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Note
d’intention
Chambre des représentants de
Belgique
Séance
du mardi 17 septembre 1833
Sommaire
1) Proposition
de loi relative aux droits de sortie des lins (de
Foere, Smits, Desmet, Jullien, de Brouckere, A. Rodenbach)
2) Motion d’ordre
relative à un pamphlet visant à troubler
la tranquillité publique (orangisme) (A. Rodenbach, Jullien, Quirini, Lebeau, de Foere)
3) Projet de loi portant
le budget du département de l’intérieur pour l’exercice 1833. Discussion des
articles. Instruction publique. Rôle de l’Etat dans l’instruction publique
(notamment dans l’enseignement moyen), universités et enseignement primaire (Ernst, Fallon, Quirini,
(+traitements d’attente) H. Dellafaille), rôle de
l’Etat dans l’instruction publique (notamment dans l’enseignement moyen) (d’Hoffschmidt, Thienpont),
établissements moyens du Luxembourg (d’Huart), rôle de
l’Etat et du clergé dans l’instruction publique, universités, enseignement
moyen et moyen (Dumortier)
(Moniteur belge n°262, du 19
septembre 1833)
(Présidence de M. Coppieters,
vice-président.)
M. Coppieters monte au fauteuil à midi et un quart.
M. Dellafaille fait l’appel nominal.
M.
Liedts donne
lecture du procès-verbal; la rédaction en est adoptée.
M. le président.- Toutes les sections ayant autorisé la
lecture des propositions de MM. de Foere et Rodenbach, ces honorables membres
ont la parole pour procéder à cette lecture.
M.
de Foere monte
à la tribune. - Messieurs, dit-il, voici le projet de loi que nous avons
l’honneur de proposer :
« LÉOPOLD, Roi des Belges, etc.,
« Considérant qu’une nouvelle loi générale de douane et d’accises,
ainsi qu’un nouveau tarif, exigent un examen long et approfondi, et qu’en
attendant que la législature ait pu statuer à cet égard, il est urgent
d’adopter des dispositions transitoires dans l’intérêt d’une branche importante
de notre industrie et de notre commerce ;
« Considérant qu’eu égard aux besoins de nos fabriques de toiles, à
la médiocrité de la dernière récolte de lins et aux réclamations réitérées de
notre industrie des toiles, les droits à la sortie sur les lins sont trop peu
élevés ;
« Considérant que la consommation intérieure de nos propres toiles
n’est pas assez protégée contre la concurrence étrangère ;
« Considérant que l’industrie étrangère des toiles ne se met pas
sur le même pied de liberté sur lequel notre tarif s’est mis à son égard, et
qu’elle nous refuse une parfaite réciprocité ;
« Nous avons, de commun accord avec les chambres, décrété et nous
ordonnons ce qui suit :
« Art. 1er. Les lins bruts paieront à la sortie, par 100 kilos, fr.
3 15.
« Les lins rouis, 5 30.
« Les lins battus, 15.
« Les lins peignés, 22.
« Les étoupes, ou déchets de lin, 24. »
« Art. 2. Les toiles écrues de lin et de chanvre paieront à leur
entrée, par 100 kil. :
« De 7 fils et au-dessous, fr. 27 (compris dans l’espace d’un
centimètre).
« De 8, 9, 10 et 11, 58 50.
« De 12, 13, 14 et 15, 94 50
« De 16 et 17, 153
« De 18 et 19, 216
« De 20 et au-dessus, 315.
« Les toiles blanches, ou mi-blanches, paieront à leur entrée le
double des droits fixés ci-dessus pour chaque division de toiles écrues.
« Le linge de table ouvragé paiera à l’entrée, par 100 kil., fr.
270.
« Le linge de table damassé, 450. »
« Art. 3. La présente loi sera exécutoire, etc. »
« Mandons et ordonnons, etc. »
M. le président.- Veut-on entendre actuellement les
développements des motifs de la proposition?
M.
de Foere. - Je
ne suis pas prêt.
Plusieurs
membres. -
Après le budget de l’intérieur.
M.
Smits. - Il y a
quelques jours vous avez décidé que la question soulevée par M. Rodenbach
relative aux lins, aux fils, serait examinée par la commission de commerce et
d’industrie, laquelle présenterait un rapport avant la fin de la session.
M. Desmet. - Je crois qu’il serait prudent de
ne présenter le développement de la proposition qu’au commencement de la
session prochaine, ce qui donnera le moyen d’avoir l’avis de la commission
d’industrie et des chambres de commerce. (Appuyé !
appuyé !)
M. de Brouckere. - Il faut toujours entendre le développement.
M.
Jullien. -
D’après le règlement, il dépend entièrement de celui qui a fait une proposition,
de choisir le jour où il en développera les motifs ; mais, après ce
développement, la chambre délibère sur la prise en considération, et à moins
qu’elle ne décide qu’il n’y a urgence, la chambre ne peut sortir des termes du
règlement.
M. de Brouckere. - Je voulais présenter les mêmes
observations; il est convenable d’entendre M. de Foere, sauf à discuter sur la
prise en considération un autre jour. Je désirerais entendre les développements
aujourd’hui.
M. de Foere. - Je demande la présenter les développements
de ma proposition dans la séance de demain.
M. le président.- La parole est à M. A. Rodenbach, pour donner
lecture de sa proposition.
M. A. Rodenbach. - Je demanderai la permission de ne pas
monter à la tribune, et je plierai un de MM. les secrétaires de donner lecture
de ma proposition.
M.
Liedts fait
cette lecture. Voici les termes de la proposition : « Par
modification au tarif actuel de douane, j’ai l’honneur de proposer à la chambre
que l’on frappe d’un droit de 10 p. c. à l’entrée en Belgique, les marchandises
suivantes :
« Etoffes de lin, de chanvre et
d’étoupes écrues.
« Etoffes teintes ou blanchies.
« Coutils.
« Toiles pour nappes et serviettes.
« Toiles blanchies ou damassées.
« Et en général toutes les toiles dont le lin, le chanvre ou les étoupes
forment la matière principale, quoiqu’elles soient mélangées avec une autre matière
quelconque. »
M. A. Rodenbach. - Je demande à développer ma proposition
après la discussion des budgets.
M. le président.- Une autre proposition sur le même objet a
été déposée sur le bureau par M. Desmet ; elle sera soumise aux sections.
PROJET
DE LOI PORTANT LE BUDGET DU DEPARTEMENT DE L’INTERIEUR POUR L’EXERCICE 1833
Discussion des articles
Chapitre X
(devenu chapitre XII) - Instruction publique
M. le président.- Nous allons reprendre la discussion du
budget du ministère de l’intérieur. Nous sommes parvenus à l’art. 10, relatif à
l’instruction publique. Il est vrai qu’un amendement, présenté pas M. de Theux
sur l’art.
M. Dubus, rapporteur. - La section centrale ne s’est pas réunie
pour examiner l’amendement dont il s’agit ; elle ne pourra d’ailleurs
examiner cet amendement qu’après avoir reçu des renseignements du gouvernement.
M. le président.- La parole est à M. Ernst sur l’instruction
publique.
M.
Ernst. - Je
vous ferai observer, M. le président, qu’aucun ministre n’est présent.
M.
d’Huart. - Il faut,
aux termes de la constitution, requérir la présence des ministres.
M. A. Rodenbach. - Je demande la parole pour faire
une motion d’ordre.
Messieurs, dans la séance du 11 de ce mois, notre honorable collègue M.
Jullien a provoqué de poursuites contre un écrit anonyme qui a été publié le 14
août dernier à Louvain : si j’en crois un journal, ce n’est pas ce pamphlet qui
est poursuivi par le ministère public, c’est un pamphlet nouveau qui a paru le
1er septembre. Je demande que le premier et le second pamphlets soient
poursuivis. Tous ceux qui osent provoquer à l’assassinat, et qui disent qu’on
doit courir sus aux libéraux, doivent être punis.
Je présume que les deux écrits partent, de la même source: c’est d’un
conciliabule d’orangistes qu’ils sortent ; c’est pour troubler la tranquillité
publique qu’ils sont lancés dans le pays c’est pour exciter des divisions entre
les citoyens. Je demande donc que l’on sévisse contre les hommes coupables qui
pourraient en être les auteurs, de quelque couleur qu’ils soient. (Appuyé ! appuyé !)
M. Jullien. - L’écrit auquel j’ai fait allusion était
assez bien désigné et qualifié pour qu’il ne fût pas possible de s’y
méprendre ; aussi j’ai entendu avec satisfaction le ministre de la justice
déclarer que des poursuites étaient dirigées contre les publicateurs du
pamphlet.
Je ne sais pas s’il y a des journaux qui prétendent que ce n’est pas
contre l’écrit que j’ai signalé que l’on dirige les poursuites; mais je sais
qu’il en est qui trouvent étrange que MM. Quirini et Rodenbach aient attribué
les pamphlets aux orangistes. Quoi qu’il en soit, je demanderai à M. le
ministre de la justice si des poursuites ont lieu contre le libelle dont il a
été question à la séance du 11 de ce mois. J’attends la réponse du ministre de
la justice.
M. Quirini. -. - Dans la séance dont il s’agit, j’ai parlé
du libelle publié le 14 août, et je n’ai pas hésité à faire connaître toute ma
pensée : cependant on m’a dit qu’à Louvain avait paru une seconde
circulaire conçue dans le même esprit que la première ; je déclare que j’ignorais
l’existence de cette seconde circulaire quand j’ai parlé de la première.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Il est tout au moins imprudent de
hasarder des conjectures sur des faits qui sont l’objet des investigations de
la justice. La chambre trouvera donc bon que j’évite d’émettre aucune opinion
sur l’origine ou l’appréciation des écrits que l’on signale. J’ai parlé de
poursuites intentées à l’occasion d’un pamphlet dont on avait parlé dans cette
enceinte : si de nouveaux libelles ont depuis été jetés dans le public, je
n’en ai pas été jusqu’ici instruit officiellement ; mais aussitôt que j’en
aurai connaissance, il sera ordonné contre ces écrits des poursuites aussi
énergiques que contre les premiers.
Demain je pourrai donner des renseignements plus détaillés sur les faits
nouveaux que l’on signale. Je crois qu’on pourrait commencer la discussion du
chapitre relatif à l’instruction publique : plusieurs membres ont annoncé
qu’ils se proposent de présenter des considérations générales sur cet objet ;
quoique M. le ministre de l’intérieur soit absent, je prendrai des notes qui
lui permettront de répondre, si toutefois il croit devoir répondre.
M.
de Foere. - Je
ne comprends pas l’importance que l’on attache à ces pamphlets; si les auteurs
des écrits contre lesquels on s’élève appartenaient à l’opinion que l’on
poursuit dans les journaux, je déclare que le clergé tout entier les
désavouerait, et j’ose croire qu’aucun membre du clergé ne repoussera mes
paroles : les provocations contenues dans ces libelles sont contraires, aux
principes les plus clairs et les plus purs du christianisme.
Discussion des articles
Chapitre X. -
Instruction publique
M.
Ernst. -
Messieurs, le rapport de la section centrale sur le budget de l’intérieur a
jeté l’alarme parmi les amis des sciences et des lettres, qui heureusement sont
en grand nombre en Belgique.
La menace de désorganiser plusieurs établissements d’instruction
publique, et entre autres celui qui brille dans la capitale, était bien faite
pour répandre des inquiétudes.
La presse, qui veille à nos libertés, dénonce les abus, et prévient
souvent l’accomplissement de sinistres projets, la presse a fait entendre de
vives et justes réclamations,
Cependant, messieurs, je dois le dire, je ne m’en suis pas
effrayé : depuis longtemps il était manifeste qu’on veut faire tomber les
établissements d’instruction existants pour en élever d’autres sur leurs
ruines, et s’emparer de l’enseignement. J’ai vu avec satisfaction ces desseins
proclamés hautement pour les combattre et en arrêter l’exécution.
C’est la tâche que je me suis imposée aujourd’hui.
L’honorable rapporteur de la section centrale a dirigé sa principale
attaque contre les athénées et collèges ; quoiqu’il ait laissé tomber quelques
traits à droite et à gauche sur les universités et les écoles primaires.
Je le suivrai sur le terrain qu’il a choisi.
Je parlerai d’abord des athénées et collèges, parce que c’est à leur
égard que se présentent les questions des principes.
Je relèverai, lorsque l’occasion s’en présentera, les observations qui
ont été faites dans une des dernières séances par un honorable député de
Tournay.
Il importe de poser d’abord les règles fondamentales de la matière.
« L’enseignement est libre ; toute mesure préventive est interdite
; la répression des délits n’est réglée que par la loi. »
Telle est la première disposition de l’art. 17 de la constitution.
Nos devoirs les plus sacrés, nos sermons ne nous permettent pas de
souffrir qu’il soit porté la moindre atteinte à ce texte fondamental.
L’enseignement est libre.
C’est un droit pour tout homme en Belgique d’instruire la jeunesse et pour
l’ignorant comme pour le savant, pour l’honnête homme comme pour le méchant,
pour l’athée comme pour le chrétien.
« L’instruction est libre. » Il importe peu dans quel but on
enseigne, soit par esprit de spéculation ou par amour de la science, pour répandre
les lumières, la vérité, la religion, ou propager des erreurs, des sophismes,
l’impiété.
L’instruction est libre ; on la cherche pour soi et ses enfants, où on
veut et comme on veut.
A côté de ces principes la constitution en pose un autre dans le même
article :
« L’instruction publique donnée aux frais de l’Etat est également
réglée par la loi. »
Instruire est pour tous un droit ; pour l’Etat c’est une obligation.
L’instruction privée et l’instruction donnée par l’Etat sont indépendantes
l’une de l’autre ; il n’y a monopole d’aucun côté ; l’une et l’autre sont
consacrées par notre parte fondamental. Mon honorable collègue de Tournay est
tombé à cet égard dans une singulière erreur.
La liberté de l’enseignement est une garantie pour le père de famille ;
l’instruction donnée aux frais du trésor public est une garantie pour la
société.
Un pays où l’instruction est abandonnée au hasard,,
aux caprices et à l’intérêt des particuliers, ne devrait pas être compté au
nombre des pays civilisés.
On ne saurait méconnaître la nécessité d’une éducation nationale ; elle
seule présente les caractères de stabilité, d’unité, d’harmonie sans lesquels
il n’y a pas de bonne institution.
La constitution veut que la loi règle cette instruction.
Faire une bonne loi en cette matière n’est pas chose facile ; le
gouvernement, il faut lui rendre justice, a compris toute la difficulté ;
il a suivi la meilleure route pour la vaincre : par arrêté du 30 août
1831, il créa une commission spéciale chargée de préparer un projet.
La commission s’est livrée à ce travail avec zèle ; elle s’est
entourée de tous les renseignements, de toutes les lumières, et a présenté un
projet qui fait beaucoup d’honneur à ses membres.
Ce projet a été publié par le ministre de l’intérieur : on s’en est
peu occupé en Belgique ; à l’étranger il a été accueilli avec la plus
grande faveur, et même on a su mettre à profit quelques-unes de ses
dispositions.
L’année dernière, lors de la discussion des budgets, M. le ministre de
l'intérieur promit formellement de proposer, pendant la même session, un projet
de loi sur la nouvelle organisation de l’instruction.
Cette promesse n’a pas reçu d’exécution ; il semble qu’il n’en est plus
question. Au reste, nous avons aussi l’initiative, et nous saurons en faire
usage en temps opportun.
Mais, en attendant la loi nouvelle, que faut-il faire? Faut-il détruire
les établissements existants? L’homme prudent répondra : Conservez-les,
améliorez-les même si vous le pouvez, jusqu’à ce que vous les ayez remplacés
par d’autres.
Tel est le système du gouvernement ; telles ne sont pas les vues
indiquées par l’honorable rapporteur de la section centrale.
Voici ses propositions : « Il ne sera plus accordé de subsides
à l’avenir, à des athénées et collèges, avant une loi sur l’instruction
publique : il n’y aura d’exception que pour les athénées de Tournay et de
Namur. »
Comment justifie-t-on cette étrange proposition? Par des raisons
d’économie ? Non; il y aurait eu trop d’absurdité à donner le nom d’économie à
la suppression d’une dépense que réclament l’utilité et le bonheur de la
patrie.
Ecoutez :
« Le gouvernement sorti de la révolution continue à soumettre à sa
surveillance tous les établissements d’instruction qui reçoivent des subsides
du trésor ; et en multipliant ces subsides, il tend en effet à centraliser
de nouveau dans ses mains la direction de l’enseignement, avant qu’aucune loi
n’ait réglé encore cette matière. La section centrale a pensé qu’il convenait
d’arrêter le gouvernement dans une voie qui s’écarte de l’esprit de la
constitution. »
Aussi c’est l’esprit de la constitution qu’on invoque pour
détruire !
Car, remarquez-le bien, messieurs, il ne s’agit pas seulement de refuser
de nouveaux subsides, mais de retirer ceux qui ont été accordés antérieurement.
Le texte de notre pacte fondamental est clair, précis ; les conséquences
en découlent naturellement : nous l’avons vu plus haut.
Il n’est certainement pas contraire à la liberté de l’enseignement que
le gouvernement donne des subsides à des établissements d’instruction, qu’il
surveille ces établissements.
L’Etat, les communes et les particuliers conservent tous leurs droits.
Chacun est libre de créer des écoles à ses frais, de ne pas demander ou
accepter des subsides, d’instruire ses enfants partout où il le trouve convenable.
S’il y avait le moindre doute sur
le sens de l’article 17 de la constitution, il disparaîtrait par les
considérations suivantes :
Le meilleur moyen de connaître le véritable sens d’une loi, c’est de la
rapprocher des dispositions antérieures sanctionnées dans le même but, et de
voir l’exécution qu’elle a reçue.
Or, que dit le premier décret qui a consacré la liberté de
l’enseignement, ce décret porté, au moment même de la révolution, le 12 octobre
1830 ? (Bulletin officiel, n°10.)
« Le gouvernement provisoire arrête :
« Les arrêtés qui ont mis des entraves à la liberté de
l’enseignement sont abrogés.
« Les universités, les collèges, les encouragements donnés à
l’enseignement élémentaire sont maintenus jusqu’à ce que le congrès national
ait statué sur la matière. »
Le gouvernement provisoire prescrit donc en même temps la conservation
des collèges et la liberté de l’enseignement.
Aussi, avant comme après la constitution, le gouvernement n’a-t-il cessé
d’accorder des subsides aux athénées et collèges. Ces subsides ont été
augmentés, comme de raison, suivant que l’exigeaient l’intérêt de l’instruction
publique et les besoins des localités : en 1831, des sommes plus ou moins
fortes ont été allouées à neuf athénées ou collèges ; en 1832, à onze. Cette
année le gouvernement propose d’accorder des secours à un plus grand nombre
d’établissements pour lesquels on en a justement réclamé.
Ce n’est donc pas l’esprit de la constitution qui s’oppose à
l’allocation de subsides aux établissements d’instruction publique, mais plutôt
l’esprit du rapport.
Pour anéantir cet esprit destructeur, je mettrai le rapport de cette
année en parallèle avec celui de l’année passée.
Voici ce que disait ce dernier rapport :
« Il a paru à votre section
centrale que c’est lors de l’examen de la loi sur l’enseignement, qui est
attendue, qu’il y aura lieu à prendre en considération les observations des
sections.
« Jusque-là ; le maintien provisoire des établissements
existants semble commander la continuation des mêmes subsides. »
Ainsi l’année dernière on pensait qu’il fallait maintenir les
établissements existants jusqu’à l’organisation nouvelle ; on ne trouvait
pas que la constitution en aucune raison s’y opposât.
Et l’auteur de ce rapport est le même que l’auteur du rapport
actuel : les principes n’ont pas changé, les nécessités de l’instruction
publique n’ont pas diminué ; je ne vois qu’une différence entre les deux
époques, c’est que l’année passée le portefeuille de l’intérieur était dans
d’autres mains.
Les motifs de la résolution prise l’année dernière par la section
centrale ont été exposés avec tant de force et de lucidité lors de la
discussion, que je ne puis résister au désir de les reproduire :
« Je remarque avec intérêt la sagesse des vues de la section
centrale : elle ne s’est pas fait un système aveugle d’économie; elle en
propose, elle en repousse consciencieusement.
« Dans tout ce qui à rapport aux arts, aux sciences, au service de
santé, aux établissements de bienfaisance, ses vues sont en harmonie avec nos
besoins intellectuels, avec les besoins de l’humanité.
« Elle a senti que des établissements formés pour favoriser le
développement des sciences et des arts, bien qu’élevés sur tel ou tel point du
pays, ne doivent pas être considérés comme faits dans l’intérêt des localités,
mais bien comme des institutions d’un intérêt général.
« Elle a senti que la législature actuelle ne devait pas rester en
arrière des espérances qu’elle a fait concevoir, et qu’il est digne d’elle et
d’une époque de régénération, toute faite dans l’intérêt et des lumières et de
l’humanité, de protéger et de soutenir toutes les institutions qui ont pour but
les progrès de la civilisation.
« Elle s’est montrée pénétrée de cette pensée, qu’avant de
renverser, il fallait d’abord constituer, et constituer mieux que ce que l’on
veut renverser. C’est dans cette pensée que, tout en reconnaissant les
améliorations que certains établissements réclament, elle vous propose de voter
les crédits rigoureusement nécessaires à leur conservation.
« Elle propose de voter sans réduction les crédits destinés aux
athénées, aux collèges, aux établissements d’instruction primaire. »
Ainsi parlait l’honorable bourgmestre de Liége dans la séance du 11
avril 1832.
L’honorable rapporteur n’eut pas besoin de défendre le principe de
l’allocation de subsides, parce que personne ne l’attaqua.
Il est nécessaire, messieurs, d’examiner quelques motifs qu’on allègue
pour obtenir la suppression des subsides.
On dit qu’en les accordant on crée des privilèges, on nuit à la libre
concurrence.
Ainsi, tout le monde serait libre d’établir des écoles ou de les
soutenir, l’Etat seul serait excepté ! Pourquoi pas défendre aussi aux
provinces et aux communes de former des établissements d’instruction, de
crainte de nuire à ceux des particuliers ? On atteindrait plus sûrement le
but qu’on se propose.
Mais il est utile qu’il existe des institutions modèles, des foyers
d’instruction durables. D’ailleurs, l’expérience prouve déjà que les établissements
publics n’empêchent pas les bonnes écoles privées de naître et de prospérer.
Les beaux-arts sont libres enfin, et on n’a jamais prétendu que les
encouragements qu’on leur donne soient une atteinte portée à leur liberté, à
leurs progrès.
Il n’y a pas de privilège à distribuer des secours d’après le mérite des
institutions utiles et le besoin des communes.
« Il y a de l’arbitraire, de l’inégalité, dans la distribution des
subsides. »
Je dirai que le gouvernement n’a aucun intérêt à être injuste ; les
représentants l’éclaireront sur la position relative des écoles et des communes
où elles se trouvent. On fera droit à des réclamations fondées.
Je remarquerai en passant qu’il serait à désirer que tous les ans il fût
fait à la représentation nationale un rapport sur l’état de l’instruction
publique ; on y puiserait des éclaircissements utiles.
On dit que, parmi les collèges auxquels des subsides sont donnés, il en
est un qui ne compte que huit pensionnaires.
Cela ne prouve rien : l’instruction publique n’est-elle pas indépendance
des pensionnats ? Il peut y avoir un grand nombre d’élèves externes et peu
de pensionnaires.
Il y a même de bonnes raisons de penser qu’il conviendrait mieux que,
dans les établissements nationaux ou communaux, il y eût point de pensionnats.
Je ne disconviens pas qu’il y a des collèges qui
doivent être améliorés. Mais, dans tous les cas , de ce qu’il existe de
semblables établissements, est-il permis de conclure qu’il faut détruire ceux
qui sont florisssants ?
Une autre raison, sur laquelle
la section centrale a principalement insisté, est la nécessité d’arrêter la
surveillance, la direction du gouvernement, à l’égard des athénées et collèges
qui reçoivent des subsides.
Mais cette surveillance, cette
direction, ne peuvent être que tutélaires dans un pays constitué comme
C’est tellement vrai, que les
villes les plus éclairées du royaume soumettent volontairement leurs écoles à
l’inspection du gouvernement pour un léger subside qu’elles réclament ; et
elles ne manqueraient pas de s’y soustraire si elles avaient à s’en plaindre.
Qu’il me soit permis de citer un exempte : La ville de Liége a fait les plus
grands sacrifices pour son collège, qui est aujourd’hui un véritable athénée ;
plusieurs cours de langues modernes et de sciences ont été ajoutés à ceux qui
étaient donnés auparavant. Cette noble cité, qui marche toujours la première
dans la voie de la liberté et des progrès, voudrait-elle pour 6,000 fr. se
soumettre à une surveillance illibérale ?
Ne veut-on pas une instruction
nationale à côté de l’enseignement libre ? Veut-on une autre surveillance que
celle du gouvernement ? Qu’on me dise quel est le peuple ancien ou moderne, qui
a été assez insensible à la gloire littéraire ou scientifique du pays pour ne
pas y contribuer.
Il faut qu’on s’explique
franchement : quelles craintes peut inspirer l’intervention de l’autorité
publique ?
Aurait-on peur que la religion
n’éprouvât quelque atteinte ?
Vraiment je ne conçois pas
qu’on puisse supposer chez nous un ministère assez téméraire pour prescrire ou
permettre le moindre acte qui blesse la religion.
La commission spéciale, dont
j’ai parlé plus haut, propose dans son projet de loi un article ainsi conçu :
« Le gouvernement reste
étranger à l’enseignement religieux.
« Les cours seront
combinés de manière que les élèves puissent recevoir cet enseignement des
ministres de leur culte. »
Elle expose en ces termes les
motifs de cette disposition :
« Les premiers soins
d’une éducation bien dirigée doivent tendre à élever la pensée de l’homme vers
son créateur, et à poser solidement les bases des principes religieux ; mais
lorsque la constitution du pays consacre la liberté des consciences, ces
principes ne peuvent être inculqués à chaque individu que par les ministres de
son culte et sous leur direction immédiate. Le gouvernement doit resserrer son
action dans les limites que lui trace la loi ; mais s’il s’abstient de prendre une
part active à l’enseignement religieux, il doit se faire un devoir d’en
faciliter la propagation. »
Tels sont les principes de la
matière ; je pense que ce sont ceux des hommes véritablement libéraux.
Il faut que j’entre ici dans
quelques explications. La chose est délicate, n’importe ; suivant ma coutume je
vais dire toute ma pensée. Il y en a qui croient ou qui affectent de croire que
les libéraux en veulent à 1a religion ; rien n’est plus faux. Il n’y a aucune
opposition entre la religion et le libéralisme : les libéraux, catholiques ou
non, sont ceux qui veulent sincèrement toutes les libertés constitutionnelles
pour tous les citoyens.
Le libéralisme n’est point une
profession religieuse ; loin d’être offensif aux croyances, aux cultes, à leurs
ministres, sa mission est de les défendre et de les protéger s’il était porté
la moindre atteinte à leur liberté ; il veut que la religion soit honorée, que
les ministres soient respectés ; mais en même temps il s’oppose à
l’intervention de la religion dans les affaires de l’Etat, il repousse ceux
qui, sous un masque religieux, cachent des visées intéressées ou ambitieuses.
La religion doit être libre :
quand le fanatisme ne la détourne pas de ses voies, elle est la base la plus
ferme de la morale publique et la plus sûre garantie du repos des Etats. Mais
si, renonçant à ce que leurs fonctions ont de saint et de pacifique, les
ministres d’un culte quelconque se jettent volontairement dans la mêlée
politique ; s’ils mettent au service de passions ou d’intérêts temporels une
influence qui ne leur est donnée qu’à condition de la tourner vers les choses
spirituelles, alors ils compromettent leur caractère ainsi que la religion.
Quand les doctrines religieuses se mêlent aux choses de ce monde, elles se
corrompent comme la manne du désert dans des vases terrestres.
Et qu’on ne prétende pas que
ce soit se montrer hostile envers la religion que de tenir ce langage : on l’a
dit souvent et on l’a dit avec raison, jamais la religion n’a été si
respectable et si respectée que pendant les courtes années où, étrangers à tous
les partis, les prêtres ne songeaient qu’à offrir au peuple le bienfait de sa
morale publique et de ses éternelles vérités.
Il faut, messieurs, que de
toutes parts on bannisse d’injustes défiances : alors on verra sans peine, d’un
côté la liberté de l’enseignement portée à toutes ses conséquences, et de
l’autre la protection du gouvernement exercée à l’égard des établissements qui
tiennent des subsides du trésor.
Une observation qu’il ne faut
pas perdre de vue, c’est que les secours sont alloués annuellement au budget,
et que les chambres ne manqueraient pas de les retirer si le gouvernement
abusait de la surveillance qui lui est conférée : mais c’est un reproche que
personne ne lui fait.
Il me reste à voir pourquoi la
section centrale a fait une exception pour les athénées de Tournay et de Namur.
Voici la raison qu’elle donne
: « D’après l’arrêté réglementaire du 25 septembre 1816, les athénées et
collèges étaient en général à charge des villes et communes ; l’Etat
n’accordait de subsides qu’aux athénées de Tournay, de Namur et de
Luxembourg. »
Ce motif est bien insignifiant
: l’ancien gouvernement avait supposé qu’ailleurs l’intérêt de l’instruction et
les besoins locaux ne rendaient pas nécessaire un secours du trésor.
Lorsqu’il a reconnu qu’il
fallait donner des subsides à d’autres établissements d’instruction, il n’a pas
hésité à le faire : c’est ainsi que pendant plusieurs années il a alloué des
subsides aux athénées de Bruxelles et de Bruges et à d’autres institutions.
Et puis pourquoi ne
ferions-nous pas actuellement ce qui n’a pas été fait sous l’ancien
gouvernement, si la chose est juste et utile ? D’autant plus que l’arrêté du
gouvernement provisoire que j’ai cité, ne distingue pas entre les divers
collèges, et que cette distinction n’a pas été faite non plus dans les budgets
décrétés depuis la révolution.
La partie de la province de
Luxembourg qui appartient à
Si on retirait les subsides à
l’athénée de Bruxelles, cet établissement, organisé sur un plan si large et si
solide, perdrait tout son mérite.
Vous le savez, messieurs, les
écoles doivent satisfaire aux besoins de notre époque ; on ne se contente plus
aujourd’hui de l’enseignement des langues anciennes, on y joint les langues
modernes plus usuelles, l’étude des sciences exactes, et les applications de
ces sciences aux arts, à l’industrie et au commerce.
Eh bien ! en adoptant les
idées énoncées dans le rapport de la section centrale, vous réduirez le
personnel de l’athénée de Bruxelles aux professeurs des langues anciennes, et
de fait vous ruinerez cette belle institution.
Eh quoi ! nous porterions une
main sacrilège sur une école qui fait la gloire de la capitale, sur une école
florissante fréquentée par une jeunesse nombreuse et studieuse, où nous avons
vu couronner naguère les digne fils de collègues distingués ! J’espère, pour
l’honneur du pays et de la représentation nationale, qu’il ne s’élèvera pas une
voix dans cette enceinte pour réclamer cette destruction.
Serait-ce ainsi qu’on
récompenserait les immenses sacrifices que la capitale a faits pour la cause de
la révolution ?
L’année dernière, un honorable
député du Limbourg, alors ministre de l’intérieur, justifiait par la pénurie du
trésor municipal l’allocation de subsides à l’athénée de Bruxelles ; cette
raison est encore vraie aujourd’hui.
Je crois avoir démontré,
messiers, que l’allocation de subsides aux athénées et collèges est non
seulement conforme à nos institutions politiques mais encore qu’elle est
réclamée par l’intérêt et l’honneur du pays.
La chambre accordera non
seulement les sommes demandées pour les athénées et collèges énumérés au budget
; mais s’il est démontré que d’autres sont nécessaires pour ériger ou compléter
des établissements d’instruction, comme à Courtray, par exemple, ou dans la
province de Luxembourg, elle ne les refusera pas. Vous vous rappellerez,
messieurs, qu’en faisant la révolution, on a eu plutôt en vue les intérêts moraux
que les intérêts matériels ; et ce ne sera pas pour épargner quelques milliers
de francs, que vous abandonnerez les écoles publiques.
Je passe aux universités.
Je ne puis et je ne dois
parler des universités que dans les points qui touchent au budget, et sur
lesquels le rapport de la section centrale contient quelques propositions.
Tout le monde s’accorde sur la
nécessité de réorganiser le haut enseignement : ce n’est pas le moment
d’examiner quel doit être le nombre des universités, où elles doivent être
placées, et comment il faut les former : ces questions seront agitées lors de
la discussion de la loi organique. Là il sera opportun aussi d’exposer quel
était l’état de l’instruction supérieur avant la révolution.
On blâme généralement le
décret qui a supprimé des facultés dans les universités. Avant de démolir, il
fallait être en mesure de reconstruire.
La section centrale tombe dans
la même faute, lorsqu’elle réduit les fonds réclamés pour les dépenses
d’entretien.
Il suffit de voir dans les
développements du budget l’emploi qui sera fait des subsides, pour juger
combien il serait imprudent de ne pas accorder le nécessaire, En négligeant
l’entretien des bâtiments, cabinets et collections, on s’expose à faire perdre
à l’Etat des valeurs considérables.
L’année dernière, dit-on, vous
avez eu autant ; vous n’aurez pas davantage cette année-ci. C’est une mauvaise
raison : la question est de savoir si ce qu’on vous demande est indispensable.
Vous voulez vous mettre à la place de l’administration : avez-vous donc été sur
les lieux, connaissez-vous les faits, agissez-vous en connaissance de cause ?
Si vous voyiez l’état
d’abandon dans lequel on est obligé de laisser des bâtiments et des jardins à
défaut de ressources, vous ne refuseriez pas les sommes qu’on vous demande.
Je ne puis me dispenser de
jeter un coup d’œil sur la proposition de la 5ème section qui est énoncée dans
le rapport de la section centrale, et qu’un honorable député de Tournay a défendue
avec sa chaleur ordinaire.
Elle est ainsi conçue :
« La 5ème section, à
l’unanimité, demande que, dans l’état actuel de l’enseignement universitaire,
il ne soit créé aucune nouvelle chaire, nommé aucun professeur nouveau, même
pour des chaires devenues vacantes, afin de ne pas augmenter inutilement le
nombre des personnes pour lesquelles on demandera des pensions ou des
indemnités, lorsque, par suite de la suppression de telle ou telle université,
elles se trouveront sans emploi. »
Si on s’était borné à dire
qu’il ne faut nommer de nouveaux professeurs qu’en cas de nécessité ou
d’utilité évidente, riens ne serait plus sage.
Mais les deux idées énoncées
d’une manière absolue dans la proposition prémentionnée
sont insoutenables.
Il ne faut créer aucune nouvelle
chaire. Ainsi, s’il se présentait un homme distingué pour donner des leçons sur
une branches des sciences qui n’est pas enseignée, par exemple le droit
administratif, il faudrait refuser ses services et priver le pays d’un
enseignement utile.
II ne faut nommer aucun
nouveau professeur, même pour des chaires devenues vacantes.
Ainsi, M. le ministre de
l’intérieur, si on vous annonce que dans telle université une chaire de chimie
est devenue vacante, dans telle autre une chaire d’anatomie, dans celle-ci une
chaire de droit civil moderne, vous répondrez que, suivant le vœu de la 5ème
section et l’avis d’un savant député de Tournay, on ne remplacera pas le
titulaire ; que, jusqu’à la réorganisation de l’enseignement, on fera des
docteurs en sciences qui ne savent pas la chimie, des docteurs en médecine qui
ne connaissent pas l’anatomie, des docteurs en droit qui ignorent les lois
modernes.
Quant au paragraphe du rapport
de la section centrale qui concerne les professeurs des universités dont les
chaires ont été supprimées, je ne ferai qu’une observation, c’est que l’arrêté
du 16 décembre 1830 (art. 3) leur réserve non seulement leur droits à
l’éméritat ou à la pensions, mais encore à une indemnité ou à une des chaires
qui seront instituées lors de l’organisation définitive.
Les savants qu’on a appelés
dans les universités ne devaient pas prévoir qu’on les renverrait un jour sans
qu’on eût rien à leur reprocher. Si on peut les placer, qu’on le fasse : mais
en attendant il faut satisfaire à une dette contractée envers eux ; il importe
peu du reste, à quel titre on leur paie ce que réclament la justice et
l’honneur, à titre de pension, d’indemnité ou de traitement de non-activité.
Avant de finir, je dois
relever ce qui a été dit dans une séance précédente par un honorable orateur
(M. Dumortier).
En parlant des commissions
d’examen, il a dit qu’elles donnent les grades universitaires pour de l’argent.
Au lieu d’une imputation générale, il y aurait eu de la convenance et de la
justice à faire une accusation directe.
Je dois déclarer ici et je ne
serait démenti par personne, que la commission d’examen instituée à Liége pour
confère le grade de candidat en philosophie, remplit ses devoirs
consciencieusement ; qu’elle n’accorde les diplômes qu’après un examen sévère.
Au reste, M. le ministre de
l'intérieur est averti ; je l’invite formellement à prendre les mesures qui
sont en son pouvoir pour arrêter le scandale partout où il existe.
L’honorable orateur auquel je
réponds a parlé de l’état déplorable, pénible de l’instruction
universitaire qui, suivant lui, tombe en ruines.
Je ne sais si mon savant
collègue a visité les trois universités du pays, s’il connaît les professeurs
qui composent les diverses facultés. N’y a-t-il pas des facultés où les
professeurs sont à la hauteur de la science, remplissent leurs fonctions avec
zèle ; des facultés suivies par de nombreux élèves de toutes les parties du
royaume ?
N’y a-t-il pas des facultés où
la science est cultivée avec honneur et succès, où il existe parmi les jeunes
gens la plus vive émulation, où les grades sont conférés après des examens très
difficiles ?
Je prie mon honorable collègue
de prendre des informations positives quand il voudra encore parler des
universités.
Je vous demande pardon,
messieurs, d’être entré dans ces développements ; j’ai cru que j’y étais forcé
par ma position.
Il me reste à vous parler de
l’instruction primaire.
Il faut répandre l’instruction
primaire le plus possible, et la rendre même universelle ; il faut la donner
gratuitement à ceux qui ne peuvent pas la payer ; ce sont des vérités que
personne ne conteste.
On doit l’instruction aux
enfants pauvres au même titre qu’on leur doit la nourriture.
Il serait injuste de ne pas
reconnaître les efforts faits par l’ancien gouvernement pour propager et
perfectionner l’enseignement élémentaire. L’institution des écoles primaires
modèles était excellente. Celle qui existe encore aujourd’hui à Liége mérite
les plus grands éloges.
Depuis la révolution de
juillet, le gouvernement français a donné une impulsion puissante à
l’instruction élémentaire.
La raison publique le
réclamait. Permettez-moi, messieurs, de vous citer ici quelques mots de M.
Cousin qui s’appliquent parfaitement à
« C’est surtout depuis la
révolution de juillet que l’instruction primaire est le premier besoin du pays
et du gouvernement : un pays qui veut être libre doit être éclairé, ou ses
meilleurs sentiments lui deviennent un péril, et il est à craindre que, ses droits
surpassant ses lumières, il ne s’égare dans leur exercice le plus légitime.
« Un gouvernement qui,
comme le nôtre, a loyalement accepté le système représentatif, c’est-à-dire la
publicité et la discussion universelle, n’a d’autre force que celle que lui
prête la conviction des citoyens, et il se trouve dans cette situation, à la
fois difficile et heureuse, où la propagation des lumières est pour lui une
condition d’existence. »
Aussi nos voisins ont-ils fait
des sacrifices immenses pour l’instruction primaire.
Mais ce qui leur fait le plus
d’honneur, c’est la loi du 28 juin dernier, cette belle loi qui a été
accueillie dans les deux chambres à la presque unanimité des suffrages, et qui
sera un des plus beaux titres de gloire de M. Guizot.
A côté des écoles libres, se
trouvent des écoles placées sous la surveillance de l’autorité.
En effet, l’instruction
primaire est aussi nécessaire à la société entière qu’aux particuliers ; c’est
le devoir et l’intérêt de l’Etat de ne pas la laisser à la merci de l’industrie,
du lui donner de la durée et de l’avenir. L’intervention de l’Etat est donc
indispensable.
Cette loi éminemment pratique
consacre le principe de l’instruction gratuite pour les enfants pauvres, en
maintenant le principe de la rétribution pour tous ceux qui peuvent la payer.
La commune, le département et l’Etat contribuent au traitement de l’instituteur
dans une juste proportion.
On ne saurait avoir de bonne
instruction primaire sans de bons instituteurs, et pour avoir de bons
instituteurs, il faut des écoles normales bien organisées.
Enfin des comités locaux de
surveillance sont organisés pour garantir la bonne administration des écoles.
Qu’avons-nous fait en Belgique
pour l’instruction primaire ? Les particuliers, les associations, les communes
ont rivalisé de zèle et de sacrifices ; mais l’Etat n’a pour ainsi dire rien
fait.
Où sont nos écoles normales,
les écoles modèles ? Que fait-on pour suppléer à l’instruction des instituteurs
déjà placés et pour en former de nouveaux ?
Comment le gouvernement s’assure-t-il
que tous les pauvres peuvent recevoir l’instruction gratuitement ? Qu’il y aura
une école publique dans chaque commune ou dans une réunion de communes
circonvoisines ?
Où est la surveillance des
écoles auxquelles le trésor public donne des subsides ?
L’année dernière on avait
proposé la création de quatre inspecteurs primaires pour
Le gouvernement demande
242,040 fr. pour tous les frais de l’instruction primaire.
La section
centrale propose une réduction de 19,040 fr.
20,000 fr. sont demandés pour
le matériel des écoles, pour construction ou réparation des maisons d’écoles on
leur ameublement, et, sur une aussi chétive somme à répartir dans toute
8,000 fr. sont demandés pour
secours à des instituteurs nécessiteux sans emploi, et on les refuse. La
section centrale les renvoie aux communes qui ne leur donneront rien ; c’est
les renvoyer d’Hérode à Pilate.
La chambre pensera-t-elle que
de pauvres instituteurs qui ont consacré leur vie à l’éducation aient rendu
aucun service au pays ? Non : comme elle l’a fait récemment dans une
circonstance analogue, elle montrera plus de justice et d’humanité que la
section centrale ; elle ne voudra pas qu’à la honte de
M. Fallon. -
La mission de son gouvernement
ne consiste pas seulement à pourvoir à la conservation des libertés qu’elle a
proclamées dans sa charte constitutionnelle, cette mission a aussi pour objet
de concourir au perfectionnement de la civilisation, et de mettre en action
tous les moyens d’accroître la prospérité morale et industrielle du pays.
Le moyen d’aider au progrès de
la civilisation, c’est l’instruction. C’est l’instruction, et surtout
l’instruction populaire qui crée, développe et multiplie tous les différents
genres d’industrie.
L’instruction publique
constituerait donc par elle-même une dette privilégiée à laquelle il serait de
notre devoir de pourvoir largement, si d’ailleurs la constitution ne nous en
imposait l’obligation.
A la vérité, la constitution
demande que l’exécution de cette obligation soir réglée par une loi. Mais ce
n’est pas à dire pour cela qu’en attendant que cette loi soit livrée à la
discussion, nous puissions nous dispenser de continuer, d’entretenir et
d’améliorer ce qui existe.
Sans anticiper sur cette loi,
nous pouvons d’ailleurs préparer son ouvrage dans l’application des principes
constitutionnels qui doivent nécessairement la dominer.
L’enseignement est libre.
Ce principe a pour conséquence
que chacun peut s’instruire là et ainsi qu’il le trouve convenir, et chacun
peut enseigner sans se pourvoir d’aucune licence.
Mais, à coup sûr, la
conséquence de ce principe n’est pas que l’émulation et la concurrence, qui
doivent être le résultat de cette liberté, seront abandonnées aux calculs de
l’instruction privée ; que le gouvernement abdiquera la mission que lui donne
la constitution, et qu’il laissera aux particuliers le soin de pourvoir aux
besoins de l’instruction publique.
La preuve que ce n’est pas
ainsi que l’entend la constitution ; la preuve qu’elle a voulu des garanties de
stabilité que l’on ne peut obtenir que dans l’enseignement public, c’est
qu’elle veut une instruction publique, et qu’elle veut que cette instruction
soit donnée aux frais de l’Etat.
Comment et de quelle manière
cette instruction nationale sera-t-elle organisée, surveillée et dirigée ? ce
sont là des questions que nous n’avons pas à examiner ni à discuter pour le
moment.
Dans l’entre-temps, et tout en
respectant la liberté de l’enseignement privé, nous ne devons pas moins pourvoir
aux besoins de l’instruction publique, et y pourvoir largement si nous voulons
éviter de donner aliment à des défiances qui entretiennent de funestes
divisions.
Pour conserver et améliorer
cette branche importante de son département qui doit porter ses fruits jusque
dans les dernières classes de la société, le ministre nous demande une
allocation de 762,518 fr. 07 c. ; c’est-à-dire 99,684 fr. 21 centimes en plus
que l’année dernière.
J’applaudis, pour ma part, à
ce témoignage de son attention et de sa sollicitude pour l’instruction surtout
que la majoration qu’il demande a principalement pour objet l’instruction
populaire, c’est-à-dire l’instruction primaire et l’instruction moyenne.
Cependant la section centrale
repousse ce supplément de crédit presque en totalité.
Sans doute nous devons
chercher à introduire de l’économie dans toutes les branches de
l’administration. Notre situation financière l’exige impérieusement, et
j’approuve à cet égard les intentions de la section centrale.
Mais est-ce bien sur
l’instruction publique qu’il convenait de faire application de ces louables
dispositions ? je ne le pense pas.
L’article 1er du chapitre que
nous allons discuter a pour objet le traitement et autres frais de l’inspecteur
des athénées et collèges.
Sur cet article, le ministre
nous donne la preuve que, quand la chose est possible sans nuire au service ;
il sait réduire la dépense et la mettre au niveau des besoins réels : il vous
propose une économie ; il vous demande 877 francs 25 centimes en moins sur la
somme qui lui a été allouée au budget de 1832.
Eh bien, la section centrale
ne se contente pas de cette réduction ; elle en demande une seconde de 904
francs 76 centimes.
La raison exige que lorsque
l’on propose une réduction ou une majoration, on indique tout au moins les
motifs de la proposition.
Je vois bien que la section
centrale, qui déjà précédemment avait proposé la suppression de
l’administrateur de l’instruction publique, demande ici la suppression du
commis de l’inspecteur ; mais dire, comme elle le fait, qu’il y a lieu à supprimer, sans dire pourquoi, ce n’est certainement
pas là justifier une demande d’économie.
Ce n’est pas la justifier
surtout, alors que les plus puissantes considérations d’intérêt et de dignité
nationale nous font un devoir de conserver à l’administration de l’instruction
publique tous les moyens d’action, tout au moins provisoirement.
Comme je l’ai déjà fait
observer, l’instruction publique est une des premières nécessités de l’époque.
Vous conservez un
administrateur et un inspecteur des prisons ;
Un administrateur de la sûreté
publique ;
Vous avez un administrateur du
trésor ; un administrateur des contributions, etc. ; un administrateur de
l’enregistrement et des domaines ; un administrateur des postes ; et un
administrateur du cadastre.
Et tandis que l’instruction
publique est destinée, non pour certaines classes, non pour satisfaire à
certaines besoins spéciaux, mais pour répandre le bienfait de l’enseignement
sur toutes les classes de la société,
vous la ravalez au point de lui refuser une administration spéciale.
Supprimez, si vous croyez
pouvoir le faire sans compromettre le service public, supprimez les
administrateurs dans tous les ministères ; on concevra du moins alors, ici
comme à l’étranger, la cause de la proscription de l’administration de
l’instruction publique, et l’on ne calomniera pas les intentions, libérales de
la représentation nationale.
Le moment est-il bien choisi
d’ailleurs pour porter la hache dans cette branche de l’administration de
l’Etat ? Non, messieurs ; ce n’est pas à la veille de nous occuper de la
nouvelle organisation de l’instruction publique qu’il convient de détruire ce
qui existe, alors surtout que ce qui existe ne présenterait que l’inconvénient
passager de satisfaire provisoirement à certaines dépenses sur lesquelles on
pourrait peut-être économiser plus tard.
L’art. 2 du chapitre qui est
en discussion a pour objet les frais des trois universités.
Ici, messieurs, je partage, en
principe, l’avis de la section centrale.
Je pense aussi qu’à la veille
d’opérer une fusion dans les établissements d’instruction supérieure, il faut
borner le crédit à ce qu’exigent les dépenses que l’on ne peut interrompre ou
différer sans inconvénient.
Mais si, sur le principe, je
suis d’accord avec la section centrale, je reste en défaut d’en pouvoir saisir
la juste application.
Je vois bien que la section
centrale propose une réduction de 34,912 francs 82 centimes sur l’allocation
demandée par le gouvernement pour les besoins des universités.
Je vois bien aussi qu’elle
nous dit que, moyennant cette réduction, le crédit sera suffisant.
Mais pourquoi le crédit ainsi
réduit sera-t-il suffisant ? par quels motifs pouvons-nous différer de
satisfaire aux dépenses qui devait servir à couvrir cette réduction de 34,912
francs 82 centimes ?
Voila ce que j’ai cherché en
vain à découvrir dans le rapport de la section centrale, et, sur ce point,
j’attendrai les lumières de la discussion.
J’en viens aux frais des
athénées et des collèges.
Le gouvernement demande une
majoration de 26,637 francs 74 centimes sur le crédit qui lui a été alloué au
budget précédent, et la section centrale refuse également cette majoration.
Ici du moins on peut apprécier
les motifs du refus. Ils sont énoncés dans le rapport.
Ce refus n’ayant pas pour
objet les athénées qui, en vertu du règlement organique du 25 septembre 1816,
ont été fondés aux frais communs de l’Etat et des villes où ils ont été
établis, nous n’avons rien à discuter à leur égard ; du moins ce n’est pas là
le terrain sur lequel la section centrale provoque la discussion.
Il existait des athénées et
des collèges qui recevaient du trésor des subsides temporaires, et il existe
des collèges et des écoles en faveur desquels le gouvernement réclame des
secours.
Ce sont ces établissements que
la section centrale propose de disgracier. Voyons s’il y a des motifs de les
traiter ainsi.
Il y a, dit-on, inégalité et
arbitraire dans la répartition.
Je réponds d’abord que cette
inégalité est dans l’ordre des choses.
Sans doute, si l’on veut faire
la part des intérêts communaux sans égard à l’utilité générale qui doit
résulter de la dépense, si l’on ne veut faire aucune distinction entre les
différents genres d’enseignement, et si l’on ne veut pas faire attention que
telle branche d’instruction est indispensable à telle localité tandis
qu’ailleurs elle est peu ou moins utile, on se laissera séduire par ce reproche
d’inégalité.
Mais ce n’est pas ainsi qu’il
faut envisager la répartition des subsides. Il faut consulter les besoins et
les ressources de ces diverses localités ; il faut apprécier le genre
d’enseignement qui, dans l’intérêt général, convient à chacune d’elles ; et,
sur ce point, nous ne pouvons que nous en rapporter aux renseignements que le
ministre a recueillis.
Du reste, en admettant qu’il
existe réellement quelque inégalité dans la répartition des subsides, ce serait
seulement un motif pour demander une répartition mieux proportionnée ; mais, à
coup sûr, ce ne serait pas une raison pour refuser tout subside, car vaudrait mieux
sans doute, dans les intérêts de l’instruction répartir plus ou moins
inégalement les subsides que de ne pas en accorder du tout.
Enfin le principal motif du
refus de la majoration demandée par le gouvernement n’est pas dans l’inégalité
de la répartition des subsides ; un motif plus sérieux a dominé la majorité de
la section centrale.
La voie des subsides, dit le
rapport, s’écarte de l’esprit de notre constitution ; et, avant la loi sur
l’instruction publique, tout crédit devra disparaître au budget prochain.
Vous ne consentirez pas,
messieurs, à frapper le pays d’une semblable calamité. Vous n’adopterez pas,
pour mode de transition du régime actuel à la prochaine organisation de
l’instruction publique, la ruine totale de l’enseignement moyen.
Comment donc la voie des
subsides s’écarte-t-elle de l’esprit de notre constitution ?
Où trouve-t-on, dans la
constitution, un principe d’où on puisse tirer une conséquence aussi alarmante
?
Dans l’article 17, dit-on.
Mais je lis dans cet article
que l’enseignement est libre, et je ne vois pas la moindre opposition dans
l’exercice de cette liberté pleine et entière et les subsides que l’Etat
accorde à des établissements d’instruction publique.
Ce n’est pas sans doute pour
faire de cette liberté l’objet d’un monopole en faveur d’établissements
particuliers que le principe a été posé dans la constitution. On se garde de le
prétendre ainsi, et dès lors on est forcé de reconnaître que si les
établissements particuliers sont et doivent rester libre de choisir leurs professeurs
et de diriger l’enseignement comme ils le trouvent bon, la même liberté doit
appartenir à l’Etat en ce qui regarde les établissements d’instruction
publique.
Ce qui prouve d’ailleurs que
c’est ainsi que le veut l’article 17, c’est que ce même article veut une
instruction publique donnée aux frais de l’Etat.
Or, on ne contestera pas sans
doute qu’en ce qui concerne cette instruction, c’est bien au gouvernement qu’il
doit appartenir de nommer les professeurs et de surveiller l’enseignement ; car
il serait par trop bizarre qu’il devrait faire les frais de cette instruction,
tandis qu’il lui serait interdit de contrôler l’emploi de la dépense.
Mais, dit-on le gouvernement
sorti de la révolution continue à soumettre à la surveillance les établissements
d’instruction qui reçoivent des subsides du trésor ; il tend à centraliser de
nouveau dans ses mains la direction de l’enseignement avant que la loi n’ait
encore réglé cette matière importante, et de tout cela on conclut qu’il faut
supprimer tout subside en attendant la loi sur l’instruction publique.
Cela veut bien dire, si je ne
me trompe, que sans égard aux avantages que l’intérêt général peut dans
l’entre-temps recueillir de tel ou tel établissement communal, il faut frappé
de mort tous ceux qui ne pourront continuer à exister sans le secours de
l’Etat, et étouffer au berceau tous ceux qui, à l’aide de l’Etat, pourraient
prendre de l’accroissement.
Et cela, parce que nous serons
appelés prochainement à discuter cette question de vie ou de mort, et parce que
nous ne savons pas encore si la loi prononcera leur condamnation.
Voilà une étrange manière de
préparer le terrain qu’il faudra d’abord faire fructifier que de commencer par
le frapper de stérilité.
Une argumentation qui doit
produire d’aussi fatales conséquences est bien faite pour exciter une juste
défiance.
Aussi ne repose-t-elle que sur
de graves erreurs qu’il est facile de signaler.
Le subside a pour effet de
soumettre l’établissement qui le reçoit à la surveillance du gouvernement, cela
est vrai ; mais cela est dans l’ordre naturel des choses, car il faut bien que
le gouvernement sache si ce qu’il donne est utilement employé dans l’intérêt
général.
On ne pense pas sans doute à
soustraire à sa surveillance les établissements d’instruction publique qui
seront entretenus exclusivement aux frais de l’Etat.
Si cependant, dans ce cas, où
la dépense est en totalité à la charge de l’Etat, vous admettrez que la
surveillance ne produit aucun inconvénient, pourquoi voulez-vous que cette
surveillance produise l’inconvénient lorsque l’Etat ne fournit qu’à une partie
de la dépense ?
Je ne vois pas de raison pour
que cette surveillance ombrage davantage dans un cas que dans l’autre. La seule
différence que j’aperçois, et cette différence est en faveur de l’établissement
qui n’est à la charge de l’Etat que pour partie, c’est qu’il en résulte pour le
trésor de l’Etat une économie qui n’est certainement pas à dédaigner.
Et, en effet, messieurs,
n’est-il pas à désirer que nous puissions, par le concours volontaire des
provinces et des communes, diminuer les frais de l’instruction publique qui
sont à la charge de l’Etat ?
Mais, dit-on, l’établissement
qui reçoit le subside engage son indépendance.
En fait, l’assertion me paraît
exacte ; mais je cherche en vain, dans cette circonstance, une conséquence
nuisible à l’intérêt général ou qui soit en opposition avec l’esprit de la
constitution.
Si un établissement communal,
organisé de manière à être tout autant utile à la généralité qu’aux intérêts de
la localité, ne peut exister sans le secours de l’Etat ; si, en demandant et
obtenant un subside, la commune veut bien soumettre l’établissement à la
surveillance et à la direction du gouvernement, de quoi droit empêcherions-nous
la commune de faire ses affaires comme elle l’entend ?
Ce ne serait sans doute pas en
vertu du principe de liberté en matière d’enseignement, car elle ne fait en
cela qu’user de cette liberté de la manière qu’elle croit la plus avantageuse à
ses intérêts. Si elle ne pouvait pas en user ainsi, ce principe de liberté lui
deviendrait plus préjudiciable que profitable, et c’est ce que les règles du
droit n’admettent pas.
Ce n’est pas non plus à raison
que le subside pourrait être considéré comme étant un privilège en opposition
avec nos principes constitutionnels ; car dès lors que les frais de
l’instruction publique sont une dette de l’Etat, ce n’est pas établir un
privilège, c’est exercer une mesure d’économie que de satisfaire pour partie à
cette dette là où la dépense serait à la charge de l’Etat pour le tout, si la
commune n’offrait pas son concours.
Faire contribuer l’Etat à une
partie de la dépense, alors que l’établissement est d’intérêt général en même
temps que d’intérêt local, c’est acquitter une dette avec discernement, ce
n’est pas créer un privilège.
Ce n’est pas non plus un
privilège, dans ce sens que cela pourrait nuire à la concurrence de tout autre
établissement d’institution primaire, parce que, tout en proclamant le principe
de la liberté d’enseignement, la constitution veut une instruction publique aux
frais de l’Etat, sans égard aux effets que cette mesure peut produire sur la
concurrence de l’enseignement privé.
Mais, dit-on encore,
l’établissement qui reçoit le subside se place sous l’influence du
gouvernement, et l’on craint les conséquences de cette influence.
Cette crainte, messieurs, est
l’effet d’une défiance déraisonnable ; c’est une véritable chimère.
Dans un gouvernement
représentatif, dans un gouvernement de majorité, l’enseignement public, comme
toutes le autres branches de l’administration de l’Etat, ne pourra jamais
recevoir d’autre influence que celle que la majorité trouvera bon de lui
imprimer, et cette majorité, constamment éclairée par la liberté de la presse
et par les avertissements de l’enseignement privé, saura toujours bien refuser
des subsides à un établissement d’instruction publique, du moment qu’elle
croira s’apercevoir qu’il en est fait un usage nuisible à l’intérêt général.
Telle est, comme vous voyez,
messieurs, la magie des mots, que cette influence du gouvernement, que l’on
redoute, n’est autre chose que l’influence de la représentation nationale,
puisque c’est elle qui fournit le subside et que c’est d’elle que partent les
influences.
Enfin, le dernier mot de
l’argumentation à laquelle je réponds, c’est que le subside tend à centraliser
de nouveau dans les mains du gouvernement la direction de l’enseignement.
Ici, messieurs, je n’ai plus
que de l’exagération à combattre.
Lorsque l’enseignement privé
ne pouvait exister et agir que suivant le bon plaisir du gouvernement, je
conçois le vice de la centralisation de l’enseignement ; mais je n’aperçois
plus l’inconvénient de la centralisation alors que l’enseignement privé jouit
d’une pleine et entière liberté. Il y a plus, c’est que la centralisation
devient alors tout naturellement une nécessité.
Il est facile de faire un
épouvantail de la centralisation lorsque l’on raisonne comme la section
centrale… Lorsque l’on omet de faire la distinction entre l’enseignement privé
et l’enseignement public, lorsqu’on les confond tous deux dans la
centralisation, la centralisation est, en effet, alors un gouffre où
l’enseignement vient de nouveau s’engloutir.
Mais, en raisonnant ainsi, on
exagère, on ne prouve pas.
Sans doute si le subside avait
pout effet de centraliser dans les mains du gouvernement l’enseignement privé
en même temps que l’enseignement public donné aux frais de l’Etat, ce serait
faire de nouveau ce que faisait le gouvernement précédent ; mais les subsides
dont il s’agit n’ont pour objet que l’enseignement public, et centraliser
l’enseignement public qui est donné aux frais de l’Etat, ce n’est pas soumettre
cet enseignement à un régime d’usurpation ni d’exception, c’est le renfermer
dans les règles que soumettent à la surveillance et au contrôle du gouvernement,
dans cette matière comme dans toutes les autres branches de l’administration
publique, les dépenses qui sont faites dans l’intérêt général de l’Etat.
Il n’est donc pas vrai que la
voie des subsides, qui ne sont dans la réalité, autre chose que l’association
de la commune à l’Etat dans les frais de l’instruction publique, qui n’est
qu’une voie d’économie pour le trésor ; il n’est pas vrai, dis-je, que la voie
des subsides s’écarte de l’esprit de la constitution.
Les considérations de principe
qui ont déterminé la section centrale dans la réduction qu’elle propose étant
ainsi écartées, il ne nous reste que la question d’utilité publique ; il ne
nous reste qu’à examiner si le ministère justifie suffisamment la majoration
qu’il demande sur le crédit de l’année dernière.
Les motifs de sa sollicitude
sont analysés dans les développements du budget. Les divers établissements en
faveur desquels il demande cette majoration ont des besoins constatés, et, en
leur donnant les secours qu’ils réclament, ce n’est pas seulement
l’instruction, ce sont les intérêts du commerce et de l’industrie que nous
servirons.
Veuillez en effet, y faire,
attention, messieurs ; il s’agit précisément ici d’établissements
d’enseignement moyen qu’il importe le plus de conserver pour les besoins et le
développement de l’industrie ; et, sans doute, vous ne vous arrêterez pas au
plus ou moins d’inégalité dans la répartition, et vous n’anticiperez pas
imprudemment sur la solution des questions qui seront discutées plus tard dans
la loi d’organisation, pour vous refuser dans l’entre-temps à répandre les
bienfaits de l’instruction là où elle a besoin d’encouragement.
Les
considérations que je viens d’exposer en ce qui regarde l’enseignement moyen
s’appliquent à bien plus forte raison à la majoration demandée pour
l’instruction primaire.
Il s’agit de l’instruction. Il
s’agit là des intérêts les plus chers au progrès de la civilisation. Il s’agit
là de la classe pauvre ; il s’agit de lui donner quelque chose de tout aussi
nécessaire que le pain de l’aumône ; il s’agit de lui faciliter le moyen de
pourvoir par elle-même ; il s’agit enfin d’améliorer moralement et physiquement
sa condition.
Je sais bien que l’instruction
est comprise dans le devoir de la bienfaisance, et que c’est aux communes qu’il
appartient d y pourvoir. Mais, messieurs toutes les communes ne se trouvent pas
dans la même position : il en est un grand nombre hors d’état de fournir à l’un
et à l’autre de ces besoins, et comme l’instruction primaire n’est pas
seulement d’intérêt communal, mais éminemment d’intérêt général, il est du
devoir du gouvernement d’y suppléer.
Ce n’est donc pas sur
l’instruction primaire, messieurs, que vous penserez à faire des économies et,
en accordant au ministre l’allocation telle qu’il nous la demande, vous
saisirez l’occasion de prouver que ce n’est pas en vain que l’on parle si
souvent dans cette enceinte des besoins du peuple.
M. Quirini. - Les honorables collègues qui ont parlé
avant moi se sont déjà occupés longuement de la question de l’enseignement
public ; j’avoue que j’ai écouté avec beaucoup de plaisir les idées générales
qu’ils ont émises sur cet objet digne sous tous les rapports de fixer
l’attention de la chambre, et qui intéresse au dernier point notre organisation
intérieure et notre bonheur social. Toutefois je pense, messieurs, qu’une
discussion approfondie sur cette importante question, à l’occasion d’un budget
qui n’est qu’une loi transitoire, et dont les trois quarts sont déjà dépensés,
serait prématurée. Je me bornerai donc pour le moment à motiver brièvement mon
vote sur la partie du budget du département de l’intérieur, actuellement en
discussion, et qui concerne les frais de l’instruction publique.
Je commencerai d’abord par
déclarer que je suis aussi avare que qui que ce soit des deniers du peuple :
jusqu’ici j’ai voté pour toutes les réductions qui ont été proposées par la
section centrale, toutes les fois qu’elles m’ont paru compatibles avec les
besoins du service public. Mais après avoir voté une foule de dépenses pour des
besoins purement matériels, ce n’est pas lorsqu’il s’agit d’instruction
publique, ce n’est pas lorsqu’il s’agit d’allouer quelques fonds qui doivent
tourner directement à l’avantage de ce même peuple, ce n’est pas lorsqu’il
s’agit de pourvoir à ses besoins intellectuels, que je voudrais faire preuve de
parcimonie. L’instruction publique constitue à mes yeux une dette sacrée que
nous devons à la nation tout entière, en considération des charges qu’elle est
obligée de supporter ; une dette que nous ne pouvons nous dispenser d'acquitter
sans être taxés d’insouciance et d’ingratitude. Ainsi, loin de vouloir me
réunir cette fois à la section centrale pour les réductions qu’elle propose sur
ce chapitre, je voterai au contraire pour le maintien de tous les crédits que
le gouvernement réclame, parce que j’ai la conviction qu’ils seront utilement
employés, et qu’ils seront plus productifs que tous ceux que nous avons déjà
accordés.
Ainsi, pour ce qui concerne
l’enseignement universitaire en particulier, je n’ignore pas que la question de
savoir si on conservera nos trois universités, ou s’il faudra se contenter
d’une seule ou de deux, est gravement controversé ; mais en attendant
l'adoption de la loi qui devra la trancher, je ne veux pas que l'enseignement
supérieur soit complètement désorganisé en Belgique ; je ne veux pas que le
gouvernement affecte une insouciance décourageante envers nos établissements de
haute instruction ; je désire plutôt qu'il emploie de nouveaux efforts pour
améliorer leur situation actuelle.
Je ne partage nullement la
crainte exprimée par la section centrale et par un de nos honorables collègues,
que le gouvernement, en nommant à de nouvelles places qui seraient devenues ou
qui deviendraient vacantes, ne parvienne à créer une foule de doubles emplois
et à augmenter le nombre des personnes qui viendront réclamer des pensions.
Pour quiconque connaît l'état actuel de notre enseignement supérieur et les
améliorations dont il est susceptible, il est de toute évidence que cette crainte
n'a aucun fondement. Si le gouvernement a soin de ne nommer à ces chaires que
des hommes distingués et d'un mérite reconnu, quelle que soit la réduction que
l'on voudra faire subir au nombre de nos universités, je n’hésite pas à
affirmer qu'il n'aura pas besoin de leur donner des pensions, et qu'il sera
même très heureux de pouvoir employer leurs talents pour le service de
l'instruction publique.
Pour ce qui concerne le crédit
de 23,280 fr., que le gouvernement réclame pour le traitement des professeurs
qui ont été mis en non-activité par l'effet de l’arrêté du gouvernement
provisoire du 16 décembre 1830, c'est à regret que la section centrale accorde
cette allocation en faveur de quelques savants que la révolution n’a pas
éloignés de notre pays, et qui attendent le moment où ils pourront rendre de
nouveaux services à l’instruction publique. En effet, l'arrêté que je viens de
citer, tout en reconnaissant le droit qu'ont ces anciens professeurs à une
indemnité, leur fait entrevoir l'espoir qu'ils pourront être réintégrés dans
leurs premières fonctions. Si vous les privez de cette indemnité, ils suivront
l'exemple donné par plusieurs de leurs anciens collègues, que nos universités
seraient fières de posséder encore si les gouvernements étrangers ne s'étaient
pas empressés de les accueillir et de les combler de faveurs.
La section centrale s’est
aussi récriée contre les diverses allocations que le gouvernement destine aux
besoins des athénées et des collèges. Cette dépense, dit la section centrale,
prend tous les ans une nouvelle extension. Quant à moi, je félicite le
gouvernement de ce qu’il se décide enfin à entre dans la voie des
améliorations, en étendant sa sollicitude sur les établissements d’instruction
secondaire. Seulement, je ne veux pas que la répartition de ces sommes soit
faite d'une manière illégale et arbitraire. La régence de Courtray réclame un
secours de 5,000 fr., une fois payé, pour l'érection d'un nouveau collège : je
désire qu'on lui accorde ce subside. Outre les divers établissements auxquels
il a déjà accordé des subsides, le gouvernement a l'intention de présenter à la
chambre la demande d'une allocation supplémentaire de 8,550 fr. à répartir, dès
cette année, entre quatre nouveaux collèges ; je déclare d'avance que je suis
tout disposé à voter ce crédit, dans l'intérêt du bien-être général.
A l’égard du crédit demandé
pour indemnité aux professeurs démissionnés dans les athénées et collèges, je
ne pourrai me rallier non plus à l'opinion de la section centrale qui tend à
leur refuser cette légère indemnité : la plupart de ces professeurs ont
consacré une partie de leur existence au service de l'instruction publique ;
ils étaient en pleine activité au commencement de notre révolution. Pourquoi
les a-t-on renvoyés ? Quels torts pouvait-on leur reprocher ? Qu'ont-ils fait
pour encourir une pareille disgrâce ? Pourrions-nous, messieurs, leur refuser
cette dernière ressource, sans encourir le reproche justement fondé
d'ingratitude ?
Mais, messieurs pour que le
gouvernement accomplisse parfaitement la mission dont il est chargé en fait
d’instruction publique, il ne suffit pas qu’il intervienne utilement et
efficacement en faveur des universités et des collèges, il faut encore qu’il
étende sa sollicitude sur l’instruction primaire et moyenne, et qu’il assure le
bienfait de l’enseignement à toutes les classes de la société. Si
l’enseignement était réduit aux universités et aux collèges, il dégénèrerait en
monopole, il deviendrait un véritable privilège au profit des habitants de
quelques villes populeuses. Je désire que le gouvernement continue l’œuvre qui
a été commencé par le gouvernement précédent, en établissant dans chaque
commune d’une certaine étendue des écoles moyennes et élémentaires, afin de
favoriser la propagation des lumières et l’avancement de l’instruction au
profit des classes les moins civilisées de la société. A cet effet je désire
que le gouvernement stimule le zèle des autorités municipales, en employant les
allocations qui figurent au budget sous le chapitre : « Frais de l’instruction
primaire, » pour secourir les communes dont les ressources ne sont pas
suffisantes pour subvenir à cette dépense.
Les instituteurs qui sont
attachés à ces écoles sont rétribués avec une humiliante parcimonie. Après
avoir rendu les services les plus utiles non seulement à la commune où ils sont
établis, mais même à l’Etat, puisqu’ils contribuent au perfectionnement des
masses et aux progrès de la civilisation ; après avoir consacré à ces pénibles
fonctions leur existence entière ; il serait par trop injuste de les abandonner
lorsqu’ils sont parvenus au bout de leur carrière, et de les vouer à la misère
alors que les communes n’ont pas de revenus suffisants pour les indemniser de
leurs longs services. Je voterai donc également pour l’allocation que le gouvernement
réclame pour acquitter cette dette.
Il ne
me reste plus qu’un mot à dire pour répondre à l’objection de la section
centrale, fondée sur l’art. 17 de la constitution : aux termes de cet article,
a dit la section centrale, l’enseignement est libre en Belgique ; le
gouvernement, en accordant des subsides aux établissements d’instruction
publique, tend évidemment à détruire cette liberté et à s’arroger la direction
des études. Cette objection n’est pas fondée : en proposant l’article 17 de la
constitution, le législateur a eu uniquement en vue d’empêcher tout système
prohibitif en matière d’enseignement ; mais je ne pense pas que l’on puisse
induire des termes de cet article la plus étrange conséquence que le
gouvernement doive renoncer à tout jamais au droit qu’il a, je dirai même au
devoir qui lui est imposé, d’encourager l’instruction publique, de propager les
lumières, et de travailler au perfectionnement moral de la société.
L’enseignement est libre : je ne suis pas partisan du système prohibitif ; mais
j’accorde que tout citoyen a le droit de se livrer à l’enseignement de telle ou
telle branche des connaissances humaines qu’il lui plaira de choisir ;
j’accorde à un chacun le droit d’étudier où bon lui semble. Le principe de
liberté subsiste donc, sans aucune restriction ; mais, à côté de ce principe de
liberté le législateur a contracté celui d’un enseignement national, donné aux
frais de l’Etat : or, le gouvernement a incontestablement le droit de
surveiller et de diriger les établissement d’instruction
publique qu’il se charge de doter, de s’enquérir s’ils répondent au but qu’il
se propose, et s’ils sont en harmonie avec ses institutions et les besoins de
la société. L’enseignement est libre : oui, point de monopole en matière
d’enseignement ; mais de là ne résulte pas que le gouvernement doive
l’abandonner entièrement au hasard, qu’il ne puisse pas lui imprimer une
impulsion salutaire, favoriser l’érection de nouvelles écoles pour les besoins
de l’instruction moyenne et primaire, récompenser les services et le zèle de
ceux qui ont vieilli en se dévouant à l’enseignement de la jeunesse.
M. H. Dellafaille. - Messieurs, dans les discours que vous
venez d’entendre, d’honorables préopinants ont cru devoir adresser plus d’un
reproche aux opinions émises par votre section centrale. Je suis loin de m’en
étonner, car j’étais convaincu d’avance que cette partie de notre travail ne
rencontrerait pas une approbation unanime ; elle touche à des intérêts trop
vifs pour ne pas exciter un conflit entre des opinions divergentes, et vous
avez pu remarquer qu’au-dehors de cette enceinte on n’a pas attendu vos débats
pour donner le signal de l’attaque.
Toutefois, en prévoyant, pour
nos conclusions, une contradiction animée, et pour nous, la nécessité de le
défendre, je m’attendais peu, je l’avoue, à la manière dont nos intentions ont
été interprétées. Le rapport qui vous a été fait sur le budget du département
de l’intérieur me paraît surtout recommandable par la fidélité avec laquelle il
rend compte des motifs de votre section centrale et par l’heureuse clarté de
son expression. Ces qualités, qui distinguent tous les travaux confiés aux
soins de l’honorable M. Dubus, et qui lui ont si fréquemment mérité les
suffrages de vos sections particulières et de vos sections centrales, ne me
semblent pas obscurcies dans la partie de son rapport qui concerne
l’instruction publique. Je croyais donc que la section centrale pouvait se
flatter, non de rallier tous les suffrages, mais de voir ses vues et ses
intentions à l’abri de toute fausse interprétation. Il n’en a pas été ainsi.
Ces intentions ont été méconnues, à tel point que nous ne croirions pas inutile
de vous présenter à la fois, et la défense de nos conclusions et celle de nos
motifs, lors même que certaines phrases échappées dans le cours de la
discussion ne nous donneraient pas lieu de craindre, chez quelques-uns de nos
collègues, des préventions qu’il nous importe de dissiper.
S’il faut en croire ce qu’en ont dit certains
de nos contradicteurs, un sordide esprit d’économie anime la section centrale ;
elle se rue sur le corps enseignant ; administrateur, commis, frais de bureau
de l’inspecteur disparaissent sous sa faux ; les professeurs de universités ne
sont conservés que par décence et sous condition de ne plus remplir les chaires
devenues vacante ; c’est en supprimant le plus possible qu’elle veut organiser,
et, si son avis doit prévaloir, en attendant la loi sur l’enseignement qui se
fera attendre longtemps encore, l’instruction aura souffert une plaie
incurable. Nous sommes odieusement injustes répartiteurs des deniers publics ;
nos projets tendent à la honte et à la ruine de
Telle est, messieurs,
l’esquisse peu flatteuse et surtout peu véridique de vues qui, selon quelques personnes,
ont dirigé votre section centrale. Dans cette enceinte, il s’est trouvé, même
avant que cette discussion ne fût ouverte, une voix pour nous adresser le
reproche le plus révoltant : celui de partialité. D’autres orateurs, en
combattant nos idées ont employé des termes moins acerbes ; mais, à travers les
formes polies que leur donne le tact des convenances sociales et
parlementaires, il est facile de voir que la manière dont notre but a été
dénaturé n’a que trop influé sur leurs esprits.
Si les allégations dont j’ai
parlé sont vraies, si notre but est en effet d’arriver à une désorganisation de
l’instruction publique, je n’ai rien à répliquer à nos censeurs : nous avons
mal répondu à votre confiance. Mais, je le demande à tous ceux qui ont lu sans
prévention le rapport de mon honorable collègue et ami M. Dubus ; à tous ceux
qui n’y ont vu que ce qui s’y trouvait réellement, selon la signification
naturelle des mots, et sans se livrer à des conjectures hasardées sur des vues
que personne n’a le droit de soupçonner, y a-t-il dans tout ce rapport un seul
mot qui puisse donner lieu à nous supposer un but aussi étranger à notre pensée
? Nous avons cru trouver dans la distribution des fonds destinés à
l’encouragement de l’instruction publique des abus graves ; notre devoir nous
obligeait à vous les signaler, c’est ce que nous avons fait. Notre devoir nous
obligeait à vous proposer les moyens de les faire disparaître, c’est ce que
nous avons fait encore. Ces moyens sont-ils bons et utiles ? Messieurs, vous en
jugerez. Nous sommes-nous trompés ? La chose n’est pas impossible ; mais nous
croyons que ce n’est pas trop exiger que de demander que ceux qui croiront
devoir nous combattre, veuillent bien, en critiquant nos conclusions, respecter
l’intégrité de nos intentions.
Cette justice, nous
l’attendons de vous avec confiance. Les passions peuvent bien s’agiter
au-dehors de cette enceinte, mais elles ne doivent pas franchir le seuil de ces
portes. Nous osons compter assez sur l’esprit d’équité qui doit animer les membres
de cette chambre, pour espérer qu’ici nous trouverons des hommes impartiaux, et
que nos propositions seules seront mises en cause.
La règle de stricte justice,
que j’invoque en faveur des défenseurs de l’opinion que je soutiens, je me
l’imposerai scrupuleusement à moi-même. Je m’expliquerai franchement et
librement sur le système que je combats, mais je m’interdirai avec soin toute
excursion sur le domaine d’intentions que je ne suis pas appelé à juger. C’est
une loi que je me suis faire et à laquelle je n’ai jamais dérogé
volontairement, ni dans les débats de vos sections, ni dans ceux de vos
assemblées auxquels j’ai pris part. Je tâcherai de ne pas la violer
aujourd’hui, et de ne vous faire entendre, le moins mal que je pourrai, que le
langage de la froide raison.
C’est avec la ferme volonté de
demeurer, pour ma part, fidèle à cette règle, que j'entreprendrai la défense du
rapport de la section centrale, et que j'essaierai d'établir que les motifs qui
nous ont guidés ne sont pas aussi mal fondés qu'on a bien voulu le prétendre.
La première réduction proposée
sur le chapitre actuel par la section centrale porte sur le traitements et
frais de l'inspecteur et de son commis. Peu de mots suffiront pour la justifier.
Une allocation de 1,500 fr. a paru suffisante pour des frais de bureau qui ne
sauraient être fort élevés. Quant au commis, la nécessité d'adjoindre cet
employé à l'inspection a paru plus que douteuse. Quelques notes à prendre
pendant l'inspection ne semblent pas exiger l’assistance d'un commis. Si la
tournée achevée, M. l’inspecteur a besoin d’un aide, ce travail ne peut occuper
un employé toute l'année, et il est facile de mettre temporairement à sa
disposition un des nombreux commis du ministère de l'intérieur.
Du reste, s’il est prouvé à
votre section centrale que son opinion est erronée, ses membres n'hésiteront
pas à allouer les fonds reconnus nécessaires ; mais encore faudra-t-il que M.
le ministre justifie mieux qu’il ne l'a fait au budget une dépense dont
l'utilité a déjà été contestée l’année dernière.
Un article plus important est
celui qui concerne les frais des trois universités ; ce n’est pas d'aujourd'hui
seulement, messieurs, que la partie du budget relative à cette dépense, a
soulevé les réflexions improbatives de toutes vos sections. Déjà, l'année
dernière, elles se sont récriées sur les grands frais occasionnes par un
enseignement universitaire aussi incomplet que le nôtre. Vous connaissez tous,
messieurs, l'arrêté du gouvernement provisoire qui a mutilé ces établissements.
Cet arrêté, s'il avait eu son plein effet, les aurait mis dans un état de
désorganisation complet en obligeant ceux qui les fréquentaient à errer d'une
ville à l'autre, pour pouvoir acheter leurs cours d'étude. La création de
facultés libres a paré à cet inconvénient ; mais on ne peut faire de fonds sur
ce moyen. Les cours ne sont pas assez suivis pour assurer aux professeurs un
sort tellement indépendant de tout traitement qu'on ait la certitude que des
hommes de mérite se présenteront au besoin pour remplir les chaires devenues
vacantes. Un état de choses aussi précaire ne peut durer, et cette branche de
l'instruction publique exige impérieusement une prompte réorganisation. Mais,
en attendant cette réorganisation, faut-il consacrer de nouvelles sommes à des
établissements en quelque sorte provisoire ? Il me semble, messieurs, que les
maintenir dans leur état actuel jusqu'à ce qu'il intervienne une nouvelle
législation que nous appelons de tous nos vieux et dont le retard ne saurait
nous être imputé, voilà, pour le moment, tout ce qu'il faut faire. Tel est le
motif assez plausible, au moins, qui a déterminé notre opinion. C'est
probablement ce même motif qui a porté, non la section centrale, mais une
section particulière, à demander qu'il ne soit plus pourvu aux chaires vacantes
: si cette opinion doit être prise dans le sens absolu que semble offrir
l'expression, je ne saurais la partager ; mais j'inviterai M. le ministre de
l'intérieur à préférer à tous autres, en cas de vacatures, les professeurs en
non-activité, afin de ne pas augmenter inutilement le personnel des
universités, qui se trouvera probablement trop nombreux si, comme semble le
faire présager l’opinion unanime de vos sections, on prend à l’époque de la réorganisation
le parti de ne conserver qu’une ou au plus deux universités. Il y a d’ailleurs
justice à replacer des hommes distingués par leur savoir dans une position
qu’ils n’ont pas mérité de perdre.
On a blâmé, messieurs, la
proposition de votre section centrale, tendant à supprimer l'allocation de
23,000 fr. pour les traitements des professeurs en non-activité. Vous nous
rendrez à tous, messieurs, la justice de croire que nous portons à ceux qui se
trouvent dans cette catégorie tout l’intérêt qu’ils méritent à si juste titre ;
mais malgré tout le désir que nous éprouvions de leur être favorables, nous
avons été forcés de reconnaître ici l’abus des traitements d’attente. Vous vous
rappellerez, messieurs, les réclamations qu’ont excitées ces sortes de traitements,
le refus par vous réitéré de les sanctionner en reconnaissant les droits des
pensionnaires et d’allouer autre chose qu’un simple secours aux nécessiteux ;
vous vous rappellerez la presque unanimité avec laquelle fut prise en
considération, il y a quelques jours seulement, la proposition de notre
honorable collègue M. d’Hoffschmidt, tendant à les supprimer tous à partir du
premier janvier prochain. Peut-être jugerez-vous à propos de faire une
exception dans le cas dont il s’agit : C'est une question que vous aurez à
décider ; mais vous reconnaîtrez qu’en présence des précédents que vous-mêmes
vous avez posés, votre section centrale a dû, sous peine d’inconséquence, vous
proposer des conclusions conformes à vos actes antérieurs. Quelle que soit, au surplus,
la résolution que vous preniez, il est un point sur lequel je crois l’avis de
la section centrale inattaquable, l’urgence de faire liquider les droits des
professeurs qui peuvent en avoir, soit à l’éméritat, soit à la pension.
L’article consacré aux frais
des athénées et collèges a partagé le sort du précédent. Comme ce dernier, il a
donné lieu aux observations critiques de toutes vos sections, une seule
exceptée. Votre section centrale l’a examiné avec toute l’attention que mérite
un objet aussi important ; et, après un scrupuleux examen, elle s’est rangée à
l’opinion presque unanime de vos sections particulières.
Deux faits constatés par elle
ont particulièrement influé sur ses déterminations.
Elle a reconnu que, depuis
1830, les dépenses consacrées à ce genre d’établissements ont pris une
extension considérable. Ce fait, messieurs, ne saurait être révoqué en doute ;
pour s'en convaincre, il suffit de comparer les chiffres. Il est demandé au
budget 111,980 fr., plus 8,550 fi., que M. le ministre nous a annoncé avoir
l’intention de demander par voie d’amendement. Total, 120,530 fr. La même
dépense, en 1830, ne coûtait à l’Etat, selon le rapport de la section centrale,
que 30,400 fl. Ici, messieurs je crois qu’il y a une légère erreur : elle
provient de ce qu’il n’a pas été tenu compte de subsides assez insignifiants
accordés dans les différentes provinces, sauf le Limbourg et Anvers qui
obtenaient 3,500 et 1,400 fl. ; ces subsides se réduisaient, par province, à
des sommes de deux ou trois cents florins. Je trouve portée, de ce chef, au
budget de 1830, une allocation de 74,000 fl. (156,000 et quelques francs,),
dont 36,825 fr. (77,000 et quelques francs) pour les provinces méridionales. Il
résulte de la comparaison de ces chiffres que
Votre section centrale, qui ne
recule pas devant une dépense utile, mais qui ne croit pas non plus devoir
fermer les yeux sur des prodigalités sans résultats, s’est demandé si, au prix
de ce surcroît assez considérable de dépenses, on avait obtenu une extension
correspondante dans les moyens d’instruction offerts à la société. Messieurs,
quelles que soient les réclamations que notre franchise pourra exciter de la
part de l’administration et des parties intéressées, il faut bien parler sans
détour, et vous dire qu’à nos yeux la négative est chose démontrée. Aucun
nouvel établissement, si ce n’est celui de Dinant, ne s’est formé au moyen des
43,000 fr. dont cet article a été majoré depuis 1830. Tous ceux qui figurent
maintenant au budget existaient alors comme aujourd’hui ; et, si l’on excepte
l’athénée de Bruxelles que je verrais avec plaisir substituer au lieu et place
de l’athénée de Luxembourg, l’état de l’instruction n’offre que peu ou point
d’améliorations. Sans doute, depuis la révolution, l’enseignement qui se donne
dans les collèges a pris beaucoup d’extension en Belgique ; mais ce n’est pas
au concours du gouvernement qu’il faut attribuer ce résultat : c’est à
l’émancipation de l'enseignement qui a permis d’ériger de nombreux établissements,
et d’y ouvrir des cours réservés jadis aux universités et athénées. Ces
nouvelles institutions n’ont reçu ni demandé aucun subside sur les fonds de
l’Etat ; celles qui grossissent le budget sont presque toutes demeurées
stationnaires : d'où je conclus à bon droit, ce me semble, que le même objet
qui nous coûtait en 1830 77,000 fr., nous en coûte en 1833 120,000, sans
qu’aucun résultat utile vienne compenser cette augmentation de chargea.
Cet état de choses reconnu,
votre section centrale, examinant l’allocation en elle-même, a pensé qu'il y
avait à lui faire trois reproches principaux.
D’abord, elle n’incombe pas au
trésor, du moins en grande partie. A l’époque de notre révolution, l’Etat ne
possédait d’autres établissements d’enseignement moyen que les athénées de
Tournay, Namur et Luxembourg, lesquels étaient à la charge du trésor public
jusqu’à concurrence des deux tiers de leurs dépenses. Ces frais étaient évalués
à une somme fixe de 9,000 fl., le surplus demeurant à charge des villes. Les
collèges de Bruxelles et de Bruges, quoique décorés du nom d’athénées, n’en
avaient que le titre honorifique et étaient, comme ceux de Gand, de Liége et
autres, des établissements purement communaux. Sauf l’allocation de 27,000 fl.,
affectée aux trois athénées susmentionnés, le gouvernement ne s’était imposé
aucune obligation de ce chef, et, en règle générale, il n’entrait point dans
les frais des collèges communaux. Seulement un secours de 3.400 fl., selon la
section centrale, et de 9,000 fl., selon moi, était alloué à un petit nombre
d’établissements, non comme subside annuel ordinaire, ainsi que le fait le
gouvernement actuel, mais comme subside extraordinaire et essentiellement
temporaire. Tous les autres collèges communaux et, parmi eux, la plupart de
ceux qui sont actuellement subsidiés par l’Etat, étaient, comme ils devaient
l'être, entièrement à la charge des communes.
Cet état de choses n’a point
varié depuis la révolution. L’Etat n’a contracté aucun nouvel engagement envers
les communes, qui demeurent, comme auparavant, seules chargées des frais de
leurs collèges. Que si l'intérêt de la conservation de quelques établissements
utiles réclame en effet des secours, encore faudrait-il que ce fût non M.
l’administrateur, mais la législature qui les accordât dans ces cas et
exceptionnels, sur la demande dûment justifiée du ministère, tandis
qu’actuellement on donne à pleines mains sans contrôle et sans pouvoir nous
donner d’autres motifs de cette dépense que des promesses faites par un
fonctionnaire qui n’a ni le droit d’en faire, ni celui d’engager l’Etat.
En second lieu, cette
allocation est inégalement et arbitrairement répartie.
Je viens de vous rappeler,
messieurs, qu’elle se fait, non pour cause de besoins reconnus et vérifiés par
la législature, mais uniquement en vertu du bon plaisir de M. l’administrateur
qui distribue ses fonds comme il l’entend, à tort et à travers. Les besoins de
la plupart des villes portées au tableau sont loin d’être constatés ; il en est
même plusieurs qu'on peut s’étonner à bon droit d'y voir figurer ; par contre,
il est des provinces entières qui n’ont aucune part à cette allocation ou qui
n’en obtiennent qu’une absolument insignifiante. Parmi celles qui se trouvent
dans cette dernière catégorie, je signalerai en particulier la province de
Luxembourg qui ne figure au budget que pour la somme bien minime de 2,000
francs. Si l'on considère que, par la nature de ses localités, cette province
est une de celles qui éprouvent le plus de besoins de ce genre ; si l'on
considère que, par l'effet de la révolution, elle a perdu son athénée qui dans
le fait n'existe plus pour elle, on trouvera que M. l'administrateur pouvait
lui faire une part plus équitable dans la distribution des larges subsides dont
il vient chaque année majorer notre budget, et l'on conviendra, je pense, que
nous sommes fondés à blâmer l'inégalité d'une pareille répartition. Il n'est
presque aucune ville qui n'ait autant ou même plus de titres à l'obtention de
pareils secours que plusieurs des localités qui en jouissent. Il est vrai que
M. l'administrateur ne se montre pas avare des fonds mis à sa disposition, et
que, pour les obtenir, il suffit de les demander. Si ce qu'on m'en a dit est
exact, il paraît même que son zèle n'attend pas toujours qu'on vienne
solliciter des subsides qu'il offre à tout venant.
Si je dois en croire ce qu'on
m'a donné pour certain, M. l'administrateur fit, il y a quelque temps, à la
ville de Liége, l'offre spontanée d’un subside si peu nécessaire, que le
bourgmestre répondit que si le gouvernement voulait acheter par là un droit
quelconque sur la direction du collège, il le refusait. Malgré cette réponse,
qui prouvait jusqu'à l'évidence que la ville pouvait s'en passer, le subside
n’en fut pas moins alloué et accepté, comme de raison. Certes, je suis loin de
blâmer M. le bourgmestre de Liége. Je le loue, au contraire, d'avoir agi dans
l'intérêt de sa ville, n’agréant les petits cadeaux qu'on lui offrait ; je le
loue encore d'avoir connu et fait respecter les droits de la régence. Mais que
penser, messieurs, de l'économie d'un administrateur qui jette les fonds de
l'Etat à la tête de celui qui n'en a pas besoin, pourvu qu'on veuille bien lui
faire la grâce de les accepter ?
Je sais, messieurs, ainsi
qu’on me le répondra peut-être, que la véritable économie consiste dans le
retranchement de dépenses superflues, dans l’ajournement de celles qui ne sont
pas urgentes, et non dans la suppression des dépenses utiles. Je suis autant
que personne d’entre vous persuadé que la lésinerie en fait d’instruction publique,
lorsqu’on a d’ailleurs la certitude du bon emploi des fonds, n’est autre chose
qu’une déplorable erreur ; mais il ne suffit pas à mes yeux d’être libéral, il
faut encore être juste. Or, je le demande à tous ceux d’entre vous qui sont
désintéressés dans la question ou qui savent se mettre au-dessus de l’esprit de
localité, la justice distributive est-elle bien rigoureusement observée dans la
répartition des sommes qui nous sont demandées ? Les communes les moins
moyennées sont-elles les mieux rétribuées ? Les provinces les plus avantagées
sont-elles bien celles qui ont le moins de ressources et le plus de besoins ?
Jetez, messieurs, un regard sur la liste et répondez-moi.
Je crois, messieurs, qu’il est
temps de mettre ordre à cet abus et qu’il ne faut pas le laisser invétérer
davantage. Votre section centrale vous propose un moyen que je crois très
propre à extirper le mal dans sa racine. Elle vous propose de rejeter dès à
présent la majoration ultérieure et de vous borner, à partir de 1834, à voter uniquement
les fonds alloués par l’arrête organique de 1817 aux établissements de l’Etat,
jusqu’à ce qu’il soit intervenu une loi à cet égard. J’ajoute ces derniers mots
non sans dessein, car je vous prie de bien remarquer qu’aucun de nous n’a nié
la convenance ni même la nécessité de faire au budget un fonds destiné à aider
les communes peu moyennées qui ne pourraient réellement supporter la totalité
des frais occasionnés par leurs collèges ; seulement, nous demandons que
la collation de ces subsides et les conditions mises à leur obtention soient
enfin réglées, aux termes de la constitution, non par le caprice d’un seul
homme, mais par la loi.
Si vous n’adoptez pas ce
parti, messieurs, si vous préférez des palliatifs plus doux, il ne vous reste
que deux moyens de concilier l’état de choses actuel avec les règles de la
justice distributive. Le premier, c’est, en rejetant dès à présent toute
majoration, de n’allouer au budget futur des subsides qu’aux villes dont les
besoins vous seront clairement prouvés. Dans ce cas, si la loi sur
l’instruction ne règle pas encore cette matière d’une manière constitutionnelle
et définitive, au moins l’injustice de la répartition actuelle aura disparu et
les villes non subsidiées ne pourront plus se plaindre puisque après tout vous
ne leur devez rien, et que vous aurez mis à l’obtention de vos faveurs une
condition équitable, celle d’un besoin constaté.
Le second moyen que je suis
loin de vouloir vous conseiller, mais qui me paraît rigoureusement juste, si
vous vouliez continuer à accorder, comme par le passé, des fonds à toutes les
communes qui en demandent, sans vérifier au préalable la réalité de leurs
besoins, ce serait de faire au budget un fonds commun auquel seraient appelées
à prendre part, selon une proportion équitable, toutes les villes qui possèdent
des collèges ou qui voudraient en établir par la suite. Peut-être est-ce là le
but auquel tend M. l’administrateur pour des raisons à lui connues et qu’il
n’est pas très difficile de deviner. Par ce moyen, sinon les principes
constitutionnels, au moins la justice serait sauvée. Mais, si un pareil système
venait à prévaloir, je ne sais trop à quoi servirait la distinction entre les
dépenses de l’Etat et les dépenses provinciales et communales, ni par quels
motifs on obligerait le trésor, qui ne doit rien aux communes que lorsque leurs
ressources sont trouvées insuffisantes, à prendre à sa charge une partie de
leurs dépenses lors même qu’elles sont à même de les couvrir.
Enfin, messieurs, un troisième
reproche fait à l’allocation demandée, c’est qu’elle a lieu d’une manière assez
peu constitutionnelle.
La constitution dit
formellement que l’enseignement donné aux frais de l’Etat est réglé par la loi,
et cependant il n’y a ici d’autre loi que la volonté d’un seul homme qui
distribue ses fonds à qui il lui plaît, et sous les conditions qu’il juge
convenable de dicter. J’ignore si c’est bien précisément là ce qu’a voulu le
congrès lorsqu’il a décrété cet article de la constitution. Je n’ignore pas,
messieurs, qu’ici l’on peut me faire une objection et me dire que cet article
s’applique aux établissements de l’Etat et non aux établissements communaux,
auxquels on juge convenable d’allouer sur le trésor un simple secours, dépense
aussi facultative que celle portée au chap. XVI du présent budget. Je ne nie
point la force de l’objection. Qui plus est, je vous dirai que c’est assez mon
avis, et si le gouvernement se bornait à aider de ses fonds les villes qui en
ont réellement besoin, en leur laissant la direction des maisons qu’elles ont fondées
et qu’elles soutiennent pour la plus grande partie à leurs propres frais, je
trouverais tout simple que cette dépense ne fût envisagée que comme un secours
rentrant dans la catégorie de ceux qui sont prévus au chap. XVI, et pour lequel
il suffirait d’un article du budget.
Mais il faut prendre garde,
messieurs, que, quelque minime que soit le subside accordé, le gouvernement en
prend prétexte pour s’arroger la direction de l’enseignement et la nomination
des professeurs. Dès lors, ce n’est plus un enseignement communal subsidié par
l’Etat, c’est un enseignement donné par l’Etat aux frais des communes ; et du
moment que vous mettez des conditions à l’obtention de vos subsides, du moment
que vous introduisez dans l’enseignement l’action du gouvernement, je maintiens
que ces conditions, que cette action ne peuvent, aux termes de notre pacte
fondamental, être réglées par le pouvoir exécutif, qu’elles ne peuvent l’être
que par la loi.
Une objection faite au rapport
de la section centrale consiste à dire qu’en attendant cette loi, les collèges
dont il s’agit viendront à tomber. Les villes, dit-on, privées des secours du
trésor, se refuseront à les entretenir plus longtemps, et le gouvernement
actuel ne possède pas, comme celui des Pays-Bas, le moyen de les y forcer.
Messieurs, je n’en crois rien. Les villes qui ont érigé des collèges, l’ont
fait sans doute parce qu’elles en ont senti la nécessité. Elles supportent
encore, pour la plupart, la presque totalité des frais, et ce n’est pas pour un
surcroît de dépenses de 1,000 à 3,000 fr. pour chacune d’elles, qu’elles
renonceront à des institutions qu’elles ont jugées nécessaires. J’ai tort de
dire un surcroît, cas il y a fort peu de temps encore que la plupart d’entre
elles supportaient entièrement ces frais ; de plus je remarquerai en passant
que les plus forts subsides, les seuls qui dépassent 2,500 fr., ont précisément
été donnés à des villes qui ne doivent pas être embarrassées des moyens de
couvrir une pareille dépense. Quant aux moyens coercitifs, le gouvernement
précédent, pas plus que celui-ci, n’avait aucun moyen légal, bien entendu, de
forcer une ville à créer ou à maintenir un collège, ou, s’il le prétendait, au
moins n’en faisait-il pas usage, à telles enseignes que je pourrais vous citer
le trop fameux Van Ewyck, qui jugea prudent de se
rendre, bien malgré lui, au désir de la régence de Gand qui l’avait menacé, en
cas de refus, de supprimer immédiatement son collège.
L’existence de ces
établissements ne sera donc ni plus ni moins assurée qu’elle ne l’était à une
époque encore peu éloignée ; je vous ferai d’ailleurs observer que la section
centrale ne vous propose pas la suppression immédiate des subsides ; cet avis
n’a point obtenu de majorité, et nos conclusions à l’allocation de la somme
votée l’année dernière. L’état actuel de ces collèges est assuré jusqu’au 1er
janvier, et d’ici là il y a plus de temps qu’il n’en faut pour proposer et nous
proposer un projet de loi sur l’instruction publique.
L’avis dont je viens de vous
parler, tendant à réduise aux trois quarts la somme votée en 1832, et par
conséquent à cesser immédiatement toute allocation ultérieure aux
établissements autres que ceux de l’Etat, a été vivement débattue au sein de
votre section centrale et l’a partagée en deux fractions égales. Cette
proposition, à laquelle je me suis déjà opposé dans la section centrale, ne
saurait obtenir mon assentiment, elle aurait pour effet de jeter dans de graves
embarras les administrations locales, qui, comptant sur la continuation de ces
subsides, ont naturellement réglé leurs budgets en conséquence pour l’année
courante ; ce motif, qui me paraît sans réplique, me portera à rejeter cette
proposition si elle est représentée.
Je passe, messieurs, au
secours dit : « Indemnités aux professeurs démissionnaires dans les
athénées et collèges. » Il n’y a, à mes yeux, aucune raison ni de
l’augmenter ni de le continuer d’année en année. Les professeurs dont il est
question n’ont jamais été employés par l’Etat, ils ne l’on été que par les
communes ; c’est donc auprès des communes qu’ils ont à faire valoir leurs
droits, si tant y a qu’ils aient des droits ; aussi, n’est-ce point à titre de
pensions, mais uniquement à titre de secours que l’année dernière la chambre,
sur la proposition d’un de ses membres, alloua pour cet objet une somme de
5,000 fl. En votant cette somme, elle avait en vue de mettre ces personnes à
même de se procurer de nouvelles places et d’assurer entre-temps leur existence
; elle a entendu faire un acte d’humanité, mais jamais, je pense, elle n’a eu l’idée
de leur accorder des pensions qui ne leur sont pas dues par l’Etat. Si, depuis
dix-huit mois, ceux qui en jouissent n’ont pu trouver à se replacer dans les
nombreuses institutions particulières ou autres qui se sont élevées et
s’élèvent encore tous les jours, ou s’ils n’ont cherché ni à reprendre leur
anciennes carrière ni à se procurer d’autres moyens d’existence, ce n’est pas
au trésor à payer les frais de leur médiocrité ou de leur incurie. Votre
section centrale a cru toutefois que, l’année étant aussi avancée, il y aurait
dureté à leur refuser dès à présent ce subside ; je partage cet avis et je
voterai la somme demandée ; mais, comme il est dit au rapport, sans majoration
et pour la dernière fois.
La section centrale, fidèle à
son système de maintenir les dépenses sur le pied de l’année dernière, n’a fait
aucune difficulté d’allouer le crédit demandé pour les traitements des
instituteurs primaires, crédit qui n’offre qu’une augmentation absolument
insignifiante. Quant aux majorations formant deux articles de dépenses
nouveaux, elle réduit à moitié la somme demandée pour subsides matériels et
rejette celle qui est destinée à être employée en secours à quelques
instituteurs qui n’y ont aucun droit.
Je partage son avis sur cette
dernière majoration, qui comprend une dépense purement communale ; mais je
regrette que l’époque avancée de l’année me force de rejeter la première qui me
paraît, à tous égards, une des dépenses les plus utiles qu’on puisse faire en
faveur de l’instruction primaire.
Les griefs reprochés à
l’allocation demandée pour les athénées et collèges peuvent s’appliquer
également à celle dont il est question. Je ne sais même trop jusqu’à quel point
il convient que le gouvernement, qui n’a point ou fort peu d’écoles primaires, paie
les instituteurs communaux, à moins que l’insuffisance des moyens des communes
qui réclament de pareils secours n’ait été préalablement constatée. Encore une
fois, il faudrait ici l’intervention de la loi et un examen sérieux de la
répartition de ces subsides.
Je vous ai dit, messieurs, que
je regardais les fonds employés en subsides matériels comme une des dépenses
les mieux entendues que l’on puisse faire en faveur de l’instruction primaire.
Je crois même que cette dépense est plus réellement utile que celle qui est
consacrée aux traitements des instituteurs. Trop souvent ces traitements sont
accordés à la faveur ou à des recommandations quelquefois peu méritées. Plus
souvent encore celui qui obtient le subside se contente de le manger et n’en
fait ni plus ni moins ; en sorte que la dépense profite à l’instituteur et non
à l’instruction.
Au contraire, la somme
demandée pour subsides matériels ne saurait être qu’utilement employée. Elle
n’est accordée que sur les demandes des régences, appuyées par les états-députés,
et par conséquent dans des cas de nécessité ou d’utilité bien constatés. Point
d’abus donc à craindre dans la répartition. Cette somme est consacrée à la
construction, à la réparation, à l’ameublement de maisons d’écoles. Elle
profite directement à l’amélioration de l’enseignement, et ceux d’entre vous,
messieurs, qui connaissent les communes rurales, savent combien les besoins de
ce genre sont nombreux. Aussi je ne balancerai pas à allouer la somme demandée
et même une somme plus considérable, si cette dépense devait s’effectuer sur
l’exercice prochain. Mais, à l’époque actuelle, il est fort douteux que des
constructions puissent encore se faire cette année ; quelques dépenses
d’ameublement seront seules possibles, et je crois que la moitié de
l’allocation proposée pour l’année entière sera plus que suffisante pour le
dernier trimestre. Par ce motif, je voterai pour les 50,000 fr. proposés par la
section centrale.
Je terminerai, messieurs, les
différentes réflexions que j’ai eu l’honneur de vous présenter sur le chapitre
actuel du budget par une considération que je crois utile de vous soumettre et
qui servira de conclusion à tout ce que j’ai eu l’honneur de vous dire
relativement à l’instruction publique. Non seulement les abus qui vous ont été
signalés dans l’emploi des fonds consacrés à l’enseignement, abus qu’avec
beaucoup d’indulgence on ne saurait se dissimuler entièrement, mais l’état
d’une partie de l’enseignement lui-même, réclament instamment la présentation
d’une loi sur cette matière. Les établissements particuliers d’instruction
moyenne et primaire sont nombreux et florissants ; mais ceux des communes,
ballottés entre les autorités municipales et l’administration ne savent de qui
ils doivent dépendre et attendent vainement qu’on fixe leur sort. Nos
universités sont désorganisées ; des facultés entières n’existent plus aux yeux
du gouvernement et ne tiennent qu’au zèle individuel de quelques personnes. Les
professeurs sont incertains de leur avenir, et tout languit dans un provisoire
désespérant qui tue l’émulation et arrête toute impulsion progressive
quelconque. Nous n’avons d’écoles, ni militaire, ni polytechnique, ni des arts
et métiers, ni vétérinaire. Une foule d’autres institutions nous manquent ou
doivent être réorganisées.
Cette loi, voulue par la
constitution, promise depuis un an, devient de jour en jour plus nécessaire.
Mais qu’importe, pourvu que M. l’administrateur ait le temps de recouvrer le
terrain perdu depuis la révolution ? Peut-être il vaut mieux attendre qu’il ait
le temps d’envelopper dans ses filets la presque totalité des établissements
communaux, et d’acheter, au moyen de ses subsides, les prérogatives dont
l’ancien gouvernement s’emparait avec plus de franchise, afin qu’à l’époque où
la nouvelle législation nous sera présentée, il n’y ait plus qu’à convertir en
droit ce qui existera en fait ; messieurs, cette raison est une de celles qui,
à mes yeux, exigent le plus de promptes dispositions législatives.
Le
gouvernement doit-il avoir une action quelconque sur les établissements des
communes ? En cas d’affirmative, jusqu’où doit s’étendre cette action ? Quelles
seront les conditions mises à l’obtention des subsides ? Toutes ces questions,
messieurs, sont de la plus haute importance et trouveront leur place dans la discussion
de la loi sur l’enseignement. Je ne crois pas qu’il y ait lieu d’émettre
aujourd’hui aucune opinion à cet égard ; seulement, je dirai que c’est au
pouvoir législatif à les décider, et qu’il n’appartient pas à M.
l’administrateur de les préjuger ni de s’emparer de droits que la loi ne lui a
pas conférés.
Messieurs, dans une discussion
précédente, également relative à l’instruction publique, je vous disais qu’à
mon avis le gouvernement pouvait et devait faire beaucoup pour propager
l’instruction. Cette opinion est encore la mienne ; mais c’est précisément
parce que je veux qu’il fasse beaucoup et surtout qu’il fasse bien, que je
m’élève contre un système qui impose au trésor de grandes charges pour de très
minces résultats, et que je demande avec instance une loi qui mette fin à
l’état incertain dans lequel se trouvent les établissements des communes ; une
loi qui nous procure un enseignement universitaire et scientifique complet et
digne d’un pays qui a produit, dans tous les temps, des hommes recommandables
dans toutes les branches des connaissances humaines.
M. d’Hoffschmidt. - Messieurs, la scission qui malheureusement
existe entre les opinions sur 1a question qui nous occupe, me fait craindre que
notre pays n’attende encore longtemps avant d’être doté d’une bonne loi sur
l’instruction publique ; il est évident aujourd’hui que cette époque sera
reculée, autant que possible par ceux qui veulent s’emparer dans les campagnes
du monopole de cette partie, la plus importante d’un Etat.
En attendant, l’instruction
moyenne et primaire, qui est celle de la masse, est à peu près abandonnée
depuis la révolution, quoi qu’en ait dit notre honorable collègue M. Dumortier
dans la séance de mercredi dernier, et la nouvelle génération qui s’élève,
grandit dans l’ignorance et se laisse inculquer tous les préjugés qui en sont
les conséquences.
Dans cet état de choses, qui
pourrait avoir les suites les plus funestes pour l’avenir, nous devons
chercher, autant qu’il dépend de nous, à arrêter les progrès du mal ; et, selon
moi, un des meilleurs moyens d’y parvenir, c’est celui d’accorder des fonds
suffisamment au gouvernement pour qu’il puisse (tout en respectant la liberté
de l’instruction garantie par notre pacte constitutionnel) protéger cette
instruction, l’organiser même sous sa surveillance.
Ce mot de surveillance ne
réveillera sans doute pas, comme celui d’influence, prononcé sur la même
question dans l’une de nos dernières séances la susceptibilité, les craintes de
ceux qui redoutent tout espèce de concurrence dans l’exploitation d’une partie
qu’ils considèrent, à juste titre, comme la base de tout édifice social. Dès
que l’instruction se donne aux frais de la nation, une surveillance est
indispensable, et cette surveillance, messieurs, ne peut appartenir qu’au
gouvernement, qui doit écarter franchement toute autre influence.
Telle est, messieurs, mon
opinion ; je ne l’ai émise qu’en termes généraux, parce qu’il ne me reste rien
à ajouter à ce que viennent de dire nos honorables collègues MM. Ernst et
Fallon, qui ont traité cette question importante d’une manière tout à fait
victorieuse, sans avoir, comme vient de le dire le préopinant, interprété
faussement le rapport de la section centrale. Je passe donc aux détails du
budget.
Quoique je sois grand partisan
des économies que notre état financier réclame si impérieusement, je m’oppose
fortement aux réductions proposées par la section centrale aux articles 3 et 5
du chapitre que nous discutons ; je voudrais, au contraire, voir doubler, tripler
même le montant des allocations qui nous sont demandées pour l’instruction
publique dans les provinces et surtout pour l’instruction primaire, afin que le
plus grand nombre possible de nos communes rurales puissent avoir des
instituteurs salariés aux frais de l’Etat.
Ceux d’entre vous, messieurs,
qui habitent la campagne, doivent être frappés de la différence qui existe dans
l’instruction entre les communes qui ont obtenu un subside pour leurs
instituteurs, et celles qui sont privées de cet avantage ; dans les unes l’on
voit croître une jeunesse qui possède au moins l’instruction indispensable
aujourd’hui, tandis que dans la majeure partie des autres, la plus grande
ignorance règne.
Cette différence se fait
surtout sentir dans la province de Luxembourg, parce que dans cette pauvre
contrée, plus qu’ailleurs, des subsides sont nécessaires, si l’on veut y voir
fleurir l’instruction ; cependant, messieurs, c’est précisément, comme vient de
le dire notre honorable collègue M. Dellafaille, dans cette province que l’on
en accorde le moins.
Sur une allocation de 111,980
fr. demandée pour les athénées et collèges, elle n’y est comprise que pour une
somme de 2,117 fr. destinée au collège de Bouillon, et sur 615 instituteurs
primaires elle n’en a que 47, tandis que la province de Namur, par exemple, qui
n’a pas plus du tiers de l’étendue du Luxembourg, est comprise au budget pour
une allocation de 24,371 fr. pour les athénées de Namur et de Dinant, et a en
outre 91 instituteurs primaires.
L’on me répondra peut-être ici
comme en section, que la province de Luxembourg étant pauvre ne rapporte pas à
l’Etat à proportion de son étendue, et que par conséquent l’injustice que je
signale n’est pas aussi criante que je la représente ; mais, messieurs, est-ce
parce qu’un pays est dénué de ressources qu’il faut laisser croupir ses
habitants dans un état d’ignorance qui ne leur permettrait jamais de sortir de
la position malheureuse où ils se trouvent ?
Ce ne
peut être là ni les sentiments de la chambre, ni ceux du gouvernement qui ne
devrait pas laisser subsister plus longtemps une disproportion aussi injuste
que choquante ; si c’est la faute de l’autorité provinciale que le Luxembourg
soit aussi mal réparti, quant aux instituteurs primaires, que le ministre
stimule cette autorité en lui rappelant que c’est à elle à faire valoir les
droits et les besoins de ses administrés.
Que le ministre fasse plus,
qu’il demande une majoration de crédit pour établir la justice distributive
entre toutes les provinces, et la chambre y donnera, je n’en doute pas, son
assentiment ; car elle veut que non seulement les charges soient réparties avec
équité, mais elle veut aussi que les avantages le soient sur les mêmes bases.
C’est parce que je voudrais voir établir cette justice distributive, messieurs,
que je ne proposerai pas d’amendement en faveur de la province de Luxembourg,
parce qu’elle n’est pas la seule qui soit mal répartie ; et M. le ministre peut
mieux que personne faire une proposition qui aurait pour but la juste
répartition que je sollicite. C’est pourquoi je l’engage à faire cette
proposition, qui sans doute est bien conforme à ses principes.
M. Thienpont. - Messieurs, si la majoration que je remarque
dans ce chapitre, comparativement au chiffre alloué l’année dernière, n’était
qu’un crédit éventuel dont il ne dût être disposé avant qu’une loi ait réglé
l’instruction à donner aux frais de l’Etat ; si enfin il était question du
budget de 1834, je n’aurais rien à y redire, et dans l’espoir que cette loi pourrait
régulariser ce crédit, je voterais avec empressement cette allocation.
Mais puisqu’il s’agit de fixer
les dépenses d’un exercice dont les trois quarts sont écoulés, et qu’il est de
toute impossibilité que cette loi soit portée ou au moins puisse être mise à
exécution avant qu’il soit totalement expiré ; que partant le ministère doit
avoir en vue d’user immédiatement de tout ce crédit, je ne puis y donner mon
assentiment ; j’y vois une violation formelle de la constitution.
L’article 17 porte :
« L’enseignement est libre. Toute mesure préventive est interdite. La
répression des délits n’est réglée que par la loi.
« L’instruction publique,
donnée aux frais de l’Etat, est également réglée par la loi. »
Cet article contient deux
dispositions bien distinctes : il divise évidemment l’enseignement en deux
catégories. Dans la première doivent être rangés tous les établissements
d’instruction érigés, soit par des particuliers, soit par des villes ou
communes.
La seconde comprend ceux
érigés ou à ériger par le gouvernement.
D’après la première
disposition, il est loisible à chacun d’ouvrir des établissements d’instruction
publique de telle manière et sous telle dénomination qu’il le juge à propos.
Tous sont placés sur la même ligne, tous ont droit à la même protection ; mais
aussi aucun ne peut être favorisé ni privilégié de quelque manière que ce soit.
Une concurrence absolue doit leur être laissée : la confiance qu’ils
inspireront doit être leur seul soutien.
Le
gouvernement est également en droit, aux termes de la seconde disposition de
cet article, d’ériger de pareils établissements aux frais de l’Etat ; mais il
faut au préalable que la loi en ait fixé le nombre, ait désigné les localités,
déterminé le mode et réglé les diverses branches d’instruction. Or, cette loi
n’existe pas ; il est certain qu’elle ne sera pas portée pendant cette session,
que probablement même elle ne le sera pas de toute cette année ; il ne peut
donc y avoir matière à allouer la majoration demandée.
Je dis, messieurs, la
majoration, parce que je conçois que le ministre, d’après le crédit alloué dans
les années précédentes, a pu se croire autoriser à continuer à certains
établissements, pendant l’année scolaire qui vient de s’écouler, le subsiste
dont jusqu’ici ils avaient joui. Je voterai donc pour le chiffre alloué l’année
dernière, réduit néanmoins aux trois quarts, attendu qu’une nouvelle année
scolaire recommence avec le quatrième trimestre du présent exercice, et que je
ne puis donner mon assentiment à une prolongation de dépense que j’envisage
jusqu’à présent comme illégale. Je dois déclarer en même temps que je
m’opposerai à toute allocation ultérieure à pareil titre, aussi longtemps que
la seconde partie de l’art. 17 de la constitution n’aura pas reçu son exécution.
M. d’Huart. - Je n’entreprendrai pas de faire valoir les
considérations d’ordre supérieur qui concourent pour rendre l’instruction
publique digne de votre sollicitude et pour réclamer de la part de la
législature les moyens de la répandre dans toutes les classes de la société.
Ces considérations, bien senties par chacun de vous, viennent d’être
développées avec trop d’éloquence par plusieurs honorables préopinants, pour
que j’essaie d’y ajouter quelque chose.
Ce dont mon devoir m’impose
l’obligation de vous entretenir aujourd’hui, c’est de la véritable question du
budget, c’est-à-dire des chiffres.
Lorsque la chambre discuta
l’année dernière les dépenses de l’instruction publique portées au budget de
1832, je m’élevai avec force contre leur inégale répartition : je fis remarquer
que la province de Luxembourg ne recevrait pas un centime sur le subside
proposé pour les athénées et les collèges, et qu’au lieu de l’en dédommager
dans les distribution du subside pour l’instruction primaire, elle n’y était
portée que pour une des plus faibles sommes. A cette occasion, je présentai un
amendement tendant à majorer de 3,647 fl. L’allocation proposée pour le
Luxembourg, c’est-à-dire de la porter seulement au taux de la province de
Namur, beaucoup moins populeuse et plus riche, et qui avait l’avantage de
recevoir en outre une somme de 10,515 fl. sur le subside en faveur de
l’instruction moyenne.
Les motifs de cet amendement,
fondés sur la justice distributive, étaient irrécusables ; aussi n’eût-il pas
manqué d’être admis par l’assemblée ; cependant, ayant cédé de bonne foi à la
déclaration formelle de M. le ministre de l'intérieur que, sans rien changer à
ses propositions, il aurait le moyen de donner à la province de Luxembourg une
juste part des libéralités du budget, je retirai mon amendement dont le but me
paraissait assuré par la promesse du ministre.
Hé bien, messieurs, loin
d’avoir accordé au Luxembourg le supplément que je réclamais alors et qui,
comme je viens de le dire, me fut formellement promis par le gouvernement,
cette province n’a pas même reçu le montant de l’allocation de 8,703 fl. portée
dénominativement pour elle au budget ; il résulte de
renseignements positifs que j’ai obtenus à la cour des comptes, qu’elle n’a
reçu jusqu’à ce jour que 13,834 fr. 39 c., c’est-à-dire 4,584 fr. 64 c. de
moins que l’allocation qui avait été reconnue insuffisante par M. le ministre
de l'intérieur lui-même. Il résulte aussi de ce que je viens de dire que sur
l’exercice 1832 la province à laquelle j’appartiens, outre qu’elle n’a pas reçu
une obole sur le crédit de 40,315 florins alloué pour les athénées et collèges,
n’a obtenu qu’environ le seizième du crédit alloué pour l’instruction primaire
des neuf provinces du royaume.
Voulant m’élever de nouveau
cette année contre l’inégalité des propositions du budget, j’ai cru convenable
de vous faire connaître ce qui précède ; il me semble en effet que rien ne
saurait être plus concluant pour l’adoption des amendements que j’aurai
l’honneur de vous proposer.
Dans le budget qui vous est
soumis en ce moment on vous propose d’accorder un subside de 111,980 fr. 49 c.
pour les athénées et les collèges dans lequel la province de Luxembourg ne
figure que pour la faible somme de 2,117 fr. destinée au collège de Bouillon ;
je sais que l’intention du gouvernement est de vous demander en outre 2,500 fr.
pour l’établissement d’un collège à Arlon ; il y aurait donc en tout 4,617 fr.
; mais serait-ce bien là toute la part à laquelle le Luxembourg aurait droit de
prétendre ?
Vous vous rappellerez que,
dans une pétition adressée à la chambre par toute les administrations
communales du canton de Virton, il vous a été demandé un subside en faveur du
collège de cette ville ; cette pétition, renvoyée à la section centrale chargée
de l’examen du budget du département de l’intérieur, n’a pas obtenu succès
auprès de cette section, parce que, la majorité ayant résolu de n’allouer cette
année aucun nouveau subside, la demande s’est trouvée ainsi écartée par un
principe général. Mais, persuadé que la chambre ne partagera pas l’avis de la
section centrale sur ce point, et qu’elle reconnaîtra qu’il y aurait injustice
à continuer seulement les secours aux établissements qui en ont obtenu jusqu’à
ce jour et à en refuser à ceux qui en réclament et qui en ont le plus grand
besoin, je reproduis ici la demande des administrations municipales du canton
de Virton, et je vous soumettrai la proposition formelle d’accorder un subside
au collège de cette ville, qui rend les plus éminents services à la contrée où
il se trouve, et qui, subsidié par l’Etat, serait mis en situation d’en rendre
de bien plus grands encore parce qu’il aurait ainsi les ressources qui lui
manquent pour améliorer et étendre davantage les moyens d’instruction ; le
secours que je réclamerai pour ce collège, lorsque nous voterons sur les
détails, sera de 2,000 fr.
De cette manière et en
admettant les allocations proposées en faveur des collèges de Bouillon et
d’Arlon, la province de Luxembourg serait à la vérité encore loin d’avoir sa
part du budget puisqu’elle n’obtiendrait que 6,617 fr. sur 116,480 fr. 49 c.,
c’est-à-dire le dix-huitième ; mais, au moins, ce serait un commencement de
réparation d’une criante injustice.
Les considérations d’équité
que je viens de vous soumettre sont trop fondées pour que je doute un instant
du bon accueil que vous ferez aux amendements que j’aurai l’honneur de vous
présenter. Je pourrais ajouter de puissantes raisons de convenance et
d’humanité, ; mais vous ne les ignorez pas ; vous savez tous que le sol stérile
du Luxembourg, loin de procurer aux habitants de cette province l’aisance dont
jouissent leurs concitoyens des autres provinces largement favorisées de la
nature, ne leur fournit les moyens d’exister que par un travail continuel et
pénible ; leur situation mérite donc toute la sollicitude des représentants de
la nation ; or, quel moyen plus efficace d’améliorer leur sort qu’en répandant
chez eux le bienfait de l’instruction ?
Messieurs, j’ai eu l’honneur
de vous signaler, en commençant, l’inégale répartition qui a eu lieu, pour
1832, des subsides en faveur de l’instruction primaire. On vous propose de
consacrer encore la même chose cette année ; je déclare de nouveau que je m’y
opposerai de toutes mes forces, et lorsque nous serons arrivés à l’article 5 du
chapitre en discussion, je vous proposerai d’augmenter en faveur des provinces
d’Anvers, de
Messieurs,
avant de terminer, je crois devoir protester avec un honorable préopinant
contre la manière dont plusieurs honorables préopinants ont interprété les
intentions de la section centrale : on l’a supposée ennemie acharnée de
l’instruction, on a pensé qu’en vous proposant le refus des majorations de
crédits sollicitées par le gouvernement, elle avait pour but d’empêcher
l’extension de l’enseignement ; mais à cet égard on est au moins dans la plus
complète erreur.
Comme membre de cette section,
j’ai assisté à toutes les délibérations : ayant voté dans un sens contraire à
celui des résolutions de la majorité sur le point principal et qui a fait
l’objet des attaques que vous venez d’entendre, vous pouvez m’en croire en
toute confiance. Je vous dirai que les membres de la section centrale qui se
sont montrés sévères contre les dépenses pour l’instruction publique, avaient
presque exclusivement pour but d’obliger ainsi le gouvernement à présenter aux
chambres et faire adopter une loi sur la matière. Ils étaient donc bien
éloignés de désirer l’anéantissement de l’instruction publique, puisqu’ils
employaient, en refusant une partie des subsides réclamés par le gouvernement,
les moyens constitutionnels en leur pouvoir pour parvenir le plus tôt possible
à l’organisation de cette importante branche de l’administration.
M. Dumortier. - Messieurs, lorsque j’ai entendu dans cette
discussion attaquer la section centrale avec tant de violence, lorsque j’ai
entendu proclamer qu’elle voulait porter la hache dans l’édifice de
l’instruction publique, désorganiser l’enseignement, détruire ce qui existe, je
l’avoue, je me suis senti fortement étonné ; mais mon étonnement s’est encore
accru lorsque j’ai remarqué que ces accusations partaient aujourd’hui de ces
mêmes bancs d’où, il n’y a pas encore trois années, sont partis ces arrêtés
véritablement destructeurs des établissements d’instruction moyenne et
supérieure ; et maintenant, nous le demandons avec confiance, est-ce nous qui
avons jamais porté la hache dans l’édifice de l’instruction publique, ou bien
n’est-ce pas plutôt ceux qui aujourd’hui nous accusent si légèrement ?
Pour ce qui me concerne, et
puisqu’on m’a fait l’honneur de m’interpeller plus d’une fois dans cette
discussion, je rappellerai qu’à l’époque dont je parle, le premier j’ai pris
ouvertement la défense de l’instruction publique que l’on voulait détruire. Et
d’où venaient alors les paroles de désorganisation ? de ces mêmes bancs d’où
sont venues aujourd’hui les accusations, je dirai presque les calomnies élevées
contre la section centrale.
Alors, messieurs, c’est moi
qui, le premier, me suis levé en faveur de tous nos magnifiques établissements
d’instruction publique, c’est moi qui, le premier, ait demandé la conservation
de l’académie, de l’observatoire, de ce magnifique jardin des plantes, de
l’athénée de Bruxelles, de la société d’émulation de Liége, de la bibliothèque
de Bourgogne et de tous nos établissements d’instruction supérieurs des
sciences. La chambre s’est ralliée à mon opinion, et vous avez voté tous les
crédits que je sollicitais. Ainsi donc, en matière d’instruction publique, j’ai
fait mes preuves. Je veux l’instruction publique, je la veux pour tous, et
comme les préopinants ; seulement nous différons sur les moyens d’y parvenir.
Je la veux par la liberté, ils la veulent par le despotisme.
Messieurs, le rapport de la
section centrale avait pour but de supprimer l’allocation en faveur des
établissements d’instruction publique ; je ne partagerais pas son avis, mais si
elle ne s’est proposé que de forcer le gouvernement à nous présenter enfin une
loi, alors je seconderais son but de tous mes efforts, et je connais trop les
beaux sentiments de mon honorable ami le rapporteur, pour n’être pas
profondément convaincu que telle a été son unique pensée.
Mais, puisqu’on a tant parlé
de destruction, qu’on nous montre donc enfin cette hache dont on nous accuse
d’avoir fait un si coupable usage. Où donc est-elle, cette hache dévastatrice
que l’on nous montre partout et que nous ne voyons nulle part ? Quand donc
a-t-elle été dans nos mains ? est-ce quand nous avons accordé un crédit plus
élevé que pour 1831, égal à celui de 1832 ?
La hache, elle est dans vos
idées, dans vos discours, et non dans le rapport de la section centrale. Car,
enfin, la section centrale n’alloue pas moins pour les établissements
d’instruction que vous n’avez alloué l’année dernière, et si les reproches que
vous lui adressez sont vrais, vous avez donc été des désorganisateurs avant
nous.
Un honorable député de Liége,
au discours duquel je réponds, s’est prévalu d’un arrêté du 12 octobre 1830.
Que dit cet arrêté ? Il veut seulement qu’on maintienne les récompenses
accordées pour l’instruction primaire ; or, messieurs, la section centrale fait
plus que de les maintenir, elle les augmente. A l’époque dont on parle, il
existait en Belgique trois établissements modèles d’instruction moyenne, qui
recevaient du gouvernement un subside de 9,000 fl. chacun.
En outre, il y avait un nombre
excessivement petit de collèges qui recevaient de l’ancien gouvernement un
subside excessivement faible : la section centrale dit elle-même qu’il existait
quatre établissements recevant 2 ou 3,000 fl., et aujourd’hui elle alloue
80,000 fr. pour l’instruction moyenne ; et voilà comment elle détruit, comment
elle désorganise !
Oui, sans doute, nous devons
former en Belgique des établissements modèles. Oui, sans doute, il fait élever
l’instruction au niveau des besoins de notre époque ; mais est-ce à dire pour
cela qu’il faille rétribuer tout établissement qui paraît dans chaque ville,
dans chaque hameau ? Non, certes ; et c’est là cependant ce que nous voyons
aujourd’hui. On remarque dans le budget une tendance manifeste à faire
rétribuer par l’Etat tous les établissements d’instruction publique. Rien n’est
laissé à la famille ; le gouvernement s’empare de toute l’instruction : la
section centrale était donc en droit de demander une loi pour régler enfin cet
objet important, cette garantie si précieuse pour les libertés publiques.
Nous ne devons pas, nous,
favoriser cette tendance désastreuse pour le trésor, inutile pour les villes et
les communes. La preuve de ce que j’avance, messieurs, c’est que jusqu’ici les
villes ont fait les frais des établissements dont il s’agit, et que les fonds
accordés n’ont produit aucune amélioration.
Mais, a-t-on dit, vous voulez
donc une autre surveillance que celle de l’Etat ? Je l’avoue, messieurs, je ne
comprends pas ce langage, et si l’honorable membre qui a proféré ces paroles, y
attache quelque idée, je le prie de nous en donner l’explication ; je lui
répondrai.
On nous a demandé si nous
avions peur de la surveillance du gouvernement pour le catholicisme ? Eh bien !
oui, nous craignons cette influence à cause des paroles qui n’ont été que trop
souvent prononcées dans cette enceinte ; nous craignons à cause de la manière
révoltante avec laquelle on n’a cessé d’attaquer ici la doctrine et la morale chrétienne
! Hé ! n’avons-nous pas vu travestir les amis de cette morale en partisan de
l’obscurantisme ? Cesse-t-on de nous montrer au doigt comme des fauteurs
d’ignorance, des ennemis de. la civilisation et des lumières ? Et ne vient-on
pas de nous dire encore tout à l’heure que notre génération s’élevait dans
l’ignorance, et se laissait inculquer tous les préjugés qui en sont la
conséquence ?
Quels sont donc ces préjugés ?
Est-ce par hasard la morale religieuse ? Pour moi, je le déclare, je ne conçois
pas d’instruction véritable sans morale religieuse ; que devient l’homme
instruit sans le frein de la religion ? Ah ! Voyez sous la république française
les déplorables fruits de l’éducation sans moralité religieuse ! Qu’a produit
la liberté sans les liens de la morale ? Du sang et des ruines, des victimes et
des échafauds ! Sans le frein religieux, le peuple se laisse entraîner à ses
penchants les plus désordonnés : alors les lois deviennent impuissantes contre
la perversité humaine ; elles commandent, mais ne persuadent pas, et bientôt
arrive le cortège de tous les désordres et de l’anarchie. Oui, quand on a sondé
les replis du cœur de l’homme, il faut bien reconnaître cette vérité que j’ai
déjà proclamée dans cette enceinte, que l’homme n’est propre à jouir de la
liberté que dans la même proportion qu’il consent à soumettre ses passions aux
liens de la morale.
Un honorable préopinant auquel
je m’attache à répondre, vous a dit que lorsque les ministres du culte se
mêlent aux affaires du monde, ils se corrompent comme la manne dans des vases
terrestres ; mais voudrait-il par hasard que ces ministres ne pussent avoir
aucune part à l’éducation ? voudrait-il les frapper d’incapacité ? La loi,
messieurs, ne considère que des citoyens, et dès qu’un citoyen exerce ses
droits, vous n’avez pas à vous mêler de sa croyance religieuse. On a fait
allusion au fanatisme ; mais ignore-t-on qu’il y a aussi un fanatisme
philosophique, et la torche est-elle moins hideuse dans les mains du fanatisme
libéral que dans celles de l’inquisition ?
J’arrive à l’enseignement
universitaire : on vous a représenté l’état des universités ; j’ai déjà eu
l’honneur de vous signaler ceux qui étaient coupables de leur désorganisation,
et ce ne sont pas ceux qui professent l’opinion que je soutiens en ce moment.
On a blâmé la section centrale d’avoir avancé qu’il ne convenait pas de
compléter maintenant les universités ; mais, je le demande, comment voulez-vous
les compléter quand vous ne savez pas encore quel sera leur nombre ?
Lisez, messieurs, lisez
d’abord l’art. 1er du projet de loi qui nous sera présenté, et qu’on nous a
fait connaître officieusement. Le voici : « Art. 1er. Il n’y a qu’une
seule université pour tout le royaume. » Une seule, vous l’entendez :
maintenant, nommerez-vous trois professeurs de médecine légale, trois
professeurs de droit romain pour une chaire unique. La section centrale a eu
raison.
« Mais vous ne remplirez
donc pas les vacatures ? Si un homme de génie venait à se présenter, vous le
repousseriez donc ? » Un homme de génie ! Il s’en est rencontré un : nos
adversaires l’ont repoussé lorsque je faisais des efforts infructueux pour le
conserver. Alors j’eus la douleur de voir émigrer du sol de la patrie un homme,
la première illustration de l’Europe dans une partie des connaissances
humaines. Qui donc désorganisait alors ? de nous qui cherchions, par tous nos
efforts, à maintenir des illustrations en Belgique, ou de ceux qui les
expulsaient ignominieusement de notre territoire ?
Il a déjà été plusieurs fois
question parmi nous des anciens professeurs. Nous avons tous déploré les
éliminations qui ont eu lieu. Eh bien, replacez ceux qui sont capables et qui
ne sont pas hostiles au pays, et voici une économie toute trouvée.
Replacez-les, car la plupart sont encore en Belgique. En voulez-vous la preuve
? lisez les considérations de l’arrêté du 30 décembre ; les voici :
« Considérant que les professeurs des facultés supprimées résident encore
pour la plupart dans la ville où ils exerçaient antérieurement leurs fonctions,
et qu’en les autorisant à recevoir les examens des élèves ci-dessus désignés,
on procurerait à ces derniers une économie de temps et de dépenses, etc. »
Ainsi, vous l’entendez, la
plupart des professeurs résidaient encore dans les villes où ils avaient
exercé. Si l’on a désorganisé, c’était donc à plaisir, et lorsqu’il était si
facile de compléter ces universités et de prévenir par là la nécessité où se
trouve le gouvernement aujourd’hui. Ce qu’il fallait alors, c’était de faire un
appel aux capacités en Belgique, pour combler les vacatures. Par là vous auriez
obtenu un enseignement vraiment national, au lieu des tristes débris qui nous
restent à peine aujourd’hui.
On s’est plaint de ce que
j’avais dit que les universités tombaient en ruines. N’y a-t-il pas, a-t-on dit,
des facultés où les professeurs exercent leurs fonctions avec zèle et avec
honneur ? Oui vraiment, j’ai déclaré que nos universités tombent en ruines ;
mais cela ne signifie pas que les professeurs ne remplissent pas leurs
fonctions avec honneur, avec zèle : c’est dénaturer étrangement mes paroles que
de les interpréter de cette manière. Je crois que les professeurs des
universités remplissent leurs fonction, avec zèle et avec honneur ; nous avons
sous les yeux des exemples qui parlent assez haut pour qu’il ne soit pas besoin
de commentaires. Si l’instruction universitaire est désorganisée, la faute n’en
est pas à nos professeurs, mais à ceux qui ont scindé, détruit la plupart des
facultés d’instruction supérieure. Mais, quelle qu’en soit la cause, la destruction
de l’enseignement universitaire n’existe pas moins.
Si je devais recourir à des
documents officiels, je vous montrerais le tableau des élèves qui ont fréquenté
l’enseignement universitaire en 1831 et en 1832 ; vous verriez que leur nombre
a de beaucoup diminué d’une époque à l’autre. C’est qu’alors on a véritablement
porté la hache dans l’édifice de l’instruction publique. En 1830, nous
comptions 1,500 élèves dans nos trois universités ; aujourd’hui il n’en reste
que 1,000 ; voilà le magnifique résultat des mesures que l’on a prises. Ces
mesures, nous les désavouons, nous, nous les avons toujours repoussées ; aussi
lorsqu’on vient parler de désorganisation, nous sommes en droit de vous envoyer
vos accusations et les déplorables résultats de vos faits et de vos actes.
On a parlé de conseils
d’examen, on m’a reproché de n’avoir pas dénoncé les faits. Eh bien ! c’est un fait notoire que l’on colporte des brevets de
docteur en droit, en médecine, en sciences ; on les débite pour la somme de 400
fr. (Mouvement.) Dites-le, n’est-ce
pas un abus des plus scandaleux qu’il faut réprimer avec énergie et promptitude
? Qui donc a créé ces commissions destructives de toute espèce d’enseignement
supérieur ? Encore une fois ceux qui nous accusent ! Ceux qui nous accusent de
porter la hache dévastatrice, de tout détruire, de tout désorganiser ! Au
reste, il est temps de faire cesser ces abus scandaleux ; il faut enfin que les
membres de ces conseils reçoivent un traitement fixe, et ne soient pas
rétribués à l’avenir de ce qu’ils prélèvent sur les brevets.
Passons maintenant à
l’instruction moyenne. Là encore, il y a eu destruction ! et qui l’a opérée ?
ces mêmes mains que je vous ai signalées tout à l’heure.
Elles ont commencé par la
suppression des bureaux de surveillance, de ces bureaux où les membres
trouvaient des protecteurs et des avocats si puissants, lors de leurs
discussions avec le pouvoir. Voilà l’origine du délabrement que l’on déplore
aujourd’hui.
Voulez-vous voir les résultats
des mesures que l’on a prises ? je vais vous les montrer ; je n’ai pas en main
tous les documents que je désire pour constater l’état de l’instruction
publique, ni aujourd’hui, ni à l’époque de la révolution. Mais je possède
toutefois un renseignement précieux, officiel, c’est le discours du gouverneur
de la province du Hainaut aux états en leur session de 1830.
Si chaque député en possède un
pareil sur sa province, il sera facile d’obtenir partout le même résultat que
pour le Hainaut. Ce résultat sera plus frappant encore ; et en effet, en
matière d’instruction publique, le Hainaut a toujours été cité pour modèle ;
que doit-il en être pour le reste du pays ?
Il résulte de l’exposé
présenté par le gouverneur du Hainaut, qu’en 1830, le collège de Mons comptait
229 élèves ; à cette époque il ne touchait aucun subside du gouvernement.
Aujourd’hui, il touche un subside de 2,500 fr., et le nombre des élèves s’est
réduit à
J’en viens à l’instruction
primaire. L’honorable député de Liége a regretté que l’on n’eût pas présenté de
rapport sur cet objet. Eh bien, je puis vous donner des détails du plus haut
intérêt. J’ai en main trois documents officiels constatant l’état de
l’instruction primaire au 1er janvier 1826, au 1er janvier 1829 et au 1er
janvier 1832.
A la première époque le
monopole n’existait pas encore ; l’instruction, comme un honorable membre la
désirerait aujourd’hui, était alors organisée sons l’influence du gouvernement,
et de là au monopole il n’y a qu’un pas : c’est ce qui était en 1829. Survint
la révolution et l’un des premiers actes du gouvernement provisoire fut de
rendre à l’instruction la liberté qu’elle réclamait à grands cris.
Examinons maintenant l’effet
de ces trois systèmes sur l’instruction publique.
Au 1er janvier 1826, les
écoles primaires de la province du Hainaut comptaient 53,915 élèves. Le
monopole s’organise : eh bien, malgré tous les efforts du gouvernement
hollandais, au 1er janvier 1829, le nombre des élèves se trouve réduit à 48,519
; en sorte que, dans le cours de trois ans, ces efforts que le préopinant
paraît si vivement regretter, produisaient à l’instruction primaire, dans le
Hainaut, une diminution de 5,397 élèves. Voilà l’effet du monopole.
Mais la révolution vient
rendre à l’instruction toute sa liberté ; aussitôt le nombre des élèves
s’accroît avec la rapidité de la parole, et au 1er janvier 1832 le nombre des
élèves des écoles primaires du Hainaut s’élevait à 64,719,
c’est-à-dire, à 10,804 de plus que sous l’influence du gouvernement, et 16,201
de plus que sous le monopole.
Aussi, savez-vous quel fut le
résultat de la liberté donnée en 1830 ? d’augmenter en trois ans d’un tiers le
nombre des élèves.
Maintenant vous pouvez juger
des progrès assurés à l’instruction publique sous un régime de liberté.
Ce que j’ai dit du Hainaut
s’applique aussi à
Un préopinant s’est plaint de
ce que nous n’allouons pas des sommes suffisantes pour l’instruction primaire
de toutes les provinces. Je ne sais pas quelle est la répartition du crédit que
nous votons ; je dirai plus, si le gouvernement ne met pas de justice dans
cette répartition, il a grand tort ; mais j’adresserai aussi quelques reproches
aux provinces, et à la province de Luxembourg en particulier. Car, si je suis
bien informé, la députation des états aurait fait disparaître du budget des
communes tout subside pour l’instruction primaire. Je signale ce fait à M. le
ministre, et j’ai toute confiance en lui pour la réparation de cet abus. C’est
un objet de la plus haute importance.
Messieurs, j’ai rencontré
toutes les objections ; j’ai démontré que la désorganisation des universités,
la création des commissions d’examen, la suppression des bureaux des athénées,
la non-répression de l’immoralité, la suppression des subsides par les
communes, étaient le fait du libéralisme, tandis que le catholicisme avait
tiercé, doublé le nombre des élèves En présence de ces résultats, vous serez
forcés d’avouer avec moi que le catholicisme seul construit, que le libéralisme
n’est propre qu’à détruire.
De tout ce que j’ai dit,
messieurs, il est facile de conclure que l’instruction donnée par les
particuliers vaut mieux que l’instruction donnée par l’Etat. Et d’ailleurs,
n’avez-vous pas encore présente à vos souvenirs cette époque d’odieuse mémoire
où l’on faisait chanter aux enfants dans les écoles, l’éloge du tyran ?
Laissons aux citoyens le soin de faire germer dans le cœur des jeunes Belges le
patriotisme et l’amour du pays.
Laissons le soin de
l’instruction à la commune, à la famille ; pour l’instruction moyenne, formons
des établissements modèles, répartissons les subsides entre un petit nombre,
afin qu’il ne manque rien à aucun, et qu’ils répondent tous aux besoins de
notre époque ; rétablissons les bureaux de surveillance pour les athénées,
quant aux universités, rétablissons-les, appelons-y des Belges. Complétons les
facultés, mais faisons d’abord cesser les abus scandaleux qui viennent des
diplômes. Quant aux établissements supérieurs, l’académie, l’observatoire, les
musées, ces écoles qui doivent faire l’honneur du pays, oh ! n’épargnez rien :
c’est produire que de dépenser pour elles ; mais encore une fois que la loi
intervienne, et que l’arbitraire ne dispose de rien. (Marques d’approbation sur la plupart des bancs.)
- La séance est levée à quatre
heures et demie.