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Chambre des représentants de Belgique
Séance du mercredi 18
juillet 1832
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre
2) Motion d’ordre relative à l’état des négociations diplomatiques et
clotûre de la session (de Theux, Gendebien,
Osy, de Theux, Dumortier,
Helias d’Huddeghem, de Theux, Gendebien, Leclercq, Dumortier, Barthélemy, Nothomb, de Theux, Gendebien, de Theux, d’Huart, Osy, de
Theux, Dumortier, Milcamps,
d’Elhoungne, Devaux, de Muelenaere, de Theux, Gendebien, de Muelenaere,
(+ enlèvement Thorn) Dumortier, de Muelenaere, Gendebien, de Muelenaere)
3) Clôture de la session
(Moniteur belge n°202, du 20 juillet 1832)
(Présidence de M. Destouvelles.)
A une heure moins
un quart, la séance est ouverte.
M. Dellafaille procède à l’appel nominal. Il fait ensuite lecture du procès-verbal,
dont la rédaction est adoptée sans réclamation.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
M. Liedts fait connaître l’objet d’une pétition adressée à la
chambre ; la pétition est renvoyée à la commission spéciale.
Par un message, le
sénat annonce que dans sa séance d’hier il a adopté trois projets de loi : 1°
le projet de loi sur les traitements des membres de l’ordre judiciaire ; 2° le
projet de loi transitoire sur les distilleries ; 3° le projet de loi relatif
aux concessions de péages.
- Ces projets ont été adoptés sans amendements.
MOTION D’ORDRE RELATIVE A L’ETAT DES
NEGOCIATIONS DIPLOMATIQUES
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Je demande la parole ; j’ai une communication à
faire à la chambre.
M. Gendebien. - Je demande la parole pour une motion d’ordre. Dans
les circonstances où nous sommes, il importe que M. le ministre des affaires
étrangères soit entendu ; nous avons des questions à lui adresser sur notre
situation. Nous connaissons la mission que M. le ministre de l’intérieur a à
remplir ; c’est parce que nous la connaissons que nous croyons de notre devoir
de faire une motion d’ordre.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - J’ai demandé la parole ; je crois que la parole me
doit être accordée le premier ; je dois avoir la priorité pour la communication
que j’ai à faire.
M. le président. - C’est une motion d’ordre que l’on fait ; je présume qu’aux termes du
règlement, nous ne pouvons nous refuser à entendre l’orateur.
M. Gendebien. - Les motions d’ordre doivent aller avant tout. C’est
justement parce que vous avez une communication à faire, que je demande la
parole pour une motion d’ordre.
Messieurs, je
regrette que tous les ministres ne soient pas à leur banc dans une situation
aussi solennelle.
Il me semble que
leur devoir serait de s’y trouver, car enfin c’est le dernier instant que les
représentants de la nation ont des réclamations à faire en qualité de députés.
Je regrette surtout l’absence du ministre des affaires étrangères. Ma motion a
pour but de demander que ce ministre soit invité à se rendre au sein de
l’assemblée pour y donner des explications sur les termes de la note remise par
le plénipotentiaire belge le 7 juillet. Il suffit de lire ce passage pour se
convaincre de la nécessité d’avoir des explications.
M. Osy. - Page 23 du rapport imprimé du ministre des affaires
étrangères.
M. Gendebien. - Voici cette note, page 23 du rapport que nous a
fait M. le ministre des affaires étrangères :
« Le
soussigné, plénipotentiaire de S. M. le roi des Belges, a eu occasion de
remarquer, dans la discussion qui s'est élevée hier au sein de la conférence,
que non seulement le but de la mission dont il est chargé auprès de LL. EE. les
plénipotentiaires d'Autriche, de France, de la Grande-Bretagne, de Prusse et de
Russie, a été perdu totalement de vue, mais que la conférence elle-même s'est
déjà sensiblement éloignée de la marche tracée par ses actes antérieurs. C'est
avec le plus vif regret, que le soussigné a vu la tendance nouvelle que l'on
paraît vouloir faire prendre à la négociation, et dans cet état de choses, il
éprouve le besoin de rappeler à LL. EE. quelques-uns des actes posés, tant par
elles que par lui et son gouvernement, afin de replacer la question sur son
véritable terrain. »
Vous vous
rappellerez, messieurs, que le général Goblet notre plénipotentiaire avait
exprimé la volonté de la nation, du gouvernement belge, et qu’il a réitéré ses
demandes relativement à la navigation de l’Escaut et de la Meuse ; que surtout
il avait exprimé la ferme volonté où était le gouvernement de n’entrer en
négociation que lorsque le territoire serait évacué et que le traité du 15 novembre
serait exécuté.
Vous vous rappelez
la réponse de la conférence : cette réponse est évasive, et loin de mettre en
principe que l’on ne négociera plus jusqu’à ce que le territoire soit évacué,
elle dit que son intention est de faire des démarches près du roi Guillaume ;
aussi n’a-t-elle fait que des démarches.
A la suite de ces
démarches il y a eu celle du 6 juillet : 7 le juillet, M. Goblet a remis la
note dont je viens de faire lecture.
Ainsi, le 7
juillet, notre plénipotentiaire à Londres exprime son sensible regret, son vif
regret, que la conférence dévie de la marche qu’elle avait suivie, de sa
tendance à entrer dans des voies nouvelles. Je crois, messieurs, que le
ministre des affaires étrangères doit connaître aujourd’hui, 18 juillet, en
quoi la conférence déviait de la voie qu’elle avait suivie d’abord ; c’est ce
qu’il est important de savoir.
Le volumineux
rapport qu’on nous a fait est tellement insuffisant, que par son insignifiance
même il nous montre tout le danger que nous avons à craindre de la conférence.
Ma motion a pour
but de demander que le ministre s’explique. Il faut en effet que nous ayons des
explications.
Il
n’est pas possible qu’il ne connaisse pas la voie nouvelle dans laquelle la
conférence veut entrer. On nous sépare aujourd’hui précisément parce que l’on
suit la voie nouvelle que suit la conférence, et parce qu’on veut empêcher des
discussions qui pourraient avoir lieu dans la chambre des représentants et qui
pourraient gêner le gouvernement.
Ceci suffit pour
motiver ma proposition tendant à inviter le ministre des affaires étrangères à
se rendre au milieu de nous pour répondre à nos interpellations sur des faits
qui intéressent la nation.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Je n’ai aucun motif pour m’opposer à ce que M. le
ministre des affaires étrangères soit invité à se rendre dans le sein de la
chambre des représentants, pour donner les explications que le préopinant a
demandées ; mais il y aurait quelque chose d’anticonstitutionnel à refuser de
m’entendre, en ce sens que la clôture des sessions est une et indivisible.
Déjà l’arrêté de
clôture a été communiqué au sénat par M. le ministre des finances. Etant chargé
par le Roi de communiquer le même arrêté à la chambre des représentants, il y
aurait suspension de mon devoir et attaque aux droits constitutionnels des
conseillers de la couronne si l’on refusait de me donner la parole. Sans cette
considération je n’aurais aucun motif à m’opposer à la proposition de M.
Gendebien.
M. Dumortier.
- Messieurs, je ne suis pas de l’avis de M. le ministre que, parce que la
ratification de l’ordonnance de clôture a été faite à une chambre, toute
discussion soit interdite à l’autre. Il est vrai que la constitution donne au
Roi le droit de dissoudre les chambres quand il le trouve bon, mais il est des
circonstances telles qu’il y aurait inconvenance de prononcer cette dissolution
sans donner aux représentants de la nation les apaisements qu’ils sont en droit
de demander sur la marche des affaires du pays. Nous nous trouvons dans une
position très critique, les hostilités sont au moment d’être reprises, nous
allons revenir auprès de nos commettants, et que leur dirons-nous ? En
Angleterre, il est des circonstances où les mandataires du pays sont renvoyés
auprès de leurs commettants pour qu’ils soient à même de consulter l’opinion
publique sur telle ou telle mesure importante. Ici il ne s’agit pas de nous
renvoyer pour consulter nos commettants, mais on nous renvoie en nous laissant
dans l’impossibilité de leur rien dire de rassurant. Je vous le demande : quand
nous serons rentrés dans nos foyers, que dirons-nous à nos concitoyens qui nous
demanderont : Est-ce la paix ? est-ce la guerre ? Non, c’est de la diplomatie,
toujours de la diplomatie. Dans ces circonstances, je le répète, il serait de
la plus haute inconvenance de nous renvoyer sans nous donner quelques
explications.
Messieurs, un des
journaux les plus répandus du pays, et qui a paru ce matin, vient de publier une
note de laquelle il résulterait que nous serions encore victimes de nouvelles
déceptions ; il faut savoir si le contenu de cette note est exact, comme nous
n’avons que trop de raisons de le craindre. Je crois donc qu’il convient que M.
le ministre des affaires étrangères se rende dans cette enceinte, et dissipe
nos doutes et calme les inquiétudes bien légitimes de l’assemblée.
M. le président. - Messieurs, l’honorable M. Gendebien a fait une motion tendant à ce
que M. le ministre des affaires étrangères se rende dans le sein de l’assemblée
; d’un autre côté, M. le ministre de l’intérieur demande de pouvoir donner
connaissance à la chambre de l’arrêté de clôture pris par le Roi en vertu de
l’article 70 de la constitution. Dans une pareille occurrence, je dois
consulter l’assemblée pour savoir si elle juge à propos d’inviter M. le
ministre des affaires étrangères à se rendre dans son sein, ou si elle veut
accorder la parole à M. le ministre de l’intérieur.
Plusieurs voix. - L’appel
nominal ! l’appel nominal !
M. Helias
d’Huddeghem. - Mais il n’y a
pas d’opposition.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Je crois de mon devoir de faire remarquer que le
vote sur une pareille question serait tout à fait contraire à la constitution.
M. Gendebien. - Messieurs, il est vraiment édifiant de voir le
ministère accuser d’inconstitutionnalité une motion d’ordre qui tend à empêcher
qu’on ne clôture la session avant que nous ayons les éclaircissements que la
nation est bien en droit de demander et d’obtenir, et c’est au moment de
terminer une session dans laquelle on n’a pas craint de commettre plusieurs
inconstitutionnalités qu’on vient mettre en avant de tels scrupules ! Je vous
laisse à juger, messieurs, ce qui est plus inconstitutionnel, de ma motion
d’ordre ou du procédé du ministère. Mais cette inconstitutionnalité, que vous
dit-on pour l’établir ? La clôture des chambres est indivisible,
la clôture a été notifiée au sénat, elle est censée notifiée ici. Ce qui prouve
l’absurdité de cette prétention, c’est que le ministre est obligé de faire
connaître l’arrêté de clôture d’abord dans une chambre et ensuite dans l’autre.
Sous la constitution du royaume des Pays-Bas où les deux chambres devaient se
réunir pour entendre la lecture de l’ordonnance de clôture, que cette clôture
fut indivisible, je le conçois : mais sous notre constitution elle est
divisible, et elle est par le fait divisée. Vous voyez donc que, quand les
ministres parlent d’inconstitutionnalité, c’est une véritable dérision ; qu’ils
se rassurent, ce n’est pas nous qui commettrons des inconstitutionnalités, et
quand la constitution a été attaquée, nous avons su la défendre par d’autres
moyens que ceux qu’ils emploient aujourd’hui. (Aux voix ! aux voix ! L’appel nominal !)
M. Leclercq. - Je demande la parole ; je ne peux pas m’expliquer
sur quelle question on procéderait à l’appel nominal, à moins qu’on ne me dise
s’il est décidé que la clôture de la session est prononcée oui ou non.
M. le président. - La session n’est pas close, mais M. le ministre de l’intérieur m’a
fait prévenir avant la séance qu’il avait à communiquer à la chambre l’arrêté
de clôture.
M. Dumortier.
- Il y a un ordre du jour, c’est le projet de loi sur les distilleries.
Plusieurs membres. - Non ! non !
M. Dumortier.
- En présence des événements actuels, il serait fort inconvenant aux ministres
de refuser des explications ; ce serait là un véritable coup d’Etat propre à
jeter le trouble parmi la nation.
M. le président. - Le préopinant est dans l’erreur : la chambre a été
convoquée pour entendre les notifications qui lui seraient faites par le sénat relativement aux lois que nous
lui avons renvoyées, mais non pas pour délibérer sur de nouvelles lois. Il est
vrai que le billet porté par le huissier n’est pas parfaitement exact,
cependant tel a été le but de la réunion de ce jour ; hier l’assemblée en a été
prévenue. C’est dans l’incertitude où l’on était que le sénat adoptât les lois
sans amendements que la chambre les représentants a été convoquée pour
délibérer, s’il y avait lieu, sur les modifications qu’aurait proposées le
sénat à ces lois.
M. Barthélemy. - Je mets à part la question de constitutionnalité.
Il y a huit jours que le ministre des affaires étrangères a lu la note objet de
la motion d’ordre ; on lui a fait alors des interpellations, il y a répondu. Je ne crois pas qu’on puisse
revenir sur la discussion qui eut lieu.
- En ce moment M.
le ministre de l’intérieur sort de la salle pour envoyer chercher M. le
ministre des affaires étrangères.
M. Nothomb.
- La question n’en est pas une : si le ministre eût insisté, s’il était monté à
la tribune, s’il eût lu l’article de clôture, tout était consommé. Il a annoncé
l’intention de clore la session ; mais l’intention n’est pas la clôture même :
dès lors la chambre est constituée ; dès lors nous continuons à exercer toutes
nos prérogatives.
D’après la motion
d’ordre de M. Gendebien, il s’agit de savoir si le ministre des affaires
étrangères sera entendu, oui ou non ; je ne m’oppose pas à l’appel nominal,
mais il n’y a pas ici de question préjudicielle, de question de
constitutionnalité.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - J’ai déjà eu l’honneur de dire que j’étais chargé
d’une mission de la part du Roi, que je voulais remplir mon devoir, que dès
lors je devais obtenir la parole. C’est là qu’est la question. De nouveau, je
demande la parole pour remplir le devoir qui m’est imposé (bruit) ; aux termes de la constitution, un ministre est entendu
chaque fois qu’il le demande ; je demande à être entendu.
M. Gendebien. - Messieurs, le ministre a des devoirs à remplir
comme représentant ici le pouvoir exécutif, ou, si l’on veut, une des trois
branches du pouvoir législatif ; mais nous, représentants de la nation,
constituant un pouvoir dans l’Etat, nous avons des devoirs à remplir envers nos
commettants : le public jugera laquelle des deux réclamations est la plus
conforme à la justice et à ses intérêts, celle du ministre ou la nôtre.
Le ministre
demande la priorité : un ministre, quand il est dans cette assemblée, est
soumis aux règles de l’assemblée.
Dans le règlement,
tonte motion d’ordre doit avoir la priorité ; le ministre ne peut donc invoquer
la priorité puisque telle est la règle.
M. le ministre de
l’intérieur (M. de Theux).
- Ce n’est pas dans le règlement que je cherche la règle que je dois suivre
pour remplir mon devoir ; c’est dans la constitution. L’article 88 dit : Les
ministres doivent être entendus quand ils le demandent. Si dans ce moment,
j’insiste pour exécuter ma mission, ce n’est pas que le gouvernement ait aucun
motif particulier pour ne pas répondre aux questions qui sont faites, mais
c’est que je veux remplir mon devoir.
M. d’Huart. - L’article
88 dit, paragraphe 2 : « Les ministres ont leur entrée dans chacune des
chambres, et doivent être entendus quand ils le demandent. » Cependant le
ministre fera bien de réfléchir avant de prendre la parole : ce serait un coup
d’Etat que de clore la session sans avoir répondu à M. Gendebien. Nous
retournons chez nous, on nous demandera en vain où en sont nos affaires si on
garde le silence. Je crois que les questions de M. Gendebien exigent une
réponse.
M. Osy. - Je pense que le ministre doit être entendu sur les
objets à l’ordre du jour, quand il le demande ; que c’est là le sens de
l’article 88 de la constitution. Il y a une question faite ; il faut y répondre
: le ministre demande la parole, qu’on la lui donne pour obtenir une réponse.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Le pouvoir législatif est un et indivisible ; il
est certain qu’une chambre ne peut pas prendre de résolution quand la session
est close dans l’antre chambre, ceci est évident.
Il ne s’agit pas
ici de coup d’Etat ; le ministre des affaires étrangères vous a fait des
communications il y a peu de temps ; il a assisté à la séance d’hier ; vous
pouviez alors lui demander tout ce que vous croyez avoir à lui demander. La
session est close dans l’autre chambre, il est de mon devoir de remplir la
mission dont le Roi m’a honoré, et, je le répète, il n’est pas question de coup
d’Etat.
M. Dumortier.
- Je ferai observer à M. le ministre qu’il ne s’agit pas de prendre une
résolution quand l’autre chambre n’existe plus, mais seulement d’obtenir des
explications sur l’état des négociations et sur ce que le gouvernement entend
faire à ce propos. On a invoqué la constitution pour clore la session et pour
nous refuser les éclaircissements que nous avons le droit d’obtenir ;
messieurs, il y a quelque chose qui est au-dessus de toutes les constitutions
du monde, c’est l’opinion publique. Or que dira l’opinion publique en voyant un
ministre fermer la bouche aux représentants du pays et refuser de répondre à
leurs interpellation ? Quel effet produira sur elle le mutisme du ministère ?
Messieurs, je laisse au ministère la responsabilité de cette démarche, mais je
crois qu’il était dans son intérêt et dans l’intérêt de notre monarchie
naissante de clore cette session, pendant laquelle la chambre s’est montrée si
dévouée, si constamment prête à seconder le gouvernement, qui n’a pas hésité un
seul instant à lui accorder des hommes et de l’argent ; il est tout à fait
inconvenant de nous dire : Retournez dans vos foyers, et si on vous demande ce
que le gouvernement se propose de faire, vous n’aurez
rien à dire.
Messieurs, comme
je le disais en commençant, il y a une loi supérieure à toutes les lois, c’est
celle du salut du pays, et je crois que le salut du pays exige au moins, dans
les circonstances critiques où nous nous trouvons, que les représentants de la
nation sachent ce que vont devenir les affaires dans ses mains du ministère, et
comment ce ministère entend les traiter.
M. Milcamps. - Messieurs, la question me paraît extrêmement
grave. D’une part, la constitution donne au Roi le droit de clore la session
des chambres, et elle ne fixe pas le moment où il peut user de cette
prérogative ; il s’ensuit qu’il peut en user quand il lui plaît et faire
prononcer la clôture de la session, même au milieu d’une discussion. D’un autre
côté, un ministre peut demander la parole quand bon lui semble, et d’après la
constitution nous ne pouvons la lui refuser. Si donc le ministre, qui doit être
entendu quand il le demande, insiste en ce moment pour obtenir la parole, nous
sommes obligés de l’entendre et rien ne peut l’empêcher de lire l’arrêté de
clôture. Voilà, je pense, la seule manière d’interpréter sainement la
constitution et de résoudre la question qui s’agite.
M. d’Elhoungne. - Que le Roi ait le droit de clore la session quand
il lui plaît, c’est un droit que personne ne songe à lui contester. Mais si,
avant que le ministre ou le commissaire du Roi chargé de notifier à la chambre
l’arrêté de clôture ne l’ait déposé sr le bureau, la chambre a entamé une
discussion, on ne peut l’empêcher de la vider…
- En ce moment. M.
le ministre des affaires étrangères entre dans la salle et va prendre place au
premier banc de gauche.
M. d’Elhoungne. - … et le ministre ne peut pas, sous prétexte du
droit qu’il a d’obtenir la parole, changer l’objet de la discussion : quand le
ministre demande à être entendu, ce ne peut être pour un objet étranger à la
discussion. D’ailleurs je crois que les convenances parlementaires exigent,
quand nous demandons des explications sur la situation du pays, qu’on nous les
donne, et je pense sans autre débat que, puisque M. le ministre des affaires
étrangères est maintenant présent, il n’hésitera pas à nous donner cette
satisfaction.
M. Devaux. - Messieurs, je ne suis pas partisan de la clôture de
la session ; moi aussi j’aurais désiré qu’elle se prolongeât encore, quoique
tous nous devions être fatigués d’une session aussi longue : mais le fait de la
clôture est moins le fait du gouvernement que celui des membres eux-mêmes,
puisqu’on a vu dans les dernières séances combien nous avions de peine à nous
compléter : Mais il faut être juste : quand hier encore des interpellations ont
été adressées au ministère et qu’il y a répondu, il ne devait pas s’attendre à
ce qu’on lui en adressât de nouveau aujourd’hui. Le gouvernement a notifié
l’arrêté de clôture au sénat : pour cette chambre tout est consommé ; je le
regrette, mais enfin la chose est faite et il faut qu’à son tour la chambre des
représentants entende la lecture de l’arrêté. Quant à la question de droit,
elle ne saurait, selon moi, faire de difficulté et elle est résolue très
clairement par la constitution. Il est évident que le Roi
a le droit de dissoudre les chambres quand il veut ; il peut le faire au milieu
d’une discussion, à chaque instant, de quoi qu’il s’agisse, et le ministre
chargé de faire la notification aux chambres doit toujours être entendu. Je
regretterais cependant que le ministère refusât de répondre aux nouvelles
interpellations qui lui sont faites ; il le doit par esprit de conciliation,
mais s’il insistait encore, il faudrait bien se rendre ou poser ainsi la
question : La parole sera-t-elle interdite à M. le ministre ?
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - Je demande la parole pour mettre un terme à cette
discussion qui me paraît assez oiseuse.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Puisque M. le ministre des affaires étrangères est ici,
je n’insisterai pas ; mais jusque là j’ai cru devoir me conformer aux ordres du
Roi.
M. le ministre des
affaires étrangères (M. de Muelenaere). - L’arrêté de clôture met un terme à toute discussion
; toutefois, comme une question vient d’être faite par M. Gendebien, je vais
tâcher de répondre à sa demande.
Il pense, je
crois, que des pièces ou que des actes ont été communiqués au gouvernement ;
que ces pièces ou ces actes sont arrivés à Bruxelles…
Plusieurs membres. - Non ! non ! ce n’est pas cela dont il s’agit.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de
Muelenaere).
- Je n’étais pas ici quand la question a été posée....
M. Gendebien. - J’ai
signalé la note adressée par M. Goblet, le 7 juillet, à la conférence, et dans
laquelle il se plaint que la conférence ait changé de système.
Voici le passage…
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - Je le lirai.
M. Gendebien
relit tout haut le passage de la note, passage que nous avons reproduit dans
son premier discours puis il ajoute. - Je demande que le ministre veuille bien
nous dire quel est le terrain nouveau, cette voie nouvelle où s’engage la
conférence.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de
Muelenaere).
- Messieurs, la communication de cette note ne m’a été faite qu’à la fin du
rapport que j’ai eu l’honneur de soumettre à la chambre, et elle prouve que je
n’ai voulu mettre dans ce rapport aucune réticence, ni aucune dissimulation. Je
vous l’ai présentée. Il résulte en effet de cette note que la conférence
paraissait avoir voulu changer de tactique le jour précédent. Ce fut le 6
juillet que M. Goblet fut appelé dans le sein de la conférence : vous
connaissez le système du gouvernement professé dans cette enceinte ; évacuation
du territoire préalable à toute négociation ultérieure sur les articles
susceptibles de discussion. C’est le système que M. Goblet a constamment
soutenu à la conférence.
Si
je ne me trompe, dans sa séance du 6, la conférence aurait désiré que
l’évacuation du territoire n’eût lieu qu’après que l’on fût tombé d’accord sur
l’exécution des articles qui, aux termes même du traité du 15 novembre, sont
susceptibles de quelques modifications ou de quelques explications. C’est
contre cette interprétation de la conférence, interprétation nouvelle,
entièrement opposée au sens du protocole n°65, qu’est dirigée la note de M.
Goblet. Et je crois pouvoir donner l’assurance à l’assemblée que tout ce qui
avait été arrêté précédemment, et tout ce qui avait été arrêté le 6 juillet, a
été anéanti, a été détruit par suite de la note de M. Goblet et de l’intention
qu’il a manifestée de persister dans le système du gouvernement. De sorte que
s’il existe des actes de la conférence ils ne peuvent être que postérieurs à
cette époque : je ne les connais pas, je n’en ai reçu aucune communication
officielle ni officieuse. Si j’en avais reçu, je me serais fait le plaisir de
les communiquer à la chambre.
M. Dumortier.
- Je ferai observer qu’un journal annonce ce matin que, le 16 de ce mois, c’est-à-dire
depuis la note du juillet, un protocole nouveau a été fabriqué par la
conférence, en vertu duquel le roi Guillaume est invité à signer les 24
articles, et ce protocole décide que néanmoins il ne sera obligé à l’évacuation
des territoires contestés, qu’après le traité définitif à intervenir entre la
Belgique et la Hollande. Vous voyez que d’après ce protocole il y a un traité
définitif à intervenir ; d’où la conséquence que tout ce que nous avons fait
jusqu’ici n’est que provisoire et ne signifie rien du tout. J’aurais voulu
qu’avant de nous retirer nous pussions avoir communication de ce nouveau
protocole ; ce n’est pas au moment où un traité définitif nous menace, quand on
nous protocolise encore à Londres, et quand on va nous faire des propositions
vingt fois plus destructives sans doute de notre prospérité que toutes celles
qu’on a faites précédemment, ce n’est pas, dis-je, dans ce moment qu’on devrait
nous faire retourner chez nous. Je rappellerai à M. le ministre des affaires
étrangères les promesses qu’il nous a faites de ne jamais consentir à un traité
à intervenir, tant que les 24 articles n’auraient pas été ratifiés par la
Hollande et le territoire évacué. Je lui rappellerai toutes les promesses du
gouvernement de recourir à la voie des armes si on voulait nous entraîner dans
de nouvelles négociations. Je lui signalerai surtout un point important et sur
lequel toute concession est impossible ; je veux parler du port d’Anvers et de
l’Escaut. La question de l’Escaut se compose de quatre points importants,
savoir :
1° Le droit de la
navigation libre du fleuve ; 2° le droit de balisage ; 3° le pilotage ; et 4°
le droit de visite. Si un seul de ces droits était laissé dans les mains de la
Hollande, c’en serait fait de la prospérité de la Belgique ; l’Escaut serait
fermé comme au temps de l’Autriche, et le port d’Anvers serait ruiné, au grand
avantage des ports d’Amsterdam et de Rotterdam ; c’est là, messieurs, le but
que veut atteindre le roi Guillaume. Il faut donc que le gouvernement se montre
inflexible sur ce point, et pour cela il ne faut pas prêter l’oreille aux
propositions insidieuses qu’on ne manquera pas de nous faire.
Je désirerais
vivement que M. le ministre des affaires étrangères nous dit ce qu’il entend
faire à cet égard ; je désire vivement aussi qu’il nous dise où en sont les
négociations touchant le brave l’excellent et digne citoyen M. Thorn. L’infâme
guet-apens dont il a été victime est un véritable cas de guerre, il est temps
qu’on prenne des moyens pour obtenir réparation ; il faut que le gouvernement
fasse enfin respecter la dignité du peuple belge, et ce n’est pas en nous
prosternant humblement devant la conférence que nous nous ferons respecter,
c’est en prouvant que nous savons, quand il le faut, adopter des mesures énergiques.
J’ai entendu dire que la conférence avait refusé la note du 29 juin ;
d’un autre côté, la confédération germanique a répondu, quant à M. Thom,
qu’elle consentirait à ce qu’il fût relâché si le gouvernement belge relâchait
les individus de la bande Tornaco. Messieurs, il y a quelque chose d’infamant
pour la Belgique dans une telle réponse. Comment ! on assimile un citoyen
recommandable et sans reproche à des brigands qui ne se sont signalés que par
le pillage et l’assassinat, et qui ne seront jamais châtiés comme ils l’ont
mérité. J’espère bien que le gouvernement ne consentira jamais à un échange
aussi humiliant, et que c’est par d’autres moyens qu’il obtiendra la mise en
liberté d’un membre de la représentation nationale. Je désire vivement que M.
le ministre des affaires étrangères s’explique sur tous ces points, et qu’il
nous dise s’il a connaissance du protocole du 10 juillet et si les termes sont
tels que par eux toutes nos affaires soient remises en question.
M. le ministre des
affaires étrangères (M. de Muelenaere). - La note de M. Goblet est sous la date du 7 juillet
; cette note fait allusion à ce qui s’était passé la veille et les jours
précédents dans la conférence. Le protocole dont parle l’honorable préopinant
est du 10, de manière que la note de M. Goblet paraît avoir anéanti toutes les
pièces antérieures à l’époque du 7, et que s’il existe des actes de la
conférence, ils sont postérieurs à cette époque. S’il existe un protocole du 10
juillet, il est inutile de dire que je n’en ai aucune connaissance, et si ce
protocole n’est pas conforme au système du gouvernement, vous savez, messieurs,
ce qu’en fera le gouvernement.
Quant aux autres
observations qui ont été présentées par l’honorable préopinant sur la position
de M. Thorn, j’ai déjà eu l’honneur de vous dire que je regrette aussi vivement
que lui que la détention de cet honorable citoyen se prolonge autant ; mais je
pense, messieurs, qu’il faut enfin arriver au dénouement, à une solution de
cette question-là, comme de toutes les autres.
M. Gendebien. - Si j’ai bien compris les dernières paroles de M. le
ministre et si je dois y ajouter foi, ce à quoi je suis disposé, je pourrais me
dispenser de lui répondre sur les autres observations qu’il a présentées ; mais
l’expérience du passé nous commande de nous tenir en garde pour l’avenir.
Depuis 18 mois on nous a souvent tenu un langage ferme et énergique ; mais
quand le moment d’agir est arrivé, on a toujours reculé et tergiversés. C’est
ce que je veux éviter désormais à mon pays, puisque j’ai contribué à tirer de
la poussière des siècles le beau nom belge ; si j’avais pu croire qu’il n’en
fût sorti que pour se vautrer dans la boue et pour se tramer dans les
antichambres des cours, je me serais bien donné de garde d’exposer ma tête pour
le tirer de la poussière où il était enfoui. Ce ne sont donc plus des paroles
ni des promesses qu’il nous faut aujourd’hui, il faut du positif.
Le 29 juin, M.
Goblet a présenté une note à la conférence, dans laquelle il déclare que la
Belgique n’admettra aucune négociation jusqu’à l’évacuation du territoire par
la Hollande. Eh bien ! depuis la remise de cette note, le protocole du 10
juillet est intervenu, par lequel la note du 29 juin a été restituée. Voilà,
messieurs, une preuve de la confiance que nous devons avoir dans les paroles du
ministre, qui nous avait assuré que par la note du 11 juin la conférence avait
admis en principe l’évacuation du territoire.
Maintenant on vous
dit qu’on ne connaît pas ce protocole. Eh bien, de deux choses l’une : ou on
n’a pas communiqué ce protocole à M. Goblet, et alors c’est la conférence qui
nous dupe, qui nous méprise au point de croire pouvoir faire nos affaires sans
nous ; ou bien c’est notre plénipotentiaire qui a mis de la négligence à
instruire le gouvernement de ce qui se passe ; ou bien enfin le ministre des
affaires étrangères nous trompe, quand il nous dit qu’il ne connaît pas ce
protocole : comment en effet peut-il se faire qu’un protocole daté du 10 juillet
ne soit pas connu à Bruxelles le 18, et que ce soit des journaux étrangers qui
nous apprennent son existence ? Cela est inconcevable et affligeant tout à la
fois, car il résulte de tous ces protocoles et particulièrement du dernier que
nous sommes liés, et vis-à-vis de la conférence et vis-à-vis du, roi Guillaume,
et que le roi Guillaume n’est pas lié envers nous. Ainsi il lui serait loisible
de nous forcer à attendre, l’arme au bras, son ultimatum qui pourrait se faire
attendre longtemps encore.
Il faut qu’on en
finisse une fois pour toutes. Ce rôle est trop ignoble pour le peuple belge.
S’il y a déception de la part de la conférence, et alors il faut rompre avec
elle, qu’avez-vous à espérer en négociant encore ? Un nouveau traité qui ne
tardera pas à devenir un fait consommé pour vous, et dont le roi Guillaume ne
fera pas plus de cas que de tous les autres, et quand nous serons épuisés, quand les nations étrangères auront conçu pour nous
le dernier degré d’un mépris que nous méritons aujourd’hui en partie, qu’attendrez-vous
d’elles ? De la sympathie ? Non, mais elles se ligueront peut-être contre vous
pour vous rayer de la liste des nations, et vous l’aurez mérité par votre
inertie. Qu’on en finisse donc ; et si l’on n’a pas assez d’énergie pour
s’opposer aux prétentions toujours croissantes des puissances absolues, qu’on
se résigne à subir le sort qui nous menace : la nation s’y préparera, et elle
saura le supporter avec dignité. Elle retrouvera peut-être aussi cette énergie
qui la fit vaincre dans les journées de septembre et se sauver toute seule,
autrement que par la diplomatie. Si on savait, si on voulait profiter des
circonstances où nous sommes, la sympathie des peuples est encore pour nous ;
bientôt la cause de la Belgique et celle de la France ne feraient qu’une avec
celle des peuples d’Allemagne ; et en faisant un appel à l’énergie, soyez
tranquilles, messieurs, les rois absolus se trouveraient à leur tour dans la
fausse position où ils ont voulu nous placer depuis dix-huit mois.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de
Muelenaere).
- Messieurs, il m’est impossible de raisonner sur les expressions d’un
protocole que je ne connais pas. S’il était vrai que le protocole n°67
restituât à M. Goblet une note qu’il avait remise, comme la restitution ne peut
avoir lieu que par une notification, je dis que la notification aurait dû avoir
lieu postérieurement au 15 de ce mois ; car la restitution de la note aurait
dû…
M. Gendebien. - Je ne dis pas restituer, je dis refuser.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de
Muelenaere).
- C’est la même chose.
M. Gendebien. - Vous devez en avoir connaissance.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de
Muelenaere).
- Il n’y a eu ni refus, ni restitution depuis le 15 de ce mois.
(Erratum inséré au Moniteur belge n°203, du 21 juillet
1832 : Dans la séance de clôture, la dernière fois que M. le ministre des affaires
étrangères prend la parole, on lui fait dire : « Il n’y a eu, ni refus, ni
restitution depuis le 15 de ce mois, » tandis qu’il a dit : « Il n’y
a eu, ni refus, ni restitution jusqu’au 15 de ce mois. »)
De toutes parts. - C’est bien ! c’est bien ! c’est bien !
M. le président. - La discussion est close ; la parole est à M. le ministre de
l’intérieur.
CLOTURE DE LA SESSION
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Messieurs, le Roi m’a chargé de vous présenter
l’arrêté portant clôture de la session des chambres pour l’an 1831. Voici cet
arrêté :
« Léopold,
Roi des Belges, etc.
« Vu l’art.
70 de la constitution, de l’avis de notre conseil des ministres, nous avons
arrêté et arrêtons ce qui suit :
« Art. 1er.
La session de 1831 de la chambre du sénat et de la chambre des représentants
est close.
« Art. 2. Le
présent arrêté sera porté à la chambre du sénat par notre ministre des
finances, et à la chambre des représentants par notre ministre de l’intérieur.
« Donné à
Bruxelles, le 18 juillet 1832.
« Léopold. »
M. le président donne acte de la communication et déclare la session de la chambre des
représentants close.
La séance est
levée à deux heures, aussitôt après la communication.