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Chambre des représentants de Belgique
Séance du vendredi 10 janvier 1834
1) Projet de loi relatif aux droits d’entrée et de sortie des céréales (Eloy de Burdinne)
2) Projet de loi portant le budget du département des affaires étrangères pour l’exercice 1834.
a) Discussion générale. (A : confiance à accorder au gouvernement (question politique générale) ; B : situation diplomatique de la Belgique ; C : convention de Zonhoven ; D : représentations belges à l’étranger ; E : traitements des agents diplomatiques) (E (non-activité), A et affaire Dejaer (Ernst), B et C (Doignon), B, D (Vienne) (Desmet, F. de Mérode), D (Berlin) (A. Rodenbach), A, discipline militaire, D (Berlin) (Lebeau), nomination d’un nouveau ministre et proposition de formation d’un nouveau gouvernement, discipline militaire (Ernst, Lebeau), affaire Dejaer (Rogier), A et D (Vienne et Berlin) (Dumortier, Nothomb), (F. de Mérode), confiance à accorder au gouvernement (de Brouckere, Nothomb), E, D, (Berlin) et A, B, C (Dumortier), A (F. de Mérode))
b) Discussion des articles. Traitement du ministre (d’Huart, Nothomb), ordre de Léopold (Nothomb, Dumortier, Fleussu, Nothomb, Fleussu, Nothomb, de Brouckere, Nothomb, Gendebien, Nothomb, Gendebien, Nothomb, Lebeau, F. de Mérode, Gendebien, Fleussu, Verdussen, Rogier)
(Moniteur belge n°11, du 11 janvier 1834 et Moniteur belge n°12, du 12 janvier 1834)
(Présidence de (à défaut d’indication dans le
Moniteur:) M. Raikem)
La séance est ouverte à
une heure.
M. Dellafaille fait lecture du procès-verbal ; la
rédaction en est adoptée.
Une pétition relative
aux lins adressée à la chambre est renvoyée à la commission d’industrie. Les
autres pièces sont renvoyées à la commission des pétitions.
PROJET DE LOI RELATIF AUX DROITS
D’ENTREE ET DE SORTIE DES CEREALES
Une proposition a été
déposée sur le bureau par M. Eloy de Burdinne ; elle est renvoyée dans les
sections.
PROJET DE LOI PORTANT LE BUDGET DU
DEPARTEMENT DES AFFAIRES ETRANGERES POUR L’EXERCICE 1834
Discussion générale
M. Ernst. -
Messieurs, je ne viens parler ni de politique intérieure ni de politique
extérieure, en présence d’un ministère qui tombe en pièces, d’un ministère qui
ne peut ni vivre ni mourir et que personne ne soutient. Traiter de graves
questions me paraît chose peu opportune ; la partie ne serait pas égale ;
chaque jour vient nous révéler quelque nouvelle imprudence de nos hommes
d’Etat. Tantôt ce sont des offenses envers une armée qui ne mérite que des
éloges ; tantôt ce sont des accusations indirectes contre une administration
municipale qui avait droit à tous les égards du ministre, quand même elle se
serait trompée en fait. Partout on fait des vœux pour voir arriver aux affaires
des hommes entourés de la confiance du pays ; s’ils se réalisaient, nous pourrions
nous réunir pour dire aux chefs de l’administration : Votre ligne politique
n’est pas si difficile à tracer et à suivre : au dedans la constitution, toute
la constitution, rien que la constitution ; au dehors, les 24 articles sans
aucune concession.
Messieurs, j’ai demandé
principalement la parole pour vous entretenir d’une chose qui surprend beaucoup
de personnes.
Le budget de la justice
a été récemment voté à l’unanimité, et il en sera probablement de même de celui
qui est soumis à vos délibérations : l’opinion de toute la chambre et de tout
le pays envers les ministres rend ce fait assez extraordinaire ; cependant,
pour peu qu’on y réfléchisse, pour peu qu’on sache ce qui se passe ici, rien
n’est plus facile à expliquer.
Les budgets du
gouvernement deviennent véritablement les budgets de la chambre ; ce sont les
budgets que nous discutons. Dans nos sections nous réduisons les dépenses à ce
qui est utile, à ce qui est bien justifié.
Il y a plus : souvent on
refuse aux ministres actuels ce qu’on accorderait peut-être à d’autres. Certes
ce ne sont pas les prérogatives de la chambre qui sont en danger ; c’est plutôt
l’influence du gouvernement. Les engagements que prennent actuellement les
ministres pourront peut-être gêner grandement leurs successeurs.
Y a-t-il dans les
projets du gouvernement une proposition inconstitutionnelle, aussitôt la
section centrale l’eût fait disparaître. Le budget soumis à la chambre, le
budget des affaires étrangères, en présente un bel exemple. On y demandait une
somme pour les traitements des agents en inactivité. Cette demande contenait
l’exécution d’un arrêté inconstitutionnel du 20 juin dernier : qu’on fait les
sections ? qu’a fait la section centrale ?
Le libellé de l’article
a été changé de manière à le rendre étranger à cet arrêté, et à ne pas
sanctionner une disposition qui viole la constitution.
Par ce moyen la section
centrale a concilié ce que réclame le pacte fondamental avec ce qui est réclamé
par l’équité et le besoin d’une bonne administration.
La
section centrale fait le budget sien, son rapporteur en est l’homme responsable
; c’est lui qui le défend contre les ministres. Le plus souvent les ministres
ont soin de se réunir aux propositions de la section centrale ; et s’il se hasardent à attaquer les conclusions de cette
section, ils se préparent une défaite. Il résulte de là que si quelqu’un votait
contre les budgets ainsi arrangés devraient être les ministres, ou les amis des
ministres si toutefois ils pouvaient en compter dans la chambre. Voilà ce qui
explique pourquoi il y a peu d’opposition dans la chambre relativement aux lois
financières, et ce qu’il est utile de dire au pays.
M. Doignon. -
Messieurs, permettez-moi de vous dire un mot sur quelques faits nouveaux
arrivés depuis peu dans notre diplomatie.
Et d’abord pourquoi
notre plénipotentiaire à Londres est-il de retour à Bruxelles ? la conférence est-elle inactive, est-elle suspendue,
est-elle ajournée ? ou bien les négociations
sont-elles rompues ? ou bien encore doivent-elles être
portées sur un autre territoire ? est-ce à Vienne ou
ailleurs qu’on traitera nos affaires ? Nous prions le ministère de donner
quelques explications sur ce point.
Quand nous voyons d’une
part les ménagements et la partialité de la conférence envers le roi Guillaume,
quoiqu’elle eût pris l’engagement de rendre définitif le traité de novembre ;
quand nous voyons la complaisance avec laquelle le gouvernement a écouté des
propositions subversives de ce traité ; quand nous considérons la facilité avec
laquelle, à l’occasion de la convention de Zonhoven, on a déjà sacrifié l’un de
nos droits acquis, celui d’obtenir un règlement avantageux pour la navigation
de la Meuse ; quand nous voyons enfin le silence du ministre sur plusieurs de
nos interpellations, il est bien naturel de concevoir des craintes sérieuses
sur l’issue de nos négociations, il est bien permis de penser qu’à Vienne comme
à Londres on nous prépare de nouvelles conditions également désastreuses pour
le pays.
Inutilement vous avez à
chaque session protesté énergiquement contre toute atteinte qui serait portée à
nos droits, afin d’imprimer plus d’énergie aux ministres eux-mêmes ; vos
protestations n’ont produit aucun fruit.
Dans votre adresse en
réponse au discours du trône, vous avez insisté avec force sur le refus du
paiement des arrérages de la dette ; eh bien, quelle a été la réponse du
gouvernement ? Elle a été pâle, et s’est bornée à exprimer un simple désir ;
pas un mot d’énergie, pas un mot qui annonce qu’on est formellement résolu à
repousser cette injuste prétention. Il semble donc, messieurs, que le ministère
veuille insensiblement nous amener à l’idée de nouvelles concessions, et qu’il
s’associe de cette manière aux vœux de
Et à quelle époque,
messieurs, les puissances ont-elles donné à l’Europe le spectacle d’un manque
de loyauté aussi scandaleux ? Dans un moment où des révolutions ébranlaient les
trônes des rois, dans un moment où la royauté était plus intéressée que jamais
à se respecter elle-même, si elle voulait être respectée des peuples. La
royauté, messieurs, cette antique institution, peut, je pense, sauver les
peuples des révolutions ; mais c’est sous une condition, sous la condition que
les rois règnent par la justice, et non par le droit du plus fort, et non par
le bon plaisir ou la corruption. C’est ce que leur prescrit d’ailleurs la loi
naturelle, la loi religieuse ; lois qu’on ne foule jamais aux pieds impunément.
Si donc on voulait nous
imposer de nouveaux sacrifices, il faut que le gouvernement prenne enfin de l’énergie
pour s’y opposer. Il faut qu’il rappelle à la conférence, tenue à Londres ou à
Vienne, qu’à l’ouverture de la dernière session la chambre a déclaré
solennellement que, nonobstant la convention du 21 mai, la nation conserve
toute sa liberté dans ses moyens d’action pour le cas où ses droits seraient
méconnus ou attaqués ; il faut que le gouvernement mette sous les yeux de la
conférence cette déclaration de la chambre, qui n’a point été faite en vain, et
qu’il oppose à de nouvelles exigences un refus positif et la force de
l’inertie.
Les souverains
n’ignorent pas qu’ils ne pourraient nous forcer à de nouvelles concessions,
sans irriter la nation entière, et sans provoquer cette conflagration générale
qu’ils veulent cependant éviter à tout prix.
Un autre fait
remarquable dans notre diplomatie, c’est la retraite du ministre des affaires
étrangères. Souvent la retraite d’un ministre est le signal d’un changement de
système ; quelquefois elle a lieu parce que le ministre recule devant
l’opposition ; ou bien ne s’est-il pas senti assez de force pour venir demander
à la chambre son adhésion à un nouveau traité.
Nous avons été surpris
d’entendre, dans une autre enceinte, l’éloge de la convention de Zonhoven.
Cette convention, a-t-on dit, nous prouve l’avantage de jouir de fait de la
navigation de la Meuse : mais la question n’est pas là, ce sont des garanties
pour l’avenir et un règlement avantageux pour la navigation de ce fleuve que
nous étions en droit d’exiger. On prétend que ce règlement est dans la convention
du 21 mai, laquelle se rapporte à la convention de Mayence.
Il suffit de lire
l’article 4 de la convention du 21 mai pour détruire cette assertion. Les
puissances ont décidé que l’on n’appliquerait à
On dit encore : Vous
aurez recours à la résiliation de la libre communication de Maestricht si on
interrompt la navigation de la Meuse : je ferai observer que les choses ne sont
pas égales : nous devons avertir 15 jours d’avance le roi Guillaume si nous
voulons interrompre les communications avec Maestricht, tandis qu’il peut
instantanément interrompre la navigation du fleuve ; mais jamais il ne nous
privera absolument de cette navigation : en l’absence de tout règlement nous
resterons à la merci de ses volontés pour en jouir avec plus ou moins de sûreté
et de facilité. Cette convention de Zonhoven a d’ailleurs violé la constitution
: l’art. 121 interdit le passage des troupes étrangères sur le territoire sans
autorisation des chambres.
On objecte l’article 4
de la convention du 21 mai ; mais résulte-t-il de là que
Ici, messieurs, je dois
relever une erreur grave du gouvernement. C’est de supposer que la législature
a approuvé la convention du 21 mai, et l’a approuvé d’une manière légale et
conforme à la constitution.
Je demanderai au
ministre où est la loi qui l’a autorisé à accepter cette convention : il n’en
existe aucune. Si le ministre avait voulu obtenir l’assentiment des chambres,
son devoir était de faire une proposition de loi dans toutes les formes, comme
il a fait par le traité de novembre.
La convention du 21 mai
contenait une dérogation à ce traité puisqu’on y renonce implicitement aux
moyens d’exécution, aux moyens coercitifs ; et il y avait donc pour soumettre
la convention du 21 mai aux chambres, mêmes motifs que pour le traité de
novembre.
Mais, dit-on, il y a une
adresse où vous avez fait mention de la convention : une adresse n’est pas une
loi. Il y a une différence essentielle entre l’instruction d’un projet de loi
et d’une adresse : jamais un projet d’adresse n’est renvoyé à l’examen des
sections. Vous savez d’ailleurs que beaucoup de membres de cette assemblée et
du sénat attachent peu d’importance à une adresse. C’est donc abusivement que
l’on a induit de là un véritable consentement de la part des chambres.
Pour ma part je déclare
que la chambre est restée dans tous ses droits sur la question ; que, n’ayant
donné légalement aucune approbation à la convention du 21 mai, ainsi qu’à la
convention de Zonhoven, tous ses droits sont intacts et entiers.
Il importe d’autant plus
que cette convention soit soumise à l’approbation des chambres qu’elle peut
devenir très onéreuse au pays car, si le statu quo dure quelques années, nous
aurons à payer des arrérages considérables, qui exigeront une forte
augmentation d’impôts.
On a vanté les avantages
de la convention du 21 mai ; mais il faut mettre à côté les désavantages
qu’elle présente. Si d’un côté nous jouissons de la liberté de l’Escaut, si
nous possédons encore quelques parties du Limbourg et du Luxembourg, de l’autre
nous payons pour cent prétendus avantages environ 3,000 fr ; par jour, la dette
étant de 18 millions.
Il
est d’un intérêt d’autant plus majeur de faire toutes nos réserves à l’égard de
ces conventions, que si j’en crois le témoignage d’officiers éclairés, on
aurait commis une faute très grande en permettant sans restriction l’entrée des
troupes dans Maestricht. On prétend que 20,000 hommes jetés dans Maestricht
couperait toute notre ligne de défense, et nous mettraient dans la même
position que si ces 20,000 hommes étaient au cœur de
M. Desmet. -
Messieurs, il y a peu de jours je comptais bien voter le budget des affaires
étrangères : le changement survenu dans ce département me faisait espérer que
le gouvernement avait à la fin compris sa position et celle de la Belgique ;
qu’il voulait abandonner le système destructeur des concessions, et qu’une
borne était mise à ces compositions qui se faisaient toujours au détriment de
notre pauvre patrie, et au profit d’une dynastie que nous avons chassée, comme
aussi allait finir cette conduite occulte et cachée de la part de notre
diplomatie envers les représentants de la nation ; qu’on voulait sincèrement
entrer dans une autre voie, puisqu’on cherchait d’autres hommes pour conduire
nos affaires ; qu’une bonne fois on voulait finir avec ceux-là, qui n’avaient
que trop déshonoré le pays et fait tous leurs efforts pour le porter à sa perte
; qu’on comprenait, dis-je, qu’on devait employer des hommes qui étaient
réellement attachés à leur patrie et qui avaient sincèrement et cordialement
épousé la cause révolutionnaire ; desquels on ne devait pas craindre qu’ils
usassent de complaisance envers un ancien maître, mais qu’ils auraient servi le
pays, comme l’exigeait
Mais l’espoir que je
berçais n’a pas été de longue durée ; j’ai dû bientôt me détromper, et en
m’éveillant de ce rêve, j’ai été au contraire plus persuadé que jamais que le
gouvernement voulait se traîner dans la même ornière et suivre constamment un
système si nuisible à
Pour remplir une mission
de la plus haute importance, particulièrement que c’est dans une résidence où
les souverains du nord vont se réunir et où on traitera encore de vos affaires
(car ne vous y trompez point, votre nationalité n’est pas encore consolidée ;
vous n’êtes pas encore à l’abri du veto de la sainte alliance, pour remplir une
telle mission) qui, dis-je, va-t-on choisir ? Consultez sa plume, lisez ce
qu’il a écrit et publié tout récemment, et vous pourrez vous convaincre, si
c’est ainsi que
Pourriez-vous croire que
votre révolution, vos institutions, votre constitution qui est la bête farouche
des absolutistes du nord dont ils ont peur comme de l’enfer, sauraient être
bien défendues par celui qui plaide la cause moscovite avec tant de chaleur et
de passion dans l’extermination de
Pourriez-vous, je vous
le demande encore, messieurs, croire que des hommes qui savent écrire de
pareilles pages, soient propres à représenter votre pays, et pourraient-ils
jamais avoir votre confiance pour aller à l’étranger défendre vos intérêts et
remplir des missions d’une telle importance ? Je ne le pense point, et je crois
au contraire que le gouvernement a commis une grande imprudence, qu’il a encore
une fois compromis notre cause et ouvert un nouveau chemin aux concessions ;
car il est de fait, que si d’autres hommes avaient jusqu’à présent dirigé nos
affaires,
Et si l’on veut objecter
que la plume n’est pas toujours l’expression fidèle du caractère propre de
l’écrivain, et qu’un article fugitif écrit dans la chaleur des sentiments
d’amitié et de reconnaissance ne peut pas servir de boussole pour juger une
conduite future, je réclamerai alors le témoignage des débats de la chambre
hollandaise, où vous trouverez qu’une exception a été faite pour remplir des fonctions en Hollande en
faveur d’un certain Belge, qui avait montré tant de dévouement au gouvernement
et tant d’attachement à la famille régnante. Et je vous engagerai à
consulter les journaux de l’époque, où verrez l’éloge que fait l’empereur
Nicolas de l’agent hollandais, qui avait, à côté de lui, chargé avec tant de
courage le peuple de Saint-Pétersbourg, quand le parti libéral de cette
capitale avait saisi l’occasion de la mort d’Alexandre pour secouer le joug du
despotisme moscovite.
Conduite qui a été
récompensée par une décoration de l’ordre de Sainte-Anne.
Mais on vous dira
peut-être qu’on n’a pu trouver personne autre pour remplacer le baron de Loë
et remplir la mission de Vienne, comme on vous a dit hier que le ministère
devait rester incomplet, parce que personne ne voulait se charger d’un
portefeuille, qu’on en avait offert à plusieurs et que toutes avaient refusé.
Je ne sais pas à qui on
a offert la mission de Vienne, mais je crois qu’on accepterait plus facilement
cette mission qu’on voudrait aujourd’hui entrer au ministère. La raison en est
palpable ! Et ici nous devons nous glorifier, nous devons être orgueilleux
d’appartenir une nation qui est si unanime pour repousser la politique d’un
gouvernement doctrinaire, et, constante à ses principes de franchise et de
droiture, ne veut souiller son antique réputation en s’alliant à un ministère
qui a nié la révolution de septembre et qui n’a pas plus de respect pour le
pacte fondamental que de scrupule à violer le serment qu’il lui a prêté.
Mais
aussi, quand on sait où gît le mal, quand on connaît le motif pourquoi des
personnes capables, et qui ont la confiance générale, ne veulent entrer dans
l’administration du pays, pourquoi n’y veut-on pas porter remède ; et en restant
toujours sourd aux doléances de la nation, pourquoi veut-on la laisser dans la
souffrance et volontairement lui faire des torts incalculables, tant à son
existence politique qu’à sa prospérité intérieure ? C’est une conduite
incompréhensible dont on ne peut trouvé l’énigme que dans une insouciance
complète des intérêts de
Persuadé donc qu’aussi
longtemps que notre diplomatie restera entre les mains des hommes qui la
dirigent actuellement, elle ne peut faire que du mal au pays, et ce serait une
imprudence de ma part que de voter de l’argent pour laisser faire le mal :
c’est le motif pourquoi je refuserai mon assentiment au budget.
M. le ministre des affaires étrangères (M. F.
de Mérode) - Je
me propose de répondre à quelques interpellations.
Si le plénipotentiaire
belge à Londres est maintenant à Bruxelles, c’est en vertu d’un congé. Il y a
18 mois qu’il n’a vu sa famille ; et comme la conférence est en quelque sorte en
congé de même, il n’y avait pas à le laisser revenir au milieu des siens.
On prétend que la
conférence a trompé
Quant à M. Goblet, il
n’avait pris ses fonctions que provisoirement ; il n’a pas voulu rester, c’est
une affaire qui le concerne personnellement.
Relativement
à la convention de Zonhoven, je vous dirai : Relisez ce qui a été dit dans
d’autres occasions sur ce point ; il est inutile que je revienne sur cette
question épuisée.
Le statu quo, quoi qu’on
en dise, ne nous est pas désavantageux : pour juger de notre position, il faut
faire deux colonnes ; mettre dans l’une les avantages, et dans l’autre les
désavantages, et voir celle qui l’emporte. Or, je crois que la somme des
avantages est la plus forte.
M. A. Rodenbach. -
Toute l’Europe à, dans ce moment, les yeux fixés sur la confédération
commerciale de l’Allemagne. Il paraît que l’association présente déjà un
assemblage de 20 millions d’âmes. On sait que le gouvernement prussien a
autorisé l’établissement d’un chemin de fer communiquant avec la Belgique. Eh
bien, messieurs, en présence de faits si importants, quel agent diplomatique
envoie-t-on a Berlin. Un capitaine. Que va-t-il y faire ? Y préparer les
logements à un agent diplomatique plus convenable. Ou doit être étonné que
personne ne représente
Le
tarif prussien est bien inférieur à celui des deux autres pays. En Angleterre et
en France on n’est libéral qu’en théorie. Cependant ces puissances amies
devraient savoir que des tarifs exagérés font autant de mal que des canons.
Nous avons beaucoup d’affection pour
M. le ministre de la justice (M.
Lebeau) - Pour ne pas abuser de vos moments, j’ai attendu que
quelques orateurs eussent parlé, afin de répondre à tous en même temps.
Je ne sais pas,
messieurs, si je dois m’attacher bien sérieusement à réfuter toutes les
attaques dirigées contre nous, par un honorable député de Liége. Le ministère
actuel est dit-on, un ministère qui ne peut ni vivre, ni mourir ; c’est un
ministère agonissant. Messieurs, si le ministère avait voulu crier détresse,
s’il avait voulu se montrer bien facile sur les moyens de se compléter,
peut-être ne serait-il pas resté mutité trop longtemps.
Je n’attache pas une
grande importance au fait suivant. Je ne le cite que comme un témoignage du bon
vouloir qu’on montre parfois à un ministère incomplet.
Il n’y a pas bien
longtemps encore que certaine personne qu’on aurait pu, à la rigueur, prendre
pour un négociateur, mais qui, je pense,
n’avait d’autre mission que son zèle, a fait parvenir des propositions au
ministère actuel pour le compléter, et pour en faire, disait-on, un ministère
inexpugnable. Quelle que fût notre pensée sur ces ouvertures en elles-mêmes, ou
ne pouvait donner suite à des négociations, car nous avons pensé que le
négociateur ne tenait, je le répète, sa mission que de son propre zèle.
Il ne s’agit pas ici
d’un honorable député, ministre d’Etat, qui siège à ma gauche.
M. Fleussu. - C’est
une énigme !
M. le ministre de la justice (M.
Lebeau) - C’est une énigme dont je me permettrai de garder le
mot, car il y a aussi quelque chose d’énigmatique dans le motif des attaques
dirigées contre nous, lorsque rien de notre part, n’a provoqué ces
manifestations hostiles.
Je ne répondrai pas non
plus bien longuement aux assertions d’après lesquelles nous aurions insulté
l’armée. Je voudrais bien qu’on produisît la preuve de ces assertions, au lieu
d’aller peut-être puiser des arguments dans une polémique extra-parlementaire
qui n’a pas une source bien pure, à ce qu’il me semble.
J’ai dit ailleurs, il
est vrai, que le licenciement de l’armée avait pu remettre dans la société
quelques hommes exposés à avoir contracté des habitudes de fainéantise et
d’intempérance, et par là augmenter le nombre des délits. Je n’ai rien à
rétracter de ces paroles. C’est là un fait qui tombe sous les sens, et qui n’a
rien d’injurieux pour une classe honorable de la société.
De ce que j’ai signalé
ce fait ; de ce que j’ai dit que quelques hommes, quels que fussent la discipline,
la moralité, et l’excellent esprit de l’armée, n’avaient pu ne pas contracter
dans ses rangs, l’habitude du travail et de la tempérance, je n’ai point accusé
l’armée, dont je connais le courage, la discipline et la bonne conduite.
Quant aux paroles qui
ont été proférées dans l’autre chambre à l’occasion d’une pétition dans
laquelle un citoyen se plaint d’avoir été brutalement interdit d’une partie de
ses droits civiques, je dirai que le ministère est resté au-dessous des
qualifications reproduites devant lui, mais qu’il ne pouvait employer, parce
que ces qualifications ne convenaient pas au langage d’un membre du cabinet.
Le ministère a exprimé
son opinion consciencieuse ; ses actes seront conformes à cette opinion. Si le
ministère s’apercevait qu’il s’est trompé, il s’arrêterait tout court dans la
marche qui jusqu’ici il croit tracée par ses devoirs, par la constitution.
A entendre le même
préopinant, il sembleraient que le vote des budgets à l’unanimité serait un
nouveau acte d’opposition, ou qu’au moins il n’aurait aucune signification
favorable aux ministres.
Je suis fâché qu’un
homme d’un esprit aussi distingué que l’honorable préopinant s’expose, par
cette singulière argumentation, au reproche d’avoir en quelque sorte parodié ce
qui a été fait récemment dans un autre pays. Les majorités sont des questions
d’arithmétique, rien de plus facile que de les constater.
L’honorable orateur
dit : Les budgets des ministres sont les budgets de la chambre, et voilà
pourquoi on les vote. Mais de ce que la chambre a limité, réduit les budgets,
s’ensuit-il qu’elle n’ait eu aucune confiance dans le cabinet, auquel elle a
permis de disposer des fonds du trésor ? Affirmer qu’il en est ainsi est d’une
logique que le bon sens repousse. Quant à moi, lors même qu’un ministère, dans
les économies, irait au-delà de la section centrale, je ne lui accorderais pas
une obole s’il n’avait pas ma confiance. Telle est ma religion politique.
Y a-t-il quelque chose
d’inconstitutionnel ou qui apparaisse comme tel dans un projet de loi, dans un
budget, à l’instant, dit le même orateur, la section centrale, la chambre en
fait justice : la section centrale et la chambre ont parfaitement raison ; mais
c’est là une question étrangère au personnel d’un cabinet ; c’est là une
question de principes, et non une question d’hommes. Quels que soient les
ministres, c’est un devoir pour les chambres de se conduire ainsi.
Est-il vrai, comme on
l’a avancé, que le ministère ait toujours montré une déférence aveugle pour la
section centrale ?
Mais à l’exception d’un
seul chiffre du budget de la justice, malgré l’opposition que plusieurs
allocations de ce budget ont rencontrée dans cette enceinte, la chambre a
écarté les propositions de réduction, elle a même accordé les allocations qui
touchent le plus à la confiance qu’on peut avoir dans la probité d’un ministre.
Les fonds secrets, par exemple, ne peuvent être accordés qu’à un ministre dont
la probité n’est pas en doute, car rien ne serait plus facile que de les
détourner de leur destination, ou même de leur donner une application politique
tout autre que la destination consentie par la majorité.
Ce serait au reste un
singulier reproche à faire à un ministre que celui d’avoir montré de la
déférence pour la représentation nationale quand il lui semble qu’elle a
raison.
Je m’arrête ; je crois
que cette discussion n’a rien d’agréable pour la chambre ; elle est pénible
pour le ministère.
Un honorable préopinant
a demandé s’il était dans les intentions du gouvernement de procéder à l’organisation
de la légation de Berlin. Le gouvernement partage, sur l’utilité de nos
relations commerciales avec l’Allemagne, l’opinion toute entière de l’honorable
membre, et ce n’est pas d’aujourd’hui que celui qui porte en ce moment la
parole, a jeté les yeux sur cette contrée ; il l’a considérée comme un pays
avec lequel il était utile de lier des rapports commerciaux.
Je me souviens même que
cette opinion fut à mon égard, le texte d’amers reproches : quoiqu’il en soit,
le ministère pense sérieusement à tirer partie des dispositions qui se
prêteraient à nous mettre en rapport d’intérêt avec l’Allemagne.
Rien
sur la légation de Berlin n’étant fixé dans le budget, le ministère ne peut
s’en occuper définitivement. Il me semble naturel que celui qui consentira à
représenter
Il est possible, on le
comprendra, que le gouvernement ait rencontré des obstacles a l’organisation
définitive de la légation de Berlin. Par suite de l’incertitude du chiffre du
budget, et je crois que sans ces obstacles le choix aurait pu être déjà fait.
M. Ernst. -
Messieurs, il n y avait rien d’énigmatique dans la déclaration que j’ai faite
qu’on ne savait discuter des questions fondamentales de politique intérieure ou
extérieure en présence d’un ministère qui tombe en pièces, d’un ministère qui
ne peut ni vivre ni mourir. Ce n’est pas un ministère : nous n’avons plus que
deux ministres effectifs ; d’après ce que M. le ministre de la justice nous a
dit hier, il ne dépend pas d’eux de se retirer, ils ne trouvent personne qui
veuille s’asseoir définitivement à leurs côtés.
Mais il y a une énigme
dans ce que vient de dire M. le ministre de la justice, que des propositions
lui ont été faites pour compléter le ministère actuel. Je suis obligé de dire
le mot de cette énigme, quelque répugnance que j’aie à parler de moi ; je ne
nommerai personne, mais je déclare qu’aucun membre de la chambre n’est
intéressé dans cette affaire.
Ces jours passés
quelqu’un est venu me faire la proposition suivante : auriez-vous de la
répugnance à entrer dans le ministère actuel, si on vous laissait choisir le
ministre des finances, M. Lebeau passerait aux affaires étrangères, vous auriez
le portefeuille de la justice.
Voici ma réponse :
« Je n’ai point d’ambition, je n’aime pas d’entrer au ministère avec qui
ce soit, mais à aucun prix je n’accepterais de portefeuille avec MM. Lebeau et
Rogier. Il ne faut pas que des hommes neufs s’associent à des noms usés. »
Je dois ajouter que je n’ai aucune raison de supposer que la personne dont il
s’agit fût autorisée par les ministres à me faire cette ouverture.
J’ai du regret,
messieurs, qu’une provocation indiscrète m’ait mis dans la nécessité de vous
faire cette révélation.
J’ai reproché au
ministre de la justice de s’être permis récemment une offense envers notre
belle armée. N’a-t-il pas en effet, attribué les vols nombreux qui se sont
commis au renvoi de nos guerriers dans leurs foyers, n’a-t-il pas indiqué comme
une cause de la fréquence des délits, la substitution d’une autre peine à celle
de la bastonnade. Les faits ne perdent rien de leur exactitude, parce qu’ils
sont reproduits par les journaux libéraux.
Je me suis plaint de ce
que, dans une autre assemblée, un ministre avait eu l’imprudence de lever des
accusations contre une régence respectable. En effet, n’a-t-il pas parlé de
violations de la constitution, d’usurpations de pouvoirs, d’abus scandaleux.
Appuyé qu’il était de l’assentiment unanime du sénat, n’aurait-il pas été sage
et politique de s’expliquer avec modération, de dire que la régence avait pu
commettre une erreur, que la sagesse présiderait à ses résolutions futures ? De
cette manière, au lieu d’irriter encore davantage, il aurait eu l’espoir
d’exercer une heureuse influence.
J’ai cherche à expliquer
comment il se fait qu’avec un ministère comme le nôtre, nos budgets reçoivent
des suffrages unanimes.
Mes explications ont
déplu à M. le ministre de la justice ; il n’y a vu qu’une parodie de ce qui a
été dit récemment dans un pays voisin, et de son côté il ne donnerait pas un
centime à des ministres qui n’auraient pas la confiance.
On a raison de dire
qu’il n’y a que la vérité qui choque : M. le ministre sait bien qu’il n’a pas
la confiance de la chambre, et il est bien étrange qu’il puisse s’imaginer que
toutes les voix lui seraient favorables. Je maintiens que mon explication est
exacte, j’en appelle à la chambre qui saura désormais à quoi s’en tenir sur les
prétentions ministérielles.
Il
n’est pas dans nos mœurs de faire des budgets des questions de ministère, et
nous ne voulons pas entraver la marche de l’administration, lorsque nous avons
tant d’autres moyens d’exprimer notre pensée à l’égard du ministère, pensée qui
ne peut d’ailleurs être ignorée de personnel.
Je parle trop rarement,
messieurs, pour avoir besoin de faire des parodies ; nous avons trop de vérités
et de tristes vérités à dire pour nous amuser à des fictions.
(Moniteur belge n°12, du 12 janvier 1834) M. le ministre de la justice (M.
Lebeau) - Messieurs, je suis forcé de répondre encore quelques
mots.
La chambre remarquera
que ce n’est pas moi qui ai porté la discussion sur ce terrain. J’éprouve pour
ces détails de personnes autant de répugnance que la chambre. Je commence par
dire que j’ai pleine foi dans la déclaration que vient de faire l’honorable membre
; je crois qu’il est étranger aux projets de négociation dont nous avons parlé,
et il peut être assuré que le ministre est également étranger à toute tentative
de négociations de la nature de celles auxquelles il fait allusion.
Cet orateur parle toujours
au nom de la chambre et du pays : s’il était fondé à parler ainsi, il faudrait
que le ministère se retirât immédiatement.
Un phénomène politique
remarquable se présente dans notre pays ; quand ailleurs le pouvoir est un
sujet de convoitise, chez nous il est un sujet de dégoût ou d’effroi. Je laisse
au public à expliquer cette anomalie.
Je cite un fait qui
frappe tous les yeux.
L’honorable préopinant a
dénaturé mes paroles, très involontairement sans doute ; car s’il veut lire le Moniteur, il verra qu’il a parlé d’après
un compte-rendu tronqué. Je n’ai pas dit que la suppression de la bastonnade
fût la cause principale des vols qu’on a signalés comme nombreux : j’ai signalé
comme cause principale de la présence dans les prisons d’un grand nombre d’hommes
appartenant à l’armée la suppression de la bastonnade. Cette suppression
nécessite une punition d’un autre genre, tel est le sens que j’ai donné à mes
paroles. Je ne me suis jamais expliqué autrement ni ici, ni ailleurs. J’en
appelle volontiers aux souvenirs de la chambre.
Plusieurs voix. - C’est vrai
M. le ministre de la justice (M.
Lebeau) - Je n’ai pas dit non plus que le licenciement de
l’armée fût la cause de nombreux délits. Je suis persuadé que si l’on compare
le nombre de délits commis pendant cet hiver au nombre des délits commis à la
même époque dans d’autres années, on trouvera que le chiffre est à peu près le
même.
J’ai présenté comme une
cause possible de quelques délits, le licenciement d’hommes parmi lesquels il
s’en trouve qui ont pu perdre les habitudes du travail, et qui ont pu
contracter des habitudes d’intempérance.
Aucun criminaliste ne
peut repousser cette réflexion, qui, encore une fois, n’a été avancée que comme
une conjecture, et qui, fût-elle plus formelle, ne blesserait nullement
l’honneur d’une classe respectable de la société. L’honneur de l’armée a-t-elle
jamais souffert de la punition que fréquemment les conseils de guerre infligent
à quelques hommes indignes de lui appartenir ?
Je
n’ai pas dit que le vote d’un budget à l’unanimité fût une marque unanime de
confiance envers un ministère ; je ne pousse pas jusque-là une présomption qui
dégénérerait en fatuité. Je crois que d’honorables opposants ont fait une part
très large à la situation du pays et à des considérations d’intérêt général. Je
crois que beaucoup d’entre eux ont été dirigés par une haute pensée politique
devant laquelle d’effacent les petites questions de ministère. Je pense qu’ils
ont voulu prouver que l’accord régnait en Belgique alors que de graves
dissensions éclataient ailleurs au sein des grands pouvoirs de l’Etat ; je
pense qu’ils ont voulu nous présenter réunis en phalange aux yeux de
l’étranger. Ces explications me semblent de nature à rassurer toutes les
susceptibilités, et à prouver en même temps que dans ce vote unanime il n’y a
pas un caractère de répudiation du cabinet, induction qui m’a paru résulter des
paroles d’un honorable député et que j’ai dû trouver étrange.
(Moniteur belge n°11, du 11 janvier 1834) M. le ministre de l'intérieur (M.
Rogier) - Lorsque j’ai entendu parler de la régence de Liége,
j’ai cru qu’on allait occuper la chambre du fond de la question ; mais il
paraît qu’on n’a voulu entretenir l’assemblée que de la question de forme. On a
relevé quelques expressions un peu vives prononcées dans le sénat : la
discussion réduite à cette proportion n’a plus d’importance. Qu’un ministre
s’explique avec plus ou moins de vivacité, qu’il ne rencontre pas toujours
l’expression que dicte les convenances, on peut le concevoir. Ces expressions
ont excité la susceptibilité de certaines personnes ; mais je voudrais que leur
susceptibilité fût également excitée quand on attaque les ministres avec des
expressions qui manquent aux convenances.
Il
semble que pour attaquer le pouvoir, l’invective, l’injure soient permises.
Nous n’en dirons pas
d’avantage Le gouvernement est prêt à défendre ses actes.
M. Dumortier. - Je
ne m’attendais pas à prendre la parole dans la discussion qui s’est élevée
aujourd’hui ; mais j’ai entendu le ministre de la justice proférer des
doctrines telles que je croirais manquer à mes devoirs si je n’en signalais la
fausseté.
Selon le ministère, il
aurait un appui dans chacun de nous parce que nous avons accordé des crédits
pour la marche de l’administration.
M. le ministre de la justice (M.
Lebeau) - J’ai dit le contraire !
M. Dumortier. - Les
questions d’argent sont des questions de confiance, a dit le ministre, et je
n’accorderais, pas une obole, ajoute t-il, aux ministres qui n’auraient pas ma
confiance C’est là votre doctrine ; mais ce n’est pas la nôtre. Jamais, dans
notre patrie, on a fait des questions d’argent des questions de personnes ; les
questions d’argent sont des questions d’économie et rien de plus. La
représentation nationale veut, avant tout, favoriser la marche de
l’administration ; si elle improuve la conduite du gouvernement, elle sait
qu’une administration est toujours nécessaire.
Je suis charmé que la
discussion soit sur ce terrain, Il était nécessaire que les assertions des
journaux ministériels fussent réfutées à la tribune nationale.
Ces journaux parlent
souvent de la confiance qu’obtient le ministère ; ils citent pour preuve de leurs
assertions le vote du budget ; mais le
vote du budget est une question d’administration, et il faut bien que
Vous prétendez,
ministres, avoir la majorité dans cette enceinte ; montrez-là montrez vos
défenseurs. Excepté un honorable député qui siège comme commissaire du Roi,
excepte des ministres d’Etat avec ou sans portefeuille, il n’est aucun membre
qui ait pris la défense du ministère. Vous n’avez pas de partisans dans la
chambre. Et si vous avez rendu un ministère impossible, c’est parce que vous
avez divisé pour régner.
Vous avez la confiance
de l’assemblée ! avez-vous oublié le vote de l’adresse ? avez-vous oublié la
dissolution de la chambre ? Je suis heureux de faire voir au pays que vous
n’avez pas d’appuis dans cette chambre et que si nous votons les budgets c’est
parce que nous avons besoin d’administration.
Un événement vient de se
passer : un ministre s’est retiré ; un ministre d’Etat a pris sa place.
Celui qui s’est retiré,
était depuis longtemps connu des actes qui n’avaient pas notre approbation : il
nous était connu par la note du 3 novembre ; par la convention de Zonhoven ;
par la convention du 21 mai qui est un grand malheur pour le pays à cause de la
dette qu’elle nous assigne.
On a fait des questions
aux ministres, sur les dernières nominations d’agents diplomatiques qui ont eu lieu
; les ministres n’ont rien répondu. Je sais bien qu’il leur sera facile de se
retrancher derrière la prérogative royale. Mais nous leur ferons observer que
l’intérêt du pays exige que la nation soit représentée dignement, qu’elle soit
représentée par des hommes capables.
Il y a assez longtemps
que l’on fait de la camaraderie avec les hantes fonctions ; il est temps de
placer dans ces emplois des hommes qui ont donné des gages au pays, et de leur
capacité, et de leur dévouement.
On
nous dit que le chiffre qui sera porté au budget déterminera le choix de
l’agent qu’on enverra à Berlin ; ce qui veut dire que la capacité des hommes
est en proportion de l’argent qu’on peut leur donner ; ainsi l’intérêt public,
l’amour de la patrie n’inspire plus les citoyens ! ainsi le ministère vient
dégrader la nation entière ! vient déclarer que nous sommes des hommes à argent
! que les Belges n’acceptent des emplois que pour des salaires ! Choisissez des
hommes capables ; qu’importe qu’ils puissent ou non faire des frais de ce que
vous appelez représentation. Sous le gouvernement provisoire, nous avions à
Londres des capacités et par elles nous avons évité de grands malheurs.
Je n’improuve pas les
nominations faites par le gouvernement, parce que les hommes qu’il a choisis
sont incapables ; mais parce qu’ils n’ont pas la confiance de la nation.
M. Nothomb, commissaire du Roi. - L’honorable préopinant vous a
rappelé que j’ai prêté constamment mon appui à tous les ministères ; je lui
sais gré de vous l’avoir rappelé : ce n’est pas un fait dont j’aie à rougir.
J’ai soutenu, il est vrai, tous les ministères qui se sont succédé depuis trois
ans sans excepter le gouvernement provisoire : j’ai vu que le danger était du
côté du pouvoir et j’ai porté mon appui là où il y avait danger. Le système
d’ailleurs dont pouvait dépendre l’existence des ministères a été le même dans
son ensemble quant à la politique extérieure ; je me repens si peu de ma
conduite que je saisis cette occasion pour déclarer que tout ministère qui
suivra le même système me comptera pour auxiliaire. Je mets d’avance à la
disposition des ministres qui adopteront la même ligne, quels que soient leurs
noms, tout ce qui peut me rester de courage, et si j’ose le dire, tout ce que
je puis avoir de talent.
Le point de départ de
l’honorable préopinant est celui-ci : Il faut distinguer le gouvernement du
ministère ; la chambre accorde au gouvernement les lois de nécessité, telles
que les lois des budgets, et ne les accorderait pas au ministère.
Je vous avoue qu’il
m’est impossible de saisir cette distinction. J’ai toujours pensé que le
gouvernement représentatif est le gouvernement du Roi et de la majorité
parlementaire : du Roi, qui agit par l’intermédiaire des ministres, qui ne sont
autres que des hommes indirectement désignés ou au moins avoués par la majorité
parlementaire. C’est dans cet accord, formel ou tacite, qu’est pour moi le
gouvernement représentatif. S’il n’est pas là, je ne sais pas où le trouver.
Je reviens à
l’application. Je dis que cet accord a existé entre le ministère actuel et la
législature sur le système de politique extérieure, système auquel jusqu’à
présent on a rattaché les questions d’existence ministérielle ; je dis que la
majorité n’a manqué ni dans cette chambre, ni dans les chambres précédentes, au
ministère sur toutes les grandes questions extérieures. Je récuse l’honorable
préopinant qui ne s’est jamais associé aux majorités parlementaires. Homme de
la minorité, il ne peut prêter ses doctrines à la majorité.
Il me suffira de jeter
un regard sur le passé. Le traité du 15 novembre n’a point été compris par
l’honorable préopinant, mais il l’a été par la majorité qui, il est vrai, ne
l’a pas accepte librement, mais qui l’a subi comme une loi européenne. Nous
devions nous attendre à voir ce traite ratifié et exécuté par ceux qui nous
l’ont imposé ; s’il n’a point été ratifie dans le terme fixé aujourd’hui même,
il n’est pas encore pleinement exécuté, faut-il s’en prendre au gouvernement
belge ? non, messieurs ; et c’est encore ce qu’a senti la majorité. Elle a
compris que les retards mis aux ratifications, que les retards apportés à
l’exécution, dépendent de circonstances qu’il n’était donné ni à
En attendant cette
exécution pleine et entière, le gouvernement a-t-il fait ce qui, relativement,
était le plus utile au pays ? Sur cette question, subsidiaire en quelque sorte,
la majorité s’est encore rencontrée avec le ministère. La convention du 21 mai
a créé un état intermédiaire, qui nous permet d’attendre sans danger
l’exécution intégrale ajournée contre notre volonté. Cette convention n’a point
été comprise de ses amis qui, avec lui, forment non la majorité, mais la
minorité. Elle a reçu l’assentiment de la législature, et j’ose le dire du pays
Tel a été aussi le sort
de la convention de Zonhoven, complément de la convention du 21 mai. Le
préopinant a attaqué cet acte ; mais, désespérant d’attirer à lui l’assemblée,
il a laissé, pour me servir d’une expression triviale, tomber les débats sans
faire de proposition formelle. La convention de Zonhoven est donc restée, avec
l’assentiment tacite de la chambre.
Ainsi, le système de
politique extérieure, le seul d’où on ait fait dépendre les questions
ministérielles, a eu l’approbation de cette chambre et de celles qui l’ont
précédée. Je ne veux pas chercher cette approbation dans l’unanimité du vote
donné récemment au budget de la guerre et de la justice ; je veux bien admettre
avec le ministre de la justice que les députés qui se sont réunis à la majorité
ordinaire, avaient en vue moins d’approuver le ministère que d’opposer le
spectacle de l’unanimité de nos suffrages à celui des dissentiments qui
viennent d’éclater en Hollande.
C’est un ministère qui
tombe en pièces, a dit l’honorable auteur de ce débat : oui, messieurs, le
ministère tombe en pièces ; mais derrière le ministère, au-dessus du ministère,
il y a autre chose encore qui tombe en pièces, le pouvoir ; c’est le pouvoir
qui s’en va, que l’on s’efforce en vain de rappeler ; c’est là plus qu’une
question ministérielle ; c’est une question sociale, de ces questions qui se
produisent à la suite des révolutions.
Cette question, il faut
la considérer en elle-même, sans accuser les hommes qui ont le malheur, qui ont
le courage de se trouver au pouvoir. On ne peut se le dissimuler, il y a depuis
trois ans une profonde difficulté d’avenir, difficulté qui frappe tout le
monde, qui effraie tout le monde. Que la place de bourgmestre dans un village
soit vacante, ou trouve des hommes pour la remplir ; qu’une place dans la
magistrature, qu’une place dans l’administration soit vacante, et les candidats
ne manquent point. Véritable phénomène, les places de ministres sont vacantes
ou à peu près, et personne n’en veut : vacantes, car d’un côté je vois des
ministres par interim, de l’autre des ministres
censés nommés définitivement et qui aspirent à la retraite. Un honorable
orateur a dit hier, avec autant d’esprit que de raison, que les ministres par interim ne sont que des hommes qui ne font que passer ; il
faut écrire sur l’hôtel de leur département : ministère à louer. Cet écriteau, je le place partout où siège le
pouvoir ; lisez partout : pouvoir à
louer, pouvoir à prendre si quelqu’un veut le prendre d’une main forte.
Ainsi, messieurs, ce ne
sont pas les ministres qui à dessein auraient créé, comme le prétend un
honorable orateur, la presque impossibilité de gouverner. Cette impossibilité
ne vient pas d’eux : elle tient à des causes en dehors de toutes les questions
de personnes ; elle tient à cette situation exceptionnelle où se trouve notre
pays, situation qui reproduite ailleurs avec les mêmes difficultés, avec les
mêmes accidents.
On avait espéré faire
cesser ces embarras par un appel aux électeurs ; la dissolution tant reprochée
aux ministres n’a pas eu d’autre but.
On s’était dit : La
majorité, tout en avouant le système de politique extérieure, ne s’est
franchement, ostensiblement associée aux hommes du pouvoir : il y a au fond de
cette situation un obstacle qu’il faut lever, et l’obstacle est resté, parce
que la dissolution a pris le pays dans cette situation exceptionnelle où il se
trouve depuis trois ans, et qui, je l’espère, trouvera un terme.
A mesure que les
difficultés extérieures disparaîtront, à mesure que le sentiment de l’ordre se
raffermira dans les esprits, le pouvoir trouvera de candidats.
Je voudrais m’arrêter
ici. Il y aura quelque chose de disparate entre la généralité des
considérations que je viens de vous soumettre, et la spécialité de ce qui me reste
à dire.
Pourquoi, se
demande-t-on, le ministre des affaires étrangères s’est-il retiré ? a-t-il
découvert de nouveaux obstacles qu’il a désespéré de surmonter ? C’est là une
question, messieurs, à laquelle le gouvernement n’a point à répondre. On dit bien
pourquoi on entre, pourquoi on reste aux affaires ; mais on peut en sortir sans
rendre compte à qui que ce soit de ses motifs. En répondant à cette question,
je sortirai donc de ma mission de commissaire du Roi ; je parlerai du général
Goblet comme d’un collègue.
L’ex-ministre n’a point
reculé devant des difficultés imprévues ; entré aux affaires pour obtenir des
résultats qu’il avait prévus, il s’est retiré lorsqu’il a vu ces résultats
obtenus. La mission qu’il avait acceptée, il l’a regardée comme remplie quant à
lui. Par la déviation qu’il a su faire subir en septembre 1832, il a amené
l’intervention anglo-française, événement qui a été suivi de la convention du
21 mai, dont la convention récente de Zonhoven n’a été qu’un appendice II ne
reste plus à intervenir qu’un arrangement direct avec
Une objection faite par
M. Desmet relativement à quelques choix récents a été reproduite par M.
Dumortier, qui a été au-devant des arguments du gouvernement : il a très
judicieusement senti que le gouvernement pourrait se retrancher derrière sa
prérogative. Les questions de personne ont d’ailleurs des dangers particuliers
; elles tiennent à des détails qui ne comportent pas toujours la publicité.
L’agent désigne pour la légation de Vienne a été, dans la position donnée, jugé
le plus propre à remplir ces fonctions. Je pourrais me borner à ces mots s’il
n’était, d’un autre côté, de mon devoir de dire un mot en faveur d’un absent. L’homme qu’on a cité s’est
trouvé loin de
Avez-vous compris, nous
dit-on, l’importance politique et commerciale de la légation de Berlin ? Oui,
répond le ministre de la justice ; mais nous en avons subordonné la
constitution définitive au vote du budget.
Vous mettez donc les
places à l’encan, reprend l’honorable M. Dumortier : c’est là, messieurs, une
de ces phrases propres à émouvoir, mais qui ne soutiennent pas un examen
réfléchi. Suivant moi, dans les hautes positions diplomatiques, le talent seul
ne suffit point. La capacité la plus éminente bornée à elle-même peut être
frappée d’impuissance. Le gouvernement représentatif est le régime des
capacités : pour que les hautes positions sociales soient accessibles à l’homme
qui n’a que du mérite personnel, il faut que le gouvernement ajoute aux talents
qu’il lui offre les moyens pécuniaires qui lui manquent.
Si vous refusez ces
moyens à cet homme, vous créez un privilège en faveur de la fortune ; vous
déclarez admissibles à certaines fonctions ceux-là seulement qui sont riches ;
vous faites de l’aristocratie.
M. Pirson. - C’est
vrai.
M. Nothomb,
commissaire du Roi. - Le talent est une puissance ; la fortune est une puissance aussi ;
l’une et l’autre prises isolément ont des influences incomplètes ;
associez-les, et vous aurez ce qui donne une véritable action sur la société.
M. le
ministre des affaires étrangères (M. F. de Mérode) - Je veux dire un mot relativement
aux journaux. Les journaux n’ont rien de commun avec cette chambre. Il y en a
qui déplaisent à certains membres parce qu’ils les contredisent, les critiquent
; mais ces députés peuvent répondre dans d’autres journaux. Je proteste contre
toute attaque dirigés ici contre les feuilles publiques ; la presse est libre
en Belgique ; elle va quelquefois au-delà des bornes ; mais nous ne sommes pas
chargés de lui tracer des limites par nos discours.
M.
de Brouckere. - L’honorable commissaire du Roi a commencé par se
vanter d’avoir successivement soutenu tous les ministres qui se sont succédés
depuis la révolution. S’il tient à avoir des éloges, il a bien fait de s’en
donner lui-même, car sur ce point, il n’en aurait pas reçu de la chambre. Il a
ajouté qu’il soutiendrait de tout son talent tous les hommes qui viendront au
pouvoir, s’ils suivent le même système : il semblerait de là qu’un seul et
unique système ait dirigé la conduite de tous nos ministres. Cependant vous
avez entendu hier un ancien ministre déclarer s’être retiré des affaires parce
que les hommes dont le Roi s’était entouré suivaient un système diamétralement
opposé à celui que cet ancien ministère et ses collègues avaient suivi. Voilà
donc au moins deux systèmes qui ont été appuyés par le talent de l’honorable
orateur. Si je voulais, je prouverais qu’il y a eue plus de deux systèmes
soutenus par ce membre.
M. Pirson. - Les
ministres n’ont jamais eu de système de conduite !
M.
de Brouckere. - Je ne ferais pas à l’honorable préopinant un
reproche de sa conduite, et je n’en aurais pas dit un mot s’il ne s’était pas
glorifié de sa conduite.
Il y a si peu de
défenseurs des ministres qu’il y aurait petitesse à combattre ces défenseurs et
j’inviterai M. Nothomb à continuer.
Il y a du courage,
di-il, à se conduire comme il fait :
Il n’y a courage que
quand il y a péril, et je ne vois pourtant aucun péril le menacer.
L’orateur soutient que
le ministre a pour lui la majorité de l’assemblée et la confiance de la chambre
: comment se fait-il alors que le ministère ait voulu se retirer trois fois ?
Comment se fait-il que
ce ministère ait dissous une chambre qui avait confiance en lui ? La
dissolution de la chambre ne peut être comprise, si on nous affirme que le
ministère et la chambre s’entendaient. Vous voyez donc que les efforts de M.
Nothomb, malgré son talent, n’ont pu produire l’effet qu’il en attendait.
Mais comment se fait-il
qu’on accorde toujours les budgets aux ministres ? Si nous ne voulez pas de
nous, dit le ministre de la justice, rejetez donc nos budgets ? On ne fait
cette provocation que parce qu’on sait que la chambre n’y répondra pas.
L’opposition
systématique ne s’est pas encore introduite dans nos mœurs parlementaires.
Quand nous avons fait
des économies dans les budgets nous les votons, sans nous enquérir quels hommes
seront chargés de la distribution des fonds que nous allouons ; mais cela
n’empêche pas la chambre de blâmer la conduite ministérielle ; et cette
conduite a été en effet blâmée, à ce point, que les ministres ont cru
nécessaire de dissoudre la chambre pour se maintenir au pouvoir.
On a déjà fait remarquer
que les ministres ont toujours la prudence de se réunir aux budgets présentés
par la section centrale.
Un
honorable préopinant avait interpellé le ministère sur le point de savoir ce
qui avait motivé la retraite du général Goblet : si les organes du gouvernement
avaient été prudents, selon moi, ils se fussent abstenus de répondre à une
semblable interpellation. M. Nothomb prétend que le général Goblet s’est retiré
parce qu’il a atteint le but qu’il se proposait d’atteindre en entrant au
ministère : je doute que le général Goblet soit satisfait de cette explication.
Si ce que nous avons obtenu sous son ministère était tout ce qu’il espérait
obtenir, je lui dirai qu’il aurait mieux fait de ne pas faire partie du
cabinet. J’ai une autre idée du général Goblet ; je crois qu’il a des vues plus
étendues que celles que l’on lui prête et qu’il voulait autre chose que ce
qu’il a fait obtenir.
(Moniteur belge n°12, du 12 janvier 1834) M. Nothomb, commissaire du Roi. -
Messieurs, mon habitude n’est pas de parler de moi, ni même des autres. Si j’ai
parlé de moi par exception ce n’était pas pour me vanter comme l’a dit le
préopinant ; en cela il a méconnu le droit de la défense ; car je ne l’ai fait
que pour me défendre contre une insinuation qu’il avait été reproduite à
plusieurs reprises. Je le répète donc ; le préopinant a méconnu les droits de
la défense ; j’ai dit que le système du gouvernement avait toujours été le même
; c’est dans son ensemble qu’il faut le considérer : Je n’ignore point que dans
des circonstances partielles des déviations ont eu lieu, mais ces déviations
n’ont pas change le système. Je ne crois pas devoir entrer à cet égard dans
plus de détails, ce serait faire de l’histoire.
L’opposition
systématique, a dit le préopinant, n’est pas dans nos mœurs. Je crois qu’elle
est même impossible, jusqu’à ce qu’on puisse opposer au système ministériel un
autre système, et selon moi, il est impossible de changer le système politique
dans son ensemble.
Non,
l’opposition n’est pas systématique ; elle ne peut l’être, à moins toutefois
qu’au système pacifique que nous suivons, elle ne veuille opposer le système
belliqueux ; mais jusqu’à présent personne n’est venu présenter la guerre comme
système gouvernemental. J’avais senti qu’en justifiant le général Goblet, je
sortais de ma mission de commissaire du Roi ; j’en suis convenu en prenant la
parole. Mais j’ai ici un double caractère, je demande pardon à la chambre s’il
m’arrive quelquefois de confondre mes deux qualités. J’ai défendu M. le général
Goblet, comme son collègue dans cette chambre, contre des attaques dont il
avait été l’objet ; je l’ai défendu en expliquant les motifs qui l’ont amené au
pouvoir et ceux qui l’ont engagé à s’en retirer. D’après moi, pendant les
dix-huit mois qu’il est resté à la tête du ministère des affaires étrangères,
il a obtenu des résultats assez grands pour pouvoir se retirer honorablement.
M. Dumortier. - Je
commencerai par répondre quelques mots à ce qu’a dit l’honorable préopinant, relativement
à la manière dont le ministre de la justice avait envisagé la collation des
emplois aux hautes fonctions diplomatiques, telles que celles de ministres
plénipotentiaires et autres chargés d’affaires près des grandes puissances. Le
ministre avait déclaré que l’établissement de telle légation était une question
d’argent et qu’il s’agissait de savoir si la chambre voterait 40 ou 50 mille
francs afin de composer en conséquence la légation de Berlin. Est-ce à dire
qu’il prétend que si on vote cinquante mille francs on aura une légation à
Berlin, et qu’on n’en aura pas si on ne vote que 40,000 francs ; qu’il n’y a en
Belgique qu’un homme capable d’être a la tête de cette légation, et que cet
homme met ses services à ce prix ? S’il en était ainsi, je serais honteux pour
mon pays ; mais heureusement, nous savons tous que nous n’avons pas à déplorer
une pareille dégradation, et qu’on ne fera jamais en Belgique des affaires
d’argent de ce qui doit toujours être une affaire d’honneur. Mais, dit le
commissaire du Roi, avec ce système vous mettez toutes les fonctions entre les
mains de l’aristocratie.
Rappelez-vous,
messieurs, le temps où Franklin vint en France ; pensez-vous que l’éclat qu’il
jeta sur la diplomatie provenait du haut traitement qu’il recevait ?
Pensez-vous que pour accepter sa mission, il avait pesé dans la balance
l’argent qu’il lui en reviendrait ? Non certes ; mais c’est qu’il existait des
sentiments d’honneur et de patriotisme dans le Nouveau-Monde ; et si l’on en
croyait M. le commissaire du Roi, il ne resterait plus chez nous qu’un
sentiment de basse et vile cupidité.
Messieurs, les capacités
ne s’achètent pas ; et si on venait prétendre que c’est à prix d’argent qu’on
en obtient, on pourrait reconnaître que les fonctions sont données à l’intrigue.
L’extrême modestie accompagne toujours le vrai mérite ; et quel est l’homme
capable qui oserait dire à une nation : Je vous vends mes services si vous me
donnez telle somme ; si vous ne voulez me donner que telle somme, je ne vous
les vends pas ? Si les services n’étaient obtenus qu’à prix d’argent, le
gouvernement représentatif ne serait plus un gouvernement de capacités mais un
gouvernement de misérables intrigues et de basse cupidité. Voilà où vous en
viendriez. Tout homme qui se respecte rougirait d’appartenir à un gouvernement
semblable. La manière dont vous défendez le gouvernement en est la critique la
plus amère qu’il soit possible d’imaginer.
Maintenant j’arrive à
une question plus vivace, à la question d’existence ministérielle, du système
ministériel, qui a été vivement soutenu par le préopinant.
Le préopinant qui est
représentant du district d’Arlon, député du Luxembourg, représentant de
M. Nothomb, commissaire du Roi. - Je n’ai jamais dit cela...
M. Dumortier. - …
trouve superbe le système suivi par tous les ministères présents et passés ; je
serais curieux de savoir ce qu’il pensera du système des ministères futurs. Libre
à lui de penser ce qu’il veut du système suivi jusqu’à ce jour ; de parler des
grands résultats auxquels nous sommés parvenus ; mais quand il prétend que ce
système a reçu l’approbation de la chambre, c’est ce que nous ne pouvons
admettre.
Examinons quel a été ce
système, et s’il a répondu aux besoins et à l’intérêt du pays.
Il ne faudra pas
longtemps pour jeter un coup d’œil rapide sur la marche des événements depuis
l’avènement aux affaires du ministère actuel, et nous verrons les grands
résultats auxquels nous sommes parvenus.
Lorsque le ministère
actuel arriva au pouvoir, vous savez que des engagements avaient été pris
envers la représentation nationale. La nation sentait le besoin de laver la
tache du mois d’août, de secouer la poussière dont ses drapeaux avaient été
couverts aux fatales journées de Louvain, et de réhabiliter le nom belge alors
bafoué dans toute l’Europe.
La nation entière était
impatiente de venger l’affront qu’elle avait reçu dans des circonstances
malheureuses où la lâcheté et la trahison de quelques-uns et l’impéritie du
précédent ministère avaient jeté le pays.
La nation avait d’abord
consenti aux plus grands sacrifices ; mais elle ne l’avait fait que sous la
garantie formelle de la conférence qu’immédiatement après l’adhésion obtenue,
le traité du 15 novembre recevrait son exécution intégrale. Le peuple belge,
les chambres, la représentation nationale, avaient vu que nous étions engagé
dans un système funeste dont il fallait sortir au plus tôt. Depuis, la
représentation nationale insista toujours pour arriver à la solution prompte
que réclamait le pays ; elle voulait ou que
Le ministère avait pris des engagements
formels envers la chambre. Quel fut le motif de l’arrivée au pouvoir des hommes
qui nous gouvernent aujourd’hui ? Le désir de rompre l’engagement que le
ministère précédent avait pris en présence de la volonté nationale ; c’est là
ce qui empêchera le ministère actuel d’avoir jamais l’assentiment national ;
son avènement fut le signal d’un grand manque de foi envers la représentation
nationale.
Ces paroles pourront
paraître un peu dures, mais elles trouveront leur justification dans ce qu’a
dit le préopinant, qu’un changement de système allait s’opérer, et qu’on
n’avait pas voulu suivre le système prescrit par la chambre et que le
gouvernement s’était engagé à prendre. Je le répète donc, l’arrivée au pouvoir
du ministère actuel fut le signale d’un grand manque de foi envers la
représentation nationale.
Le ministère précédent
avait reconnu qu’il était temps d’en finir, et il avait promis que si, dans
l’intervalle d’une session à l’autre, le traité n’était pas accepté par
A peine arrivé au
pouvoir, on vit le ministère prêter sa condescendance et coupable complaisance
à un autre acte aussi déshonorant pour
Pensez-vous que, dans
cette circonstance, le ministère ait montré la fermeté qui sied à un
gouvernement qui se respecte et qui a foi en lui ; qu’il ait exigé l’échange
avec la dignité qui convient à une nation libre ? pensez-vous que l’honneur et
les droits du pays aient été saufs, que la constitution n’a pas été violée ?
Vous devriez le penser d’après l’éloge que vous venez d’entendre du ministère.
Eh bien, non, messieurs, il n’en fit rien !
C’était le premier acte
du ministère : cet acte fut de consentie à l’humiliation de la patrie, en
acceptant toutes les stipulations en faveur de son ennemi sans en faire admettre
aucune qui intéressât le pays. On commença par relâcher M. Pescator,
et on consentit à ce qu’il apposât sa signature à l’acte de délivrance du
membre de la représentation nationale indignement arraché de son pays. Ce n’est
pas tout, il fallait encore fouler aux pieds la constitution. La constitution
déclare que le gouvernement n’a aucun pouvoir pour arrêter les poursuites
judiciaires ; le ministère ne tint aucun compte de cette déclaration ; il prit
l’engagement, dans la convention, de ne pas poursuivre des hommes qui étaient
venus désoler nos frontières par le brigandage et l’assassinat, des traîtres
qui avaient tenté d’opérer une contre-révolution.
Le ministère eut la
faiblesse de prendre l’engagement formel de se désister de toutes poursuites
contre ces misérables, en violation de la constitution. Voilà le second acte,
voyons quel fut le troisième.
Le troisième acte du
ministère suivit de près le second. Pour celui-ci mou cœur saignera toutes les
fois que la narration devra sortir de mes lèvres. Non avions une armée belle et
disciplinée, brûlant de venger la patrie. M. le ministre de la justice vous en
a fait tout à l’heure l’éloge, et il vous a dit qu’il appellerait avec
confiance à son courage si les circonstances l’exigeaient. Une armée qui
n’avait été vaincue à Louvain que par suite de la trahison de ses chefs, et non
à cause de faiblesse et manque de courage ; une armée qui brûlait de venger se
affronts du mois d’août, et n’aspirait qu’après une occasion qui lui permît de
le faire ; eh bien messieurs, non seulement le ministère n’employa pas cette
armée à la défense de la patrie, il poussa une fois encore l’impudeur jusqu’à
demander l’appui d’une armée étrangère, comme si nous étions incapable de faire
nos propres affaires ; messieurs, ce fait nous a placé tellement bas, a
tellement humilié la nation belge en Europe, nous a tellement ravalé à nos
propres yeux, que nous ne pouvons que cacher la rougeur de notre front, et
pleurer des larmes de sang quand nous songeons au déshonneur que le ministère
nous a imprimé par cet acte.
Ce n’est pas tout :
quelques jours après le ministre fit cette note funeste ; c’était le 2
novembre, cette note, par laquelle i1 s’engageait à abandonner le Luxembourg ;
contre quoi ? contre la citadelle d’Anvers, contre quelques murailles
abandonnées, contre des ruines. Il abandonnait les plus chauds défenseurs de la
nationalité belge, ceux qui avaient le plus fait pour secouer le joug de
Guillaume, et il les abandonnait sans rien stipuler pour leurs droits, pour
leurs propriétés, pour leurs personnes ; il les livrait sans défense à toute la
colère du roi Guillaume ; pour la possession de simples ruines nous livrions
toutes nos frontières découvertes à la discrétion de nos ennemis, nous nous
placions dans un vrai guêpier. Voilà les grands événements, les grands
résultats que la politique du ministère a produits.
Si cette note n’a pas
reçu son exécution, la cause n’en est pas le ministère : deux choses ont
toujours sauvé le pays : la nation qui a toujours les yeux ouverts sur
l’impéritie de ses gouvernants, le peuple dont le bon sens va au-devant de tous
les obstacles, et l’entêtement du roi Guillaume. Cette fois cet entêtement nous
servit encore, et c’est à lui seul que nous devons la non-exécution de cette
note funeste. C’est cet entêtement qui nous a heureusement tirés de toutes les
fausses positions où le ministère nous était mis ; ce qui prouve que le
ministère, en consentant à céder nos frères au roi Guillaume, ne cherchait pas
à éviter les suites d’un aussi funeste projet, c’est qu’il alla jusqu’à offrir
d’abandonner à
Chacun envisage les
questions politiques a sa manière. Il est des hommes qui ont trouve fort bien
que l’armée française vînt en Belgique se couvrir de gloire, tandis que nos
soldats ne pouvaient se servir de leurs mains que pour cacher la honte qui
couvrait leurs fronts ; s’il est des hommes qui ont approuvé cette conduite, la
nation l’a improuvée, et chacun a vivement ressenti les blessures qu’elle avait
faites au pays. Plus tard les faits sont venus prendre ce qu’on devait attendre
d’un ministère qui avait commencé sous de tels auspices.
Le roi Guillaume, pour
le bonheur de
Mais le ministère a
abandonné les droits de
C’est dans ces
circonstances que vint la convention du 21 mai, que M. le commissaire du Roi
prétend aussi avoir été approuvée par la majorité de cette chambre. Je vais
prouver que M. le commissaire ne dit pas la vérité, car au contraire cette
convention a été manifestement improuvée.
Nous étions fatigués,
humiliés par l’intervention française ;
L’article 25 du traité
du 15 novembre garantissait l’exécution du traité ; cet article intéressait
beaucoup la Hollande :
Alors, la convention eût
été un bienfait pour le pays. Je ne regarde pas la reconnaissance du roi
Guillaume comme fort utile, lorsque nous avons le reste ; mais il ne fallait
pas laisser le pays se grever d’une dette que plus tard il ne pourra pas
couvrir.
Le ministère s’est
présenté devant la chambre avec ce fait ainsi consommé ; il consentit à nous
priver de la garantie des puissances signataires du traité, qui est pour nous
la disposition fondamentale de ce traité, sans insister pour rien stipuler en
faveur de
Ainsi, la convention du
21 mai, tout en perpétuant le statu quo, a produit deux choses : la cessation
de la garantie des puissances pour l’exécution du traité du 15 novembre, et la
perspective de voir s’accumuler chaque années dix-huit millions de dette que
nous serons obligés de payer le jour où il plaira à Guillaume de signer. Voilà
ce qu’est la convention du 21 mai. Elle se résume dans ces deux faits. Quant au
premier, je m’en inquiéterais fort peu ; mais le second grève
Quelle fut la conduite
de la chambre dans cette circonstance ? Pensez-vous que l’adresse ait approuvé
la conduite du ministère ? Ecoutez l’amendement, voté alors, que celui qui vous
parle a eu l’honneur de proposer. Voici comment s’exprima la chambre des
représentants dans sa réponse au discours du trône. Vous y verrez le jugement
de la convention du 21 mai :
« La convention du 21 mai nous conserve la possession
de plusieurs avantages matériels stipulés dans le traité du 15 novembre 1831,
et nous donne l’espoir que nous verrons incessamment la navigation de
Voici, messieurs, le
jugement de la chambre sur la convention du 21 mai ; c’est à vous de dire si
c’est là un approbation de cette convention, comme on l’entend aujourd’hui. II
est manifeste que la convention nous grève d’une dette et nous prive d’une
garantie ; par conséquent elle se trouve flétrie par le paragraphe de l’adresse
votée dans la séance du 22 juin.
Nos droits restent
entiers ; la chambre a déclaré formellement qu’on devait faire valoir les
droits méconnus par le traité du 15 novembre ; elle a tracé le devoir du
ministre, elle lui a dit qu’il devait représenter les droits de
Votre conduite a été
molle, efféminée et indigne d’un gouvernement qui aspire à faire ses affaires
par lui-même. On n’eut pas même la force de réclamer.
Maintenant est venu un
dernier acte qui, d’après M. le commissaire du Roi, a eu encore l’assentiment
de cette chambre, c’est la convention de Zonhoven. Nous avons assez démontré
que dans cette convention les droits de
Nous avons démontré
qu’on avait viole la constitution dans les termes les plus manifestes ; nous
avons encore démontré la faute énorme qu’on a faite en consentant à ce qu’une
garnison nombreuse, capable de former au besoin une armée, se réunît au cœur du
pays et menaçât nos villes. Vous avez fait une faute énorme de ne pas suivre le
conseil qu’avait donné le maréchal Gérard. Vous avez prétendu que cette
convention avait obtenu l’assentiment des chambres, parce qu’on n’a pas voté
une adresse pour la blâmer. Il faut qu’on sache pourquoi nous n’avons pas voulu
faire d’adresse, et je remercie M. le commissaire du Roi de m’avoir donné l’occasion
de dire toute ma pensée.
La convention de
Zonhoven grève le pays, elle autorise le passage d’une armée ennemie sur le
territoire. Aux termes de la constitution, une convention de cette nature ne
devait point recevoir d’exécution, avant d’avoir obtenu l’assentiment de la
représentation nationale. Le ministre n’en tint aucun compte. Il ne présenta la
convention à la chambre que quand il était impossible de remédier aux maux
innombrables qu’elle avait produits, lorsque l’adresse était votée et que déjà
cette convention recevait un commencement d’exécution. Rappelez-vous,
messieurs, quelle était alors la position des deux parties.
L’opposition a donc fait
dans cette circonstance œuvre de prudence et de grand discernement, en
s’abstenant de provoquer une adresse. Vous voyez que nous n’avons été mus que
par un seul mobile, celui qui nous a toujours guidés et nous guidera toujours
dans notre vie, l’intérêt de la patrie.
Mais si nous avons
reconnu qu’il était dangereux de supprimer la convention en présence de faits
accomplis, il était de notre devoir de montrer combien les résultats étaient
onéreux au pays, et nous n’avons pas hésité un seul instant pour le faire.
Quant à l’argent, si on
vous l’a accordé, ce n’a été qu’en blâmant votre conduite. Pour moi, si j’ai
voté contre le budget, ce n’est pas à cause de la convention de Zonhoven, mais
à cause d’un article spécial ; et bien que j’aie attaqué le ministère avec
vigueur pour cette convention, j’aurais voté le budget ; mais il aurait commis
une grave erreur s’il avait cru trouver dans ce vote une approbation de sa
conduite.
Messieurs, j’ai dû
exposer quel a été le système du ministère, quels sont les grands résultats
qu’il a amenés au pays, les avantages qu’il lui a procurés. Jugez, vous tous
qui devez avoir à cœur l’honneur et la dignité nationale, jugez si ce système
répond à vos nobles susceptibilités ; enfin si ce système est le vôtre, dites
si vous avez consenti à placer
Parlerai-je maintenant
des faits qui se sont passés à l’intérieur, de ce misérable système de
destitution qui est venu porter la désolation au sein de cette chambre, alors
que le chef du cabinet venait de déclarer qu’il ne consentirait pas à jouer une
ignoble comédie ? Tout ce qui tient à l’honneur de mon pays m’affecte trop
vivement pour que je puisse m’empêcher d’élever la voix dans cette enceinte
toutes les fois que cet honneur me paraîtra compromis.
J’ajouterai encore
quelques mots. M. le commissaire du Roi dit que si le ministère tombait en
pièces, il y avait autre chose qui tombait aussi en pièces, le pouvoir ; et qu’il
fallait y songer, Plus que personne je veux que le pouvoir soit maintenu ; mais
ces plaintes sont des lieux communs qu’on emploie toutes les fois qu’on veut
affaiblir les institutions populaires, les garanties du peuple, pour les
confisquer au profit du gouvernement : c’est une chose qui n’a pas échappé à la
haute sagesse du congrès national ; il a senti les besoins de la patrie, il a
compris qu’il fallait une constitution forte pour résister aux envahissements
du pouvoir exécutif.
Si
la part qu’il vous a laissée ne vous suffit pas pour gouverner le pays,
prenez-vous-en à votre incapacité et à votre impéritie et non aux institutions.
Le peuple belge est facile à gouverner ; mais il faut le gouverner par la
liberté et non par le despotisme. Respectez et faites respecter la
constitution, respectez la dignité nationale, ne portez aucune atteinte à la
liberté, montrez dans vos relations franchise et loyauté, toujours vous pourrez
compter sur notre appui et sur celui de la nation tout entière.
M. le ministre des affaires étrangères (M. F.
de Mérode) - Je
n’entrerai pas dans une discussion de principe qui me conduise à l’appréciation
des motifs qui dirigent la majorité dans ses votes ; ces discussions sont pour
moi passablement métaphysiques ; je m’occupe des résultats, pas d’autre chose.
Je ne demande pas à la chambre si elle m’accorde sa confiance absolue, je suis
loin de l’exiger ; je lui demande seulement s’il y a momentanément un ministère
possible, autre que celui qui existe. Je crois que non, et comme un ministère
est indispensable en Belgique, je m’y associe, et les chambres, du moins la
majorité, croient devoir l’appuyer suffisamment pour que l’administration du
pays ne reste pas vacante. Mais on a accusé le ministère de diviser pour
régner, et de se rendre indispensable.
La loyauté, l’honneur me
commande de repousser un tel reproche. Si le ministère divise pour régner, ou
je suis bien aveugle, ou je suis bien coupable de consentir à siéger au banc
des ministres ; mais comme on n’a aucune preuve de ces menées méprisables, je
persiste à croire qu’elles n’existent pas.
Plusieurs fois on nous a
donné comme exemple à suivre la conduite du roi Guillaume ! Et bien, messieurs,
la raideur du roi Guillaume a ruiné la Hollande ; il a gardé M. Thorn en prison, il a satisfait une méchante passion ; mais
il s’est aliéné l’opinion d’hommes influents en Europe, tandis que notre
conduite modérée a diminué leur
éloignement pour notre révolution. Le nom du roi Guillaume est dans la
convention de Zonhoven, mais son nom devient odieux dans
Je n’essaierai pas de
réfuter le préopinant sur l’historique de toutes les mesures de politique
extérieure précédemment adoptées ; cela me serait impossible. Vous parler de la
dissolution, de bien d’autres griefs plus ou moins fondés, serait encore un
travail indéfini auquel je ne me livrerai que fort inutilement, car ces choses
ont été cent fois discutées.
M. le président. -
La parole est à M. Charles Vilain XIIII.
M. Ch. Vilain XIIII. - Messieurs, j’avais demandé la
parole pour répondre à la première partie du discours de M. Dumortier ; mais comme
mes observations portent sur des faits matériels, je pense qu’elles trouveront
mieux leur place lors de la discussion des articles.
Plusieurs membres. - La clôture ! la clôture !
- La clôture de la
discussion est mise aux voix et prononcée.
Plusieurs membres. - A demain ! à demain !
D’autres membres. - Non ! non ! Continuons.
- La chambre consultée,
décide qu’elle passera immédiatement à la discussion des articles.
Discussion des articles
Chapitre Ier. - Administration centrale
« Art. 1er.
Traitement du ministre et indemnité de logement : fr. 25,000. »
M. d’Huart. - D’après la décision prise hier par la
chambre, l’engagement pris par M. de Mérode de renoncer à son traitement et ce
que nous a dit M le commissaire du Roi, que les paiements se faisaient par
douzième, sûrs que nous sommes que le douzième de janvier ne sera pas touché,
n’y aurait-il pas lieu d’opérer une réduction sur ce chiffre ?
M. Nothomb, commissaire du Roi. - L’argument du préopinant a
quelque chose de spéciaux ; mais comme le chiffre porté au budget n’est qu’un
crédit, si l’on vote la somme entière, elle n’en sera pas pour cela dépensée ;
il y aura un excédant de crédit pour le temps que M. de Mérode restera chargé
par interim du ministère. Cependant, si la chambre le
juge à propos, on peut sans inconvénient retrancher un douzième.
Plusieurs membres. - Non ! non ! c’est inutile.
M. d’Huart. - Quand nous savons qu’un crédit est trop élevé,
nous le réduisons pour ne pas enfler inutilement le chiffre du budget.
- L’art. 1er du chap.
Ier est mis aux voix et adopté.
Article 2
« Art. 2.
Traitements des employés : fr. 43,400. »
M. le président. - La
section centrale propose de réduire ce chiffre à 42.000 francs.
M. le ministre ou M. le
commissaire du Roi se rallie-t-il à la proposition de la section centrale ?
M. Nothomb, commissaire du Roi. Nous avons pris des renseignements
; nous pourrons adjoindre au chef de bureau de l’ordre Léopold un commis de
l’un ou de l’autre département qui aura proposé une distribution de croix ; ce
qui nous permet de nous rallier à la proposition de la section centrale.
- Le chiffre de 42,000
fr. est mis aux voix et adopté. Il formera l’art. 2 du chapitre Ier.
« Art. 3. Matériel
: fr. 23,300. »
M. le président. -
Sur cet article, la section centrale a des explications à donner. M. le
rapporteur a la parole.
M. Fleussu, rapporteur. - C’est M. le commissaire du Roi
qui doit donner ces explications.
M. Nothomb, commissaire du Roi. - Depuis le rapport de la section
centrale, il s’est réalisé un événements qui n’était qu’une éventualité
incertaine. Le chiffre porté au budget est complexe ; il comprend le matériel
proprement dit de l’administration centrale et une somme de 10,000 fr. pour
achat de décorations. Quant à la première partie, le matériel du ministère, je
me rallie à la réduction de la section centrale, me fondant sur ce que, l’hôtel
du ministère n’étant pas habité par le ministre, il en résulte une grande
économie pour le chauffage et l’éclairage ; mais je fait la réserve de rétablir
la dépense sur le pied primitif, lorsque l’hôtel du ministère sera habité.
L’année dernière, on avait alloué une somme de 13,000 francs, et cette somme a
été dépensée presque dans sa totalité.
Voici les explications
que j’ai à donner sur la seconde partie du crédit de 10.000. fr. demandé pour
achat de décorations.
La chambre a voté
soixante mille francs pour achat de décorations.
De cette somme 45,167
fr. 75 c. étaient dépensés avant la distribution de croix faite à l’armée belge
; mais il restait en dépôt 194 décorations de chevaliers militaires.
Le nombre de décorations
conférées à l’armée est d’environ 400. Nous avons remis au ministre de la
guerre les 194 croix restées en dépôt, et nous avons fait une nouvelle commande
de 400.
Ces 400 croix coûteront,
à raison de 27 fr. 50 c. chacune, 11,000 francs.
En ajoutant ces 11,000
fr. aux 45,167 fr.-75 c. déjà dépensés, il ne restera plus de disponible sur
les 60,000 fr. votés que
Le ministère, il est
vrai, gardera en dépôt environ la moitié des 400 croix de simples chevaliers
militaires provenant de la nouvelle commande, mais il n’y a plus de grand’croix militaires ; il ne reste que 5 croix de
commandeurs militaires et 4 d’officiers militaires ; il faudra un nouvel
assortiment et 3,852 fr. ne pourraient suffire. Une grand’croix
coûte 370 fr.
Nous sommes donc dans la
nécessite de demander un nouveau crédit de 10 mille fr. pour achat de croix
militaires.
Je
ne parle pas des décorations civiles ; il reste en dépôt :
3 grand’croix
;
20 commandeurs ;
20 officiers ;
86 chevaliers.
Ce nombre pourra
suffire.
M. Dumortier. - Ces
décorations ayant été données en 1833, la dépense doit figurer dans l’exercice
de cette année ; il n’y a donc pas lieu à accorder le crédit demandé.
M. Nothomb,
commissaire du Roi. - J’ai été mal compris par le préopinant. Les décorations qui ont été
données ont été payées sur l’ancien crédit de 60 mille francs, dont il restera,
cette dépense faite, trois mille francs disponibles qui ne suffiraient pas lors
même qu’on pourrait répartir cet excédant de crédit sur l’exercice de 1834. Le
crédit de dix mille francs, que nous demandons, a pour but de faire face aux
éventualités de 1834, et non de payer les croix données en 1833.
M. Fleussu,
rapporteur. -
Ce qui avait embarrassé la section centrale, c’est qu’une somme de 60 mille
francs avait été allouée l’année dernière pour achat de décorations ; jusque là
on n’avait pas vu l’emploi de ces décorations ; mais depuis ceux qui lisent les
journaux ont pu voir si on en a fait un bon usage. Nous ne savions pas si un
crédit nouveau était nécessaire, si le magasin était insuffisant pour
satisfaire aux demandes de l’année. M. le commissaire du Roi nous a dit que sur
les 60 mille francs, 45 mille avaient été dépensés, mais il ne nous a pas dit
comment cette somme a été employée ; c’est ce que je désirerais savoir. Je
voudrais savoir aussi si les 45 mille francs sont toute la somme qui a été
dépensée.
M. Nothomb,
commissaire du Roi. - Ces 45,000 francs avaient été dépensés avant la dernière
distribution de croix, et il restait en dépôt 194 décorations ; elles n’ont pas
suffi, attendu que la distribution faite à l’armée a été de 400 sur les croix
précédemment achetées avec les 45,000 francs, une grande partie avait été
distribuée à l’armée française.
M. Fleussu,
rapporteur. -
Il est à remarquer que dans ces distributions les étrangers ont été beaucoup
mieux traités que les Belges. Les Belges n’ont reçu que des croix de
chevaliers. On leur en a distribué
La chambre a pu
apprécier les explications données par le commissaire du Roi : si elle croit
devoir allouer le crédit de 10,000 francs, il n’y aurait qu’une réduction de
500 francs à opérer sur l’art. 3.
M. Nothomb, commissaire du Roi. - Messieurs, je
crois que mes calculs sont exacts. Si la chambre ne nous accordait pas le
crédit que nous lui demandons, comme il ne nous reste guère que des croix de
chevaliers, nous manquerions de croix pour les autres grades de l’ordre.
Quant aux observations
qui ont été faites sur la manière dont les distributions ont eu lieu, M. le
ministre de la guerre a été guidé par un sentiment de convenance ; il a pensé
que, dans une première distribution, il devait y avoir une égalité parfaite.
M.
de Brouckere. - Je croix que mes calculs sont exacts, dit M. le
commissaire du Roi. Il me semble que cela ne suffit pas pour convaincre la
chambre ; et d’autant moins que les calculs de M. Nothomb ne sont pas d’accord
avec ceux de M. le rapporteur de la section centrale.
M. Nothomb, commissaire du Roi. - J’ai dit que les 400 croix coûtaient
11 mille francs ; qu’en ajoutant ces 11,000 fr. aux 45,167 fr. 75 précédemment
dépensés, il resterait disponible sur le crédit de 60 mille fr., une somme de
3,852 fr. 25 c. ; et que cette somme, en supposant qu’elle pût être transportée
à l’exercice de 1834, serait insuffisante pour l’achat des décorations pour les
grades autres que celui de chevalier et notamment pour les grands ordres.
M. de Brouckere. -
La chambre sait à quoi s’en tenir ; il est un fait connu, c’est qu’il reste
3,800 fr. disponibles sur le crédit de 60 mille francs.
M. Gendebien. -
Messieurs, je crois qu’il serait convenable de donner à la chambre connaissance
de toutes les décorations distribuées jusqu’à présent ; je ne dis pas que ce
soit absolument nécessaire pour contrôler la demande de crédit, mais ce sera du
moins un élément de preuve, et nous ne devons en rejeter aucun. Vous vous
rappelez que quand on a consenti à établir la décoration militaire, on a exigé
que les brevets fussent motivés ; je voudrais donc avoir une connaissance de
ces brevets, pour contrôler le crédit demandé et en même temps pour nous
assurer si on exécute la loi, c’est-à-dire si les brevets sont bien motivés. Si
je suis bien informé, aucun de ces brevets n’est motivé et il en est beaucoup
qu’il serait difficile de motiver. Car je connais un très loyal et brave
militaire qui aurait pu mériter la croix s’il se fût trouvé devant l’ennemi,
qui l’avait peut-être méritée avant la campagne du mois d’août ; mais qui
pendant cette campagne était malade et dans son lit ; et cependant il a été
décoré. Ce militaire ne s’en cache pas, car le ridicule de semblables
distributions de croix doit tomber sur ceux qui les font et non sur les
personnes qui les reçoivent. Il est bien d’autres bévues que je pourrais citer,
mais la plus grande de toutes c’est d’avoir institué une décoration.
Ce n’est pas au 19ème
siècle qu’un hochet puisse rendre un homme recommandable ; on ne peut acquérir
l’estime publique que par un dévouement de tous les jours, de tous les quarts
d’heure, mais puisque vous avez accordé cette institution, et vous ne l’avez
fait qu’avec répugnance, du moins vous devez forcer le ministère à respecter la
loi constitutive de l’ordre, qui prescrit de motiver les arrêtés. La légèreté
avec laquelle ces croix ont été distribuées est une leçon qui vous prouve
combien vous avez eu raison d’être circonspects, et combien avaient raison ceux
qui étaient opposés à ces décorations et vous les présentaient comme inutiles
et même dangereuses.
Je demande donc qu’on
remette à la chambre la liste des décorations distribuées, avec indication des
motifs pour lesquels ces décorations ont été accordées ; vous verrez que si on
a accordé quelques décorations à l’armée, le plus grand nombre a été donné à
des étrangers ; vous verrez que, par privilège, tous les grades au-dessus de
celui de chevalier ont été conférés à des étrangers ; parmi eux plusieurs l’ont
méritée sans doute, mais bien d’autres ne l’ont obtenue que pour avoir endossé
la grande tenue et paradé à certaine revue, et pour cela le gouvernement a
mauvaise grâce à se prétendre national.
A
part cette digression, j’en reviens à ma proposition de faire déposer au greffe
de la chambre les brevets, afin que la chambre sache si on exécute la loi oui
ou non. La loi institutive de l’ordre de Léopold est
une loi de l’Etat comme les autres, et doit être exécutée aussi rigoureusement.
Vous venez de parler de
traité accepté, qui doit être considéré comme liant la chambre, lorsque la
chambre pas à s’en occuper. Nous avons droit de vous demander compte de la
manière dont vous avez exécuté les lois.
Je ne pense pas que le
ministère puisse opposer la moindre objection au dépôt que je demande.
M. Nothomb, commissaire du Roi. - Je ne rechercherai pas si on a
bien ou mal fait d’adopter la loi constitutive de l’ordre de Léopold, comme
l’honorable préopinant. Je pense que toutes les lois de l’Etat doivent être
également exécutées, et ce motif me suffit pour respecter celle que je viens de
citer.
Quant à la manière dont
la loi a été exécutée je n’ai pas, messieurs, à la défendre ; la distribution
des croix est l’œuvre du ministre de la guerre.
Mais il me semble que la
loi a été observée par rapport à la disposition particulière signalée par
l’honorable préopinant.
Les
arrêtés que vous avez vus dans le Moniteur
et qui se trouvent dans le Bulletin
officiel sont motivés ; et c’est tout ce qu’exige la loi ; la loi exige que
l’arrêté soit motivé ; mais quant aux brevets il n’en est pas question dans la
loi.
Ces
brevets ne sont pas encore faits ; on se contente, en attendant, d’adresser aux
décorés un extrait de l’arrêté qui porte en tête le motif tel que vous avez pu
le lire dans le Moniteur et le Bulletin officiel. Nous venons de
commander la planche des brevets ; je suppose qu’on reproduira dans ces brevets
les expressions dont on s’est servi dans le considérant.
Quant aux personnes
auxquelles la décoration a été conférée, je ne puis pas discuter des questions
de noms propres, et je ne sais pas d’ailleurs si les faits signalés sont exacts
ou non.
M. Gendebien. -
Messieurs, vous venez de recevoir encore une leçon. Quand vous avez exigé que
les brevets fussent motivés, est-il un seul de vous qui a pensé que le mot
vague « pour services rendus » soit un considérant acceptable
logiquement ? Pourquoi a-t-on voulu que les brevets fussent motivés ? Pour
éviter les abus qui de tout temps ont présidé aux distributions de croix, pour
empêcher qu’une institution fondée pour récompenser le mérite ne servît à
encourager les vices les plus bas, les actions les plus déshonorantes, pour
empêcher qu’elle ne devienne un moyen de récompenser la servilité envers tel ou
tel ministre qui voudrait regarder cette servilité comme services rendus au
pays.
Ceci vous prouve encore
le cas qu’on doit faire des décorations.
Sans doute parmi les
militaires qui ont obtenu la décoration, il y en a qui l’ont méritée ; mais il
y en a qui ne l’ont pas eue et qui l’ont peut-être méritée davantage.
Pensez-vous qu’il soit bien honorable pour ceux qui ont obtenu cette décoration
l’ayant méritée, de la porter à côté de ceux qui n’ont rien fait pour l’obtenir
? et cependant c’est le même motif dans tous les arrêtées, « pour services
rendus. »
Pour qu’une décoration
soit un titre de distinction pour un citoyen, il faut qu’il soit bien constaté
par quels services il l’a méritée : c’est la seule manière de conserver quelque
utilité à une institution qui me paraît surannée, un hors-d’œuvre plus
dangereux qu’utile. Je le répète, la distribution qu’on vient de faire a
produit le plus mauvais effet : ceux qui ont reçu la décoration en font peu de
cas et ceux qui ne l’ont pas reçue quoique l’ayant méritée, ont un motif de se
plaindre ; elle a jeté dans l’armée de
la zizanie, mais heureusement ceux qui ont obtenu la décoration ont eu le bon
esprit de ne pas s’en prévaloir auprès de leurs camarades qui ne l’avaient pas,
et ont atténué le mauvais effet de cette mesure, en réduisant la chose à sa
juste valeur.
Quant aux brevets,,
vient-on de nous dire, ils ne sont pas rédigés. Mais voilà une contravention à
la loi ; j’aurais compris qu’on nous dît qu’ils n’étaient pas expédiés, mais
pas rédigés ! Vous devez avoir un registre à souche, un registre matricule, sur
lequel vous inscrivez ceux auxquels vous accordez la décoration, en insérant
les motifs pour lesquels vous la donnez à celui-ci plutôt qu’à celui-là. Par
exempte tel militaire chargeant à la tête de sa compagnie, a été blessé : vous
lui donnez la croix, c’est honorable pour lui qui a été récompensé, et pour le
pays qui le récompense. En exprimant dans les brevets les motifs de la
récompense, vous honorerez le pays et préparerez des éléments utiles autant que
glorieux pour l’histoire.
C’est en vous conformant
à la loi que vous en tirerez quelque utilité ; tandis qu’en ne vous y
conformant pas, vous aurez un résultat contraire.
Je
demande donc si on a fait ou si l’on n’a pas fait ce que la loi prescrivait ? Si
on ne l’a pas fait, le ministère se met au-dessus des lois ; il croit avoir
tout fait, quand il sera venu vous dire une facétie.
Si vous acceptez, comme
suffisants et comme remplissant le vœu de la loi, le considérant vague de
services rendus, qu’on nous a opposé, je déclare, pour mon compte, que je
regarde le mandat de député comme impuissant et qu’il ne vaut plus la peine de
prendre la parole pour réclamer l’exécution des lois.
M. Nothomb,
commissaire du Roi. - Messieurs, la loi institutive de l’ordre
de Léopold porte, article 4 : « Les nominations de l’ordre appartiennent
au Roi. Aucune signature ne peut avoir lieu que par arrêté royal, précisant les
motifs pour lesquels l’ordre a été décerné. Cet arrêté devra être inséré textuellement
au Bulletin officiel. »
Vous voyez, messieurs,
qu’il n’est pas question de brevets motivés ; ceci est abandonné à
l’appréciation du pouvoir exécutif. Jusqu’à présent, on s’est borné à adresser
au décoré un extrait de l’arrêté motivé ; comme le prescrit l’article 4. Les
arrêts sont-ils assez bien motivés, en disant que c’est pour services rendus
dans la campagne d’août ? je crois qu’on peut se prononcer pour l’affirmative.
M. le ministre de la justice (M.
Lebeau) - Je ne viens pas combattre les observations qui nous
ont été présentées par l’orateur qui a parlé avant M. le commissaire du Roi. Il
est possible que ces observations soient fondées dans certains cas et que dans
d’autres elles ne le soient pas ; mais il me semble que cette discussion aurait
mieux trouvé sa place lors de la discussion du budget de la guerre. Ce n’est
pas un moyen d’évasion que nous cherchons ici ; bien que l’exécution des
arrêtés pris sur le rapport du ministre de la guerre soit abandonnée au ministre
des affaires étrangères, il est exact de dire que M. le ministre des affaires
étrangères n’est chargé que de l’exécution matérielle ; toute la responsabilité
appartient au ministre de la guerre et c’est à lui qu’on peut demander des
éclaircissements sur la manière dont les décorations ont été conférées. Je ne
décline en aucune manière les observations qui ont été faites, mais je crois
qu’elles sont tardives. Si le ministre des affaires étrangères n’avait été
chargée d’exécuter que des arrêtés contresignés par lui, il pourrait entrer
dans des explications jusqu’à un certain point, si la convenance n’interdisait
pas de porter trop loin les investigations.
Mais
que demande ici le ministre des affaires étrangères ? Il vous dit : Un fait
s’est accompli sous la responsabilité d’un ministre à qui aucune interpellation
n’a été adressée, lui qui a agi en connaissance de cause ; moi, en ma qualité
de ministre des affaires étrangères, je suis chargé de l’exécution matérielle
de la loi ; il s’agit de savoir si la somme que je pétitionne est
disproportionnée avec les besoins matériels de mon département. Quant au mérite
de la distribution, elle ne me regarde pas.
Je le répète, nous ne
voulons pas esquiver une discussion, mais le seul ministre qui puisse y prendre
part, répondre d’une manière précise, est celui sous le contreseing duquel
l’arrêté a été rendu.
M. le ministre des affaires étrangères (M. F. de Mérode) - Messieurs, je suis de l’avis de
M. le ministre de la justice. M. le ministre de la guerre n’a pas prévu que la
question qui nous occupe se serait présentée aujourd’hui ; sans cela je pense
qu’il aurait assisté à la séance.
Quant aux observations
de M. Gendebien sur la rédaction des arrêtes, je ne suis pas du tout éloigné de
les adopter ; comme lui je pense que les motifs des arrêtés doivent être
précisés, ce qu’on n’a pas fait jusqu’à présent d’une manière convenable, Je ne
puis à cet égard qu’applaudir à ses observations.
M. Gendebien. -
Messieurs, lorsque j’ai pris la parole tout à l’heure je n’avais pas le texte
de la loi bien présent à la mémoire ; je remercie M. le commissaire du Roi de
nous l’avoir lu : cette lecture condamne les arguments qu’il avait mis en
avant. Veuillez faire attention que la loi dit : « en précisant les motifs
; » il ne s’agit pas ici de motifs vagues, il faut que ces motifs soient
« précisés », l’entendez-vous, messieurs, « précisés » ? Je
vous demande comment il est possible d’argumenter d’une disposition aussi
positive pour dire que les expressions générales « pour services
rendus » sont des motifs précisés et par conséquent remplissant le vœu de
la loi.
La mauvaise querelle que
nous fait le ministre de la justice est peu digne de cette chambre. C’est au
budget de la guerre, dit-il, que vous deviez élever vos objections. Mais la
distribution de croix n’a eu lieu que depuis la discussion de ce budget,
comment pouvait-on en parler alors ? La seule occasion de parler de cette
scandaleuse distribution qui se soit présentée, c’est au moment où on a demandé
une allocation nouvelle indépendamment des 60 mille francs que nous avions
alloués l’année dernière. Nous avons examiné d’une part si la somme que vous
demandiez était nécessaire, et nous avons voulu savoir si vous exécutiez la
loi, comme la chambre l’a entendue.
Ce
reproche de tardivité qu’on nous adresse ressemble à tous ces moyens que le
ministère emploie constamment pour éluder les questions. La loi a exigé que les
arrêtés fussent motivés, nous avons le droit de nous enquérir si cette
disposition est exécutée. J’ai demandé pour qu’on pût s’en assurer, que le
registre matricule fût déposé au greffe.
Il faut que des arrêtés
aient été rendus avant que des décorations aient pu être envoyées, vous devez
avoir un registre où sont consignés ces arrêtés. Quant la chambre aura examiné
ces derniers arrêtés, elle saura si vous avez ou non exécuté la loi, et elle
verra ce qu’elle aura à faire. Je persiste dans ma proposition.
M. Fleussu, rapporteur. - La discussion qui a lieu en ce
moment vous prouve le danger qu’il y a de discuter séparément les budgets. Si
nous ne discutions qu’un seul budget vous ne verriez pas le ministre de la
justice nous renvoyer au ministre de la guerre absent ; tous les ministres seraient
présents et chacun d’eux se défendrait pour ce qui le concerne. N’est-il pas
singulier qu’on nous renvoie la discussion du budget de la guerre, adopté
depuis longtemps, pour des décorations qui ont été conférées depuis l’adoption
de ce budget ?
Vous voyez combien il
est instant de revenir à la marche régulière, de discuter tous les budgets en
même temps et de n’en faire qu’une seule loi.
Je crois, comme
l’honorable préopinant, que dans la rédaction des arrêtés on ne s’est pas
conformé aux dispositions de la loi constitutive de l’ordre de Léopold. C’est
parce que vous ne trouvez pas assez de garanties dans le premier projet que
vous l’avez rejeté, et depuis, la loi n’a été adoptée qu’à une majorité de 2
voix. Vous avez exigé que la loi renfermât des garanties pour la manière dont
l’ordre serait conféré, parce que vous saviez comment l’ancien gouvernement
avait abusé de ce moyen de corruption ; vous avez voulu qu’il fût impossible au
gouvernement d’abuser de la même manière de l’ordre que vous instituiez, et
pour cela vous avez voulu que les motifs déterminants fussent consignés dans
l’arrêté qui confère la décoration. Je vous le demande, répondez-vous au vœu de
la loi, quand, en tête d’une liste de 150 ou 200 décorés, vous dites
« pour services rendus dans telle campagne, » et notamment dans la
fatale campagne du mois d’août ?
Dites
quels sont ces services, car comment voulez-vous qu’on sache si ceux qui ont
été décorés ont fait quelque chose pour mériter une décoration ? Quand vous
avez fait la loi, vous avez voulu qu’on sût l’action pour laquelle la
décoration était conférée. Il est impossible de prétendre que les mots
« services rendus » satisfassent à la loi ; ce sont les services
qu’il faut spécifier, et c’est ce que vous n’avez pas fait. Sous ce rapport
encore je joins mes plaintes à celles que vous a fait entendre M.
Gendebien.
M.
Verdussen. J’ai entendu dire qu’une somme de trois mille francs
non dépensée restait sur le crédit de 60 mille francs ; il me semble que nous pouvons
faire une réduction de cette somme sur le crédit demandé pour 1834. Je
proposerai d’en réduire le chiffre à 7 mille francs au lieu de 10 mille.
M. le ministre de l'intérieur (M.
Rogier) - La question dont il s’agit n’est pas très importante.
La somme que vous demande le ministre des affaires étrangères est destinée à
faire une provision de croix pour l’armée ; ce n’est pas à dire pour cela qu’il
fera emploi de toutes celles qui seront achetées, mais il y aura des croix disponibles.
Quant au transfert proposé par M. Verdussen, il est impossible ; on ne pourrait
commander et payer des croix en 1834, avec un excédant de crédit de l’exercice
de 1833 ; si la chambre croit que la somme de 7 mille francs est suffisante, le
gouvernement ne s’opposera pas à la réduction. Si vous ne réduisez pas la somme
demandée, les besoins de 1833 seront moindres, et si vous la réduisez ils
seront plus grands ; voilà tout ce qui résultera de votre décision.
M. Verdussen. - Si
on prenait à la rigueur ce que vient de dire M. le ministre de l'intérieur, on
ne pourrait pas donner, en 1834, une croix faite en 1833.
M. le ministre de l'intérieur (M.
Rogier) - Je n’ai pas dit cela.
M. Verdussen. - Il
me semble qu’on peut payer une commande faite en 1833, sur le crédit alloué
pour cet exercice, bien que la livraison n’ait lieu qu’en 1834.
Un grand nombre de voix. - A demain ! à demain !
- La discussion est
renvoyée à demain.
La séance est levée à 5
heures.