuvent être apaisés en exécutant la constitution, rien que la constitution. Au lieu de fourvoyer la chambre, qu’on lui montre la vérité et les véritables règles de la justice, surtout quand on est ministre de la justice, qu’on ne viole pas les lois. Hier encore nous avons appris qu’on avait violé la loi par les décorations ; on s’est mis au-dessus de la loi comme si elle n’existait pas. Mais si vous ne respectez pas les lois, si vous violez la constitution, quel sera donc votre régime ? L’arbitraire ? En Belgique l’arbitraire ne réussit pas : Napoléon, malgré son génie et l’éclat de ses victoires, a succombé. Je ne crois pas que vous soyez prêts à égaler cet homme dans ses qualités élevées ; ne l’imitez pas dans ses défauts, car vous n’avez rien pour en offrir en compensation.

M. Davignon. - Messieurs, je laisserai à M. le commissaire du gouvernement le soin de répondre à des faits qui sont hors de ma sphère, sans examiner le plus ou le moins de convenance qu’il y a dans leur publication, et s’il peut en résulter quelque avantage pour la chose publique : je me bornerai à répliquer à ce qui a trait aux observations que je viens d’avoir l’honneur de vous présenter.

Si, comme l’a dit l’honorable préopinant, j’ai exalté, et je reproduis son expression, les services de notre ministre plénipotentiaire à Paris, c’est que j’ai eu l’occasion de les reconnaître, de les constater, et je crois remplir un devoir en les proclamant ici.

Je mets de côté, messieurs, la question de personne, et c’est un principe dont je ne m’écarterai jamais ; mais personne ne contestera, je pense, la nécessité d’entourer un agent de la considération nécessaire par les prestiges de représentation devenus aujourd’hui, en quelque sorte des besoins réels. Il est des convenances auxquelles, même dans les termes ordinaires de la société, on doit se conformer : vouloir s’y soustraire, ce serait prononcer son isolement.

Il est de même incontestable que la qualité des agents doit se déterminer, non seulement d’après le rang de l’Etat qui les envoie, mais aussi d’après le rang de la puissance près de laquelle ils sont accrédités.

Ne doit-on pas aussi prendre pour règle la qualité donnée à l’agent de cette même puissance près de notre gouvernement, et plus spécialement encore avoir égard à l’importance des intérêts, je ne dirai pas même politiques, mais des intérêts commerciaux et des rapports intimes de voisinage, pour lesquels il y a déjà où il y aura évidemment négociation peu interrompue, du moins pendant assez longtemps ?

Mettre un agent diplomatique dans une position telle, qu’à moins de sacrifices personnels, que tous n’ont pas les moyens ou la volonté de faire, il est hors d’état de se conformer à certains usages établis, et de se concilier l’influence et la considération dont il a besoin pour remplir sa haute mission, c’est s’exposer à faire de la somme trop minime qui lui est allouée, une dépense entièrement perdue, ou, ce qui revient au même, sans aucune utilité pour le pays.

C’est, du reste, une vérité palpable que, rétribuer d’une manière insuffisante les envoyés à l’étranger, c’est écarter les capacités, et laisser ces fonctions si importantes dans le domaine exclusif des gens à grandes fortunes.

Une chose qu’il est également indispensable d’apprécier, c’est la nature et l’importance des rapports que le gouvernement peut avoir, dans l’intérêt de tous, avec la puissance près de laquelle il est accrédité.

Telles sont, messieurs, les considérations sur lesquelles est basée l’opinion que j’ai émise il y a peu d’instants.

Je suis aussi partisan de l’économie ; mais vous n’ignorez pas que c’est aussi une véritable économie qu’une dépense faite à propos, dans l’intérêt bien entendu du pays, et de laquelle il peut résulter des avantages réels, surtout pour le commerce et l’industrie, en faveur desquels je ne cesserai de réclamer protection.

M. Gendebien. - J’ai parlé d’une somme globale demandée au budget pour les missions extraordinaires. Je n’ai pas dit qu’elle ait été absorbée. Quant à l’honorable préopinant je ne lui ai rien dit de désagréable, j’ai dit au contraire que nous devions remercier tous les Belges qui allaient à Paris faire ce que notre ambassadeur ne peut faire. Je réitère mes remerciements à MM. les commissaires.

Je suis de l’avis de l’honorable préopinant relativement aux dépenses bien faites. Ce sont de véritables économies. Je crois qu’il y aurait une bonne économie à faire en retirant les 58,000 fr. à notre ambassadeur et en les donnant à la commission ; nous en retirerions bien plus d’avantages, si toutefois elle peut obtenir quelque chose d’avantageux pour nous, ce dont je doute fort.

M. Nothomb, commissaire du Roi. - J’éprouve un grand embarras pour répondre à l’orateur : il n’a pris aucune conclusion, il a laissé le chiffre intact. Quel a pu être son but ? Etait-ce de faire la profession de foi qui lui a servi de péroraison ou était-ce pour flétrir l’homme qui nous représente à Paris ?

M. Gendebien. - Je n’ai pas voulu flétrir l’homme.

M. Nothomb, commissaire du Roi. Eh bien, je dirais : Etait-ce pour attaquer l’homme, puisque vous retirez l’autre expression ?

M. Gendebien. - Je ne retire rien.

M. Nothomb, commissaire du Roi. - Vous avez dit : flétrir.

Quoi qu’il en soit, c’est une défense que je vous présente. C’est à tort, suivant moi, qu’on a traduit à votre barre un agent diplomatique ; c’est le ministre qu’il fallait accuser. Pour peu que l’on suive cet exemple, que l’on s’attaque aux agents diplomatiques pris individuellement, il pourra en arriver de la diplomatie ce qui en est arrivé du ministère : les places de chef de légation seront en disponibilité comme celles des chefs des départements ministériels.

Je n’entreprendrai point de vous faire une biographie ; les services rendus au pays, avant et depuis la révolution, par l’honorable citoyen qu’on a attaqué sont, grâce à Dieu, de notoriété publique : il est vrai, depuis l’avènement de la royauté nouvelle, il a uni dans sa pensée la dynastie que nous nous sommes donnée et la nationalité belge ; alliance que nous avouons tous, et que peut-être le préopinant ne comprend point. Cet honorable citoyen s’est montré dévoué à la dynastie, parce qu’il y a vu le symbole de notre indépendance ; en cela, personne dans cette chambre ne désapprouvera sa conduite.

Si j’avais besoin de citer un service particulier rendu au pays, je me permettrais de vous révéler que c’est cet envoyé qui, au premier signal des hostilités en août 1831, sous sa responsabilité et avant d’avoir reçu des instructions officielles, a préparé cette intervention française qui a sauvé la révolution. Certes, c’est là un fait dont personne ne contestera l’importance.

Mais, nous dit le préopinant, M. Lehon ne nous a point révélé la conspiration de mars 1831 ; conspiration qu’il pouvait connaître, car Paris était le foyer des menées orangistes. J’ignore les détails de cette conspiration ; j’ai lu beaucoup de pamphlets relatifs à cet événement encore obscur pour moi, et je remercierai celui qui me l’éclaircira, non par des conjectures, des insinuations malveillantes, mais par des documents historiques. Quoiqu’il en soit, si ma mémoire est fidèle, je puis vous attester que M. Lehon nous a, dès son arrivée à Paris, en mars 1831, dénoncé les menées orangistes de la capitale et de Lille, autre foyer d’intrigue. Aurait-on voulu rendre son patriotisme suspect ? aurait-on voulu, par un prétendu silence, l’impliquer dans une effrayante complicité ? Je repousse d’avance toutes ces insinuations ; M. Lehon s’est toujours montré excellent Belge, et il n’a rien négligé pour découvrir les menées de nos ennemis.

Le traitement du chef de la légation de Paris, nous dit-on, a été fixé par le régent à 28,000 francs ; je crois qu’il a été de 15,000 florins. Mais que l’on remarque d’abord que ce fonctionnaire a subi la loi commune de la retenue, ce qui a ramené son traitement à 13,000 florins, ou si l’on veut à 28,000 francs.

Il est un fait que l’honorable préopinant qui aime à nous citer comme modèle le gouvernement provisoire et la régence, c’est-à-dire le premier ministère, il est un fait qu’il a oublié : nos envoyés nommés à cette époque à Londres et à Paris avaient droit à des frais de premier établissement, frais que celui de Paris a touchés. L’envoyé désigné pour Londres, le comte d’Arschot, n’ayant pas été reçu, a eu la délicatesse de ne pas accepter cette somme. Le gouvernement provisoire et la régence ont montré plus de générosité envers la diplomatie que le gouvernement monarchique qu’on nous signale comme l’avènement du faste : nos envoyés à l’étranger avaient des frais d’établissement.

Le président du comité diplomatique et plus tard le ministre des affaires étrangères avaient des frais de représentation.

Les antécédents sont donc en ma faveur, et je les accepte tout entiers.

On vous a dissèque des comptes ; on a accusé l’envoyé à Paris de s’être fait payer ses frais de voyage : mais tout fonctionnaire public qui se déplace, reçoit des frais de déplacement.

Je ne puis entrer dans tous les détails, je m’arrêterai au tarif. En France on alloue aux ambassadeurs 40 fr. par poste ; aux ministres plénipotentiaires 24 fr, ; aux chargés d’affaires 15 ou 18 fr. ; aux secrétaires de légation 10 fr. Dans l’ancien royaume des Pays-Bas, on allouait au ministre plénipotentiaire 8 fl. par poste, et 12 fl. par séjour. C’est ce tarif inférieur au tarif français que nous avons adopté dans les derniers temps, ou plutôt conservé, à l’exemple des autres ministères, où l’on a suivi les anciens tarifs. Pourquoi M. Lehon ne voyage-t-il pas dans une modeste carriole ? C’est que, dans sa position, il ne peut se singulariser ; il doit voyager avec l’appareil des agents diplomatiques.

D’après l’arrêté du 22 septembre 1831, arrêté inséré au Bulletin officiel, le gouvernement ne rembourse aucun frais de bureau à ses agents ; il ne leur rembourse que les ports de lettres, les frais d’estafettes et des aumônes, et les aumônes qu’ils font à des Belges conformément aux usages diplomatiques. Qu’il me soit permis de faire remarquer que cet arrêté est l’œuvre du système monarchique. Le gouvernement provisoire et la régence, qu’on vous donne comme modèles, remboursaient tout à leurs agents. Cet arrêté a été appliqué à M. Lehon à partir de l’époque de sa mise à exécution, 1er janvier 1832.

Mais, dit-on, l’on a tenu compte à M. Lehon d’une somme de 500 fr. donnée à la municipalité de son arrondissement à l’époque où le choléra ravageait la capitale : voici, messieurs, comment les choses se sont passées. Les Belges à Paris et entre autres les ouvriers qui s’y trouvent en grand nombre atteints du choléra, ont été recueillis et traités dans les hôpitaux de la capitale et traités comme les Français : la Belgique ne devrait-elle pas une indemnité ? Nous l’avons fixée à 500 francs et certes ce n’était pas se montrer généreux ; et nous avons remis cette somme aux autorités municipales de Paris par l’intermédiaire de notre agent. Voilà comment un fait qui, au premier abord apparaît sous des couleurs peu favorables, s’explique très naturellement.

Je croirais abuser de vos moments, en entrant dans plus de détails. M. Lehon, a été payé d’après le tarif, ou sur des déclarations approuvées par le ministre dont il relève. Je regrette d’avoir été obligé d’entreprendre une défense toute personnelle. Les services incontestables que M. Lehon a rendus au pays, devaient le mettre à l’abri de pareilles attaques.

Enfin, messieurs, on vous a dénoncé un prétendu luxe de la diplomatie pour en appeler à je ne sais quel système autre que le système monarchique, et on vous a prédit des catastrophes, on les a dit prochaines, menaçantes, elles doivent nous placer dans un autre ordre de choses. Il fut un temps où le même orateur se plaisait à nous prédire la guerre universelle, et la guerre universelle n’est point venue. Il en sera de même, je l’espère, de la catastrophe d’un autre genre qu’il annonce. Si une tentative qui porterait atteinte à la dynastie que nous avons fondée, et que personne de nous ne sépare de la cause de notre indépendance, si pareille tentative était possible, si elle venait à être faite, elle ne trouverait ni dans cette chambre ni dans le pays l’assentiment qu’on a osé lui promettre. (Marques d’approbation.)

M. le ministre des affaires étrangères (M. F. de Mérode) - M. Nothomb a répondu aux diverses objections de M. Gendebien ; cependant je crois devoir y ajouter quelques observations. Je n’ai pas à me plaindre de celles de M. Gendebien en tant qu’elles me concernent. Il a été au contraire très obligeant pour moi, et je l’en remercie. A une époque critique, rappelée par l’honorable orateur, M. Lehon n’a pas été inactif ; il a obtenu du gouvernement français une déclaration publique que la France ne reconnaîtrait plus la souveraineté de la maison d’Orange en Belgique, et qu’elle s’opposerait positivement à une restauration chez nous, et cette déclaration a produit un excellent effet à l’intérieur et au-dehors.

Sous le rapport pécuniaire, la conduite de notre envoyé a été généreuse dans son ensemble, et c’est toujours là qu’il en faut revenir : il sert bien son pays, avec zèle, avec talent ; il le représente sans parcimonie comme doit faire un ministre belge. Mais pour défendre ses amis, il n’est pas nécessaire de les défendre minutieusement et de les prétendre toujours exempts de minutie dans leurs comptes. Or, selon moi, les aumônes formant un total de 40 francs ne devaient pas y figurer.

Les frais de poste, les frais d’équipages, je déclare ne pas aimer qu’ils soient larges. La munificence sur ce point ne me semble utile en aucune manière, et je serai toujours fort disposé à la réduire au nécessaire, à l’égard d’une maison tenue honorablement, afin de voir dans l’intimité les hommes influents avec lesquels on a des affaires à traiter. Je pense que les moyens de suffire aux dépenses de cette nature doivent être accordés à nos plénipotentiaires, parce qu’elles sont extrêmement utiles au pays, qui est ainsi convenablement représenté à l’étranger

L’orateur à qui je réponds a fini en parlant des habits brodés,. Ces habits ne nuisent point à ceux qui les brodent et qui sont des ouvriers. Ils sont gênants pour ceux qui les portent et voilà tout. Mais nous ne pouvons seuls déroger aux usages établis en Europe, nous nous y conformons ; l’envoyé de la république des Etats-Unis s’y conforme, porte un habit brodé, et la liberté des Etats-Unis n’y perd rien.

Quant aux vieux reproches sur les volontaires, sur ce qu’a dit un ancien ministre, je dirai que cela n’est plus de notre compétence, les précédents ministres se sont défendus dans le temps où ils étaient au banc ministériel. La tâche du ministère actuel est suffisante, il aurait tort de se charger du passé.

M. Gendebien. - Au lieu de répondre à mes observations on s’est livré à des insinuations qui ne méritent pas de réplique de ma part. Le préopinant n’a pu se tromper sur mes intentions ; cependant il a dit que j’avais voulu flétrir ou du moins attaquer l’homme qui représente la Belgique à Paris.

Pour justifier cette expression, au moins hasardée et toujours inconvenante, il a dit que l’ambassadeur n’était pas justiciable de cette chambre et que la responsabilité de ses actes pesaient sur le ministère. Comment voudriez-vous, messieurs, qu’un député pût signaler les actes qui compromettent la responsabilité d’un ministre sans nommer la personne subordonnée à ce ministre, dont les actes émanent ? M. Lehon m’importe peu ; si je l’ai nommé, c’est parce qu’il est le subordonné de M. le ministre des affaires étrangères : et pour signaler au ministre les actes que je regarde comme nuisibles à l’intérêt du pays ; j’aurai pu dire, il est vrai l’ambassadeur ou l’ambassade de Paris, mais chacun aurait pu voir que c’était de M. Lehon que je parlais.

Je n’ai jamais rien eu de commun avec M. Lehon si ce n’est le titre d’avocat, je n’ai rien à lui envier : il était avocat comme moi avant la révolution, il a préféré depuis la carrière des emplois publics, des grandeurs, des ambassades ; il est probable que dans sa position il est moins heureux que moi ; je n’ai rien à lui envier. Si ce n’est pas l’envie, quel sentiment pourrait donc m’animer ? N’ayant jamais rien eu à démêler avec lui je ne conçois pas de motifs de haine personnelle. Quand je parle de M. Lehon, c’est de l’ambassadeur et non de la personne que je m’occupe.

Ce n’est pas répondre que de faire des insinuations qui ne sont d’ailleurs fondées sur rien. Il fallait commencer par établir la cause de mon hostilité personnelle. Si on l’avait fait, je dirais qu’il est inconvenant de parler ici de motifs personnels, mais vous n’avez pas même ce prétexte ; car je vous délie, en dehors de la politique, de trouver aucun point de contact entre M. Lehon et moi.

On vous a parlé des services de M. Lehon, et on vous a cité un seul fait, la démarche faite par M. Lehon auprès du gouvernement français, au mois d’août 1831, pour demander l’intervention de l’armée française, et on vous a dit : Voilà un service immense.

Je vous demande quel service immense ! Quel mal si grand, quand il a un carrosse et deux chevaux, notre ambassadeur a dû se donner pour se rendre aux Tuileries, où les portes lui sont ouvertes en qualité de ministre plénipotentiaire de S. M. belge ! Si vous n’avez que de pareils faits à citer, vaudrait mieux vous taire pour ne pas imiter l’imprudent ami.

En vous faisant l’éloge de M. Lehon, on a évidemment soulevé une question de personne ; car on m’a mis dans la nécessité d’entrer dans une discussion de personne. C’est l’orateur du gouvernement qui a jeté en avant une question de personne. Si je voulais le suivre sur ce terrain, il ne me serait pas difficile de répondre à ce que nous a dit le préopinant, de rétorquer même contre lui ce qu’il a avancé ; mais je m’abstiens, je n’imiterai pas l’orateur du gouvernement, qui cependant m’a adressé le reproche de faire des questions de personne alors que je ne faisais que signaler des économies à faire.

Je ne citerai qu’un fait pour répondre au commissaire du Roi, et pour lui prouver que je devais nécessairement parler de M. Lehon au sujet d’une question de tarif. Lorsque M. Lehon voyage seul et qu’il paie la poste, il reçoit huit florins par poste ; lorsqu’il voyage avec le Roi et que le Roi paie les chevaux de poste, il reçoit encore quatre florins par poste. Je vous ai dit qu’on pouvait conclure de là qu’il mettait en poche quatre florins par poste quand il voyageait seul, puisque quand il allait avec quelqu’un qui avait la bonté de payer pour lui, il se faisait allouer encore quatre florins par poste. Voilà un fait qui prouve que le tarif est trop élevé, voilà un fait auquel il fallait répondre et auquel on n’a pas répondu.

On vous a dit ensuite que nous citions le gouvernement provisoire et le premier ministère du régent, comme modèle ; nous n’en avons rien fait. On n’a pas moins pris texte de cela pour établir que déjà à cette époque les fonctions d’ambassadeur étaient rétribuées comme elles le sont aujourd’hui.

On a allégué un fait inexact, on a dit que c’était la retenue ordonnée sous le gouvernement provisoire, qui avait réduit leur traitement à 15 mille florins. Cela est encore inexact ; le traitement, fixé d’abord à 28,000 francs avait été réduit par suite de la retenue ordonnée par le congrès à 7 ou 8 mille florins. Le régent reconnut que cette somme était insuffisante. Il porta le traitement des ambassadeurs à 40,000 francs, je pense, afin qu’après réduction, il s’élevât toujours à la somme primitive de 28,000 francs ; on regarda ce taux comme très convenable. A cette époque, M. Lehon ne touchait que 28,000 francs. M. Lehon en était satisfait ; et aujourd’hui on lui donne 47,000 francs et il n’en est pas satisfait, et on demande des augmentations.

Vous mettez constamment en avant les frais de premier établissement que sont obligés de faire les ministres plénipotentiaires, pour élever leur traitement. Accordez une fois pour tous ces frais de premier établissement, c’est-à-dire demandez-les à la chambre : mais quand vous les aurez obtenus, cesseront tous les prétextes de gonfler annuellement les sommes qu’on alloue aux ambassadeurs. La dépense une fois faite, nous serons dispensés de batailler chaque année, vous pourrez réduire le traitement de tous nos ambassadeurs au taux proportionnel fixé sous le regard pour notre ambassadeur à Paris. Il avait reçu, dites-vous, une somme pour ses frais d’ameublement ; accordez la même somme aux autres. Mettez ensuite tous les traitements des ambassadeurs sur le pied de celui de Paris, remettez ce traitement au taux de 28 mille francs ; vous serez conséquent avec les promesses que vous avez établies ; car si M. Lehon a reçu une somme pour premier établissement, c’était une raison non pour augmenter son traitement, mais pour le maintenir au taux fixé en raison de la somme de premier établissement.

On vous a dit aussi qu’on remboursait les frais de voyage à ceux qui se déplacent pour le compte de l’Etat. Je n’ai jamais prétendu qu’il fallût forcer les citoyens à voyager à leurs frais dans ces circonstances, mais j’ai soutenu seulement qu’on ne devait leur donner que la somme nécessaire pour ces frais. Je ne me suis élevé contre les frais alloués à M. Lehon que parce qu’il était évident qu’il en mettait la moitié en poche, et que je ne veux pas qu’on augmente les traitements par voie indirecte parce qu’il en résulte toujours de graves abus.

Vous ne donnez aux secrétaires d’ambassade en mission que 5 fr. par poste, c’est le stricte nécessaire ; pourquoi faut-il plus que tripler la somme quand c’est l’ambassadeur, quand c’est l’homme à gros traitement qui voyage ? Vous donnez exactement ce qu’il faut à l’un, pourquoi donner davantage à l’autre ? On donne, dit-on, 40 fr. aux ambassadeurs français ; soit, c’est un abus ; mais ces ambassadeurs représentent une puissance de premier ordre ; mais ces 40 fr. se répartissent sur une population de 32 millions d’habitants, de telle sorte qu’un ambassadeur français ne coûte pas le quart de ce que coûte un ambassadeur en Belgique, où il n’y a que 3 millions 500 mille habitants.

Dans les Pays-Bas, on donnait 8 fl., dites-vous ; mais il y avait dans ce royaume 7 millions d’habitants ; pour 3 millions 500 mille habitants il fallait ne donner que la moitié, pour rester dans de justes proportions. Vous avez beau citer ce qui se passe au-dehors ; en Belgique on n’imite que ceux qui sont économes.

Mais un ambassadeur doit se conduire comme tous les autres, à moins de se singulariser ; ainsi, pour ne pas se singulariser, il faut qu’il mette quatre florins en poche par poste. J’aimerais mieux qu’il se singularisât en les laissant dans le trésor, c’est une singularité qui a toujours été fort goûtée en Belgique.

On a ajouté que par un arrêté du mois de septembre 1831, on n’allouait plus de frais de bureau aux agents diplomatiques, qu’on ne leur payait plus que des frais de courriers et de correspondance. Je ne sais ce qu’on payait autrefois pour les frais de bureau, je sais que la somme payée pour les ports de lettres est exorbitante. Remarquez qu’il y a deux chapitres distincts, l’un pour les courriers et l’autre pour la correspondance. Quand je vois pour les ports de lettres par la poste 317 fr. pour le mois de janvier, pour le mois de mars 326, pour le mois de mai 361, pour le mois de juin 320, je ne puis m’empêcher de dire que la correspondance est bien chère, qu’il vaut mieux payer les frais de bureau et diminuer les frais de correspondance.

Je voudrais connaître d’une manière précise les frais de correspondance du ministère des affaires étrangères séparés des frais de courriers. Je suis persuadé qu’il ne montent pas plus haut que ceux de notre ambassadeur à Paris. Il n’y avait, pour le ministère des affaires étrangères, que 13 mille francs de frais de matériel de bureau, et dans cette somme se trouvaient compris entretien des locaux, fournitures de bureaux, frais d’impression et de reliures, achats de livres et de cartes, abonnement aux journaux, ports de lettres, feu, lumières, papier, plumes, toutes les dépenses de bureau enfin. On a demandé deux mille francs de plus, mais c’est pour l’administration de l’ordre de Léopold, et je vois pour le premier semestre des frais de correspondance de notre ambassadeur à Paris fr. 1,876 63 c., ce qui fait pour l’année 3,800 francs de frais de correspondance seulement. Je suis convaincu, je le répète, qu’on n’en dépense pas autant au ministère des affaires étrangères.

Voilà ce que j’ai critiqué et vous m’avez répondu en disant qu’aujourd’hui on ne payait plus de frais de bureau. j’ai trouvé les sommes exorbitantes, c’est à cela qu’il fallait répondre.

Tout le monde a reconnu la singularité fâcheuse qu’il y avait à faire supporter par le trésor public les 500 francs donnés pour les cholériques.

M. le commissaire du Roi a répondu à cela que ces 500 francs avaient été données pour les Belges. mais je suppose que ce soit pour les Belges que M. Lehon ait donné ces 500 francs ; n’avons-nous pas souscrit et pour le choléra et pour toutes les calamités qui ont affligé le pays ? n’y-a-t-il pas parmi nous beaucoup de personnes qui souscrivent dans ces circonstances et paient de leurs deniers, bien qu’elles ne touchent aucun traitement de l’Etat ? Il semble que lorsqu’un ambassadeur se donne le plaisir, la satisfaction de faire de la charité, d’être humain, il ne doit pas plus que tout autre le faire aux frais de l’Etat.

Il semblerait vraiment que dès l’instant qu’on est attaché au râtelier du budget, on doit thésauriser sa fortune particulière et vivre aux dépens du budget en tout et pour tout. Mais le fait allégué par l’orateur du gouvernement, que la somme de 500 fr. a été envoyée aux hospices pour les Belges, ce fait n’est pas exact.

Voici la quittance : elle ne fait aucune mention des Belges, et n’a pas été délivrée par les hospices ou les hôpitaux ; mais par ceux chargés de recueillir les souscriptions ; et c’est, à n’en pas douter, la souscription de M. Charles Lehon que nous avons payée.

« Le 9 avril 1832, il a été payé par M. le ministre plénipotentiaire de la Belgique, et enregistré en recette sous le n° ci-contre du livre à souche (1215) en même temps qu’au compte-journal de la caisse municipale de Paris, la somme de 500 francs, pour secours aux malades du choléra-morbus.

« Pour le receveur,

« (Signé) Geffroy. »

Je vous demande, messieurs, est-ce pour des malades belges que cette somme a été donnée ? C’est pour le choléra-morbus. Mais fût-ce pour des malades belges, un ambassadeur qui reçoit un gros traitement aurait-il le privilège de se faire rembourser par le gouvernement les aumônes qu’il fait ? Allez à la cour des comptes, vous y trouverez des quittances de 2 fr ; et même d’1-50 donnés à des malheureux belges ; pour six mois il y a 226 francs portés pour aumônes. Qui de nous n’en fait autant de ses propres deniers ?

Pour toutes ces petites dépenses on en tient bien exactement le compte ; mais quand il s’agit de dépenses considérables, les comptes sont arrangés de telle manière qu’il n’y a pas moyen de s’y reconnaître, tout y est confondu.

Nous voyons que notre envoyé extraordinaire fait payer par l’Etat les aumônes qu’il fait, et cependant il a 47 mille francs de traitement fixe, plus moitié des frais de poste, qu’il met en poche.

On a prétendu que j’avais prédit (c’est le mot dont on s’est servi) des catastrophes qui devaient se réaliser avant peu. Messieurs, ce n’est pas moi qui ai jamais eu la prétention de rien prédire et ne prédis rien encore aujourd’hui ; mais j’ai dit les causes qui amèneraient infailliblement une catastrophe, si on ne s’empressait de changer de système. Au lieu de faire un jeu de mot et de chercher à me mettre en contradiction avec mes précédentes paroles, il fallait discuter ces causes que j’avais signalées, c’était le moyen de prouver que j’avais tort.

Vous avez mauvaise grâce à venir me dire que j’ai prédit à faux une guerre générale en 1831. Le préopinant ne devrait pas rappeler cette époque ; lorsque nous luttions au congrès contre le système de paix à tout prix, nous ne demandions ni ne prédisions la guerre générale, nous demandions qu’on s’y préparât ; mais si nous avions prédit la guerre générale, pourrait-on nous adresser un reproche ?

Et qui peut assurer aujourd’hui encore que la guerre n’aura pas lieu ?

Je défie le préopinant de nous prédire aujourd’hui qu’il n’y aura pas de guerre générale. Il choisit fort mal son temps pour me reprocher de n’avoir pas prédit juste ; jamais l’Europe n’a été plus près de la guerre qu’aujourd’hui. Vous allez peut-être encore prendre ces paroles pour une prédiction, et dans dix-huit mois, si-la guerre n’a pas eu lieu, vous viendrez me dire encore que j’avais fait une fausse prédiction, que j’avais prédit la guerre générale. Je vous répondrai : Non, je ne vous avais pas prédit la guerre générale, mais je vous avais dit que, d’après l’état de l’Europe, cette guerre était imminente ; et en effet tout le monde se dispose à la guerre.

Au milieu de tous ces actes de courtoisie et de politesse diplomatique, tout le monde arme ; l’Angleterre elle-même, la pacifique Angleterre à cause de son énorme dette, résultat de ses intrigues diplomatiques, de ses profusions à l’étranger, l’Angleterre elle-même prépare des armements ; il n’y a pas jusqu’au gouvernement du juste milieu de France, dont l’existence repose sur les promesses incessantes de paix générale et de désarmement, condamné qu’il est à maintenir son armée au grand complet, qui ne se permette de prendre un ton belliqueux, ou mette des paroles quasi-guerrières dans la bouche du roi, devenues paroles presque menaçantes dans l’adresse.

A moins que le sourire que je vois errer sur les lèvres de M. le commissaire du Roi n’interprète mes paroles d’une manière plus défavorable encore pour le Roi et pour les ministres de France ; je dois croire que jamais l’attitude du gouvernement français n’a été plus à la guerre qu’aujourd’hui. La Russie armant sur la mer Noire, la main étendue sur la Turquie, fermant les Dardanelles à toutes les flottes de l’Europe ; l’Egypte armant avec une nouvelle ardeur ; toutes les puissances de l’Europe en armes aujourd’hui comme il y a trois ans ; alors que j’aurais prédit la guerre générale, on ne pourrait pas, il me semble, m’en faire un reproche, et l’honorable préopinant est trop prudent pour prendre un engagement contraire. Je lui demanderai s’il peut donner la promesse formelle que nous n’aurons pas la guerre, et s’il ose faire à cet égard une prédiction ?

Que disions-nous au congrès ? Nous ne disions pas : Nous voulons la guerre ; nous ne proposions pas de substituer un système belliqueux à un système pacifique, ce n’était pas cela du tout. Heureusement vous avez dans les journaux de cette époque ma profession de foi.

Je l’ai répétée plusieurs fois dans les comités secrets, mais comme ce que je disais dans le comité n’était pas rendu public on dénaturait nos paroles, on nous prêtait un système de guerre, alors que nous ne faisions que donner des conseils. C’est ce qui m’a forcé de rompre enfin le silence en public, et je l’ai dit aussi au congrès : Préparez-vous à la guerre ; si vous ne voulez pas faire la guerre à la Hollande, le roi Guillaume vous la fera. Malgré la précision de nos paroles, on nous a calomniés sans cesse en prétendant que nous voulions faire prévaloir un système de guerre et que nous demandions la guerre immédiate. Cependant, j’ai dit vingt fois : Je ne veux pas la guerre et surtout la guerre immédiate, parce que je sais que les ministres ne font rien pour s’y préparer. Je demandais qu’on s’y préparât, et au jour que j’indiquais les points qu’il fallait fortifier, les lieux les plus faibles où il fallait établir des camps retranchés, parce que probablement ce serait par ces points que nous serions attaqués (et c’est effectivement par là que les Hollandais sont entrés) le ministère me répondit : Nous ne sommes pas ici pour faire de la stratégie.

Peu de temps après, le roi Guillaume est venu en faire de la stratégie aux dépens de notre honneur ! Ai-je prédit juste ? Je ne tiens pas à faire des prédictions ; et quand, dans cette circonstance, j’en aurais fait une, j’aurais désiré qu’elle ne se réalisât pas. Le gouvernement, comme je le disais tout à l’heure aurait mauvaise grâce à me reprocher les conseils que je donnais, car ce n’était que des conseils, et l’expérience a prouvé qu’ils n’étaient pas mauvais.

Je demanderai à M. Lebeau et surtout à M. Nothomb, secrétaire perpétuel de tous les ministères, défenseur de tous les ministères, si leurs prédictions se sont accomplies, si nous avons eu les enclaves, tant vantées, si nous avons eu le Luxembourg, Maestricht, si nous avons eu la moindre de toutes les choses qui nous étaient promises, si nous avons sauvé la Pologne ? N’arrêtez pas la main prête à recevoir la quittance de la dette, disait M. Lebeau. Fondez un système pacifique, disait-il, à quoi bon dépenser des sommes énormes à entretenir une armée ? acceptez les 18 articles, cela vous permettra de faire, sur le budget, une économie de 25 millions de florins. Cependant, depuis, les budgets furent portés constamment à 70 et 80 millions. Vous avez donc fort mauvaise grâce, je le répète encore, de chercher à éluder de répondre à des faits, en supposant que j’ai fait, en 1831, des prédictions qui ne se sont pas réalisées.

Pour la honte des hommes qui se disent les sauveurs du pays, elles ne se sont que trop réalisées. Je ne demande pas de nouvelles catastrophes : dans la première, j’ai perdu une partie de ma fortune ; s’il en arrivait une seconde, j’y perdrais probablement le reste et peut-être la vie, tandis que d’autres viendraient exploiter cette nouvelle révolution comme on a exploité celle de 1830.

M. Félix de Mérode est venu me dédommager de l’amertume des paroles du préopinant ; je le remercie de ce que ses paroles avaient d’obligeant pour moi, je me félicite que mes relations avec lui ne soient point définitivement rompues ; j’y attacherai toujours beaucoup de prix, et s’il devait y avoir une rupture de cette trêve entre nous, ce ne serait pas moi qui la provoquerais, Toutes les fois que j’aurai quelque chose à dire en faveur de cet honorable membre et que je pourrai le dire sans blesser sa modestie, je m’empresseras de le faire.

Je dois néanmoins répondre un fait que M. de Mérode a cité. Il paraît que M. Lehon a rendu jusqu’à deux services au pays : le premier, la demande de l’intervention de l’armée française en Belgique au mois d’août, le second, la déclaration qu’il aurait obtenue du gouvernement français qu’il ne souffrirait pas qu’une restauration s’opérât en Belgique. Si M. Lebon a obtenu cette déclaration, ce que j’ignore, c’est au moins la 4ème, 5ème et 6ème édition ; car, dès le 28 septembre 1830 je suis parti de Bruxelles, et le 1er octobre j’ai obtenu du gouvernement français qu’en exécution du principe de non-intervention, il ne souffrirait pas l’entrée d’un étranger en Belgique. Cette déclaration me fut donnée une seconde fois le 16 octobre, et je la reçus une troisième fois de la bouche même du roi ; je crois que ce fut le 3 janvier 1831. Il n’y a pas moyen d’en douter, je suis assez véridique pour qu’on me croie sur parole. Pour les deux premières, plusieurs de mes collègues en ont été témoins et quant à la troisième, j’ai rapporté au congrès les propres paroles de Louis-Philippe ; elles sont dans les journaux de cette époque. Ainsi disparaît un des immenses services rendus par Lehon, moins qui ni réclame la sixième édition de la déclaration, que je ne veux pas lui contester.

On m’a fais un reproche de n’avoir pas fait de proposition et d’avoir voulu flétrir l’homme chargé de nous représenter auprès de la France. Messieurs, je n’ai voulu flétrir que le luxe et les profusions ; j’ai dit que je croyais que 58 mille francs étaient un traitement exorbitant et dépassait de beaucoup les besoins de notre ambassadeur ; j’ai pensé que 48,000 fr. devaient suffire à ses besoins s’il était modéré.

- Un membre. - Et le secrétaire, les frais de bureau ?

M. Gendebien. - En les portant à 10 mille francs, comme vous avez évalué ces frais, il resterait encore 38 mille francs, ainsi 40,000 francs plus que sous le régent ; j’ai dit que je ne voterais rien au-delà de 48 mille francs ; mais comme j’ai pensé que la chambre n’adopterait pas la réduction que je proposais, je n’ai pas cru devoir la formuler ; j’ai voulu seulement m’acquitter de mon devoir comme député. Si un membre faisait la proposition que je viens d’indiquer, je déclare que je l’appuierais. Je me suis acquitté de mon devoir, c’est à la chambre à faire le sien.

M. le ministre des affaires étrangères (M. F. de Mérode) - Je demande la parole pour un fait. Les déclarations reçues du gouvernement français par M. Gendebien ne concernaient que les étrangers qui auraient voulu se mêler des affaires intérieures de la Belgique, tandis que celle dont j’ai parlé concernait le gouvernement hollandais lui-même. Cette déclaration différait des autres, en ce que le gouvernement n’avait pas jusque-là interdit au gouvernement hollandais de rentrer en Belgique à main armée ; il s’était seulement opposé à ce que les autres puissances se mêlassent de nos affaires. Cette dernière déclaration a été obtenue par M. Lehon à l’époque de l’élection du régent. Je me rappelle l’époque parce que j’étais allé à Paris immédiatement après l’élection du régent, et que c’est pendant mon séjour que le fait a eu lieu.

M. Gendebien. - Je ne sais pas quelle est la déclaration qui fut faite au mois de mars à M. Lehon ; je déclare ne l’avoir jamais vue, ni en avoir entendu parler, ce que je sais, c’est que l’envoyé extraordinaire de France en Angleterre, M. de Talleyrand, a consenti à Londres, avec tous les autres membres de la conférence, au rétablissement du prince d’Orange en Belgique.

Puisque je suis sur ce chapitre assez délicat, j’ajouterai que l’honorable général Belliard me dit, (alors c’était confidentiel, mais pas tellement cependant que je ne puisse en parler, car plusieurs membres du congrès le savent). C’était peu de temps après l’avènement du ministère du 30 mars ; l’honorable général Belliard était menacé d’une disgrâce, car il n’était pas disposé à suivre la politique du nouveau ministère, il partait pour s’en expliquer à Paris ; il me dit : Prenez garde aux menées orangistes, ne comptez pas trop sur la diplomatie, et assurez-vous autrement que par ce moyen de la réalité des choses. Je ne puis croire encore, dit-il, que le gouvernement français consente à une restauration en Belgique, mais au moins il faut éviter une tentative qui vous menace de Londres.

Cela voulait dire, et j’ai appris depuis lors le mot de l’énigme, que le prince d’Orange, trompé par ses amis de Belgique qui se croyaient plus forts qu’ils n’étaient, avait mis la conférence en demeure de s’expliquer, prétendant que la Belgique le voulait, le demandait et le recevrait à bras ouverts, et on a laissé au prince héréditaire la faculté d’essayer. Talleyrand a consenti comme les autres à cet essai. Je sais quelque chose de plus que, si d’un côté on consentait ; ailleurs on s’y est opposé ; il y avait, comme chacun sait, deux gouvernements à Paris, et je sais que l’un des deux ne consentait pas, et c’est peut-être cela qui nous a évité une restauration.

Voilà les faits que je connais. Je ne pense pas que dans ces circonstances le gouvernement visible de France ait fait à l’envoyé de la Belgique, une profession de foi contraire à ce qui s’était passé à Londres. Depuis que la tentative a échoué, grâce à l’énergie de quelques hommes et au courage du peuple, une déclaration a pu être faite ; et il n’y aurait là rien d’étonnant ; car tous les diplomates ont été forcés de reconnaître que les événements du mois de mars ont bouleversé toutes les combinaisons de la diplomatie, ce que je sais pertinemment, c’est qu’il ne s’en est pas fallu de beaucoup que nous ne fussions restaurés, et par des hommes qui ont été les enfants gâtés de la révolution et qui n’ont pas rougi de trahir le pays, et l’amitié, et ont consenti à faire ou laisser prendre leurs bienfaiteurs.

Comme je réponds à M. le commissaire du Roi, on pourrait croire que c’est à lui que cela s’adresse. Je dois déclarer que jusqu’à présent, à mes yeux, il est resté pur de toute espèce de reproche à cet égard.

On a manifesté le désir d’une publication sur la révolution, elle sera faite ; mais la prudence exige que j’attende. Le jour où j’aurai cessé de vivre, elle sera publiée ; si je suis assez heureux pour voir mon pays calme, elle sera publiée avant ma mort.

M. Nothomb, commissaire du Roi. - Messieurs, le préopinant m’a reproché de soulever une question de personne. Je suis étonné, je vous l’avoue, qu’un semblable reproche m’ait été adressé. L’accusation n’était pas partie de moi. Comme je l’ai dit, c’est à regret que je suis entré dans cette discussion et j’en renvoie à un autre l’initiative.

Dans les précédentes sessions, quand il s’est agi du budget de la guerre, de celui de l’intérieur, on a dit que les tarifs des frais de voyage des militaires, des ingénieurs, étaient trop élevés et qu’il fallait les réduire ; ramenez donc le budget des affaires étrangères à la question de chiffre. Si on était resté dans les limites des débats parlementaires, si aujourd’hui on était venu dire : Le tarif des frais de voyage des envoyés à l’étranger est trop élevé, il faut le réduire, on aurait agi à l’égard du ministère de affaires étrangères comme on l’a fait à l’égard des autre ministères. En dernière analyse, comme vient de le prouver la réplique du préopinant, il n’y a ici qu’une question de tarif, il n’a pu discuter que cette question, et c’est cette question seule qu’il fallait discuter.

Je ne rentrerai plus dans les détails sur lesquels il a cru devoir revenir, je ne répondrai qu’à deux faits.

La souscription pour le choléra était une indemnité remise à la municipalité de Paris pour les soins donnés aux cholériques belges, confondus avec les autres malades dans les hôpitaux de cette capitale.

Puisque l’honorable orateur a cru devoir vous dénoncer tout à l’heure mon sourire, je citerai un fait propre à arrêter le sourire que je remarque à mon tour sur ses lèvres.

A Anvers, le gouvernement anglais a fait remettre à la municipalité une somme pour l’indemniser des soins donnés aux cholériques anglais, confondus avec les malades belges dans les hôpitaux de cette ville. Cette somme avait pu être remise par le consul, je vous demande si le gouvernement anglais n’aurait pas également tenu compte à son agent de l’indemnité remise par son intermédiaire. Le texte du reçu qu’on vient de nous lire n’est point en contradiction avec l’explication que j’ai donnée.

Enfin, messieurs, il est si peu vrai que le préopinant n’a pas soulevé une question de personne, qu’il est revenu sur les services rendus par M. Lehon. Il nous suffirait, pour répondre, d’invoquer ses antécédents avant et depuis la révolution, qui tous sont honorables ; nous n’avons pas borné ses services à deux ; nous n’avons cité que ceux-là, parce que nous ne voulons pas faire une biographie. On vous a parlé de l’ignorance où notre ambassadeur nous avait laissés des événements qui devaient avoir lieu a la fin de mars 1831, événements qui se préparaient à Lille et à Paris.

Si j’avais voulu donner à ces paroles une portée qui, j’en suis sûr, n’était pas dans la pensée de l’orateur, je lui aurais demandé : Est-ce que vous voulez conclure de là que c’est à dessein qu’il ne l’a pas fait ? mais je me hâte de le dire, telle n’a pas été l’induction que le préopinant a voulu en tirer. Cependant, à prendre le fait comme il est présenté, on aurait pu conclure qu’à dessein ou par négligence M. Lehon n’aurait pas rendu compte des complots qui se tramaient en France. Je répète de nouveau qu’aussitôt son arrivée à Paris, M. Lehon nous a signalé les menées orangistes et trop souvent il nous a indiqué les époques où telle ou telle tentative devait avoir lieu.

Je repousse donc toutes les inductions qu’on pourrait tirer des paroles du préopinant, inductions qui, sans doute, ne sont pas dans sa pensée, mais qu’on pourrait en tirer ailleurs.

M. Gendebien. - L’orateur du gouvernement prétend toujours que c’est moi qui ai fait une question de personne d’une question de tarif. Tant que vous voudrez, monsieur ; mais j’ai bien dû parler de M. Lehon pour prouver que le tarif était trop élevé, attendu qu’il portait en compte quatre florins par poste, alors que le Roi payait la poste. Je n’ai pu attaquer le tarif que par l’application que j’en ai trouvée à la cour des comptes, et c’est dans ceux de M. Lehon que j’ai trouvé ce qu’il y avait de plus concluant.

Je dirai encore un mot sur le fait des 500 fr. donnés pour les cholériques ; on vous a dit que c’était une indemnité donnée par le gouvernement belge aux hôpitaux de Paris ; mais le fait n’est pas exact, c’est à titre de souscription que la somme a été versée. Tous les journaux de Paris ont en grand soin de publier que M. Lehon ambassadeur belge avait souscrit pour une somme de 500 fr., et la quittance est conforme à cette annonce de journaux.

C’est donc une souscription et non un envoi à titre d’indemnité. Quand on envoie une indemnité, on l’envoie au bureau même que cela concerne, tandis qu’ici c’est une souscription versée à la municipalité, comme tous les Belges l’ont fait à Paris. La quittance que je vous ai lue est en rapport avec les listes de souscription, et cette souscription de M. l’ambassadeur a été payée des deniers des contribuables. Ce que j’ai dit reste donc dans son entier.

M. Nothomb, commissaire du Roi. - Un mot seulement. (Aux voix !) Quand M. Lehon voyage seul avec sa voiture, il reçoit huit florins par poste pour quatre chevaux ; quand il voyage avec le Roi, sa voiture à deux chevaux suit, il ne reçoit alors que quatre florins : voilà la seule explication que je devais encore au préopinant.

L’article premier du chapitre II est mis aux voix et adopté.

Article 2

« Art. 2. Grande-Bretagne : fr. 80,000. »

- Adopté.

Article 3

« Art. 3. Prusse : fr. 54,500 fr. »

La section centrale propose de réduire ce chiffre à 43,000 fr.

M. Ch. Vilain XIIII. - Messieurs, je demanderai la permission de présenter quelques observations sur le chiffre de la légation de Berlin, qui s’appliqueront en même temps à toutes les autres légations.

M. le commissaire du Roi vous a parlé d’un arrête pris sous le ministère de M. de Muelenaere, dont toutes les conséquences n’ont pas été bien saisies par la chambre. Cet arrêté porte qu’il ne sera remboursé aux agents à l’extérieur aucune espèce de frais extraordinaires hormis les frais de poste et de courriers. Il en est résulté que beaucoup de frais sont tombés à la charge de ces agents et leur enlèvent une partie de leur traitement.

Ces frais se composent 1° de frais de bureau qui sont nombreux ; il faut à une légation quelconque, servie par un ministre plénipotentiaire qui a un secrétaire ou par un chargé d’affaires, il faut un commis, un écrivain ; la chancellerie doit faire imprimer les passeports, se procurer les timbres et cachets et payer les appointements du commis ; on peut évaluer cette dépense à deux mille francs ; 2° les étrenne considérables qu’il faut parfois donner aux huissiers des différents ministères après de certains ministère. Sous l’ancien gouvernement des Pays-Bas, il y avait un employé qui recevait, de différentes légations étrangères, mille florins d’étrennes par an. Il les gagnait, il est vrai, d’une manière infâme, en rendant différents services aux envoyés extraordinaires des différentes puissances, en leur communiquant des choses qu’ils ne pouvaient connaître autrement que par son intermédiaire. (Mouvement.)

C’était sans doute une infamie de la part de celui qui recevait à ce prix des gratifications, mais les ministres qui les donnaient étaient à l’abri du blâme.

M. de Brouckere. - Ils étaient au moins ses complices.

M. Ch. Vilain XIIII. - C’est reçu en diplomatie ! un diplomate comme un général doit avoir ses espions. Il faut encore, dans certains pays, donner des étrennes à la livrée du souverain qui vous reçoit, et quelquefois les cadeaux montent jusqu’à la haute domesticité.

Troisièmement, la Belgique est mal appréciée à l’étranger, nous ne sommes pas connus pour avoir un esprit d’ordre ; notre prospérité matérielle est ignorée ; quelques agents diplomatiques ont eu intérêt à présenter la Belgique comme un pays où le brigandage régnait constamment dans les rues, qui était dans l’impossibilité de se suffire, et toujours au moment d’entrer en combustion. Le seul moyen de détruire ce préjugé est de faire insérer de temps à autre, dans les journaux étrangers, des nouvelles et des articles qui présentent sous son véritable jour la situation du pays.

Quatrièmement, les illuminations dont on ne peut se dispenser ; quand on est accrédité dans un pays, à moins de faire une insulte publique au souverain près duquel on est accrédité, toute la ville et tous les ambassadeurs illuminent. Ces illuminations se répètent assez souvent : c’est tantôt pour la fête d’un souverain, tantôt pour un mariage, tantôt pour la naissance d’un prince ; elles sont très chères, et l’arrêté met tout ces frais à la charge de l’agent.

Il faut bien payer les propriétaires des journaux, qui n’insèrent pas ces nouvelles et ces articles sans demander des sommes assez élevées, cent et quelquefois cent cinquante francs pour l’insertion d’un seul article.

Sous ces différents rapports, les diplomates se trouvent dans une très mauvaise position. Ils sont une exception au milieu des diplomates européens et au milieu des employés de la Belgique. Ils sont une exception au milieu des diplomates européens, en ce que tous ces diplomates reçoivent, outre leur traitement, des frais de bureau ou un abonnement qui sert à payer ces frais de bureau ; ils reçoivent encore comme droits de chancellerie une rétribution sur chaque service qu’ils rendent à des particuliers : pour une légalisation ils perçoivent une somme de 5 francs, et pour le visa d’un passeports 3 fr. Les diplomates belges sont les seuls qui n’aient pas le droit de percevoir ces taxes, ils doivent rendre les services et dominer leur signature gratuitement.

Ils sont dans une position exceptionnelle au milieu des employés belges, en ce que ceux-ci, depuis le ministre jusqu’au copiste, reçoivent des frais de bureau ; et, de plus, leur traitement leur est payé intégralement à leur domicile, sans aucune espèce de frais ; tandis que les diplomates, privés de frais de bureau, sont encore obligés de faire venir leur argent à leur résidence. On les paie à Bruxelles, et non là où ils exercent leurs fonctions. Il faut qu’ils donnent une procuration à un fondé de pouvoir qui prend un pour cent sur tout ce qu’il touche ; ce fondé de pouvoir donne l’argent à un banquier qui prend encore un, deux et jusqu’à trois pour cent pour leur faire parvenir leur argent ; car on n’obtient le pair que pour le papier de Paris ou de Londres. De sorte qu’avant de rien recevoir, il commence par se voir enlever quatre pour cent, et il est obligé ensuite de payer tous les frais extraordinaires. Il lui reste sans doute encore une part, mais cette part est bien diminuée.

Permettez-moi, messieurs, de faire valoir ici une considération que vous a déjà présentée M. le commissaire du Roi. Il vous a dit que si vous ne donniez que de petits traitements aux agents diplomatiques, vous créeriez un monopole en faveur de l’aristocratie financière. Cela est vrai. Nous aurons beau faire, nous ne pourrons pas changer les usages de la diplomatie européenne. La vie diplomatique est plus chère que celle des personnes les plus riches de la ville qu’ils habitent. Le diplomate est regardé par le commerce détaillant comme un homme rempli d’argent qu’on peut faire dégorger ; tout est plus cher pour lui, et il est obligé de payer ce qu’on lui demande, parce qu’il serait ridicule de voir un diplomate se présenter devant un juge de paix vis-à-vis d’un commerçant détaillant.

Je comprendrais que des puissances comme la France et la Russie voulussent changer ces habitudes, et dissent à leurs ambassadeurs : Vous aurez dix mille francs, vous ne verrez personne que pour les affaires du pays. Des puissances comme celles-là, un ambassadeur qui a une armée de 500 mille hommes derrière lui ou qui représente une population de 30 ou 40 millions d’hommes, n’a pas besoin de donner des deniers pour qu’on s’occupe de lui et pour avoir de la prépondérance ; mais pour la Belgique, petit Etat nouveau, je ne pense pas qu’elle ait assez de poids pour faire changer les mœurs de l’Europe. Elle serait dupe des tentatives qu’elle voudrait faire à cet égard.

L’honorable député de Tournay, nous a parlé de Franklin et de l’immense influence qu’il exerça en France sans avoir eu d’argent.

D’abord en admettant l’argument, il faudrait trouver en Belgique sept ou huit Franklin, mais Franklin était dans une position exceptionnelle qui ne se présente pas aujourd’hui ; Franklin, quand il vint en France, était la personnification d’une idée, la réalisation vivante d’une pensée qui répondait aux désirs de tout un peuple ; Franklin, c’était la liberté arrivant en France au milieu d’une société en dissolution, devant une monarchie qui croulait, et les hommages dont les Français l’entourèrent étaient un salut à l’aurore de 89 et non des salutations à un diplomate. (Très bien ! très bien !)

Vous placez le ministre des affaires étrangères dans une position détestable, en n’allouant que de petits traitements ; au lieu d’être maître de ses agents, de pouvoir les faire marcher comme il lui convient, de les changer, les déplacer, d’en être maître en un mot, ce sont les agents, je ne dirai pas qui sont maîtres du ministre, mais qui le tiennent presque en sujétion ; il ne peut choisir ses agents comme il le veut, parce qu’il est impossible de vivre à l’étranger, avec la représentation convenable, avec les appointements fixés au budget. Pour la légation de Berlin, entre autres, il est obligé de chercher, parmi les personnes ayant de la fortune, la plus propre à remplir la mission, et par conséquent de la prier.

Cette personne fait ses conditions ; elle part, trouvant assez agréable de faire un voyage avec un titre, d’être bien reçu dans les pays étrangers,- et d’avoir une certaine somme pour aider à ses frais de voyage. Arrivée à sa destination, cette personne visite le pays, remplit sa mission, tant bien que mal, et quand elle a visité ce qu’elle avait à voir, elle s’ennuie et envoie sa démission. Voilà le ministre obligé de se promener sa légation à la main, de frapper à la porte des différent salons, en disant : qui en veut ?

C’est placer l’administration et le pays dans une position extrêmement désagréable, c’est faire de nos légations de véritables lanternes magiques diplomatiques, où les étrangers verraient successivement défiler ce qu’il y a en Belgique d’un peu riche et pas trop niais.

Il y a encore une circonstance qui est fatale aux diplomates belges. Les membres de la chambre sont habitués à juger de la vie des autres capitales d’après Bruxelles. Mais Bruxelles est peut-être la capitale où la vie diplomatique soit le meilleur marché ; Paris est déjà regardée comme une des villes ou elle soit moins chère ; je ne dis pas pour la vie animale, qui est à peu près la même partout, mais la vie de luxe ; elle est moins cher à Paris qu’ailleurs, et il en est de même à Bruxelles, à cause de sa proximité de Paris. Cette vie est très chère à Londres, à Vienne, à Berlin ; dans toute l’Italie et à Saint-Pétersbourg ; partout elle est plus chère qu’à Paris et à Bruxelles ; Paris, pas plus que Bruxelles, ne peuvent donc servir de type pour juger de la vie diplomatique. Dans les villes que je viens de citer, les agents diplomatiques ne pourraient pas faire avec 30 mille francs. Je pose en fait qu’un ministre qui a maison, famille, dépense à l’étranger mille francs par semaine, avec de l’ordre et de l’économie. A moins de lésiner, je ne pense pas qu’il puisse faire autrement.

Je ne dirai qu’un seul mot sur la légation de Berlin. J’aurais plusieurs considérations à présenter, mais il serait difficile de le faire en public. Je me permettrai seulement d’indiquer que la reine des Pays-Bas est sœur du roi de Prusse, que la princesse Marianne d’Orange est belle-fille du roi de Prusse.

M. Nothomb, commissaire du Roi. - Dans la discussion à laquelle le budget des affaires étrangères a donné lieu, il y a cinq mois, j’ai recherché quel est le rang de la Belgique parmi les états européens ; nous avons été amené à ce résultat, qu’elle occupe la onzième place dans l’échelle des puissances, qu’elle est immédiatement précédée de la Bavière, de la Sardaigne et des Deux-Siciles, et suivie de la Suède et du Portugal ; nous en avons conclu que le nouvel Etat belge, pour tenir son rang, pour s’assurer une influence convenable, devait ne pas descendre, pour l’établissement de ses missions à l’étranger, plus bas que ces puissances dont il est l’égal.

J’ai ajoute que la Belgique a trois hautes positions diplomatiques, Londres, Paris et Berlin, où elle ne pourra jamais se passer d’un agent, ayant le caractère d’envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire. Pour ne pas renouveler des débats encore récents, je crois devoir rappeler ces réflexions qui me servent aujourd’hui de point de départ.

La Bavière, la Sardaigne, le Portugal, la Saxe même est représentée à Berlin par un envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire ; la Bavière alloue à son agent 52,500 francs ; la Sardaigne, 50,000 ; le Portugal 56,250 fr. ; la Saxe, 50,000. Il s’agit du traitement du chef de la légation ; il leur est en outre tenu compte des frais de bureau, et alloué des frais d’établissement.

Le gouvernement vous demande 54,500 fr. pour toute la légation de Berlin, y compris les frais de bureau, au terme de l’arrêté du 22 septembre 1821, et sans frais de premier établissement. Nos envoyés à ne touchent pas de frais de légalisation ; ils rendent compte des frais de passeport dont le montant est versé dans la caisse de l’Etat par l’intermédiaire du ministre des affaires étrangères. Il faut déduire de la somme totale, 8,500 francs pour le traitement du secrétaire, et 2000 pour celui des commis dont la nécessité n’avait point été contestée dans les discussions précédentes ; le chef de la légation conserve donc 14,000 francs, sans avoir droit, je le répète, ni à des frais de bureau, ni à des frais de chancellerie, ni à des frais de premier établissement. Vous voyez donc que le ministre belge à Berlin aura moins que le représentant du même rang qu’y entretiennent la Bavière, le Portugal, la Saxe.

La section centrale vous propose de n’allouer que 43,000 fr. c’est-à-dire, 32,500 francs, car il faut déduire les traitements du secrétaire et des commis ; sur les 35,500 fr., il faut encore prélever probablement 2,500 fr. pour frais de bureau qui ne sont pas remboursés aux termes de l’arrête du 22 septembre : je n’hésite pas à le dire, ce traitement de 30,000 francs est insuffisant. Je crois même qu’il y a eu malentendu, que la section centrale a pris pour le traitement du ministre seul ce qui présentait le traitement de la légation entière.

Telles sont les raisons sur lesquelles j’appuie le maintien du chiffre proposé par le gouvernement ; j’ai dit hier que le système de certains démocrates avait une tendance aristocratique ; ces considérations viennent d’être reproduites par un honorable préopinant, (et dans sa bouche elles sont plus séantes que dans la mienne).

J’ajouterai que surtout un Etat naissant doit éviter de placer ses gens à l’étranger dans une situation en quelque sorte subalterne ; un pareil Etat a assez d’obstacles à vaincre par sa position, par le défaut absolu de rapports, de traditions, d’antécédents, par la nature même de son origine ; il ne doit donc pas refuser à ses agents les moyens d’influence, les éléments des succès politiques. Un agent diplomatique ne doit à son gouvernement que du talent ; le gouvernement lui doit ce qui est indispensable au talent même le plus éminent pour avoir une action sur la société. La position des agents d’un Etat nouveau, d’un Etat révolutionnaire est difficile par elle-même ; il ne faut pas rendre plus difficile encore.

M. A. Rodenbach. - Messieurs, dans la séance d’hier, j’ai parlé du système commercial de la Prusse. Il est de la plus grande importance., maintenant que l’Europe a les yeux sur cette association mercantile de la Prusse, que nous envoyions à Berlin un homme d’un véritable talent, qui connaisse les besoins de l’industrie et non un simple commis comme on se proposait de le faire.

Jusqu’à présent nous avons été très mal représentés à Berlin. Les agents diplomatiques ont pu faire leur devoir en politique mais ils rien fait pour le commerce et pour les intérêts matériels du pays. J’ai souvent parlé d’économie. Lors de la discussion de budget de la guerre, quand on a demandé des frais de représentation pour les généraux, j’ai trouvé que cette dépense était inutile, d’autant plus que des généraux ne dépensaient pas l’argent qu’on leur allouait et thésaurisaient ; j’en ai voté la suppression. Mais aujourd’hui comme j’espère que le gouvernement mettra à la tête de nos légations des hommes connaissant les besoins de notre industrie et de notre commerce, qui s’occupent d’ouvrir de nouveaux débouchés à nos produits, je pense devoir accorder la somme de 54,500 francs demandée.

M. Dumortier. - Messieurs, vous pensez bien que je ne me lève pas pour appuyer le ministère ; je ne voterai pas un centime au-dessus du crédit demandé l’année dernière, parce que je ne vois aucun motif à l’augmentation qu’on sollicite.

Un honorable membre qui a appartenu à la diplomatie vous a fait une longue énumération qui a pu frapper vos esprits. Messieurs, au moyen de pareils arguments, on peut tout justifier ; on peut justifier un traitement de quatre-vingt, cent mille, deux cent mille fr., aussi bien qu’un traitement de 50 mille francs. Ce n’est pas ainsi qu’il fallait poser la question, mais montrer que la somme allouée précédemment était insuffisante pour l’envoyé qui la recevait, c’est ce qu’on n’a pas fait.

Il est incontestable que si l’agent que vous allez envoyer sera obligé d’en payer des frais de bureau, son prédécesseur en avait également ; que s’il doit illuminer, son prédécesseur illuminait aussi ; que s’il doit donner de l’argent à des employés pour les corrompre, puisque corrompre est dans les usages de la diplomatie, son prédécesseur s’y conformait ; rien dans tout ce qu’on vous a dit à cet égard ne justifie l’augmentation demandée, car, comme je viens de vous le dire, on pourrait aussi bien avec cet argument justifier des traitements de cent et deux cent mille francs. Quand on veut trop démontrer on ne démontre rien.

Il est manifeste que les arguments qui ont pu un instant fasciner vos yeux ne justifient pas l’augmentation demandée. Jusqu’ici pas un seul motif à cette augmentation.

L’honorable membre a fait observer que les diplomates belges faisaient une exception, en ce qu’ils ne pouvaient pas avoir le luxe fastueux des ambassadeurs des autres puissances. Il me semble que cette exception est honorable pour le pays sans lui être préjudiciable en aucune manière. Si nos ambassadeurs ne peuvent pas l’emporter sur ceux des autres puissances par le luxe, il faut qu’ils se distinguent par une grande simplicité et une haute capacité. Voilà la véritable distinction qui mérite d’être ambitionnée. J’ai entendu dire que vainement on cherchait des hommes capables pour 40,000 fr. ; que ceux qu’on trouvait se mettaient à prix, et disaient : Pour 50,000 fr. je me mets à votre disposition ; mais je ne marche pas à moins.

M. Nothomb, commissaire du Roi. - Je n’ai pas dit un mot de cela.

M. Dumortier. - Je ne me sers peut-être pas des expressions de l’orateur ; mais je résume ce qu’il a dit ; ma mémoire ne me fournit pas les expressions dont il s’est servi.

M. Nothomb, commissaire du Roi. - Je n’ai pas dit cela.

M. Dumortier. - On a dit qu’on attendait le vote du budget pour se décider.

M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - C’est moi !

M. Dumortier. - On a dit qu’on ne trouvait de capacités qu’en les payant au poids de l’or. Est-ce que le ministre prétendrait qu’il vous a donné pour représentants auprès de puissances étrangères des hommes qui aient donné des gages suffisants à la révolution et qui connussent les intérêts matériels du pays, les besoins de notre industrie ? Il faut convenir que ce ne sont que des arguties mises en avant pour fasciner les yeux ; les légations ne sont que des affaires de camaraderies, on est bien aise de lotir aux dépens des contribuables quelques connaissances auxquelles on porte intérêt. Voilà le but de la dépense qu’on vous propose.

En voulez-vous la preuve ? Le ministre précédent n’a eu qu’une somme de 37,475 francs, pourquoi donc voulez-vous demander une augmentation de 17 mille francs ? voilà ce qu’on ne saurait expliquer. Je défie qu’on donne un seul motif pour prouver que cette augmentation est nécessaire. Ou le traitement de l’an dernier a suffi, ou il n’a pas suffi ; et s’il n’a pas suffi, rien n’est plus facile que de le démontrer. Si le traitement a suffi au premier, il n’y a pas de raison pour qu’il ne suffise pas au second. C’est ce que je ne puis comprendre et ce que je défie qu’on me prouve.

Maintenant, je répondrai à ce qu’a dit l’honorable membre pour réfuter ce que j’avais dit, que nos ambassadeurs ne pouvant l’emporter par un luxe fastueux, devaient se distinguer par une grande simplicité et une haute capacité. J’avais cité Franklin qui a reçu un appui immense et qui a joué le rôle de diplomate comme peu de personnes l’ont pu faire. Qu’a-t-on répondu ? Franklin était en France au moment où le gouvernement tombait en pièces, où l’esprit de liberté remuait tout le corps social, et les hommages qu’on lui rendait étaient des hommages à la liberté.

- Un membre. - Envoyez donc un pareil ambassadeur à Saint-Pétersbourg.

M. Dumortier. - La Russie ne nous a pas reconnus.

Si on envoyait pour nous représenter des homme de capacités, des Franklins, il est contestable qu’ils joueraient le même rôle et obtiendraient les mêmes succès, les mêmes hommages. La simplicité de leurs manières, la supériorité de leurs capacités, forceraient de reconnaître l’excellence de nos institutions. Il se trouverait donc dans la position où était Franklin relativement à la France.

Voulez-vous savoir ce qui répond à tout ce qu’a dit le ministère, c’est un simple fait. Ce fait je le trouve dans le rapport fait par le ministre des affaires étrangères, dans la séance du 21 mars 1832. Ce rapport a été imprimé par ordre de la chambre et distribué aux membres. Ouvrez ce rapport, vous verrez comment se conduisent maintenant les Etats-Unis, puissance, je crois, aussi prépondérante que la Belgique et qui peut avoir des diplomates aussi exercés ; vous verrez que comme nous les Etats-Unis n’ont que deux classes d’agents diplomatiques des ministres plénipotentiaires et des chargés d’affaires. Vous savez que ministre résident n’est qu’un titre. Le traitement des ministres plénipotentiaires est de 45 mille fr., quelle que soit leur résidence. Voilà la nation des Etats-Unis, nation grande, riche, généreuse, qui ne donne à son ministre plénipotentiaire de Londres que 15 mille fr. tandis que nous donnons au nôtre 60 mille fr. c’est-à-dire dix mille francs de plus qu’a celui des Etats-Unis.

- Un membre. - Et le secrétaire ?

M. Dumortier. - Supposez que cela coûte deux mille fr., j’en laisse cinq.

Il est vrai qu’aux Etats-Unis ils ont une année de traitement pour frais de premier établissement.

Réduisez le traitement à 45 mille fr., et accordez une année pour frais de premier établissement. Si vous aviez fait cela depuis que vous payez 80 mille fr., vous auriez deux fois gagné ces frais de premier établissement.

Quant aux chargés d’affaires, ils ne reçoivent que 22,500 fr.

Messieurs, c’est pour appuyer une demande de crédit que tous ces détails qui avaient été donnés. Ainsi comme je le disais, ce fait répond à tout, démontre l’inutilité de l’augmentation qu’on vous réclame, et prouve que la section centrale avait parfaitement jugé la chose.

Maintenant, j’adresserai une question au gouvernement. Parmi deux arrêtés qui confèrent des fonctions diplomatiques, il en est un qui nomme un aide-de-camp d’un honorable général ; je désirerais savoir si quand le gouvernement confère urne fonction diplomatique quelconque à un militaire, ce militaire est en droit de cumuler son traitement d’agent diplomatique avec son traitement militaire.

M. le ministre des affaires étrangères (M. F. de Mérode) - Non : c’est contraire à la constitution.

M. Dumortier. - Je suis heureux d’entendre citer la constitution ; MM. les ministres sont si peu habitués à la respecter ; car je connais un autre arrêté qui autorise à cumuler une indemnité avec des traitements militaires. Ce n’était pas en vain que je faisais cette question : Si les militaires peuvent cumuler le traitement d’activité ? Du moins on reconnaît qu’ils ne peuvent pas cumuler celui d’activité. Je ferai remarquer qu’il est beaucoup de militaire dont le traitement d’inactivité est à peu près aussi fort que le traitement d’activité.

Il résulte de tout ce que vous avez entendu, je le répète en terminant, que l’augmentation demandée par le ministère est inutile, et j’insiste formellement pour que la chambre ne donne pas cette année un sou de plus que l’année dernière.

M. de Brouckere. - J’ai l’habitude de dire toujours tout haut mon opinion, qu’elle soit favorable ou contraire au ministère. Je viens appuyer le chiffre du gouvernement ; nous venons de voter pour la légation de France une somme de 58 mille francs, et cette somme a été votée à la presque unanimité.

Maintenant je me demande pourquoi une différence si grande entre la somme accordée à la légation de Prusse et celle accordée à la légation de France. Je demande pourquoi cette différence : en effet, le fonctionnaire qu’on enverra à Berlin ne doit-il pas avoir le même rang que celui qui réside à Paris

En second lieu fait-il moins cher vivre à Berlin qu’à Paris ? Vous êtes obligé de répondre non, que la différence est à l’avantage de Paris ; je me demande en troisième lieu si la légation de Berlin doit être regardée comme étant d’une importance moins grande que celle de Paris. Ici je réponds que la légation de Berlin ne le cède pas à celle de France, parce qu’il est à désirer que nous puissions établir des relations plus intimes avec cette partie de l’Allemagne ; tout porte à croire que ces relation s’établiront dans peu et deviendront importante si le projet d’établir une route en fer d’Anvers à Cologne se réalise.

D’après ces considérations, je pense qu’un sentiment de convenance et de justice doit nous faire porter de la légation de Berlin à peu près au même taux que celle de Paris.

On a fait une objection, on a dit : Mais l’an passé on n’a pas demandé une somme aussi forte, pourquoi cette augmentation ? justifiez-la en prouvant l’insuffisance de la somme votée l’année dernière. Mais, messieurs, nous n’avions jusqu’ici qu’un envoyé provisoire, et cet envoyé le savait, si bien qu’il a conservé d’autres fonctions qu’il avait en Belgique. Sa mission n’étant que provisoire, il n’était obligé à aucune espèce de frais de représentation, de dépenses extraordinaires ; il pouvait vivre comme dans une ville où on ne s’arrête que peu d’instants. L’agent que vous allez envoyer va s’y établir, y monter une maison et sera par conséquent obligé à beaucoup plus de frais que son prédécesseur.

Vous voyez que cette objection qu’on avait faite tombe d’elle-même, loin d’affaiblir les motifs sur lesquels je me suis appuyé pour demander le maintien de l’allocation réclamée par le gouvernement.

- Plusieurs membres. - La clôture ! la clôture !

M. le président. - La parole est à M. le rapporteur :

M. Fleussu, rapporteur. - Messieurs, je ne tenais pas à prendre la parole. Si on ajoutait foi à ce qu’on vous a dit, il semblerait que la section centrale veut mettre l’administration dans l’impossibilité d’agir en la refusant la somme qu’elle réclame. Or, il est évident que la section centrale n’a pas voulu mettre l’administration dans l’embarras.

Ce qui a fait surtout impression sur les sections, est le chiffre du gouvernement a été contesté dans toutes les sections, c’est qu’on n’a pas vu de motif à l’augmentation du chiffre du dernier budget. On dit que ce n’est qu’à titre d’indemnité que la somme a été portée au budget de l’année dernière. Vous verrez au contraire, dans la colonne d’observations, que c’est un traitement pour un trimestre fixé pour ce délai à 8,625 francs. C’est en prenant cette somme pour base et en ajoutant 8,400 fr. pour le traitement du secrétaire, que la section a fixé le chiffre à 43,000 francs. (Aux voix ! aux voix ! la clôture !)

M. Legrelle. - Je demande la parole pour un chiffre.

- Plusieurs membres. - Non ! non ! la clôture !

M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Je crois que je rendrai inutile l’insistance de l’honorable membre qui demande la parole, en excipant de mon droit de ministre pour donner une explication qui dissipera ses scrupules. L’honorable membre craint que si on vote la totalité de la somme, le gouvernement ne se croie en droit d’affecter la somme tout entière, bien que la mission ne soit pas remplie pendant tout l’année.

Le gouvernement prend à cet égard le même engagement qu’il a pris pour le traitement du ministre des affaires étrangères.

M. Legrelle. - Je suis satisfait de cette explication.

- La discussion est fermée.

L’article 3 est mis aux voix ; le chiffre 54,300 fr. proposé par le gouvernement est mis aux voix et adopté.

- Plusieurs membres. - A demain ! à demain !

- D’autres membres. - Non ! non !

- La chambre consultée continue la discussion.

Article 4

« Art. 4. Autriche : fr. 30,000. »

M. Dumortier. - M. le commissaire du Roi, quand il a répondu à l’honorable député d’Alost, a dit que quand nous en serions à la légation d’Autriche, il répondrait à ce que cet honorable membre avait dit sur cette légation. Je viens lui rappeler sa promesse, et le prier de nous donner des explications sur les faits graves qui ont été signalés.

M. Nothomb, commissaire du Roi. - Un honorable orateur avec lequel il m’arrive souvent de ne pas tomber d’accord vient de me provoquer à entrer dans une question de personne. Je suis dans l’impossibilité de lui répondre. Il n’a rien dit quant au chiffre qui est le même que celui demandé l’année dernière, qui a été voté sans opposition ; rien n’a été changé : sur la question de personne, elle doit rester étrangère à ce débat.

M. Dumortier. - Je ne suis pas peu étonné de voir M. le commissaire du Roi venir invoquer constamment l’assentiment de la chambre, alors que la chambre ne donne aucune espèce d’assentiment, mais parce qu’elle a désiré qu’on ne s’occupât pas de question de personne. Cessez une fois pour toutes de vous targuer d’une majorité que vous n’avez pas : c’est par des fautes de ce genre que vous éloignez l’appui de cette assemblée ; c’est par les fautes que vous commettez, vous qui voulez régler les affaires de l’Europe, et qui ne savez pas vous maintenir au poste que vous deviez défendre, que vous me forcer à venir constamment vous démontrer que vous n’avez pas la majorité.

Je reviens à ce qui a été dit dans la séance d’hier. M. Desmet a posé un fait qui m’était inconnu et qui m’a paru d’une haute gravité, ainsi qu’à tous les membres de cette chambre.

Il a déclaré que la personne nommée pour nous représenter à Vienne avait écrit contre la révolution, qu’elle aurait fait l’éloge des persécutions dont les Polonais ont été l’objet. Ce fait est grave et mérite une réponse. Les fonctions diplomatiques sont des fonctions de confiance nationale, il faut que la nation sache si on lui donne pour représentants des hommes chargés de la dénigrer aux yeux de l’étranger. Si ce qu’a dit M. Desmet est vrai, et j’ai la plus grande confiance en sa véracité, il faudrait reconnaître qu’on a commis une faute énorme en envoyant pour nous représenter un homme qui nous aurait calomniés. Il est impossible, dans de pareilles circonstances, de se renfermer dans un dédaigneux silence, d’exciper d’une fin de non-recevoir qui ne saurait être admise. Nous envoyons à l’étranger des hommes pour représenter le pays, et non pour l’outrager.

M. Nothomb, commissaire du Roi. - Messieurs, je pourrais persister dans le silence le plus absolu ; cependant puisqu’on réduit la question à un simple fait, à deux articles, insérés dans la Revue de Paris, qu’on attribue à la personne désignée à la légation de Vienne….

- Un membre. - Ils sont avoués !

M. Nothomb, commissaire du Roi. - Dans ces articles il n’est pas dit un mot de la révolution belge ; on soutient une thèse tout à fait en dehors de la révolution belge : je puis l’assurer, j’ai le volume entre les mains. La question dont il s’agit est étrangère aux personnes, c’est une question de chiffre. Si le préopinant insistait, je ne sortirai de la fin de non-recevoir que j’ai invoquée, qu’après que la majorité aura décidé qu’on lira à la tribune deux articles de la Revue de Paris.

M. Dumortier. - Il est bien heureux que ce ne soit pas la révolution belge que notre envoyé à Vienne ait attaquée ; mais la chose est la même, il a écrit contre la révolution polonaise. Il y a similitude complète entre les principes de la révolution polonaise et la nôtre.

Messieurs, je dois appeler l’attention de la chambre sur cette nomination. Il est un fait très étrange dont vous avez dû être frappés en lisant les discours prononcés à la tribune française ; M. Bignon, dont le ministre des affaires étrangères de France a déclaré adopter toutes les opinions, nous a appris qu’on allait traiter à Vienne les affaires de la confédération germanique. Au nombre des questions qui seront traitées celle du Luxembourg est une des plus importantes ; n’est-ce pas faire une faute énorme que d’envoyer, pour soutenir nos intérêts dans des circonstances aussi graves, une personne qui, non seulement, n’a donné aucun gage à notre révolution, mais qui a fait l’éloge du pouvoir absolu ; une personne qui en outre ne connaît ni nos intérêts, ni nos besoins, qui n’a pas vu notre révolution et ne peut pas apprécier la situation du pays ?

Lorsque la personne dont il s’agit était attachée à l’ambassade de Russie, les Etats de Hollande insistaient pour qu’elle fût rappelée et à cette époque le ministre des affaires étrangères prit sa défense et fit son éloge dans le sein des états-généraux.

N’est-ce pas une faute énorme que d’envoyer à Vienne pour traiter des affaires de la Belgique, des affaires du Limbourg et du Luxembourg, un homme qui s’est trouvé subordonné au ministre de Hollande ? La personne qui soutiendra les intérêts hollandais sera la même personne qui a été l’appui de la jeunesse du Belge que nous enverrions ; mais le ministre hollandais conserverait sur notre envoyé l’ascendant d’une ancienne supériorité et l’influence que donne un grand talent. Je demande qu’on nous donne des explications capables de dissiper nos craintes S’il faut faire des maladresses, il ne faut pas en faire de pareilles.

M. Gendebien. - On a articulé des faits ; on peut les vérifier : ils sont à la portée de tout le monde, puisqu’il s’agit d’écrits. Je demande que l’on remette la séance à demain pour que l’on puisse s’éclairer. Pour ma part, je me propose de lire ces écrits ; j’y consacrerai deux ou trois heures s’il le faut. Ce n’est pas ici le cas de dire que l’on fait une question de personne ; car l’ambassadeur doit représenter un principe.

M. O’Sullivan est-il la personnification de la liberté ? Nous ne sommes pas si exigeants ; mais nous devons voir si M. O’Sullivan n’est pas la personnification de l’absolutisme. L’heure est avancée ; il n’y aurait inconvenance de ne pas accorder la remise à lundi. Il y aurait imprudence de la part des ministres de s’opposer à l’ajournement ; il va se traiter à Vienne des affaires très importantes. La personne dont il s’agit se trouvera là sous l’influence de Nicolas, sous celle de l’ambassadeur de Hollande. La situation sera délicate, et nos craintes légitimes. (Il est quatre heures ! A lundi !)

M. le ministre des affaires étrangères (M. F. de Mérode) - En supposant vrai tout ce qu’on a avancé gratuitement, l’erreur du ministre dans le choix de l’envoyé serait une chose moins fâcheuse que le précédent qu’on veut établir, précédent qui poserait en principe un vote d’après une question de personne.

Lors même que les crédits cités indiqueraient que l’agent dont il s’agit aurait professé telle ou telle opinion, il n’en résulterait pas moins que la chambre se sera occupée d’une question de personne. On a dit que cet envoyé ne connaissait pas la Belgique ; mais il a été longtemps parmi nous ; il est le plus ancien membre de la diplomatie dans ce pays-ci ; il est parfaitement au courant de la diplomatie européenne dont il connaît tout le personne ; il connaît M. Verstolck, il est vrai ; mais après tout, ce M. Verstolck n’a pas montré à Londres une capacité si haute. Au reste, la question n’est pas là ; il ne fait pas que le vote de la chambre soit subordonné à une question de personne.

M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Le sort de la dynastie est essentiellement lié à la révolution belge, et cette dynastie n’est pas assez aveugle pour choisir des agents contraires au système de notre révolution : le trône est aussi intéressé que le pays à ce que les hommes qui désireraient une restauration soit écartés des affaires. Tout ajournement est inutile ; on peut voter dès aujourd’hui.

M. Gendebien. - La chambre, en suivant l’avis du ministre de la justice, et votant dans le doute, peut refuser l’allocation demandée ; mais la chambre plus prudente que le gouvernement veut, avant de prononcer sur le rejet ou l’admission du chiffre, examiner les écrits de la personne désignée. D’ici à lundi nous aurons le temps de les lire. Le pays est-il en danger pour ne pas accorder ce court délai ?

L’envoyé en recevra-t-il moins son traitement.

Il n’y a aucun motif pour ne pas adopter ma proposition d’ajournement. Pourquoi voulez-vous que nous qui sommes le représentants de la nation, qui sommes ici les égaux du Roi, qui sommes autant que qui que ce soit intéressés au triomphe des principes de notre révolution, ne recherchions pas si ces principes peuvent être compromis par quelques personnes ? Nous ne pouvons pas rester sur un objet dont les suites peuvent être si importantes, sans connaissance de cause ; quant à moi, je suis décidé à ne pas voter aujourd’hui.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - La chambre ne peut se livrer à une enquête provoquée sur la conduite antérieure de tel ou tel employé. Je suppose que le résultat de l’enquête soit que l’envoyé a écrit pour ou contre la révolution, la chambre refusera-t-elle l’allocation ?

- Une voix. - Oui !

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Empêchera-t-elle que la nomination ait ses effets ?

- Une voix. - Oui !

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Voyez jusqu’à quel point la chambre sortirait de ses attributions. Les accusations lancées contre le représentant de la Belgique, à Vienne, ne sont pas nouvelles ; cet envoyé les connaît. Avant de se rendre à sa destination, il a cru devoir se présenter chez plusieurs honorables membres de cette assemblée et leur parler de ce qui le concernait. Les uns ont promis de prendre sa défense, les autres de garder le silence ; je ne sais s’ils ont tenu parole. Au reste, depuis hier, la Revue de Paris a pu être lue par les membres de cette assemblée, et on a pu y voir si les assertions de M. Desmet sont exactes : la chambre n’a donc besoin d’aucun délai ; et je demande qu’elle voie immédiatement sur le chiffre.

M. Gendebien. - J’ai entendu parler de députés que l’envoyé aurait vus et qui auraient promis de le défendre ; je crois devoir donner des explications personnelles à cet égard. M. O’Sullivan est venu chez moi ; mais je n’ai pas pris l’engagement de le défendre. Il a paru me parler avec franchise ; mais je ne décide pas sans examen. Il suit de là que si le ministre a voulu parler de moi, son assertion est inexacte. J’ai été satisfait de faire la connaissance de M. O’Sullivan, mais je lui ai dit que je jugeais les hommes d’après des actes et je lui ai déclaré que je parlerais en toute sincérité, que je blâmerais s’il y avais à blâmer, que je louerais s’il y avait à louer.

M. Dumortier. - J’ai à donner des explications semblables à celles que vient de présenter le préopinant. Il est de fait que depuis la nomination de M. O’Sullivan, il est venu chez moi pour m’engager à ne pas parler sur sa nomination ; il m’a donné des explications. Toutefois je n’ai pas hésité à lui dire que j’aurais désiré que le gouvernement nommât à Vienne un homme qui eût donné des garanties à la révolution ; je lui ai répété trois ou quatre fois la même chose, et je n’ai pris aucun engagement envers lui. Mais eussé-je pris des engagements, je ne me regarderais pas comme lié, si on citait des faits nouveaux dans cette assemblée.

Un honorable membre qui siège près de moi vient de m’apprendre un nouveau fait : il dit que le père de l’envoyé a été conseiller en Hollande, qu’il est à ce titre pensionné du gouvernement hollandais.

J’entends d’autres membres affirmer que cela est vrai. Quant à moi, je dois le déclarer, je ne confierai jamais la défense des intérêts au pays dans un congrès, et lorsqu’il s’agit du Limbourg, du Luxembourg, d’une partie de notre territoire, à un homme dont le père serait pensionnaire du roi Guillaume, un tel homme ne peut avoir ma confiance. Ce fait, nouveau pour moi, nécessite des explications. Les ambassadeurs sont des personnes qui agissent au nom du pays ; s’ils font des fautes, il est trop tard ensuite de se livrer à d’amers et d’inutiles regrets : que les fautes soient le résultat de l’impéritie, de la faiblesse, ou de mauvaises dispositions de l’esprit, le résultat en est le même. Nous devons prendre les plus grandes précautions pour prévenir un malheur possible.

M. Nothomb, commissaire du Roi. - On appuie l’ajournement sur un fait nouveau, un fait grave, dit-on ; et quel est ce fait ? On s’en prend au père de l’envoyé, on dit que son père a été conseiller d’Etat et qu’il est pensionné comme tel par la Hollande.

Ah ! messieurs, je ne m’attendais pas à cette objection, elle m’afflige ; elle m’étonne. Comme beaucoup d’autres Belges, le père de notre nouvel envoyé a fait partie du conseil d’Etat et il est aujourd’hui pensionné, non par la Hollande, mais par la Belgique ; veut-on proscrire les fils de ceux qui ont servi l’ancien gouvernement ? « Si ce n’est pas toi, c’est ton père, » voilà le mot qu’on m’autorise à rappeler. L’assertion est inexacte, et fût-elle vraie, elle aurait quelque chose d’odieux.

Le danger de cette discussion doit frapper tout le monde. Si, à la suite de la nouvelle organisation judiciaire, on était venu vous dire à l’occasion du budget de la justice : Tel premier président ne me convient pas, supprimons le traitement ; tel procureur du Roi ne me convient pas, supprimons le traitement. Vous vous seriez levés en masse, en masse vous vous seriez refusés à cet excès de pouvoir. Aurez-vous deux poids et deux mesures ? La défaveur que certaines personnes montrent pour tout ce qui se rattache à la diplomatie, vous portera-t-elle à une déplorable confusion de pouvoirs ?

M. le ministre des affaires étrangères (M. F. de Mérode) - J’appuie ce que vient de dire M. le commissaire du Roi, tout en faisant observer que ce n’est pas moi qui ai contresigné la nomination dont il s’agit ; j’ajouterai que notre révolution étant consommée, il ne faut pas maintenant que nous établissions des classes de citoyens : il n’est pas bon de dire, celui-ci a donné des gages à la révolution ; tel autre ne lui en a pas donné. Il n’y a, actuellement, en Belgique qu’une seule classe de citoyens, que des Belges. (Marques d’adhésion.) Tous les Belges disposés à servir leur pays sont censés appartenir à la révolution, et donnent des gages suffisants à cette révolution en contribuant à la consolider.

Ainsi la question de personne n’est pas même envisagée sous son véritable point de vue ; mais il ne s’agit pas ici d’une question semblable, il s’agit d’un chiffre ; et vous êtes assez éclairés pour passer au vote immédiat.

M. Fleussu, rapporteur. - Nous avons des observations à faire sur le chiffre en lui-même. La section centrale ayant appris que c’était un fondé de pouvoir qui allait à Vienne, a pensé qu’on pouvait réduire le chiffre demandé par le gouvernement.

M. Nothomb, commissaire du Roi. - Le gouvernement désire conserver toute latitude. Si le gouvernement autrichien envoyait ici un agent avec un autre titre que celui de chargé d’affaires, nous devrions user de réciprocité. C’est ce que nous voulons pouvoir être à même de faire.

M. le président. - On va mettre aux voix le chiffre.

- Plusieurs membres. - La chambre n’est plus en nombre !

- D’autres membres. - L’appel nominal ! l’appel nominal !

M. Fleussu, rapporteur. - Il faut statuer sur la motion d’ordre, avant de statuer sur le chiffre.

- Grand nombre de voix. - L’appel nominal ! l’appel nominal !

- Le vote, par appel nominal, sur le chiffre du gouvernement a lieu.

Il est nul, parce que 51 membres seulement sont présents.

- La séance est levée à cinq heures passées.