Accueil Séances plénières Tables des matières Biographies Livres numérisés Bibliographie et
liens Note d’intention
Séance précédente Séance suivante
Chambre des représentants de Belgique
Séance du mercredi 4
juillet 1832 (partim)
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre
2) Projet
de loi portant création de l’ordre Léopold (d’Elhoungne,
de Muelenaere, de Robaulx,
Leclercq, F. de Mérode, de Muelenaere, d’Elhoungne,
Brabant, Dumortier, Van Meenen, Dumortier, H. de Brouckere)
3) Proposition de loi portant abolition de la peine de mort (H. de Brouckere, Gendebien, de Robaulx, Destouvelles, Helias d’Huddeghem, Raikem)
(Note du webmaster : la fin
de la séance n’est pas disponible dans les sources à notre disposition)
(Moniteur belge n°188, du 6 juillet 1832)
(Présidence de M. de Gerlache.)
A une heure, on
procède à l’appel nominal.
PROJET DE LOI PORTANT CREATION DE L’ORDRE
LEOPOLD
Discussion des articles
Article premier
L’ordre du jour
est la suite de la discussion du projet de loi tendant à établir un ordre
national.
M. le président. - Vous avez adopté hier l’amendement de M. Leclercq
; vous savez qu’il est ainsi conçu :
« Il est créé
un ordre militaire, destiné à récompenser les services éminents rendus à la
patrie.
« Il porte le
titre d’ordre de Léopold. »
M. Van Meenen. - Mais la rédaction n’en a pas été mise aux voix.
M. le président. - Il a été adopté par appel nominal.
Article 2 à 4
« Art. 2. Le
Roi est grand-maître de l’ordre. »
- Adopté sans discussion.
_______________
« Art. 3.
L’ordre se divise en quatre classes :
« Les membres
de la première portent le titre de grand-cordon ;
« Ceux de la
seconde, celui de commandeur ;
« Ceux de la
troisième, celui d’officier ;
« Ceux de la
quatrième, celui de chevalier. »
- Adopté sans
discussion.
________________
« Art. 4. Les
nominations de l’ordre appartiennent au Roi.
« Aucune
nomination ne peut avoir lieu que par arrêté royal, précisant les motifs pour
lesquels l’ordre est décerné. Cet arrêté devra être inséré textuellement au Bulletin des Lois. »
- Adopté sans
discussion.
Article 5
« Art. 5.
Sera soumis à une réélection, tout membre des chambres qui accepte l’ordre avec
un autre titre que pour motifs militaires. »
M. Dumortier,
rapporteur de la section centrale. - Cet article tombe par suite du rejet de
l’ordre civil.
- L’article 5 est
rejeté.
« Art. 6. La
devise de l’ordre est la même que celle du pays : L’Union fait la force. Les statuts intérieurs et la forme de la
décoration sont déterminés par un arrêté royal. »
M. d’Elhoungne. - Je demanderai à M. le ministre ce que l’on entend
par statuts intérieurs ? Entend-on par là une chancellerie et cette
bureaucratie si coûteuse en France ? Ou bien entend-on par là quelques formes
réglementaires pour la réunion des membres de l’ordre ? S’il s’agit d’établir
de nouvelles charges pour le peuple par une chancellerie, je ne puis admettre
la disposition. Les matricules des membres de l’ordre peuvent être fort bien
tenues dans un bureau du ministère et par un simple employé.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de
Muelenaere).
- Je crois que par ces mots : « statuts intérieurs, » il ne faut
entendre autre chose, sinon la forme de la décoration militaire, la couleur du
ruban et les règlements intérieurs de police. Quant à ce que paraît redouter
l’honorable orateur, comme les frais de l’ordre doivent être portés au budget,
la chambre peut remédier aux dépenses trop fortes en refusant les allocations
nécessaires qui seraient demandées. Il est évident qu’une administration
coûteuse et extraordinaire comme celle dont a parlé l’orateur ne peut convenir
au pays.
M. de Robaulx. - Y aura-t-il des croix en diamants ?
M. Leclercq. - Les mots « statuts intérieurs » me
paraissent inutiles s’il ne s’agit que de règlements, car le Roi a le droit de
faire les règlements et de prendre les arrêtés pour l’exécution des lois ; si
ces statuts sont des règles qui établissent des obligations pour les membres de
l’ordre, ces obligations doivent être dans la loi. Il faut se borner à dire
: « La forme de la décoration est déterminée par un arrêté
royal. »
M. F. de Mérode. - On peut régler combien d’années il faut être dans
un grade pour obtenir un grade supérieur. Il y a d’autres choses encore à
régler.
M. Leclercq. - L’honorable préopinant ne m’a pas compris ou je me
suis mal exprimé : s’il faut des règlements pour l’exécution de la loi, il est
inutile d’en parler, car le Roi doit faire ces règlements pour toutes les lois
; mais s’il faut imposer des obligations aux membres, c’est à la loi à les
imposer. A qui bon parler de la forme de la décoration ? Il va de soi-même
aussi que le Roi a le droit de dire qu’il conférera l’ordre dans tel ou tel
cas.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de
Muelenaere).
- Je vous ai dit quel sens il fallait attacher à ces mots : « statuts
intérieurs. » Les statuts peuvent être déterminés par le pouvoir exécutif
sans que cela soit dans la loi ; aussi je n’attache pas d’importance à ces
mots.
M. Gendebien. - Je demande la parole.
M. le président. - M. le ministre consent au retranchement.
- L’amendement de
M. Leclercq est adopté ; l’article 6 réduit à ces termes : « La devise de
l’ordre est la même que celle du pays : l’Union fait la force » est mis
aux voix et adopté.
Article 7
« Art. 7.
Tout militaire d’un grade inférieur à celui d’officier, et qui est membre de l’ordre,
jouit d’une pension annuelle, inaliénable et insaisissable de cent francs.
« Cette
pension n’est pas incompatible avec une pension acquise avec un autre titre.
Elle cessera si le militaire est promu au grade d’officier dans l’armée.
« Il est
porté chaque année, au budget, une somme affectée à cette dépense, ainsi qu’aux
autres frais relatifs à l’ordre. »
- Article adopté
sans discussion.
« Art. 8. La
qualité de membre de l’ordre et la pension qui y est attachée se perdent ou
sont suspendues par les mêmes causes qui, d’après les lois pénales, font perdre
ou suspendent les droits de citoyen belge. »
M. d’Elhoungne. - Je conçois fort bien que la qualité de membre de
l’ordre se perde par les mêmes causes qui font perdre la qualité de citoyen
belge ; mais je ne comprends pas comment le membre de l’ordre peut être
suspendu par les mêmes causes qui suspendent la qualité de citoyen belge. Tout
ce qui touche à l’honneur est indélébile, et toutes les fois qu’on y a porté
atteinte, on ne peut en être relevé. L’autorité de Boileau doit être admise
ici. Il faut retrancher les mots « sont suspendus. »
M. Brabant.
- Il est des peines qui font perdre la qualité de citoyen ; il en est d’autres
qui ne font que la suspendre.
M. Dumortier.
- Il est des peines qui ne font que suspendre la qualité de citoyen : ainsi,
pour un banqueroutier les droits civils sont suspendus ; mais, quand il paie,
les droits civils lui sont rendus. La disposition a beaucoup perdu de sa force
par la suppression de l’ordre civil. Cependant un militaire peut se mettre dans
le commerce ; il peut lui arriver des malheurs et ne pas manquer à l’honneur
s’il finit par remplir ses engagements.
M. d’Elhoungne. - Je retire mon amendement.
- L’article 8 est
adopté sans modification.
« Art. 9. La
décoration d’aucun autre ordre que celui créé par la présente loi ne peut être
portée par des Belges sans l’autorisation du Roi. »
M. Van Meenen. - Je pense qu’il faudrait dire : « ne peut être
portée en Belgique ; » hors de la Belgique le Roi ne peut rien.
M. Dumortier.
- L’intention de la section centrale avait été de rédiger l’article comme on
vient de le proposer ; mais on a
réfléchi qu’il fallait ne pas restreindre le porte d’ordre étrangers. Les
agents diplomatiques peuvent être décorés par des souverains étrangers ; ils
sont hors de la Belgique, et il faut bien que le Roi les autorise à porter les
ordres qu’ils peuvent recevoir.
M. H. de Brouckere. - Nous ne
pouvons pas astreindre les étrangers à demander l’autorisation au Roi de porter
les décorations qu’ils ont obtenues chez eux ; les Belges, hors de la Belgique,
peuvent aussi porter des décorations étrangères sans autorisation ; je crois
qu’il faudrait dire : « ne peut être portée en Belgique par des
Belges. »
M. Gendebien. - Il ne faut prévoir le port de décorations qu’en
Belgique, parce que la souveraineté ne peut s’étendre au-delà des frontières.
Hors de son pays, un Belge peut porter un ruban jaune ou noir, comme il peut
porter un chapeau blanc ou noir.
M. H. de Brouckere. - Je retire mon amendement.
- L’article 9 et
dernier est adopté sans modification.
Plusieurs membres. - L’appel nominal ! l’appel nominal !
M. le président. - On ne peut pas voter aujourd’hui sur l’ensemble de
la loi. (A demain ! à demain ! à demain !)
PROPOSITION DE LOI PORTANT ABOLITION DE LA PEINE
DE MORT
La suite de
l’ordre du jour est le développement de la proposition de M. H. de Brouckere,
relative à l’abolition de la peine de mort.
M. H. de Brouckere. - Dans une de ses séances du mois de mai dernier, et
à l’occasion d’une loi qui lui était présentée par le gouvernement, la chambre,
à une grande majorité, s’est refusée, malgré l’insistance du ministère, à
comminer la peine de mort contre un crime qui jusque-là avait toujours été puni
du dernier supplice. Elle a fait plus : dans son impuissance de prononcer dès
lors l’abrogation complète de cette peine, impuissance que plusieurs orateurs
ont déplorée avec force, elle s’est du moins empressée de saisir cette
circonstance, pour l’effacer d’une disposition du code pénal, qui par sa nature
se rattachait à la loi en discussion.
C’était, on l’a
dit alors, c’était une pierre d’attente que la chambre posait ; elle
manifestait d’une manière non-équivoque son éloignement pour une peine vraiment
exorbitante et en dehors de nos mœurs. Après s’être ainsi expliquée, elle avait
quelque raison de s’attendre à ce qu’une proposition lui fût faite, qui la mît
à même, sinon de voter la suppression del a peine de mort, du moins de la
restreindre à un petit nombre de cas, d’empêcher qu’elle ne continuât à
souiller toutes les pages de notre législation pénale.
Six semaines se
sont écoulées, et aucune proposition ne vous est soumise ! Cependant, s’il faut
en croire certains bruits, qui s’accréditent de plus en plus, le gouvernement
serait à la veille d’ajourner la chambre. Dans une semblable occurrence, j’ai
cru de mon devoir de vous présenter le projet dont lecture vous a été donnée
dans une séance précédente, et que vous avez pu méditer à loisir.
Je n’ai point
aujourd’hui à défendre ma proposition, ni à entrer dans des développements qui
embrassent ses détails. Vous en exposer les motifs, vous en montrer toute
l’importance, et vous faire voir le danger qu’il y aurait à en trop reculer la
discussion, là se borne la tâche que j’ai à remplir ; peu de mots suffiront
pour m’en acquitter.
La suppression de
la flétrissure, celle de la mutilation mentionnée en l’article 13 du code
pénal, ne peuvent rencontrer chez aucun de vous, messieurs, la moindre
opposition. Cette double suppression, j’en suis certain, c’est d’une commune voix
que vous la prononcerez.
La mutilation
rappelle des temps de barbarie qui déjà sont loin de nous, et l’on s’étonne à
bon droit qu’à une époque où la civilisation avait fait d’aussi immenses
progrès, le législateur n’ait pas reculé devant l’idée d’une torture
inutilement cruelle, et dont on n’avait d’autre résultat à attendre que
l’indignation et l’honneur qu’elle doit inspirer à tout ce qui porte un cœur
d’homme.
La flétrissure est
encore une révoltante aggravation de peine qui, loin d’être avantageuse à la
société, ne peut produire que de fâcheux résultats. Le coupable est-il destiné
à finir sa vie dans les cachots ? A quoi le stigmatiser, le faire souffrir
gratuitement ? Doit-il quelque être rendu à la liberté ? Pourquoi donc lui
porter une marque ineffaçable d’infamie ? Est-ce pour qu’il soit repoussé de
tous, pour que, méprisé, en horreur partout où il se présente, il soit
contraint de rentrer dans le crime ? Tous vos soins devraient avoir pour but de
lui faciliter son retour à la vertu, et vous voulez qu’à chaque pas on lui
rappelle ses fautes passées et l’humiliation qu’il lui a fallu subir ! C’est à
l’aide d’un travail honnête qu’il doit, qu’il veut gagner sa vie, et, grâce à
cette fatale empreinte, il ne peut se présenter nulle part sans inspirer la
méfiance, sans être ignominieusement éconduit ! Je ne sais si l’on peut être
plus cruel ; mais plus inconséquent, je ne pense pas qu’il soit possible de
l’être.
Quant à la
déportation, son exécution est devenue impossible chez nous ; il suffit, pour
s’en convaincre, de jeter les yeux sur les articles 17 et 18 du code pénal, et
si une cour prononçait cette peine, et que le condamné se refusât à une
commutation, cette condamnation équivaudrait à un acquittement.
J’aborde
maintenant la question la plus grave que soulève ma proposition. Convient-il
d’abolir la peine de mort ?
N’attendez pas,
messieurs, que je vienne mettre sous vos yeux tous les arguments pleins de fore
et de raison, à l’aide desquels tant d’hommes célèbres, tant d’hommes instruits
et éclairés se sont élevés contre cette peine. Il n’est personne d’entre vous à
qui leurs ouvrages soient inconnus.
Je ne prétends
même point soutenir ici, dans un sens absolu, que jamais l’homme n’a le droit
de condamner son semblable à la mort ; non, messieurs, il le peut, selon moi,
quand la sûreté de la société l’exige, lorsque sans cela son existence serait
menacée ; et vous n’aurez sans doute pas manqué d’observer que moi-même je
propose de la laisser subsister pour certains crimes militaires, en temps de
guerre.
Mais je dis, et je
le prouverai, que bien loin que l’intérêt de la société réclame le maintien de
cette peine exorbitante, sauf peut-être dans quelques cas rares, cet intérêt
bien entendu la repousse et la condamne ; je dis qu’elle assure souvent l’impunité
au coupable, et que la perspective de l’échafaud n’arrête point l’homme prêt à
se livrer au crime.
Ces points ont été
l’objet d’une longue controverse entre les écrivains les plus distingués, et
l’on a vu des hommes d’un esprit supérieur, Montesquieu, Rousseau, Mably,
Filangrini, s’établir les défenseurs de la peine de mort ; ainsi aujourd’hui
plus une voix ne s’élève pour la soutenir ; elle est repoussée par la plus
imposante unanimité.
Veuillez
remarquer, messieurs, que ce ne sont plus seulement la raison et l’humanité qui
parlent en notre faveur ; l’expérience vient aussi plaider notre cause. Ainsi,
en Toscane, la peine de mort fut supprimée à une époque où cette contrée était
inondée de crimes, et il y eut dans le nombre des crimes une baisse progressive
telle que ceux-là même à qui on devait cette suppression n’eussent osé s’y
attendre. Par suite de circonstances qu’il est inutile de rappeler, elle fut
rétablie en 1795, contrairement à l’avis de tous les magistrats ; et bientôt
les crimes devinrent plus fréquents. Il y a plus, on put remarquer avec
certitude que les exécutions capitales, qui du reste y sont fort rares,
produisaient incontinent de funestes fruits. Ainsi, en 1818, une exécution eut
lieu à Pistole, et aussitôt des assassinats horribles se commirent dans les
environs mêmes de cette ville ; tant il est vrai que la vue des supplices, loin
d’effrayer l’homme, le rend plutôt dur et cruel. Je pourrai, quand le temps en
sera venu, vous communiquer à cet égard des pièces originales que je dois à la
confiance d’un honorable fonctionnaire.
Mais, sans sortir
de notre pays, depuis quelques temps la peine de mort n’est-elle pas, pour
ainsi dire, abrogée de fait chez nous ? (Elle le fut aussi de fait en Toscane,
avant de l’être par un texte formel de loi.) Les crimes sont-ils devenus plus
fréquents, plus nombreux ? Loin de là, messieurs ; des calculs statistiques,
des chiffres, plus éloquents que tous les raisonnements, vous prouveront le
contraire, et vous conduiront à un résultat bien consolant pour l’humanité.
Il est des esprits
auxquels il paraîtra surprenant que les peines les plus sévères ne soient point
les plus efficaces pour arrêter le crime ; s’ils m’interrogent, je leur
répondrai qu’à ce prix la législation de Dracon serait la meilleure des
législations, mais que c’est bien moins la chance de subir un châtiment sévère,
que la certitude d’être puni, qui retient le coupable.
Or, quel est celui
qui, commettant aujourd’hui un crime capital, ne puisse avec quelque apparence
de fondement nourrir l’espoir d’échapper au glaive de la justice, alors qu’il
voit les jurés reculer avec un sentiment d’effroi devant la peine de mort,
alors qu’il sait que parmi ses concitoyens, que parmi ceux qui doivent être appelés
à le juger, il en est un bon nombre qui, convaincus même de sa culpabilité,
prononceraient son acquittement plutôt que de l’envoyer à l’échafaud ?
Oui, messieurs, la
peine de mort, je ne crains pas de le dire, assure l’impunité à certains
classes de coupables, et si les convenances ne m’empêchaient point de citer des
exemples à coup sûr se me manqueraient pas. Pour vous donner une preuve, au
milieu de beaucoup d’autres que je pourrais choisir, de la vérité de ce que
j’avance, quel est celui d’entre vous qui, appelé aux fonctions de juré,
prononcerait un arrêt de mort contre une mère infanticide, contre une
malheureuse que la misère et la honte ont seules poussée au crime, qui ne s’y
est décidée que pour ne pas prolonger les douleurs de son enfant ou pour ne pas
devoir s’éloigner à jamais de ses amis et de ses proches ; contre une femme
enfin qui eût été heureuse de jouir des douleurs de la maternité, qui n’a
étouffé les sentiments de son cœur que parce qu’elle ne pouvait s’y abandonner
sans se livrer à l’opprobre, et que l’opprobre lui a paru le plus insupportable
des maux ! ! ! Le crime est constaté, le coupable est devant son juge, et le
juge l’acquitte ; et, tant que la peine de mort existera contre l’infanticide,
l’infanticide sera un crime impuni.
J’entends déjà
plusieurs personnes s’écrier : Oui, la peine de mort est le plus souvent une
peine injuste, inhumaine ; mais, pour la supprimer, attendons des temps plus
calmes, attendons que les orages politiques soient entièrement dissipés.
Hâtons-nous au contraire,
leur dirai-je, hâtons-nous d’abroger cette peine ; nous n’avons pas un instant
à perdre.
Messieurs, c’est
surtout parce qu’elle se rattache à tant de crimes politiques, qu’il est urgent
et doublement urgent de supprimer la peine de mort. Veuillez ouvrir le code
pénal, code de sang, code vraiment barbare, et vous y verrez cette peine
prononcée avec une épouvantable prodigalité dans toutes les dispositions
relatives à ces sortes de crimes. Ici encore qu’il me soit permis de vous citer
un exemple. L’article 91 punit de mort l’attentat ou le complot dont le but
sera d’exciter la guerre civile en armant ou en portant les citoyens ou
habitants à s’armer les uns contre les autres.
Savez-vous ce que
c’est que l’attentat, ce que c’est que le complot ? « Il y a attentat, dit
l’article 88 du code pénal, dès qu’un acte est commis ou commencé pour parvenir
à l’exécution de ces crimes, quoiqu’ils n’aient pas été consommés. Il y a
complot, ajoute l’article 89, dès que la résolution d’agir est concertée et
arrêtée entre deux conspirateurs ou un plus grand nombre, quoiqu’il n’y ait pas
eu d’attentat. »
« Dès que la
résolution d’agir est concertée et arrêtée ! » Ainsi, on punit du dernier
supplice non le crime, mais la tentative de crime, mais un projet arrêté dans
un acte de colère, dans un moment de délire, produit peut-être par une grande
injustice ; mais des paroles sans suite échappées à la confiance, déposées dans
le sein d’un ami qui les accueille sans les avoir pesées : projet vague,
paroles inconsidérées, qui jamais n’eussent été suivis d’un acte quelconque,
qui fussent restés dans un complet oubli, si quelque misérable espino n’avait
été là pour saisir la pensée qui vous échappait. Voilà pourtant la législation
qui nous régit, législation vraiment épouvantable, et qu’il est plus que temps
de modifier !
Mais, messieurs,
disons-le, il n’arrivera guère qu’un arrêt de mort soit prononcé contre le
coupable de ce qu’on appelle un crime politique. Convaincu même, il sera plutôt
appliqué, et c’est là un autre mal qu’il importe de prévenir. Quel est le juré
en effet qui, forcé d’émettre son avis, au point de prononcer un oui de mort ne
fera pas un retour sur lui-même ? Que tel ou tel événement arrive, se
dira-t-on, et dans un an, dans un mois, dans quinze jours peut-être, ce crime
qu’on reproche à l’accusé sera regardé comme un acte de courage et de vertu. Et
pourtant il aura cessé de vivre, et des
couronnes civiques seront déposées sur sa tombe, et on l’appellera du nom de
martyr ! Et moi, qui l’aurait condamné, témoin de ce spectacle, comment me
nommera-t-on ? Assassin juridique ; et, pour m’être attiré une pareille
dénomination, qu’aurai-je fait ? J’aurai obéi à la loi ; voilà mon crime.
Le juré reculera
devant un pareil avenir ; il préférera enfreindre la loi, faire violence à sa
conviction.
Mais n’est-ce
point un déplorable malheur que de mettre ainsi le magistrat dans la nécessité
de violer la loi et sa conscience ? Et faites-y attention, messieurs, tant
qu’existe la peine de mort, il est peut-être dans l’intérêt de la société qu’il
en agisse ainsi. C’est dans des temps de troubles et d’agitation que se
commettent d’ordinaire les crimes politiques, et alors rien n’est dangereux
comme le spectacle d’une exécution : « Dans les crises sociales, dit un
homme d’âme et de talent, dont les quelques pages qu’il vient d’écrire sur la
peine de mort et porté le dernier coup à ses défenseurs, s’il en est encore :
« de tous les échafauds, l’échafaud politique est le plus hideux, le plus
funeste, le plus vénéneux, le plus nécessaire à extirper. Cette espèce de
guillotine-là prend racine dans le pavé, et en peu de temps repousse des
boutures sur tous les points du sol. En temps de révolution, prenez garde à la
première tête qui tombe : elle met le peuple en appétit. »
Peut-être, messieurs,
cherchera-t-on à atténuer ce que je viens de vous dire, en mettant sous vos
yeux la disposition de l’article 73 de la constitution qui confère au Roi le
droit de grâce, droit dont il a été fait jusqu’ici un usage si noble et si
fréquent.
Pour qui attacherait
de l’importance à un semblable raisonnement, autant vaudrait soutenir qu’il
faut laisser au gouvernement la fixation arbitraire des peines, tandis que les
magistrats et les jurys n’auraient plus que le soin de convaincre les
coupables. Et quand je me sers du mot gouvernement, ce n’est point sans
réflexion, car vous ne pouvez ignorer que le ministère intervient dans
l’exercice du droit de grâce comme dans celui de tous les droits de la
couronne. Ceux auxquels je réponds veulent-ils donc qu’il dépende d’un ministre
de laisser ou de ne point laisser monter à l’échafaud un homme dont la faute,
d’après leur propre aveu, est loin de mériter un pareil châtiment ?
Je n’ai plus qu’un
mot à dire sur le fond de ma proposition. Ici et ailleurs j’ai souvent entendu
défendu les intérêts du peuple, et par ce mot l’on entend sans doute la classe
la moins aisée et malheureusement la plus nombreuse de la société ; j’ai
entendu reprocher à la révolution de ne pas lui avoir procuré aucun avantage,
de n’avoir rien fait pour elle. Voici le moment de réparer une grande
injustice.
S’il est établi en
effet que nos lois pèchent par un excès de sévérité (et je ne pense pas qu’il
reste à cet égard le moindre doute), sur quoi tombe-t-il cet excès de sévérité
? Qui en est principalement victime ? Le peuple ; car, par des motifs qu’il est
facile de saisir, ce sont le plus souvent des hommes du peuple qui figurent sur
les bancs des cours d’assises, où ils sont amenés par la misère et le défaut
d’instruction. Adoucir les peines, c’est donc le meilleur, le plus sûr moyen de
servir les intérêts de cette classe si intéressante, dont les mœurs d’ailleurs,
en harmonie avec la législation, n’en deviendront par-là que plus douces
elles-mêmes, et qui aura d’autant plus d’honneur du sang que vous montrerez
plus de répugnance à le verser, et que vous vous abstiendrez de le faire couler
en sa présence.
Il me reste,
messieurs, à vous donner quelques explications sur les autres dispositions du
projet que j’ai eu l’honneur de vous présenter.
Je propose d’abord
de remplacer la peine de mort par celle des travaux forcés à perpétuité et,
dans ma pensée, les condamnés à cette peine devront être enfermés dans une
prison séparée, être soumis à un régime, à une discipline, à une surveillance
particulière. Déjà il existe à cet égard, à l’administration des prisons, un
travail digne de toute l’attention du gouvernement.
Les travaux forcés
à temps seraient de deux espèces : un minimum de 15 ans, et un maximum de 30
ans, seraient appliqués aux crimes qui jusqu’ici avaient été punis des travaux
forcés à perpétuité, tandis que tous les crimes contre lesquels la loi prononce
aujourd’hui la déportation ou les travaux forcés à temps seraient punis de
cette dernière peine, mais pour un temps qui ne pourrait excéder 15 années, ni
être moindre de cinq.
A ces derniers
crimes, et à ces crimes seulement, seraient applicable l’arrêté-loi du 20
janvier 1815, qui permet aux juges, en présence de certaines circonstances, de
commuer la peine des travaux forcés en celle de la réclusion.
Quant à la
législation pénale militaire, la peine de mort ne peut en être effacée en temps
de guerre : l’état de guerre est un état exceptionnel, qui nécessite des
mesures d’exception, et l’on sent par exemple que la certitude de trouver
derrière lui une mort ignominieuse peut seule retenir l’homme assez lâche pour
reculer devant l’ennemi, alors que son devoir l’appelle à braver une mort
honorable.
Je termine ici ces
premiers développements. Puisse ma proposition rencontrer parmi vous l’accueil
auquel son importance lui donne droit ! Puisse surtout le désir de pouvoir
mettre une prompte fin à vos travaux ne pas vous déterminer à en remettre la
discussion à un terme éloigné ! Il dépend de vous, messieurs, de donner au
monde et à nos voisins surtout un grand et noble exemple, qu’ils s’empresseront
de suivre quand ils verront les heureux résultats de votre résolution. Un peu
plus tôt ou un peu plus tard, la peine de mort doit disparaître partout.
Pourquoi attendrions-nous ? Pourquoi nous laisserions-nous devancer ?
Sommes-nous moins civilisés que d’autres nations ? En France, comme ici, on
sent la nécessité de modifier le système actuel de pénalité, parce qu’en
France, comme ici, on est frappé des conséquences de ce système monstrueux,
conséquences qu’un changement de législation et l’instruction répandue dans
toutes les classes peuvent seuls détruire.
S’il fallait vous
la rendre sensible, cette nécessité, je n’aurais qu’à mettre sous vos yeux des
documents qui vous prouveraient l’effrayante régularité avec laquelle les mêmes
crimes se reproduisent chaque année, de telle manière que, pour m’arrêter à une
spécialité, non seulement les meurtres sont annuellement à peu près en même
nombre, mais encore que les instruments qui servent à les commettre sont employés
dans la même proportion : cette vérité a été établie et proclamée avec talent
et énergie par un de nos plus estimables compatriotes, à savoir M. Quetelet,
dont les relevés et les calculs démontrent « que la part des prisons, des
fers, de l’échafaud est fixée avec autant de probabilité que les revenus de
l’Etat, que nous pouvons énumérer d’avance combien d’individus souilleront
leurs mains avec du sang de leurs semblables, combien seront faussaires,
combien empoisonneurs, à peu près comme on peut énumérer d’avance les naissance
et les décès qui doivent avoir lieu. »
Et puisque j’ai cité un homme dont l’autorité sera
sans doute auprès de vous de quelques poids, je finirai en répétant avec lui :
« A tous les hommes qui ont à cœur le bien et l’honneur de leurs semblables,
et qui rougiraient de mettre sur la même ligne quelques francs de plus ou de
moins payés au trésor, et quelques têtes de plus ou de moins abattues par le
fer des bourreaux, il est un budget qu’on paie avec une régularité effrayante ;
c’est celui des prisons, des bagnes et des échafauds ; c’est celui-là surtout
qu’il faudrait s’attacher à réduire. »
M. le président. - Pouvons-nous, par dérogation à l’article 37, et parce que la
proposition est de la plus haute importance, pouvons-nous fixer un jour pour la
prise en considération ?
M. Gendebien. - Nous pouvons, dès aujourd’hui, discuter la prise en
considération.
M. de Robaulx. - Je crois qu’on doit au moins accorder l’honneur de
la prise en considération à un projet de cette importance, sauf à décider quand
on le mettre en délibération.
M. Destouvelles. - La proposition est développée ; on peut consulter
l’assemblée sur la prise en considération.
- La chambre, à
l’unanimité, déclare que la discussion est ouverte sur la prise en
considération.
M. Helias
d’Huddeghem. - Vous savez
messieurs, que tous ceux qui s’occupent aujourd’hui d’améliorer la législation
pénale sont unanimement d’avis de la nécessité de supprimer la peine de la
flétrissure et la mutilation ; la réprobation publique qui s’attache à la
flétrissure rend cette peine plus cruelle que la mort même, pour un homme qui
ne s’est pas dépouillé de tout sentiment d’honneur. Je ne puis me rendre
compte, messieurs, qu’on ait pu dégrader l’humanité au point de traiter l’homme
comme l’homme traite un troupeau de bête. Rejetons donc, messieurs, la marque
avec cette aversion naturelle qu’elle excite dans les âmes sensibles, et qui
seule semble en prononcer irrésistiblement la réprobation. J’applaudis donc à
la proposition de l’honorable M. de Brouckere, et je ne doute pas que sous ce
rapport vous ne la preniez en considération immédiate.
Il en est de même,
messieurs, de la mutilisation : quel bien peut produire l’amputation d’un
membre à celui qui va les perdre tous en perdant la vie ! De pareils châtiments
ne conviennent plus aux mœurs actuelles, c’est à des principes avoués par la
morale qu’il faut aujourd’hui ramener la législation criminelle. Ainsi quant à
ces deux points je désire non seulement que vous preniez la proposition en
considération, mais en même temps que vous fassiez disparaître le plus tôt
possible des peines qui souillent notre législation.
J’arrive,
messieurs, à la peine capitale dont l’honorable auteur de la proposition désire
l’abolition entière ; il faut avouer que l’on a singulièrement abusé de cette
peine ; aussi je ne dissimule pas qu’il convient de supprimer en plusieurs cas
la peine de mort, tels que celui de l’infanticide, et peut-être dans les cas
des délits politiques. En effet, comme l’a fait remarquer à la tribune
française l’honorable M. de Tracy : « Lorsqu’en matière politique la peine
de mort est applique, ce n’est pas un seul homme comme dans le cas de meurtre
que l’on frappe, c’est un sentiment, c’est une opinion tout entière que l’on
attaque ; or, les opinions ainsi que les sentiments s’enracinent et
s’affermissent sous les coups qu’on leur porte… L’échafaud se transforme en
tribune où leur cause va se plaider une seconde fois ; là ils seront appelant
de la sentence qui a demandé leurs têtes ; là ils trouveront des sympathies qui
pourraient leur être refusée ailleurs. »
Mais, messieurs,
il importe de distinguer entre l’abolition entière de la peine de mort, et
l’abus qu’on en fait.
Je n’ai pas
l’intention aujourd’hui, messieurs, de reprendre la discussion au sujet de la
peine de mort, et de répéter de ce qui a été dit dans une occasion récente ; je
me bornerai à quelques courtes observations.
Il est
incontestable que l’on trouve l’usage de la peine capitale chez tous les
peuples et dans tous les temps ; il est vrai que la législature dans quelques
Etats a montré des dispositions pour l’abolir ; en France une loi a été portée
qui l’abolissait pour l’avenir à compter du jour de la promulgation de la paix
générale. Mais, malgré cette loi, la législature française a maintenu
jusqu’aujourd’hui la peine de mort.
Messieurs ; la
question d’abolir entièrement la peine de mort est assez grave pour que nous ne
la décidions pas légèrement ; et remarquer que l’opinion qui attaque la peine
de mort comme une peine illégitime et injuste en soi est contredite en fait par
l’accord presque unanime des législateurs et des peuples, et par l’application
que des magistrats irréprochables en ont fait pendant des siècles.
J’ai parcouru les
observations de toutes les cours d’appel de France ainsi que de la cour de
cassation sur le projet de code pénal. Je dois vous dire, messieurs, que sur 22
cours d’appel consultées sur cette importance question aucune ne s’est
prononcée pour l’abolition de la peine de mort appliquée aux parricides, aux
assassins, aux empoisonneurs : la peine de mort a eu l’assentiment général.
Deux cours d’appel
surtout s’expliquent dans des termes qui méritent d’être médités : « On a
longtemps disputé, dit la cour d’appel, sur la nécessité de la peine de mort
dans ces derniers temps ; on a même été jusqu’à révoquer en doute sa
légitimité. Cette question, qui tient à l’exagération des idées
philanthropiques et aux principes obscurs d’une abstraite théorie sociale, est
plus vicieuse qu’utile dans tous les sociétés ; dans tous les Etats dont
l’histoire a consacré le souvenir, la peine de mort a été employée contre les
grands crimes, il n’en faut pas davantage pour résoudre la question.
« Un droit
qui a toujours existé par le fait ne peut pas être un problème ; la peine de
mort devient légitime par cela seul qu’elle est nécessaire ; la loi du talion,
la première et la plus ancienne loi de la nature, et le maintien de la société,
le premier but de toutes les lois, justifient suffisamment cette mesure extrême
; lorsqu’elle a été rendue indispensable. »
La cour d’appel de
Rennes donne les mêmes arguments, et elle conclut en ces termes : « Ainsi
une bonne législation criminelle imposera le traitement du talion quand il se
trouvera en harmonie avec le principe de la plus juste proportion de la peine
au crime ; elle le rejettera, sans respect pour sa source, toutes les fois
qu’il blessera ce principe inviolable. »
Il
résulte de ces observations que la grave question de savoir s’il convient de
supprimer la peine de mort dans tous les cas mérite votre attention. En résumé
je vote pour la prise en considération immédiate de la proposition de M. Henri
de Brouckere, pour autant qu’elle contient l’abolition de la flétrissure, de la
mutilation et de la déportation ; mais, quant à la peine de mort, je pense
qu’il serait contraire à l’intérêt de la société de l’abolir dans le cas de
l’assassinat prémédité ; peut-être devrait-on borner cette peine à ce seul cas,
et de cette manière je me prononce pour la prise en considération de la
proposition de l’honorable M. de Brouckere.
M. le ministre de la justice (M. Raikem). - Messieurs, si je prends la parole dans cette
occasion, ce n’est pas pour m’opposer à la prise en considération du projet,
quoique l’on doive convenir que l’abolition de la peine de mort présente une
question très grave, et sur laquelle on ne peut se prononcer légèrement. En
effet, cette peine, si elle était abolie, devrait être remplacée par une espèce
de peine particulière, par une détention ou une réclusion plus sévère que celle
que l’on emploiera vis-à-vis d’autres condamnés.
Quant à
l’abolition de la mutilation du poing et de la flétrissure, je ne vois rien qui
s’y oppose en réalité. Cette abolition est déjà faite. La mutilation du poing
ne s’applique qu’au parricide ou à l’attentat contre la vie du Roi ;
heureusement ce cas n’est pas arrivé, et il n’a pas été nécessaire de faire
usage du droit de grâce à cet égard.
(Note du webmaster : la suite de la
séance n’était pas disponible dans les sources à notre disposition).