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Chambres des représentants de Belgique
Séance du lundi 24 juin 1833

(Moniteur belge, n°177, du 26 juin 1833)

(Présidence de M. Raikem.)

La séance est ouverte à une heure.

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Liedts, l’un des secrétaires, fait l’appel nominal.

M. Dellafaille, autre secrétaire, donne lecture du procès-verbal qui est adopté.

Pièces adressées à la chambre

Quelques pétitions sont renvoyées à l’examen de la commission.


Il est donné lecture d’une lettre de M. le ministre de l’intérieur annonçant le dépôt sur le bureau de l’acte du sénat et de la chambre des représentants des Etats-Unis d’Amérique, approuvé par le président le 2 mars dernier, qui apporte des modifications au tarif du 14 juillet 1832, relatif aux droits d’importation, ainsi que de cette dernière pièce.

- M. de Renesse, dont l’admission a été proclamée précédemment, prête serment.

Motion d'ordre

Comptes de l'Etat des exercices 1830 et 1831

M. Angillis (pour une motion d’ordre). - Je demande la parole pour une motion d’ordre. Messieurs, le gouvernement avait transmis à la chambre dissoute les comptes des exercices de 1830 et 1831, et la chambre les avait renvoyés à l’examen de l’ancienne commission de finances pour faire son rapport. Ce travail n’est pas terminé et la nouvelle chambre n’a rien décidé à cet égard. Pour ne pas faire une besogne inutile, je prierai M. le président de consulter la chambre pour savoir s’il entre dans son intention que la commission de finances qu’elle a nommée reste nantie de tous les travaux non terminés dont était saisie la première commission.

- La chambre consultée se prononce pour l’affirmative.

Proposition de loi

M. de Brouckere. - J’ai déposé une proposition sur le bureau. Je prierai M. le président de la renvoyer en sections pour savoir si elles en autorisent la lecture.

M. le président. - La proposition de M. de Brouckere sera renvoyée en sections.

Motion d'ordre

Liste des pensionnaires à charge de l'Etat

M. Gendebien (pour une motion d’ordre). - Je demande aussi à faire une motion d’ordre. Messieurs, dans une séance de la précédente session, M. le ministre des finances avait pris l’engagement formel de faire imprimer la liste de tous les pensionnaires. Je demanderai si cela a été fait, et, dans le cas négatif, que M. le ministre prenne vis-à-vis de la chambre l’engagement qu’il avait contracté envers l’ancienne.

M. le ministre des finances (M. Duvivier) - Est-ce des pensionnaires à la charge du trésor ?

M. Gendebien. - Sans doute ; nous n’avons pas à nous occuper des pensions de particuliers.

M. le ministre des finances (M. Duvivier) - Eh bien ! les listes des pensionnaires à la charge du trésor existent en manuscrit ; il est très facile de les livrer à l’impression.

Projet d'adresse en réponse au discours du trône

Discussion des paragraphes

Premier et deuxième paragraphes

M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Nous avons examiné les trois amendements proposés par MM. Legrelle, Dumortier et de Brouckere...

M. de Brouckere. - Je m’oppose à ce que l’on discute mon amendement qui n’a pas été développé. C’est contre les usages de la chambre.

M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Je vous prie de ne pas m’interrompre, et d’ailleurs vous allez voir que votre objection est fort indifférente. Je répète ma phrase : Nous avons examiné les trois amendements proposés par MM. Legrelle, Dumortier et de Brouckere et distribués hier ; nous n’y voyons rien qui puisse entraver la marche du gouvernement, ni à l’intérieur ni à l’étranger. Nous n’avons donc aucun motif de nous opposer à ces amendements, qui ne révèlent aucune intention de blâme contre les actes du gouvernement, et ne portent aucune atteinte à la prérogative royale Nous avons cru devoir faire cette déclaration pour abréger, dans l’intérêt du pays, la présente discussion.

- La discussion est ouverte sur les amendements.

M. d’Hoffschmidt. - Messieurs, après la lumineuse discussion qui a eu lieu sur l’ensemble de l’adresse, ce serait, surtout de ma part, faire perdre du temps à l’assemblée que de revenir longuement sur des questions épuisées. Je ne dirai donc que quelques mots pour motiver le vote que j’émettrai sur le paragraphe en discussion ; ce que je tiens d’autant plus à faire que je ne partage pas l’opinion de mes amis politiques relativement à la convention du 21 mai, que je désirerais voir substituer au traité des 24 articles, duquel j’ai toujours redouté l’exécution, le considérant comme le traité le plus humiliant, le plus onéreux même, qui puisse être présenté à la Belgique.

Que sont en effet, messieurs, les sacrifices qui peuvent résulter d’une navigation un peu plus ou moins libre, d’un armement plus ou moins considérable en comparaison de celui de quatre cent mille de vos concitoyens qui ont participé si activement avec vous à conquérir l’indépendance d’une patrie qu’ils chérissent au-dessus de tout, et que des Belges ne peuvent consentir à leur voir arracher définitivement qu’avec la plus lâche ingratitude et avec une abnégation totale de tout sentiment d’honneur national !

Que l’on cesse donc d’invoquer le fatal traité du 15 novembre (que personne ne s’avisera de préconiser ici) comme une planche de salut pour la Belgique, et recevons, dans la triste alternative où nous a placés la diplomatie, la convention du 21 mai, en nous félicitant de ce que des Belges proscrits sont encore nos frères pour un temps indéfini.

Ai-je besoin de vous dire, messieurs, que je conviens, avec ceux de mes collègues qui voudraient repousser cette convention, qu’elle nous replonge dans un provisoire très préjudiciable, surtout si la Hollande pouvait maintenir son armée sur pied et par là nous forcer à maintenir la nôtre ? Mais de deux maux il faut choisir le moindre, et je le répète, le plus grand à mes yeux c’est le sacrifice de nos concitoyens, et quoiqu’il advienne, nous n’avons pas à en craindre de plus douloureux ; car quel est le ministère qui, à la suite de nouvelles négociations, oserait vous proposer un traité qui renchérirait sur celui déjà trop fameux des 24 articles ? Un gouvernement qui se chargerait d’une mission aussi odieuse, aussi antinationale, serait honni et bafoué, non seulement par les représentants de la nation, mais par la nation entière.

Ne croyez pas que c’est comme Luxembourgeois que je m’exprime ici ; c’est comme Belge, messieurs, que j’approuve, eu égard aux malheureuses circonstances où nous sommes, la convention du 21 mai.

Mais il est inutile de me défendre près de vous d’un vil sentiment d’égoïsme, que je suis loin pour ma part de vous prêter dans cette circonstance, non plus que dans toute autre ; car je suis persuadé que vous chérissez aussi assez vos frères, de quelque province qu’ils soient, pour soutenir leur indépendance aux dépens même de celles de vos opinions qui ne touchent pas à des intérêts aussi chers.

Une chose que je ne puis concevoir, c’est que quelques-uns de nos collègues s’obstinent à vouloir, avant tout, la reconnaissance de notre indépendance par le roi Guillaume. Quant à moi, messieurs, je ne veux pas de sa reconnaissance parce que je ne lui reconnais aucun droit sur la Belgique. Il en est exclu pour toujours et c’est là où je borne ma politique à cet égard, ne voulant pas dévier des vrais principes pour favoriser quelques intérêts matériels, tels que ceux du commerce, qui ne sont que secondaires selon moi, tout importants qu’ils puissent être lorsqu’on les met en balance avec la dignité nationale.

Je bornerai là, messieurs, le résumé de mon opinion sur la question qui nous occupe ; mais je ne veux pas finir sans énoncer brièvement que j’appuierai de mon vote les amendements qui seront présentés relativement à la dissolution de la chambre et aux désordres extraordinaires qui ont eu lieu dans nos villes principales, s’ils sont conçus dans le sens d’une opinion que je partage, et qui a été émise dans la discussion générale par nos honorables collègues Gendebien, Fallon, de Brouckere et autres.

Si l’adresse ne contenait aucun amendement dans ce sens, je voterais contre.

M. Milcamps. - Messieurs, je n’admets pas et je ne puis admettre les amendements proposés au paragraphe 2 du projet d’adresse. J’aime mieux le texte de ce paragraphe.

Avant de faire connaître les motifs de cette préférence, permettez-moi de faire quelques observations.

Chaque fois que le gouvernement a été provoqué à s’expliquer sur le traité du 15 novembre, il a déclaré solennellement que ce traité était sa loi politique extérieure.

Dans le discours du trône, le gouvernement vous présente la convention du 21 mai comme procurant à la Belgique la plupart des avantages matériels attachés au traité du 15 novembre. Il annonce que ce traité est resté intact, et renouvelle la déclaration de veiller à ce que, dans l’arrangement définitif avec la Hollande, il n’y soit porté aucune atteinte.

Par cette convention du 21 mai, la Hollande et la Belgique promettent séparément, à la France et à l’Angleterre collectivement, à des conditions déterminées, de cesser les hostilités jusqu’à un arrangement définitif.

Mais dans cette convention il n’existe aucune expression, aucun mot d’où l’on puisse induire une renonciation de la part de la Belgique aux droits qui lui sont irrévocablement acquis par le traité du 15 novembre. Non expressa non nocent.

Dans cette convention commune à la Belgique et à la Hollande, il ne pouvait être fait aucune allusion au traité du 15 novembre, puisque la Hollande ne l’a pas accepté.

Qu’est-ce donc que cette convention ? Une trêve générale et conditionnelle d’une nature particulière. Ainsi envisagée, elle ne constitue, entre la Belgique et la Hollande, qu’une suspension d’armes qui s’étend à tous les cas militaires.

Mais elle stipule aussi la suspension des mesures coercitives qui devaient amener l’adhésion de la Hollande au traité du 15 novembre, et la Belgique y consent.

Donc, dira-t-on, atteinte au traité du 15 novembre en ce qui concerne la garantie promise par l’article 25.

Je ne puis admettre cette conséquence, car je considère toujours la convention du 21 mai comme trêve générale et conditionnelle ; et si la Hollande contrevenait aux conditions de la trêve, il serait libre à la France et à l’Angleterre de renouveler l’emploi des mesures coercitives, soit pour la ramener à exécuter les conditions de la trêve, soit pour la forcer à exécuter le traité du 15 novembre.

Il est vrai pourtant qu’en ce point les puissances exécutrices ne remplissent pas envers nous leurs engagements. Car c’est l’exécution du traité du 15 novembre qu’elles nous avaient garantie, c’est ce résultat que nous attendions.

Mais, messieurs, les garanties des puissances il faut les prendre pour ce qu’elles sont.

Quand la puissance qui a promis la garantie est requise de la fournir, elle commence par examiner s’il est important ou non de remplir ses engagements. Si son intérêt s’y oppose, elle ne manque jamais de raison pour faire la guerre ou rester en paix à son gré, et l’Europe est persuadée qu’il est imprudent de compter sur des actes des garantie.

Mais fallait-il que le gouvernement belge refusât l’acceptation de la convention du 21 mai ? Quant à moi, messieurs, je l’avoue, je n’aurais pas eu assez de courage pour donner ce conseil.

Cette convention est acceptée, et, il faut bien en convenir, en l’acceptant le gouvernement n’a fait qu’user du droit que lui donne la constitution.

C’est dans cette situation de choses que le gouvernement vous présente, comme avantageuse, la convention du 21 mai, et que vous avez chargé votre commission de rédiger un projet d’adresse en réponse au discours de la couronne. Dans son projet, paragraphe 2, votre commission a reconnu que la convention du 21 mai nous met en possession de plusieurs avantages stipulés dans le traité du 15 novembre ; que cette convention ne portait aucune atteinte aux droits qui nous sont acquis par ce traité, et, pour qu’on n’élève pas de doute sur le sens qu’elle donne à cet acte diplomatique, elle a sagement ajouté : « Si la Belgique était trompée dans sa juste attente, par une interprétation contraire de la part de la Hollande, elle resterait libre de réclamer les garanties d’exécution auxquelles les puissances se sont engagées. »

C’est sur ce paragraphe 2 du projet d’adresse que deux honorables membres ont proposé des amendements.

D’accord avec la commission, ils admettent également que la convention du 21 mai présente des avantages matériels, et qu’elle ne porte aucune atteinte aux droits qui nous sont irrévocablement acquis par le traité du 15 novembre. On s’accorde sur le fond ; ce n’est guère que dans l’expression que les amendements diffèrent du texte du paragraphe 2 de l’adresse. Il semble donc qu’il ne peut guère y avoir difficulté de se prononcer en faveur du texte ou de l’un ou l’autre des amendements.

Cependant je rejetterai l’amendement de l’honorable M. Legrelle. particulièrement à cause du dernier alinéa qui, à l’expression simple et convenable présentée par la commission, substitue une phrase qui me paraît susceptible de critique. « Si la nation, dit-il, était trompée dans sa juste attente, la convention du 21 mai serait nulle à ses yeux. » Cela est-il exact ? Dans mon opinion, la convention ne serait pas nulle, mais la Belgique serait libre de s’en dégager ; c’est ce qu’exprime suffisamment le paragraphe 2 du projet d’adresse. « Et puis, ajoute l’auteur de l’amendement, la Belgique saurait réclamer les garanties.... » Mais est-il nécessaire de dire ce que la Belgique saura faire ? Ce seront les circonstances qui nous dirigeront.

Je rejetterai également l’amendement de l’honorable M. Dumortier, qui, à l’expression claire, laconique et convenable du paragraphe 2 de la commission, substitue de longues phrases, dont quelques-unes inutiles. Pourquoi exprimer dans une adresse que si les puissances exécutrices, en souscrivant la convention du 21 mai, s’étaient dégagées de la garantie d’exécution qu’elles avaient contractée envers nous, si la Belgique était abandonnée à elle-même, nous resterions dans tous nos droits et libres dans nos moyens d’action contre la Hollande ? Mais c’est de droit ; nous semblons traiter une question de principes, alors que l’adresse ne doit contenir que l’expression de l’opinion du pays. Et puis, que signifient ces phrases également ronflantes : « La nation, d’ailleurs, a fait assez de sacrifices à la paix de l’Europe, ses droits ne peuvent plus être longtemps méconnus. Le gouvernement de Votre Majesté saura les faire valoir, sûr de l’appui de la représentation nationale toutes les fois qu’il s’agira de défendre notre honneur et notre indépendance. » Et tout cela à propos de la convention du 21 mai, que l’honorable membre accepte comme offrant des avantages matériels. Veut-il dire aux puissances exécutrices : Oui, nous voulons bien de votre convention du 21 mai ; mais si vous avez cru par là vous dégager de vos engagements envers nous, nous savons ce que nous avons à faire. Sans égard à cette convention, nous irons en avant.

Messieurs, le moment n’est pas opportun pour tenir un semblable langage ; attendons quelque temps, afin de savoir si cette convention n’est pas un leurre et si les puissances vont s’occuper réellement, ainsi qu’elles s’y engagent, d’un arrangement définitif. Car je conviens, messieurs, que si cette convention devait amener un long provisoire qui nous obligeât à tenir sur pied une armée considérable, alors cette convention ne présenterait pas réellement les avantages qu’on lui attribue.

M. l’abbé de Foere, rapporteur. - Messieurs, malgré la déclaration que le ministère vient de nous faire, à l’égard des amendements qui nous sont proposés, je n’en sens pas moins le devoir de me prononcer, dans l’intérêt de mon pays, contre ces amendements. Je regarde même cette déclaration comme un acte de faiblesse. Je ne pourrais m’associer à la proposition de l’honorable M. Legrelle, alors même qu’il ne présenterait d’autre caractère que d’être complètement inutile.

L’honorable membre intercale dans le texte du projet d’adresse ces mots : « La convention du 21 mai assure à l’Escaut une navigation entièrement libre, sans charges ni entraves. » Le projet, messieurs, maintient formellement et sans exception aucune tous nos droits qui sont stipulés dans le traité du 15 novembre ; pourquoi donc insérer dans l’adresse une exception qui non seulement serait inutile, mais encore injurieuse à nos autres droits qui ne seraient pas rappelés dans l’adresse ? Ce n’est point par pièces, ce n’est point par lambeaux qu’il faut défendre nos droits ; mais il faut les défendre tous et dans leur ensemble avec la même énergie ; les mettre tous sur la même ligne et ne pas montrer plus de prédilection pour les uns que pour les autres.

M. Legrelle avance d’ailleurs lui-même que cette même convention « n’a pu porter aucune atteinte à aucun des droits qui nous sont irrévocablement acquis. » Si donc, il en est ainsi, pourquoi faire ici une exception à l’égard de ladite navigation de l’Escaut ?

Je ferai remarquer, en outre, que dans mon opinion jamais le roi de Hollande ne pourra renverser le traité de Vienne relatif à la libre navigation des fleuves navigables, et pourra moins encore faire triompher ses propres intérêts sur ceux de toute l’Europe. Sous ce rapport l’amendement est encore inutile. D’ailleurs, il tendrait à faire croire que nous mettons en doute les autres droits qui nous sont acquis par le traité du 15 novembre.

L’opposition a beaucoup argumenté de la destruction du traité du 15 novembre, qui aurait été opérée par la convention du 21 mai. Cependant, aucun membre de l’opposition n’a déposé sur le bureau aucun amendement qui eût pour objet de maintenir cette fausse opinion. Il s’ensuit donc que, dans la pensée de l’opposition même, le traité du 15 novembre est resté dans toute son intégrité, et si aucune atteinte n’y a été portée, l’amendement est encore, sous ce rapport, inutile.

J’ai assez de confiance dans le bon sens de mon honorable ami M. Legrelle pour espérer qu’il retirera son amendement. En le soustrayant à nos délibérations, il se lavera en même temps du reproche fait quelquefois à la députation d’Anvers, qu’elle ne faisait attention qu’aux droits et aux privilèges qui se rattachent à la localité qu’elle représente, et que tous les autres droits et intérêts du pays peuvent être abandonnés au sort que la Providence voudra leur assigner.

Pour ces motifs je m’oppose à l’amendement de M. Legrelle.

M. de Longrée. - Messieurs, je crois devoir commencer par prévenir l’honorable assemblée que je n’ai pas l’habitude de déclamer en public, et encore moins celle d’improviser ; votre indulgence, messieurs, m’est indispensable ; je viens franchement vous la réclamer.

Messieurs, la discussion qui a eu lieu sur le projet d’adresse a amené beaucoup de combattants sur le terrain ; plusieurs d’entre eux sont même sortis de la véritable question pour se livrer à des récriminations, qui m’ont paru lui être étrangères, et qui auraient pu trouver leur place ailleurs dans des circonstances plus analogues ; quant à moi, messieurs, je me bornerai à m’attacher au point essentiel, et dont, à mon avis, on n’aurait pas dû s’écarter.

Plusieurs orateurs qui m’ont précédé, prétendent que le deuxième paragraphe du projet d’adresse est plus que pâle, qu’il est insignifiant, notamment sa dernière phrase qui dit :

« Si la Belgique était trompée dans sa juste attente, elle resterait libre de réclamer les garanties d’exécution auxquelles les puissances se sont engagées. »

Il est probable, messieurs, que l’on voudrait voir substituer au verbe réclamer celui exiger ; par suite cette phrase devrait être conçue dans les termes suivants :

« Si la Belgique était trompée dans sa juste attente, elle exigerait les garanties d’exécution auxquelles les puissances se sont engagées. »

Mais je vous le demande, messieurs, s’il est vrai que les puissances qui nous ont garanti l’exécution du traité du 15 novembre de malheureuse mémoire, n’ont pas l’intention de maintenir leurs engagements, pourrions-nous les y forcer plutôt par exigence que par réclamation ? Je ne le crois pas ; ces puissances, fortes de leur supériorité sur nous, ne changeront en rien pour nous la politique qu’elles ont adoptée.

L’on s’est plaint amèrement du provisoire dans lequel la convention du 21 mai dernier nous replace ; messieurs, personne ne sait apprécier plus que moi les désavantages d’une position politique très précaire ; les transactions commerciales paralysées, les spéculations arrêtées, l’exécution de projets particuliers absolument retardée, le sort d’une quantité de braves fonctionnaires incertain, enfin la position sociale douteuse, sont, entre bien d’autres, des motifs assez plausibles pour faire désirer ardemment une solution très prochaine de nos affaires politiques. Mais je demande si nous sommes encore dans la possibilité d’obtenir cette solution aussi promptement et de la manière que nous le voudrions ? Non, messieurs ; cette possibilité de terminer nos affaires par nous-mêmes est passée ; elle nous est échappée à deux différentes époques : je ne tarderai pas à les citer.

La première, c’est lorsqu’au mois de novembre 1830 des envoyés de la France et de l’Angleterre vinrent proposer, peut-être aussi exiger de notre part une suspension d’armes avec la Hollande ; si le gouvernement provisoire, au lieu de courber la tête, de se plier aux exigences, aux menaces de ces envoyés, eût rejeté avec dédain les fatales propositions qui lui étaient faites, nous n’eussions pas eu de provisoire, car celui-ci est incontestablement la source de tous ceux qui lui ont succédé, et cela eut lieu, messieurs, au moment où nos phalanges de volontaires poursuivant leur victoire, portaient déjà leurs pas sur le territoire ennemi, au moment où les nobles habitants de Venloo n’écoutaient que la voix du plus pur patriotisme, doués d’un courage exemplaire, bravant les dangers les plus imminents, et secondés à l’extérieur de leur ville par la vaillante jeunesse de Ruremonde et d’autres endroits, qui se précipita avec témérité sous le canon de l’ennemi, et parvint jusqu’au pied des remparts ; au moment, dis-je, que nos frères de Venloo venaient de se rendre maîtres de la forteresse et de se placer sous l’égide de la Belgique entière ; au moment où les trop malheureux habitants de Maestricht allaient suivre le noble exemple de leurs frères de Venloo ; au moment où l’élan patriotique et l’enthousiasme pour la bonne cause étaient montés au plus haut degré, au moment encore où des nations voisines allaient faire éclater leur mécontentement, en suivant notre exemple ; enfin, messieurs, au moment que les habitants des forteresses de Bois-le-Duc, Breda et Nimègue, se disposaient à faire main basse sur leurs garnisons et à nous ouvrir les portes de ces forteresses dès qu’ils nous auraient aperçus ; une fois maîtres de ces places, nous pouvions nous arrêter parce que nous pouvions dicter les conditions de paix à notre ennemi.

La seconde époque à laquelle la possibilité d’arranger nos affaires par nous-mêmes nous est échappée, c’est lors de la présentation des fameux 24 articles par la conférence de Londres. Messieurs, si à cette époque j’avais eu l’honneur d’être membre de la représentation nationale, j’aurais repousse ces 24 articles de toutes et par toutes mes forces ; je n’aurais jamais consenti à livrer une grande partie de nos frères à l’ennemi commun, je n’aurais consenti à aucun prix à les sacrifier ; mon mot d’ordre aurait été celui de guerre ; préférant mille fois la mort à l’ignominie, j’aurais voulu la guerre, parce que je la considérais comme seul moyen d’en finir d’une manière honorable, et que je la croyais susceptible d’un heureux succès, et que d’ailleurs il nous restait à venger l’affront du mois d’août 1831, qui, soit dit en passant, me pèse toujours sur le cœur : en effet, avec une belle et courageuse armée, qui venait de se former comme par enchantement, appuyée d’ailleurs par la nation entière, les succès pouvaient-ils être douteux ?

Je dois vous avouer, messieurs, que je ne me serais pas contenté de la laisser faire sans ma coopération active ; j’aurais fait à cette époque ce que j’ai fait en août 1831, lorsque l’ennemi nous accabla d’une lâche surprise ; j’aurais de nouveau pris les armes et marché à l’ennemi. Non, messieurs, la patrie ne se serait pas trouvée en pénurie de défenseurs, car bien d’autres encore étaient animés du même esprit que moi. Enfin, la chambre des représentants, en sanctionnant les 24 articles, les a convertis en traité, et ce traité est devenu loi.

Cependant, messieurs, comme nous savons tous que la politique peut être comparée à la température, je veux dire qu’elle est susceptible de changements subits, je compte, messieurs, et je me tiens assuré, comme organe tous les malheureux habitants des contrées cédées, que si, par un heureux retour de cette politique, vous étiez mis à même de réintégrer le territoire cédé, et de rappeler vos frères aujourd’hui abandonnés dans la grande famille belge par des moyens pécuniaires, vous n’hésiteriez pas à voter unanimement et avec la plus intime cordialité les fonds nécessaires à l’échange. Messieurs, je crois avoir suffisamment établi les causes primitives du provisoire dans lequel la convention du 21 mai dernier nous laisse ; j’en ai fait connaître sommairement les désavantages ; maintenant l’impartialité me commande d’en faire ressortir les avantages matériels.

La libre navigation de l’Escaut nous est rendue. En cas que de véritables entraves surviennent, nous élèverons la voix pour les faire cesser immédiatement.

La navigation de la Meuse nous est également rendue, et je vous prie d’observer, messieurs, que c’est la première fois depuis notre révolution, tandis que cette libre navigation de la Meuse est absolument ce qu’il y a de plus vital pour les arrondissement de Maestricht et de Ruremonde : les moyens d’écoulement des céréales d’un pays essentiellement agricole, ceux de pouvoir se procurer le chauffage à un prix raisonnable, tandis que ci-devant les classes indigente, ouvrière et celle peu moyennée, n’étaient pas dans la possibilité de se le procurer par leurs propres ressources, et devaient avoir recours aux âmes charitables, ce qui ne contribuait pas peu à propager la mendicité.

Les moyens de se procurer les matériaux nécessaires aux constructions, tels que le charbon de terre pour la cuisson des briques, les pierres, les ardoises, la chaux, etc. Vous savez, messieurs, que tous ces matériaux sont tirés des provinces de Liège et Namur, de manière que ces provinces se ressentiront autant, si pas plus des avantages que procure la libre navigation de la Meuse aux parties de la province de Limbourg cédées par le malheureux traité du 15 novembre 1831 ; je répète, messieurs, le mot de malheureux, parce qu’sl n’est que trop prouvé qu’il est tel.

Un honorable collègue, M. Angillis, a avancé que la continuation de la possession des parties cédées des provinces de Limbourg et de Luxembourg ne compensait pas celle que les Hollandais posséderaient provisoirement, savoir : Lillo et Liefkenshoek, puisque les produits, en fait de contribution, des parties cédées ne s’élèveraient qu’à environ 300,000 fr. ; l’honorable collègue que j’ai nommé s’est singulièrement trompé ; je suis, messieurs, dans la possibilité de vous donner l’assurance que le seul arrondissement de Ruremonde, qui à quelques communes près a été entièrement cédé verse annuellement au trésor plus qu’un million de francs. En 1831, il a produit fl. 448,751, en 1832 fl. 477,758.

Messieurs, je me résume, en déclarant comme organe de mes commettant que, dans les circonstances actuelles, rien ne peut autant soulager leurs peines et leurs souffrances que la libre navigation de la Meuse, et que rien ne peut être aussi accablant que l’exécution entière du traité du 15 novembre 1831, puisque c’est leur supplice de martyr.

Messieurs, je me propose de demander sous peu à la chambre de vouloir bien m’accorder un congé de quelques jours, pour pouvoir m’aller assurer par moi-même de l’état des choses relativement à la navigation de la Meuse.

Je donne mon approbation au projet d’adresse tel qu’il nous a été présenté, parce que je ne trouve pas que les amendements proposés y apportent plus de force.

M. Van Hoobrouck. - Messieurs, plus j’examine le traité du 21 mai, plus j’y trouve de justes motifs de crainte et de défiance.

Ce traité, nous dit-on, est une exécution partielle du traité du 15 novembre ; mais alors, comment se fait-il que ce soit le roi Guillaume qui l’ait proposé et ratifié ? Ce monarque serait-il très jaloux de concourir à l’exécution d’un traité dont toutes les clauses seraient à notre avantage, tandis que celles qui seraient avantageuses à lui, roi Guillaume, seraient indéfiniment ajournées ?

Il faut en convenir, messieurs, il y a là quelque chose de tout à fait incompréhensible.

J’avais demandé à M. le ministre des affaires étrangères si le gouvernement belge avait prononcé la déchéance, au moins pendant la suspension des mesures coercitives, de tous droits acquis par la Hollande aux arrérages de la dette mise à notre charge ; M. le ministre a répondu que ceci formerait l’objet de nouvelles négociations, et qu’il lui était impossible de s’expliquer sur cet objet.

Voilà donc le premier avantage du traité du 21 mai qui est remis en question.

Si le paiement des arrérages forme la matière d’une nouvelle négociation, vous pouvez déjà, dès aujourd’hui, pressentir le résultat de cette négociation : nous céderons, suivant notre louable habitude.

Le ministère vous a dit, messieurs, que les puissances exécutrices ne seraient pas astreintes à tel ou tel mode d’exécution, à tel ou tel délai ; mais je demanderai au ministère si ces puissances sont davantage astreintes à exécuter telle ou telle clause du traité, de préférence à telle ou telle autre : non, sans doute. Mais, dès lors, voyez la conséquence du système que vous adoptez d’une exécution partielle : aujourd’hui les puissances vous mettent en possession des avantages que quelques clauses vous assurent ; mais si, par une juste compensation, et toujours par suite d’une exécution partielle, les puissances mettaient la Hollande en possession d’un avantage que le traité lui assure, le paiement de la dette, par exempte, quelle objection fondée auriez-vous à y faire ? Les puissances ne seraient-elles pas conséquentes avec leur principe d’exécution partielle, et quel dépit auriez-vous de vous élever contre un système que vous auriez vous-mêmes sanctionné en adhérant au traité du 21 mai ?

Vous voyez donc, messieurs, l’évidente nécessité d’admettre l’amendement de mon honorable collègue et ami, M. Dumortier.

M. Legrelle. - L’honorable rapporteur de la commission d’adresse a trouvé mon amendement inutile. Oui, messieurs, il serait inutile de spécifier les droits dont parle mon amendement, si nous jouissions de ce droit ; mais la Hollande ne nous accorde pas la liberté entière de l’Escaut qui devait résulter pour nous de la convention du 21 mai. Si j’avais connu dans cette convention d’autres points qui ne fussent pas exécutés, je les aurais signalés également.

Quant au reproche fait aux députés anversois, je ne le crois pas fondé. Ce n’est pas l’intérêt d’une localité que nous soutenons, mais l’intérêt du pays entier. Il est certain que si l’embouchure de l’Escaut n’est pas entièrement libre, la navigation n’est plus libre et tout le pays en souffrira.

L’honorable M. Milcamps a fait observer qu’une expression que j’avais employée, n’est pas juste. J’avoue, en effet, qu’en disant que si la nation était trompée dans son attente, la convention du 21 mai serait nulle, j’ai épuisé la conséquence. Il aurait peut-être été plus exact de dire que l’adhésion à la convention serait nulle et à cet égard je m’en rapporte à l’appréciation de la chambre. Si même elle trouve cette expression inutile, on pourrait la retrancher.

M. de Foere, rapporteur. - La réponse de l’honorable M. Legrelle sur le fond de la question n’est qu’un véritable sophisme.

J’ai voulu maintenir dans la réponse au Roi tous les intérêts, tous les droits qui résultent pour nous du traité du 15 novembre et de la convention du 21 mai.

M. Legrelle défend son amendement en signalant un fait contradictoire avec ces stipulations. Alors même que ce fait existerait et qu’il dût être continué, cette infraction à nos droits n’en serait pas moins repoussée par la rédaction du projet d’adresse qui embrasse tous nos droits. Mais il n’est pas prouvé que le fait dût être continué dans les intentions de la Hollande. Il y aurait inopportunité à le prendre comme base d’un des paragraphes de l’adresse. Ce n’est donc pas là une raison pour adopter l’amendement que je combats, d’autant plus que le pilotage de l’Escaut doit être fixé par des dispositions réglementaires de la convention du 21 mai.

Ensuite je ferai observer que l’honorable membre a mal compris mon observation sur la spécialité d’intérêts de la ville d’Anvers. Certes, la libre navigation de l’Escaut est un droit qui nous intéresse tous. Mais j’ai seulement voulu faire ressortir, que c’était un intérêt de localité que de vouloir le rappeler, à l’exclusion des autres, à l’attention de la chambre et du roi.

M. Dumortier. - Messieurs, après que le ministère a déclaré dans cette discussion qu’il se ralliait aux amendements de mes honorables amis MM. Legrelle et de Brouckere et au mien, j’étais loin de m’attendre que des membres plus ministériels que les ministres eux-mêmes (murmures) viendraient les combattre et proposer la rédaction de la commission d’adresse. En effet, la rédaction de la commission n’a été qu’un palliatif et rien qu’un palliatif. Il est incontestable qu’en adoptant cette rédaction, la nation abdiquerait ses droits.

Qu’y voyez-vous ? Que si la Belgique était trompée dans sa juste attente, elle resterait libre de réclamer les garanties d’exécution auxquelles les puissances se sont engagées. Certainement vous resterez libres de réclamer, mais les puissances demeureront libres aussi de ne vous rien accorder et de vous dire : Nous ne voulons pas exécuter le traité pour le présent. Eh bien messieurs, un pareil système ne peut être admis par la représentation nationale ; il aurait pour but de nous plonger dans un provisoire indéfini qui amènerait la ruine du pays.

Le texte du projet de la commission est encore inexact sous un autre rapport. En effet, on y déclare que la convention nous a mis en possession de plusieurs avantages matériels. Je voudrais bien voir quels sont ces avantages matériels ; quant à moi je n’en vois aucun. Cette convention ne fait que nous conserver des avantages que nous avions déjà.

On m’objecte que la navigation de la Meuse est un de ces avantages. Mais nous n’avons pas la navigation de la Meuse. J’ai eu l’honneur de dire, dans une précédente séance, que d’après les réserves de la note de M. Van de Weyer nous l’obtiendrions sans doute, mais ce n’est encore qu’un espoir. D’ailleurs, quand nous l’aurions obtenue, si nous n’avons pas la navigation du grand canal qui est entre Bois le-Duc et Maestricht, ce ne sera qu’un résultat complètement illusoire.

Maintenant, l’honorable M. Milcamps, tout en blâmant la disposition que j’ai proposée, et qui consiste à dire que si la Belgique était abandonnée à elle-même, elle resterait entière dans tous ses droits, et que le gouvernement saurait les faire valoir, m’a fait cette objection : Il faut d’abord savoir si la convention du 21 mai est ou n’est pas un leurre.

Mais je vous ferai observer, messieurs, que dans ce cas il ne serait plus question de protestations ; il serait nécessaire d’agir, et cependant vous ne seriez plus maîtres d’agir si vous vous étiez lié les mains. D’ailleurs, ainsi que je l’ai déjà dit une nation ne peut jamais renoncer à tous ses droits, à tous ses moyens d’action. C’est là en quoi mon amendement diffère de celui de M. Legrelle ; c’est là le système adopté à l’unanimité, lors de la rédaction de l’adresse de mai 1832. Il se trouvait dans cette adresse une phrase qui contenait absolument la même chose, et à laquelle a souscrit l’honorable membre, puisqu’il a voté avec nous.

L’empereur Napoléon, dans les grandes circonstances, a su s’appuyer sur la représentation nationale ; un pareil appui est toujours fort utile ; que MM. les ministres ne le négligent point, s’ils veulent que le gouvernement soit fort et puissant.

M. A. Rodenbach. - Je demande la parole pour présenter une observation à la chambre. Il me semble que puisque le ministère se rallie aux trois amendements proposés, il n’y a plus lieu à discuter et qu’on peut aller aux voix. (Oui ! oui ! aux voix !)

M. Milcamps. - Je demande la parole pour un fait personnel. (Non ! non ! Parlez ! parlez !)

Parce qu’un ministre ne trouverait pas d’inconvénient à l’adoption d’un amendement proposé par un membre de la commission, celui qui combat cet amendement sera plus ministériel que le ministre lui-même ? Ou je me trompe fort, ou il n’y a point de logique dans une pareille conséquence.

Si l’honorable membre, auquel je réponds, me connaissait, il saurait que je ne suis pas ministériel, que je n’ai jamais joui d’aucune faveur du pouvoir ; et que si je vote avec le ministère, c’est parce qu’il suit le système politique que j’ai adopté. (Marques d’approbation. Aux voix ! aux voix !)

M. le président. - Je vais mettre aux voix l’amendement de M. Legrelle.

M. Dubus. - Il me semble qu’il faut accorder la priorité à l’amendement de M. Dumortier qui s’écarte davantage du projet d’adresse. (Oui ! oui ! Appuyé !)

M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Je crains bien, d’après les explications de quelques-uns de mes honorables collègues, qu’on n’ait pas bien senti l’intention du ministère lorsqu’il a déclaré qu’il ne s’opposerait pas aux amendements de MM. Legrelle, Dumortier et de Brouckere. Il n’y a pas là acte de faiblesse, mais acte de conciliation ; il y a le désir d’abréger une discussion qui certainement est pénible pour tous les membres de cette chambre. Nous avouons même que si nous comparons les rédactions, nous aimons beaucoup mieux celle de l’adresse sous le rapport des convenances et de la précision ; mais nous n’avons pas cru devoir apporter ici une opposition qui aurait prolongé les débats. C’est pour cela que nous ne voterons pas pour ces amendements, afin de ne pas nous mettre en contradiction avec nous-mêmes. (Marques d’adhésion).

M. le président. - Je vais mettre aux voix la question de priorité.

M. de Foere, rapporteur. - J’avais cru que les amendements devaient être discutés l’un après l’autre… (Aux voix ! aux voix !)

- La chambre, consultée, accorde la priorité à l’amendement de M. Dumortier.

M. de Brouckere. - Je demande à présenter une observation sur la rédaction de l’amendement. Il me semble qu’au lien de ces mots : « de la garantie d’exécution qu’elles avaient contractée envers nous, » il faudrait mettre : « de la garantie d’exécution à laquelle elles s’étaient engagées envers nous. »

M. Dumortier. - On pourrait dire : « n’ont pu se délier des engagements qu’elles avaient contractés envers nous. » Il y a aussi une faute d’impression à corriger : au lieu d’un puissant appui, il faut lire un puissant point d’appui.

- L’amendement de M. Dumortier est mis aux voix et adopté en ces termes :

« L’expulsion de notre ennemi de la forteresse d’Anvers lui a enlevé un puissant point d’appui. La convention du 21 mai nous conserve la possession de plusieurs avantages matériels stipulés dans le traité du 15 novembre, et nous donne l’espoir que nous verrons incessamment la navigation de la Meuse utilement ouverte à notre commerce, et celle de l’Escaut dégagée de toute entrave. En souscrivant à cette convention avec la Hollande, les puissances exécutrices n’ont pu se délier des engagements qu’elles avaient contractés envers nous. S’il en était autrement, si la Belgique était abandonnée à elle-même, elle resterait entière dans tous ses droits et libre dans ses moyens d’action contre son ennemi. La nation, d’ailleurs, a fait assez de sacrifices à la paix de l’Europe ; ses droits ne peuvent plus être longtemps méconnus. Le gouvernement de Votre Majesté saura les faire valoir, sûr de l’appui de la représentation nationale, toutes les fois qu’il s’agira de défendre notre honneur et notre indépendance. »

- Cet amendement remplacera le paragraphe deux de l’adresse.

Le premier paragraphe est ensuite adopté sans changement. Il est ainsi conçu :

« Depuis l’ouverture de la session de 1833, deux faits importants qui se rattachent à notre politique extérieure se sont accomplis. »

Paragraphe 3 (du projet initial)

Le troisième paragraphe est également adopté sans modification dans les termes suivants :

« Si votre gouvernement, Sire, croit pouvoir concilier un désarmement partiel avec la sûreté extérieure de l’Etat, nous serons heureux de voir réduire ainsi les charges du pays, et rendre à l’industrie agricole et manufacturière les bras que la défense de l’Etat lui avait enlevés. »

Paragraphe additionnel

M. le président. - M. de Brouckere propose ici un paragraphe additionnel ainsi conçu :

« Votre Majesté a sans doute été comme nous affligée des désordres qui ont en lieu naguère dans plusieurs villes. Nous sommes convaincus qu’elle aura enjoint à son gouvernement de prendre des mesures énergiques, afin d’en empêches le renouvellement. »

M. de Brouckere. - Messieurs, après la déclaration faite par M. le ministre de la justice au nom du gouvernement, je crois pouvoir me dispenser de donner aucun développement, quel qu’il soit, au paragraphe que j’ai l’honneur de vous soumettre. Je dois avouer que je ne m’attendais pas à cette déclaration, d’abord parce que le ministère ne nous a pas accoutumés à se montrer d’accord avec nous, et en second lieu parce que l’amendement que j’ai présenté et celui proposé par l’honorable M. Dumortier, et qui a été déjà adopté, sont les conséquences directes des doctrines que nous avions émises et que nous avions soutenues lors de la discussion générale.

Quoi qu’il en soit, je déclare que je vois avec plaisir cet accord qui s’établit entre le ministre et la partie de la chambre à laquelle j’appartiens par mon opinion. J’espère, après ce qui vient de se passer, que ceux qui ont été tentés d’appeler certains membres exagérés et démolisseurs, trouveront dans la conduite de l’opposition la preuve qu’elle n’a jamais mérité et qu’elle ne mérite pas les qualifications qu’on s’est plu à lui donner.

- L’amendement de M. de Brouckere est appuyé.

M. Devaux. - Il se passerait une chose assez singulière si l’honorable membre qui a proposé l’amendement venait faire un reproche au ministère de l’adopter. Je l’adopte également de mon côté, mais je dois dire que je ne vois pas dans cet amendement ce que j’ai vu dans le discours de l’honorable membre et ce que j’aurais combattu si je n’avais pas eu en vue de voir abréger la discussion. Je puis admettre l’amendement de M. de Brouckere et désapprouver son discours. A cet égard, je crois que M. de Brouckere a aussi mérité l’approbation de l’assemblée en ne faisant pas passer dans son amendement tout ce qui se trouvait dans son discours, et c’est pour cela que j’appuie cet amendement.

J’ajouterai une simple observation sur le style. Il me semble qu’il serait plus convenable et plus honnête, au lieu de ces mots : « Votre Majesté a sans doute été comme nous affligée, » de mettre : « Votre Majesté aura été comme nous affligée. » (Oui ! oui ! appuyé !)

M. de Brouckere. - J’y consens très volontiers.

M. le président. - M. H. Dellafaille propose d’ajouter après l’amendement de M. de Brouckere ces mots :

« Que d’audacieuses provocations peuvent expliquer, mais non justifier. Nous sommes convaincus que la fermeté des magistrats saura réprimer également et ceux qui les commettent et ceux qui les excitent, faire respecter les lois et déjouer les projets des hommes qui appellent sur leur patrie le trouble et l’anarchie. »

M. Dellafaille. - Messieurs, tous nous avons vu avec douleur les scènes qui ont eu lieu à Gand, à Bruxelles, à Anvers ; tous nous désirons que ces déplorables violences ne viennent plus désoler notre patrie et souiller notre cause ; tous, par conséquent, nous avons applaudi au sentiment qui a dicté à notre honorable collègue l’amendement qui nous occupe. Je l’appuie pour ma part ; seulement j’ai cru devoir y signaler une lacune.

Je ne saurais partager l’opinion qui assigne à ces événements une impulsion venue d’en haut, un but politique. Je ne crois pas qu’il se trouve parmi nous un seul homme, à quelque parti qu’il appartienne, qui voulût pour servir sa cause, recourir à cet infâme moyen ; et pour me faire sortir de mon incrédulité à cet égard, il faudrait des preuves plus claires que le jour. Le seul reproche que méritent à mon avis les agents du pouvoir, c’est la mollesse avec laquelle ils répriment des désordres auxquels cette même mollesse a donné naissance.

Dans la ville que j’habite, ces saturnales n’auraient jamais eu lieu sans l’indignation causée par l’impunité dont jouissent les auteurs des démonstrations les plus effrontées. Lorsqu’on voit tous les jours un journal, notoirement soldé par la Hollande, se permettre les plus dégoûtantes diatribes, n’épargner dans sa rage ni rang ni sexe, ni vertus publiques ou privées ; lorsqu’on voit les ennemis les plus acharnés de la Belgique se réunir à des jours convenus et publiquement annoncés, déployer avec ostentation les emblèmes du gouvernement déchu, insulter, provoquer en pleine rue et dans tous les lieux publics les partisans du gouvernement national, faut-il s’étonner si, lassé de ces impudentes provocations, irrité enfin de ces outrages sans cesse renouvelés et toujours impunis, le peuple se laisse aller aux transports de sa colère ? A Bruxelles et à Anvers, si je suis bien informé, les mêmes causes ont produit les mêmes effets.

Ces actes doivent être réprimés, je le sais ; mais je crois qu’il ne faut pas accréditer nous-mêmes les calomnies de nos ennemis en faisant peser tout le blâme sur des hommes qui ne sont qu’égarés, et en cachant sous les voiles d’un silence trop favorable ceux qui spéculent peut-être sur des désordres qu’eux-mêmes ont excités, et dont il se font une arme pour nous décrier au-dedans et au-dehors. Que les orangistes trouvent sous le gouvernement qu’ils maudissent sûreté et protection ; qu’on réprime avec sévérité toute violence quelconque, mais aussi qu’on déploie la même sévérité contre ceux qui se mettent au-dessus des lois et qui se font un jeu, et peut-être un plan, d’exciter les passions populaires en insultant à tout ce que le peuple a de plus cher, son Roi, sa constitution et son indépendance.

C’est dans cette vue que j’ai ajouté à l’amendement de l’honorable M. de Brouckere le sous-amendement dont il vous a été donné lecture. Du reste, je le répète, j’appuie de toutes mes forces sa proposition.

Il est plus que temps de prendre des mesures énergiques contre ces désordres, qui menacent de se renouveler à Gand. D’après les derniers renseignements que j’ai reçus, des bandes de plusieurs centaines d’individus parcourent les rues, attaquant, maltraitant ceux qui ont le malheur de leur déplaire ou de porter certaine coiffure très inoffensive ; et l’on craint, si les excès continuent, qu’il n’en résulte de funestes collisions. La police est sans force ; la justice semble dormir. Le Mazaniello qui dirige ces bandes n’est pas même arrêté, et n’a eu pour prix de sa conduite qu’une simple citation devant le magistrat. Puisque M. le ministre de la justice est ici présent, je terminerai en lui demandant s’il reçu quelques renseignements à cet égard, et quelles sont les mesures qu’il a prises pour faire respecter à Gand les lois et assurer dans cette ville la tranquillité publique.

M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Je crois devoir répondre à l’interpellation de l’honorable préopinant.

J’ai reçu avant-hier des rapports officiels de Gand, qui m’ont fait connaître qu’en effet, à une cérémonie à laquelle on avait d’avance donné une certaine célébrité, on avait affiché des couleurs que le code pénal ne proscrit pas, mais que l’opinion publique, plus forte quelquefois que le code pénal, proscrit avec énergie. Le déploiement de ces couleurs a occasionné au milieu de la population de Gand quelques scènes de désordres, exagérées toutefois par une feuille qui sert d’organe à un parti. Tels sont du moins les renseignements que j’ai reçus. Je ne pense pas qu’il faille faire ici intervenir des noms propres, mais je dirai qu’un personnage m’a été signalé par M. le procureur-général.

J’ai répondu, courrier par courrier, que si cet individu avait porté ou portait une atteinte quelconque à nos libertés publiques, à une de nos lois, il fallait sévir contre lui de la manière la plus rigoureuse, et j’ai reçu aujourd’hui la nouvelle que les troubles de Gand sont complètement apaisés dans ce moment. M. le procureur-général attribue une partie de ce résultat à l’attitude de l’autorité municipale de Gand, qui, par une proclamation énergique, s’est associée à l’action des magistrats. J’ai regret de dire que cette mesure à été qualifiée de tardive.

M. de Foere, rapporteur. - Je ne puis me rallier au paragraphe additionnel qui nous est proposé. Messieurs, si vous l’accueillez favorablement, vous poserez un antécédent très dangereux. A chaque discussion d’adresse, l’opposition, de quelque côté qu’elle se trouve, saisira ce précédent pour tourner contre le ministère chaque désordre, chaque rixe qui s’élève dans un cabaret. Vous en avez déjà fait l’expérience. Vous avez entendu avec quelle virulence l’opposition a usé de ces malheureux prétextes. Vous aurez même remarqué que ce paragraphe additionnel n’est même plus l’expression du discours que l’auteur de ce paragraphe a prononcé sur cette spécialité ; car son discours était un acte direct d’accusation contre le ministère d’avoir provoqué ces désordres. Comparez son discours avec son paragraphe additionnel, et voyez s’il y a identité, et si sa virulence n’est pas singulièrement tombée.

Si vous posez, je le répète, ce fâcheux antécédent, vous jetterez dans le pays les mêmes brandons de discorde toutes les fois que vous discuterez une adresse en réponse au discours du Roi. D’ailleurs, il n’est pas dans les usages parlementaires de faire figurer dans des adresses un pareil objet. En Angleterre, où il y a souvent de graves excès, de graves désordres, il n’est jamais entré dans la pensée d’aucun membre de l’opposition du parlement d’en parler dans une réponse d’adresse. Je voterai donc contre le paragraphe dont il s’agit. (Aux voix ! aux voix !)

M. le comte de Robiano de Borsbeek. - Je demande la parole pour peu d’instants, ce sera la première fois que je parlerai depuis cette session.

Messieurs, je ne puis m’empêcher d’exprimer le regret de ce qu’on propose de faire devant l’Europe entière une triste parade des désordres qui viennent d’avoir lieu. Je blâme ces désordres autant que personne, mais je ne vous répéterai point tous les motifs qui exigent leur répression, afin de ne point fatiguer l’assemblée.

C’est à la loi, c’est au gouvernement qu’appartient la sauvegarde des propriétés, de la vie, de l’honneur des citoyens. Il faut que nous veillions à ce que les individus ne s’arrogent pas le droit d’exercer la vindicte publique ; mais, messieurs, portons remède à ces maux sans faire étalage des scènes que nous déplorons.

Ces désordres me paraissent moins graves par les faits arrivés que par l’esprit et la tendance nécessaires de ces justices politiques particulières. Il faut donc y porter remède mais ne serons-nous effrayés que des effets et ne chercherons-nous pas à arrêter la cause ? La véritable cause de ces excès, c’est la licence de la presse qui dépasse toute mesure. Il n’y a point de pays où l’ordre et la tranquillité puissent se maintenir, si la loi est trop faible pour réprimer une si révoltante licence.

Je ne crois pas, messieurs, que la législation soit en mesure d’y parvenir dans tous les procès pour délits de presse, un acquittement est venu augmenter l’impudence des coupables. Cependant, l’amendement de M. de Brouckere ne s’élève que contre les effets de l’indignation publique, ne censure que les troubles, et ne fait aucune mention, ne prononce pas la moindre désapprobation des provocations sans exemple de la presse orangiste. Au moins, messieurs, si vous adoptez cet amendement, adoptez aussi le sous-amendement de M. Dellafaille qui flétrit, comme elle le mérite, cette expression révoltante des sentiments les plus antinationaux et les plus honteux.

Cependant je préférerais de beaucoup qu’il ne fût fait aucune mention dans l’adresse de ces désordres. Cette mention, dans une occasion aussi solennelle, les grossira aux yeux de toute l’Europe qui, sans cela, n’y ferait point attention ou n’y donnerait pas l’importance exagérée que cet acte officiel lui imprimerait. Assez de préjugés existent contre nous. Consultez les étrangers de différentes nations, et vous verrez qu’on ne peut y croire que nous ayons des éléments d’ordre chez nous, ni que nous soyons fortement attachés à l’ordre. Encore une fois, portons remède au mal par les moyens que nous puiserons en nous-mêmes, mais sans divulguer au-dehors des scènes qui feront mal juger de nous, surtout étant présentées sous un seul point de vue, et sans noter aussi de réprobation les causes réelles de ces scènes.

Je suis loin, messieurs, de partager la sécurité de quelques personnes sur l’effet des journaux orangistes. Presque tous les gouvernements qui sont devenus victimes de l’opinion, ont persisté longtemps à la mépriser, à la croire sans portée. Les journaux orangistes ne sont point sans influence, puisqu’ils sont lus. Ils sont lus à l’intérieur et à l’extérieur, et même à l’armée. On ne résiste pas à des impressions quotidiennes ; puisqu’on lit ces journaux, ils sont dangereux. Je connais des hommes estimables qu’ils ont égarés et qu’ils maintiennent dans un funeste aveuglement. On résiste à une première impression, une seconde ébranle, d’autres achèvent de changer l’opinion. Les séductions quotidiennes sont du plus grand danger. A l’extérieur il est impossible de croire à la nationalité belge, en voyant les attaques continuelles qu’on lui livre avec la plus grande impunité.

On m’a assuré que depuis le congrès national il existait une loi pour la répression de délits de cette espèce, mais que son effet avait cessé depuis peu de temps. En vérité, messieurs, son effet ne s’est jamais fait sentir, et je ne puis croire que sa portée soit suffisante. La licence de la presse tuera la liberté de la presse. Voila ce que je prévois.

La répression des excès de la presse est une matière fort délicate. Sa mention improvisée dans cette adresse pourrait avoir des inconvénients. C’est une raison de plus de chercher le remède sans faire plus de bruit, et sans parler du mal, puisque l’on ne peut en même temps indiquer le remède ; mais c’en un devoir de la législature de s’appliquer à le chercher.

Enfin, messieurs, notre honneur, notre réputation ne demandent pas que nous réprouvions dans cette adresse les actes de justice individuelle qui ont eu lieu. Nos compatriotes, qui nous ont élus comme représentant leurs opinions, blâment les moyens de force brutale qui ont été employés ; ils sont persuadés que nous les blâmons comme eux.

M. de Brouckere. - Messieurs, il est rare qu’une proposition, si simple et si juste qu’elle puisse être, ne rencontre aucune opposition dans une chambre. Heureusement, la mienne n’en a rencontré aucune pour le fond ; les deux orateurs auxquels je réponds sont convenus eux-mêmes que les événements auxquels je fais allusion étaient déplorables, et qu’il fallait en désirer la prompte répression.

Mais, à en croire l’honorable M. de Foere, ma proposition, si elle est admise, deviendra un antécédent dangereux dont on pourra se repentir plus tard. Et pourquoi, messieurs ? Parce qu’à l’avenir, l’opposition saisira toutes les occasions de parler des désordres qui auront pu avoir lieu, dans le but de renverser un ministère. Je crois que M. de Foere avait oublié que le ministère ne s’oppose pas à l’admission de mon amendement. Il me semble que cette seule réflexion réfute complètement toute l’argumentation de l’honorable membre.

On a trouvé dans les expressions dont je me suis servi, deux griefs à m’opposer. On vous a dit qu’elles ne reproduisaient pas textuellement le discours que j’ai prononcé ; mais si vous voulez que dans l’adresse se retrouve tout un discours, elle sera singulièrement longue, surtout si ceux des honorables collègues qui ont proposé des amendements doivent aussi y faire entrer ces discours que vous avez entendus. Alors ce n’est plus une adresse que nous offrirons à S. M., c’est un volume, tout un volume à la place de quelques lignes qui doivent être simples et vraies.

Maintenant, messieurs, je regrette de le dire, mais je n’ai pu saisir quel a été le but du discours de l’honorable M. de Robiano. Il trouve comme nous qu’une répression énergique des désordres est nécessaire ; mais il ajoute que nous devons faire nos affaires par nous-mêmes, Ici, je l’avoue, malgré toute l’attention que j’ai pu donner à cette partie du discours de l’orateur, je n’ai pu la comprendre. Comment veut-il donc que nous fassions nos affaires ? Ce n’est pas à nous à faire justice ; nous ne pouvons traduire les coupables à la barre ; que pouvons-nous donc ? rien, qu’adresser au gouvernement et à son chef des paroles exprimant le besoin que tous les moyens suggérés par les lois soient employés pour réprimer les excès, Car je ne pense pas que les lois sous l’empire desquelles nous vivons soient insuffisantes, et qu’il faille en proposer nouvelles.

En terminant, messieurs, je me trompe fort, ou la chambre a déjà manifesté l’intention de se rallier à un amendement auquel le membre n’a pas cru devoir refuser son adhésion.

- Nombre de voix. - La clôture ! la clôture !

M. de Robiano. - Je demande que dans l’amendement de M. de Brouckere on substitue les mots de quelques villes, à ceux de plusieurs villes qui s’y trouvent…

M. le président. - Les changements qui ne portent que sur la rédaction pourront toujours avoir lieu. (Oui ! oui ! Aux voix !)

- L’amendement de M. de Brouckere sous-amendé par M. Dellafaille est mis aux voix.

MM. les ministres et une grande partie de l’assemblée se lèvent pour : il est adopté.

Paragraphes 4 et 5

La chambre adopte ensuite sans discussion les paragraphes suivants du projet de la commission :

« Nous nous félicitons d’apprendre qu’eu égard à la position de la Belgique, la situation du trésor est satisfaisante.

« La chambre des représentants, Sire, est animée du vif désir de concourir, avec le gouvernement de Votre Majesté, à tous les moyens qui tendront au développement de l’industrie du pays et à l’extension de son commerce. »

Paragraphe 6

Le paragraphe suivant du même projet est ainsi conçu :

« Nous apprenons avec satisfaction que déjà des stipulations favorables à une branche importante de notre industrie ont été obtenues, et que nous pouvons espérer des résultats heureux des négociations entamées, dans le même but, avec la France. »

M. le président. - M. Gendebien propose de le remplacer par le suivant : « Nous apprenons avec satisfaction que les changements faits au tarif des douanes des États-Unis sont favorables à une branche importante de notre industrie, et que nous pouvons espérer des résultats heureux des négociations entamées, dans le même but, avec la France. »

M. Gendebien. - Je pense que de longs développements ne sont pas nécessaires pour appuyer mon amendement. Il est certain que les Etats-Unis d’Amérique, grâce à la forme économique de leur gouvernement, sont parvenus en peu d’années à payer une dette que l’on pouvait considérer comme immense, et qui avait été contractée pour secouer le joug de l’Angleterre. Aujourd’hui leur prospérité est telle qu’ils peuvent réduire leurs revenus à peu de chose. Aussi ils ont aboli les droits de douanes en totalité sur certains objets, et maintenu une partie des droits seulement pour quelques objets de fabrication extérieure, dans le but de favoriser ceux de fabrication intérieure.

C’est là une mesure toute d’administration, une loi du pays dans laquelle nous ne sommes intervenus pour rien ; dès lors vous sentez combien il serait inconvenant (je me sers de cette expression-là pour en éviter une qui le serait plus peut-être) de nous constituer, vis-à-vis des Etats-Unis et de l’Europe, dans une apparence de duperie et de gloriole tendant à faire croire que des stipulations ont été obtenues. Je le répète, ce n’a été de la part des Etats-Unis qu’une mesure d’administration intérieure, à laquelle nous n’avons concouru en rien. Je crois que mon amendement rétablit toute la vérité, et il convient toujours d’y rester.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier) - Ce qu’il importe pour la chambre, c’est que les stipulations favorables aient été prises par les Etats-Unis en faveur d’une branche de notre industrie. Là est le point important de la question. Si M. Gendebien veut absolument que notre agent ne soit pour rien dans les modifications favorables dont il s’agit, libre à lui de le penser, de le dire. Libre à lui de présenter telle rédaction qui enlève à notre envoyé ce que nous regardons comme une justice rendue à son activité. Nous avons la conviction que votre agent a été utile, et nous l’avons déclaré. Mais nous n’exigeons pas que vous lui rendiez hommage en vous servant du mot stipulations. Nous n’avons aucun motif de nous opposer à l’amendement de M. Gendebien.

M. Dumortier. - Il n’est plus question de négociations, puisque des négociations n’ont pas eu lieu en effet. Mais on aurait dû tout d’abord ne pas se servir d’une expression si peu convenable. Il va résulter que l’adresse ne sera pas d’accord avec le discours qui a été prononcé. Si les ministres avaient eu bien à cœur la dignité royale, ils ne se seraient pas permis une expression si peu convenable.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier) - Nous sommes toujours reconnaissants, lorsque l’opposition veut bien nous indiquer ce qu’il convient de faire dire au Roi. Si nous avons employé le mot stipulations, c’est que, dans notre pensée (et vous nous laisserez bien, j’espère, cette liberté-là), notre agent avait contribué réellement à amener des stipulations. Vous pouvez ne pas trouver l’expression convenable, et l’honorable préopinant, qui a beaucoup plus de facilité sur ce point que les ministres, en aurait peut-être trouvé une autre.

Quant à nous, nous avons mis dans le discours du trône ce qui était dans la pensée du ministère. Si vous ne partagez pas sa pensée, retranchez le mot, mais nous devons le maintenir comme expression de la vérité.

M. Gendebien. - Il faudrait le prouver. (Aux voix ! aux voix !)

- L’amendement de M. Gendebien est mis aux voix et adopté. Il remplacera le cinquième paragraphe du projet de la commission auquel il se rapportait.

Paragraphe 7

Le paragraphe suivant du projet de la commission est ensuite adopté sans opposition :

« Les députés de la nation, Sire, donneront tous leurs soins aux améliorations intérieures du pays. Le projet de grande communication de la mer et de l’Escaut à la Meuse et au Rhin, les lois des budgets et des comptes, celles d’organisation provinciale et communale, ainsi que celle des distilleries, seront examinés avec toute l’attention et avec toute la sollicitude que réclament des besoins aussi impérieux. »

Paragraphe additionnel

M. le président. - MM. Fallon et Dubus présentent ici un paragraphe additionnel ainsi conçu :

« Elue par les suffrages libres du peuple, la chambre des représentants se montrera, comme la chambre dissoute, gardienne des libertés que la constitution a garanties, dévouée à la patrie et au Roi que la nation s’est choisi.

« Pleine de confiance dans l’attachement sincère de Votre Majesté à nos institutions, la chambre sait qu’elle a le droit de compter sur une entière indépendance d’opinion pour tous ses membres, et Votre Majesté peut compter aussi que tous, quelles que soient les autres fonctions qu’ils occupent, feront leur devoir de bons et loyaux députés. »

M. Fallon. - Messieurs, le premier paragraphe de l’amendement qui vous est présenté, est relatif à des événements sur lesquels il est utile d’appeler votre attention ; je crois qu’il est suffisamment démontré que la chambre à laquelle nous succédons n’a pas cessé de faire preuve de dévouement au pays. Si vous partagez cette opinion, vous ne trouverez aucun inconvénient à adopter la première partie du paragraphe, qui a pour objet de payer un tribut de reconnaissance à la chambre passée, pour tous les services qu’elle a rendus. La deuxième partie se rapporte à d’autres faits ; mon honorable collègue M. Dubus s’est chargé de la développer, s’il en était besoin, devant vous.

M. Dubus. - Messieurs, les développements dans lesquels je suis entré, il n’y a pas encore longtemps, me dispensent d’en donner de nouveaux aujourd’hui. Tous les membres qui y ont assisté, auront déjà bien compris toute la portée de l’amendement que nous vous proposons d’insérer dans l’adresse.

On a singulièrement dénaturé mes paroles dans les réponses que l’on a prétendu faire à ce que j’ai dit. Là, et la chambre a pu le remarquer, j’avais fait de larges concessions, concessions sans lesquelles l’administration ne pourrait pas marcher ; mais c’étaient les seules. J’ai été bien loin de soutenir que toute destitution donnait le droit de mettre le ministre en cause ; j’ai, au contraire, formellement avoué la thèse opposée.

La doctrine contre laquelle je me suis élevé, c’est celle qu’ont émise à la tribune MM. les ministres et d’où il résulterait que les fonctionnaires ont à suivre la même ligne politique que le ministère, à suivre l’ordre qui leur est tout tracé par lui, sous peine de destitution ; voilà ce qui résulte directement des discours ministériels ; voilà les principes contre lesquels je me suis élevé. Je ne rentrerai pas dans les arguments qui ont été présentés de part et d’autre, mais il me semble que les discours du ministère, tout en reconnaissant l’utilité, la nécessité même de la coopération des fonctionnaires dans cette chambre, ont rendu leur fonction fâcheuse et difficile. Il est donc nécessaire qu’il concoure avec nous à les tirer de cette funeste situation, à les réhabiliter en quelque sorte.

M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Dans la discussion des divers amendements qui ont été distribués dans la séance de ce jour, le gouvernement s’est montré animé de l’esprit de conciliation qu’il croit utile aux intérêts du pays. Mais il est un terme où doivent s’arrêter les facilités qu’il voudrait toujours apporter dans ses rapports avec les représentants de la nation, c’est lorsque le sentiment du devoir, toujours supérieur aux préoccupations de sa position personnelle, parle à sa conscience. Le gouvernement ne peut voir d’autre pensée, dans l’amendement qui vous est soumis, que de jeter un blâme formel sur un acte émané de la prérogative royale. Son devoir est de veiller à ce qu’il n’y soit porté aucune atteinte. Ce devoir il le remplit à ses risques et périls, et c’est lui qui lui commande de s’opposer de toutes ses forces à l’adoption de l’amendement qu’on vous propose.

M. Dumortier. - De toutes les discussions qui ont eu lieu à l’occasion du projet d’adresse en réponse au discours du trône, il n’en est pas une qui, dans cette chambre et au-dehors, ait excité une plus vive sympathie que celle relative aux destitutions brutales de fonctionnaires siégeant dans cette enceinte ; il n’en est pas qui ait excité une sympathie plus vive que celle par laquelle nous avons repoussé cette doctrine subversive, liberticide, qui tend à fonder la servilité des fonctionnaires par la corruption et le déshonneur. Vous avez dû être singulièrement étonnés d’entendre, deux années seulement après une révolution glorieuse, préconiser les destitutions comme moyen de gouvernement, d’entendre les conseillers de la couronne déclarer ouvertement aux fonctionnaires qui siègent dans cette enceinte, qu’il faut se retirer ou obéir.

Ah ! de semblables paroles, on les eût expliquées, comprimées il y a deux ans, alors qu’une majorité hollandaise voulait pressurer la Belgique et établir la tyrannie ; mais qu’un gouvernement sorti des barricades tende à asservir la conscience des fonctionnaires comme moyen de gouvernement, que des hommes qui doivent tout aux principes de cette révolution, qui les a placés dans la représentation nationale, viennent abdiquer ces principes pour soutenir ceux qu’alors ils combattaient avec nous, voilà ce qu’on ne peut expliquer ni comprendre !

Vous invoquez la responsabilité ministérielle et les prérogatives royales eh ! mon Dieu, qui vous conteste tout cela ? Nous vous l’avons déjà dit, si un fonctionnaire compromet votre responsabilité en violant la loi, destituez-le, c’est votre droit et votre devoir. Si un fonctionnaire public se refuse d’exécuter les lois et les arrêtés légaux, destituez-le encore. Mais lorsqu’il refuse de se faire le vil exécuteur de vos caprices et de vos volontés, lorsqu’il vote librement comme représentant du pays et que vous le destituez, alors vous établissez manifestement la tyrannie sur les ruines de la liberté ; alors aussi vous vous retranchez dans la prérogative royale.

Eh quoi ! ne voyez-vous pas que vous vous mettez en contradiction avec vous-mêmes ? Si nous vous reprochons de destituer brutalement des fonctionnaires qui n’ont jamais forfait à leur devoir, vous invoquez la responsabilité ministérielle, et lorsqu’on vous attaque à propos de cette responsabilité, alors vous vous retranchez derrière la prérogative royale. Cercle vicieux, misérable, dans lequel est condamné à tourner tout ministère qui s’est écarté des principes de l’indépendance et de la liberté.

D’ailleurs, pénétrez-vous bien de cette vérité, ce n’est pas par des coups d’Etat, par des destitutions, par la violence que vous environnerez le trône du respect de la nation. Voyez la France : n’est-ce pas la double dissolution des chambres françaises qui a fait naître la révolution de juillet ? Sous Van Maanen la destitution de plusieurs commissaires de district n’a-t-elle pas soulevé l’indignation de tout le pays ? C’est une vérité constante que les mesures violentes amènent toujours un résultat contraire à celui qu’on en attend ; l’intérêt se rattache toujours aux victimes, et le peuple se détache du pouvoir à mesure qu’il s’attache davantage aux victimes qu’il a faites.

Mais voici qui prouve jusqu’à l’évidence la fausseté de votre doctrine. Lorsque le congrès formula le serment des fonctionnaires, entra-t-il dans son idée de leur faire jurer sur l’honneur obéissance servile aux ministères ? Non, il leur prescrivit obéissance à la loi, exécution de la constitution que nous avons tous jurée ; et maintenant vous voudriez substituer vos exigences à la pensée, aux vœux du peuple belge ? Effacez donc le serment des fonctionnaires, ou demandez qu’on en formule un autre. Osez avoir la franchise de demander une loi qui change le serment des fonctionnaires publics, nous verrons si nous devons vous l’accorder.

On a parlé de l’obéissance que doivent les procureurs généraux. Messieurs, je n’ai pu voir là qu’une menace contre les membres qui, dans cette assemblée, font partie du parquet dont M. le ministre de la justice s’est déclaré le chef ; mais, puisqu’on a cité des exemples, je vous le demande, si notre digne président ne voulait pas souscrire à vos caprices, s’il refusait de violer le règlement dans un intérêt purement ministériel, n’est-il pas vrai qu’alors, si vos principes sont vrais, vous auriez le droit de le destituer des fonctions honorables qu’il accepta aux grands jours du danger ? (Rires derrière le banc des ministres.) Riez, mais je vous défie de me répondre. Voila en effet votre doctrine dans toute sa vérité avec toutes ses conséquences.

Et que diriez-vous, messieurs, si demain un ministre, voulant subjuguer la conscience des fonctionnaires, venait vous présenter un projet de loi ainsi conçu :

« Considérant que tout gouvernement représentatif est le gouvernement des majorités ; » et c’est ce qu’a dit M. le ministre de la justice.

« Considérant que dans un gouvernement représentatif le ministère représente la majorité parlementaire ; » et c’est encore ce qu’à établi M. le ministre de la justice.

« Considérant que dès lors le devoir des fonctionnaires publics est de prêter leur appui au ministère,

« Nous avons statué et statuons :

« Tout fonctionnaire qui ne votera pas avec le ministère sera passible de destitution. »

Voilà, messieurs, toute la doctrine ministérielle formulée en loi. Eh bien ! je vous le demande, si un ministère, quel qu’il fût, venait à cette tribune présenter un pareil projet, n’est-il pas vrai qu’un houra universel d’indignation accueillerait le ministre tyrannique qui voudrait ainsi subjuguer la conscience du députe ? Voila cependant, messieurs, où tend le système du ministère. Si vous avez foi en votre système, osez donc nous proposer franchement une loi pareille à celle que je viens de formuler. Quant à moi, messieurs, je le déclare, si la chambre avait assez de faiblesse pour rejeter l’amendement qui lui est soumis, je viendrais moi-même vous présenter ce projet, et l’on verrait alors s’il existe en Belgique une chambre pour l’accueillir.

Le but des ministres m’est à moi parfaitement connu. De crainte de se retirer, ils ont donné l’exemple d’un grand scandale politique. Ils ont renvoyé des hommes qui, dans toutes les circonstances, avaient secondé le gouvernement. Ils ont sacrifié la nation elle-même, et il faut maintenant qu’ils sacrifient la conscience des fonctionnaires à leur acharnement au pouvoir.

Et lorsqu’aujourd’hui ils viennent vous déclarer ouvertement qu’ils entendent destituer tout fonctionnaire qui votait consécutivement contre divers projets du gouvernement, lorsque surtout ils menacent de destitution tous ceux qui votaient contre eux dans les grandes circonstances et dans les questions politiques, je le déclare, ces paroles s’adressaient aux fonctionnaires qui siègent dans cette enceinte, et c’est la menace à la bouche que le ministre est entré au milieu de nous. En présence de telles atteintes à la liberté du député, les représentants de la nation ne doivent-ils pas exprimer énergiquement leur volonté de maintenir l’indépendance de la représentation nationale ?

Pour moi, messieurs, je le déclare à la face de la nation, après toutes les menaces de destitution dirigées contre les fonctionnaires, lorsqu’on a fait de leur approbation au système ministériel une condition d’existence, s’il s’en trouvait quelqu’un disposé à voter pour ce système liberticide, à enchaîner sa pensée, à la vendre au ministère, je le déclare à la face de la nation, je ne saurais m’empêcher de penser qu’il serait mu par la pensée d’une destitution. (Applaudissements.)

M. H. Vilain XIIII. - Messieurs, je ne comptais pas prendre la parole dans cette discussion déjà assez longue par les incidents de toute nature qui l’ont traversée ; mais, comme une question principale la domine dans ce moment, que la chambre semble partagée par plus d’un doute sur celle de la position constitutionnelle des fonctionnaires de la chambre, et que de la solution de cette question dépend à mes yeux le salutaire établissement du pouvoir ou son renversement, je crois devoir combattre le système qu’on préconise de l’indépendance absolue des agents du pouvoir en tant que députés de la nation.

D’abord, je soutiens qu’en principe général un ministre ne doit à la chambre aucun compte des motifs de la destitution d’un fonctionnaire public ; que le même droit qu’il possède de nommer lui donne aussi celui de destituer ; qu’aucun tribunal ne peut être appelé à juger de l’équité d’une démission. Les militaires seuls sont à l’abri de cette action directe du pouvoir, et d’après l’article 124 de la constitution, une loi doit régler la privation des grades et des honneurs. Les juges sont aussi placés dans une autre sphère

Mais un ministre responsable de la bonne administration du pays peut organiser et changer ses administrateurs comme il l’entend ; il répond devant nous des résultats de sa gestion et non des instruments qu’il a employés, car il serait par trop injuste de lui demander qu’il fasse bien, tout en exigeant qu’il conserve les agents qui font mal à sa manière, qui le traversent dans l’impulsion qu’il croit devoir donner aux affaires publiques, qui peuvent à chaque instant le gêner dans l’exécution d’un système quelconque dont lui seul est responsable ; ce serait là vouloir de la liberté pour tout le monde, hormis pour les ministres ; ce serait là, en voulant fonder un gouvernement, organiser l’anarchie. Ainsi donc, en règle générale, un ministre doit posséder la libre disposition de ses agents.

Si un fonctionnaire se croit injustement renvoyé, comme citoyen le droit de pétition lui reste. Les chambres jugent de la valeur de sa réclamation et le ministre y répond s’il le croit convenable. Si les arrêtés de destitution se multiplient, s’ils se convertissent en actions brutales et passionnées, si un ministre, au lieu d’exercer sagement le pouvoir, en abuse, l’initiative reste à chaque membre de le mettre en accusation, outre la faculté générale de rejeter son budget. Ces deux grands obstacles suffiront bien pour arrêter tout excès.

Mais on soutient qu’un fonctionnaire-député ne peut être recherché quant à son vote à la chambre, quant à l’opposition constante qu’il manifeste contre le gouvernement. Là, dit-on, il n’est plus fonctionnaire, il n’est que député. D’abord j’avouerai, messieurs, que j’ai toujours eu beaucoup de peine à reconnaître ainsi deux individualités dans un représentant, à distinguer l’impulsion qui fait agir un orateur quand il prétend parler comme député, ou bien comme fonctionnaire, et même comme ministre.

Je crois que l’homme est toujours animé des mêmes passions ou des mêmes vertus, qu’il ne lui est pas possible de se substituer ainsi à lui-même dans telles circonstances voulues, d’embrasser à jour fixe le rôle de défenseur du pouvoir ou des intérêts populaires, d’avoir enfin deux opinions ; je crois que s’il veut le bien de son pays, il doit toujours vouloir de la même manière et dans un même but.

De là découle le principe qu’étant fonctionnaire et devenant député, il doit suivre en général le système gouvernemental du ministère en vigueur, car ses mandants l’ont ainsi voulu en le choisissant. Les électeurs trouvent bon le système qui les régit et dont le fonctionnaire public n’est que le représentant, comme en nommant un ministre député, ils l’engagent à continuer sa marche politique. S’il en était autrement, on arriverait à cette conclusion singulière qu’un député, quoique ministre, peut avoir deux consciences et qu’il doit parfois combattre son propre ouvrage et voter contre son système.

Je ne pose point ici, messieurs, des principes rigoureux ; je ne veux point dire qu’en règle stricte tout fonctionnaire public doit dans tous les cas voter avec le ministre. Un dissentiment d’opinion sur des lois spéciales et secondaires est sans doute facultatif. Je ne parle que d’une opposition constante à la marche du gouvernement, opposition dont le triomphe serait de mettre en question l’existence du ministère et souvent celle du gouvernement lui-même. Il n’y a rien d’arbitraire dans cette distinction, et si elle gêne la conscience d’un député, la liberté lui est acquise là comme ailleurs de refuser la place de député, ou de résilier celle de fonctionnaire public. Du reste, je le répète, nous ne sommes pas dans un pays et sous une constitution où l’arbitraire puisse jamais faire de grands progrès. On trouvera toujours de bons citoyens pour y mettre un frein, et j’en réponds pour mon compte.

Une dernière considération qui doit nous engager plus que toute autre à ne point dénier au pouvoir la libre disposition de ses fonctionnaires, et surtout celle des gouverneurs et des commissaires de district, c’est la facilité que par leur influence locale ces mêmes fonctionnaires possèdent de se faire élire députés. Par leurs relations fréquentes avec les administrations communales, ils peuvent agir avec bien plus d’avantages dans les luttes électorales, et ces facilités d’élection qu’on ne peut nier, ces avantages qu’ils ont pour ainsi reçus du ministre, ils pourraient s’en servir contre le ministère lui-même, ils pourraient faire de la popularité tout en recevant un salaire de l’Etat, ils jouiraient des bénéfices de l’une et de l’autre position. La partie ne serait point égale, et il est juste que, pour les rendre en quelque sorte plus indépendant d’opinion, le pouvoir puisse au besoin les éloigner.

Un député, en attaquant le ministère, a énoncé le désir que la chambre se remplît de fonctionnaires habiles pour la bonne confection des lois, mais que pour cela le ministère ne devait point les effrayer par des démissions.

Je crois aussi, messieurs, qu’il est important, pour faire de bonnes lois, de posséder des citoyens qui se connaissent à les faire ; mais je suis persuadé qu’il est plus important encore de ne point mêler les trois pouvoirs, de ne point transporter dans la puissance législative les premiers éléments de l’exécutive ; ce qui arriverait infailliblement, si la chambre se composait d’un grand nombre d’employés ; cette chambre perd alors le caractère qui lui est propre et qui est tout populaire. Les lois qu’elle élabore semblent toujours influencées par d’autres intérêts que les siens, et la considération qui doit les environner subit une marquante diminution. Mais, si je suis jaloux de la position indépendante et des prérogatives de la chambre envers le pouvoir, je veux aussi éviter qu’elle empiète sur ce pouvoir, soit par une action directe, soit par un blâme déguisé, et c’est dans cette opinion que je voterai contre le deuxième paragraphe de l’amendement proposé.

M. Dubois. - Messieurs, la seconde partie de l’amendement de MM. Fallon et Dubus a été dictée par la destitution de deux de nos honorables collègues, et vous a été présentée à l’occasion des doctrines émises par le ministre. Remplissant moi-même les fonctions qu’exerçaient ceux de nos collègues qui ont été destitués, j’ai cru que je ne devais pas voter simplement par assis et levé, mais dire franchement ce que je pense de cette doctrine et de ses conséquences. Là-dessus, je ne veux ni ne dois me récuser. Heureusement que l’amendement a écarté toute question personnelle, surtout lorsqu’il s’agissait de deux honorables collègues dont je n’ai jamais cessé d’estimer le caractère, et dont je ne me permettrai jamais de contrôler la conduite politique et administrative. Ce que j’avais à dire m’a semblé très délicat, et j’ai dû écrire quelques notes, afin d’éviter de ne pas rendre exactement ma pensée par mes paroles.

Messieurs, s’il était vrai, comme on l’a prétendu ici, que le ministère eût tellement généralisé ses doctrines qu’il les appliquait indistinctement et avec une égale force à tout fonctionnaire amovible ; s’il était vrai que la susceptibilité de ces doctrines est telle qu’elle ne permette plus au député fonctionnaire de penser autrement que le ministère, de voter autrement que lui, de n’exprimer dans cette chambre d’autre opinion que la sienne, en un mot de renfermer ses idées politiques et administratives dans le cercle qui lui aura été tracé, alors je conviendrais que ce serait mettre le fonctionnaire entre ses fonctions et sa conscience, que ce serait l’humilier, que ce serait attenter à la liberté de sa pensée, à sa dignité d’homme... En souscrivant à l’amendement, je repousserai de tout mon pouvoir une théorie stupide et avilissante.

Mais, messieurs, telle n’est pas la pensée du ministère. Ceux qui auront lu froidement et sans passion le discours de M. le ministre de l’intérieur y auront vu deux choses.

La première est qu’il établit une distinction essentielle entre les fonctionnaires. Il en est, dit-il, qui, recevant l’impulsion du ministère, sont particulièrement tenus de le seconder et de suivre sa pensée politique. Il en est d’autres, placés en-dehors de l’action politique du gouvernement, dont il ne doit exiger que zèle et capacité.

Je vous le demande, messieurs, ces termes ne sont-ils pas assez clairs ? Ne doivent-ils pas tranquilliser le fonctionnaire qui est plus ou moins éloigné, ou qui est entièrement en dehors de l’action politique du gouvernement, le fonctionnaire qui par la nature de ses fonctions ne doit pas, de retour parmi ses administrés, mentir à sa conscience en dissimulant sa pensée ? Non, messieurs, celui-ci n’a rien à craindre pour sa place ; il n’a rien à redouter de l’anathème ministériel.

Une autre chose, messieurs, également remarquable dans le discours que je cite et qu’il est inutile d’appuyer par des citations, car elle y reparaît à deux ou trois reprises, c’est qu’il est bien entendu et formellement exprime qu’au-delà de tout vote destructif de l’indépendance du gouvernement et des conditions de son existence, le gouvernement ne prétend plus porter atteinte au principe de la liberté du vote.

C’est réellement reculer les limites dans leurs derniers termes ; et, il faut le dire, dans les circonstances actuelles, dans un gouvernement qui n’est constitué que d’hier, chez un peuple qu’il faut habituer à nos nouvelles lois, à nos nouvelles institutions qu’il faut nationaliser ; avec une constitution où est écrite la responsabilité ministérielle, un fonctionnaire politique qui, dans son âme, a cru qu’en fidèle mandataire de la nation il doit se montrer systématiquement adversaire d’un pouvoir à son idée hostile au pays, d’un pouvoir qui rêve son anéantissement ou qui marche aveuglément vers sa ruine ; un pareil fonctionnaire, dis-je, doit savoir donner sa démission ou l’accepter sans murmurer. Il se le doit à lui ; il le doit au gouvernement.

Messieurs, ces principes sont les miens ; je saurai les suivre sans en redouter les conséquences. Je le déclare à la chambre, je le déclare à la nation, et je m’empare de cette circonstance pour déclarer solennellement à mes mandataires ce que d’ailleurs je leur ai répète plus d’une fois. Il serait trop long d’énumérer les fonctions auxquelles se rattache un caractère parlementaire ; il serait encore plus long, même impossible, d’établir exactement leur importance.

Mais je ne puis laisser sans réponse une assertion émise dans une séance précédente par l’honorable député de Tournay, d’autant plus qu’elle n’est pas étrangère à l’une des causes qui ont dicté cet amendement.

Un commissaire de district n’est pas un homme politique, dit-il ; il ne conçoit l’application de ces principes que pour un secrétaire des affaires étrangères.

Cette exception me semble vraiment singulière ; et je ne puis pas me défendre de quelque surprise de la voir posée par un honorable collègue aussi logique et aussi sérieux que M. Dubus.

Quoi ! Il n’y aurait d’hommes politiques après les ministres que le seul secrétaire du ministre des affaires étrangères ? Et les autres secrétaires généraux, s’il vous plaît ? Celui des finances, par exemple ? M. Dubus croirait-il que le gouvernement doit maintenir dans ses fonctions un député, secrétaire général des finances, qui dans cette chambre se déclarerait systématiquement son adversaire eu égard à la politique en général ou plus spécialement parce qu’il croirait s’être aperçu que dans l’administration de ses finances le ministère écrase le pays et le mène à sa ruine ? Je ne puis le croire, car M. Dubus sait trop bien quelle funeste influence un pareil homme pourrait exercer sur notre crédit.

J’ajouterai en passant que cette assertion de M. Dubus renverse entièrement le système d’inamovibilité des fonctionnaires-députés, que deux de nos honorables collègues ont puisé dans l’article 44 de notre constitution.

Enfin, un commissaire de district est-il un homme politique ? Messieurs, ou bien je me suis toujours trompé sur la nature de mes fonctions, et nous ne sommes plus qu’une machine transmissive de quelques circulaires du gouvernement, notre bureau n’est plus qu’un bureau de petite poste ; ou bien il faut reconnaître qu’un caractère politique se rattache à notre administration. En France, le caractère politique du préfet et du sous-préfet ne fait pas question.

M. Dubus n’a pas assez apprécié l’importance de nos fonctions.

Pour vous traduire ma pensée à leur égard, je m’empare des expressions d’un de nos honorables collègues de district de Verviers.

Dans la séance du 15 avril 1832, M. Lardinois s’exprime ainsi :

« Les commissaires de district ont été traités, par certaines sections, avec une légèreté qui prouve qu’on n’apprécie pas assez la nature et l’étendue de leurs fonctions. Lorsque la loi sur l’organisation provinciale sera soumise à vos délibérations, je prouverai qu’organe d’information, de transmission et de surveillance, le commissaire de district est le guide des autorités municipales, la lumière des gouverneurs, et non la créature, mais un des agents le plus utile et le plus actif du gouvernement.

« Dans l’ordre hiérarchique, le commissaire de district occupe un des premiers rangs, puisqu’il a le pas sur le président du tribunal de première instance ; mais, dans la rétribution du salaire, il est traité en bâtard. »

Je pourrais développer plus longuement le caractère et les relations politiques qu’a ce fonctionnaire avec le gouvernement et avec ses administrés. Mais la chose est trop évidente, et si je voulais en appeler aux membres du gouvernement provisoire qui sont encore présents dans cette assemblée, je leur demanderais si c’était simplement pour changer de correspondants et d’expéditionnaires qu’aussitôt à leur entrée au pouvoir ils destituèrent en masse les gouverneurs et les commissaires de district, pour les remplacer par d’autres, amis et zélés défenseurs d’un nouvel ordre de choses. Ils ne se hâtèrent pas tellement dans le remplacement d’autres fonctionnaires.

Messieurs, je vous dirai en terminant que, dans tout ce qui précède, je n’ai eu en vue aucun de mes collègues ; qu’à moins d’y être forcé, je m’abstiendrai toujours de contrôler leur conduite parlementaire ou administrative ; que je n’ai donc pas de récriminations contre eux. Seulement, j’ai tâché d’établir, pour défendre la doctrine de M. le ministre de l’intérieur, ces deux choses : qu’un ministère responsable doit avoir une action libre et forte à l’égard de ses agents, et que, parmi ces agents qui reçoivent l’impulsion du gouvernement la plus directe, on peut ranger les commissaires de district auxquels je reconnais en même temps un caractère administratif et politique.

C’est le résumé de mon opinion. Il est inutile d’ajouter, messieurs, que je voterai contre tout amendement qui tendrait à flétrir et à déconsidérer cette doctrine.

M. Devaux. - Je me propose de parler contre l’amendement ; mais après l’orateur qu’on vient d’entendre, si, quelqu’un veut soutenir l’amendement, il est naturel qu’on lui accorde la parole.

M. Dubus. - Messieurs, je considérais cette question comme épuisée ; il paraît qu’on veut y rentrer pour répéter seulement les arguments que vous avez entendus il y a très peu de temps, et sans y ajouter la moindre considération. Ces arguments sont présentés dans le même système : on dénature toujours ce que l’on veut réfuter. M. le ministre de la justice avait débuté par là dans le discours qu’il a prononcé à l’ouverture d’une séance précédente. Il m’a reproché d’avoir admis une exception à l’article 44 de la constitution à l’égard du secrétaire-général des affaires étrangères, et précisément je n’ai rien dit de cela. J’ai posé en principe qu’un ministre pouvait destituer un fonctionnaire dans l’ordre administratif lorsqu’il le reconnaissait peu capable, lorsqu’il ne méritait pas ou ne justifiait pas la confiance qu’on lui accordait.

Voilà ce que j’ai d’abord dit, et je n’ai point invoqué généralement l’article 44.

J’ai dit ensuite que si la thèse ministérielle était vraie, la chambre pouvait s’occuper des destitutions lorsqu’elles étaient nombreuses et qu’elles accusaient une tendance dans l’action du gouvernement. En second lieu, j’ai soutenu que la chambre ne pouvait se taire lorsque le ministre venait déclarer à la chambre : J’ai destitué tel fonctionnaire parce qu’il a fait une opposition permanente au gouvernement. J’ai montré que cette doctrine menaçait tous les fonctionnaires qui font partie de l’assemblée, que c’était attaquer la conscience du député. Ce que j’ai annoncé à cet égard est vrai, et chaque fonctionnaire qui siège parmi nous a pu se sentir blessé au cœur par la manifestation de la doctrine ministérielle. Voilà pourtant ce à quoi on n’a pas jugé à propos de répondre, et voilà ce à quoi l’honorable député, commissaire du district de Furnes, n’a pas répondu non plus.

J’ai rappelé les objections faites par M. le ministre de l'intérieur, qui avait allégué, pour justifier les destitutions, que le gouvernement doit s’entourer d’hommes qui partagent ses vues politiques. Je me suis demandé si un commissaire de district pouvait avoir des vues capables de soutenir le ministère dans son action. J’ai répondu que non, et vous répondrez tous de même. Le commissaire de district est chargé de l’exécution des lois, des arrêtés, et point de la marche du gouvernement dans ses relations extérieures ; ce serait une plaisanterie de soutenir le contraire.

On a prétendu que les commissaires de district doivent diriger l’esprit public ; c’est là le système du gouvernement déchu, système qui a été considéré comme étant aussi odieux que l’inquisition catholique sous Philippe II. Ce n’est pas ainsi qu’on fera aimer le gouvernement dans les provinces ; ce n’est pas en réveillant de pareils systèmes qu’on obtiendra l’affection des peuples.

J’ai examiné en général si l’on pouvait comparer un commissaire de district à un secrétaire-général des affaires étrangères ; mais je n’ai pas examiné si l’article 44 de la constitution était applicable à l’un ou à l’autre. Je prétends qu’il est applicable à tous deux. Vous ne pouvez pas dire que vous destituez un fonctionnaire pour des votes émis dans la chambre, parce que vous attaquez l’indépendance du député, parce que vous attaquez la dignité de la chambre.

Je soutiens que par vos doctrines vous êtes en contradiction avec l’article 44 de la constitution, car cet article est général dans ses dispositions. Eût-on quelque répugnance à entendre cet article dans le sens le plus absolu, encore faudrait-il l’entendre comme il est écrit, car rien n’est plus respectable et ne doit être plus respecté qu’un article de constitution ; tout système d’interprétation de la loi fondamentale doit être repoussé.

On a cherché à représenter la doctrine ministérielle comme moins mauvaise qu’elle n’est ; on a fait des distinctions dont les limites n’ont pas été posées, distinctions par lesquelles on pourrait destituer pour certains votes et point pour d’autres : de pareilles distinctions ne peuvent se soutenir. Le ministère a accordé qu’il fallait avoir de l’indulgence pour des votes isolés, des dissidences passagères, mais qu’il condamnait pour les votes sur les questions fondamentales ou pour les votes qui supposeraient une opposition permanente. Rappelons-nous encore que le ministre s’est comparé à un général qui a besoin, pour gagner la bataille, que ses soldats ne se tournent pas contre lui ; le député fonctionnaire qui vote contre le ministre est dans le cas du soldat qui tournerait ses armes contre le général ; voilà la doctrine ministérielle.

L’honorable député auquel je réponds vous a fait remarquer que l’amendement écartait toute question personnelle.

Cet amendement se renferme dans ce que la chambre se doit à elle-même ; à ce qu’elle doit à ses membres qui sont fonctionnaires ; à ce que les députés se doivent à eux-mêmes. La chambre a le droit de protester pour l’indépendance de ses membres ; elle a droit de protester que tous les députés doivent se conduire loyalement, selon l’impulsion de leur conscience, et non selon d’autres impulsions.

M. Devaux. - Messieurs, je m’estime heureux qu’il n’y ait pas de doute sur le sort de l’amendement proposé ; je m’estime heureux que les deux paragraphes de cet amendement aient une acception nette. Il est bien convenu, entre tous les orateurs qui ont été entendus, que le premier a pour but de blâmer l’acte de dissolution de la chambre, que le deuxième a pour but de blâmer les révocations dont il s’est agi dans cette discussion.

M. Dubus. - Non ; c’est pour blâmer la doctrine émise par le ministère sur la liberté des votes.

M. Devaux. - J’examinerai les deux points ; j’examinerai s’il convient de blâmer la dissolution de la chambre, et s’il convient de blâmer la révocation ou la doctrine sur la révocation des fonctionnaires députés.

Messieurs, j’ai le regret qu’un orateur, auteur de l’amendement, ait qualifié la dissolution de la chambre de coup d’Etat : je crois qu’à cet égard il ne peut y avoir qu’un avis dans la chambre ; que, quelque opinion qu’on ait sur la dissolution, on doit la considérer comme un acte légal, constitutionnel ; par conséquent, elle n’est pas un coup d’Etat. Il est dangereux de se servir de pareilles qualifications à pure perte ; il est dangereux de familiariser le public avec de semblables mots en les appliquant à des actes légaux.

La dissolution de la chambre, non seulement n’est pas un coup d’Etat, mais ce n’est pas même un acte d’une haute gravité : la dissolution de la chambre dans tout gouvernement représentatif est un acte qui a pour ainsi dire sa périodicité naturelle ; c’est un acte auquel on recourt dans les circonstances graves, et dans beaucoup de circonstances douteuses.

Dans une situation où le trône voit son ministère d’un côté appuyé unanimement dans une chambre, et où de l’autre il voit se produire des dissidences de 42 contre 44, il était naturel que la couronne, conseillée par ses ministres ou non conseillée, s’enquît de l’opinion du pays.

La dissolution est un droit de la prérogative royale auquel le gouvernement doit pouvoir recourir, non seulement dans les cas où elle est absolument nécessaire, non seulement dans les cas où elle serait approuvée par tous, mais encore dans les cas où il y a doute. Chaque fois que la couronne peut douter que l’une des chambres ne représente pas l’opinion des électeurs, il faut qu’elle ait le droit de s’assurer que ce doute n’est pas réel.

La dissolution de la chambre n’est pas une destitution injurieuse des membres de la chambre ; la dissolution c’est l’interrogation faite à l’opinion électorale, c’est un appel fait à une puissance qui est supérieure à la nôtre, à la puissance électorale. C’est cette puissance qui décide par ses choix.

Il n’y a d’injure pour aucun membre dans la dissolution. En effet, la dissolution nous envoie tous devant nos commettants ; ceux qui représentent l’opinion des électeurs sont renommés, ceux qui ne représentent pas cette opinion sont destitués par les électeurs.

Quant à moi, comme député, je me suis réjoui de la dissolution. A entendre certains membres qui toujours parlent au nom de la nation entière, à entendre certains journaux, l’opinion des membres avec lesquels je vote, ne représente pas l’opinion de la nation ; j’avoue que dans la dissolution je n’ai vu que l’occasion de recevoir un hommage qui me flatte extrêmement, en prouvant que je partageais l’opinion des électeurs.

Je n’ai pas besoin d’examiner si c’est l’opinion du ministère, c’est-à-dire, celle à laquelle j’appartiens, qui a triomphé dans les élections ; je n’ai pas besoin de savoir si les opinions que je défends sont plus fortes ou plus faibles qu’elles ne l’étaient dans la chambre ; mais il est un fait clair, c’est que 24 membres ont été remplacés, c’est que 24 membres nouveaux siègent dans cette chambre. Ce seul fait est la justification de la dissolution : oui, les électeurs ont déclaré qu’il fallait que 24 membres nouveaux vinssent les représenter, que 24 membres anciens s’éloignassent ; ainsi en a décidé la puissance qui est au-dessus de la nôtre.

Pouvons-nous blâmer la dissolution ? Blâmer la dissolution ; ce ne serait pas blâmer le pouvoir, ce serait blâmer les électeurs ; ce serait dire à la puissance électorale qu’elle a eu tort d’envoyer ici 24 nouveaux députés, que les 24 anciens députés ont été à tort écartés ; là serait l’injure, et là seulement il peut y avoir injure ; car ce serait dire à nos collègues qu’ils ne représentent pas l’opinion du pays.

J’ai énoncé que la dissolution était un droit auquel la couronne pouvait recourir non seulement dans les cas de nécessité, mais encore dans les cas de doute. Eh bien ! si une chambre, chose inouïe jusqu’ici, blâme la dissolution, qui empêchera une autre chambre de blâmer toute dissolution et de se perpétuer ? Le droit de blâme qu’on réclame, c’est le droit de prolonger son existence politique, et de paralyser dans les mains du pouvoir exécutif la prérogative qu’il tient de la constitution.

Mais, dit-on, la dissolution doit toujours être dirigée contre la majorité ; or, la majorité n’était pas hostile au gouvernement. C’est là une erreur. Ce n’est pas seulement contre la majorité que doivent être dirigées les dissolutions ; je vous citerai l’exemple de la chambre française qui a fait la révolution, et qui a été dissoute. Je pourrais vous citer des exemples pris en Angleterre. La constitution belge n’a pas écrit que c’était contre la majorité seulement que la dissolution devait être dirigée, elle a écrit que dans les cas graves il fallait dissoudre.

Lorsqu’il s’agit d’un changement à la constitution, n’avez-vous pas une disposition expresse qui dissout la chambre ? Est-ce une injure faite à la chambre ? Non ; c’est la nécessité de consulter la nation.

En plus d’une occasion, depuis deux ans, le pouvoir avait des motifs de dissoudre la chambre. En présence du traité des 24 articles, il était naturel que le pouvoir demandât au pays l’expression de ses vœux.

Que la dissolution ne nous alarme pas ; il n’y a pas là grand danger : un ministre qui a recours à la dissolution ne me paraît pas à craindre ; un ministre qui a recours à l’opinion générale mérite, au contraire, quelque confiance. S’il se trompe, il y a là quelque preuve qu’il se trompe de bonne foi. Il croit que la nation pense comme lui, et il est prêt, dans le cas contraire, à résigner son rôle.

Si j’étais membre de l’opposition, comme je l’étais autrefois dans d’autres circonstances, alors que le pouvoir était plus fort qu’aujourd’hui, je n’aurais pas de plus grand désir, je ne ferais pas de vœu plus ardent que de voir le ministère dissoudre la chambre. Si, comme certains membres de l’assemblée, je prétendais être le représentant de l’opinion générale, je défierais sans cesse le ministère de dissoudre la chambre.

Le ministre auquel on reproche une dissolution peut répondre : J’ai voulu connaître l’opinion du pays ; ceux qui s’opposent à ce qu’on la consulte sont ceux qui la renient.

Messieurs, encore un mot sur ce point et j’ai fini.

Je crois qu’il est imparlementaire que nous parlions de dissolution ; s’il était permis à un pouvoir législatif d’en parler, les convenances s’opposent à ce que la chambre des représentants en parle elle-même ; c’est tout au plus s’il conviendrait que l’autre chambre élective en parlât.

La dissolution est de l’histoire ; on ne peut pas appeler de la décision prise par les électeurs, on ne peut pas surtout les traduire devant vous. La dissolution est un fait consommé pour tous. Nous n’avons pas plus à blâmer qu’à louer. Il faut nous abstenir, et par là nous nous tiendrons dans un rôle ayant de la dignité. S’il est vrai que la chambre ne partage pas l’opinion du ministère, elle aura d’autres occasions de le manifester en refusant tout crédit à l’administration.

Je passe à la seconde question.

Je serai obligé d’invoquer l’indulgence de l’assemblée ; ma santé est altérée depuis longtemps.

J’ai entendu parler l’honorable M. Dumortier de désordres, de victimes, de système malheureux. Je me suis demandé à quoi se réduisait en réalité le nombre des victimes, et dans quel abîme elles avaient été plongées.

Je ne sais qu’une victime ; c’est M. E. Desmet, qui à lui seul fait le grand nombre de victimes ! Je ne vois pas cependant que sa position soit malheureuse, je pense au contraire que l’honorable membre, loin de se plaindre, doit s’applaudir d’avoir été frappé. Même je vous ferai observer qu’au moment où M. Desmet a été révoqué, il n’était plus député, il n’avait plus de mandat. (Bruit.)

Il me semble qu’il y a singulièrement d’incertitudes dans l’opinion de nos adversaires : tantôt ils allèguent l’article 44, pour prouver qu’un député est indestituable ; tantôt ils admettent des exceptions, tantôt ils retirent les exceptions ; maintenant je suis fort embarrassé de savoir si un secrétaire-général des affaires étrangères est révocable ou ne l’est pas.

Il paraît que d’après la doctrine d’aujourd’hui, qui n’était pas celle de la semaine passée, ils ne sont pas révocables. Alors je prendrai un autre fonctionnaire pour exemple.

Je suppose que vous avez parmi vous un général. La guerre approche ; le ministre discute un plan de campagne ; il l’arrête ; il en donne communication à ce général. Le général député trouve le plan détestable ; il monte à la tribune et dit : Le ministère a conçu un plan très mauvais, le voici... Et comme toutes nos portes sont ouvertes, il donne connaissance du plan, non seulement à vous, mais à l’ennemi. Faudra-t-il que le ministre laisse le général en place ? Faudra-t-il que le général qui a trahi soit nécessairement chargé de l’exécution du plan de campagne ?

Quand le plan aura été mal exécuté, le ministre sera attaqué, sa responsabilité sera compromise, et on fera une enquête.

Voulez-vous l’exemple d’un autre fonctionnaire ? Prenez un ministre plénipotentiaire, et supposez que cet agent diplomatique ait une opinion contraire à celle du ministre. Il reçoit les instructions du gouvernement ; que fait-il ? Tant qu’il est à Paris, il ne dit rien ; mais il prend la poste et vient un jour vous dire : Il faut renverser le ministère ; voici ma correspondance. Au risque de brouiller l’Etat avec la Prusse, l’Angleterre, il donne connaissance de tous les documents qu’on lui a transmis, de toutes les confidences qu’on lui a faites afin d’obtenir le rejet du ministère. En quittant la tribune, en sera-t-il quitte pour remonter dans sa chaise de poste et retourner à Paris ? Pourrez-vous le destituer ?

Mais, dira-t-on, il ne s’agit pas d’un général, ni d’un plénipotentiaire. On dira peut-être qu’il ne s’agit pas d’un secrétaire-général ; mais de qui s’agit-il donc ? Il s’agit d’un commissaire de district. Eh bien ! soit. Le commissaire de district ne doit pas diriger l’opinion, mais il doit l’éclairer. Si ce commissaire député, lorsqu’on demande des subsides et des hommes, dit que le ministère gaspille l’argent du pays et que des levées d’hommes sont inutiles, trouvera-t-il mauvais, quand il sera dans sa localité, que les habitants fassent de la résistance, qu’ils témoignent de la mauvaise volonté en répétant ce qu’a dit le commissaire ? Le commissaire du district pourra leur objecter que ce qu’il a dit était vrai comme député, mais n’est plus vrai comme commissaire, et qu’il faut actuellement des hommes et de l’argent.

Cependant, si une émeute a lieu dans ce district, où l’action du commissaire sera nécessairement bien faible, on accusera le ministère d’avoir favorisé l’émeute.

Si, à Anvers, il se fût trouvé un procureur du Roi, un gouverneur député qui déjà, dans nos discussions, eût dit : La presse orangiste est tellement licencieuse, que ce n’est que par des faits qu’on peut répondre aux faits ; est-ce que ces paroles n’auraient pas excité l’émeute au lieu de l’éteindre ; est-ce qu’il faudrait garder ce fonctionnaire ?

Vous vous rappelez qu’on avait offert des places amovibles dans les parquets à des députés de l’opposition ; ils les ont refusées, ou parce qu’elles étaient amovibles, ou parce qu’elles les éloignaient de la chambre. Ils ont, par leur conduite, prononcé sur la question qui nous occupe.

Il ne faut pas adopter le gouvernement représentatif à demi ; si nous l’adoptons pour les garanties qu’il nous donne, il faut l’adopter aussi pour la prérogative royale. Nous ne devons pas, nous qui sommes jeunes dans le gouvernement représentatif, repousser l’expérience des autres peuples vieux dans cette carrière. Nous ne devons pas repousser l’expérience de l’Angleterre, l’expérience de la France, et, ce qui doit être plus convaincant pour certains membres, l’expérience des Etats-Unis, où la doctrine est poussée bien plus loin qu’en France et en Angleterre. Aux Etats-Unis on a essayé de tout ce qui pouvait établir la liberté ; la prérogative de révoquer est incontestable. An renouvellement du cabinet du président Jackson, les destitutions ont pénétré dans presque tous les rangs.

C’est une chose importante dans les institutions que la moralité ; et celle qui est professée maintenant par les ministres est celle qui ne permet pas à un fonctionnaire d’être un homme à double face, qui ne permet pas à un homme d’avoir deux consciences. Non, personne n’exige que les fonctionnaires votent toujours avec le ministère, personne ne leur fait des menaces ; mais entre un vote qui n’a rien de l’opposition systématique, et un vote toujours hostile, un vote violent, un vote qui ne laisse pas de relâche aux ministres, certainement la différence est immense ; il y a un abîme entre ces deux hypothèses.

C’est l’opinion contraire à celle des ministres qui est injurieuse à la chambre. Cette injure, je la trouve dans le second paragraphe de l’amendement.

Ne semble-t-il pas, par cet amendement, que certains membres attendent leur indépendance de la couronne, et qu’elle ne vient pas d’eux ? On dit : Vous les menacez de destitution ; mais en est-il un seul ici dont la menace de destitution puisse faire changer d’opinion, même changer de nuance d’opinion ? Tous les fonctionnaires qui sont dans cette enceinte feront volontiers à leur opinion le sacrifice de leur place.

Le système opposé à celui des ministres est un système immoral : c’est un système de capitulation de conscience ; c’est un système qui permet deux opinions. Il faut mettre un terme à cet abus ; de tels abus, les historiens le disent, ont porté de mauvais fruits. On a vu sous l’empire des hommes honorables accepter des places qu’ils n’auraient pas dû remplir alors. Quand on pense qu’un gouvernement est antinational, on ne doit pas lui donner son appui.

Voilà comme je conçois la position des fonctionnaires et la doctrine qui les concerne.

Voyez dans quelle position singulière le système que je combats place les électeurs : un député de l’extrême opposition est commissaire de district, les électeurs veulent nommer un appui du gouvernement ; le commissaire s’écrie : Mais je suis l’homme du choix des ministres, nommez-moi. D’autres électeurs veulent nommer un adversaire du ministère, et le commissaire se retournant leur dit : Mais je fais de l’opposition, c’est moi qu’il faut nommer. Messieurs, c’est ce double rôle que je veux qu’on retranche ; voilà le système immoral, le système qui peut conduire les électeurs dans une voie ou ils se tromperont à chaque instant.

Messieurs, je regrette d’être un peu long.

- Plusieurs membres. - Parlez ! parlez !

M. Devaux. - L’opposition va loin, mais elle ne va pas assez loin encore ; si on ne peut pas déplacer un fonctionnaire à raison de ses opinions, il faut dire aussi qu’on ne peut pas faire acception les opinions dans les nominations ; l’opposition doit dire que les fonctionnaires doivent être pris et dans les rangs ministériels et dans les rangs de l’opposition. Ainsi un ministère serait condamné à avoir non seulement des secrétaires-généraux de l’opposition, mais il serait condamné également à avoir des gouverneurs, des généraux, des ministres plénipotentiaires de l’opposition, parce qu’il faut que l’opposition ait pied partout.

Si les fonctionnaires doivent être pris dans les deux rangs, je donne maintenant à l’opposition la faculté de venir au pouvoir ; qu’elle y trouve dans les fonctionnaires des hommes de mon opinion, et elle verra si sa position est belle. (On rit).

Dans le cas où des hommes de tous les rangs seraient dans les fonctions, qui est-ce qui empêcherait que l’on ne vînt lire ici la correspondance des ministres, comme on a lu une lettre adressée à un commissaire de district par le ministre de l’intérieur ? Voilà la position que vous voulez faire au pouvoir.

On ne censure pas, dit-on, l’acte de dissolution ; on censure les motifs allégués par les ministres : il résulte de là que si le ministre, au lieu de donner des motifs, s’était contenté de dire : Cela ne vous regarde pas, on ne l’aurait pas critiqué.

De quoi accuse-t-on le ministère, en réalité ? De trop de franchise. La leçon n’est pas morale ; mais elle apprendra ce que vaut la franchise devant une assemblée en Belgique (bruit). On demandait à un ministre anglais pourquoi il avait destitué tel fonctionnaire ; ce ministre, qui ne voulait pas répondre, se contenta de dire : J’ai destitué cette personne parce qu’elle porte une figure qui déplaît à S. M.

Que veulent MM. Fallon et Dubus par leur amendement ? Ils veulent que le ministère ne s’explique pas désormais.

Dans une circonstance qui n’est pas très éloignée, la chambre des représentants a déjà fait justice des doctrines de nos adversaires lors d’une discussion analogue à celle-ci, vous vous rappelez les débats relatifs au général Niellon, vous vous rappelez que la majorité a écarté les griefs que l’on faisait valoir. Il s’agissait, selon quelques membres, du salut d’une province, des intérêts les plus élevés ; vous savez ce que la chambre a décidé.

Je l’ai déjà dit, il ne peut y avoir, sans faire injure à nos collègues, aucun moyen d’influence sur eux par suite de la doctrine soutenue par les ministres ; les paroles des ministres ne changeront pas leur conduite.

Les électeurs, d’après cette doctrine, sauront d’ailleurs à quelles conditions ils élisent un fonctionnaire.

Dans les circonstances où nous sommes, alors que pour la première fois de pareils faits apparaissent sur notre horizon politique nouveau, je conçois qu’on puisse avoir des doutes, qu’on puisse n’être pas sûr de l’opinion du ministère, quoiqu’il ait en sa faveur des autorités imposantes, et que l’opinion de l’opposition ne soit partagée nulle part. Il ne s’agit pas pour la chambre d’adopter une doctrine, il ne s’agit pas de trancher une question, il s’agit d’attendre les lumières du temps.

Si le gouvernement suit une fausse route, on sera toujours à même de revenir sur ces théories. Il faut actuellement garder sur ces faits le même silence que le discours du trône a gardé, rester dans une neutralité prudente. Des esprits qui, comme moi, n’ont pas pu se former une opinion sur ces matières doivent ajourner leur décision.

- Plusieurs membres se lèvent et crient : A demain la suite de la discussion ! à demain ! Il est quatre heures !

M. de Mérode. - Si nous faisons nos séances si courtes, nous ne terminerons pas nos travaux.

- Un membre. - Vous trouvez la séance courte parce que vous ne faites que d’arriver.

M. Gendebien. - Un membre nous reproche de faire peu de chose, et il vient d’arriver à la séance. Celui qui vient de parler n’avait pas paru ici depuis six mois ; il a parlé pendant deux heures, on peut bien remettre à demain pour lui répondre.

M. le comte de Mérode. - J’ai toujours été exact dans mes fonctions ; mes collègues peuvent me rendre cette justice. Si j’ai été absent pendant huit jours, c’est par suite de circonstances que je ne pouvais prévoir.

M. Devaux. - L’honorable membre me reproche d’avoir été absent pendant six mois : c’est ma santé qui est cause de cette absence.

Mais comme je suis dévoué à mes opinions, je suis venu pour les soutenir : mes paroles me coûteront cher par la fatigue que j’ai éprouvée.

M. Gendebien. - C’est que l’honorable membre écrivait dans l’Indépendant pendant son absence.

M. Devaux. - C’est une calomnie

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier) - C’est une calomnie. (Bruit dans l’assemblée. La plupart des membres ont quitté leurs places.)

M. Gendebien. - Je demande la parole pour faire remarquer à l’assemblée que M. Devaux a dit que c’était une calomnie ; je serai modéré ici, mais je conserve tous mes droits pour le dehors. (Le bruit augmente.)

M. Devaux. - Quand une interpellation aussi imparlementaire a été faite, que j’ai écrit dans un journal pendant mon absence, j’ai répondu avec un mouvement d’indignation dont je n’ai pas été maître et dont j’accepte toutes les conséquences.

M. le président. - La séance est levée.

(Note du webmaster : c’est à la suite de cet incident, que Charles Rogier, voulant défendre l’honneur de Devaux, a provoqué en duel Alexandre Gendebien. Comme on peut le lire ailleurs sur ce site, Rogier y a reçu une balle dans la bouche et a manqué d'y laisser la vie.)