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Note
d’intention
Chambre des représentants de
Belgique
Séance
du samedi 17 août 1833
Sommaire
1) Proposition de
loi relative aux avocats près la cour de cassation. Avis de cette même cour
2) Proposition de loi visant à
octroyer une pension aux titulaires de la légion d’honneur (Corbisier, Gendebien, de Muelenaere)
3) Proposition de mise en accusation
du ministre de la justice (Lebeau), conformément aux articles 90 et 134 de la
constitution, pour cause d’extradition abusive (Gendebien)
4) Projet de loi relatif aux
procédures d’extradition. Motion d’ordre relative à la détention d’un Belge à
l’étranger (de Robaulx, F. de
Mérode), discussion des articles (Milcamps, de Theux, Nothomb, (+cas du
général Chambure) Jullien et F. de
Mérode, Ernst, (+cas du général Chambure) Gendebien et F. de Mérode, Gendebien, (+officiers étrangers) (Doignon,
d’Huart, Gendebien, F. de Mérode, Doignon, d’Huart, Lebeau, Doignon,
Ernst), de Brouckere, Nothomb, Dumortier, Lebeau)
5) Projet de loi portant le budget
du département des finances pour l’exercice 1833
(Moniteur belge n°231, du 19 août 1833 et Moniteur belge n°232, du 20
août 1833)
(Présidence de M. Raikem)
(Moniteur belge n°231, du 19 août 1833) La séance est ouverte à midi
et demi.
Après l’appel nominal M. H. Dellafaille donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier. La rédaction en est
adoptée.
M.
de Renesse
analyse quelques pétitions qui sont renvoyées à la commission des pétitions
pour en faire rapport.
PROPOSITION DE LOI PORTANT MODIFICATION A LA LOI
DU 4 AOUT 1832 RELATIVE AUX AVOCATS PRES LA COUR DE CASSATION
Avis de la cour de cassation
Il est donné lecture d’un extrait du
procès-verbal d’une assemblée générale de la cour de cassation, ainsi conçu :
« Par lettre en
date du 14 courant, M. le président de la chambre des représentants a renvoyé à
la cour la proposition de M. de Brouckere tendant à abroger l’art. 31 de la loi
du 4 août 1832, organique de l’ordre judiciaire, avec invitation de donner ses
avis et considérations sur ce projet dans le plus bref délai possible.
« La cour de
cassation, réunie en assemblée générale, a examiné d’abord la question soulevée
par l’auteur de la motion, celle de savoir si l’article 31 de la loi du 4 août
a donné lieu dans son application à des inconvénients graves.
« Sur cette
question il a été répondu à l’unanimité de tous les membres présents, et de
l’avis conforme de M. l’avocat-général, faisant fonctions de procureur-général,
que l’art. 31 de la loi du 4 août 1832 n’a donné lieu à aucun inconvénient ;
que ceux que l’on voulu trouver n’avaient rien de réel ; que la marche des
affaires n’a rencontré aucun obstacle, et qu’elles se sont expédiées avec
promptitude et régularité.
« La cour par cette
réponse, croit avoir satisfait au vœu de la chambre. »
- Cette pièce est prise
pour notification.
__________________
M.
Teichmann écrit à M. le président pour le
prier de le faire remplacer à la commission de la guerre et à celle chargée
d’examiner la proposition de M. Seron.
COMPOSITION DES BUREAUX DES SECTIONS
M. le président. - Voici quelle est la
composition des sections :
Première section
Président : M. Boucqueau
Vice-président : M.
Legrelle
Secrétaire : M. Dubois
Rapporteur pour les pétitions
: M. d’Huart
Deuxième section
Président : M. de Theux
Vice-président : M.
Zoude
Secrétaire : M. Liedts
Rapporteur pour les
pétitions : M. H. Vilain XIIII
Troisième section
Président : M. Thienpont
Vice-président : M.
Coppieters
Secrétaire : M. Cols
Rapporteur pour les
pétitions : M. Fleussu
Quatrième section
Président : M. Pollénus
Vice-président : M.
Verdussen
Secrétaire : M. H.
Dellafaille
Rapporteur pour les
pétitions : M. Ernst
Cinquième section
Président : M. Dubus
Vice-président : M.
Jullien
Secrétaire : M.
Desmaisières
Rapporteur pour les
pétitions : M. de Puydt
Sixième section
Président : M. Seron
Vice-président : M.
Vanderbelen
Secrétaire : M. Watlet
Rapporteur pour les
pétitions : M….
M. le président. - Les sections ayant autorisé la
lecture de la proposition de M. Corbisier, cet honorable membre a la parole.
M. Corbisier. - Voici le texte de ma proposition
:
« Léopold, Roi des
Belges, etc.
« Article premier.
A partir du 1er janvier 1833, le gouvernement liquidera, au profit des Belges
membres de
« Art. 2. Cette
pension ne sera payée que sur la production de brevets en due forme, constatant
que la nomination des titulaires est antérieure au 11 avril 1814.
« Art. 3. Aucune
indemnité ne pourra être réclamée du gouvernement belge pour les arriérés des
années précédentes.
« Mandons,
etc. »
M. le président. - A quel jour M. Corbisier veut-il
remettre ses développements ?
M. Corbisier. - Je suis prêt à les présenter
immédiatement si la chambre le veut. (Parlez
! parlez !)
Messieurs, la question
que le projet de loi dont vous venez d’entendre la lecture tend à résoudre, a
déjà longtemps occupé la chambre dans les sessions précédentes.
Un amendement que je
présentai en faveur des légionnaires belges, lors de l’examen du budget de la
dette publique pour l’exercice de 1832, donna lieu à de longs débats ; la
majorité le repoussa, non parce que le principe qu’il consacrait ne parut point
fondé, mais parce que la chambre ne voulut point décider incidemment une
question si importante.
Quelques mois après, en
décembre dernier, pour me conformer au vœu exprimé par plusieurs membres dans
le cours de la discussion, je fis de l’objet de cet amendement la matière d’une
proposition de loi. Cette proposition, suivant la filière prescrite par le
règlement, fut successivement lue, développée, renvoyée à l’examen des
sections, amendée par la section centrale et mise enfin en discussion le 5
février suivant.
Dans cette séance et
dans la séance du lendemain, plusieurs orateurs, qui me parurent oublier la
vérité de cet adage : summum jus, summa injuria, ne virent qu’une simple question de
droit là où suivant moi, l’on ne devait trouver qu’une question de stricte équité,
d’humanité et de convenance politique. La discussion s’était prolongée deux
jours sans résultat, lorsque sur la proposition d’un membre, que nous
regrettons tous de ne plus voir siéger parmi nous, de l’honorable M. Tieken de Terhove, la chambre arrêta
qu’une commission serait formée pour examiner les droits des membres de
D’après ce qui a été
décidé dans le commencement de la session présente, la chambre actuelle ne
pouvait être de nouveau saisie de la question des traitements dont les
légionnaires belges jouissaient sous l’empire, que par une proposition
expresse. Cette proposition je l’avais déposée sur le bureau il y a trois
jours, et les sections en ont autorisé la lecture.
Ceux de vous, messieurs,
qui faisaient partie de la chambre dissoute, auront remarqué que j’ai adopté
toutes les modifications que, sur les observations des diverses sections, la
section centrale avait fait subir à mon projet primitif. J’ai voulu aussi me
rallier, autant que possible, à l’opinion de la majorité de l’assemblée.
Que l’on ne vienne pas,
messieurs, contester l’opportunité de ma proposition. Il est toujours opportun
de rendre justice à ceux qui la réclament avec raison. Si la prétention des
légionnaires est reconnue fondée, il faudra porter au budget de la dette
publique une allocation suffisante pour acquitter leurs traitements. Il
convient donc d’examiner cette prétention avant la discussion des budgets des
dépenses. N’est-il pas temps, d’ailleurs, que les membres de
Créanciers légaux de
l’Etat par l’institution de leur ordre, personne ne pouvait les dépouiller des
droits que leur conféraient les lois des 29 floréal an X et 11 pluviôse an XI,
les décrets des 8 mars 1807 et 28 février 1818, les traités de 1814 et de 1815,
et la convention du 25 avril 1818. Le roi des Pays-Bas le savait si bien, que
jamais il n’a essayé de légitimer par un acte public la spoliation dont les
légionnaires furent victimes. Deux fois, en France, le gouvernement de la
restauration a réduit de moitié le traitement des membres de
En substituant le
syndicat à la caisse d’amortissement de France, le gouvernement précédent ne
pouvait se soustraire aux charges qui incombaient à celle-ci, sans se rendre
coupable d’une mauvaise foi insigne ; et parmi ces charges, vous le savez,
messieurs, se trouvait l’obligation d’acquitter les pensions de
Le ministère du régent a
été au-devant des réclamations des membres de l’ordre de Guillaume. La chambre
a fait droit à celles des officiers de volontaires ; les légionnaires
seront-ils seuls oubliés ?
Je ne saurais croire que
des considérations d’économie puissent retarder plus longtemps
l’accomplissement d’un acte de justice. Nous voulons tous des économies,
messieurs, mais nous voulons qu’elles soient fondées sur l’équité et sur la
raison ; nous repousserions avec indignation toutes celles qui blesseraient
l’honneur national et qui porteraient atteinte à la loyauté si vantée du peuple
belge.
La gloire que nos
légionnaires ont acquise sous l’empire n’est pas toute française, elle
rejaillit sur notre pays comme celle qu’ont pu acquérir d’estimables citoyens
décorés sous le gouvernement des Pays-Bas. Cependant, ceux-ci, qui jouissent de
leurs pensions sans trouble, doivent cacher leurs décorations frappées
d’impopularité, tandis que les autres, privés de leurs traitements, peuvent
étaler les leurs avec un juste orgueil à tous les yeux ; je me trompe,
messieurs, il est plus d’un malheureux légionnaire forcé de dérober l’étoile de
l’honneur sous les haillons de la misère.
Je n’étendrai pas
davantage ces développements, et si, comme j’ose l’espérer, la chambre veut
bien prendre ma proposition en considération, je demanderai que pour épargner
un temps précieux et pour suivre les errements tracés dans la session
précédente, le projet de loi soit renvoyé à l’examen d’une commission spéciale.
- La prise en considération de cette proposition
est mise aux voix et adoptée.
M. le président. - Désire-t-on renvoyer le projet de
loi aux sections ou à une commission ?
M. Gendebien. - Les membres de l’ancienne chambre
se rappelleront qu’on a jugé indispensable, après une longue discussion, de
renvoyer ce projet de loi à une commission. Cette commission a été nommée à
l’effet de constater et d’établir le point de droit, qui présentait des
difficultés assez sérieuses. Elle s’est réunie plusieurs fois, mais la
dissolution de la chambre est venue arrêter ses opérations. Je crois qu’il faut
encore nommer aujourd’hui une commission.
M. de Muelenaere. - J’ajouterai
à ce que vient de dire l’honorable M. Gendebien, qu’au moment de la dissolution
de la chambre, l’ancienne commission était sur le point d’achever son travail.
Je crois qu’il faudrait, autant que possible, nommer les mêmes membres.
- La chambre, consultée,
ordonne le renvoi à une commission, dont les membres seront désignés par le
bureau.
PROPOSITION DE MISE EN
ACCUSATION DU MINISTRE DE LA JUSTICE, CONFORMÉMENT AUX ARTICLES 90 ET 134 DE LA
CONSTITUTION
M. le président. - Deux sections ont autorisé la
lecture de la proposition de M. Gendebien. Il a la parole.
M. Gendebien donne lecture de sa proposition,
ainsi conçue :
« Considérant que
la liberté individuelle est garantie ; que nul ne peut être poursuivi que dans
les cas prévus par la loi et dans la forme qu’elle prescrit ;
« Que, hors le cas de
flagrant délit, nul ne peut être arrêté qu’en vertu de l’ordonnance motivée du
juge, qui doit être signifiée au moment de l’arrestation ou au plus tard dans
les 24 heures (art. 7 de la constitution) ;
« Considérant que
tout étranger qui se trouve sur le territoire de
« Attendu qu’aux
termes de ces dispositions la liberté individuelle est garantie à l’étranger
comme au Belge ;
« Attendu qu’aucune
loi n’autorise l’extradition d’un étranger pas plus que d’un Belge ;
« Attendu que le
sieur Joseph Lebeau, ministre de la justice, en faisant arrêter le sieur Laverge, négociant français, et en le livrant aux autorités
françaises, a commis un acte arbitraire et violé la constitution ;
« Vu les articles
90 et 134 de la constitution, la chambre des représentants décrète :
« Art. 1er. Le
sieur Joseph Lebeau, ministre de la justice, est accusé :
« 1° D’attentat à
la liberté du sieur Laverge, négociant français, en
le faisant arrêter arbitrairement et en le livrant aux autorités françaises ;
« 2° D’attentat à
la constitution, dont il a violé les articles sept et cent vingt-huit. »
« Art. 2. Le sieur
Joseph Lebeau, ministre de la justice, est traduit devant la cour de cassation
pour y être jugé conformément aux articles 90 et 134 de la constitution. »
M. le président. - Quel jour M. Gendebien veut-il
présenter les développements de sa proposition ?
M. Gendebien. - Je désire que la chambre fixe la
séance de vendredi prochain.
- La chambre consultée
fixe la séance de vendredi pour entendre les développements de M. Gendebien.
Motion d’ordre
M. le président. - L’ordre du jour appelle la suite
de la discussion du projet de loi des extraditions.
M. de Robaulx. - Comme il s’agit d’une loi d’extradition, je désirerais pouvoir
interpeller le ministre des affaires étrangères relativement à un Belge détenu
dans les prisons de Bavière depuis 15 mois, Belge qui a réclamé en vain la
protection de l’ambassadeur et du gouvernement de notre pays. Je demanderais la
permission de demander au ministre des affaires étrangères des explications à
cet égard. Il me paraît que dans un moment où l’on réclame le droit de livrer
les étrangers aux gouvernements étrangers, il est très important de connaître
comment ces gouvernements traitent les Belges. J’ai en main une lettre qui m’a
été adressée par la malheureuse épouse de l’homme dont il s’agit, de M. Corremans, publiciste connu, qui est né à Bruxelles. Je
désire savoir ce qu’on a fait pour lui.
M.
F. de Mérode, ministre des affaires étrangères par interim. - Je n’ai pas de renseignements
sur cet objet, et je ne suis pas à même de répondre en ce moment ; mais je le
ferai plus tard, si on le désire.
M. de Robaulx.
- Je n’exige pas que M. le ministre réponde aujourd’hui même ; mais je demande
la permission à la chambre de faire immédiatement mon interpellation. (Parlez ! parlez !)
Je désire savoir si M.
le ministre des affaires étrangères a connaissance que le docteur Corremans, né à Bruxelles, et dont la famille est en
Belgique, gémit depuis 15 mois dans les prisons de la Bavière ; s’il est vrai
qu’il a réclamé la protection de M. l’ambassadeur d’Hoogvorst
et celle du gouvernement belge. Enfin je demande ce qu’il a fait pour protéger
la liberté de ce malheureux citoyen.
M.
F. de Mérode. - Lorsque j’aurai
les renseignements nécessaires, je les transmettrai à la chambre. Comme il n’y
a pas longtemps que j’ai la signature du département de affaires étrangères, je
n ai pas encore été instruit de cette affaire.
M. de Robaulx.
- Je demande que M. le ministre réponde à mon interpellation lundi prochain,
car je me propose de faire ressortir contre le projet de loi d’extradition la
manière dont nos concitoyens sont traités à l’étranger.
M.
F. de Mérode. - Je ne demande
pas mieux que de donner des explications lundi, si je suis à même de le faire.
Articles 1er et 2
M. le président. - La discussion continue sur l’art.
1er du projet de loi d’extradition. La parole est à M. Milcamps.
M. Milcamps. - Messieurs, la matière
d’extradition appartient au droit des gens de chaque peuple.
D’après le droit commun
à tous les hommes, on doit recevoir les exilés, car l’Etat n’a plus de droit
sur les individus condamnés à l’exil et réfugiés dans un autre Etat.
Quant à ceux qui,
n’étant pas exilés, fuient un juste châtiment, le droit des gens de plusieurs
peuple est qu’il faut rendre ces sortes de personnes.
A défaut de dispositions
ou d’un usage établi à cet égard un gouvernement pourrait livrer un criminel à
son souverain ; du moins il n’y aurait pas attentat dans une pareille
extradition.
Chez nous, d’après
l’art. 128 de la constitution, tout étranger qui se trouve sur le territoire de
Ainsi, on ne peut
refuser l’entrée dans ce pays à un étranger, l’expulser, ou le livrer à son
souverain qu’autant qu’une loi spéciale autorise ces mesures.
Il ne s’agit dans la
présente discussion que de l’extradition.
Une loi à cet égard
est-elle utile ?
Le gouvernement, la
section centrale la jugent utile. Je partage cette opinion.
Mais dans le projet de
loi qui nous est proposé, on dirait, bien qu’il s’agisse de convention à charge
de réciprocité, qu’on semble perdre de vue que cette matière appartient au
droit des gens.
J’entends parler de ce
droit positif, fondé sur des traités de paix, d’alliance, de commerce ; sur des
conventions de gouvernement à gouvernement, ou sur des usages observés entre
les nations civilisées.
En effet, que nous
propose-t-on ? D’accorder au gouvernement la faculté de livrer aux
gouvernements des pays étrangers, à charge de réciprocité tout étranger mis en
accusation ou condamné par les tribunaux desdits pays, pour l’un des faits
énumérés dans le projet, qui auraient été commis sur leur territoire.
Ainsi, en Belgique, ce
sera la législation, ce sera une loi qui permettra l’extradition.
Mais existe-t-il des
exemples où les lois politiques d’un peuple ont autorisé les extraditions ?
En a-t-il jamais existé
pour la Belgique ? Non.
En a-t-il existé, en
existe-t-il pour la France ? Non.
Ainsi il était réservé à
Mais qui l’a provoqué ? Nous
tous. Car nous paraissons tous croire que l’art. 128 de la constitution
s’oppose à ce qu’on livre un étranger condamné à son gouvernement, à moins
qu’une loi n’autorise cette mesure.
Il y aurait bien des
objections à faire contre cette manière d’entendre l’art. 128 de la
constitution.
Supposons que tel en
soit le sens, on doit du moins convenir que cette disposition est en opposition
avec ce qui existe chez les autres nations.
On trouve cependant
quelque chose d’analogie dans la première constitution française, art. 6,
intitulé : « Des rapports de la nation française avec les nations
étrangères. »
« Les étrangers, y
lit-on, qui se trouvent en France, sont soumis aux mêmes lois criminelles et de
police que les citoyens français, sauf les conventions arrêtées avec les
puissances étrangères : leur personne, leurs biens, leur industries, leur
culte, sont également protégés par la loi. »
Cette disposition n’a
pas été reproduite dans les constitutions de l’an III et de l’an VIII.
Ainsi, en France, on est
resté dans les termes du droit des gens.
Chez nous, l’on a
proclamé constitutionnellement que tout étranger jouira de la protection
accordée aux personnes et aux biens ;
mais, au lieu de dire : « sauf les conventions arrêtées avec les
puissances étrangères, » l’on a dit « sauf les exceptions établies
par la loi. »
De là la nécessité d’une
loi en matière d’extradition.
Dans celle proposée je
lis : « Art. 1er. Le gouvernement pourra livrer aux gouvernements des pays
étrangers, à charge de réciprocité, tout étranger mis en accusation ou consommé
par les tribunaux desdits pays pour l’un des faits ci-après énumérés, qui
auraient été commis sur leur territoire. »
Suit l’énumération qui
est bien large, avec les conditions de l’extradition.
Aussi voilà une loi qui,
dans des cas déterminés et aux conditions qu’elle prescrit, permet
l’extradition. Je l’ai déjà dit, cela est sans exemple.
Ne pourrait-on pas, en
procédant d’une autre manière, atteindre le même but ? Pourquoi la loi ne
permettrait-elle pas plutôt au gouvernement d’arrêter avec les puissances
étrangères des conventions relativement à l’extradition réciproque ? Rien
n’empêcherait qu’on ne mît des bornes ou des conditions à ce pouvoir donné au
gouvernement.
En procédant ainsi, nous
rentrerions dans le droit commun des nations, nous éviterions de proclamer que
le gouvernement pourra livrer aux gouvernements des pays étrangers tout
étranger mis en accusation ou condamné. Il y a dans cette manière de s’exprimer
quelque chose qui m afflige.
Vous voyez, je n’attaque
pas le principe d’extradition ; seulement je désirerais qu’il ne parut résulter
que des conventions arrêtées avec les puissances étrangères et il en doit être
ainsi. Que la loi détermine la forme de procéder dans les demandes
d’extradition, à la bonne heure ; mais que la législature proclame
solennellement que le gouvernement pourra livrer aux gouvernements des pays
étrangers, à charge de réciprocité, des individus qui se seront réfugiés chez
nous, c’est ce que j’adopterai difficilement.
Et
du reste déclarer, avant qu’aucun traité de réciprocité n’ait été consenti ou
accepté, que le gouvernement pourra livrer les réfugiés, c’est régler
l’exécution du principe avant son adoption.
Qui nous dit que les
puissances étrangères accepteront un traité de réciprocité aux conditions
proposées ? Qui nous dit que
M. de Theux. - Lorsque le
congrès national, en plaçant l’étranger sur la même ligne, quant à la
protection de sa personne et de ses propriétés, que le Belge, a autorisé la
législature à porter des lois d’exception, il avait spécialement en vue
l’extradition. C’est ce qui résulte du rapport de la section centrale sur
l’art. 128 de la constitution.
L’honorable rapporteur
de la section centrale a développé, dans deux rapports successifs, les motifs
qui ont amené cette section à adopter le projet de loi en discussion et spécialement
le principe de l’extradition. Ces motifs ne me paraissent pas avoir été
rencontrés dans cette discussion, Il est incontestable que la loi d’extradition
a pour but unique de prévenir et diminuer les crimes et délits.
Dès lors elle ne peut de
ce chef que produire d’heureux résultats pour les pays qui admettront la
réciprocité, ainsi que pour nous.
Peut-on opposer à ce
principe une exception puisée dans l’humanité ? Je ne le pense pas. Le fait de
la fuite d’un délinquant ne diminue en rien la criminalité. S’il ne peut être
poursuivi lorsqu’il atteint un territoire étranger, c’est plutôt un empêchement
de fait qu’une atténuation de ses fautes. Dès lors il appartient aux
gouvernements de faire cesser cet empêchement de fait pour que les arrêts de la
justice puissent recevoir leur exécution. Il est de l’intérêt réciproque des
nations de parvenir à ce résultat.
Ce n’est pas à cause
d’une atteinte portée par l’étranger à nos lois que nous le livrons à son
gouvernement, à ses juges naturels ; c’est uniquement dans l’intérêt de notre
propre société, pour que les gouvernements étrangers agissent de même à notre
égard. Personne ne soutient que les crimes et délits énumérés dans le projet de
loi ne méritent pas de punition. Ils sont punis dans tous les pays parce qu’ils
sont évidemment contraires aux lois naturelles.
La section centrale a
pris toutes les précautions possibles, afin que l’extradition autorisée dans
les cas désignés par la loi ne puisse conduire à ce qui n’y est pas prévu. Elle
a spécialement excepté les délits politiques, en stipulant que le gouvernement
étranger qui aura obtenu une extradition ne fera pas même de poursuites contre
l’individu extradé, alors qu’il aurait à sa charge un délit politique. Et non
seulement les délits politiques sont exceptés, mais encore tous les autres
faits qui ne sont point prévus dans cette loi.
L’argument principal que
plusieurs orateurs ont fait valoir, c’est une garantie quant aux délits
politiques ; mais est-il possible d’avoir une garantie plus forte que celle qui
se trouve dans l’art. 6 ? Et d’ailleurs, la nouvelle garantie introduite par la
section centrale dans l’art. 6 semble être de nature à dissiper toutes les
craintes.
Un honorable préopinant
a dit qu’il convenait de faire un traité, et non pas une loi. Mais remarquez,
messieurs, que si un traité était conclu, il devrait être approuvé par la
législature, et si ce traité ne présentait pas toutes les garanties
nécessaires, ce traité serait considéré comme non-avenu, et il y aurait lieu
d’en faire un second. Sous ce rapport, il me paraît préférable d’établir les
principes d’après lesquels la nation entend consentir l’extradition, pour que
le gouvernement s’y conforme dans les traités.
Deux amendements ont été
proposés à l’art. 1er : l’un est relatif à la mise en accusation, l’autre tend
à excepter certains vols de la désignation générale du projet de loi.
Quant à la mise en
accusation, je ferai observer que si elle ne forme pas une preuve à charge,
l’arrêt de condamnation par contumace n’en forme pas davantage. En effet, dès
que l’accusé se présente, le jugement par contumace est annulé de plein droit.
Du reste, l’arrêt de
contumace ne donne pas plus de garanties à l’étranger que l’arrêt de mise en
accusation ; il est rendu sur la simple procédure d’instruction faite
auparavant. J’ajouterai que cet arrêt est plutôt préjudiciable que favorable à
l’accusé, en ce sens qu’il emporte nécessairement le séquestre de ses biens, et
que, pour y parvenir, il y a lieu à une publicité infiniment plus grande du
fait qui lui est imputé.
Une objection plus grave
a été faite, c’est que dans certains pays on ne suivra pas les mêmes formes de
procéder que dans le nôtre. Mais vous remarquerez, messieurs, qu’aux termes du
projet il faut que dans tous les pays la mise en accusation soit décrétée par
les tribunaux pour qu’il y ait lieu à extradition. Dès lors il y a une
garantie, car dans tous les pays civilisés les tribunaux sont assis sur des
bases garantissantes.
Quant à l’amendement
proposé par M. de Brouckere, il me paraît qu’il est trop étendu. Il exempterait
une infinité de cas de vols qui sont déterminés par l’art. 401 du code pénal,
ainsi conçu :
« Les autres vols
non spécifiés dans la présente section, les larcins et filouteries, ainsi que
les tentatives de ces mêmes délits, seront punis d’un emprisonnement d’un an au
moins et de cinq ans au plus, et pourront même l’être d’une amende de 15 fr. au
moins et de 500 fr. au plus.
« Les coupables
pourront encore être interdits des droits mentionnés en l’art. 42 du présent
code, pendant cinq ans au moins et dix ans an plus, à compter du jour où ils
auront subi leur peine. »
Vous voyez que le code
pénal prononce à l’égard de ces vols des peines assez graves. Si l’on admet ces
exceptions, on y comprendra précisément le genre de délinquants qui se
corrigent le plus rarement ; de plus, les voleurs qui sont obligés de quitter
leur pays sont d’autant plus exposés à récidiver qu’ils manquent ordinairement
de moyens d’existence. Il est à remarquer, en outre, que les auteurs de ces
vols sont très difficiles à découvrir. Pour moi, je ne vois aucun inconvénient
à rendre aux gouvernements étrangers les voleurs et les filous.
Le
même orateur a présenté encore une autre objection. Il a dit que le projet
avait omis l’énumération de plusieurs crimes et délits. En effet, la section
centrale s’est aperçue de cette omission ; mais elle a cru que ce projet serait
beaucoup plus étendu, s’il devait comprendre tous les crimes ou délits. Elle a
donc jugé à propos de se borner à ceux qui attaquent la société de la manière
la plus grave ou qui sont les plus fréquents.
Je conviens cependant
que l’honorable préopinant a énuméré deux crimes qui pourraient être introduits
dans la loi ; mais ce n’est point là un motif pour en retranches certains vols.
Si le projet de loi est incomplet, il faudrait plutôt le compléter que le
restreindre encore.
Je crois donc,
messieurs, qu’il y a lieu d’adopter l’article 1er tel qu’il a été présenté par
la section centrale.
M. Nothomb. - Messieurs, je me félicite, et l’assemblée se félicitera comme moi, de
ce que, par suite de la proposition de M. Gendebien, la question de personne se
trouve, dans le débat qui nous occupe, disjointe aujourd’hui de la question de
principe. Je ne reviendrai donc pas sur le fait reproché au ministre de la
justice. Lorsque, en vertu du pouvoir discrétionnaire dont nous sommes
investis, nous serons appelés à examiner cet acte, tant sous le rapport de sa
moralité que sous celui de sa légalité, je remplirai le double devoir que
m’imposent le mandat de députe et le mandat de l’amitié. La discussion, je
l’espère donc, reprendra aujourd’hui les formes qu’elle n’aurait jamais dû
perdre. J’espère aussi que quand le jour de la prise en considération viendra,
l’on n’oubliera plus les égards que nous nous devons entre nous comme collègues
et que l’on doit à tout accusé ; car il est écrit dans nos lois criminelles
qu’on invoque si souvent : Tu n’outrageras point l’accusé, encore moins celui
qui n’est que sous le poids d’une espèce de prévention.
La discussion sur
l’ensemble du projet est close, et cependant, intervertissant l’ordre des
débats, un honorable orateur, ordinairement strict observateur du règlement, a
examiné et contesté à deux reprises le principe de la loi. Se plaçant sur le
même terrain, un autre orateur est remonté jusqu’à l’origine de l’ordre social
; il s’est demandé quel est le but de chaque société : selon lui, chaque
société n’existe qu’en vertu des lois positives qu’elle s’est faites, elle ne
doit réprimer que les infractions à ces lois ; une société qui prétendrait
concourir à la répression des infractions faites aux lois d’une autre société,
irait au-delà de sa mission, par conséquent de ses droits. Ainsi tombent, au
dire de cet honorable collègue, tous les liens qui pourraient rattacher une
société à l’autre : une action n’est criminelle que parce que telle ou telle
loi lui a donné cette qualification.
Cette étrange doctrine,
cette singulière métaphysique sociale, qu’on vous a très sérieusement exposée, serait-elle
fondée ? N’y aurait-il plus au fond de toutes les législations des principes
communs qui créent des liens communs, des obligations communes ? N’y a-t-il
plus des idées de juste et d’injuste existant indépendamment de toute loi
positive, idées dont les législations, dans leur diversité même, ne tendent
qu’à nous donner la formule plus ou moins parfaite ?
Ce serait douter de vos
lumières, messieurs, que d’entreprendre la réfutation de pareils principes ;
qu’il me soit permis seulement de m’étonner de les voir professées par un homme
qui nous avait habitués à des doctrines plus larges, et qui si souvent, sans
égard aux mœurs et aux climats, a convié tous les peuples à une confraternité
commune.
On vous l’a déjà dit
messieurs : il est des crimes qui existent indépendamment de la forme du
gouvernement, des crimes qui sont de tous les temps et de tous les lieux ;
toutes les sociétés sont intéressées à la répression de ces crimes.
Elles y sont
intéressées, d’abord parce que ces actions blessent des sentiments qui sont au
cœur de tous les hommes, des droits qui se retrouvent partout.
Ainsi le principe de
l’extradition, dans les limites que nous lui assignons, répond d’abord aux
idées du juste et de l’injuste.
En second lieu, et c’est
ici le côté pratique de la question qui vous a été signalé par M. de
Muelenaere, et que M. de Theux a fait ressortir à son tour, le principe de
l’extradition fournit à chaque pays un puissant moyen, un indispensable moyen
de répression. La question n’est pas seulement de savoir si nous avons intérêt
à livrer les étrangers criminels réfugies parmi nous, mais si nous avons
intérêt à nous faire livrer les nationaux qui se sont rendus coupables d’un
crime au milieu de nous. Il faut réprimer, nous dit-on, les infractions à nos
lois ; eh bien ! le droit de réprimer ces infractions sera incomplet si le
principe de l’extradition n’existe point. Vous désirez que vos lois soient
exécutées ; que ferez-vous si ceux qui les enfreignent parviennent à se
soustraire à vos poursuites par la fuite ? Vous demanderez qu’on les remette en
votre pouvoir. Le gouvernement étranger ne consentira à le faire que si vous
vous engagez le cas échéant à en faire autant en sa faveur. La est la loi tout
entière.
Ainsi le système que je
combats serait doublement désastreux ; il consacrerait une double et éclatante
impunité : impunité pour les étrangers qui, s’étant rendus coupables hors du
pays, s’établiraient sur notre territoire ; impunité pour les nationaux qui,
après s’être rendus coupables dans le pays, fuiraient à l’étranger. Contester
le principe de l’extradition, c’est dire à une société : Vous ne ressaisirez
pas les nationaux coupables réfugiés à l’étranger ; vous ne chasserez pas les
étrangers criminels réfugiés parmi vous ; vous êtes frappée d’une double impuissance.
Je vous l’avoue,
messieurs, je ne me sens pas le courage de défendre une doctrine aussi
antisociale. Selon moi, une société bien constituée doit pouvoir à la fois
punir ceux qui se rendent coupables d’un crime dans son sein, rejeter de son
sein ceux qui se sont rendus coupables d’un crime ailleurs. Le gouvernement
vous demande cette double faculté. C’est ainsi que j’entends le besoin de la
conservation.
Mais, m’objectera-t-on,
vos principes de conservation personnelle sont dictés par l’égoïsme ; ils
portent atteinte à la sainte loi de l’hospitalité. Lorsqu’un étranger se
présente, lorsqu’un malheureux vient s’asseoir à votre foyer, ne le repoussez
pas ; en franchissant la frontière, il est devenu un homme nouveau, ; vous
n’avez pas à vous enquérir d’où il vient, ni de ce qui il a fait ailleurs.
Surveillez-le dans l’avenir ; punissez-le s’il viole vos lois ; mais jusque-là
il est innocent pour vous.
Messieurs, l’hospitalité
n’est pas un droit absolu ; je ne connais pas de droits absolus, et l’hospitalité
a des limites au-delà desquelles elle dégénère et se détruit elle-même. Vous
voulez recevoir tous les étrangers indistinctement ; mais, croyez-vous que
l’étranger honnête homme tienne beaucoup à se rencontrer en Belgique avec un
assassin, un voleur de son pays, de sa ville natale peut-être, avec un escroc
dont il a été peut-être la victime ? Croyez-vous qu’il soit bien flatté de cet
accueil fait sans aucune distinction ? Croyez-vous que ce soit un moyen propre
à attirer parmi vous les étrangers hommes de bien ? Je ne le pense pas.
Si, réduit à l’exil, on
me disait : Voilà deux pays : dans l’un on accueille tout le monde, innocent ou
coupable, homme probe ou fripon ; dans l’autre il n’y a d’asile que pour des
honnêtes gens malheureux, pourrais-je hésiter sur le choix ? Je n’attacherais
pas grand prix à séjourner dans un pays qui prostituerait l’hospitalité.
« Chacun est réputé honnête homme jusqu’à preuve contraire. » Je veux
que cette présomption suive l’étranger sur le sol belge et l’y accompagne comme
dans sa patrie ; je veux que l’étranger qui vient parmi nous puisse dire : J’ai
droit à cette présomption, car ici on ne reçoit que les honnêtes gens. Et
remarquez-le bien : répudiée par les honnêtes gens, votre hospitalité
deviendrait en définitive le monopole des malfaiteurs.
Ainsi, messieurs, c’est
par un abus de mots qu’on vous a dit que le principe de l’extradition détruit
l’hospitalité. La loi au contraire sera hospitalière ; elle sera une garantie
pour l’étranger comme pour le pays.
Gardez-vous, a dit un
honorable orateur, d’admettre le principe de la loi ; le jour où vous l’aurez
admis, des capitalistes étrangers qui se sont établis parmi vous, fuiront votre
sol ; ils sont peut-être trois cents… Malheur à l’industrie, au commerce belge,
si, pour se soutenir, il avait besoin du tribut levé par la banqueroute à
l’étranger. Je repousse la supposition de l’honorable orateur comme injurieuse
pour le pays. Je ne crois pas qu’il existe en Belgique un établissement investi
d’un crédit réel dont le chef soit banqueroutier. Les faits d’ailleurs sont
invraisemblables. Le crime porte toujours sa peine, et l’homme qui s’est
procuré un capital par une banqueroute, se le voit à son tour enlever par une
banqueroute.
On a cherché dans les
anciennes institutions du pays des arguments contre le principe de
l’extradition ; on a eu recours au prestige des souvenirs historiques.
En étudiant cette
question dans ses rapports avec le passé, j’ai été amené à une considération
qui me semble de nature à jeter quelque jour sur cette matière. La législation
ancienne n’avait pas exigé des étrangers les mêmes garanties que la législation
nouvelle ; c’est que la législation ancienne ne leur avait pas accordé les
mêmes droits. L’ancienne société ne faisait rien pour attirer à elle l’étranger
; elle ne l’appelait pas à la jouissance des droits civils ; elle lui accordait
le droit de propriété d’une manière limitée ; elle le frappait à sa mort de la
confiscation, sous le nom de droit d’aubaine. La société nouvelle est plus
généreuse et par cela même plus prévoyante. Elle admet l’étranger au bénéfice
de la législation civile et commerciale ; elle lui accorde le droit de
propriété dans toute son étendue ; elle proscrit ou tend à proscrire le droit
d’aubaine. Ne citez donc point l’ancien régime ; tenez compte de la différence
des temps et des situations.
On nous a dit de porter
nos regards au-delà du détroit. On nous a proposé comme modèle l’Angleterre. Eh
bien ! la vieille société, morte sur le continent, vit encore en Angleterre.
L’étranger n’y jouit pas de tous les droits civils ; on lui dénie le droit
d’être tenancier, c’est-à-dire d’être propriétaire foncier. L’Angleterre est
d’ailleurs protégée par sa situation insulaire, par les difficultés que
présente la sortie aussi bien que l’entrée du territoire. Qu’on s’étonne donc
moins si, retranchée dans les mers, n’ayant rien fait pour attirer à elle les
étrangers, l’Angleterre se contente du droit d’expulsion.
J’avoue que
l’extradition n’existait pas dans les Pays-Bas autrichiens dans leurs rapports
avec les autres peuples. Il y a plus, il y avait défense d’extradition d’une
province à l’autre ; et que ne demande-t-on le rétablissement, au profit du
Brabant, de l’art. 4 de
On vous a rappelé le
fameux procès du collier ; on vous a présenté comme admirable la conduite de
Joseph II, qui, quoique frère de Marie-Antoinette, refusa de livrer une
intrigante compromise dans cette scandaleuse affaire. Quant à moi, je déplore
la nécessité où s’est trouvé Joseph II. J’aurais voulu qu’il eût pu contribuer
à dissiper une odieuse calomnie qui a accompagné, jusque sur l’échafaud, une
reine infortunée, l’exemple est donc bien mal choisi. Il suffit à lui seul pour
faire sentir le besoin de l’extradition.
Appelé à réformer la
législation de
La loi du 3 brumaire an
IV soumet donc à l’expulsion l’étranger qui s’est rendu, à l’étranger, coupable
d’un crime ; elle exige l’intervention judiciaire pour ordonner l’expulsion.
Remarquons bien que cette loi n’a en vue que l’expulsion de l’étranger ; elle
ne suppose ni remise de l’étranger entre les mains des autorités de son pays,
ni réciprocité de la part de celles- ci. On le conçoit : à l’époque de brumaire
an IV, la république était en guerre avec l’Europe entière ; il ne pouvait donc
être question d’opérer des extraditions sur la demande d’un gouvernement ami.
Cet état de choses était
peu changé à l’époque de la loi du 29 vendémiaire an VI, qui, allant plus loin
que la loi du 3 brumaire an IV, donna une grande extension au droit d’expulsion.
L’art. 7 de la loi du 26
vendémiaire an VI porte : « Tous étrangers voyageant dans l’intérieur de
la république ou s’y rendant sans y avoir une mission des puissances neutres ou
amies reconnues par le gouvernement français, ou sans y avoir le titre de citoyens,
sont mis sous la surveillance spéciale du directoire exécutif qui pourra
retirer leurs passeports, et leur enjoindre de sortir du territoire français
s’il juge leur présence susceptible de troubler l’ordre et la tranquillise
publique. »
La loi du 29 vendémiaire
an VI ne prévoit donc encore que l’expulsion, mais elle ne suppose ni
intervention judiciaire, ni crime antérieur.
La nécessité de
convertir l’expulsion en extradition se fit sentir dès que la république eut
établi des relations politiques avec les autres pays.
L’extradition fut
formellement stipulée dans le traité conclu par
Mais elle ne le fut dans
aucun des grands traités conclus, soit à Campo-Formio,
soit à Lunéville.
Par rapport à
Je ne fais pas l’éloge
de cette manière d’appliquer la loi du 29 vendémiaire an VI ; j’explique des
faits.
Un honorable
jurisconsulte a supposé que la législation laissait à l’individu menacé
d’expulsion le choix de sa résidence nouvelle. L’humanité l’exigerait ; mais je
n’ai trouvé cette garantie, ni dans la loi de l’an VI, ni dans aucune autre
loi. Voici donc comme on raisonnait : « L’étranger n’a pas le choix du
lieu ; nous pouvons le diriger vers nos frontières, de manière à le faire tomber,
dès qu’il mettra le pied hors du pays, entre les mains de la gendarmerie
étrangère, que nous aurons soin de prévenir. »
C’est ainsi qu’on a
interprété la loi du 29 vendémiaire an VI : c’est là, si vous voulez, de
l’hypocrisie légale ; mais enfin jusqu’à un certain point, c’est de la
légalité.
C’est à l’aide de cette
interprétation qu’on a pratiqué des extraditions en France sous l’empire, et
depuis dans les Pays-Bas, depuis 1815 jusqu’à 1830.
Cette interprétation
n’a, en France comme dans les Pays-Bas, soulevé de réclamations que lorsqu’il
s’agissait de délits politiques.
Vous vous rappelez le
vol des diamants d’une actrice célèbre, de Mlle Mars. Les auteurs du vol ont
été livrés à la cour d’assises de Paris à la suite d’une extradition. Personne
ne s’en est plaint. Vers la même époque, le gouvernement de Naples obtint
l’extradition de Galotti. On ne tarda pas à découvrir
que Galotti n’était réellement prévenu que d’un délit
politique ; la presse et la tribune réclamèrent. Le ministère d’alors (c’était
le ministère Martignac) se fit restituer Galotti…
Quelques voix. - Il a été pendu !
M. Nothomb. - Vous confondez Galotti avec Menotti.
Non seulement
l’extradition pour délits privés n’a pas soulevé de réclamations, mais la non-extradition
a été au nombre des griefs contre le ministère Villèle. Abusant de son
caractère sacré, un homme s’était rendu coupable dans le midi de
Si l’ancien gouvernement
n’avait opéré que des extraditions pour délits privés, il est probable qu’il
n’aurait jamais été l’objet d’aucun reproche de ce chef, et cependant il était
en présence du texte absolu de l’art. 4 de la loi fondamentale de 1815. Les
débats qu’on a rappelé ont été provoqués par des extraditions politiques et
cette simple réflexion fait tomber tous les arguments qu’on a voulu tirer des
discours de MM. Surlet de Chokier, de Gerlache et de leurs collègues. Qu’on
relise ces discours, et l’on verra qu’ils n’ont pas la portée qu’on a voulu
leur donner.
J’avoue cependant que le
texte de l’art. 4 de la loi fondamentale était absolu ; qu’il n’admettait pas
la possibilité d’une loi exceptionnelle quelconque et ici je suis d’accord avec
le comte de Hogendorp, cité dans la séance d’hier.
Il est bon de ne pas se
méprendre sur le sens de cette citation. Voici comment s’exprimait M. de Hogendorp :
« Je ne dis point
que les étrangers qui ont à leur charge un jugement de condamnation eussent dû
trouver protection chez nous ; je ne dis pas que nous eussions dû tolérer des
étrangers qui déchirent l’administration de notre pays, mais je dis qu’il
existe une contradiction manifeste entre l’art. 4 et l’expulsion d’un étranger
ordonnée autrement que par un jugement, et cette contradiction résulte du texte
même de l’art. 4 qui place les étrangers et les régnicoles sur la même ligne ;
mais je dis que l’art. 4 s’oppose même à l’extradition des malfaiteurs, quels
qu’ils soient. »
Le comte de Hogendorp déplorait donc le sens absolu de l’art. 4 de la
loi fondamentale ; mais il le reconnaissait. Les membres de la commission de
constitution, et après eux le congrès, ne sont pas tombés dans le défaut
reproché aux législateurs de 1815. Il suffit de lire l’art. 128 de la
constitution et l’art. 4 de la loi fondamentale de 1815, pour être frappé de
l’immense différence qui existe entre les deux rédactions.
Je crois, messieurs,
avoir justifié le principe de la loi. J’ai peu de choses à dire sur l’art. 1er,
véritable objet de la discussion.
Qu’il me soit permis
cependant de me demander s’il est vrai que le projet primitif soit devenu
totalement méconnaissable dans le projet de la section centrale.
Outre le principe de la
loi, je découvre dans les deux projets trois caractères essentiels : 1°
l’extradition est considérée comme un acte du pouvoir exécutif ; 2°
l’extradition politique est interdite ; 3° les délits privés qui peuvent être
l’objet d’une extradition sont énumérés.
Voilà trois principes fondamentaux
sur lesquels nous paraissons d’accord. Selon moi, c’est donc sans fondement
qu’on s’est étonné de la conduite du ministre de la justice, qui a cru pouvoir
adhérer au projet de la section centrale. Toutefois, je ne disconviens pas que
c’est une assez habile tactique que de supposer que ce ministre se contentera
d’une loi, quelle qu’elle soit.
Je ne pense pas même que
l’intervention judiciaire, telle que la propose la section centrale, détruise
l’économie de la loi. En effet, l’avis donné par la chambre des mises en
accusation n’est que facultatif. La responsabilité ministérielle est donc
entière, et l’extradition demeure un acte du pouvoir exécutif, Ce principe, que
je regarde comme fondamental, ne serait détruit que si, au lieu de demander un
simple avis consultatif, on avait appelé le pouvoir judiciaire à prononcer
souverainement sur la question.
Il importe aussi de bien
apprécier la nature des fonctions qu’on propose de déférer à la chambre des
mises en accusation. Ces fonctions ne consistent pas, comme l’a supposé un des
préopinants, à vérifier seulement si les pièces sont régulières et si
l’étranger tombe dans une des catégories. La chambre des mises en accusation ne
doit point se renfermer dans ces opérations en quelque sorte matérielles ; elle
est surtout appelée à rechercher et a signaler toutes les circonstances du
crime imputé à l’étranger, circonstances qui peuvent être telles qu’elles
entraînent, malgré l’existence matérielle de toutes les conditions exigées par
la loi, un refus d’extradition ou un ajournement.
- L’orateur déclare
qu’il ne peut, comme le propose M. de Brouckere, consentir à ce que
l’escroquerie soit retranchée de la catégorie n°6, ce délit pouvant avoir pour
objet des valeurs considérables et étant de nature à porter atteinte au crédit.
Il termine ainsi :
C’est une loi de
moralité et d’utilité que nous faisons ; par un heureux accord, elle a ce
double caractère. Elle protégera notre industrie, elle fortifiera notre crédit,
elle ajoutera une nouvelle sanction à nos lois pénales, elle fondera la
véritable hospitalité. Peuple nouveau, nés d’hier, nous avons besoin de nous
faire des titres à l’estime des autres peuples. Rejeter le principe de la loi
serait décerner un brevet d’impunité aux nationaux criminels qui fuient notre territoire,
aux étrangers criminels qui s’y réfugient.
La
loi n’est ici ni une loi de vengeance, ni une loi de complaisance envers les
puissances étranges ; elle sera le complément naturel de notre système
répressif. Vous serez même le premier peuple qui aura solennellement écrit dans
ses lois : Je n’accorde point l’extradition pour délits politiques. Ce principe
ne se trouve formellement exprimé dans aucune autre législation. J’aime à
croire que les étrangers qui se réfugieront parmi nous, ne nous feront jamais
regretter de l’avoir posé d’une manière aussi absolue. Nés d’une révolution,
nous ne renierons pas les révolutionnaires qui, moins heureux que nous, ne sont
pas parvenus à se faire une patrie.
Messieurs, vous voterez la loi d’ordre et de réparation
qui vous est présentée ; et puisque dans cette enceinte on fait si souvent un
appel à l’opinion du dehors, je n’hésite pas à dire que votre vote est
impatiemment attendu par les honnêtes gens, et j’ose lui promettre
l’assentiment du pays.
- M. le ministre de la
justice quitte la salle.
M. Jullien. - Je suis du nombre des orateurs qui pensent et qui ont déjà dit que la
loi d’extradition qui nous est présentée est inutile, qu’elle est dangereuse,
qu’elle est impossible à faire dans les circonstances où nous nous trouvons.
J’ajouterai que je crois fortement que le ministre qui la demande n’a pas
d’autre but que de se créer un moyen de faire main basse, dans l’occasion, sur
tous les exilés et les proscrits qui se trouvent dans le royaume.
Et d’abord, l’origine de
ce projet m’est suspecte. Lorsque, dans cette enceinte, on a dénoncé la
violation flagrante d’un article de notre constitution, une extradition arbitraire,
illégale, ordonnée par M. le ministre de la justice, vous avez entendu ce
ministre balbutier de misérables excuses ; et lorsqu’on lui objecta qu’aucune
extradition ne pouvait avoir lieu qu’en vertu d’une loi, il répondit :
Messieurs, qu’à cela ne tienne ; on vous fera un projet de loi. En effet, la
loi ne s’est pas fait attendre, et j’en infère qu’elle était déjà prête.
Entourés, comme nous le sommes, de fraudes et de mensonges, j’infère de ce qui
s’est passé que l’extradition a été ordonnée pour autoriser la loi, et que la
loi a eu pour but de couvrir un acte illégale d’extradition.
Remarquez-le bien, M. le
ministre s’est placé dans une position superbe ; il vous a dit : Si vous n’avez
pas confiance en moi, refusez le projet. Il en résulte que, si vous le votez,
vous lui donnez un témoignage irrécusable de confiance ; vous justifiez
pleinement sa conduite arbitraire, et son acte illégal. Vous connaissez
maintenant l’alternative où vous êtes placés ; c’est à vous de choisir.
Je regrette que M. le ministre
ne m’ait pas entendu ; j’espère que ses amis ou ses collègues lui répéteront
les motifs que je lui prête et le but que j’assigne à la loi.
Un des orateurs qui se
sont fait entendre dans la séance d’hier nous a engagés à négliger un peu les
détails de la loi pour rechercher le principe de l’extradition. Messieurs, les
principes en matière d’extradition, sont très clairsemés. Cependant,
j’essaierai de répondre au désir manifesté par l’honorable M. de Robaulx.
Un principe du droit
naturel et du droit de gens, c’est que la société n’a pas le droit d’infliger
une peine, si ce n’est pour sa défense ou sa sûreté. La société ne peut sans
tyrannie infliger une peine qui n’est pas nécessaire à sa défense. Une des
conséquences de ce principe, c’est que le coupable ne peut être puni dans le
pays dont il n’a pas violé les lois ; tant qu’il n’a porté atteinte, ni aux
personnes, ni aux propriétés dans le pays où il s’est réfugié, la société de ce
pays ne peut lui infliger aucune peine ; si ce n’est quelques circonstances
extraordinaires que je ferai connaître tout à l’heure. Une autre conséquence du
principe du droit des gens, c’est que le banni, condamné à ne pas rentrer dans
son pays sous peine le mort, doit trouver chez les autres nations où reposer sa
tête ; c’est qu’un homme, par cela seul qu’il est homme, doit trouver les
moyens d’exister.
Permettez-moi de vous
citer un auteur que personne ne récusera sans doute, c’est Vattel ; voici
comment il s exprime :
« Un homme, pour
être exilé ou banni, ne perd point sa qualité d’homme, ni par conséquent le
droit d’habiter quelque part sur la terre. Il tient ce droit de la nature, ou
plutôt de son auteur, qui a destiné la terre aux hommes pour leur habitation ;
et la propriété n’a pu s’introduire au préjudice du droit que tout homme
apporte en naissant, à l’usage des choses absolument nécessaires.
« Si un exilé ou un
banni a été chassé de sa patrie pour quelque crime, il n’appartient point à la
nation chez laquelle il se réfugie de le punir pour cette faute commise dans un
pays étranger. Car la nature ne donne aux hommes et aux nations le droit de
punir que pour leur défense et leur sûreté ; d’ou il suit qu’on ne peut punir
que ceux par qui on a été lésé.
« Mai cette raison
même fait voir que si la justice de chaque Etat doit en général se borner à
punir les crimes commis dans son territoire, il faut excepter de la règle ces
scélérats, qui, par la qualité et la fréquence habituelle de leur crimes,
violent toute sûreté publique, et se déclarent les ennemis du genre humain. Les
empoisonneurs, les assassins, les incendiaires de profession peuvent être
exterminés partout où on les saisit : car ils attaquent et outragent toutes les
nations, en foulant aux pieds les fondements de leur sûreté commune. C’est
ainsi que les pirates sont envoyés à la potence par les premiers entre les
mains de qui ils tombent. Si le souverain du pays où des crimes de cette nature
ont été commis en réclame les auteurs pour en faire la punition, on doit les
lui rendre, comme à celui qui est principalement intéressé à les punir
exemplairement. Et comme il est convenable de convaincre les coupables et de
leur faire leur procès dans toutes les formes, c’est une seconde raison
pourquoi on livre ordinairement les malfaiteurs de cet ordre aux Etats qui ont
été le théâtre de leurs crimes. »
Comparez maintenant le
projet qui vous est soumis avec les indications de cet auteur, et vous
reconnaîtrez l’immense différence qui les sépare.
Vattel établit des
exemptions pour les grands scélérats, pour les incendiaires de profession ;
mais le projet Lebeau ne s’arrête qu’aux simples délits. Si je voulais vous
citer un autre auteur, je vous parlerais de Beccaria. Celui-là examine
franchement la question de savoir s’il convient de n’accorder nul asile aux
coupables, et voici comment il raisonne :
« Si la peine de
mort n’existait pas (Beccaria était l’adversaire le plus énergique de la peine
de mort), si toutes les peines étaient proportionnées aux délits, il
conviendrait peut-être de ne pas accorder d’asile, parce que cela pourrait
faire diminuer les crimes. »
Mais il se hâte
d’ajouter que, malgré ces hypothèses, il n’ose pas décider la question.
Voilà les recherches
dont je fais part à la chambre, pour répondre à l’invitation de M de Robaulx.
Quoi qu’il en soit des
principes et des opinions des auteurs, il est certain que jamais aucune loi
d’extradition n’a été faite par aucun peuple ; il appartenait au ministère
Lebeau de combler cette lacune européenne (on
rit) aucun Etat n’a pensé à en faire une, et la raison en est sensible, Qu’est-ce
qu’une loi d’extradition ? C’est un traité de puissance à puissance ; une
nation ne peut donc pas faire une loi de cette nature toute seule. Et vous,
quand vous aurez votre loi, vous aurez beau demander la réciprocité, je
soutiens qu’elle ne vous sera jamais accordée. Eh bien, que ferez-vous de votre
loi ? Irez-vous mendier aux chambres des pays étrangers une réciprocité
qu’elles vous refuseront toujours ? Irez-vous leur dire : Je puis vous livrer
jusqu’au voleur de mouchoirs de poche et de tabatières ; voulez-vous nous
accorder l’échange ? Ah ! messieurs, prendrons-nous jamais une position aussi
humiliante ? N’avons-nous pas assez subi d’affronts comme cela, essuyé assez
d’avanies sans en aller chercher de nouvelles ? On vous passera peut-être le principe,
mais les détails de votre projet on les répudiera toujours.
J’arrive à l’article
premier : c’est l’assassinat, c’est l’empoisonnement, c’est l’infanticide,
c’est le meurtre, c’est le viol, etc., auxquels il s’agit d’appliquer le
principe d’extradition. On a seulement eu le soin de déclarer formellement que
l’intention du ministre n’avait pas été d’appliquer la loi aux crimes
politiques ; et on a formellement stipulé que ces crimes ne pourraient jamais
autoriser l’extradition. C’est bien, mais il est une observation qu’il ne faut
pas perdre de vue, c’est qu’il est impossible que, dans des circonstances un
peu graves, des crimes politiques se commettent sans pouvoir être confondus
plus ou moins facilement avec un des crimes prévus dans les articles du projet.
Je citerai un exemple : Chambure, le héros que vous connaissez tous, s’était
retiré en France en 1815 ; là il se mit à la tête d’un corps de partisans, et
sans connaître les conventions que les Bourbons avalent pu faire, il livra un
combat aux cosaques ; il y eut des morts et des blessés des deux côtés. Il fut
poursuivi comme assassin, et il se trouva un tribunal assez infâme pour le
condamner à mort. Il vint se réfugier en Belgique, où il vécut tranquille. Si
votre projet eût existé alors, vous eussiez livré Chambure ou propose
d’autoriser l’extradition pour meurtre. Mais y a-t-on bien réfléchi ? Le
meurtre, c’est l’homicide volontaire dégagé de toute préméditation : eh bien,
lorsque dans une querelle, souvent entre deux amis, un mot injurieux est
prononcé, une rixe s’ensuit, et souvent les suites en sont des plus déplorables
; un homme y perd la vie, et voila un meurtre. Tous ceux qui en ont été les
témoins, qui ont vu la provocation, plaignent peut-être le coupable ; ils lui
donneraient peut-être asile, s’il se réfugiait dans leurs foyers ; eh bien,
vous le livreriez à ses juges.
Si un mari surprend sa
femme en flagrant délit, la loi excuse le meurtre, mais il faut prouver le
délit ; en attendant la preuve, vous le livreriez.
Un duel a lieu, un des
adversaires succombe, voilà un meurtre : le tribunal admet bien les
circonstances atténuantes ; mais il y a meurtre et vous ordonneriez
l’extradition.
Vous accordez encore
l’extradition pour l’infanticide. Eh bien, il n’y a pas de crime plus difficile
à prouver que celui-là. La raison en est simple. Avant de prouver qu’il y a eu
meurtre, il faut d’abord prouver que l’enfant était vivant. Or, je ne vous
raconterai pas toutes les difficultés que la solution d’une pareille question
présente. Une malheureuse qui, pour cacher sa honte ou parce qu’elle n’a pas
les moyens d’élever son enfant, serait devenue criminelle, vous la livreriez.
On a parlé du viol. Les
accusations de viol sont assez fréquentes, et cependant il n’y a rien de plus
rare que la réalité de ce crime. Je suis dispensé d’en citer mille espèces de
preuves. Mon expérience m’a fait connaître dans ces sortes d’affaires. (Hilarité générale.) J’espère bien que
vous comprenez que c’est de mon expérience comme avocat que j’entends me
prévaloir. (On rit.) Eh bien ! cette
expérience m’a fait connaître que, la plupart du temps, ces accusations ne sont
qu’une spéculation de la misère et de la débauche contre des gens crédules ou
de vieux libertins. C’est une chose assez commune. D’ailleurs, messieurs, quel est
le but du viol ? (Hilarité prolongée.)
Je passerai sur le viol ; je vois que vous le comprenez aussi bien que moi.
Je passe aux faux en
écriture. Il y a des faux en écriture de toute espèce. Il y a des faux en
écriture de banque et de commerce : c’est là que le crime est grave et peut
intéresser toute la société européenne ; mais admettrez-vous l’extradition pour
un faux certificat, pour un faux passeport ? L’extradition serait aussi
dérisoire que pour le vol et l’escroquerie.
On a beau dire qu’en
Angleterre il y a le droit d’expulsion ; en Angleterre, pas plus qu’en France,
on ne livrera un étranger pour ces sortes de délits. Chez les Anglais, en vertu
d’un alien-bill, l’étranger pourra être expulsé ;
mais l’extradition n’aura jamais lieu. Si le contraire est arrivé en France,
c’est que le gouvernement pouvait agir plus ou moins despotiquement. D’après la
loi française, comme d’après la nôtre, un ministre ne peut pas plus attenter à
la liberté d’un étranger qu’à la liberté d’un citoyen.
Pour exciter l’intérêt
de ceux que ces sortes de considérations peuvent toucher, on nous a représente
les dangers de la banqueroute pour le commerce de tous les pays. Voyez, nous
a-t-on dit, ces banqueroutiers qui viennent établir ici un luxe dont un grand
nombre de malheureux ont fait tous les frais ! N’est-ce pas un scandale qui
crie vengeance ? Eh ! messieurs, ne voyons-nous pas, même au sein de notre
pays, des intrigants parvenir à la richesse, aux honneurs, par des moyens dont
nous rougissons tous ? Eh bien, nous les regardons sans effroi, et le luxe
qu’ils étalent ne nous paraît pas un crime ; c’est que nous savons bien qu’il
faut tolérer tout ce qui est permis, bien que tout ce qui est permis ne soit
pas toujours honnête. Eh bien, maintenant, si des banquiers viennent dépenser
tranquillement leur argent dans nos villes, quel intérêt avez-vous à les
refouler dans leur patrie ?
Il y a en Belgique une
multitude d’étrangers, d’Anglais, de Français, qui ont quitté leur pays sans
régler leurs comptes avec leurs créanciers ; dans quel embarras cruel
allez-vous les mettre, s’ils peuvent être livrés inopinément ! Il y a bon
nombre de ces étrangers qui sont maintenant fixés parmi nous, et que leur
famille est venue rejoindre. Ils ne sont pas citoyens, mais ils exercent parmi
nous une industrie ; ils attendent la prescription de leur peine. Eh bien, ces
hommes inoffensifs qui travaillent chez vous, pour vous, on demandera leur
extradition, et vous serez forcés de les livrer.
Remarquez, messieurs,
que lorsque vous aurez stipulé l’échange, vous devrez livrer 20 étrangers pour
un Belge dont vous réclamerez l’extradition.
On
a cru rencontrer une remède à une partie des inconvénients que je signale dans
la garantie des cours d’appel ; mais la disposition que l’on m’oppose tend à
déconsidérer la chambre des mises en accusation. Elle n’aura qu’un avis à
donner ; or, un tribunal doit donner une décision et non pas un avis dont le
ministère pourra faire ce que bon lui semblera. Enfin, dit-on, un ministre
n’osera jamais agir contre un avis de la cour d’appel. Un ministre ose tout,
messieurs, quand il a intérêt à le faire : il ne faut que remuer un pays comme
il l’était après la dissolution de la chambre ; il ne faut que cela pour tout
oser, et même pour obtenir l’avis qu’il plaît d’exécuter. Ministres, si vous
voulez obtenir la loi, mettez-y de la franchise et placez sur les frontières de
M. F. de Mérode. - M. Jullien vous a parlé d’une condamnation prononcée contre le
colonel Chambure, comme appliquée uniquement pour avoir combattu et tué des
cosaques. Messieurs, j’habitais la province de France dans laquelle fut commis
l’acte signalé d’une manière inexacte par M. Jullien. J’ai passé nombre de fois
dans la commune où eut lieu l’événement. Eh bien, messieurs, Chambure fut
condamné à Besançon non pour avoir fusillé des cosaques, mais de malheureux
paysans des montagnes du Doubs, qui portaient des cocardes blanches. Je
rectifie ce fait, afin qu’il ne laisse pas mal à propos une fâcheuse impression
dans vos esprits.
M. Jullien. - Je n’admets
pas une rectification qui est contre tout ce que les journaux du temps ont
publié. D’ailleurs, c’était toujours un crime politique.
M. Ernst, rapporteur. - Messieurs, si l’on considère le projet de la section centrale en
lui-même, l’on verra, je crois, que toutes ses dispositions ont été dictées
dans les intentions les plus libérales et les plus loyales. J’indiquerai
rapidement toutes les améliorations dues à ce projet.
L’extradition ne pourra
plus avoir lieu en vertu d un mandat de justice, plus même en vertu d’une
décision de la chambre du conseil : il faudra un jugement contradictoire ou par
défaut, lorsqu’il s’agira d’un délit ; un arrêt de la chambre des mises en
accusation lorsqu’il s’agira d’un crime, et comme si cette garantie était
insuffisante, il faudra en outre consulter un corps de la magistrature belge,
placé dans une position élevée et indépendante. Pour la banqueroute simple
l’extradition ne pourra être ordonnée, mais seulement pour la banqueroute frauduleuse.
La désertion militaire a été écartée : à l’avenir il ne pourra plus être conclu
de sortes d’arrangements ; un traité de réciprocité devra intervenir ; ce
traité nous le connaîtrons, nous verrons si ses clauses sont conformes à la
loi. Il recevra la plus grande publicité. Les étrangers auront aussi tout le
temps de se mettre à l’abri de l’extradition, car il vaut mieux encore que
l’étranger quitte volontairement
Quant aux réfugiés
politiques, ils font l’objet de toute notre sollicitude et de toutes nos
craintes ; eh bien, jamais une extradition pour délit politique ne pourra être
faite, la loi le défend expressément. Les puissances avec lesquelles nous
traiterons devront prendre un engagement formel à cet égard.
La prescription, que
l’humanité réclamait, a été sanctionnée. Maintenant, je le demande, est-ce en
présence de garanties semblables que l’on peut dire que la loi d’extradition
organise le despotisme ? J’en appelle à la justice de la chambre. Il est à
remarquer que les attaques sont moins dirigées contre le projet même que contre
l’autorité qui l’exécutera.
« Le projet
ministériel est le plus mauvais qui nous ait encore été soumis, » a dit un
honorable orateur ; je n’ai rien à répondre à cela. Un honorable préopinant a
prétendu que c’était par tactique qu’on avait fait cette supposition.
J’affirme, de mon côté, que c’est par tactique qu’on a avancé que le projet du
gouvernement est conçu dans le même esprit que le nôtre ; celui-ci offre toutes
les garanties nécessaires, qu’on chercherait vainement dasn
l’autre.
Autant la proposition
ministérielle était dangereuse, autant celle de la section centrale mérite
d’obtenir votre approbation.
« L’adhésion du
ministre de la justice est un calcul, a dit l’honorable M. de Brouckere ; il
veut des extraditions à tout prix. » Mais que nous importe son adhésion ?
elle ne change pas la loi, et ce n’est pas une recommandation non plus : car,
il faut bien le dire, messieurs, c’est le sort du ministre de gâter tout ce
qu’il toilette. Quant à moi, je ne m’applaudis pas de son assentiment ; je
préfèrerais avoir à lutter contre lui que contre mes honorables amis.
« Le projet que le
ministre de la justice est chargé d’exécuter, quel qu’il soit, ne mérite aucune
confiance. Les armes les plus innocentes deviennent dangereuses dans ses
mains. » Mais, messieurs, si nos défiances sont portées jusque-là, je vous
dis qu’il faut attaquer le mal à sa racine ; oui, messieurs, il faut alors
aller jusqu’au trône, et déclarer qu’entre le ministère et nous il n’y a plus
d’harmonie, plus de concours possibles.
La loi, vous a-t-on dit,
est impossible ; et pourquoi donc ? Nous nous placerons dans une position
humiliante. Humiliante ? non, messieurs, c’est honorable qu’il fallait dire.
Chez nos voisins, le gouvernement est autorisé à consentir des extraditions ;
une loi n’est pas nécessaire. Chez nous il en faut une, la constitution le
prescrit. En la faisant de telle sorte qu’elle ne donne pas lieu à
l’arbitraire, qu’elle réponde à la justice et à notre intérêt, nous pourrons
nous en glorifier. Et de quoi a-t-on peur ? Que l’énumération des délits ne
plaise pas à tous les peuples étrangers. Eh bien, avec tel peuple on stipulera
l’échange pour tel genre de crimes, et pour tel autre genre avec tel autre
peuple. La réciprocité n’entraîne aucun inconvénient ; et si un gouvernement
refuse de traiter aux conditions que la loi impose, il n’y aura pas
d’extradition. Le malheur n’est pas grand. (Rire
d’approbation).
L’honorable préopinant a
reproché au ministre de la justice d’avoir présenté son projet pour couvrir un
acte inconstitutionnel. Je ne sais quelles ont été les intentions du ministre ;
mais, à coup sûr, les nôtres n’ont pas été de couvrir un attentat à la liberté
individuelle ; nous avons cherché à prévenir les nombreux abus auxquels le
premier projet exposait les étrangers.
« Mais c’est un
vote de confiance que vous allez donner au ministre. » On oublie donc
qu’il n’est plus question du projet ministériel, mais de celui de la section
centrale. Le ministre ne nous demande pas un semblable vote, et d’ailleurs il
ne l’obtiendrait pas.
Examinons maintenant le
principe de l’extradition et les amendements présentés par mes honorables amis
MM. Gendebien et de Brouckere.
Rien n’est plus juste,
plus conforme au véritable intérêt des peuples, que la règle de l’extradition.
On veut que les barrières qui séparent les peuples tombent. Eh bien ! hâtons ce
moment-là, et que ce qui est un crime dans un pays le soit aussi dans l’autre ;
comme aussi ce qui est honneur, vertu, progrès chez une nation, doit l’être
partout. C’est ainsi que j’entends la civilisation.
Et, messieurs, n’est-ce
pas une nécessité du commerce que l’extradition ? On vous a dit que la
falsification des billets de banque pouvait jeter la perturbation dans les
relations sociales. Comment donc empêcher cette perturbation, si l’auteur du
crime ne peut pas être livré, s’il est sûr de demeurer impuni ?
L’extradition nous offre
une nouvelle sanction de la loi.
Il y a deux moyens de
prévenir les crimes. Améliorer les hommes, ne laisser aucune chance à
l’impunité ; et pour prévenir les dangers de l’impunité, l’extradition est
nécessaire surtout dans un petit pays comme le nôtre, dont les frontières sont
si faciles à franchir. D’un autre côté, si nos voisins, si
« La loi, a-t-on
objecté, ne peut frapper que ceux qui ont violé la loi du pays. »
Certes, il y a des
crimes de circonstances et de localité pour ainsi dire, qui cessent d’être un
crime ailleurs que là ou ils ont été commis ; mais il n’en est pas ainsi des
attentats contre les personnes et les propriétés, qui blessent la loi
naturelle. La loi naturelle, comme l’a dit un grand orateur, est la même
partout ; elle n’est pas autre à Athènes qu’à Rome ; ceux qui la violent en
France, la violent aussi en Belgique. On a parlé des temples d’asile : voudrait-on
faire de
On a invoqué les
opinions et cité les discours des membres de l’opposition qui siégeaient aux
états généraux sous l’ancien gouvernement. Mais leurs réclamations énergiques
contre des expulsions inconstitutionnelles n’ont rien de contraire au principe
de l’extradition. Ils protestèrent avec raison contre la violation de l’art 4
de la loi fondamentale, ils demandèrent une loi organique de cet article. Or,
le projet soumis à la chambre organise précisément une disposition analogue de
la constitution.
Du reste, notre
assemblée compte aussi des hommes dévoués aux libertés publiques qui ne
souffrent pas que les ministres violent le pacte fondamental ; ils ne se
bornent même pas à des discours, ils veulent que la responsabilité ne soit pas
un vain mot.
« L’extradition est
un signe de dépendance, un acte de barbarie. » Non ; nous la consentons
volontairement, suivant les règles de la justice et de l’intérêt national.
« Mieux vaudrait
une loi d’expulsion. » Mais une pareille loi ne serait pas plus facile à
faire ; elle aurait aussi ses dangers, sans nous donner l’avantage de
poursuivre les Belges criminels à l’étranger.
Mais, nous dit-on, vous
ne vous bornerez pas à stipuler des échanges avec les pays constitutionnels ;
vous ferez des traités d’extradition avec la Prusse, la Russie, et les
malheureux Polonais réfugiés chez nous, que deviendront-ils ? Sous ce rapport,
toute espèce de crainte doit être bannie ; nous avons toute garantie qu’aucune
extradition ne sera faite pour délit politique : une condamnation prononcée par
une commission spéciale ne pourra jamais l’autoriser ; il faut qu’elle émane
d’un tribunal régulier. Il y a des assassinats juridiques, nous le savons bien,
et nous avons déclaré ne pas regarder comme des juges les prévôts et les
commissaires qui n’ont que la mission de condamner.
Enfin, messieurs, on a
fait un appel à des intérêts matériels : il y a chez nous, dit-on, 300
étrangers qui dépensent des capitaux considérables, notre loi les forcera à
quitter le pays et nous fera perdre les avantages qu’ils nous procurent. Ce
n’est pas faire honneur aux étrangers qui résident parmi nous que de parler
ainsi. J’aime à croire qu’aucun d’eux n’a porté atteinte ni aux personnes, ni
aux propriétés, j’aime mieux voir en eux des réfugiés politiques et leur dire :
Soyez tranquilles, restez parmi nous, toute espèce de protection vous est
assurée. S’il y avait des étrangers qui vinssent consommer en Belgique le
produit de leurs crimes, je les livrerais à leurs juges naturels sans
miséricorde : il ne peut y avoir d intérêt à favoriser un pareil scandale.
On nous dit que nous
perdrons aux échanges parce que nous aurons moins d’individus à réclamer qu’à
livrer. Si nous avons moins de criminels à poursuivre, cela fera honneur à nos mœurs.
Du reste, on ne peut considérer comme un avantage le séjour en Belgique des
malfaiteurs étrangers.
L’honorable préopinant
nous a opposé l’autorité de Vattel et de Beccaria ; mais il a eu tort de s’en
prévaloir. Vattel veut qu’on donne asile aux bannis. Nous sommes d’accord avec
lui ; il n’est pas question d’extradition à leur égard. Il ajoute qu’on peut
exterminer les empoisonneurs et les assassins étrangers ; c’est là de la
barbarie.
Quant à Beccaria, il laisse
la question indécise ; la grande aversion qu’il avait pour la peine de mort
pouvait l’empêcher d’admettre l’extradition.
Le même orateur a
critiqué l’énumération des faits qui se trouve à l’art. 1er du projet.
On a prétendu qu’un
crime politique pouvait, dans certaines circonstances, donner lieu à une
accusation d’assassinat ou de meurtre, et rentrer enfin dans une des catégories
de la loi. On a cité l’exemple du colonel Chambure. Mais, messieurs, il ne faut
pas séparer l’art. 1er de l’art 6 : pour que l’extradition ait lieu, il ne
suffit pas qu’il existe un des faits énumérés dans l’art. 1er mais il faut
aussi, d’après l’art. 6, qu’il soit bien prouvé que le fait est étranger à des
opinions ou événements politiques. La cour qui doit être consultée s’attache à
vérifier ce point. Chambure n’aurait pas été livré ; on l’aurait entendu, et on
aurait reconnu la nature du fait.
« L’infanticide
présente parfois des circonstances atténuantes. » Il en est de même du
meurtre et de plusieurs autres crimes ; mais on ne pouvait faire toutes ces
distinctions dans cette loi ; elles ne doivent exercer de l’influence que sur
le jugement du fait et la réforme des lois pénales.
On s’exagère sans cesse
les inconvénients que l’exécution de la loi peut entraîner. Il est bien évident
que l’extradition ne sera demandée que lorsqu’un grand scandale aura été donné,
ou qu’une grande nécessité la commandera. Pour un meurtre provoqué ou excusable
pour duel, il n’est pas à croire qu’on poursuive un malheureux à l’étranger ;
il n’est pas de loi dont l’application ne présente des inconvénients en matière
législative comme dans toutes les choses humaines, il s’agit de faire le mieux
qu’on peut ; la perfection n’est qu’une chimère.
Je ne puis admettre
l’amendement que mon honorable ami M. Gendebien a proposé sur l’article 1er,
d’après lequel il ne suffirait pas que l’étranger fût mis en accusation, mais
devrait avoir subi une condamnation au moins par contumace.
La chambre des mises en
accusation offre la plus grande garantie, et par les magistrats qui la
composent, et par la manière dont elle procède.
On ne doit pas craindre
la faiblesse ou la complaisance de ces juges.
On a dit que dans des
pays étrangers il n’y aurait pas toujours un corps judiciaire analogue à la
chambre des mises en accusation, qu’alors il y aurait matière à interprétation
et danger de l’arbitraire.
D’abord cela n’est pas à
craindre pour les pays limitrophes ; et dans ceux où il n’existe pas une cour
de justice qui offre la même sûreté, comme les conditions de notre loi
n’existeraient pas, l’extradition ne serait pas accordée.
A quoi servirait un
arrêt de la cour d’assises ? Il mettrait l’accusé sous interdiction, il le
priverait de l’administration de ses biens ; toutes les conséquences d’un tel
arrêt tourneront au détriment de l’étranger.
On a prétendu que
l’intervention de la chambre d’accusation de la cour d’appel ne présentait pas
une garantie aussi étendue que nous l’avions supposé ; qu’elle se bornerait à
vérifier les pièces et le crime imputé. C’est une erreur : cette intervention
offre au contraire de grands avantages ; la cour entendra l’accusé, vérifiera
son identité, s’assurera surtout si le crime est bien étranger à la politique.
Pendant cet examen, les journaux du pays plaideront pour celui qui est menacé d’extradition.
Après cela, peut-on encore redouter qu’on livre des réfugiés polonais ou autres
?
On a dit que c’était
déconsidérer la cour que de l’appeler à donner simplement un avis. Si j’avais
l’honneur de siéger dans une cour de justice, je serais flatté de la confiance
que le législateur lui aurait accordée. La magistrature remplit dans ce cas des
fonctions tutélaires qui ne peuvent que l’honorer.
On a fait remarquer que
le ministre ne serait pas lié par cet avis : lié, sûrement non ; il doit rester
libre puisqu’il reste responsable ; mais s’il est positivement énoncé dans
l’avis que l’extradition est réclamée pour délit politique, le ministre de la
justice, quoiqu’il ne soit pas lié, aurait-il l’imprudence de faire
l’extradition ?
M.
de Brouckere a présenté un amendement qui tend à ne pas permettre l’extradition
pour tous les vols indistinctement ; il veut que le vol avec circonstances
aggravantes soit seul passible de l’extradition ; mais on peut avoir volé des
sommes considérables sans escalade, effraction ou fausses clefs, etc. : au
reste, un homme qui commet le vol, on vous l’a dit, est un homme profondément
corrompu ; ce qui est le plus à craindre, c’est qu’il ne vole encore ; on ne
doit pas avoir de regret à le voir livrer.
On a aussi fait des
réclamations en faveur des escrocs ; on veut qu’ils ne puissent pas être
compris dans l’extradition. Quant à ceux-là soyez sans inquiétudes ; vous ne devez pas craindre qu’on vous les
redemande ; on sera fort satisfait de les voir s’exiler volontairement.
(Moniteur belge n°232, du 20 août 1833) - M. Gendebien. - Lorsque j’ai parlé de la facilité qu’on
aurait à trouver dans une cour trois magistrats faibles ou avides d’honneurs et
d’argent, je n’ai pas entendu désigner les juges de notre pays ; et la preuve,
c’est que je propose un amendement pour que ce soit la seconde chambre de la
cour de cassation qui donne un avis auquel le ministre serait tenu de se
conformer ; je n’ai entendu parler que des juges des tribunaux étrangers.
Messieurs, qu’il me soit
permis de dire un mot en faveur d’un homme qui n’est pas là pour se défendre.
Il s’agit du colonel Chambure. J’ai eu avec ce brave militaire des liaisons qui
ne permettent pas de garder le silence quand sa mémoire est attaquée.
Le colonel Chambure a
été condamné pour vol de grand chemin, pour avoir arrêter deux officiers
anglais sur une route, et pour les avoir, disait-on, dépouillés. il a été assez
heureux pour éviter les suites de la condamnation ; il eût été assassiné
juridiquement en France si on avait pu l’y tenir.
Le
colonel Chambure a invité les officiers anglais à s’expliquer : l’un d’eux
était déjà en Amérique, l’autre était à Lisbonne. Cependant ils ont écrit des
lettres honorables au caractère du colonel Chambure.
Je
devais cet hommage ou, si vous voulez ce témoignage, au caractère du colonel
Chambure.
M.
F. de Mérode. - Le fait dont
j’ai parlé a eu lieu dans une commune où je suis allé et où j’en ai entendu
raconter l’histoire.
M. Gendebien. - C’est certainement une histoire
que vous nous rapportez.
M.
F. de Mérode. - Je ne fais pas
plus d’histoire que vous, monsieur. Les paysans du département du Doubs
portaient la cocarde blanche et s’étaient réunis en faveur de la cause qu’ils
voulaient soutenir ; le colonel Chambure commandant un corps franc, quoi qu’en
nombre inférieur, les attaqua, les dispersa, et fit des prisonniers ; deux de ces
malheureux ont été fusillés.
Il peut, indépendamment
de ce fait, y en avoir un autre relatif aux officiers anglais ; mais celui que
je cite n’est pas une histoire.
M. Gendebien. - Ce que je dois à la mémoire du colonel Chambure
ne me permet pas de laisser sans réponse ce qui vient d’être raconté. La preuve
qu’on a fait une histoire, c’est que le colonel Chambure a reçu la permission
de rentrer en France quand la première effervescence a été passée ; s’il eût
commis le crime d’assassinat, certainement cette permission ne lui aurait pas
été accordée.
M. Doignon. - Messieurs, j’ai peu de mots à
ajouter à ce que j’ai dit à une précédente séance. On a disserté longuement sur
les avantages du principe de l’extradition ; mais la question n’est pas là. La
difficulté est dans les garanties que la chambre doit exiger pour conserver le
droit d’hospitalité accordé aux réfugiés politiques. Les objections faites à
cet égard ont été faiblement abordées dans la discussion. Je me propose de
présenter de nouvelles considérations sur cet objet.
Nous avons, à une
dernière séance, envisagé spécialement le projet en discussion, par rapport à
Votre ministère vous
produira donc, chaque fois, des pièces très régulières et en harmonie avec la
loi. Il trouvera facilement des moyens d’excuse à l’égard des questions
controversées dans le pays même auquel appartient l’étranger ; il aura, je le
suppose, été trompé et agi de bonne foi ; vous lui donnerez un bill
d’indemnité, et le sang du réfugié polonais aura coulé à Varsovie. Si le nouvel
art. 2 de la section centrale exigeait encore qu’on remît à la chambre des
mises en accusation de
Dans tous les cas, aux
yeux de l’autocrate, le salut de l’empire peut tout légitimer. Vous n’ignorez
pas que pour l’absolutisme tous les moyens sont bons dès qu’il arrive à ses
fins. Toute garantie, nous devons le craindre, serait donc illusoire avec un
tel gouvernement, au moins à l’égard des Polonais.
On nous observera
peut-être qu’aucun traité ne se fera avec
Réfléchissez, messieurs,
que de la manière dont est rédigé l’art. 1er du projet, votre loi est
applicable aux gouvernements des quatre parties du monde. Mais, puisqu’on
reconnaît que des garanties sont indispensables, n’est-il pas dans la nature
des choses que ces garanties doivent varier, et qu’à raison d’une foule de
circonstances telles que nos relations avec chaque pays, leur position à notre
égard, leur politique, leur droit public, etc., nos conditions doivent être
plus ou moins sévères, plus ou moins favorables ?
Cependant, le projet en
discussion n’autorise qu’à faire un seul et même traité pour tous. Il met donc
sur la même ligne
Mais nous persistons à
penser qu’à moins d’une nécessité absolue, il y a lieu de suspendre la
conclusion des traités de cette nature dans des temps de révolution, parce que,
dans ces circonstances extraordinaires, les cabinets étant trop souvent dominés
et dirigés bien plus par leur politique que par leur justice, il est moralement
impossible qu’on ne fasse pas de la loi un usage contraire aux vues du
législateur, parce qu’en un mot l’abus est trop près de la loi.
Toute loi d’extradition
a pour nous un double but, celui de remettre un étranger dangereux à son
gouvernement ; et celui d’obtenir par réciprocité les régnicoles qui fuiraient
le glaive de la justice. Le premier but peut être rempli par la loi d’expulsion
du 3 brumaire an IV, qui offre le moyen de délivrer le pays des étrangers
prévenus d’avoir commis chez eux des crimes ou délits. Ainsi, qu’on cesse de
dire qu’ici l’on a eu en vue d’empêcher que le pays ne devienne un repaire de
criminels ; nous n’avons pas besoin de la loi en discussion pour obtenir ce
résultat, et si l’on doute que cette loi de l’an IV soit encore en vigueur, le
gouvernement peut, à cet égard, nous faire une proposition. D’un autre côté,
notre désir est aussi qu’aucun crime atroce ne puisse échapper à la punition.
Mais il faut voir premièrement à quel prix et sous quelle condition on voudrait
réciproquement nous remettre quelques criminels. Si, en souscrivant
l’engagement réciproque, vous compromettez le droit sacré et constitutionnel de
la Belgique ; si les garanties que vous stipulez laissent une incertitude telle
que vous jetez le trouble et l’inquiétude parmi les étrangers réfugiés sur
notre sol ; si vous les livrez peut-être à leurs bourreaux, ne devons-nous pas
préférer laisser impunis quelques crimes plutôt que de souscrire à un pareil
sacrifice et à des conséquences si déplorables s’il s’agit d’un banquetier ? Il est d’ailleurs bien rare que, même en
l’arrêtant, on puisse récupérer les valeurs qu’il emporte en fuyant. Mais
qu’est-ce donc qu’une poignée d’argent vis-à-vis d’un droit constitutionnel que
nous avons juré de conserver ? D’ailleurs l’expérience n’a aucunement prouvé
que l’impunité en Belgique de quelques crimes ou délits aurait jamais jusqu’ici
compromis l’ordre public.
En vain vous prohiberez
dans les traités l’extradition pour délits politiques, les jugements ou arrêts
qu’on vous expédiera n’offriront que des crimes ordinaires, quoique réellement
connexes à des faits politiques : aucune nation n’a défini jusqu’ici ce que c’est
véritablement qu’un délit politique.
On a observé que
plusieurs juges composent la chambre de mise en accusation ; mais que nous
importe leur nombre s’ils ne jugement qu’une question de fait d’après les seuls
actes d’instruction que leur produira le procureur du Roi, agent direct du
ministère ? Les plus sages en pareil cas peuvent facilement être induits en
erreur. Nous le répétons, un seul indice suffit, et l’instruction se fait
secrètement. Au contraire, le jugement par contumace est toujours précédé et
suivi de cette publicité qui est la garantie de tout jugement ordinaire.
Deux sections avaient
proposé de se servir, dans l’art. 1er, des mots « tribunaux
ordinaires. » Si la chambre adopte la loi, je partagerai l’opinion de ces
sections et proposerai, par conséquent, qu’on ajoute le mot
« ordinaires. » La section centrale dit cependant qu’elle entend
exclure les tribunaux extraordinaires, les commissions spéciales, les cours
prévôtales ; mais si telle est son intention, pourquoi ne pas l’exprimer ? Elle
craint qu’il ne puisse paraître que tel ou tel tribunal n’est pas un tribunal
ordinaire quoiqu’il soit d’une juridiction régulière. Mais en cas de doute sur
ce point, ne doit-on pas le décider en faveur de l’étranger ou plutôt en faveur
du droit d’hospitalité ? L’expression « ordinaires » doit donc être
ajoutée au mot « tribunaux » dans l’art. 1er.
M. le président. - La parole est à M. Quirini.
M. Quirini. - J’y renonce.
M. d’Huart. - Messieurs, je suis d’accord avec l’honorable M. Nothomb
que la discussion qui se continue en ce moment a pris une marche tout à fait
irrégulière ; clôturée sur l’ensemble du projet de loi dans la séance de
mercredi dernier, elle a été reprise de nouveau sur l’ensemble et a absorbé de
cette manière deux nouvelles séances.
S’il est vrai qu’il y a
quelque chose de singulier en cela, il n’est pas moins bizarre de voir que
presque tous les orateurs se soient attachés à combattre exclusivement le principe
de la loi, qui n’a rencontré aucune espèce d’opposition dans les sections.
Toutefois il est
possible d’expliquer cette dernière particularité : il est probable que ceux de
nos honorables collègues qui s’opposent à toute espèce de loi sur les extraditions
n’ont point pris part à la discussion préliminaire dans les sections, et qu’ils
ont réservé leurs observations pour la discussion publique ; ils avaient certes
le droit d’agir ainsi, cependant je me permettrai de dire qu’il eût été
désirable pour l’économie de notre temps que ces honorables députés eussent
fait valoir leurs moyens dans les sections, parce que la section centrale,
ayant été mise ainsi à même de les examiner les eut rencontré dans son rapport,
ce qui eût considérablement abrégé nos délibérations.
Je regarde la discussion
comme épuisée.
Je me serais volontiers
dispensé de prendre la parole en cette occasion si je n’avais entendu hier
plusieurs orateurs attaquer le projet de loi avec véhémence et si, comme membre
de la section centrale, il ne m’importait de repousser au moins brièvement, et
même au risque de faire des répétitions, les reproches les plus amers dirigés
contre son travail.
A entendre les
adversaires du projet, on dirait que l’honnête étranger qui voudrait se
réfugier en Belgique n’y serait plus désormais en sécurité si ce projet était
admis ; il semblerait qu’abdiquant notre antique réputation d’hospitaliers,
nous nous associerions aux persécutions despotiques.
Mais, messieurs,
s’agit-il réellement de cela ? La nomenclature des crimes spécifiés dans l’art.
1er comme pouvant donner lieu à l’extradition, n’en limite-elle pas
suffisamment les cas ? est-il un de nous qui voudrait sincèrement se faire
l’ami, le protecteur, le soutien de l’homme qui aurait commis un de ces crimes,
et franchement ne faut-il pas reconnaître que la société en général est
intéressée à ce qu’un tel homme soir puni ?
En quoi, d’ailleurs,
pourrait aider aux persécutions du despotisme la loi telle qu’elle vous est
proposée ? Et en supposant qu’il se rencontrât chez nous un ministre assez
éhonté, assez audacieux pour s’y prêter, les dispositions de l’art. 6 ne lui en
interdisent-elles pas la faculté ? Ces dispositions n’attestent-elles pas
suffisamment aussi de notre respect pour le droit sacré de l’hospitalité sainement
entendu ?
On a dit que
l’extradition est un signe de dépendance de la part du pays qui la fait ; mais
a-t-on réfléchi qu’elle ne peut, aux termes de l’art. 1er, avoir lieu qu’à
charge de réciprocité ?
On vous a parlé
d’intérêts matériels du pays comme s’opposant à l’adoption de la loi, par le
motif que bon nombre de réfugiés pour cause politique ou pour banqueroute
quitteraient
Il arriverait ainsi que,
par une conséquence réciproque, le Belge enclin au même crime n’aurait qu’à passer
la frontière pour jouir dans l’aisance du produit de ses vols. Si un pareil
état de choses, destructif de toute confiance publique, était proclamé, n’en
résulterait-il pas les plus grandes calamités ?
Je suis bien éloigné de
voir dans la loi, comme l’ont dit d’honorables préopinants, une atteinte à
l’honneur du pays ; j’y trouve au contraire un gage de loyauté, un témoignage
éclatant de respect pour les droits de la justice, une réprobation manifeste du
crime ; j’y découvre une garantie essentielle pour l’étranger ; en choisissant
Je
persiste à croire, messieurs, que la loi proposée est non seulement utile, mais
nécessaire ; si des amendements tendant à l’améliorer, et à y introduite des
garanties contre les abus, sont présentés, je les admettrai avec plaisir.
J’admettrais volontiers, par exemple, un amendement dans le sens de ce qui
vient d’être dit par M. Doignon, pour donner des garanties aux Polonais
réfugiés chez nous.
M. Gendebien. - La discussion est arrivée à son terme ; je
n’abuserai pas de vos moments.
Comme MM. Ernst et d
Huart, je ne veux pas favoriser le crime, et dans une longue carrière d’avocat,
je n’ai jamais défendu un malfaiteur par horreur pour le crime ; mais j’en reviens
aux dangers de la loi, et à son inutilité.
Il y a danger à porter
la loi. Dans un moment où
M.
F. de Mérode, ministre par intérim des affaires étrangères. - Moi, je le refuserai, ce traité.
M. Gendebien. - M. le comte de Mérode, ministre
des affaires étrangères, ne le refusera pas ; je ne le crois pas assez
téméraire pour cela. Je ne suis pas aussi rodomont que M. le comte, et je ne
crois pas qu’un ministre, dans sa position, puisse refuser.
M.
F. de Mérode. - Vous qualifiez
de rodomontade des choses très simples.
M. Gendebien. - Je garderai le silence, si vous
m’interrompez.
M.
F. de Mérode. - Je ne dirai
plus rien.
M. Gendebien. - Cette loi faite, il n’y a pas de
puissance avec laquelle vous puissiez refuser de traiter.
L’empereur de Russie
nous demandera de traiter : croyez-vous qu’il respectera les engagements qu’il
prendra vis-à-vis de nous ? Non, il agira envers nous comme il agit envers ses
peuples. En Russie, qui peut savoir ce que devient un homme ? On le saisit, on
le transporte à trois ou quatre mille lieues, et les autorités russes peuvent prétexter
cause d’ignorance sur le sort d’un
individu et de bonne foi.
L’inutilité de la loi !
On prétend que cette utilité est toute pour nous, que par cette loi nous
pourrons avoir les Belges coupables. Mais les Belges qui fuiront la terre
natale n’iront pas dans un pays où ils seront certains d’être livrés ; ils
iront en Angleterre ou en Hollande, contrées dont les constitutions s’opposent
à l’extradition.
L’Angleterre et
Vous courez donc des
chances de danger sans chance d utilité ; voilà la règle générale pour les
temps ordinaires. Le ministre de la justice a fait tout juste ce qui pouvait
convenir à
Ce ministre disait hier
que le principe de l’extradition avait été consacrée par l’assemblée
constituante, et que sous cette assemblée trois étrangers furent arrêtés à
Huningue pour avoir falsifié de billets de la banque de Vienne ; mais on peut
toujours saisir des individus munis de billets faux dont ils peuvent abuser en
France comme ailleurs. Cependant, qu’a fait le ministre de la justice de
l’époque ? Il a soumis la question de l’extradition à l’assemblée, laquelle a
renvoyé l’affaire au comité diplomatique qui s’est adjoint le comité législatif
; mais aucun principe n’a été posé, sans doute parce que l’assemblée a été
distraite de cette affaire par les graves affaires de ce temps.
On a parlé des
Etats-Unis : il est inexact de dire qu’aux Etats-Unis le principe de
l’extradition existe ; les Etats-Unis sont convenus, entre eux, de se livrer
réciproquement les indigènes coupables de félonie, de trahison, et les
individus coupables de faux en écriture de commerce ; mais la convention est
faite entre eux et point pour les autres Etats.
Sans doute que les
extraditions pourraient être utiles aux peuples de l’Europe, mais ce sera le
jour où les sociétés européennes auront secoué le joug qui les accable.
Le jour où tous les
membres des sociétés européennes se donneront la main en frères, je souscrirai
à toutes les lois d’extradition, car alors je serai certain que ces lois seront
faites dans l’intérêt des mœurs, dans l’intérêt de l’amélioration des hommes et
non dans l’intérêt de la tyrannie. Jusque-là, je ne veux pas être le geôlier et
le bourreau des puissances de l’Europe. Puissent tous les peuples être assez
heureux pour briser les chaînes qui les écrasent !
J’ai demandé, messieurs,
afin que la loi fut moins mauvaise, que l’arrêt de condamnation fût prononcé
contradictoirement ou par contumace, et je repousse l’extradition sur un simple
arrêt de mise en accusation. Il y a deux épreuves à subir pour arriver à un
arrêt de cour d’assises ; ainsi, une erreur échappée aux premiers juges peut
être redressée par les seconds.
De plus, les arrêts par
contumace sont rendus publiquement, quoique M. le ministre de la justice ait
affirmé qu’ils étaient rendus à huis clos. Le public juge ; alors la fraude est
moins à craindre ; je crains toujours la fraude en l’absence du public.
Mais vous allez, dit-on,
aggraver la punition du poursuivi : on mettra le séquestre sur ses biens :
messieurs, que l’individu poursuivi se présente en France et l’arrêt de condamnation
tombe, et le séquestre est levé ; s’il est innocent il n’a à se plaindre que de
lui-même lorsqu’on le prive de l’administration de ses biens. Un condamne par
contumace, dont les biens sont sous le séquestre, doit être présumé coupable
lorsqu’il ne se présente pas devant les juges.
Je
craindrais, messieurs, d’abuser de vos moments si j’en disais davantage ; à
l’occasion des autres articles, nous pourrons, d’ailleurs, disputer les autres
vices de la loi. Maintenant je me borne à persister dans la demande que j’ai
faite, à savoir qu’il faut un arrêt de condamnation pour autoriser
l’extradition, et non un simple arrêt de mise en condamnation.
M. le président. - M. Doignon demande que, dans le
paragraphe qui commence l’article premier, on mette les mots : « tribunaux
ordinaires » en place des mots : « desdits tribunaux », et qu’on
ajoute après le mot « étrangers », ceux-ci : « excepté
M. Doignon. - J’ai suffisamment développé les
motifs de mon amendement ; je crois inutile d’en entretenir davantage la
chambre.
M. d’Huart. - L’amendement a pour but de protéger les Polonais ; il pourrait être utile
de l’adopter ; mais est-ce bien là où il faudrait le placer ? J’ai été frappé
des inconvénients que l’on vient de signaler et il me paraît important
d’examiner attentivement la disposition qu’on propose.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Messieurs, je n’aurai pas
d’objections à élever contre l’amendement de M. Doignon, quand il propose
d’ajouter le mot « ordinaires » au mot « tribunaux », si
par ces mots, tribunaux ordinaires, il n’entend pas exclure les tribunaux militaires
ordinaires. Aussi longtemps qu’un pays est en état de guerre, les tribunaux
militaires jugent aussi les délits privés. On en a eu un exemple récent à
Bruxelles.
Si l’amendement exclut
les tribunaux militaires ordinaires, je ne puis l’admettre. Si on veut éviter
l’inconvénient que je signale, je n’ai point d’opposition à faire.
M. Doignon. - Mon intention est d’exclure les
tribunaux exceptionnels, les commissions, les cours prévôtales ; je ne veux
qu’une juridiction ordinaire.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Il y a à répondre à M Doignon
qu’en France des cours spéciales jugent le crime de fausse monnaie, que ces
cours n’ont pas été abrogées. Elles jugent d’autres crimes encore, notamment
les récidives dans plusieurs cas. Ainsi l’amendement de M. Doignon aurait une
portée fort étendue.
Ce sont là des
objections que j’adresse à l’honorable membre. Je crois qu’il pourrait s’en rapporter
à la sollicitude du pouvoir judiciaire appelé à donner son avis, et à la
responsabilité ministérielle. Je ne parle pas ici des intentions
ministérielles, je parle de l’intérêt qu’a le ministère de ne pas assumer sur
lui une responsabilité grave et inutile.
M. Ernst, rapporteur. - Il n’est pas inutile de donner à la chambre quelques explications sur
ce qui s’est passé dans le sein de la section centrale à l’occasion d’un
amendement semblable à celui de M. Doignon. Nous avons dit qu’en se servant du
mot : « tribunaux ordinaires », nous ouvrions la porte à un grand
abus ; et pour que l’esprit de la loi ne fût pas obscur, nous avons mis
« tribunal » pour faire voir qu’il ne s’agissait pas de commissions, et
qu’on entendait exclure tout tribunal exceptionnel.
M. Doignon. - C’est précisément parce que la
section centrale l’a entendu comme le dit M. Ernst, que nous voulons que cela
soit exprimé dans la loi. S’il y a doute, il faut qu’il soit tranché en faveur
du malheureux poursuivi. Les tribunaux exceptionnels sont détruits en France. un de mes collègue m’assure qu’il a vu des arrêts de cour
d’assises pour des crimes de fausse monnaie.
- L’amendement de M.
Gendebien, ou le retranchement des mots : « mis en accusation », est
mis aux voix et rejeté.
L’amendement de M.
Doignon consistant à mettre : « tribunaux ordinaires », est mis aux
voix et rejeté ».
Le
premier alinéa de l’article premier, présenté par la commission, est ainsi
conçu :
« Le gouvernement pourra
livrer aux gouvernements des pays étrangers, à charge de réciprocité, tout
étranger mis en accusation ou condamné par les tribunaux desdits pays pour l’un
des faits ci-après énuméré, qui auraient été commis sur leur territoire. »
- Cet alinéa mis aux
voix est adopté.
Les paragraphes suivants
sont ensuite adoptés sans discussion :
« 1° Pour
assassinat, empoisonnement, parricide, infanticide, meurtre, viol ;
« 2° Pour incendie
;
« 3° Pour faux en
écriture ;
« 4° Pour fausse
monnaie ;
« 5° Pour faux témoignage. »
Sur le 6° paragraphe, M.
de Brouckere propose un amendement.
M. de Brouckere. - Je ne veux
parler que de mon amendement ; la chambre doit être fatiguée ; sans cette
considération j’aurais cru devoir répondre à ce qu’ont dit quelques orateurs en
faveur de la loi.
L’honorable M. de Theux
m’a mal compris : il a semblé croire que je m’étais plaint de ce que la
nomenclature de l’art 1er n’était pas complète. Non, messieurs, je ne me suis
pas plaint de cela ; j’ai dit qu’il y avait inconséquence et inconséquence
grave à faire mention de délits dont la peine peut être réduise à quelques
jours d’emprisonnement, et à ne point parler de crimes emportant la peine de la
réclusion ; et en signalant cette inconséquence, je voulais engager la chambre
à ne permettre l’extradition que pour les crimes emportant peine afflictive et
infamante.
Je persiste à croire
qu’il faut que l’on efface les mots escroquerie, concussion, etc., et que l’on
mette : « vol accompagné de circonstances aggravantes. »
M.
Nothomb a dit qu’il fallait conserver l’escroquerie en faveur du commerce ;
cette opinion prouve que M. Nothomb ne connaît pas la définition de
l’escroquerie, car elle est un vol comme les autres vols non qualifiés.
On peut, dit-on, sans de
circonstances aggravantes, avoir volé de fortes sommes ; cela est vrai, mais on
peut aussi avec des circonstances aggravantes voler très peu de chose.
Je vous prie de
remarquer que le vol commis avec effraction, escalade ou à l’aide de fausses
clefs, etc., suppose un grand degré de méchanceté et de perversité dans celui
qui l’a commis, mais il n’en est pas de même de celui qui a fait une
escroquerie, une filouterie : un escroc, un filou, a sans doute commis une
faute ; mais cet homme peut se corriger.
M. Nothomb. - Je n’ai qu’un mot à dire. On suppose que je ne connais pas la
définition de l’escroquerie ; eh bien, pour vous convaincre que j’ai eu raison
d’en parler comme j’ai fait, ouvrez le code pénal, et voyez sous quel titre, sous
quelle rubrique l’escroquerie, la banqueroute, sont comprises.
M. de Brouckere. - Cependant vous ne mettez pas dans votre loi les abus de confiance qui
sont sous la même rubrique que l’escroquerie et la banqueroute.
Dans la loi il ne
devrait pas être question de délits.
M. Dumortier. - Je viens appuyer l’amendement de
M. de Brouckere.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Je demande la parole.
M. Dumortier. - Mais vous ne savez pas ce que
j’ai à dire.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Je sais que vous dites d’assez
bonnes choses pour mériter d’être réfutées.
M. Dumortier. - Il y a des pays où de simples
vols conduisent à la potence ; si vous accordez l’extradition pour ce cas, vous
envoyez la mort un homme qui chez nous peut n’être condamné qu’à
l’emprisonnement.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Je regrette de prolonger cette
discussion.
Si vous admettez
l’amendement de M. de Brouckere, voici ce qui en résultera : Un malheureux
paysan qui aura volé un jambon, un pain, en s’introduisant dans une cabane par
la fenêtre, pourra être extradé ; et un homme qui aura escroqué un million
pourra jouir de l’impunité en Belgique. Au reste, il ne faut pas choisir les
extrêmes pour appuyer une opinion.
L’homme peu coupable ne
cherchera pas à éviter ses juges, parce qu’il sait que le code autorise un
adoucissement à la peine légale.
Dans l’exécution de la
loi sur l’extradition elle sera elle-même adoucie : les gouvernements ont autre
chose à faire qu’à s’occuper d’extraditions d’hommes qui auraient volé une
tabatière, un mouchoir de poche. Le correctif à la loi que vous portez est dans
son exécution, dans le bon sens des gouvernements.
Je dirai à M. Dumortier
que, quoique je ne sois pas bien au courant des dernières réformes judiciaires
opérées en Angleterre, il me semble que la législation anglaise a été modifiée
et que la peine de mort n’est prononcée que contre les cols domestiques.
La domesticité est une
circonstance aggravante.
De tous côtés. - Aux voix ! aux voix !
- L’amendement de M. de
Brouckere tendant à remplacer le paragraphe 6 par cette disposition :
« les vols accompagnés de circonstances aggravantes », est mis aux
voix et rejeté.
Le paragraphe 6 est
adopté.
« 7° Banqueroute
frauduleuse. »
Le paragraphe est adopté
sans discussion.
L’article 1er dans son
ensemble, mis aux voix, est adopté.
De tous côtés. - A demain ! à demain !
PROJET
DE LOI PORTANT LE BUDGET DU DEPARTEMENT DES FINANCES POUR L’EXERCICE 1833
M. Dumortier. - Je demande la permission de
déposer mon rapport sur le budget du ministère des finances.
De tous côtés. - L’impression ! l’impression !
- La chambre ordonne
l’impression et la distribution du rapport que M. Dumortier a, au nom de la
section centrale, déposé sur le bureau.
M. le président. - Ce rapport est le dernier de ceux
que la section centrale avait à présenter sur les lois des finances ; ainsi la
discussion du budget peut commercer incessamment.
- La séance est levée à
quatre heures et demie.