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Chambre des représentants de Belgique
Séance du mercredi 12
décembre 1832
Sommaire
1) Projet de loi portant le budget des voies et
moyens pour l’exercice 1833. Discussion générale. A : contribution foncière
(notamment surtaxe dans les Flandres et Anvers et/ou opérations
cadastrales) ; B : situation générale des recettes et des dépenses,
niveau général des impôts ; C : retard dans la reddition des
comptes ; D : nécessité d’une réforme du système des impôts (B (de Brouckere), réplique générale (Duvivier),
D, contrôle du caissier de l’Etat, cour des comptes, A (Desmet),
A et D (Meeus), B et D, politique commerciale du
gouvernement (Levae), C et D, droit de patente, A (Jullien), A, société générale (Meeus),
réplique générale (Coghen), D et travail de la
commission ad hoc (d’Elhoungne), A (Thiry),
B, D, A, société générale (Mary))
(Moniteur belge
n°346, du 14 décembre 1832)
(Présidence de M. Fallon,
vice-président.)
M. Liedts fait l’appel nominal à une heure moins un quart.
M. Dellafaille donne lecture du procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction
en est adoptée.
- L’ordre du jour est la suite de la discussion sur le
budget des voies et moyens.
PROJET DE LOI PORTANT LE BUDGET DES VOIES ET MOYENS
POUR L’EXERCICE 1833
Discussion générale
M. H. de Brouckere. - Messieurs, contrairement aux habitudes
parlementaires de tous les pays où la forme représentative est reçue,
contrairement à ce qui s’est passé chez nous les années précédentes, le
discussion des budgets doit se borner cette année à une discussion de chiffres.
Nous n’avons pas de ministres, point de gouvernement. ; par conséquent toute
discussion, et sur la politique extérieure, et sur nos affaires intérieures,
est absolument impossible. Je dis : pas de ministère, car je vois au banc
des ministres un administrateur en chef des finances, administrateur provisoire
encore ; mais de ministère je n’en vois pas. Je ferai donc, messieurs, comme
mes honorables collègues qui ont porté la parole hier, je me bornerai à traiter
quelques questions de chiffres ; et pour ne pas retomber dans des redites tout
à fait inutiles, je ne me plaindrai plus ni de ce que nous n’avons pas les
comptes de 1830 et de 1831, quoiqu’ils aient été souvent promis ; ni de ce
qu’on nous force à faire les choses à rebours, de discuter le budget des voies
et moyens avant le budget des dépenses, c’est-à-dire qu’on nous force à donner
de l’argent au gouvernement avant qu’il nous ait renseigné quel usage il va en
faire.
Messieurs, à défaut de renseignements du ministère sur
la situation de notre trésor, je prends du moins l’exposé de notre situation
financière, que l’honorable M. Coghen (que je regrette de ne pas voir parmi
nous) a été si heureux de pouvoir nous faire ; je dis si heureux, pour me
servir des termes employés par lui-même.
Il résulterait de cet exposé, s’il était sincère, que
bien que nous ayons un déficit réel de deux millions de francs sur l’exercice
1832, nous devrions avoir en caisse une somme de 16 millions de fr., attendu
que nous n’avons pas dû payer à la Hollande les 18 millions que nous sommes
obligés de lui donner en vertu du traité du 15 novembre.
Eh bien ! messieurs, il n’en est pas ainsi. Savez-vous
comment M. Coghen est parvenu à ce résultat si tranquillisant pour lui et pour
nous, comme il le disait ? C’est en portant comme rentrés dans les caisses du
trésor les 35 millions de florins produit de l’emprunt de 48 millions, tandis
que cet emprunt a été contracté de manière que le dernier terme ne rentrera, je
pense, qu’en septembre 1833.
C’est une créance assurée, dit-on ; je ne le conteste
pas ; mais nous avons besoin d’argent dans les caisses, et nous en avons besoin
dès aujourd’hui.
M. Coghen a donc fait un rapport inexact, et il a cru
de cette manière qu’il couvrirait la maladresse avec laquelle la seconde partie
de l’emprunt de 48 millions a été contractée.
Il est vrai qu’il nous a un moment fasciné les yeux ;
aujourd’hui nous sommes déjà en partie détrompés, et dans peu, je l’espère,
nous verrons les choses sans illusion.
Ainsi, les 16 millions ne sont pas en caisse, et s’il
en fallait la preuve, je la trouverais dans la demande faite, il y a quelques
jours, par le gouvernement, pour prélever par anticipation les deux tiers de la
contribution foncière de l’année 1833. Qu’y a-t-il donc en caisse ? J’ai lieu
de croire qu’il y a bien peu de chose, et tout à l’heure je ferai, à cet égard,
une interpellation à M. le ministre ad interim ; j’ai lieu de croire qu’on est
tellement gêné qu’il circule déjà des mandats à terme.
Comment le gouvernement se tirera-t-il d’affaire ?
Comment sortira-t-il d’embarras dès le premier mois de l’exercice prochain ? Je
ne parlerai que des dépenses et de revenus extraordinaires.
Il fera rentrer les deux tiers de la contribution
foncière ; je doute toutefois qu’il y parvienne entièrement. Je porte cette
rentrée à 10 millions de francs. Il aura un douzième des 18 millions ; c’est un
million 500 mille francs.
En tout 11 millions 500 mille francs.
Il aura à payer au 1er janvier 25 millions de francs, représentant
l’emprunt de 12 millions ; il lui faut, pour le même mois, un supplément pour
le pied de guerre de 4 millions ; total 29 millions.
Ainsi la différence ou le déficit est de 17 millions
500 mille francs.
Maintenant on dira peut-être qu’une partie de ce
déficit sera couverte avec une partie de l’emprunt de 48 millions qui doit
rentrer au mois de janvier ; plus, avec une partie de l’emprunt des 12 millions
que l’on ne sera pas obligé de rembourser.
Mais je demande si ces deux sommes monteront à 17 millions
500 mille francs, et j’en doute fortement.
Un orateur a prouvé que le budget présenté par le
gouvernement n’était définitif que de nom, puisque déjà l’on annonce un budget
supplémentaire pour le pied de guerre, et que l’on annonce que des moyens extraordinaires
seront proposés pour le couvrir.
Mais, messieurs, pourquoi ne nous dit-on pas dès à
présent quels moyens extraordinaires on proposera ? Pourquoi persiste-t-on à
travailler par saccades et avec tant de décousu ? Non seulement on fait les
choses d’une manière inverse à ce qu’elles devraient être mais on ne nous donne
que des morceaux de budget, On répond à cela : « Les circonstances dans
lesquelles nous nous trouvons ne permettent pas de déterminer dès à présent la
durée du pied de guerre. Soit, j’en conviens ; cependant, pour les mois de
janvier, février, mars, nous serons probablement encore sur le pied de guerre.
Ces trois mois feront un déficit de 12
millions sur le premier trimestre de 1833 ; pourquoi ne pas dire comment on
parviendra à recouvrer ces 12 millions ? Si on garde le silence, c’est
probablement pour nous mettre le couteau sur la gorge au premier moment, et
dire à ceux qui font des observations : « Vous voulez entraver la marche du
gouvernement ? »
Pour calculer ce que rapporteront les voies et moyens
demandés, ou a pris pour point de comparaison ce que les lois actuellement en
vigueur ont fait rentrer en 1832.
Nos ressources pour ce dernier exercice ont été de
75,598,000 francs ; mais est-on bien sûr que l’année 1833 les voies et moyens
donneront un revenu aussi fort ? Messieurs, quant à moi j’avoue que je ne le
crois pas. M. Coghen avait l’année dernière évalué approximativement les
ressources à 31 millions ; elles se sont élevées 37,500,000 et il attribue cet
accroissement aux soins donnés à l’administration financière pour l’exécution
des lois : moi, messieurs, j’attribue cet accroissement à des causes toutes
différentes. Il est incontestable d’abord que l’état de guerre, qu’une armée de
120 mille hommes sur pied doivent augmenter les revenus de l’Etat ; vienne à
cesser l’état de guerre, et les revenus diminueront et les calculs ministériels
seront déjoués. La banque a vendu cette année d’immenses domaines ; ces ventes
nombreuses ont dû occasionner de nombreux droits de mutation. Si ces ventes
venaient à cesser, nouveau déficit dans les caisses du trésor. Puis en ce
moment, personne ne l’ignore, le commerce languit complétement, il est
absolument nul par suite des événements : combien de temps cela durera-t-il ?
On n’en sait rien, et cette dernière considération va encore influer sur les
revenus de l’Etat et les diminuera considérablement.
Ce peu de réflexions suffisent pour prouver que les
calculs approximatifs faits par le gouvernement sur le montant des revenus de
l’exercice 1833 ne sont nullement fondés.
Enfin, messieurs, somme toute, malgré les assurances
de M. Coghen, malgré la sécurité de M. le ministre ad interim, j’avoue que je
ne suis pas tranquille sur l’état de nos finances, et ce que je vois, c’est que
l’ancien ministre et le ministre actuel n’ont pas la prévoyance pour qualité
dominante. Au reste, il dépendra du ministre de me tranquilliser, s’il veut
répondre aux interpellations que je vais lui faire.
Je le prie de nous dire :
1° Quelle est la somme que nous avons en caisse ;
2° S’il est vrai qu’il circule déjà des mandats à
terme (signes négatifs d’un côté,
affirmatifs de l’autre) : je suis certain qu’il y en a ;
3° Si l’on remboursera au 1er janvier 1833 l’emprunt
de 12 millions ;
4° Jusqu’à quand le gouvernement pourra marcher avec
les dieux tiers de la contribution foncière, prélevés par anticipation ;
5° N’est-il pas possible de nous indiquer dès
aujourd’hui quels sont les moyens extraordinaires à l’aide desquels on couvrira
les déficits que l’on prévoit déjà ?
Messieurs, je crois d’autant
plus urgent que l’on réponde à cette dernière question que je lis dans le
rapport fait par l’organe de la section centrale que, pour faire face aux
charges de l’état de guerre, il faudra employer les sommes destinées au service
des 18 millions ou recourir à d’autres impôts ; ou s’adresser à l’emprunt.
Quant au premier moyen, celui qui consisterait à avoir recours aux 18 millions
que nous ne devons pas payer, il ne produira au premier janvier, et par mois,
que 1 million 500 mille francs ; mais comme c’est 4 millions qu’il faut pour la
guerre, il y aura un déficit de 2,500,000 francs,
Si c’est au moyen de l’impôt, ne serait-il pas absurde
de frapper de nouveaux impôts quand l’année aura commencée ? Si vous allez les
demander en janvier ou février, vous aurez perdu un mois ou deux, car vous ne
donnerez pas d’effet rétroactif à votre loi.
Si c’est au troisième moyen, si c’est aux emprunts
qu’on doit recourir, je ne vois pas pourquoi on ne le disait pas dès
aujourd’hui.
Je prie M. le ministre des finances de vouloir bien
répondre aux interpellations que j’ai faites.
M. le ministre des finances (M. Duvivier) - Messieurs, j’ai annoncé hier que je répondrais
aujourd’hui aux diverses observations présentées hier par les orateurs qui ont
parlé sur le budget. Mais autre chose est de satisfaire à cette promesse, autre
chose de répondre à la série des questions importantes posées par l’honorable
préopinant.
M. H. de Brouckere. - Ce sont des faits.
M. le ministre des finances (M. Duvivier) - Je prie l’honorable membre de consigner ces
questions par écrit. Je répondrai à l’instant aux observations présentées hier,
et naturellement il me faudra un temps moral pour répondre aux questions de M.
de Brouckere. Je me bornerai pour le moment, sur ce dernier point, à relever
une erreur grave du préopinant, sans parler des autres qui me paraissent
exister dans les observations qu’il a présentées.
Il a récapitulé tout ce que nous devons payer au mois
de janvier…
M. H. de Brouckere. - Dans le courant de janvier.
M. le ministre des finances (M. Duvivier) - Dans le courant de janvier, soit. Je dis donc que,
dans les prévisions alarmantes de l’honorable membre, il porte comme charge au
1er janvier ou dans le courant de janvier le remboursement de l’emprunt des 12
millions. Or, je peux, à la satisfaction de la chambre, détruire cette
inquiétude de fond en comble. En effet, des 12 millions à rembourser, 4
millions, et plus, sont au pouvoir de la banque, et d’une maison de banque
célèbre dont le principal établissement est à Paris. Cette somme a été réglée
par un arrangement pris par le dernier ministre titulaire avec la banque et la
maison de banque dont j’ai parlé, et qui est la maison Rothschild. Le trésor
belge, en outre, a racheté pour 2 millions et quelques cent mille florins de
cet emprunt. Voilà donc 6 millions et quelques cent mille florins dont le sort
est réglé et pour lesquels il ne peut être question de remboursement. Il
s’ensuit qu’au lieu de 12 millions à rembourser, il n’y en aura que 5 et
quelques cent mille francs.
Le surplus des observations de l’honorable membre
porte en totalité sur la situation financière dont M. Coghen vous a fait
l’exposé. Je regrette, comme lui, que cet honorable membre ne soit pas présent,
car il a toujours eu le projet de soutenir son travail et la situation qu’il a
présentée, et je n’irai pas me lancer dans cette défense sans m’être concerté
avec lui ; je prie la chambre de me permettre de m’abstenir. (Oui ! oui !)
Ce qui a été dit par l’honorable membre des budgets
extraordinaires n’est pas entièrement exact. Il est constant que dans les
budgets soumis actuellement à vos délibérations, on n’a entendu s’occuper que
des moyens de couvrir les dépenses ordinaires, telles qu’elles devront exister
en temps de paix. Dans ce même budget se trouvent comprises les dépenses de la
guerre, aussi sur le pied de paix. Or, comme le département de la guerre exige
en ce moment des dépenses extraordinaires, il est clair que ces dépenses
devront faire l’objet d’un budget extraordinaire. Le chef de ce département
vous le présentera, et il y sera pourvu par des moyens extraordinaires. On a
demandé quels seront ces moyens ? A cet égard, la chambre voudra bien permettre
encore que je m’abstienne de répondre, car il est évident que ces mesures
doivent d’abord être délibérées en conseil des ministres et ensuite soumises au
Roi, afin de choisir celles qui conviendront le mieux. Dans tous les cas, les
moyens auxquels on aura recours ne peuvent être autres que ceux que l’orateur a
indiqués dans son discours. Vous dire lequel des trois sera adopté par le
gouvernement, je ne puis le faire, et j’en ai dit les raisons.
Après ces observations je vais examiner successivement
ce qui a été dit hier par divers honorables membres de cette chambre, contre et
sur le projet de loi des voies et moyens pour 1833, destinés à faire face aux
dépenses ordinaires du même exercice.
Et d’abord, messieurs, avant d’entrer en discussion
sur ce projet de loi, d’honorables membres auraient voulu que les comptes des
exercices expirés eussent été placés sous vos yeux ; qu’ensuite on eût ouvert
la discussion sur les dépenses, et qu’enfin on n’eût voté les moyens de les
couvrir qu’après en avoir fixé et arrêté le montant.
Vous avez connu, messieurs, comment l’administration
s’est vue dans d’impossibilité de se conformer aux vœux de la chambre quant au
premier point. L’impression du compte de 1830 est sur le point d’être terminée,
et celui de 1831 fait encore en ce moment l’objet de l’examen de la cour des
comptes.
Un autre obstacle qu’il était encore moins au pouvoir
du ministre de vaincre, s’est opposé à ce que l’on pût satisfaire au second,
et, pour vous en convaincre, messieurs, il me suffira sans doute de reporter
votre attention sur un seul événement, la création du dernier ministère qui eut
lieu à une époque tellement rapprochée de celle où la constitution fixe
l’ouverture des chambres, qu’il eût été impossible de la devancer.
J’ajouterai que, quant à moi personnellement, je n’ai
pris l’exercice des fonctions de ministre des finances ad interim que le 2
novembre, bien que l’arrêté royal qui me les a conférées était de quelques
jours avant.
Dès lors on conçoit, messieurs, que les ministres qui
ont voulu, par eux-mêmes, s’occuper de leurs budgets respectifs des dépenses,
n’aient pu les terminer avant l’époque où ils ont été présentés, quoique
quelques-uns fussent déjà approuvés par le Roi dès les premiers jours de
novembre.
Quant au budget des voies et moyens, il a été arrêté
aussitôt qu’on a connu le chiffre total des dépenses ; et pour que la
discussion en ait eu lieu plus tôt, il aurait fallu que les chambres eussent
été convoquées avant l’époque déterminée par la constitution, et l’on a vu
ci-dessus ce qui s’y est opposé.
Cet inconvénient pourrait se reproduire chaque année ;
le seul moyen de l’empêcher serait de voter au moins le budget des dépenses,
avant la clôture de la session qui précède l’exercice auquel ce budget se
rapporterait.
Cette marche pourra être suivie dès que nous serons
hors des circonstances extraordinaires et impérieuses où nous nous trouvons
encore.
Je vais maintenant, messieurs, rencontrer les diverses
objections qui ont été présentées jusqu’ici dans la discussion.
Le premier orateur entendu a réclamé un dégrèvement de
l’impôt foncier pour la province d’Anvers, qui, suivant lui, serait de 25 p. c.
du revenu.
Il me serait impossible dans un si court espace de
temps de vérifier cette allégation ; je dois donc me borner à rappeler que
plusieurs députés de cette province ont déjà, en d’autres circonstances, élevé
des prétentions de ce genre qui ont été repoussées par les chambres, et la
section centrale, qui a eu occasion de les examiner de nouveau, les a également
écartées. L’application du cadastre pourra seule résoudre la difficulté, et je
pense qu’il convient de renvoyer à cette époque toute demande de cette nature.
Dans le projet en discussion, la contribution foncière
se trouve majorée de 40 centimes additionnels ; le motif qui a déterminé le
gouvernement à frapper plus particulièrement la propriété immobilière est qu’en
temps de guerre, cette propriété est celle qui souffre le moins, qui est en
mains de personnes aisées et qui, par conséquent, peut plutôt supporter une
augmentation que les impôts de consommation qui sont la ressource de l’état de
paix.
Cette vérité a été reconnue par la majorité des
sections et par la section centrale, et j’ose espérer qu’elle sera sanctionnée
par la chambre.
Quant à la nécessité de cette majoration ainsi que de
celles proposées sur la contribution personnelle, et dont un honorable membre
dit n’être pas suffisamment convaincu, il suffit de recourir au rapport du
ministre et à celui de l’honorable rapporteur de la section centrale, où l’on
démontre que, sans cette majoration, les voies et moyens resteraient de
7,400,000 fr. au-dessous des dépenses ordinaires et indispensables. Vous sentez
trop bien, messieurs, combien il est urgent de niveler les recettes et les
dépenses pour que j’aie besoin d’insister davantage sur ce point.
Je reconnais avec un honorable membre qu’une partie de
la critique qu’il a faite de la loi sur l’imposition personnelle est fondée, et
j’ai déjà annoncé dans mon premier discours que des améliorations y seraient
apportées par un projet de loi qui vous sera incessamment soumis.
L’administration fixera toute son attention sur la loi
des patentes ; elle reconnaît qu’il y a dans cette loi beaucoup d’améliorations
à introduire ; elle s’est est déjà occupée, et continuera jusqu’à ce qu’elle
puisse vous présenter un projet sur cette matière. Dans son travail, elle
consultera volontiers la législation française, pour y puiser tout ce qui peut
tendre à le perfectionner.
Quant aux autres points de finances signalés par
l’honorable M. Seron, et qui concernent la partie de l’enregistrement, ses
observations seront prises en sérieuse considération. Le projet de loi qui vous
sera présenté sur cette matière va au-devant de ses vœux relativement au
rétablissement du droit de 2 p. c. sur la vente des récoltes sur pied.
Quant à l’imprévoyance et à l’inertie du ministre des
finances, signalées par l’honorable M. d’Elhoungne, j’avoue que je ne puis comprendre
son reproche en présence des budgets qui vous ont été remis ensemble peu de
jours après l’ouverture de la session, et lorsque six projets de loi sur les
points capitaux de l’administration financière sont prêts à vous être soumis ou
attendent leur tour de discussion.
Les autres observations de l’honorable membre portant
plus particulièrement sur le rapport de la section centrale, je laisse à son
rapporteur le soin d’y répliquer.
Quant à la remarque faite par le même orateur sur la
mauvaise rédaction des lois, elle tomberait davantage, si elle était fondée,
sur la chambre qui les adopte que sur le gouvernement qui les présente, puisque
ces lois n’existent qu’après avoir été élaborées dans la section centrale et
accueillies par l’assemblée.
Je ne crois pas avoir à
ajouter que les voies et moyens qui vous sont demandés sont définitifs, et non
provisoires, comme on vous l’a dit. Ils sont nécessaires pour couvrir les
dépenses ordinaires et temporaires qui ne peuvent subir de grandes variations,
puisqu’elles sont à peu près telles que vous les avez votées l’an dernier.
Quant aux dépenses extraordinaires du pied de guerre, ainsi que j’ai déjà eu
l’honneur de vous le dire, il vous sera demandé de nouveaux moyens d’y faire
face.
Jusqu’à présent, on avait fait un reproche aux
ministres, tant en France qu’en Belgique, d’avoir recours à des crédits et à
des douzièmes provisoires ; je ne pouvais donc m’attendre à ce qu’on me fît un
tort d’en agir autrement. La nécessité peut faire loi à cet égard ; mais je
crois sage d’éviter autant que possible ce moyen, qui indique perturbation dans
l’ordre rationnel des choses.
(Moniteur belge
n°347, du 15 décembre 1832) M. Desmet s’afflige que le ministère, malgré toutes
les promesses faites depuis la révolution, non seulement n’ait point trouvé le
temps de présenter un nouveau système de finances, mais encore qu’il ait mis la
chambre dans la nécessité de voter d’urgence des lois qu’à dessein on lui a
réservées pour les derniers jours de l’année.
Il approuve l’opinion de l’honorable rapporteur, que
lorsque l’Etat a des besoins pressants et extraordinaires, on doit de
préférence les prélever sur la contribution foncière ; mais, ajoute-t-il il me
semble qu’avant de faire la demande d’une augmentation si considérable, le
gouvernement aurait dû faire des tentatives pour obtenir des remboursements de
fonds de l’Etat qui sont dans les caisses des particuliers, et je demande s’il
n’a pas été possible, par l’appât d’un certain bénéfice, de faire rentrer les
arriérés des prix des domaines vendus, de demander le remboursement des trois à
quatre millions qui restent encore à rentrer sur le fonds connu sous la
dénomination de million-Merlin, et qui, comme on sait se trouvent en des mains
presque incertaines ; et enfin je demanderai si le gouvernement a songé à
s’assurer quels sont les fonds de la banque de Bruxelles qui reviennent à
l’Etat.
L’orateur fait ensuite la critique de la cession de
biens domaniaux faite au roi Guillaume, en déduction d’une partie de la liste
civile, et de l’aliénation de ces domaines par le roi Guillaume ; double
transmission qui, aux yeux de l’orateur, est nulle parce qu’il y a cession dans
la première, et dans la seconde cession d’un lien inaliénable comme attaché à
perpétuité à la couronne.
Vous me permettrez, dit l’orateur en terminant, une
dernière observation, qui est celle-ci : Quand on nous demande à voter un
énorme budget de 83 millions, il me semblerait que la prudence exige que nous
remplissions une lacune qui existe dans notre législation financière, et, que
par une disposition législative, nous mettions en sûreté le dépôt de nos
richesses, et prenions des mesures afin que des malversations ne puissent avoir
lieu.
La constitution comme la loi organique de la cour des
comptes ont réglé en droit, mais n’ont pas, jusqu’à présent, assuré en fait ce
qui doit garantir au pouvoir législatif une action véritable et
constitutionnelle sur les fonds de l’Etat.
Nos pères, dont nous aimons encore à rappeler la
sagesse et la prévoyance, avaient voulu avoir les clés du coffre du trésor de
l’Etat, et ils en avaient confié une à la chambre des comptes.
Aujourd’hui, comme sous le règne des lois financières
de Guillaume, la caisse de l’Etat est remise par le ministre à un
caissier-général, ce caissier ne doit la restituer qu’au ministre des finances,
comme il doit tenir les coffres ouverts pour ce ministre et pleinement à sa
disposition en tout ou en partie.
Ce caissier ne connaît pas actuellement et ne peut
connaître de la cour des comptes.
La législation financière actuelle établit donc une
comptabilité en droit (en écritures), mais n’assure pas en fait l’intervention
du législateur dans les recettes et dans les paiements, et ne met aucun
obstacle à ce qu’un ministre des finances puisse user de malversations sur le
trésor de l’Etat ; il serait donc nécessaire qu’une loi mette les deniers de
l’Etat entre les mains d’un dépositaire indépendant du pouvoir, matériellement
responsable, et qui ne pourrait faire aucun paiement sans le visa préalable de
la cour des comptes.
Dans la séance d’hier, M. l’administrateur du cadastre
vous a fait un éloge pompeux des opérations cadastrales, et quelques membres de
la chambre lui ont contesté ce parfait fini dont il faisait tant d’étalage ;
c’est ici, je pense, une dispute de faits, et où monsieur l’administrateur ne
peut être reconnu juge compétent, défendant sa propre cause, et qui n’entend
toujours qu’une seule partie, qui est celle de ses propre ouvriers, qui ont
intérêt ainsi que lui de trouver l’ouvrage parfait et en pouvoir toucher le
salaire. Mais si M. l’administrateur sortait de son cabinet, et se rendant dans
les campagnes, il allait consulter les cultivateurs et propriétaires, il serait
de suite convaincu que le cadastre exécuté est tout autre chose que le cadastre
en théorie et que l’ouvrage cadastral, si un jour on veut la fin, laissera tant
à désirer qu’on fera des vœux pour qu’il n’eût jamais été commencé.
Mais il me semble qu’on pourrait arriver à un but et
acquérir une perception plus ou moins satisfaisante, en suivant une autre
marche.
Il est reconnu que les irrégularités les plus fortes,
et, qui dans la répartition, pesaient le plus sur les contribuables, existent
dans les contingents assignés aux diverses provinces.
Il en est où les propriétaires sont effectivement
imposés au tiers de leurs revenus, tandis que dans d’autres ils ne le sont que
d’un sixième ; c’est ainsi que se trouve la Flandre envers le Hainaut et le
Brabant.
Ce sont principalement ces grandes différences qu’il
serait nécessaire de rectifier, laquelle rectification ne serait pas longue ni
très difficile, il me semble, car on doit avoir dans les bureaux de
l’administration tous les documents nécessaires pour constater ces inégalités
et pouvoir procéder au nivellement entre les provinces.
Le contingent rectifié qui serait assigné à chaque
province serait transmis aux états provinciaux pour en faire la répartition
entre les cantons, en rectifiant les différences et les inégalités dont ils
auraient connaissance. Les conseils cantonaux convoqués à leur tour
spécifieraient à chaque commune le contingent qui lui serait assigné. Enfin les
communes, ayant reçu leur contingent qui serait fixé pour chacune d’elles,
serait chargée de faire une matrice de vote entièrement nouvelle, en se
conformant aux instructions qui leur seraient envoyées et qui leur
prescriraient de régler, et une marche uniforme dont elles ne pourraient
s’écarter. Cette rectification serait générale dans tous les degrés ; elle
embrasserait les provinces, les cantons et les communes, tandis que le cadastre
ne rectifie que les inégalités qui se trouvaient de commune à commune dans un
même canton, et commencerait ainsi par où on devrait terminer ; jamais on
n’obtiendra une péréquation satisfaisante, car l’opération de classement des
propriétés d’un royaume peut être assimilée à celle du gouvernement d’un Etat
qui toujours doit être traité en grand.
J’ai dit, et je voterai contre
le projet de loi, tel comme il est présenté ; mais j’accepterai tout amendement
qui tendrait à assurer provisoirement au gouvernement la recette des fonds dont
il a besoin, que je peux surtout voter, parce que j’espère que la terrible note
Goblet, qui paraît consentir à l’entrée des Prussiens dans le pays, ne recevra
pas d’exécution, et que je me flatte que la brave armée française, dont les
soldats versent dans ce moment avec tant de générosité leur sang pour nous, ne
terminerait pas son œuvre par la prise seule de la citadelle, mais la
couronnerait en assurant à la Belgique son indépendance nationale.
(Moniteur belge
n°346, du 14 décembre 1832) M. Meeus. -
Messieurs, un point sur lequel nous sommes tous d’accord, c’est qu’il faut
aider et soutenir le gouvernement par tous les moyens qui sont en notre
pouvoir, et pour ce qui me concerne, je me trouverai heureux d’y contribuer.
Mais le projet de loi qui vous est présenté est-il indispensable ? N’y a-t-il
pas d’autres moyens de pourvoir aux besoins de l’Etat ? Telle est la question
qu’il s’agit de résoudre.
Il me paraît impossible, convaincu comme je le suis de
l’inégalité de la répartition de l’impôt foncier, de pouvoir voter une
augmentation de 46 p. c. sur cet impôt, tant que cette inégalité subsistera.
J’ai eu l’honneur, hier, de vous citer quelques exemples de cette inégalité ;
depuis, j’ai fait quelques recherches à cet égard, et je vais vous dire
succinctement la proportion qui existe, d abord de province à province et
ensuite de canton à canton.
Ces différences sont non seulement conformes à ce qui
existe réellement, mais sont même conformes au résultat du cadastre ; et M.
l’administrateur ne pourra pas reculer devant cette dernière preuve, car je la
trouve dans le travail fourni par lui-même, l’an dernier, à la commission des
finances dont je faisais partie.
Je l’ai dit hier, et je dois le répéter aujourd’hui,
cette commission des finances était composée de 12 à 15 membres, et elle a été
unanime sur la possibilité de remédier en partie à la répartition inégale de la
contribution foncière. J’ignore pourquoi le ministre des finances d’alors s’est
cru plus capable à lui seul que la commission tout entière et pourquoi il ne
l’a plus réunie. Vouloir se passer des lumières qu’elle pouvait lui donner,
c’est vouloir être trop sage. (Hilarité).
Du reste, dans le sein de la commission, M. l’administrateur-général lui-même a
combattu les objections qu’on lui faisait, et malgré cela il n’en est pas moins
vrai que la commission fut unanime sur la possibilité de faire disparaître
l’inégale répartition de l’impôt foncier.
Voici quelques exemples de cette inégalité
La province d’Anvers paie 5 p. c. ; celle de Brabant,
8 1/2 ; la Flandre occidentale, 10 p. c. ; la Flandre orientale, 11 1/3 ; le
Hainaut, 6 1/3 ; Liége, 7 ; le Limbourg, 6 ; le Luxembourg, 7 ; et Namur, 7
1/3.
Entre les cantons ruraux la différence est plus
choquante encore.
Ainsi, par exemple, dans la province de Luxembourg, le
canton de Diekirck paie 5 p. c., tandis que le canton d’Houffalize en paie 8.
Dans le Limbourg, le canton de Maestricht paie 5 1/2,
et celui de Saint-Trond, 9.
Dans la province de Liège, le canton de Limbourg paie
5, et celui de Waremme, 10.
Dans le Hainaut, le canton de Mons 4 p. c., et celui
de Frasnes, 9 1/2.
Dans la Flandre occidentale, le canton de Lokeren paie
14 1/2 ; celui de Nedubrake, 15 1/4, et celui d’Everghem, 9.
Dans la Flandre orientale, le canton de Courtray paie
13 ; celui de Thourout, 8.
Dans le Brabant, le canton d’Assche paie 13 ; celui de
Diest, 7.
Dans la province d’Anvers, le canton d’Arendonck paie
16 ; celui d’Anvers, de 9 à 10.
Je vous demande, messieurs, si un pareil état de
choses doit se prolonger plus longtemps.
On dira, et c’est là la grande objection que l’on fait valoir, que
tant que le cadastre n’est pas achevé, il est impossible de savoir s’il n’y a
pas inexactitude dans ces calculs, et d’y porter remède. Je suis les opérations
du cadastre depuis fort longtemps, et depuis fort longtemps aussi j’entends
faire cette objection. On la faisait déjà en 1820, et plus nous avançons dans
le travail du cadastre, plus on y insiste.
Mais, messieurs, depuis que le cadastre existe, les
mêmes proportions ont été démontrées ; et remarquez, je vous prie, que
l’augmentation du prix des céréales est en sens inverse du taux d’élévation de
la contribution foncière trouvé par le cadastre. En effet, si par les prix
élevés des céréales le revenu foncier du pays est par exemple de cent millions,
le taux de l’impôt sera moins qu’il n’était alors que la convention a établi
cet impôt, et où le revenu foncier de la Belgique n’était par exemple que de 60,000,000
: voilà ce que nous découvre le cadastre,
Mais consultons nos propriétés, consultons celles de
nos voisins, et l’on verra que les inégalités sont plus grandes encore de
commune à commune.
Et vous voulez que tant qu’un remède ne sera pas
apporté à ces injustices, nous augmentions de 40 p. c. l’impôt foncier ?
Comprenez-vous bien toute la portée de cette augmentation ? Par une
augmentation de 40 p. c. sur la contribution foncière, vous ne frappez le
contribuable de Diekirch, qui paie trois fois moins que son concitoyen de
Nedebrakel, que de 2 d’augmentation, tandis que ce dernier, qui paie déjà trois
fois plus que le premier, sera augmenté de 6, c’est-à-dire que le premier au
lieu de 5 paiera 7, et le second au lieu de 15 paiera 17.
Pouvons-nous tolérer de semblables abus ? Non,
messieurs, pour ma part je n’y saurais souscrire. La loi qu’on nous propose
est-elle indispensable ? Non. Si l’on a besoin d’augmenter l’impôt, qu’on nomme
une bonne commission des finances, et s’il n’y a pas d’autre moyen de subvenir
aux besoins de l’Etat, quand la nécessité en sera reconnue, au lieu de voter 40
p. c. d’augmentation, j’en voterai 100 s’il est nécessaire.
Qu’il me soit permis maintenant de dire un mot du
cadastre ; je ne me livrerai pas, comme d’autres membres l’ont fait, à la
critique des opérations cadastrales. Je reconnais que le cadastre est assis sur
de bonnes bases ; je crois qu’il ne saurait être confié à de meilleures mains ;
je crois que dans deux ou trois ans il sera achevé et qu’il nous fournira des données
qui nous éclaireront beaucoup. Mais faut-il, en attendant rester dans l’état où
nous sommes ? C’est à quoi la chambre ne doit pas consentir.
Quant à l’imposition personnelle, je partage tout à
fait l’opinion émise par M Seron. Il est impossible de voir un impôt plus
inégalement réparti. Ainsi, dans les campagnes vous trouverez un riche fermier,
dont le revenu sera de 3,000 fl. de rente, par exemple, qui ne paie rien,
tandis que, dans les villes, un petit perruquier paie de 15 à 20 fl. de
contribution personnelle.
N’y a-t-il pas moyen de porter remède à de pareils
abus ? Sans doute il y en a ; pour cela il suffirait d’avoir, à la tête de
l’administration des finances, autre chose que des comptables, un homme enfin,
qui comprenne la question d’économie sociale, d’autres hommes, enfin, que ceux
actuels, qui, quand ils sont embarrassés, ne trouvent d’autre moyen que de dire
: Augmentons l’impôt foncier de 40 p. c., et l’impôt personnel de 13 p. c.
Messieurs, j’ai dit en
commençant, et je répète, qu’il faut appuyer le gouvernement. Est-ce de
l’argent qu’il vous faut ? On vous demande deux tiers de l’impôt foncier, votez
par anticipation l’autre tiers de la contribution foncière, et par exemple un
tiers de la contribution personnelle sur l’ancien pied.
L’impôt foncier doit encore produire, calculé sur
l’ancien pied, 2,400,000, soit par mois 200,000 fl. ; 40 p. c. sur 7,200,000
par an font par mois, 288,000, ensemble 488,000 fl.
Additionnez cinq mois à 488,000 fl., vous aurez une
somme de 2,440,000 fl. ; vous aurez donc cinq mois pour examiner les questions
qui vous sont soumises, sans nuire en aucune manière au service du trésor, s’il
est vrai que le ministre des finances ne s’est pas trompé. Quant à moi, je
déclare qu’il s’est trompé.
Messieurs, on a parlé plusieurs fois de la banque, et
on y reviendra sans doute dans le cours de la discussion. Pour le montent, je
m’abstiendrai d’en parler. J’aurai d’ailleurs l’occasion d’y revenir.
M. Levae.
- Messieurs, depuis que nous vivons sous un gouvernement représentatif, les
ministres ne manquent jamais de dire, à l’ouverture de la session des chambres,
que la situation des finances est prospère, satisfaisante ; et chaque année ces
belles assurances ont été suivies de la création de nouveaux impôts ou de
l’aggravation de ceux qui existent : il semble que le trésor public soit un
véritable tonneau de Danaïdes, et que plus le peuple s’impose de privations
pour subvenir aux dépenses, plus le gouvernement se crée de besoins.
Je sais tout ce que les circonstances actuelles ont
d’impérieux, combien notre position impose à la Belgique de sacrifices : notre
armée que l’Europe condamne à rester, malgré elle, simple spectatrice d’une
lutte qui doit, dit-on, consolider notre indépendance et achever l’œuvre de la
révolution ; notre armée seule nous coûte des sommes énormes ; mais, messieurs,
quand on demande au peuple son argent, il faudrait au moins lui prouver que
l’on s’occupe activement de son bien-être ; et c’est précisément de quoi le
ministère semble ne pas s’occuper.
L’année dernière on disait à la chambre :
« Lorsque le désir du gouvernement, d’accord avec
celui généralement exprimé, de réviser le système de l’assiette des impôts,
pourra se réaliser ; il faut espérer que les nouvelles combinaisons procureront
le double avantage d’y trouver des ressources suffisantes pour le trésor, et de
diminuer encore les rouages nombreux du mécanisme intérieur et extérieur des
administrations financières. »
On reconnaissait donc alors qu’une révision de
l’assiette de l’impôt pouvait offrir une source d’économies ; on reconnaissait
que cette révision était généralement désirée ; or, je demande ce que l’on a
fait pour satisfaire au vœu de la
nation, rien ; se dispose-t-on du moins à faire quelque chose dans ce but ?
Non, car le ministre des finances vient nous dire maintenant « qu’il
a été reconnu que faire l’épreuve d’un système nouveau, quelque bon qu’il pût
paraître,… eût été d’une imprudence que les vices reconnus de notre législation
financière ne pouvaient justifier. »
Et quand, trompés dans nos plus douces espérances,
nous osons nous plaindre à l’instant où l’on calomnie nos intentions, l’on nous
accuse de vouloir entraver la marche du gouvernement, auquel la législature
n’a, jusqu’à ce jour, rien refusé.
On n’a pu songer à réviser l’assiette des impôts,
malgré ses vices reconnus : je le veux bien. Mais qu’on nous dise du moins
quelles mesures on a prises pour procurer à notre industrie de nouveaux
débouchés. Ce n’est pas assez de nous annoncer pompeusement que le pavillon
national est reçu dans la plupart des ports étrangers. Montrez-nous les traités
de commerce que vous avez conclus pour assurer à nos produits un écoulement
plus facile. Si vous n’avez pu conclure de traités, apprenez-nous du moins
quelles inutiles tentatives vous avez faites pour parvenir à en conclure.
Je pose ces questions, messieurs, parce que dans le
nouveau projet de douanes que le gouvernement français vient de soumettre aux
chambres, il leur propose de réduire les droits perçus à l’entrée des bestiaux
étrangers, entre autres pour les bœufs de 50 francs à 25 francs par tête ; pour
les vaches, de 25 francs à 15 francs par tête.
Jusqu’en 1816, l’entrée des bestiaux étrangers, en
France, n’avait été soumise à aucun droit : celui dont elle les frappa en fut
plus funeste qu’utile, et le gouvernement reconnaît aujourd’hui « qu’il
excita, non seulement de nombreuses réclamations dans les provinces frontières,
mais causa à l’étranger un mécontentement profond, qui fut le signal de
représailles dont le commerce, l’industrie et l’agriculture eurent fort à
souffrir ; » ce sont les termes mêmes de l’exposé des motifs qui
accompagne le projet de loi.
En vous citant ce fait, messieurs, j’ai voulu vous
démontrer que le cabinet des Tuileries est disposé à revenir du système
prohibitif qui avait été adopté par le gouvernement déchu : pourquoi notre
ministère n’a-t-il pas profité de cette bonne disposition afin de conclure un
traité de commerce favorable aux deux nations ? Sans aucun doute, contre des
concessions analogues on eût reçu en France nos toiles, dont la libre
exportation serait d’un si grand avantage pour notre pays.
Je n’hésite pas à le dire ; la diminution proposée par
le gouverneraient français, si elle est adoptée, sera pour notre pays plus
importante que tous les débouchés qui ont été cherchés aux Etats-Unis et au
Brésil.
Si, aux consultations que je
viens d’avoir l’honneur de vous soumettre, vous ajoutez : 1° que, depuis deux
ans, on n’a rien fait pour nous donner une bonne loi sur les distilleries, si
vivement réclamée dans l’intérêt de notre agriculture, et par suite de la
stagnation complète de presque toutes nos petites distilleries (car, dans le
courant de l’année dernière, il y en avait plus de 140 en état de souffrance
dans le seul arrondissement de Bruxelles) ; 2° que plusieurs de nos provinces
et particulièrement celles des Flandres et d’Anvers sont injustement et
inégalement frappées dans la répartition de la contribution foncière ; 3° que
la fin des opérations du cadastre, qui seules peuvent amener le redressement de
cette justice, est reculée d’année en année ; 4° qu’on ne nous rend aucun
compte des dépenses, et 5° qu’on n’a rien fait pour corriger un mode d’impôts
reconnu vicieux sans doute, parce qu’il nous oblige à conserver une nuée
d’employés ; vous penserez avec moi, messieurs, que nous ne pouvons
accorder au ministère l’augmentation d’impôts qu’il nous demande.
Cependant, comme il faut nécessairement subvenir aux
dépenses, en rejetant le budget des voies et moyens qui vous a été soumis,
j’accepterai les amendements qui pourront concilier les besoins du trésor et
l’intérêt des contribuables.
M. Jullien.
- Messieurs, pour tous ceux qui ont un peu de mémoire, et qui voudraient voir
dans le gouvernement représentatif, et surtout dans la constitution, une
vérité, c’est vraiment un spectacle tout à fait singulier que celui de la
présentation et de la discussion annuelle d’un budget. Je vous prie de vous
reporter en idée, sans aller plus loin, à la dernière session. Je vais tâcher
de vous en présenter le tableau fidèle.
D’un côté ce sont les représentants de la nation qui,
dans de très beaux discours, que l’on voit sortir de presque toutes les poches,
réclament coutre les ministres l’exécution de l’article 115 de la constitution,
qui veut, que conformément aux règles de la comptabilité la plus ordinaire, que
l’on arrête la loi des comptes avant de voter le budget. Dans ces mêmes
discours on se récrie encore contre la nécessité où le ministère place
constamment la chambre de venir s’occuper du vote de l’impôt, au moment même où
l’exercice finit, c’est-à-dire, où l’on n’a plus le temps d’examiner le budget,
de le modifier et de proposer des améliorations.
Enfin, dans la session dont je vous parle, vous avez
entendu réclamer avec force contre le gouvernement l’amélioration des lois
fiscales qui sont détestables, sous lesquelles la nation se débat depuis plus
de 15 ans, lois qui ont ruiné des milliers de familles, et qui ont occasionné
tant de plaintes sous l’ancien gouvernement et par continuation sous le
nouveau. Vous vous en souvenez, messieurs, il n’y a pas un orateur qui, en
terminant, n’ait protesté qu’à l’avenir il n’accorderait pas un denier si le
gouvernement ne donnait satisfaction sur tous ces points.
D’un autre côté, ce sont les ministres qui, avec tout
l’accent de la franchise, reconnaissent que toutes les plaintes sont fondées.
Si les comptes ne sont pas produits, c’est l’effet des
circonstances difficiles dans lesquelles ils se sont trouvés : on s’en occupe,
on y travaille, on les présentera à la session prochaine.
Les budgets vous ont été présentés trop tard, il est
vrai ; mais aussi dans quelles tribulations nous a jetés l’invasion du mois
d’août : attendez la session prochaine, et les budgets vous seront soumis en
temps opportun.
Vous réclamez des améliorations dans les lois
fiscales, et vous avez parfaitement raison ; c’est une plaie qu’il faut guérir
; mais est-ce bien le moment d’y songer ? On n’improvise pas ainsi un système
financier ; une transition trop brusque pourrait avoir de graves inconvénients
pour le trésor ; mais, à la session prochaine, on vous proposera toutes les
améliorations qui sont dans vos vœux comme dans nos intentions : attendez donc
jusque-là, et toute satisfaction vous sera donnée.
Voilà, messieurs, tout ce qu’on vous disait. Eh bien !
cette session prochaine est venue.
Vous croyez, peut-être, qu’on va vous présenter des
comptes ; pas du tout ; ils sont à l’impression, on vient de vous le dire. Ce
n’est plus l’affaire du ministère, c’est celui de l’imprimeur ; et si cependant
vous voulez entrer dans de plus grandes investigations, il paraît que c’est
tout uniment l’affaire de la cour des comptes qui, sans doute, pour de bonnes
raisons, n’est pas d’accord avec le gouvernement.
Mais si vous n’avez pas de comptes, vous aurez au
moins le temps d’examiner et de voter les budgets en connaissance de cause ;
pas davantage, vous aurez beau précipiter votre examen, c’est tout au plus si
vous pourriez voter le 31 décembre l’impôt qui doit être perçu au 1er janvier ;
on vient de vous dire que cette fois c’est le brusque changement du ministère
qui en est la cause. Ainsi quand on voudra se dispenser de rendre des comptes
et qu’il s’agira d’enlever un budget, il suffira de changer à propos de
ministère, et vous le voyez, de cette manière vous n’obtiendrez jamais
satisfaction.
Encore si on vous proposait quelque amélioration dans
les lois fiscales ; mais non, toute cette épouvantable fiscalité reste debout
et le pays se verra encore obligé de la subir pendant toute l’année, si
toutefois on ne vient pas encore vous endormir l’année prochaine avec le même
langage. Telle est, messieurs, notre position, et, je ne crains pas de le dire,
malheur au pays qui serait représenté de telle sorte que ses mandataires
pourraient se laisser prendre plusieurs fois de suite à des pièges aussi
grossiers.
Il n’y a pas de sincérité dans les excuses qu’on nous
présente car, avec toute la bureaucratie que l’Etat paie, on ne nous fera pas
croire qu’on n’ait pas depuis 1830 trouvé le temps de préparer les comptes.
Et quand nous pouvons compter tant de chefs
d’administration, et qu’il suffit à M. le ministre des finances de faire un
appel pour réunir autour de lui toutes les lumières qui brillent maintenant
dans cette enceinte, à qui fera-t-on croire qu’on n’ait pas pu s’occuper
d’améliorer notre système financier, dont le gouvernement lui-même a depuis
longtemps reconnu tous les vices ?
Cependant, messieurs, sommes-nous donc un peuple si
difficile à contenter et à gouverner ? Vous le voyez, voilà déjà plusieurs
semaines que nous ne savons plus où sont les ministres, et pourtant notre
petite machine gouvernementale va toujours, tant sont profondément enracinées
chez nous les idées, les habitudes d’ordre, et ce que chez les peuples comme
chez les particuliers on appelle vertus domestiques.
On nous parle de voter les voies et moyens, mais nous
ne connaissons ni nos ressources, ni nos besoins ; notre situation financière
est un mystère pour nous. On nous disait tout à l’heure que la banque
devait au trésor ; mais on s’est
expliqué en termes si ambigus, que nous nous pouvons savoir en quoi consistent
ces ressources. Nous attendrons à cet égard les explications promises par
l’honorable M. Meeus.
Voter des dépenses sans connaître ses besoins, imposer
au peuple une charge nouvelle de 40 p. c. sur le foncier, et de 13 p. c. sur le
personnel sans pouvoir en reconnaître la nécessité, voilà, messieurs, une de
ces absurdités qu’on n’aura pas, j’espère à nous reprocher.
Sur ce point nous serons, j’espère, tout d’accord,
comme nous le sommes déjà, qu’il fait donner au gouvernement, quels que soient
d’ailleurs, les ministres, les moyens de marcher et de subvenir provisoirement
aux besoins les plus pressants du service, jusqu’à ce que nous soyons en état
de voter définitivement les budgets.
Sous ce rapport, messieurs, je partage entièrement
l’opinion des honorables orateurs qui ont proposé d’ouvrir au gouvernement des
crédits provisoires, et je voterai pour les amendements qu’ils se proposent de
formuler dans ce sens.
En attendant, et puisque nous en sommes à la
discussion générale, je dirai aussi quelque chose sur les différents systèmes
d’amélioration présentés par les orateurs qui m’ont précédé.
Un d’eux s’est élevé avec force contre la continuation
de la loi des patentes des 21 mai 1819 et 6 avril 1823. Il est difficile, en
effet, de concevoir une loi plus vicieuse dans son principe, et plus arbitraire
dans son exécution. La raison en est simple, c’est que ces lois remettent aux
agents du fisc la faculté de hausser ou d’abaisser à volonté le droit pour
certaines classes de patentables. D’après la constitution, les citoyens ne
peuvent être imposés qu’en vertu de la loi ; c’est à la loi qu’ils font le
sacrifice d’une partie de leurs moyens d’existence, c’est par elle qu’ils
doivent connaître directement ce qu’ils doivent payer.
Mais ce citoyen ne doit pas être à la merci du caprice
ou du mauvais vouloir d’un agent du fisc, qui, d’après cette législation et
avec la hausse et la baisse mobile dont il est armé, peut tripler et quadrupler
à volonté le droit de patente sans autre avis que celui de répartiteurs dont il
est chargé de diriger les opérations. De là, messieurs, naissent de toutes
parts les plaintes et les réclamations des contribuables, qui sont toujours
prêts à se soumettre à la loi, mais qui repousseront toujours l’arbitraire des
agents du fisc.
Pour remédier à ces abus, messieurs, il suffit de
faire ce que l’honorable M. Seron vous a dit, substituer la loi du 1er brumaire
an VII à celle du 21 mai 1819.
Quant à moi, je déclare que lorsqu’il s’agira de
discuter les articles du budget, je voterai contre la loi, s’il n’est pas
apporté de changement à la loi des patentes.
Il y a encore dans le projet une autre injustice que
je dois vous signaler, si on continue à percevoir le droit de barrières d’après
la législation existante.
Je veux parler de l’obligation où sont les villes de
pourvoir aux réparations des routes qui traversent leur territoire, lorsque
l’Etat perçoit la totalité des droits de barrières placées à l’entrée et à la
sortie ; ainsi, cette iniquité se résume en quelques mots : les villes ont la
charge et l’Etat a les bénéfices, et comme cette innovation résulte d’un arrêté
de l’ancien gouvernement, et que ce qu’un arrêté a fait, un autre peut le
défaire, il me suffira, j’espère, d’avoir signalé ce juste grief des villes à
MM. les commissaires du Roi pour qu’ils s’empressent de le redresser.
Un honorable préopinant a parler de créer un nouvel
impôt sur les rentes. Je n’ai pas entendu M. le ministre répondre à cette
proposition ; j’aurais désiré pourtant connaître son opinion, d’autant plus
qu’au budget de l’année dernière, l’honorable M. Coghen avait indiqué cet impôt
comme un moyen d’accroître dans l’avenir les ressources et les revenus de
l’Etat.
Je n’ai pas eu le temps d’arrêter une opinion fixe sur
cet objet ; mais, au premier abord, la mesure me paraît impraticable.
Tout le monde est d’accord, je pense, sur ce point,
qu’il n’est pas question de frapper les fortunes en portefeuille, c’est-à-dire
les obligations à intérêt, mais qu’il s’agit seulement d’atteindre les rentes
hypothéquées.
Eh bien ! messieurs, je ne vois pas le moyen d’arriver
jamais à des résultats satisfaisants.
Quand on grève son bien d’hypothèques, c’est qu’on est
plus ou moins gêné ; une inscription hypothécaire n’est donc presque jamais
seule ; et le bien est très souvent beaucoup plus grevé qu’il ne vaut.
Dans ce cas, messieurs, comment distinguera-t-on la
bonne inscription de la mauvaise ? C’est l’ordre qui fixe le rang des
créanciers entre eux. Telle inscription, qui était la première, deviendra la
dernière ; vous ferez donc payer un impôt sur une valeur idéale, qui peut-être
ne sera pour le créancier qu’une occasion de pertes et de frais de procès.
Ce n’est pas tout, vous allez tuer le contrat de prêt
à intérêt, si nécessaire dans les transactions habituelles des citoyens entre
eux, car les prêteurs n’entendront pas plus tôt parler d’un projet d’impôt de
cette nature qu’ils s’empresseront de donner à leurs capitaux une autre
destination.
Il y a plus, vous savez ou vous ne savez pas,
messieurs, que d’après le code civil, lorsque le débiteur d’une rente est resté
deux ans sans payer les intérêts, on peut le forcer à rembourser ; eh bien, ce
projet d’impôt serait le signal de poursuites judiciaires contre tous les
malheureux débiteurs qui seraient en retard, puisque le créancier, pour se
soustraire à cette nouvelle charge, ne manquerait pas de poursuivre, avec la
dernière rigueur, le remboursement de son capital.
Ainsi, messieurs, je crois qu’il faut rejeter tout à
fait cette idée, et si c’est avec réflexion que le ministre ne l’a pas
reproduite au budget, je ne peux que l’approuver.
J’arrive maintenant au cadastre, qui depuis longtemps
devrait être fait, et qui reste toujours à faire.
Sous ce rapport, messieurs, je suis de l’avis de
l’honorable M. Meeus. Je considère l’opération du cadastre comme un bienfait
pour le pays, et comme étant le seul moyen de faire disparaître entièrement les
inégalités choquantes qui existent dans la répartition de l’impôt. Il faut donc
laisser à l’administration le temps d’achever ce travail, mais il faut qu’elle
assigne un terme. C est ce que sans doute M. le commissaire du Roi pourrait
nous dire en nous indiquant au juste à quel point en sont les travaux, et, en
voyant par les tableaux ce qui est fait, nous pourrons juger par nous-mêmes de
ce qui reste à faire et voter des fonds en conséquence.
En attendant, messieurs, je crois, comme un honorable
préopinant, que rien n’empêche de réparer, dès à présent, les grandes
injustices dans la répartition dès l’instant qu’on peut les reconnaître ; c’est
ainsi que nous vous avons signalé, l’année dernière, la surcharge des deux
Flandres, à qui vous avez accordé un dégrèvement de 5 p. c. dont elles doivent
continuer à jouir jusqu’à l’achèvement du cadastre.
Mais je ne suis pas de l’avis
de cet orateur lorsqu’il vous a dit que, pour arriver à la connaissance exacte
du produit des propriétés on pourrait, dès à présent, exiger des propriétaires,
ou de leurs fermiers, la déclaration des revenus des baux. Ce moyen, messieurs,
aurait quelque chose d’inquisitorial : un de MM. les commissaires du Roi vous
l’a dit avec raison, il ne faut jamais placer un contribuable dans une position
équivoque c’est-à-dire entre son intérêt et sa conscience.
D’après nos lois, on peut faire un bail verbalement ou
par écrit : si vous vous adressez à un contribuable qui aura des raisons de se
croire surchargé, il vous fera une déclaration exacte, mais dans le cas
contraire n’attendez pas de lui qu’il se dénonce au lieu pour payer un surcroît
de charges et si on n’a que de pareils moyens de rétablir l’égalité proportionnelle,
il faut y renoncer ; ils auraient trop d’analogie avec cet absurde système de
serments introduit dans nos lois fiscales, et qui a soulevé de si justes
plaintes.
Je terminerai là, messieurs, ces observations déjà
longues ; je voterai contre la loi, mais aussi j’admettrai avec empressement
tous les amendements qui auront pour objet de subvenir provisoirement aux
besoins de l’Etat, jusqu’à ce que nous soyons à même de voter les budgets en
connaissance de cause.
M. Meeus. - Je
m’aperçois, messieurs, que l’opinion que j’ai présentée a été peu comprise. Je
n’ai pas dit qu’il fallait s’en rapporter à ce que déclareraient les
propriétaires et les fermiers. J’ai dit, et j’insiste sur cette remarque, qu’un
contrôleur qui, aujourd’hui, serait éclairé des lumières du cadastre, pourrait
juger jusqu’à quel point les déclarations de ces individus seraient exactes ou
mensongères.
Je suis bien persuadé pour ma part que ces
réclamations ne seraient pas toujours reconnues vraies par l’autorité
compétente.
Mais faites attention que sur 2,500 communes (il y en
avait 2,700 avant la cession du Limbourg et du Luxembourg), sur 2,500 communes,
dis-je, plus de 15 à 1800 sont déjà expertisées ; de sorte qu’avec les
déclarations que vous obtiendrez des fermiers et propriétaires, et que vous
êtes à même de contrôler à l’instant même au moyen des expertises déjà faites
et celles que vous feriez faire, vous obtiendriez un résultat, celui du moins
de n’avoir plus les inégalités monstrueuses qui existent aujourd’hui et qui
font que dans un canton on ne paie que 5 p. c. tandis qu’un autre paie 16.
Voilà ce que j’ai dit, et je n’ai pas voulu qu’on mît un homme entre sa
conscience et son intérêt.
Quant au cadastre, puisqu’il est fait pour les deux
tiers, qu’on en fasse au moins l’application pour ces deux tiers, et qu’on
répare des injustices de province à province.
Ne reconnaissez plus que des contribuables et que des
revenus imposés, et vous atteindrez aujourd’hui, autant que possible, la
justice dans la répartition de l’impôt.
Je ne dis pas que vous aurez quelque chose de parfait,
mais au moins quelque chose de bien préférable à l’état de choses actuel.
On a parlé de nouveau de la banque.
Messieurs, je ne connais
qu’une chose, La banque doit ou elle ne doit pas. Si elle doit et qu’elle ne
veuille pas payer, comme député, je demande qu’on l’attaque. Vous avez des
tribunaux, et les tribunaux décideront entre elle et vous.
Pour ma part, je crois qu’il n’en reviendra rien du
tout, et toutes les personnes qui en ont parlé l’ont fait sans connaissance de
cause.
Le ministère, à la vérité, a pu s’appuyer de pièces ;
mais il y en a d’autres.
Je crois dans tous les cas que le gouvernement
manquerait à son devoir, si la banque doit, de ne pas la faire payer. Du reste,
si elle doit, je suis persuadé qu’elle ne refusera pas de s’acquitter ; car
elle veut se montrer loyale dans tous ses engagements.
M. Coghen.
- Messieurs, je me bornerai à répondre aux honorables députés que j’ai entendus
aujourd’hui. Le premier qui se présente est l’honorable M. Meeus. Il a
particulièrement insisté sur ce que je n’avais pas convoqué la commission de
révision pour l’assiette de l’impôt ; il en a fait, en quelque sorte, un crime
: cependant l’idée de la création de cette commission m’appartient ; c’est moi
qui ai contresigné l’arrêté portant nomination des membres de cette chambre et
d’autres personnes notables pour former la commission de révision des impôts.
Les membres de cette commission ont tous montré beaucoup de zèle. On leur a
soumis différentes questions, différents projets de loi. Des commissions tirées
du sein de cette assemblée ont été nommées pour partager les travaux de la
première. Néanmoins leurs travaux n’ont mené à aucun résultat. J’ai eu
l’honneur de soumettre à la commission des projets de loi sur l’enregistrement,
les droits de succession, le timbre. Les projets ont été imprimés. On ne m’a
présenté aucun rapport. Un projet de loi a été élaboré pendant quelques
semaines sur les distilleries ; il a été imprimé, corrigé, et quand j’ai voulu
le présenter à la chambre comme étant le travail de la commission, on n’a pas
consenti d’en prendre la défense.
On a parlé de ce qui serait dû par la banque. Je crois
que l’honorable M. Meeus a été trop loin en disant que beaucoup de membres en
discutaient sans connaissance de cause ; et il m’a cité.
Je crois, messieurs, pouvoir dire qu’il y a un solde
dû au gouvernement ; je n’ai pas bien présents les chiffres, et je crois que
sous le gouvernement provisoire, il s’agissait d’une somme de dix millions et
quelques florins, dont deux millions étaient dans les caisses de la Hollande.
La banque a élevé contre ce solde des prétentions ; elle a allégué des avances
faites par le gouvernement, avances qui n’étaient pas régulières, ou du moins
qui n’étaient pas votées par les états-généraux. Il s’agissait, disait-on, de
6,800,000 francs en faveur du ministre du waterstaat. Messieurs, les 24
articles nous ont imposé la loi que la liquidation de la banque se ferait par
une commission. Si ces articles qui nous ont été imposés n’étaient pas là, le
gouvernement certes aurait déjà réclamé de la banque le solde qui lui est dû.
On a signalé les vices de la contribution foncière. Je
suis le premier à déplorer les inégalités qui existent dans la cotisation. J’ai
fait tout au monde pour hâter le travail du cadastre, et M.
l’inspecteur-général vous a annoncé que les travaux sont près d’être finis. Je
crois qu’il serait dangereux d’établir un nouveau mode de répartition avant que
le cadastre soit achevé ; car sans cela, pour éviter des injustices, on en
commettrait d’autres.
Un honorable membre vous a entretenus de la loi sur
les distilleries. La chambre est saisie de cette loi faite par les
distillateurs eux-mêmes ; elle peut être susceptible de modifications ; la
chambre l’améliorera dans l’intérêt de l’industrie et de l’agriculture. Si nous
étions assez riches en autres produits, je serais le premier à déclarer qu’il
ne faut aucun droit sur les distilleries ; que, placées entre l’Angleterre et
l’Allemagne, la Prusse et la France, nos distilleries prendraient un essor
inconnu, si on les affranchissait de tout droit.
En présentant le budget de
1832, j’ai parlé de la manière de rendre productive les rentes hypothécaires,
M. Julien m’a devancé dans l’exposé des difficultés que présente une telle
mesure. Un projet était rédigé, et j’ai reculé devant l’idée de la présenter
aux chambres ; j’ai cru que ce projet était contraire aux intérêts de l’Etat et
à toute bonne vue politique.
Avant de quitter le ministre, j’ai arrêté et signé les
comptes des exercices 1830 et 1831 ; ces comptes, coutre lesquels ne s’élève
aucune objection, sont si l’impression. Si la cour des comptes n’a pas transmis
à la représentation nationale des documents précieux, je n’en suis pas
responsable. Je désire aussi ardemment qu’aucun autre membre que les comptes
soient soumis à l’examen le plus scrupuleux.
M. d’Elhoungne. - Il a été question de la commission de révision des impôts. A cet
égard, le dernier préopinant a rapporté inexactement quelques faits qui
concernent cette commission et qui impliqueraient gravement l’honneur des
membres qui la composaient. C’est dans l’intérêt de la vérité que j’ai demandé
la parole pour rétablir les faits.
M. Coghen vous a rappelé que la commission avait été
nommée sur sa proposition ; qu’elle était saisie de projets de loi sur le sel,
sur les distilleries, sur le droit de succession et de quelques modifications à
la loi de frimaire an VII, relative aux droits d’enregistrement. Un de ces
projets a été adopté par la commission de révision, c’est celui sur le sel ; il
a été présenté à la session dernière, peut-être 6 ou 8 mois après le vote de la
commission. La chambre en est saisie.
Le second, sur les distilleries, a occupé un comité
pris dans le sein de la commission ; ce comité a terminé son travail depuis
plus d’un an ; mais, comme la commission n’a plus été convoquée depuis le 6
décembre de l’année dernière, s’il y s eu obstacle à ce que ce travail lui fût
soumis, je laisse à penser à qui on doit l’imputer.
Ainsi, sur quatre projets, en voilà deux sur lesquels
un travail a été fait dans l’espace de quelques semaines ; s’il n’a pas été
produit, ce n’est pas à la commission qu’il faut l’imputer.
Il est vrai qu’ayant fait partie des deux comités,
j’ai dit franchement à M. le ministre des finances que, regardant le projet sur
les distilleries comme contraire aux intérêts du pays et destructif de
l’industrie, je ne voulais pas me charger de sa défense ; que loin de là
je m’élèverais contre son adoption, parce que j’avais la conviction qu’il
serait préjudiciable au pays. Depuis lors, le ministre a présenté un autre
projet. Je laisse à la chambre à décider si c’est bien la commission qui a
manqué à son mandat.
Parmi les membres qui étaient chargés du travail sur
le droit d’enregistrement et sur le droit de succession, il y avait entre autre
M. Thorn, qui a été placé bien involontairement sans doute dans l’impossibilité
de s’occuper des intérêts publics. Il y avait un autre membre que la chambre
vient de perdre, qui avait été désigné pour l’examen des points concernant le
droit de succession et d’enregistrement : c’est M. Barthélemy. Si l’on ne s’est
pas occupé de ces projets, c’est qu’il suffisait d’une première lecture pour se
convaincre qu’ils n’étaient pas dignes d’une attention sérieuse. Le droit de
succession est l’impôt le plus immoral et le plus vicieux sous le rapport de
l’exécution ; il ne présente aucune garantie. Au lieu de revenir tout uniment
au système si simple de la loi du 22 frimaire an VII, on a voulu fiscaliser
davantage la loi hollandaise.
D’après le projet, il aurait fallu faire déclaration
de la nature et de la quantité exacte des immondices que contiendraient les
fosses à fumier de la moindre métairie.
Le goût de la lecture est
général. Aujourd’hui tout le monde a une petite collection de livres. Pour
percevoir quelques chétives sommes, l’auteur du projet veut qu’on inventorie
minutieusement, sur papier timbré, le titre et tout ce qui peut servir à
établir la valeur de chaque livre volume par volume.
Voilà les projets de loi qu’on osait présenter à
l’examen de la commission de révision ; voilà les beaux travaux que l’on
soumettait à ses investigations éclairées et patriotiques ; et l’on ose se
plaindre de l’accueil qu’on y fit !
Je pense que l’assemblée rendra justice aux bonnes
intentions que tous les membres de la commission ont montrées en acceptant le
mandat fort difficile et très ingrat dont ils ont bien voulu se charger dans
l’intérêt du pays.
M. Thiry, commissaire du Roi.
- L’un des honorables orateurs qui ont porté la parole pendant cette séance,
vous ont entretenus assez longuement sur les opérations cadastrales ; il vous a
fait l’énumération des inégalités qui existent dans la répartition de la
contribution foncière, non seulement entre les provinces, mais encore entre les
cantons et les communes ; il s’est plu à vous rapporter les chiffres qui
constatent ces inégalités. Je suis loin, messieurs, de contester l’existence de
pareilles inégalités, au contraire elles résultent jusqu’ici des opérations
exécutées sans le cadastre ; et ce sont, précisément ces inégalités qui
démontrent la nécessité des travaux du cadastre.
Mais, à cette occasion, l’honorable orateur nous a
parlé des travaux de la commission qui avait été chargée de la révision des
impôts. J’ai eu l’honneur de me rendre près de cette commission ; je me suis
empressé de lui transmettre tous les renseignements qui étaient en mon pouvoir ; je lui ai remis
différents tableaux qui ont mis à même l’honorable orateur de vous donner les
renseignements dont il vous a entretenus aujourd’hui. Il a ajouté que cette
commission, munie de ces renseignements, avait indiqué les moyens de remédier
dès à présent aux inégalités qui existent dans la répartition de la
contribution foncière ; messieurs, s’il en avait été ainsi, la commission
n’aurait pas manqué sans doute de rédiger un projet. Or, je ne connais aucun
projet qui ait été formé par la commission sur la répartition de la
contribution foncière. Elle s’est bornée à l’examen des documents que j’ai
produits, on en a tiré diverses conséquences ; mais la commission n’est pas
parvenue à formuler un projet qui pût mettre le gouvernement dans la possibilité
de présenter aux chambres une loi sur cette matière.
On a dit que j’avais objecté sur la possibilité de
redresser aujourd’hui les inégalités choquantes de la contribution foncière,
comme j’objecte encore aujourd’hui, l’obstscle qu’y mettait le non-achèvement
du cadastre.
En effet, messieurs, j’ai fait cette objection, et je
la ferai jusqu’à ce que l’opération cadastrale ait été poussée aux derniers
termes. Je partage l’opinion de l’honorable M. Coghen, qui vous a dit qu’il
serait dangereux de toucher à la répartition de la contribution foncière, aussi
longtemps que les travaux du cadastre ne seront pas complets. Quand même on se
déciderait à faire une rectification aujourd’hui, en prenant pour base les
opérations cadastrales, il y a une difficulté, une difficulté invincible :
c’est que les résultats connus du cadastre, quoique nombreux, n’ont encore
aucun caractère définitif, aucun caractère légal, caractère sans lequel la
représentation nationale ne peut faire usage de ces documents. On demandera
sans doute comment il se fait que, le cadastre étant aussi avancé, on n’ait
point de résultat définitif ; cette circonstance tient à la marche que le
gouvernement a adoptée pour l’exécution prompte du cadastre.
On a senti que s’il fallait interrompre les travaux à
mesure qu’un canton serait achevé, c’était le moyen de rendre l’opération
interminable ; car vous n’ignorez pas que les opérations du cadastre consistent
en deux sortes de travaux, les uns qui s’exécutent sur le terrain, les autres
dans le cabinet. Il aurait donc fallu sans cesse faire passer les agents du
terrain dans le cabinet, et, réciproquement, du cabinet sur le terrain.
On conçoit, messieurs, l’immense perte de temps qui
serait résultée d’une semblable marche.
On s’est donc déterminé, dans la vue même de répondre
à l’impatience de la représentation nationale, on s’est déterminé à suivre la marche que nous avons adoptée, et qui
consiste à terminer tous les travaux du terrain, ensuite à s’occuper des
opérations du cabinet, et enfin à soumettre les évaluations aux propriétaires
et aux assemblées cantonales.
Aujourd’hui toutes les opérations du terrain sont
terminées ou s’il reste quelque chose à faire, ce serait terminé avant la fin
de l’année prochaine ; mais il reste toutes les opérations qui doivent donner
un caractère définitif aux travaux du cadastre.
On a commencé, dans deux provinces, la communication
des expertises aux propriétaires.
Cette communication a eu les résultats les plus
satisfaisants ; elle se continuera successivement dans les autres provinces de
manière à pouvoir être achevée vers la fin de l’année 1833.
Alors viendront les assemblées cantonales qui se
tiendront dans le courant de 1834 ; ce n’est qu’à cette époque qu’on pourra
prendre les opérations du cadastre pour base d’une nouvelle répartition.
Jusque-là les résultats du cadastre ne sont que
provisoires ; ils n’ont pas les caractères authentiques et légaux, et, par
conséquent ils ne peuvent servir de base à une nouvelle répartition qu’on
puisse soumettre à la représentation nationale.
Après vous avoir fait le tableau des inégalités
existantes dans la répartition de la contribution foncière, on s’est demandé
comment on pouvait, en présence d’un tel état de choses, demander une
augmentation de 40 centimes additionnels à cette contribution.
Sans doute, messieurs, cette augmentation est grande,
et le gouvernement ne se déterminerait pas à la proposer si nous ne nous
trouvions pas dans des circonstances aussi graves. Mais proposer aujourd’hui de
faire disparaître les inégalités avant l’augmentation, c’est de toute
impossibilité.
Vous ne devez pas perdre de vue, messieurs, que les
centimes additionnels qui existent aujourd’hui sur la contribution foncière
sont pour ainsi dire nuls, qu’ils ont été portés jusqu’à 26 et au-delà sous le
gouvernement précédent, et que successivement ils ont été diminués jusqu’à
n’être aujourd’hui que trois pour le trésor ; car, je ne compte pas les deux
centimes additionnels qui sont destinés à couvrir les non-valeurs comme
appartenant au trésor de l’Etat, puisqu’ils retournent aux contribuables.
Eh bien, messieurs, ce grand nombre de centimes
additionnels qui existent présentement étaient recouvrés dans l’état de
répartition où se trouve la contribution foncière. Voyez ce qui se passe dans
un pays voisin, en France, où l’inégalité est la même, où le cadastre n’est pas
plus achevé que dans notre pays, et où il ne le sera pas aussi tôt que le
nôtre.
Eh bien, le nombre des centimes additionnels est porté
en France jusqu’à 62 et demi. S’ils ont été diminués depuis quelque temps, il
n’en est pas moins constant que ce nombre de 62 et demi a existé.
On m’objectera peut-être que dans les 62 centimes et
demi se trouvent les centimes additionnels en faveur des départements et des communes
; mais il en est de même des centimes additionnels qui ont été indiqués en
masse par la section centrale dans son rapport.
A quel nombre s’élèvent ces centimes additionnels
demandés ? A 58. Ainsi ils sont encore au-dessous de ce qui a été imposé en France,
non pas dans des circonstances extraordinaires comme celles où nous nous
trouvons, mais dans des années ordinaires ; la France était alors dans un état
de paix profonde.
Je puis ajouter à cela que le principal de la
contribution foncière est moins élevé dans notre pays qu’il ne l’est en France,
et qu’ainsi les centimes additionnels sont une augmentation proportionnellement
moins forte chez nous qu’elle ne l’est en France.
Il est un fait constant, messieurs, c’est que les
ressources du trésor doivent être augmentées. Toute la question se réduit donc
à savoir à quelle nature d’impôt il faut de préférence s’adresser : eh bien, on
a souvent entendu dans cette chambre la cause du peuple défendue ; ce n’est
donc pas à la classe qui ne possède pas qu’il faut faire supporter les charges
extraordinaires ; c’est par conséquent à
l’impôt foncier que vous devez vous adresser d’abord.
En temps de paix cet impôt doit être ménagé ; il doit
être ménagé parce qu’il doit fournir aux ressources extraordinaires dans des
circonstances graves, telles que celles où le pays se trouve aujourd’hui.
Je ne pense donc pas que cette augmentation puisse
éprouver dans cette chambre la moindre opposition ; elle pensera sans doute,
comme le gouvernement, que bien que cette charge soit très grande, il est
impossible aujourd’hui de ne pas l’accepter, d’autant plus que la propriété
foncière, dans les circonstances où nous nous trouvons, peut assurément
supporter ce surcroît d’impôt.
L’honorable M. Meeus, en indiquant le moyen de faire
disparaître les inégalités de la contribution foncière, a expliqué sa pensée :
il nous a dit qu’il n’entendait pas ajouter une foi entière aux déclarations
des propriétaires ; mais qu’il entendait que les gens du gouvernement
pourraient faire usage de ces déclarations en les contrôlant avec les résultats
nombreux que l’on a déjà obtenus par le cadastre.
Mais la difficulté reste toujours la même.
Le caractère non légal des résultats du cadastre
s’oppose ici comme il s’opposait au projet de corriger les inégalités de la
contribution foncière.
Passant à la demande de M. Jullien, que le cadastre
dépose un tableau des opérations qu’il a faites, je dirai que j’ai fait
connaître de la manière la plus détaillée la situation dans laquelle les
opérations se trouvent, et que cette situation est encore indiquée dans la note
insérée au budget des voies et moyens.
Avant de terminer, je crois devoir répondre quelques
mots aux observations qui ont été faites par M. Desmet.
Cet honorable orateur vous a dit qu’il était facile de
faire un tableau brillant des opérations du cadastre mais que c’était sur les
lieux qu’il fallait voir ce qui se passait ; que c’était là que le chef de
l’administration devrait se rendre pour voir lui-même dans quel état les
travaux se trouvaient.
Messieurs, depuis 16 ans, que j’ai l’honneur d’être
investi des fonctions de commissaire royal du cadastre pour les provinces
méridionales et ensuite d’inspecteur-général, car j’ai la haute surveillance du
cadastre dans le royaume, j’ai parcouru toutes les provinces, toutes les
localités des provinces, non pas une fois, nous pas dix fois, mais cent fois et
plus ; je connais donc les localités, j’en connais le personnel ; je sais par
conséquent ce qui se passe exactement.
L’honorable orateur a ensuite exposé un système
d’après lequel on pourrait remédier aux abus qui existent dans la répartition
de l’impôt ; mais, messieurs, malgré toute l’attention soutenue avec laquelle
je me suis efforcé d’écouter son discours, je dois avouer qu’il m’a été
impossible de rien entendre de cette partie de son opinion ; vous m’excuserez
donc, messieurs, si je me trouve, par cette circonstance, dans l’impossibilité
de lui répondre.
Si le discours de l’honorable membre est imprimé, ou
s’il veut bien même m’en donner communication, j’y répondrai, même dans ce
moment, si la chose est jugée nécessaire.
M. Mary. -
Messieurs, je prends la parole comme rapporteur de la section centrale.
Je répondrai d’abord an moyen dilatoire qui a été
reproduit dans la discussion, après nous avoir été présenté dans la section
centrale, moyen tendant à vous faire adopter, au lieu d’un budget définitif
pour 1833 trois douzièmes provisoires. Ensuite je rencontrerai quelques-unes
des observations que l’on a faites sur notre législation financière actuelle.
Lorsque vos sections, et après elles la section
centrale, se sont occupées de l’examen du budget des voies et moyens, une
pensée les a dominés, c’est que la nation belge, moralement admise dans la
grande famille européenne, devait asseoir son crédit, non sur des paroles, mais
sur des faits ; qu’il fallait que toute personne appelée à traiter avec elle
fût certaine, non seulement de sa bonne foi à remplir ses engagements, de son
désir de payer avec exactitude ses créanciers, mais de la possibilité où elle
était de satisfaire à ce devoir impérieux.
Si ce devoir existe pour chaque individu, il existe
bien davantage pour le gouvernement, toujours destiné par sa position à donner
l’exemple de la morale financière qui compose son union politique. Que si cette
marche doit surtout être suivie en des circonstances ordinaires, combien ne le
doit-elle pas davantage à une époque telle que celle où nous nous trouvons
placés ; alors que, pour faire face à nos besoins extraordinaires, nous devrons
probablement faire encore des appels au crédit ; alors que, pour ne pas ravir
aux fortunes privées au-delà de leurs forces contributives, nous devrons par
des emprunts volontaires rejeter sur plusieurs années les dépenses que
nécessite notre position politique actuelle. Certes si nous n’accordons pas de
délai à nos débiteurs, il serait injuste d’en réclamer de nos créanciers.
Il fallait donc prouver à ces mêmes créanciers qu’ils
pouvaient avoir foi en nos promesses, en leur présentant, dans notre budget des
recettes, des moyens suffisants pour couvrir nos dépenses ordinaires et une
partie de celles qui bien qu’accidentelles pèseront encore longtemps sur nous.
Il fallait lui montrer que nous avions la faculté comme la volonté d’être
fidèles aux engagements qui naîtront des dépenses que nécessite l’état de
guerre.
Vos sections ont dû trouver moins d’obstacles à
consentir le budget que vous discutez, lorsqu’elles ont vu qu’il était loin
d’atteindre les crédits que vous avez votés pour 1832. Ceux-ci s’élèvent en
effet à 96 millions de florins, ainsi plus de 200 millions de francs, tandis
que l’on ne vous demande maintenant que 83 1/2 millions qui, avec 3 1/2
millions, montant des prévisions de recettes à effectuer dans les territoires à
céder, ne s’élèvent qu’à 88 millions. Ainsi disparaît l’objection, que l’on ne
peut voter des nouveaux impôts sans être assuré de leur nécessité ; car vous
aurez en 1833 la même administration et la même armée qu’en 1832, et en
supposant même un désarmement pendant le cours de l’an prochain il ne pourra
être que partiel en présence de la situation de l’Europe, de votre position
particulière et des négociations qui en seront peut-être la suite.
Votre situation financière ne diffère donc pas
beaucoup de celle de 1832, et vis-à-vis d’un ennemi qui n’a que les 5/13 de
notre population, et qui cependant maintient une armée de plus de 100,000
hommes et un budget de 220 millions de francs, force vous sera d’avoir à
opposer des moyens matériels analogues.
Mais, dit-on, s’il est vrai que les ressources que
l’on nous propose ne peuvent pas couvrir toutes les dépenses présumées,
pourquoi nous en occuper ? Pourquoi les voter, puisqu’en réalité ce n’est qu’un
budget provisoire ? C’est se tromper, car il couvre réellement nos dépenses
ordinaires présumés ; que s’il surpasse celle-ci, événement repoussant toutes
les probabilités, eh bien tant mieux, puisque notre avenir sera d’autant moins
grevé, et ainsi nous pourrons éviter de recourir et à des emprunts onéreux et à
un surcroît d’impôts pour couvrir le remboursement et les intérêts de ceux-ci.
Mais, après avoir adopté le budget qui nous est
soumis, prétend un orateur, nous devons voter de nouveaux centimes additionnels
pour couvrir les dépenses extraordinaires. Non, messieurs car pour celles-ci, nous
le répétons, nous devrons faire un appel au crédit ; celui-ci sera d’autant
mieux établi que par nos actes nous aurons dû inspirer la confiance.
Ce n’est pas que je partage l’opinion de ce même
membre, que la génération présente a fait assez de sacrifices pour laisser à
notre postérité le soin d’acquitter les charges que nous auront occasionnées
les circonstances actuelles ; on pourrait craindre de la voir répudier le
passif de cet héritage, et le crédit demeurerait sourd à vos demandes. Aucun
emprunt n’est possible aujourd’hui sans y affecter un amortissement qui est
tout au moins d’un pour cent de capital emprunté, et qui, placé à intérêt
composé de 5 p. c. permet d’éteindre une dette en 33 ans environ. Que nos
descendants paient une part dans les dépenses qu’auront occasionnées des
travaux publics ou des améliorations matérielles, je le conçois ; mais vous les
verriez prompts à reculer les autres si vous n’aviez montré vous-mêmes la bonne
volonté d’en éteindre une partie ; d’ailleurs, vous ne pouvez, comme vous y
invite un autre orateur, remplacer par un emprunt les centimes additionnels que
l’on vous propose sur le foncier et le personnel et l’augmentation du quart sur
les patentes, car les emprunts, dont on doit être sobre, ne sont destinés qu’à
couvrir des dépenses extraordinaires auxquelles les ressources actuelles ne
pourraient faire face.
Comment voter les voies et moyens de 1833 avant
d’avoir sous les yeux les comptes de 1830 et de 1831 ? Votre section centrale a
regretté de même que les deux orateurs qui ont parlé ainsi, que ces comptes ne
fussent pas encore sous vos yeux ; mais elle n’a pas pensé qu’il fallût en
faire un moyen dilatoire, car aucun membre de cette assemblée ne peut se
dissimuler, à l’aspect des crédits votés pour 1832, que ces comptes ne leur
apporteraient que la triste conviction qu’il faudra d’autres ressources encore
pour faire face à nos dépenses extraordinaires ; le budget ordinaire des
dépenses, d’ailleurs en harmonie avec ce qui vous avait été présenté l’an
dernier pour l’armée sur pied de paix et avec ce que vous avez adopté pour les
autres besoins publics, est sous vos yeux ; il a déjà en partie subi la
discussion de vos sections et ne pourra vous donner de nouvelles lumières sur
les demandes des voies et moyens.
La loi de la nécessité, les circonstances qui se
pressent de toutes parts, le besoin de régulariser la mise en recouvrement de
nos recettes ordinaires, l’époque avancée de l’année, tout nous engage dès lors
à ne pas refuser un vote qui peut avoir l’influence la plus funeste et sur la
marche d’un gouvernement auquel il faut porter aide et sur le crédit public
qu’il faut affermir.
Un membre a été cependant plus loin ; il a traité
d’absurde la proposition d’adopter en de telles circonstances un budget
ordinaire de voies et moyens. L’acerbité de cette expression ne peut
s’attribuer qu’à la chaleur de l’improvisation. Quoi, devant le vote unanime de
vos sections et de la section centrale ; quoi, devant le vote que vous avez
émis l’an dernier en adoptant le budget de réforme de 1832 avant que vous ayez
pu vous occuper de celui de dépenses, lorsqu’en outre vous aviez mis à la
disposition du gouvernement un emprunt de 48 millions, un membre pourra se
croire seul le don de la prescience et de la longue vue, pourra se croire en
droit de déverser sur l’opinion généralement partagée par ses collègues toute
une condamnation qu’il résumera en ce mot vague d’absurdité !
Et que vous propose-t-il donc qui doive paraître une
œuvre si supérieure ? D’accorder des crédits provisoires qu’il voudrait borner
aux premiers trimestres de 1833 et qui seraient d’après lui un quart de ceux
accordés pour toute l’année 1832 ? Mais a-t-il bien examiné toute la portée de
cette proposition, a-t-il réfléchi que le quart de ces crédits s’élèverait à 50
millions de francs, tandis que le gouvernement ne vous en demande pas la
moitié, ne vous demande que de 21 à 22 millions pour ce même espace de temps ?
Et avec quelles ressources vous propose-t-il de faire faire ces dépenses ? Avec
les impôts actuels qui, ne s’élevant par an qu’à 5 millions et demi ne vous
donnent par an 19 millions pour un trimestre et vous offriront un déficit
considérable. Vous jugerez, messieurs, tout en désirant de voir réduire nos
impôts, si on peut dans cette position se jeter dans de semblables abîmes.
On cite l’exemple de la France, où l’on discute même
en moment trois douzièmes provisoires ; mais là les impôts sont mis au niveau
des recettes, et pour couvrir même la différence, on y autorise le gouvernement
à y émettre jusqu’à concurrence de 250 millions de bons du trésor. On va plus
loin, on l’autorise en outre à mettre en recouvrement le rôle de la
contribution foncière de toute l’année. Et quel concert de plaintes s’élèvent
pour demander que l’on sorte de ce provisoire ! que de voix pour réclamer du
ministère le budget ordinaire de 1834, dès le mois de mai prochain !
Sommes-nous dans la même position, nous à qui l’on ne demande que les
ressources d’un budget ordinaire qui laissera un vide pour celles
extraordinaires, vide pour lequel vous serez plus tard appelés à voter des
moyens temporaires qui ne doivent avoir d’autre durée que celle des
circonstances momentanées qui y auront donné lieu ? Vous avez déjà permis pour
1833 la perception anticipée de 8 mois de la contribution foncière telle
qu’elle existe aujourd’hui, et dont les deux tiers s’élèvent à environ 12
millions, et vous reviendriez sur cette disposition législative adoptée à
l’unanimité dans cette chambre, en n’autorisant plus qu’une perception de trois
mois !
Inutile donc, messieurs, de vous remettre sous les
yeux les motifs que j’ai eu l’honneur de vous exposer dans un rapport, et qui
ont engagé les sections à consentir aux allocations réclamées par le
gouvernement.
Mais, ajoute le même membre, en adoptant mes crédits
provisoires, vous pourrez mettre à exécution les modifications à apporter dans
notre système financier, dans le cours même de 1833. La section centrale a sans
doute émis le vœu que vous partagez tous, c’est de voir apporter des
changements à cette législation, dans tous les points qui appellent des
réformes. Mais elle ne se dissimule pas qu’ils ne peuvent s’improviser ;
qu’alors même qu’ils seront adoptés, il faudra laisser au public le temps
suffisant pour les connaître et se familiariser avec les nouvelles dispositions
; c’est ainsi que le système qui nous régit aujourd’hui, bien qu’adopté par la
loi générale du 12 juillet 1821, et les lois spéciales qui en ont été la suite,
n’ont été mises en vigueur qu’en 1823. Nos ressources ne pourront, en 1833,
descendre en-dessous de ce qui vous est demandé ; ainsi, en supposant même des
innovations, des suppressions d’impôts, la nation aurait à payer la même somme,
sauf qu’elle serait répartie sur d’autres chefs et soldée par d’autres
débiteurs, et qu’elle substituera probablement de nouvelles plaintes à celles
qui peuvent surgir aujourd’hui. Si vous vouliez appliquer, dès l’année
prochaine, quelques-unes des lois financières qui vous seront proposées, qui
vous empêcherait de leur donner la force exécutoire dès le deuxième semestre ?
Elles introduiront des suppressions ou des augmentations d’impôts, elles feront
disparaître des inégalités ou traceront de nouveaux modes d’exécution ; elles
fixeront dès lors un produit présumé, qui remplacerait une partie de celui qui
vous est présenté en ce moment. Cette marche n’aurait rien d’irrégulier, et de
nombreux précédents seraient là pour l’appuyer.
Mais vous avouez, nous dit-on, que les sections n’ont
pas eu sous les yeux tous les renseignements qu’elles avaient droit d’attendre.
C’est ce qui arrive journellement, et alors l’on invite les rapporteurs près de
la section centrale de les réclamer. C’est ce qui a été fait dans cette
occasion, et c’est par ce motif que dans notre rapport nous avons cru devoir
présenter les détails qui nous ont semblé propres à éclairer votre vote ; nous
croyons qu’avec ceux que vous pourrez obtenir et du ministre des finances et
des quatre commissaires attachés à ce département et nommés par le Roi pour
soutenir la discussion des budgets, vous aurez des éléments suffisants pour
établir votre conviction.
Peu importe qu’il y ait lacune momentanée dans le
pouvoir exécutif par l’absence d’un conseil des ministres, puisque vous êtes
libres de suspendre votre vote définitif après l’adoption des articles ; dans
tous les cas, c’est plutôt lorsqu’il s’agira de la discussion des dépenses que
vous devez connaître la composition du cabinet, pour savoir si elle vous offre
assez de garanties pour pouvoir confier à ses membres l’application des deniers
de l’Etat. Aujourd’hui vous n’autorisez que la perception des impôts, qui
demeureront dans les caisses du trésor aussi longtemps que par le vote des
députés, vous n’en faites pas la division entre les divers ministères ; vous
n’autorisez pas la chambre des comptes à en permettre le paiement, puisque
c’est elle qui veille à ce qu’aucun article de dépenses du budget ne soit
dépassé et qu’aucun transfert n’ait lieu, et que les dépenses ne peuvent avoir
lieu sans votre assentiment.
Je crois avoir rencontré les diverses observations que
l’on vous a présentées, pour vous faite repousser le projet de loi qui vous est
soumis, et pour le remplacer par une mesure qui n’accorderait que trois
douzièmes provisoires. Vous serez fidèles au vote que vous avez déjà émis en
pareille circonstance ; vous ne répudierez pas l’opinion unanime de vos
sections ; vous serez conséquents avec la loi que vous avez portée il y a peu
de jours pour autoriser le gouvernement à prélever par anticipation les deux
tiers ou huit mois de la contribution foncière : oui, messieurs, vous
rejetterez une proposition qui jetterait le désordre dans nos finances,
blesserait le crédit d’un Etat naissant, sèmerait l’incertitude parmi les
contribuables et amènerait un provisoire qui renouvellerait sans cesse vos
discussions sur les seuls intérêts financiers, tandis que d’autres soins
réclament aussi votre attention.
Il me reste à suivre quelques-uns des membres dans
leur excursion au milieu du vaste champ de la législation financière qui nous
régit.
Une pensée philanthropique a souri à l’un des orateurs
qui ont eu hier la parole. C’est la diminution de nos impôts d’accises, impôts
qui pèsent sur la consommation, et qui dès lors atteignent, suivant lui,
davantage le pauvre que le riche. Et d’abord, messieurs, nous avons déjà dit que
ces impôts ne frappent que cinq objets, parmi lesquels le sel est le seul qui
soit des plus essentiels ; encore ce dernier impôt ne procure chez nous que 90
centimes annuellement par tête, est-il moins élevé qu’en France où il s’élève
jusqu’à 2 francs par individu. Et cependant nous nous flattons de l’espoir que,
par la nouvelle loi qui nous a été présentée dans la dernière session, et qui
sera reproduite dans la session actuelle, cet impôt sera mitigé. Nous doutons
néanmoins qu’il puisse, dans l’état actuel de nos finances, disparaître
entièrement dès aujourd’hui ; car, remarquez-le, messieurs, c’est moins l’impôt
que le manque de travail qui influe sur le bien-être de la classe ouvrière, et
s’il faut pour elle alléger le fardeau des contributions, du moins n’est-il pas
besoin de le faire disparaître en entier.
Les subsides que chaque peuple fournit à l’Etat ne
sont pas destinés seulement à garantir la propriété, mais aussi à protéger les
personnes, les libertés et les droits. Tout citoyen profite également des
avantages de la justice, de l’administration, des travaux publics ;
l’instruction gratuite, les bienfaits de la civilisation, ne peuvent être que
la conséquence des impôts qui sont destinés à les procurer ; chaque citoyen
doit donc y contribuer en raison plus ou moins exacte de ses facultés
pécuniaires, et si l’ouvrier, si l’industriel, si le capitaliste ne peuvent
être atteints par l’impôt sur les propriétés, celui sur les consommations vient
du moins lui imposer son tribut. Rien d’absolu par conséquent en matière
d’impôt ; le multiplier sous diverses formes est le seul moyen d’atteindre
toutes les conditions, toutes les positions sociales.
Et cependant, si l’on voulait renfermer l’impôt sur
les consommations dans des bornes trop étroites, je serais le premier à en
réclamer la suppression totale ; car une maxime dans tout impôt, c’est que sa
perception soit économique et prélève le moindre tantième que possible ; c’est
en second lieu qu’il ne soit pas assez élevé pour offrir un fort appât à la
fraude, et tombe d’une manière peu sensible sur plusieurs objets de
consommation, qui ne soient pas regardés comme de première nécessité. C’est
ainsi que cet impôt n’exige en Angleterre que 5 1/2 p. c. de frais de
perception, tandis que chez nous et en France il en réclame 17 à 18 p. c.,
parce qu’un même nombre d’employés est nécessaire pour la surveillance de peu
comme pour celle du grand nombre d’objets imposables.
L’arbitraire de ce genre d’impôts, que le contribuable
paie sans s’en apercevoir, et pour autant qu’il lui convienne de consommer, n’a
pas élevé dans votre enceinte plus de plaintes que celui que l’on prétend
exister sur la contribution foncière. On vous a signalé des inégalités non
seulement entre les provinces, mais encore entre les cantons d’une même
province, dont les uns paient 4 p. c. de revenus personnels, tandis que dans
d’autres on exige jusqu’à 10. Ces données sont incertaines, bien que fournies
par le cadastre, qui vous déclare lui-même qu’elles n’ont aucun caractère de
légalité. Elles vous engageront cependant à repousser les propositions qui vous
ont été faites par deux membres de diminuer de 5 p. c. la contribution foncière
des Flandres et de la province d’Anvers. Déjà lors de la dernière session les
premiers ont obtenu pareille diminution, pour les seconds elle a été rejetée.
Inutile dès lors de proposer dans les circonstances actuelles et pareilles une
nouvelle diminution, qui évidemment serait arbitraire, car depuis deux ans les
terres arables ont présenté de superbes récoltes, tandis que nos forêts ont
perdu leur valeur ancienne, et sont demeurées sans produit dans beaucoup de
localités où elles servaient principalement à l’alimentation des foyers. Leur
expertise cadastrale du revenu net et imposable a même été basée sur une série
de quinze années écoulées de 1812 à1825 inclusivement, par suite d’un arrêté du
22 juin 1826, époque pendant laquelle elles avaient un assez haut degré de
prospérité.
Vous savez, messieurs, que le cadastre parcellaire est
en voie d’exécution en Belgique, depuis 1808 : on l’introduisit plus tard en
Hollande, mais, à l’époque de l’arrêté que je viens de vous citer, le
gouvernement changea les bases d’expertise qu’il jugeait défavorables à la
Hollande.
De là nouveau travail, de là abolition de tout ce qui
avait été fait jusqu’à ce jour. Et, cependant, nous devons rendre cette justice
à l’administration du cadastre que, dans l’espace de temps qui s’est écoulé de
1825 jusqu’à ce jour, elle a trouvé le moyen de terminer en entier les travaux
sur le terrain, de finir les expertises dans deux provinces et d’être en mesure
de les achever, pour les autres, dans le cours de l’an prochain si le budget
des dépenses lui en fournit les moyens. Que l’on ne s’imagine qu’un tel
résultat était si facile à obtenir ; car en France où le système de 1808 avait
été continué sans être rompu comme chez nous en 1825, il n’y avait encore en
1830 qu’un peu plus de la moitié du territoire qui fût cadastré. Cette
opération ne s’y continue même plus qu’au profit de cotisations individuelles,
et se fait aux frais des départements qui ont été autorisés à voter cinq
centimes additionnels pour subvenir aux dépenses de cette entreprise aussi
vaste que difficile. La somme totale de ces centimes s’élevait, en 1830, à 5
millions de francs. Nous disons que l’Etat y est désintéressé dans cette
opération, parce qu’en 1821, par suite d’opérations commencées en 1814, il
adopta un travail général sur les forces contributives de chaque département
dans la contribution foncière. Les expertises s’y sont faites non pas comme
vous l’a proposé pour la Belgique un honorable membre, sur des déclarations de
propriétaires placés entre leur conscience et leur intérêt, mais d’après des
données obtenues par des démarches longues, dispendieuses et pénibles faites
par des agents spéciaux, par les conseils communaux, et basée sur une réunion
nombreuse de documents. Néanmoins, le résultat qui en a été la suite passe pour
incomplet, tandis que nous, nous sommes à la veille d’avoir une péréquation
faite par le cadastre avec soin et avec les renseignements qu’une longue
expérience a pu faire regarder comme approchant le plus de la vérité.
La loi du 3 frimaire an VII a tracé les bases sur
lesquelles devait reposer l’évaluation du revenu net imposable des trois
grandes divisions de propriétés, terres arables ou prairies, forêts et
bâtiments ne servant pas à l’agriculture. Jusqu’à ce qu’une proposition
législative vienne changer le mode prescrit par cette loi, l’administration est
tenue de s’y soumettre, et nous serions les premiers à la rappeler dans les
voies de la légalité si elle s’en écartait. Si l’un des orateurs qui a proposé
d’apporter des modifications à ce système d’expertise veut faire prévaloir ses
idées, il faut qu’il suive les usages de cette chambre, qu’il dépose une
proposition qui devra suivre les formalités prescrites par le règlement.
Déjà, au surplus, sa proposition a été refusée par un
autre membre, et je crois inutile de vous faire remarquer qu’elle n’a qu’un but
provisoire, et qui ne pourrait pas être exécuté avant l’achèvement du cadastre,
alors que nous considérons que pareille mesure a exigé longues années en France
avant de pouvoir arriver à un médiocre résultat.
Un autre membre a fait ressortir quelques-uns des
vices de l’impôt foncier : la section centrale ne se les ai pas dissimulé, elle
a réclamé une révision de la loi qui l’établit, mais en même temps, elle vous a
observé que dans l’exécution, cette loi avait reçu des améliorations ; c’est
ainsi que par celle du 29 décembre 1831, vous avez permis aux contribuables,
soumis à l’impôt personnel, d’établir leur cotisation, en ce qui concerne les
quatre premières bases de l’impôt, savoir la valeur locative, les portes et
fenêtres, les foyers et le mobilier, conformément à celle qui a été admise ou
fixée en 1831, ainsi sans expertise, ni visite domiciliaires.
Le même orateur s’est élevé contre la loi de 1822 sur
les patentes, et vous a proposé de la remplacer par la loi du 1er brumaire an
VII. Celle-ci nous avait déjà régis jusqu’en 1816. Elle pourra être prise en
considération lors de la révision de cet impôt, mais la section centrale n’a
pas cru devoir proposer de s’y rattacher, car en France même on est sur le
point de la modifier ; le classement n’en est pas complet et consacre
d’ailleurs quelques injustices.
On s’est demandé pourquoi notre section centrale
n’avait pas porté en recettes ce qui peut être dû par la banque de Bruxelles.
Vous venez, messieurs, d’entendre un député qui fait partie de l’administration
de cet établissement. Il vous a déclaré que cet objet n’était pas liquide ; que
si le gouvernement croyait pouvoir faire valoir des prétentions contre la
banque, il n’avait qu’à les porter devant les tribunaux, appelés à en décider ;
que jusque-là la banque ne pouvait souscrire à ses demandes. Il faudrait donc suivre
le cours et les délais d’un procès, qui peut durer plusieurs années ; et dès
lors on ne peut faire compte de prétentions contestées dont le recouvrement ne
doit être expiré qu’en 1833.
Je regrette que M. le ministre des finances n’ait cru
devoir répondre que par des moyens évasifs à l’interpellation d’un membre qui a
pris la parole au commencement de cette séance, interpellation qui tendait à
savoir si l’on avait en caisse les sommes suffisantes pour faire face aux
services publics, si l’emprunt de 12 millions serait remboursé au 1er janvier
prochain, enfin si l’on n’émettait pas des billets à terme. Les membres de la
commission à laquelle vous aviez renvoyé le projet de loi, autorisant le
gouvernement à percevoir les deux premiers tiers de la contribution foncière
par anticipation, nous lui avons fait les mêmes demandes.
Il nous a assuré alors qu’il y avait des fonds
suffisants dans les caisses de l’Etat, que l’emprunt de 12 millions pouvait se
rembourser avec les fonds de l’anticipation, puisque une partie du dernier
emprunt de 24 millions ne devait se recevoir qu’à dater du 1er janvier ; et
quant aux billets à terme, il n’en existe, comme de coutume et ainsi que cela
se pratique depuis deux ans, qu’entre les mains de quelque fournisseur d’accord
avec eux et leurs contrats.
Quant à ces points, le crédit public est donc assuré :
c’est à vous, messieurs, qu’il appartient de le maintenir pour l’avenir, en
prêtant votre concours à la patrie, en repoussant des mesures provisoires en
opposition avec vos précédents, et qui seraient destructives de la confiance
que vous devez appeler, en donnant votre assentiment au projet du budget des
voies et moyens pour 1833, tel qu’il a été modifié, tel qu’il vous a été
présenté par la section centrale.
- La séance est levée un peu avant quatre heures et
demie.
Noms de MM. les représentants absents sans congé à la
séance de ce jour : MM. Angillis, Boucqueau, Brabant, Coppieters, Deleeuw, de
Muelenaere, de Robaulx, de Woelmont, Dumont, Jacques, Jaminé, Pirson.
ERRATUM : C’est M. Desmanet de Biesme, et non M.
Raikem qui dans la séance d’hier a écrit à l’assemblée pour demander un congé.