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Chambre des représentants de Belgique
Séance du mardi 5 mars 1833
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre
2) Proposition de loi relative à la nomenclature
des poids et des mesures (proposition Seron) (Seron, d’Huart)
3) Proposition de loi relative aux droits sur
les céréales (proposition Tiecken de Terhove) (Tiecken de
Terhove, d’Elhoungne, A.
Rodenbach, Tiecken de Terhove, Osy,
Duvivier, de Muelenaere)
4) Projet de loi relatif à l’impôt des
distilleries. Second vote des articles. Mesures pénales (Seron,
Jullien, Jullien, Duvivier, Jullien, Duvivier, d’Elhoungne, Duvivier, d’Elhoungne, Duvivier, Jullien, de Muelenaere, Fallon, Duvivier, Milcamps, d’Elhoungne, Jullien, Duvivier, de Muelenaere, Jullien, de Brouckere, Milcamps), mise en vigueur (de Theux,
Dumortier, de Theux, Mary, d’Elhoungne, Brabant, Duvivier, Zoude, Berger, A.
Rodenbach, Duvivier, de Theux,
Osy, Jullien, Milcamps,
Dumortier, Osy, A. Rodenbach, Duvivier, Jullien, Duvivier, Marcellis, Dumortier, d’Elhoungne, Duvivier, de Theux, A. Rodenbach)
(Moniteur belge n°66, du 7 mars 1833)
(Présidence de M. Raikem.)
M. de Renesse fait l’appel nominal à une heure.
M. Dellafaille donne lecture du procès-verbal ; la rédaction en est
adoptée.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
Les pièces adressées à la chambre sont renvoyées à la
commission des pétitions.
PROPOSITION DE LOI RELATIVE A LA NOMENCLATURE DES
POIDS ET DES MESURES
Les sections ont autorisé la lecture des propositions
de MM. Seron et Tiecken de Terhove.
M. Seron. - Voici ma proposition :
« A dater du 1er mai prochain, les poids et
mesures reprendront les noms qui leur ont été donnés par les lois françaises en
vigueur dans la Belgique, avant la promulgation de la loi du 21 août 1816.
« Les dispositions de cette dernière loi sont
abrogées en tout ce qu’elle renferme de contraire à la présente. »
M. le président.
- La chambre autorise-t-elle M. Seron à présenter le développement de sa
proposition ?
De toutes parts. - Oui ! oui
!
M. Seron. - Messieurs, dans les rapports faits à la convention
nationale sur le nouveau système des poids et mesures, on trouve, entre autres
observations, celles que voici :
« Les nouvelles mesures étant différentes de
toutes les mesures connues, leurs noms doivent être différents des noms
employés par les anciens et par les modernes. En effet, si l’on appliquait aux
nouvelles mesures des noms usités, il faudrait, pour éviter l’équivoque, y
ajouter une phrase explicative afin qu’on sût qu’ils appartiennent au nouveau
système, ce qui causerait des longueurs fastidieuses. De plus, pour soulager la
mémoire, le nombre des noms nouveaux doit être le plus petit possible. C’est à
quoi l’on parvient en ne donnant des noms indépendants qu’aux unités
principales, et en désignant les multiples et les sous-multiples par des noms
composés qui rappellent leur rapport décimal avec les unités. Enfin, en
introduisant dans les arts et les sciences des mesures nouvelles, il convient
aussi d’enrichir la langue de mots nouveaux et simples. »
Ces raisons déterminèrent la convention nationale à
réduire les noms d’unités à cinq. Elle donna donc le nom de mètre à la mesure
de longueur, le nom d’are à la mesure de superficie pour les terrains, le nom
de litre à la mesure de capacité, tant pour les liquides que pour les matières
sèches, le nom de stère à la mesure destinée particulièrement au bois de
chauffage, et, enfin, le nom de gramme à l’unité de poids. Quant aux multiples
et aux sous-multiples, ils furent désignés par des particules grecques et
latines ajoutées à ces noms d’unités. Dès lors, pour entendre et mettre en
pratique le nouveau système, il suffit de savoir ce que c’est qu’un mètre, un
are, un litre, un stère et un gramme, et de mettre dans sa mémoire que myria
signifie dix mille fois, milli la millième partie, etc., etc.
Telle était la nomenclature en usage ici quand les
auteurs d’un code civil baroque et d’un code pénal barbare jugèrent à propos,
de nous doter de la loi gothique du 2l août 1816. Alors, en haine des
institutions françaises et par une sotte prédilection pour les vieux usages, et
qui avait été rendu clair, on l’embrouilla, et ce qui avait été simplifié, on
le compliqua. Ainsi, et par exemple, pour les mesures de capacité, au lieu du
litre et de ses multiples et divisions, on eut le litron, le baril, la
mesurette, le verre, le dé, le boisseau, la rasière et le sac ; le bonnier
remplaça l’hectare, l’aune servit à mesurer les terrains et les étoffes, et le
pouce, mesure prise originairement de la largeur du pouce humain, fut
miraculeusement substitué au centimètre, qui n’a pas le tiers de cette largeur.
Ainsi, pour se servir du nouveau système, il fallut désormais entasser dans sa
tête une nomenclature compliquée, un grand nombre de mots, d’autant plus
difficiles à retenir et à comprendre qu’ils n’ont aucune analogie entre eux, et
que, le plus souvent, ils n’offrent à l’esprit rien qui donne l’idée de leur
valeur. Cette bizarre conception ne plut qu’à l’ignorance et aux petits
préjugés, qui, malgré les progrès de la chimie, ne conçoivent pas combien une
bonne nomenclature peut favoriser l’étude et la connaissance des sciences et
des faits.
Une loi non moins rétrograde changea notre système
monétaire. Bientôt parurent les pièces d’un, de 3, de 5, de 10 florins de
Hollande et les divisions du florin, monnaies dont le poids n’avait aucun
rapport avec le système décimal.
Vous avez, messieurs, abrogé ces dernières
dispositions et rétabli le franc. Vous avez fait plus ; dans votre loi de mai
1832, vous avez désigné le poids de vos nouvelles espèces par les multiples et
les sous-multiples du gramme, au lieu de vous servir de l’once, du gros et de
l’esterlin ; et pour indiquer la dimension de ces mêmes espèces, vous avez
substitué à la palme, au pouce, à la ligne, les sous-multiples du mètre. On
peut conclure de là, me semble-t-il, que vous regardez la nomenclature
française comme préférable à la nomenclature néerlandaise.
Quoi qu’il en soit, il faut en convenir, une première
atteinte est portée à la loi du 21 août 1816. Maintenant toutes les
dispositions n’en sont plus intactes et exécutoires. Un notaire qui dans ses
actes aurait parlé de mètres et de grammes ne serait plus répréhensible ; il
n’aurait fait que se servir d’expressions consacrées par le législateur
lui-même. Quel juge pourrait y voir une contravention ou un délit ?
Mais, en même temps, défense à
ce notaire d’employer, à peine d’amende, les mots are, litre, stère, ni leurs
multiples ; car aucune loi ne les a jusqu’ici réhabilités.
Cette bigarrure dans notre législation, non moins que
le désir de voir rétablir la nomenclature insérée dans la loi du 18 germinal an
III, m’a suggéré la proposition que j’ai l’honneur de vous soumettre. Elle ne
me semble pas devoir être la matière de longs débats, et c’est pourquoi je
crois inutile d’y donner d’autres développements. La voici : (Voir plus haut.)
- La chambre, à la presque unanimité, prend la
proposition en considération.
M. d’Huart.
- Cette proposition ne peut présenter aucune difficulté ; on peut la renvoyer à
une commission qui fera son travail promptement. (Appuyé ! appuyé !)
La commission est composée de MM. Brabant,
d’Elhoungne, de Theux, Fallon, Dumortier, et de l’auteur de la proposition.
PROPOSITION DE LOI RELATIVE AUX DROITS SUR LES
CEREALES
M. Tiecken de Terhove est appelé à la tribune. - J’ai l’honneur, dit
l’honorable membre, de soumettre la proposition de loi suivante :
« Considérant que la dépréciation des céréales va
toujours croissant, et qu’il est urgent de venir au secours de l’industrie
agricole, source de toute prospérité, nous avons décrété, etc.
« L’arrêté du gouvernement provisoire en date du
21 octobre 1830 est révoqué.
« A partir de la publication de la présente loi,
la libre exportation des céréales est permise, tant par mer que par terre.
« Toute disposition
contraire à la présente est révoquée. »
M. Tiecken de Terhove, autorisé à présenter les développements de sa
proposition, s’exprime en ces termes. - Messieurs, une pétition, datée du mois
de janvier, et signée par plusieurs propriétaires et cultivateurs, réclamant
l’abrogation de l’arrêté du gouvernement provisoire, qui défend l’exportation
des céréales, avait été renvoyée à M. le ministre de l'intérieur, avec demande
d’explications ; lors du rapport de cette pétition, la chambre montra le désir
qu’on fît droit à cette juste réclamation des pétitionnaires, j’avais donc
espéré que le gouvernement nous eût présenté une loi sur la législation du
commerce des grains ; mais plus d’un mois s’est écoulé depuis, et mon attente
est restée vaine : cependant cette branche d’industrie si importante, et qui
est la source principale de nos richesses, souffre de plus en plus ; la
dépréciation des grains, dont nos marchés sont encombrés, va tous les jours
croissant, et l’introduction d’une nouvelle loi sur les distilleries, qui doit
abaisser les droits, a exercé sans doute une influence fatale sur les prix des
céréales, par le ralentissement ou la cessation totale des travaux de plusieurs
de ces usines, et a causé encore une diminution considérable dans la
consommation intérieure. J’ai donc cru qu’il était temps enfin de venir au
secours de cette industrie souffrante, et qu’il fallait, pour l’écoulement de
ses produits surabondants, lui procurer des débouchés déjà trop longtemps
fermés. Tel est l’objet de la loi que j’ai l’honneur de vous proposer. Je ne
vous la présente, messieurs, que comme une loi transitoire, et propre à
satisfaire aux besoins du moment. La législation en vigueur en Angleterre, sur
cette branche importante, établit une échelle de proportion pour la perception des
droits d’entrée et de sortie, et un minimum et un maximum pour autoriser ou
défendre l’importation ou l’exportation. Je pense messieurs, que des mesures
pareilles, introduites dans ce pays, seraient le moyen le plus efficace de
protection à accorder à cette industrie, qui lui donnerait tous les
développements dont elle est susceptible, et assurerait toute sa prospérité.
Mais comme tel n’est pas l’objet de ma proposition, et que la loi que j’ai
l’honneur de vous proposer n’est qu’une loi transitoire et propre à satisfaire
aux besoins du moment, j’abandonne ces considérations à la méditation de nos
gouvernants, et je nourris l’espoir que le ministère nous présentera une loi
complète sur cette législation, qui satisfera à tous les besoins, à tous les
intérêts de cette branche d’industrie si féconde.
Je
ne doute pas, messieurs, que ma proposition ne soit accueillie favorablement
dans cette enceinte ; tous vous apprécierez la nécessité de cette mesure. Déjà
les produits d’une récolte ordinaire dépassent de beaucoup les besoins de la
consommation, et celle de 1832, qui s été si abondante, nous laissera un
superflu considérable, auquel il faut, au plus tôt, procurer des moyens
d’écoulement, si nous ne voulons porter un coup fatal et paralyser totalement
cette industrie. Elle mérite d’ailleurs, sous plus d’un rapport, toute votre
sollicitude et celle du gouvernement. Quand l’Etat est dans le besoin, c’est à
elle qu’il a recours. Une augmentation de 40 p. c. sur la contribution foncière
en a fourni tout récemment la preuve. Ne nous souviendrions-nous d’elle que
pour la pressurer, et quand il s’agit de venir à son secours par des mesures
protectrices, pourrions-nous l’oublier ? Non, messieurs, ce serait méconnaître
nos intérêts aussi bien que ceux de l’Etat, qui ne prospère que par la
prospérité générale, dont l’industrie agricole est une des sources principales.
J’espère donc, messieurs, que vous prendrez ma proposition en considération,
que vous la déclarerez urgente, et que vous fixerez la discussion à un terme très
rapproché.
M. d’Elhoungne. - Je pense que la chambre doit savoir gré à
l’honorable auteur de la proposition de sa sollicitude pour les intérêts du
pays ; mais il nous semble que nous devrions ajourner la prise en considération.
Si je suis bien informé, demain un projet sur la matière sera présenté au
sénat.
M. A. Rodenbach. - Je veux aussi demander un ajournement, d’autant
plus que la révocation de l’arrêté du régent ne résulterait pas le but de
l’honorable membre. La révocation ne pourrait pas augmenter l’exportation des
grains ; c’est une loi sur les céréales qu’il nous faut ; le ministère l’a
promise.
Les grains étrangers entrent dans le pays ; s’ils
continuent à entrer, à quoi servirait la révocation de l’arrêté ?
M. Tiecken de
Terhove. - Si le
ministère se propose de présenter une loi sur le commerce des grains, je
consens volontiers à ce que l’on ajourne la prise en considération de ma
proposition. Une loi complète satisfera bien mieux toutes les exigences.
Des voix. - Lundi nous déciderons sur la prise en
considération.
M. Osy. - Je
demande qu’on ne statue pas aujourd’hui, et qu’on attende la proposition du
gouvernement. Une loi générale sur le commerce des grains est extrêmement
importante.
M. le ministre des finances (M. Duvivier). - La matière ne m’appartient pas ; elle doit être
traitée à l’intérieur, et je sais qu’elle est l’objet de la sollicitude du
ministre de ce département. Aujourd’hui ou demain une loi sera présentée au
sénat. Je ne sais si la loi sera complète ; c’est une chose sur laquelle le
ministre aura à donner des renseignements. Si l’on prenait la proposition de M.
Tiecken en considération, elle croiserait la proposition du gouvernement.
M. de Muelenaere. - Je ne voulais prendre la parole que pour provoquer les explications
que M. te ministre vient de donner. Les réflexions de M. A. Rodenbach sont
parfaitement justes : les mesures proposées par M. Tiecken ne produiraient
aucun résultat.
- La chambre renvoie la prise en considération le
lundi.
Second vote des articles
L’ordre du jour est la suite de la discussion des
amendements sur le projet de loi relatif aux distilleries.
M. Seron demande la parole pour présenter une nouvelle
rédaction sur le paragraphe 11 de l’article 49, adopté dans la séance d’hier.
M. Jullien
combat la proposition, parce que la rédaction ne change rien au fond du paragraphe,
et parce qu’il ne faut pas revenir sur les décisions de la chambre.
- La chambre consultée déclare qu’il n’y a pas lieu à
délibérer.
Article 50
« Art. 50 (nouveau). - Les distillateurs sont
responsables des contraventions commises dans leurs usines. Les propriétaires
ou locataires le sont des contraventions découvertes dans les bâtiments qu’ils
occupent. »
M. Jullien.
- L’article 50 nouveau a été introduit dans la loi sur la proposition de M. le
ministre des finances ; cet article est passé est quelque sorte inaperçu, et
dans un moment où l’attention de la chambre était fatiguée. Cependant je pense
que si vous adoptez cet article dans son entier, vous consacrerez une grande injustice.
Je vais tâcher de le démontrer.
L’article détermine les cas de responsabilité civile.
Pour savoir si cette responsabilité s’appliquera avec justice, avec
discernement, il faut d’abord un peu examiner en quoi consistent, dans le
droit, les principes de la responsabilité civile.
Messieurs, dans le droit commun, et d’après les
dispositions portées au code civil, on est responsable du tort fait à autrui
par son propre fait ; on est encore responsable du tort fait à autrui par le
fait d’un autre, lorsque l’on a une surveillance directe sur cet autre : un
père est responsable du tort commis par ses enfants ; un maître est responsable
du tort commis par ses élèves ; un propriétaire est responsable du tort que
fait l’animal qui lui appartient, lorsqu’il le laisse divaguer. Voilà les
principes de la responsabilité civile ; vouloir les étendre plus loin, c’est
consacrer une injustice choquante, et c’est ce que l’on veut faire.
La première partie de l’article est juste, quoiqu’elle
puisse quelquefois s’appliquer rigoureusement ; car les contraventions peuvent
se faire en l’absence des distillateurs, par l’ignorance ou la malice de leurs
ouvriers ; mais il fallait bien que quelqu’un fût responsable. Sous ce rapport,
il n’y a rien à objecter.
Messieurs, sous le second rapport, l’article n’est pas
juste. Dans la seconde partie de l’article, la responsabilité s’applique à tout
le monde. Dans les procès relatifs à la fraude, on a pu reconnaître que la
méchanceté, la vengeance, avaient introduit dans les bâtiments des cultivateurs
des objets fraudés. L’honorable M. Helias d’Huddeghem a signalé des faits faux
dans un procès-verbal ; et j’ai été à même de voir, dans quelques procès, que
les employés eux-mêmes avaient jeté des objets fraudés dans les bâtiments.
Par cela seul que vous êtes
propriétaire ou locataire, vous ne pouvez être responsable. D’après la série de
pénalités établies par l’article 49, vous avez désigné les cas de fraude :
pourrez-vous imposer une amende à celui dans les bâtiments duquel on aura
introduit un baril de genièvre enlevé d’un entrepôt public ou particulier ?
Irez-vous accuser un individu tout à fait innocent du fait de fraude ? On est
responsable de son propre fait, de ceux de ses enfants, des hommes qu’on a sous
sa garde ; au-delà il n’y a qu’arbitraire, injustice.
Au reste, si les principes de
responsabilité doivent être posés quelque part, c’est dans la loi générale :
là, sans doute, on n’aura pas ménagé la responsabilité. Si les cas de
responsabilité prévus par la loi générale sont moins durs que ceux que l’on
propose, il faut les y laisser ; s’ils ne sont pas dans la loi générale, c’est
parce qu’on n’a pas pu les y introduire. Il faut donc supprimer la seconde
partie de l’article. Je demande la division.
M. le ministre des finances (M. Duvivier). - Il est cependant évident qu’il faut une
disposition pour le cas où, dans une maison qui avoisine une usine en activité,
ou pourrait trouver des matières en fermentation, des cuves ou autre chose qui
servît à faire fraude. Dans l’usine même, qui pourra-t-on rendre responsable
dans ce cas, si ce n’est le propriétaire ou le locataire de la maison ? Voilà
une question que je pose à l’honorable M. Jullien.
Il faut, selon nous, que l’administration puisse
constituer responsable de ces fraudes le propriétaire ou le locataire.
M. Jullien. - Dans le cas présenté par le ministre, je conçois
que le voisin puisse être responsable ; mais ce ne peut être qu’autant qu’il
aurait participé à la fraude. Il y a moyen de concilier ce que le trésor
demande avec le principe de l’équité ; ce serait de dire : « les
propriétaires ou locataires ne seront responsables des contraventions
découvertes dans les bâtiments qu’ils occupent, qu’autant qu’ils auront
favorisé la fraude. »
Si un malveillant a introduit dans ma maison des
objets de fraude, il faut prouver que j’ai favorisé cet acte pour me rendre
passible des peines portées par la loi.
M. le ministre des finances (M. Duvivier). - Il est constant qu’il faut absolument une
disposition qui atteigne les propriétaires ou les locataires des maisons où
l’on saisira des objets en contravention à la loi. Rien d’arbitraire ne pourra
résulter de cette disposition : d’après un arrêté que vous avez inséré dans
cette loi, ce sont les tribunaux qui interviennent dans toutes les
contraventions, et aucun arbitraire n’est à redouter des corps judiciaires.
L’article doit être maintenu tel qu’il est.
M. d’Elhoungne. - L’article est inutile. Pour le proposer, M. le
ministre s’est surtout appuyé sur la circonstance du bris des scellés qui
pourrait avoir lieu, non seulement par les enfants ou les domestiques du
distillateur, mais encore par des étrangers ; et comme le fait était commis
dans l’usine, le distillateur était responsable.
Ce cas et d’autres sont prévus
dans les articles 177 et 228 de la loi générale. La loi générale permet à celui
dans les bâtiments duquel ont été trouvés des objets en contravention de se
disculper. Dans l’article du ministre des finances, on ne parle de cette
exception, introduite par des motifs d’équité, et l’on étend singulièrement les
dispositions de la loi générale où il n’a pas été dérogé. Que l’on maintienne
les articles de la loi générale dans leur intégrité je le conçois ; mais
j’espère que ce que nous avons de plus sage à faire c’est de supprimer
l’article 50.
M. le ministre des finances (M. Duvivier). - Tout ce qu’a dit l’honorable préopinant se
rattache aux douanes, et ici nous traitons d’accises. Cela est si vrai que,
dans la précédente loi relative aux eaux-de-vie indigènes, une disposition
pareille à celle que je propose s’y trouve. L’article 50 est extrait de la loi
spéciale sur les distilleries ; d’après ces considérations je pense qu’il y a
lieu à maintenir l’article ; je le pense d’autant plus qu’il faut donner de la
force de répression à une loi généreuse, favorable aux distillateurs.
M. d’Elhoungne. - Je croyais avoir convaincu M. le ministre ; mais
puisqu’il insiste, je dois répondre.
Tout doit se faire par l’ordre du propriétaire ou à
son insu. On trouve, chez un particulier, un appareil de distillation ; on
trouve, chez un autre, des cuves à macération ; ce sont ceux qui occupent les
maisons qui sont responsable : on n’a pas besoin de dispositions spéciales pour
poursuivre les délinquants. L’article du ministre est inutile.
M. le ministre des finances (M.
Duvivier). - Je regrette
que l’honorable préopinant n’ait fait aucune objection contre l’amendement
quand je soumis à la section centrale. Nous avons la preuve qu’il y a des
cuves dans les maisons voisines des usines : que ferez-vous de ce genre de
contravention si vous ne le prévoyez pas dans la loi, puisqu’elle ne l’est pas
dans la loi générale ? La loi générale ne parle que d’un rayon de douanes
; hors de ce rayon, elle n’est plus applicable ; que ferez-vous donc à
l’intérieur ? M. Jullien a reconnu que le premier paragraphe pouvait être
conservé : il n y a pas danger à conserver le second.
M. Jullien.
- Il ne s’agit pas seulement des contraventions qui pourraient se commettre
dans le voisinage des usines ; il s’agit encore de toute espèce d’appareils
anciennement ou nouvellement préparés pour les distilleries et qui se
trouveraient déposés quelque part.
Dans la loi générale on admet une restriction ; il y
aurait en effet iniquité à condamner un propriétaire ou un locataire étranger
au fait de fraude. On ne peut créer une responsabilité, quand même les objets
auraient été introduits par un malveillant, par la malice d’un domestique ou
d’un employé ; est-ce que ce principe peut être admis ?
Le ministre dit
qu’il a trouvé la disposition qu’il défend dans la loi spéciale sur les
distilleries : si nous devons conserver tout ce qui est dans cette loi, cela ne
valait pas la peine de changer la législation. Nous changeons, parce que la loi
spéciale était révoltante. Pour nous engager à porter la loi en discussion, on
nous répète sans cesse : Il faut sortir de l’ancien système ; il est détestable
; il n’y a qu’un cri contre ce système : eh bien, maintenant, quand nous
voulons sortir de ce régime odieux, on nous y fait violemment rentrer, et par
des dispositions plus dures que celles qui sont dans l’ancienne loi.
Les cas de responsabilité sont dans le droit commun.
Je vote contre l’article.
M. de Muelenaere. - Dans la discussion générale sur le projet de loi qui nous occupe en
ce moment, nous paraissions d’accord qu’en faisant une loi libérale, nous
avions acquis de proscrire impitoyablement la fraude et de la rendre en quelque
sorte impraticable. Dans la discussion des articles, on me semble avoir oublié
cette idée, et l’on a fait successivement des amendements qui tendent à
affaiblir l’action de l’administration. M. Jullien convient que les
distillateurs doivent être responsables des contraventions commises dans leurs
usines soit par eux-mêmes, soit par leurs employés ou domestiques
; mais il ne veut pas rendre les propriétaires et les locataires passibles des
contraventions découvertes dans les bâtiments qu’ils occupent. Cependant,
messieurs, il est une foule de contraventions que vous ne pourrez pas
atteindre, que vous ne pourrez pas punir, si vous ne rendez pas les
propriétaires ou les locataires responsables. Des individus qui n’offrent
aucune garantie peuvent commettre des contraventions dans des maisons
appartenant à d’autres personnes, et si les propriétaires de ces maisons ne
sont pas responsables, on ne retirera rien. Il existera ainsi une foule de cas
dans lesquels la fraude se fera impunément. M. Jullien propose d’ajouter à la
fin de l’article : « qu’autant qu’ils auront aidé ou favorisé la fraude. »
Mais il suffira que les
propriétaires la tolèrent dans leurs maisons pour qu’elle puisse se faire
impunément. Toutefois, je conviens qu’il y aurait quelque chose de dur à les
rendre responsables quand la fraude aurait été commise à leur insu. C’est là
l’exception que vous devez établir et qui se trouve aussi dans la loi générale.
C’est en tant que les propriétaires ou les locataires ont ignoré la fraude,
qu’ils ne doivent pas être responsables. Pour concilier les besoins du trésor
et ce qu’exige la protection qu’on doit naturellement à un propriétaire et à un
locataire qui n’auront pas de connivence avec les fraudeurs, je propose
d’ajouter à la fin de l’article : « à moins que ces contraventions n’aient
été commises à leur insu. »
M. Fallon. - Je ne crois pas que ce sous-amendement puisse
parer à la fraude qu’on veut atteindre ; car il arrivera que le propriétaire
s’absentera pendant la fraude, pour être déchargé de la responsabilité.
M. le ministre des finances (M. Duvivier). - Cela prouve la nécessité de maintenir l’article
tel qu’il est.
M. Milcamps. - Il me semble qu’on pourrait se servir des termes
mêmes du code civil et dire :
« A moins qu’ils ne prouvent qu’ils n’ont pu
empêcher le fait qui donne lieu à la responsabilité. »
De cette manière vous rejetteriez l’obligation de la
preuve sur les propriétaires ou locataires.
M. d’Elhoungne. - Il me semble, messieurs, que tous ces amendements, au lieu d’atteindre
la fraude, tendraient à la favoriser. Cependant l’article me paraît toujours
inutile, parce que du moment où l’on trouve la fraude dans les bâtiments d’un
propriétaire ou d’un locataire, ils sont responsables comme auteurs de la
contravention d’après le droit commun. L’article, au lieu de raffermir cette
disposition, ne ferait que l’affaiblir. Vous voyez donc que cet article est
inutile.
M. Jullien. - Je ferai observer que le principe de la
responsabilité pour les distillateurs rentre dans le droit commun. En effet,
pourquoi sont-ils responsables des fraudes commises dans leurs usines ? Parce
que ces fraudes ne peuvent venir que d’eux-mêmes ou de leurs ouvriers, et,
d’après le droit commun, on est responsable des faits dont on est auteur par
soi-même ou par des personnes sur lesquelles on a une surveillance directe
; cela se trouve prévu dans le code
civil, et je ne vois pas la nécessité d’une nouvelle disposition.
Quant à la deuxième
disposition de l’article, relative aux propriétaires et locataires, je prierai
la chambre de faire attention qu’on peut apporter des objets de fraude dans des
bâtiments, sans que ceux qui les occupent y soient pour rien. On en a vu des
exemples. J’ai eu connaissance de procès où il a été prouvé que des employés
avaient introduit des objets de fraude dans des maisons, pour avoir occasion de
faire des procès-verbaux.
Je retirerai donc
mon amendement, parce que je ne vois pas la nécessité de laisser subsister
l’article.
M. le ministre des finances (M. Duvivier) et M. de Muelenaere déclarent se rallier à
l’amendement de M. Milcamps.
M. Jullien. - D’après sa proposition, M. Milcamps veut que les
propriétaires et les locataires fassent une preuve négative ; mais cela est
impossible. Comment en effet voulez-vous qu’ils prouvent qu’ils n’ont pu
empêcher un individu de déposer des objets de fraude dans leurs maisons ? Le
mieux serait de nous en tenir au droit commun.
M. de Brouckere. - L’honorable M. Jullien sait aussi bien que personne que les preuves
négatives sont admises en droit, et cela est si vrai que l’amendement est tiré
du code civil même, article 1384. Du reste, tout en faisant cette observation,
je repousse, comme M. Jullien, cet amendement, mais par des motifs tout
contraires ; c’est parce que je suis d’avis de conserver l’article tel qu’il
est rédigé. De cette manière on évitera beaucoup d’inconvénients.
M. Milcamps.
- Il me semble que l’article ne peut rester tel qu’il est, parce que le fait
seul constituerait la contravention, et jamais les tribunaux ne pourraient
admettre une preuve quelconque tendant à établir que les propriétaires ou les
locataires y sont étrangers. (Aux voix !
aux voix !)
- L’amendement de M. Milcamps est adopté en ces termes
:
« A moins qu’ils ne prouvent qu’ils n’ont pu
empêcher le fait qui donne lieu à la responsabilité. »
L’article 50 est adopté avec cette addition.
Article 51
« Art. 51. L’administration ne pourra transiger
sur les peines encourues pour contraventions à la présente loi. »
Adopté.
« Art. 52. La présente loi sera obligatoire au
1er juillet prochain.
M. de Theux propose un amendement tendant à fixer l’époque de
l’obligation de la loi au 15 avril prochain.
Plusieurs voix. - C’est un
amendement qui a déjà été rejeté.
M. le président.
- Je ferai remarquer que dans la séance de samedi, lorsqu’on a voté sur les
amendements relatifs à l’introduction de la loi, j’ai d’abord mis aux voix ceux
qui fixaient les époques les plus éloignées. Un de ces amendements qui fixait
l’époque au 1er juillet ayant été admis, on n’a pas eu à s’occuper de celui
portant l’époque du 15 avril, de sorte qu’il n’a pas été rejeté, car il n’a pas
été mis aux voix.
M. Dumortier. - Je demande la parole pour une motion d’ordre.
Messieurs, dans une précédente séance, vous avez adopté un amendement de M.
Zoude qui accorde une remise aux distillateurs et aux négociants qui auraient
des eaux-de-vie en magasin, et qui les mettraient en entrepôt avant
l’introduction de la loi. Comme cet amendement pourrait être rejeté, et que de
son adoption ou de son rejet doit dépendre la fixation de l’époque où la loi
sera obligatoire, je demande qu’il soit le premier mis en discussion, et qu’on
n’examine l’article 52 qu’après.
M. de Theux. - Les observations de M. Dumortier ont certainement
de la gravité ; car de la résolution que vous prendrez sur l’amendement de M.
Zoude peut dépendre celle que vous adopterez pour la mise à exécution de la
loi. Mais on peut dire par raison inverse qu’il faut discuter l’article relatif
à cette mise à exécution, d’abord, parce que de là peut dépendre le sort de la
proposition de M.
Zoude.
Du, reste, je ne m’oppose point à ce qu’on suive
l’ordre indiqué par l’honorable préopinant.
M. Mary. - Messieurs, c’est par un sentiment de stricte
justice que vous avez fixé l’introduction de la loi au 1er juillet ; vous avez
voulu, en laissant ce délai de quatre mois aux distillateurs et aux négociants,
leur donner le temps d’écouler les marchandises qu’ils auraient en magasin.
Mais il est évident que si vous leur accordez la facilite de mettre en entrepôt
ces marchandises et de les remettre ensuite en circulation, moyennant un droit
de 6 fr. par hectolitre, vous serez dégagés de toute obligation vis-à-vis d’eux
et que vous pourriez maintenant adopter une époque beaucoup plus rapprochée
pour l’introduction, si même elle ne peut avoir lieu immédiatement. J’approuve
donc la motion de M. Dumortier.
M. d’Elhoungne. - Il me semble que les deux dispositions ne peuvent être séparées, et
qu’il faut discuter ensemble la question de savoir si la facilité de l’entrepôt
sera accordée, et la partie du projet qui fixe l’introduction de la loi, sauf à
décider ensuite à quel droit les marchandises entreposées seront assujetties.
Toujours est-il que la commission, pour améliorer le projet de loi, quant à la
rédaction, avait en vue de faire du dernier paragraphe de l’article 53 un
article à part, et qui devait venir après celui relatif à la mise à exécution
de la loi.
M. Brabant. - Je proposerai de réunir le dernier paragraphe de
l’article 53 à l’article 52, et d’en faire le deuxième paragraphe de ce dernier
article qui serait ainsi conçu :
« La présente loi sera obligatoire à date du 1er
juillet prochain.
« Néanmoins les eaux-de-vie qui seront déposées
en entrepôt, etc. » (Appuyé.)
M. d’Elhoungne. - Je ferai remarquer que cette proposition de M. Brabant ne lève pas
la véritable difficulté. Je crois qu’on a toujours l’intention de voter sur le
paragraphe de M. Zoude, avant l’article relatif à l’introduction.
M. le ministre des finances (M. Duvivier). - Je partage l’opinion de M. Dumortier, et j’ai déjà
parlé dans ce sens à la commission ce matin, car je suis aussi d’avis que si le
paragraphe de M. Zoude était accueilli par la chambre, il y aurait lieu de
rapprocher l’époque de la mise à ecécution de la loi, comme il y aurait lieu à
laisser celle du 1er juillet, si ce paragraphe était rejeté.
C’est de là que dépendra mon
vote affirmatif ou improbatif sur l’ensemble de la loi, comme député. Si
l’amendement de M. Zoude passe et qu’on ne veuille pas rapprocher
l’introduction de la loi, je voterai contre. Je demande donc que la discussion
s’établisse d’abord, tout au moins sur le principe de cet amendement. (Oui ! oui ! Appuyé !)
L’amendement de M. Zoude, qui forme le dernier
paragraphe de l’article 53 obtient la priorité. Il est ainsi conçu :
« Les eaux-de-vie qui seront déposées en entrepôt
par les distillateurs et les marchands avant l’introduction de la présente lui,
pourront être livrées à la consommation au paiement du droit de 6 fr. par
hectolitre pour les eaux-de-vie marquant 50 degrés de l’alcoholomètre de
Gay-Lussac. »
M. Zoude
propose une nouvelle rédaction de son amendement ; elle est conçue en ces
termes :
« Les eaux-de-vie qui seront déposées en entrepôt
avant l’introduction de la présente loi, pourront être livrées à la
consommation après le 1er juillet, en payant le droit à raison de 9 fr. par
hectolitre pour les eaux-de-vie marquant 50 degrés à l’alcoholomètre de
Gay-Lussac. »
Le premier changement que je
propose est la suite de l’observation qui m’a été faite par l’honorable M.
Mary, que, d’après ma première rédaction, les eaux-de-vie pourraient être
entreposées dès aujourd’hui et livrées de suite à la consommation. Voilà
pourquoi j’ai cru devoir ajouter dans mon amendement que les eaux-de-vie
entreposées ne pourraient être mises en consommation qu’après le 1er juillet.
Quant à l’augmentation du droit jusqu’à concurrence de
9 francs, je dirai à la chambre que j’ai eu des entretiens avec des
distillateurs de Bruxelles et des environs, qui m’ont donné la conviction que
le droit s’élèverait au moins à 9 francs, et c’est avec leur assentiment que je
propose cette majoration.
- La rédaction de M. Zoude est appuyée.
M. Berger
propose un amendement tendant à porter le droit à 7 francs, et il le développe
en ces termes. - Messieurs, cette disposition a été adoptée à la fin de la
séance de samedi passé, un peu à la hâte et sans discussion, Il ne sera donc
pas mauvais de nous rendre compte de ce que nous avons fait et voulu faire. La
faculté d’entreposer étant générale, certes en droit la disposition s’applique
à tous les distillateurs ; mais, dans le fait, tous les distillateurs
seront-ils en mesure d’en profiter ? Non, messieurs : cette disposition
deviendra illusoire dans la pratique, d’abord à tous les petits distillateurs
par les raisons que leurs distilleries sont en général trop éloignées des
entrepôts publics, et que l’entrepôt des petites quantités d’eau-de-vie
entraînera pour le cultivateur bien trop d’embarras et de formalités. Il y a d’ailleurs
des provinces entières où il n’existe pas un seul entrepôt. Cette disposition
ne sera donc réellement profitable qu’à celles des grandes usines qui sont
assez à proximité des entrepôts publics pour pouvoir en profiter avec facilité.
C’est donc, en fait, une espèce de privilège que cette disposition crée en
faveur d’une certaine classe de distilleries. Cependant, messieurs, ce n’est
pas là une raison pour moi de refuser mon assentiment à la disposition. Je
préfère voir continuer leur travail à une partie de nos distilleries que de les
voir chômer toutes. Or je suis convaincu que, sans une disposition analogue à
celle en discussion, le travail s’arrêterait tout court. Mais, messieurs, ce
qui doit particulièrement attirer notre attention, c’est le taux de 6 fr. fixé
par cette disposition pour paiement du droit à la sortie de l’entrepôt. Si je
ne me trompe, une disposition transitoire, de cette nature, doit établir un
taux moyen entre le taux élevé de la loi actuelle et le bas taux de la loi
nouvelle. Or, ne pouvant connaître d’une manière précise le taux de la loi
nouvelle, nous devons nécessairement nous trouver embarrassés pour établir le
taux moyen. Dans cette position, nous devons nous déclarer pour le parti qui
présente le moins d’inconvénients. Or ce parti, c’est de nous arrêter plutôt à
une somme un peu élevée que de descendre trop bas. En effet, supposons la somme
de 6 fr. égale au droit de la loi nouvelle ; vous allez décréter de cette
manière l’exécution pure et simple de la loi en faveur d’une certaine classe de
distillateurs, tandis que pour le grand nombre elle ne sera exécutoire qu’au
1er juillet prochain. S’il arrivait que la somme de 6 fr. fût au-dessous du
taux de la loi nouvelle, ce ne serait pas seulement un privilège pour quelques
distillateurs, mais leur position serait plus favorable que celle de tous les
distillateurs, après la mise à exécution de la loi nouvelle. Si au contraire
vous adoptez un droit plus élevé, vous ne courrez pas ces chances ; les usines
en mesure de profiter de la disposition de la loi ne travailleront pas moins,
car ce ne sera pas 1 ou 2 centimes par litre qui arrêtera leur travail ; et le
trésor y gagnera en proportion. Je vous proposerais donc de porter au moins à 7
fr. le droit à payer à la sortie de l’entrepôt ; car, messieurs, quoi qu’on
fasse et quoi qu’on dise, la grande partie de nos distillateurs ne seront pas
quittes à moins d’un travail de deux jours pour la fermentation et la
distillation des matières, et de cette manière le droit à payer leur reviendra
au moins s à 6 fr. pour 100 litres d’alcool.
M. le président. - L’amendement de M. Berger est-il appuyé ?
M. Berger.
- Je le retire, et je me rallie à celui de M. Zoude.
M. A. Rodenbach. - J’appuie la nouvelle rédaction proposée par notre honorable collègue
M. Zoude, parce que le droit, étant élevé à 9 fr. par hectolitre, rapportera
beaucoup au trésor ; mais alors il faut, dans l’intérêt des distillateurs,
rapprocher l’époque de l’exécution de la loi.
M. le ministre des finances (M.
Duvivier). - Je crois,
messieurs, qu’il y a une première question à attaquer d’abord. Il est un point
fort essentiel, sur lequel il convient d’être fixé ; c’est le point de savoir
ce qu’on entend par entrepôt ; car, dans le moment où nous sommes, nous n’avons
que deux entrepôts, celui d’Anvers et celui d’Ostende. Or, si l’on entend que
les eaux-de-vie ne seront déposées que dans ces deux entrepôts, on conçoit
combien la disposition serait désavantageuse pour ceux qui seraient à une
grande distance d’Anvers ou d’Ostende. Il faut donc, avant tout, pour connaître
la portée de l’amendement, savoir ce que l’on entend par le mot entrepôt. Quant
à moi, je répète que, sous l’empire de la législation existante, je ne connais
que ceux des deux villes que je viens de citer.
M. de Theux. - C’est avec plaisir que j’ai vu M. Zoude proposer
d’élever le droit à 9 fr. Cela est conforme aux calculs présentés par les
distillateurs eux-mêmes. C’est une disposition d’autant plus nécessaire, que si
on laissait ce droit à 6 fr., il en résulterait des bénéfices considérables
pour ceux qui auraient aujourd’hui de grandes quantités d’eaux-de-vie.
Je vois également avec plaisir qu’il se manifeste,
dans la chambre, une opinion favorable à une prompte mise à exécution de la
loi.
M. Osy. - Je ne
m’oppose pas à ce que l’on porte le droit à 9 fr. pour les eaux-de-vie déposées
à l’entrepôt avant l’introduction de la loi, et qu’on voudrait livrer ensuite à
la circulation ; mais il faut également revenir sur l’article 29, et hausser le
droit d’exportation ; car, sans cela, je crains qu’on ne puisse exporter les
genièvres.
M. Jullien.
- Messieurs, avant de vous occuper de la fixation du droit à payer par les
marchandises qui seront entreposées, il me semble logique, comme nous l’a dit
M. le ministre des finances, de discuter d’abord le point de savoir si l’on
pourra mettre ces marchandises en entrepôt ; car, si cela ne se pouvait point,
la fixation du droit serait inutile. Nous arriverons ensuite à l’examen de la
question relative à l’époque de l’introduction de la loi, car cette question
dépendra uniquement de la résolution prise sur la possibilité ou
l’impossibilité des entrepôts.
Quant aux eaux-de-vie prises en charge, et qui
continueront à être fabriquées, il me semble que, dans la dernière séance, tout
le monde était d’accord. Un membre avait proposé de restituer les anciens
droits : on a démontré que cela était impossible, et j’ai été l’un de ceux qui
ont porté la parole pour engager la chambre à ne pas le faire ; j’ai dit que ce
serait un véritable cadeau qu’on accorderait à un grand nombre de personnes,
puisqu’on leur restituerait un droit qu’elles n’auraient pas payé, vu la fraude
qui se faisait sur plusieurs points du territoire ; j’ai dit encore qu’on ne
pouvait pas soutenir que ce serait enlever un droit acquis à ceux qui se
seraient acquittés vis-à-vis de l’administration. On a reconnu que ce serait
agir avec justice, que d’adopter la mesure pour les eaux-de-vie actuellement
prises en charge, et dont les droits n’ont pas été acquittés, et on a décidé
qu’il serait permis aux détenteurs de ces marchandises de les entreposer et de
les mettre en circulation s’ils le voulaient, moyennant un droit de 6 fr. par
hectolitre.
Maintenant, dit M. le ministre des finances, comment
voulez-vous exécuter cette décision ? Il n’y a d’entrepôts qu’à Ostende et à
Anvers, et, si vous la maintenez, il faudra donc porter les eaux-de-vie qu’on
voudra entreposer d’un bout du pays à l’autre. Je crois, en effet, messieurs,
que cela offrirait de très grandes difficultés. Mais avons-nous donc tant
besoin de nous en tenir aux entrepôts ?
Il me semble qu’on peut
laisser sous crédit permanent les eaux-de-vie actuellement prises en chargé et
celles qui seront fabriquées jusqu’à la promulgation de la loi. Si M. le
ministre des finances ne peut pas nous signaler d’inconvénient dans cette
mesure, je l’adopterai, car elle équivaut à l’entrepôt et n’en offre pas les
difficultés. De cette manière, on continuera à prendre en charge tous les
produits nouveaux jusqu’à la publication de la loi. Les eaux-de-vie qui, dans
l’intervalle, seront livrées à la consommation paieront le droit actuellement
fixé ; mais, si les termes de crédit atteignent la loi nouvelle, les détenteurs
ne seront astreints qu’au droit de cette loi nouvelle.
Quand vous aurez adopté l’un ou l’autre de ces moyens,
messieurs, je crois que la fixation de l’époque où la loi sera mise à exécution
ne souffrira plus de difficulté et qu’il faudra rapprocher cette époque. Faites
attention que toutes les fois qu’il s’agit de transition d’un système de
finances à un autre, il y a toujours crise. Or, il faut rendre cette crise la
moins longue possible ; car, plus elle sera courte et moins le commerce pâtira.
Depuis qu’on parle de votre loi, le commerce des eaux-de-vie a été entièrement
paralysé, et si quelques industriels continuent à distiller, ce sont ceux qui
sont dans la nécessité de le faire pour nourrir leurs bestiaux. Si l’on adopte
le système des crédits permanents que je propose, j’insisterai pour fixer
l’introduction de la loi au 15 avril. Mais, je le déclare, si la chambre rejetait
l’entrepôt possible et les crédits permanents, je demanderais qu’on reculât
cette introduction jusqu’au 1err octobre, pour ne pas ruiner les détenteurs de
grandes quantités d’eaux-de-vie.
M. Milcamps. - Messieurs, après
les observations judicieuses du dernier orateur entendu, il me reste peu de
choses à dire ; je ferai cependant l’observation que l’amendement de M. Zoude
porterait un préjudice réel aux distillateurs qui ont dans leurs magasins des
eaux-de-vie qui ont acquitté les droits sur le pied des lois actuelles ; car
pour eux l’entrepôt est sans objet. Ce n’est qu’en fixant à une époque reculée,
au 1er juillet, ainsi que l’a proposé la commission, qu’on se montrera
favorable à ces distillateurs. Ils auront par-là quelque temps pour
l’écoulement de leurs marchandises.
Ici je dois relever une contradiction. D’un côté on
dit qu’on ne peut accorder des restitutions de droit pour les eaux-de-vie
actuellement en magasin, attendu que l’on s’exposerait à faire des restitutions
pour des eaux-de-vie fabriquées en fraude ; et de l’autre, on dit qu’il n’y a
plus de ces liquides dans les magasins. Mass, à cet égard, je puis attester que
dans mon district, il existe encore de fortes quantités d’eaux-de-vie, et chez
des distillateurs agricoles, qu’on n’a jamais soupçonnés de se livrer à la
fraude. Ainsi, messieurs, tout concourt à maintenir la date du 1er juillet pour
la mise à exécution de la loi. Rapprocher cette époque, c’est, je le répète,
porter un préjudice notable aux distillateurs qui ont acquitté les droits des
eaux-de-vie qu’ils ont en magasin.
M. Dumortier.
- Messieurs, je ne partage pas l’opinion de M. Jullien, et je pense que le
système qu’il nous présente est en opposition directe avec les principes qu’il
a émis. Il a dit que la proposition que j’ai faite dans une séance précédente,
tendait à accorder un cadeau aux distillateurs qui n’auraient pas payé le
droit. Mais c’est lui maintenant qui propose de faire aux détenteurs
d’eaux-de-vie le plus beau cadeau.
En effet, d’après la loi actuellement en vigueur, le
droit est de 34 francs par hectolitre, J’ai proposé de faire une remise de10
fr. sur les genièvres effectifs, pourvu que la quantité n’en dépassât pas celle
prise en charge depuis le 1er janvier, de sorte qu’il restait encore 24 francs
au trésor.
M. Jullien, de son côté, propose de réduire à 9 francs
l’hectolitre sur le total des eaux-de-vie prises en charge. Vous voyez donc
qu’il est beaucoup plus libéral que moi.
Quant à l’amendement de M. Zoude, il ne me satisfait
pas entièrement, surtout d’après ce que nous a dit M. le ministre des finances,
relativement aux entrepôts ; mais il y a un terme moyen qu’on pourrait adopter
sans inconvénient, ce serait d’insérer dans cet amendement que les détenteurs
des eaux-de-vie prises en charge pourront les déposer dans les entrepôts du
royaume. Il n’y a pas de province où il n’y ait des entrepôts, et cela
donnerait une grande facilité à l’exécution de la loi.
M. Osy. - D’après le taux fixé en dernier lieu par M. Zoude,
il a proposé de hausser le droit d’exportation. Je ne pense pas qu’il faille
adopter cette proposition, car je suis convaincu que l’impôt ne rapportera pas
un produit égal au chiffre indiqué par M. Zoude, et si vous éleviez le taux du
droit d’exportation, ce serait une véritable prime d’exportation que vous
accorderiez.
Pour ce qui regarde la mise à exécution de la loi, si
vous accordez une décharge aux détenteurs d’eaux-de-vie, vous ne pouvez pas
admettre une époque trop rapprochée, et je proposerai de la fixer au 1er avril.
Je me bornerai pour le moment à demander que les mots : « en
entrepôt, » qui se trouvent dans l’amendement de M. Zoude, soient
remplacés par ceux-ci : « dans les entrepôts du royaume. »
M. A. Rodenbach. - Si l’on admet l’amendement, il faut exécuter
promptement la loi. Si l’on ajourne l’exécution de la loi, le gouvernement
perdra une partie de ses revenus. Il faut décréter la loi exécutoire de suite,
ou la proposition est inadmissible ; on ne pourrait pas même attendre au 15
avril.
L’honorable député d’Anvers fait une objection contre
le chiffre de 4 fr. relatif à l’exportation des eaux-de-vie ; il la fonde sur
ce que l’on a assuré que le droit serait de 9 fr. ; je lui ferai observer que
ceux qui feront vite des marchandises médiocres, pourront ne payer que 4 fr. de
droits, tandis que ceux qui feront de bonnes marchandises seront obligés
d’aller plus lentement, et paieront 9 fr.
M. le ministre des finances (M.
Duvivier). - Je veux
appeler votre attention sur une difficulté qu’il faut lever avant tout.
L’honorable M. Dumortier prétend qu’on peut mettre promptement à exécution la
loi si les eaux-de-vie sont mises dans les entrepôts. Je ferai observer à la
chambre que vous consignerez, si vous voulez, cette disposition dans votre loi,
mais qu’elle ne pourra agir avant l’époque de la mise à exécution. Cette
difficulté n’est pas résolue, et il faut la résoudre d’abord.
Si vous mettez dans votre loi des dispositions qui
doivent agir avant l’exécution de la loi elle-même, comment les mettrez-vous en
action ? On ne peut pas scinder une loi dans son exécution. C’est la première
fois que semblable difficulté se présente ; résolvez-la. Je la signale à la
chambre ; elle mérite d’être examinée avec gravité par l’assemblée.
M. Jullien.
- L’observation que fait M. le ministre des finances est très sérieuse, et elle
ne pourrait être levée que par une loi transitoire ; or, nous sommes familiers
avec les lois transitoires ; nous pouvons donc porter remède au mal.
Je reviens cependant sur la proposition de prendre les
marchandises en crédit permanent. Je n’ai proposé les crédits permanents qu’à
défaut des entrepôts. Si nous avions des entrepôts suffisants, je préférerais
le moyen qu’ils offrent ; mais, si ce moyen n’est pas praticable, je demande
pourquoi on n’admettrait pas le crédit permanent ? Les eaux-de-vie prises en
charge ne sont prises que sous le crédit permanent ; ainsi ce n’est pas une
nouvelle disposition que l’on introduira. Si ce système peut être adopté, il
faut s’y attacher, puisqu’il n’est que la continuation de ce qui se pratique
déjà.
Quant au droit, il peut être
de 8 francs. Ceux qui peuvent hâter la macération distilleront en moins de
temps et paieront moins ; mais ils auront moins de produits et en moins bonne
qualité. Il faut 36 heures pour tirer l’alcool des matières en fermentation, et
alors le droit s’élève à 8 ou 9 fr.
Relativement à la restitution du droit d’exportation
fixé à 4 fr., à cause de l’incertitude qui existe dans le produit de l’impôt,
cette restitution ne fera pas tort d’ailleurs à l’exportation, puisque vous
pourrez fabriquer à plus bas prix que l’étranger, et soutenir la concurrence.
M. le ministre des finances (M.
Duvivier). - Les lois qui
régissent actuellement les distilleries sont un décret du congrès en date du 4
mars 1831 et une loi de juillet 1832. L’honorable préopinant croit que le
crédit permanent existe encore ; il est dans l’erreur. Le crédit qui existait
sous la précédente législation était facultatif ; on pouvait mettre en crédit
permanent ou en crédit à terme les comptes que l’on avait à régler avec
l’administration. Depuis le décret du congrès, il n’a plus subsisté que le
crédit à terme.
Quant à ce qu’a dit le préopinant de remettre le
crédit permanent en vigueur pour passer d’une loi à l’autre, je crois qu’il
entraînerait trop d’inconvénients en ce qu’il faudrait aller partout à la
recherche des genièvres qui sont encore en crédit à terme pour les remettre en
crédit permanent, afin de les soumettre aux droits quand ils seraient vendus
pour la consommation. La loi de juillet portait que par dérogation à la loi du
régent, et en attendant qu’une nouvelle loi ait été rendue, les eaux-de-vie
indigènes prises en crédit à termes non échus seraient admises dans les
entrepôts d’exportation à Anvers et à Ostende, à la décharge.
M. Marcellis.
- Il y a une objection à faire aux raisonnements présentés par MM. Rodenbach et
Dumortier. Ils l’auront sans doute perdue de vue. C’est que si l’on met
immédiatement en vigueur la loi sur les distilleries, ceux qui ont acquitté les
droits sont et demeurent lésés. Leur perte est assez grave pour que la chambre
y réfléchisse, puisque les droits qu’ils ont acquittés s’élèvent à 23 fr., et
que, même en adoptant le deuxième amendement de M. Zoude, les nouveaux droits
ne s’élèveraient qu’à 9 francs ; différence, 14 francs.
Ce qu’il y a de mieux à faire,
c’est de nous rallier à l’amendement de M. Zoude. Quelques personnes éclairées,
entre autres M. Mary, ont craint que cet amendement ne fît une sorte de double
emploi avec le délai du 1er juillet accordé par l’article 51. Mais, en y
réfléchissant, on verra qu’il y a moyen de faire concorder ces amendements qui
se rapportent à des temps différents. En effet, cet amendement, depuis la mise
en vigueur de la loi jusqu’au 1er juillet, détenteurs et fabricants paieront
l’ancien droit, Je dis fabricants, car ceux qui ont des bestiaux seront obligés
de continuer leurs opérations de distillerie. Maintenant, depuis le 1er
juillet, détenteurs et fabricants d’eau-de-vie paieront 9 florins.
Je vote donc pour l’amendement de M. Zoude ; mais
j’ajoute que je voterai aussi pour le délai du 1er juillet quand il s’en agira.
Ma raison est que je ne vois que ce moyen d’être juste à l’égard de ceux qui
ont acquitté les droits, lorsqu’on croit la restitution du surplus
impraticable.
M. Dumortier. - Les craintes que l’on a conçues relativement à
ceux qui ont payé les droits, ne sont pas fondées : ils ne seront pas lésés ;
ils ont vendu leurs genièvres. L’armée française en Belgique a augmenté la
consommation des liquides. Il n’y avait plus de genièvres au 1er janvier
dernier.
Quant aux objections qui ont été présentées par le
ministre, elles sont plus graves. Puisqu’on craint que les distillateurs ne
puissent mettre leurs marchandises en entrepôt avant l’exécution de la loi, on
pourrait, pour lever la difficulté, stipuler que : « à dater de la
promulgation de la présente loi, les distillateurs pourront déposer, dans les
entrepôts du royaume, les eaux-de-vie chez eux prises en charge. » Je
pense que le temps qui s’écoulera entre la promulgation de la loi et sa mise à
exécution sera plus que suffisant pour que le dépôt puisse s’effectuer. La loi
sera promulguée avant le 15 de ce mois ; ils auront au moins 15 jours pour
mettre leurs eaux-de-vie en entrepôt, si l’on prend avril pour terme de la mise
à exécution.
M. d’Elhoungne. - Il me semble que, dans cette discussion, on a perdu de vue le
véritable objet. Samedi dernier, l’assemblée paraissait convaincue de la
justice de soustraire les détenteurs des eaux-de-vie à l’inconvénient d’avoir à
payer les droits pour les liquides qui ne seront livrés à la consommation que
sous la loi nouvelle. La chambre ne peut changer d’opinion à cet égard. Après
avoir adopté la proposition de M. Zoude qui avait pour but de consacrer cet
acte de justice, on a encore fixé le terme de l’exécution de la loi et il a été
maintenu au 1er juillet. Il me semble que cet amendement atteignait l’objet
qu’on pouvait se proposer.
Messieurs, en donnant aujourd’hui la faculté
d’entreposer les eaux-de-vie fabriquées, il n’y aura plus rien à craindre pour
les petites usines ; elles pourront prolonger leurs travaux jusqu’en avril.
Il faut faire un acte de justice et un acte dans
l’intérêt public, soit que l’on considère les distilleries sous leur rapport
industriel, soit qu’on les considère sous le rapport agricole. En maintenant
l’exécution au 1er juillet, on favorisera plusieurs détenteurs d’eaux-de-vie.
Il en est qui ont payé les droits ; ils ne peuvent mettre leurs spiritueux au
dépôt. Si vous ne leur accordez pas un espace de temps suffisant pour qu’ils
puissent vendre, vous leur faites subir toute la perte qui résulte pour eux de
la différence entre la taxe du droit ancien au nouveau.
Je pense, cependant, qu’on peut rapprocher l’époque de
l’exécution de la loi ; mais je ne pense pas qu’on puisse la rapprocher autant
qu’on le soutient. En fixant le premier pour ce terme, je crois qu’il en
résultera une diminution assez grande sur le marché, et que la consommation
pourra absorber les eaux-de-vie.
Mais,
objecte M. le ministre des finances, il n’y a que deux entrepôts où l’on puisse
déposer les eaux-de-vie. Messieurs, le gouvernement peut établir des entrepôts
partout où le besoin l’exige. La législation contient cette disposition
formelle que le gouvernement établira des entrepôts dans toutes les villes et
tous les endroits où les besoins du commerce l’exigeront. Par le
sous-amendement de M. Dumortier la difficulté, si elle existait, viendrait
encore à disparaître. L’auteur de la proposition vous a proposé une nouvelle
rédaction, d’après laquelle on mettrait les eaux-de-vie dans les entrepôts. Dès
lors, vous n’auriez plus à craindre que l’on opposât aux détenteurs des
eaux-de-vie la loi portée sur l’amendement de M. Serruys pour l’exportation.
Le droit de 9 fr. est exagéré ; tout au plus il ira à
7 et demi ; il ne passera pas 8. C’est à 8 fr. que je proposerai de fixer le
taux pour les eaux-de-vie qui seront mises en entrepôt.
M. le ministre des finances (M. Duvivier). - Messieurs, je pose toujours comme un fait certain
que si vous adoptez le régime des entrepôts pour les eaux-de-vie qui sont
encore en termes de crédit, vous aurez atteint le but qu’on se propose ; mais
alors, je le répète, en admettant le régime des entrepôts, il faut aussi
admettre immédiatement la mise à exécution de la loi. Je crois que, dans
l’intérêt de tous, c’est le meilleur parti à prendre ; il ne s’agirait plus que
de déterminer ce qu’on entend par entrepôts, et de les mettre à la disposition
du commerce, avant que votre loi soit exécutoire.
M. de Theux. - Je déclare me rallier à l’amendement de mon
honorable collègue M. d’Elhoungne, qui propose de fixer l’introduction de la
loi au 1er mai ; mais j’insiste pour que celui de M. Zoude, qui porte le droit
à 9 francs, soit maintenus. A cette occasion, je dirai que, d’après des
informations particulières que j’ai reçues, il existerait encore une très
grande quantité d’eaux-de-vie, et notamment à Liége il y en aurait encore pour
40,000 hectolitres environ. Vous ne pouvez, sous aucun rapport, baisser le
droit proposé par M. Zoude sans léser beaucoup d’intérêts. Du reste, je
répéterai encore que le droit des détenteurs ne peut pas être considéré comme
un droit acquis, parce qu’ils ont été avertis depuis longtemps d’un changement
de système.
Par ces motifs, je me rallierai aux propositions de
MM. Zoude et d’Elhoungne. (La clôture !
la clôture !)
- La clôture est mise aux voix et adoptée.
Le sous-amendement de M. Dumortier est mis aux voix et
adopté en ces termes :
« A dater du jour de la promulgation de la présente
loi, les distillateurs et marchands pourront déposer dans les entrepôts du
royaume les eaux-de-vie chez eux prises en charge. Ces eaux-de-vie pourront
être livrées à la consommation, etc. »
L’amendement de M. Zoude, ainsi modifié est aussi
adopté.
Article 52
On passe ensuite à l’article 52 ainsi conçu :
« La présente loi sera obligatoire avant le 1er
juillet prochain. »
M. A. Rodenbach. - Je demanderai à M. le ministre des finances s’il désire que la
chambre laisse à sa disposition le soin de fixer la mise à exécution de cette
loi, on, s’il veut que la chambre la fixe elle-même, quelle époque il préfère.
M. le ministre des finances (M. Duvivier). - Je désire que ce soit la chambre, et je préfère le
1er avril.
M. le président
met d’abord aux voix l’époque la plus rapprochée qui est celle du 1er avril.
- L’amendement tendant à fixer l’obligation de la loi
au 1er avril est adopté.
La chambre décide que l’amendement de M. Zoude,
sous-amendé par M. Dumortier, et qui était le dernier paragraphe de l’article
53, formera la deuxième disposition de l’article 52.
Article 53
Les paragraphes restants de l’article 53 sont ensuite
mis aux voix et adoptés en ces termes :
« A partir de la même époque, la loi spéciale du
19 août 1822 (Journal officiel,
n°37), l’arrêté du gouvernement provisoire du 17 octobre 1830, le décret du
congrès national du 4 mars 1831, et la loi du 19 juillet 1832, et toutes les
autres dispositions légales antérieures, relatives à l’accise sur la
fabrication des eaux-de-vie, sont abrogés.
« La loi générale du 26 août 1822 (Journal officiel, n. 38) est maintenue
dans toutes les dispositions auxquelles il n’est pas dérogé par la présente
loi.
« Les droits liquidés sur les genièvres,
fabriqués avant la mise à exécution de la présente loi, seront apurés au taux
et sur le pied établis par les lois préexistantes. »
Vote sur l’ensemble de la loi
Enfin on procède à l’appel nominal sur l’ensemble de
la loi.
Nombre des votants, 76.
Ont voté pour 59.
Contre 13.
Se sont abstenus 4.
En conséquence la loi est adoptée.
Ont voté pour : MM. Berger, Brabant, Cols, Coppens,
Coppieters, Dams, de Bousies, de Haerne, de Laminne, d’Elhoungne, Dellafaille,
W. de Mérode, de Muelenaere, de Renesse, de Roo, de Sécus, Desmaisières,
Desmanet de Biesme, Desmet, de Terbecq, de Theux, de Tiecken de Terhove,
Dewitte, d’Hoffschmidt, Domis, Donny, Dubois, Dubos, Duvivier, Ernst, Fortamps,
Helias d’Huddeghem, Hye-Hoys, Jonet, Jullien, Lebeau, Levae, Marcellis, Mary,
Milcamps, Morel-Danheel, Nothomb, Olislagers, Pirson, Polfvliet, Raikem,
Raymaeckers, A. Rodenbach, Ch. Rodenbach, Rogier,
Speelman, Thienpont, M. Vanderbelen, Vergauwen, Verhagen, Ch. Vilain XIIII,
Vuylsteke, Watlet, Zoude.
Ont voté contre : MM. de Brouckere, de Robiano de
Borsbeek, d’Huart, Dumortier, Fallon, Fleussu, Lardinois, Liedts, Osy, Pirmez,
Seron, Ullens, Vandenhove.
M. le président
invite MM. de Foere, de Meer de Moorsel, Gendebien et Félix de Mérode à faire
connaître les motifs de leur abstention.
M. de Foere.
- Je m’abstiens de voter, parce que je ne comprends pas toute la portée de
l’article 28 de la loi. Cet article, tel qu’il est rédigé, est contraire à la
loi générale qui régit actuellement le pays ; et, en tant qu’il lui est
contraire j’ignore quelles seront pour le commerce les conséquences vexatoires
qui résulteront de l’exécution de cet article 28, vexations que je considère
comme inutiles et même comme injustes. Malgré toutes les promesses que le
ministre nous a faites à l’égard de l’application de cet article, je ne puis
lui donner mon assentiment, sans avoir apprécié les conséquences de sa mise à
exécution.
M. F. de Mérode. - J’ai été absent pendant les premiers jours de la discussion et n’ai
pas été à même de m’instruire suffisamment pour voter en faveur d’une loi qui
pourrait amener une diminution considérable des revenus publics ; d’autre part,
je ne suis pas assez éclairé pour voter contre des améliorations généralement
réclamées.
M. de Meer de Moorsel s’est abstenu de voter par le motif qu’il n’avait pas
assisté à la discussion.
M. Gendebien.
- Tant d’idées contradictoires se sont heurtées dans tout le cours de la
discussion, sans amener un résultat positif ni satisfaisant pour moi, que cela me
suffirait pour m’abstenir ; mais j’y ai été engagé par un autre motif, qui est
le principal. Je n’ai pas voulu, en émettant un vote négatif, maintenir
l’ancienne loi, contre laquelle tout le monde réclame. Mais, comme d’une autre
part je suis convaincu que vous avez donné le coup de mort aux petites
distilleries en voulant faire leur prospérité, j’ai cru que je devais
m’abstenir. Je désire m’être trompé.
- La séance est levée à quatre heures et demie.