Accueil Séances plénières Tables des matières Biographies Livres numérisés Bibliographie et
liens Note d’intention
Séance précédente Séance suivante
Chambre des représentants de Belgique
Séance du jeudi 21 juin
1832
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre, notamment
lecture d’une réponse apportée à une pétition (Osy)
2) Projet
de loi portant organisation judiciaire. Mise à la retraite des magistrats (H. de Brouckere, Bourgeois, Raikem), nomination des juges de paix (Leclercq,
Bourgeois, Helias d’Huddeghem,
Raikem, Leclercq, Jonet, Jullien, H. de Brouckere, Bourgeois, Destouvelles), dérogations provisoires aux conditions
de nomination des juges (H. de Brouckere, Van Meenen, Raikem, Jullien, Raikem, Van Meenen, Raikem, Jonet, Jullien, Leclercq,
Raikem), première installation des cours et des tribunaux
de première instance (Jullien, Raikem),
tribunaux de commerce (Mesdach, Raikem,
Osy, (+orangisme) H. de Brouckere,
Lebègue, Raikem, Mesdach, Raikem, Mesdach, Lebègue, Lebeau, Osy, H.
de Brouckere, Destouvelles , Mesdach, Liedts, A. Rodenbach, H. de Brouckere),
procédure en cassation (Liedts, Raikem,
Jullien, Raikem, Jonet, Raikem, Bourgeois,
Raikem, Bourgeois Jonet, Raikem, Jonet,
Leclercq, Raikem, Jonet, Destouvelles, Raikem, Jonet, Leclercq)
3) Projet de loi relatif à la garde civique et à la constitution d’une
armée de réserve de 50.000 hommes (Ch. de Brouckere,
Dumortier, Verdussen)
4) Projet de loi portant organisation judiciaire. Procédure en cassation
(Bourgeois, Destouvelles,
Bourgeois)
(Moniteur belge n°176, du 24 juin 1832)
(Présidence de M. de Gerlache.)
A une heure et
demie on procède à l’appel nominal.
M. Dellafaille fait lecture du procès-verbal ; la rédaction en est adoptée.
M. Jacques fait l’analyse des pétitions adressées à la chambre ;
elles sont renvoyées à la commission spéciale.
M. le ministre des finances (M. Coghen) adresse à la chambre des explications relativement à
une pétition qui lui a été renvoyée.
M. le président. - Je crois qu’il faut renvoyer ces explications à la
commission des pétitions.
M. Osy. - Non ; il faut les lire à la chambre.
Plusieurs membres. - Oui ! oui ! Il faut les lire.
M. Osy. - Mais je crois que la lecture des réponses des
ministres sur les pétitions qui leur sont renvoyées doit avoir lieu dans les
séances où la chambre s’occupe des pétitions. Il peut y avoir des résolutions à
prendre sur ces réponses. (Appuyé !
appuyé !)
M. le président.- La lecture aura lieu dans la première séance où
l’on s’occupera des pétitions.
PROJET DE LOI PORTANT ORGANISATION JUDICIAIRE
Discussion des
articles
L’ordre du jour
est la suite de la discussion de la loi sur l’organisation judiciaire.
Article 52
M. le président. - Nous en sommes à l’article 52 dont la première ligne doit être
éliminée eu conséquence des dispositions présentées avant-hier par M. le
ministre de la justice, et qui ont été adoptées.
Voici
cet article 52 :
« Le Roi peut
admettre à la retraite les magistrats auxquels leur âge et leurs infirmités ne
permettent plus de continuer leur service. »
M. H. de Brouckere. - Je crois que l’article 52 est inutile, si le
gouvernement a la nomination de toutes les places de la magistrature, ainsi que
vous l’avez admis avant-hier. A quoi bon dire qu’il pourra accorder des
retraites, puisqu’il peut donner la retraite à qui il voudra ?
M. Bourgeois. - Je pense aussi que l’article doit disparaître ; il
est superflu d’après la résolution adoptée par la chambre. De plus il me paraît
très dangereux si on l’entendait dans un sens différent de celui qu’a prétendu
lui prêter la section centrale. La section centrale a voulu dire que pour des
infirmités le Roi pourrait donner la retraite. Mais si on pouvait l’entendre
dans un sens absolu, et comme une faculté permanente qu’aurait le gouvernement
de donner une retraite forcée aux magistrats, cela porterait atteinte à
l’inamovibilité des juges.
Je conclus au
rejet de l’article.
M. le ministre de la justice (M. Raikem). - On doit entendre par l’article que le Roi pourra
donner la retraite aux magistrats qui ne pourraient plus exercer leurs
fonctions ; je crois que cette retraite est de droit, et je considère comme
inutile.
M. le président. - Ainsi cet article est supprimé, puisqu’il est
compris dans les dispositions précédemment adoptées.
« Art. 53.
Avant le premier janvier 1834, le Roi nommera les juges de paix. Jusqu’à cette
nomination, les juges de paix actuels continueront leurs fonctions. »
M. Leclercq. - Je désirerais savoir si aucune proposition n’a été
faite pour fixer l’époque è laquelle la nomination des membres des cours et
tribunaux devra avoir lieu.
M.
Liedts.
- L’article suivant détermine cette époque.
M. Bourgeois. - L’article en discussion parle de la nomination des
juges de paix ; mais pourquoi ne porte-t-il des suppléants ? La
constitution a dit ainsi que le Roi nommerait les juges de paix, et elle omit
de parler des suppléants. Je demande que l’on répare cette omission et qu’on
ajoute ces mots à l’article : « et les suppléants. »
M. Helias
d’Huddeghem. - Mais ne
faut-il pas décider si les juges de paix seront nommés à vie ? Cette question a
été soulevée ; elle doit être résolue.
M. le ministre de la justice (M. Raikem). - D’après la constitution les juges de paix sont
nommés à vie. Elle ne s’est pas occupée des suppléants. La section centrale a
été d’avis de laisser les suppléants sous l’empire de la législation existante.
M. Leclercq. - Si je comprends bien ce que vient de dire M. le
ministre, les suppléants sont révocables. Si tel est le sens de ses paroles je
combattrais l’avis de la section centrale. Pour ma part, je crois que les juges
suppléants doivent être irrévocables. Les suppléants prononcent comme le juge
de paix, et ils doivent offrir aux justiciables les mêmes garanties. La
constitution a donné l’inamovibilité aux juges de paix, par là elle a statué
que les suppléants sont nommés à vie. Je vais proposer un amendement sur cet
objet.
M. le ministre de la justice (M. Raikem). - Ce que dit
le préopinant rentre bien dans mon opinion ; je n’ai voulu que rendre compte de
la discussion qui a eu lieu au sein de la section centrale ; mon opinion
personnelle sur ce point est connue, elle a été imprimée ; j’ai soutenu que les
suppléants devaient être nommés à vie.
M. le président. - Ainsi, d’après l’amendement de MM. Leclercq et Bourgeois il faudrait
mettre dans l’article : « les juges de paix et les juges suppléants sont
nommés à vie. »
M. Leclercq. - Je place cette disposition au titre III, intitulé
« Des tribunaux. » Elle ne peut pas être placée actuellement où il ne
s’agit que de dispositions transitoires. Puisque la question est élevée, il
faut insérer une disposition expresse dans la loi, pour lui donner une solution
convenable.
M.
Jonet. - On demande que les suppléants des juges de paix
soient nommés à vie ; je ne crois pas qu’il doive en être ainsi : un suppléant
de juge de paix et les suppléants des juges de première instance sont-ils des
juges ? Je n’en ai pas la conviction. Un homme qui remplit les fonctions de
gouverneur en l’absence du gouverneur n’est pas pour cela gouverneur ; un homme
qui dans une maison fait les fonctions de maître en l’absence du maître n’est
pas pour cela le maître ; un suppléant qui remplace le juge n’est pas le juge
titulaire ; il ne remplit le devoir de juge qu’en cas de maladie de celui-ci ou
d’absence. Il y a une très grande différence entre le juge et le suppléant.
Que
l’on consulte les lois sur la matière, et l’on verra qu’on ne dit pas :
« juges suppléants, » mais « suppléants. »
Voilà la question
de droit ; voyons la question de fait.
Est-il utile que
les suppléants soient nommés à vie ? La constitution déclare que les juges
seront nommés à vie, afin qu’ils soient véritablement indépendants ; mais un
suppléant de juge de paix ou de juge de première instance n’est souvent pas
pris parmi les personnes qui peuvent remplir ces fonctions ; si vous le nommez
à vie, vous ne pourrez plus en choisir d’autres plus instruits s’il s’en
présentait.
Je refuse
l’inamovibilité aux suppléants.
M. Jullien. - Messieurs, quant à la dénomination, il est
impossible de se refuser à l’évidence ; il est impossible de nommer autrement
un suppléant qu’un juge suppléant. Si vous disiez suppléant, on demanderait
« de qui, de quoi ; » or, pour être suppléant il faut de toute
nécessité être investi du caractère de juge.
A chaque instant
le suppléant peut être requis ; il faut donc qu’il ait en lui-même les qualités
nécessaires pour remplacer le juge. Je ne crois pas qu’il y ait de raison pour
mettre de la différence entre les qualités de l’un et les qualités de l’autre.
Il est, dit-on
difficile, surtout dans les campagnes, de trouver des juges suppléants ; une
fois que vous les aurez nommés, vous serez condamnés à les conserver : mais
toutes les fois qu’un juge de paix viendra à manquer, il n’est pas nécessaire
de nommer à la place le juge suppléant ; les suppléants resteront suppléants
autant qu’il leur conviendra, et on peut nommer des hommes instruits pour juges
de paix.
Je suis de l’avis
de M. Leclercq.
M. H. de Brouckere. - Si on nomme à vie les suppléants des juges de paix,
il faut aussi nommer à vie les suppléants des juges des tribunaux de première
instance.
Ce qu’a dit M.
Jonet sur les suppléants, relativement au choix d’hommes peu éclairés, pourrait
s’appliquer quelquefois à la magistrature ; mais cette considération doit céder
devant une autre ; il faut que les juges présentent des garanties aux
justiciables, que les juges soient indépendants du pouvoir.
Il est d’autant
plus indispensable que les suppléants aient l’inamovibilité des juges, qu’il ne
dépend pas des justiciables d’être jugés par le juge on par le suppléant :
puisqu’ils ne peuvent choisir, il faut au moins qu’ils aient les mêmes
garanties.
M. Bourgeois. - Je crois qu’il est plus rationnel de nommer les
juges suppléants à vie puisqu’ils sont nommés par le Roi ; au moins c’est ce
qui résulte implicitement de l’article 99, puisque d’après cet article c’est le
Roi qui nomme les juges de paix auxquels nous assimilons les suppléants.
Sous la
constitution de l’an III (article 212), les juges de paix et leurs assesseurs
étaient élus pour deux ans ; ils pouvaient être indéfiniment réélus.
Par la
constitution de l’an VIII, c’était le premier consul qui nommait le juge
criminel et le juge civil.
Par le
sénatus-consulte du 16 thermidor de l’an X, les juges de paix et leurs
suppléants étaient nommés pour 10 ans par le premier consul qui les choisissait
parmi deux citoyens désignés par l’assemblée du canton.
Telle est la
dernière loi française. Toujours les juges de paix et leurs suppléants étaient
tenus sur la même ligne. Il est vrai de dire que la présentation d’une liste
double par l’assemblée du canton est une disposition tombée en désuétude. Le
gouvernement impérial a nommé les juges de paix sous présentation, quoique
cette condition ne fût pas expressément abolie.
L’empereur et après lui le roi, en France, a nommé les juges de paix
sans candidature et sans limitation de la durée des fonctions.
Mais il n’en
résulte pas moins que les assesseurs ou suppléants ont été mis sur la même
ligne : la constitution ayant dit qu’ils seront nommés à vie, il faut dire que
les suppléants seront nommés par le Roi à vie.
M. le président. - M. Destouvelles a la parole.... (Aux voix ! aux voix !)
M. Destouvelles. - Cette question a été longuement agitée dans la
section centrale. Les opinions des divers membres qui la composaient ont été
développées dans le procès-verbal, dont je crois devoir vous donner lecture.
« Les
suppléants sont-ils des juges ? L’article 100 de la constitution leur est-il
applicable ? Telle est la question amenée par la divergence des opinions qui
ont été développées dans les sections. La section centrale a été pénétrée de
l’importance de cette question, elle a senti que son intérêt devenait plus
puissant par les résultats nécessaires que sa solution eût appelés à exercer
sur la création des suppléants attachés aux tribunaux de première instance. Il
n’est pas inutile de résumer ici les débats auxquels elle a donné lieu.
« Raison pour
l’inamovibilité.
« Les
suppléants exercent les fonctions des juges : ils remplacent les juges dans les
justices de paix, comme dans les tribunaux de première instance. Ces
remplacements sont fréquents, il peut même arriver des cas où, formant une
section toute entière d’un tribunal, ils rendent la justice sans le concours
d’aucun juge ; ces cas ne sont pas sans exemple.
« L’article
100 de la constitution, en déclarant les juges inamovibles, a particulièrement
voulu assurer leur indépendance ; elle n’a, il est vrai, parlé que des juges,
mais cette expression générique ne doit-elle pas s’appliquer à tous ceux qui
participent à l’exercice du pouvoir judiciaire ? La pensée de le
soustraire à l’influence du pouvoir n’embrasse- t-elle pas tous ceux qui sont
appelés à remplir soit habituellement, soit momentanément les fonctions des
juges, peut-elle être étrangère aux suppléants ? Qu’on porte ses regards sur la
loi du 27 ventôse an VIII, sur l’organisation des tribunaux. L’article 10
s’exprime ainsi : chaque tribunal de première instance sera composé de sept
juges et quatre suppléants, et se divise en deux sections, etc. Les articles 35
et 36 de la loi du 20 avril 1810, c’est celle qui nous régit encore aujourd’hui,
reproduisent les mêmes expressions : les tribunaux de première instance seront
composés… L’article 39 de cette dernière loi paraît commander une attention
particulière.
« Si les
circonstances exigent qu’il soit formé des sections temporaires dans un
tribunal de première instance, ces sections les servent par un règlement
d’administration publique. Elles pourront être composées de juges ordinaires ou
de suppléants.
« Partout les
suppléants entrent dans la composition des tribunaux. Sans suppléants, ces
tribunaux sont incomplets et l’on ne conçoit pas que l’on puisse déclarer ne
pas faire partie d’un corps, l’un des éléments de sa composition. Comme les
juges titulaires, les juges suppléants prêtent serment avant d’entrer en
fonctions. Ces motifs réunis militent puissamment en faveur de l’inamovibilité
des suppléants. L’on doit, s’il est permis de s’exprimer ainsi, les considérer
comme des juges en état continuel de disponibilité.
« Motifs
contre l’inamovibilité.
« Les
suppléants ne sont pas des juges, aucune loi ne leur donne cette qualification
; ils ne sont appelés que pour remplacer momentanément les juges.
« Les
suppléants ne sont pas soumis à la même discipline que les juges. Les articles
48, 49 et suivant de la loi du 20 avril 1810, relatifs à la discipline, ne parlent que des juges.
Nulle part on ne rencontre la dénomination de suppléants. Dans aucune loi la
qualité de juge n’est accolée à celle de suppléant. Partout on voit les juges
et les suppléants, et non les juges et les juges suppléants. Ce sont deux
catégories distinctes, les juges reçoivent un traitement, aux suppléants aucun
salaire n’est attribué. A ces observations qui frappent sur la substance même
de la question, viennent s’en joindre d’autres qui, quoique subsidiaires, ont
pour elles une expérience dont les leçons ne doivent pas être dédaignées. La
nomination d’un suppléant n’est pas environnée des mêmes précautions que celle
d’un juge. On n’exige pas que les suppléants possèdent les mêmes connaissances
que les juges. Les juges suppléants devant être pris là où siègent les juges de
paix ou les tribunaux, afin de pouvoir sans déplacement remplir actuellement
leur mission et répondre immédiatement à l’appel qui leur est fait, le
gouvernement est borné dans son choix, et cette dernière considération
s’applique particulièrement aux suppléants des juges de paix et à ceux des
tribunaux de première instance auxquels un barreau plus nombreux est attaché.
De là, la nomination d’hommes recommandables par leur probité, mais qui
laissent à désirer toute l’aptitude accessoire aux fonctions de juges, et par
une conséquence nécessaire, le danger en les avançant à vie, de se priver de la
faculté de mettre à profit les circonstances qui peuvent faire surgir des
sujets relativement plus capables et d’opérer ces mutations utiles. »
Telle est,
messieurs, l’analyse des discussions qui ont occupé la section centrale. Après
avoir pesé et balancé les raisons pour et contre l’inamovibilité, elle a pensé
qu’il ne fallait pas s’attacher exclusivement à rechercher dans les textes de
loi invoqués, dans les rapprochements présentés, la solution de la question ;
recherche qui la placerait dans la position d’un juge, mais qu’à vous comme
législateur appartenait le pouvoir de la trancher. C’est dans cette sphère
qu’elle a cru devoir se placer ; elle a décidé à la majorité de quatre voix
contre trois que les suppléants ne doivent pas être nommés à vie. C’est dans
votre sein que se formera en faveur de l’un ou de l’autre système une majorité
plus imposante.
- L’article
additionnel de M. Leclercq est mis aux voix et adopté.
L’article 53,
d’après la proposition de M. Bourgeois, est rédigé ainsi :
« Art. 53.
Avant le premier janvier 1834, le Roi nommera les juges de paix et les
suppléants ; jusqu’à cette nomination les juges de paix actuels continueront
leurs fonctions. »
- Cet article mis
aux voix est adopté.
Article 54
« Art. 54.
Les membres actuels des cours, des tribunaux et des justices de paix qui ne
réunissent pas les conditions requises par la loi, pourront obtenir des
dispenses de Sa Majesté. »
M. H. de Brouckere.
- Si les dispositions imposées par la section centrale
relativement à la nomination des magistrats, c’est-à-dire si les articles 50,
51 et 52 présentés par cette section eussent été adoptés ; si on avait reconnu
que les membres actuels de l’ordre judiciaire restent de plein droit en
fonctions, sans qu’elles puissent leur être enlevées par le gouvernement, je me
serais opposé à l’adoption de l’article 54 tel qu’il est.
En effet il est
des conditions requise pour devenir magistrat ; ainsi, pour vous citer un
exemple, il faut être licencié en droit. Cependant il est des juges, qui
siègent aujourd’hui, et depuis nombre d’années, sans être licenciés, mais en
vertu de dispenses ; j’aurais donc proposé que la loi, pour être conséquente
avec elle-même, statuât que ces dispenses leur étaient conservées ipso facto.
Mais par suite de
l’amendement de M. le ministre, la nomination de tous les magistrats étant
abandonnée au gouvernement, il en résulte qu’il pourra démissionner à son gré et les juges qui réunissent les
conditions exigées par la loi, et les juges qui ne les réunissent pas.
L’article 54 a donc maintenant pour seul but de donner au gouvernement le
pouvoir de conserver les dispenses à ceux qui en ont antérieurement obtenu,
s’il le juge à propos ; et dans ce sens, il doit rester dans la loi pour faire
suite à l’amendement.
Mais lors du vote
définitif, on peut, vous le savez, revenir sur les amendements. Je suppose donc
que, lorsque ce moment sera venu, la disposition introduite, sur la demande de
M. le ministre, soit rejetée, qu’arrivera-t-il ? Que l’article 54 ne sera plus
en harmonie avec ceux qui le précéderont, du moins dans ma manière de voir.
Cependant on ne pourra plus le changer, attendu qu’il n’aura subi aucune
modification. Dans une pareille circonstance, je ne sais trop quelle conduite
je dois tenir.
Un membre. - Amendez légèrement l’article aujourd’hui, pour que
l’on puisse y revenir.
M. H. de Brouckere. - Je n’ai point d’amendement à faire pour le moment ;
si la loi reste telle qui elle est, l’article me paraît bon. Mais d’après les
considérations que j’ai développées, et que la chambre ne peut manquer
d’apprécier, je me bornerai à demander qu’il soit accordé des réserves, par
suite desquelles chacun de nous pourra proposer des modifications à cet article
si on se décidait à revenir sur les articles
50, 51 et 52, auxquels il se rattache intimement.
M. le président. - Proposez maintenant votre amendement.
M. H. de Brouckere. - Cela n’est pas possible. L’article 54 va bien avec
les dispositions admises provisoirement ; mais il ne cadre pas avec les
dispositions de la section centrale, qui pourraient bien plus tard avoir le
dessus.
Je ne proposerai
d’amendement à l’article 54 que dans le cas où la proposition du ministre
serait rejetée. Je regarde l’article 54 comme le corollaire de ce qui a été
admis ; mais je demande que l’on puisse revenir sur l’article 53 si on
admettait dans la seconde lecture des articles 50, 51,
52.
M. Van Meenen. - Dans toutes les hypothèses, nous devons nous ménager
les moyens de revenir sur l’article 54.
Il y a d’abord une chose qui paraît exiger des
explications sur cet article.
La section
centrale entend-elle comprendre les parquets et les greffes dans ces expressions
« les cours et les tribunaux » ? Il peut se trouver dans les parquets
et dans les greffes des individus qui ne réunissent pas les conditions exigées
par la loi et qui pourraient avoir été dispensés de ces conditions ; si
l’intention de la section centrale a été de les comprendre dans l’article, il
faut le dire. Il faudrait, je crois, commencer ainsi l’article : « Les
membres actuels des cours, des tribunaux, des justices de paix, des greffes et
des parquets, etc., etc. »
En vertu de la loi
du 22 ventôse an XII sur l’érection des écoles de droit, le gouvernement a été
autorisé d’accorder des dispenses de présentation de diplômes à ceux qui
avaient rempli des fonctions judiciaires et administratives quoique n’étant pas
licenciés. Voici comment il s’exprime à cet égard : « Le gouvernement
pourra pendant 10 ans dispenser de la présentation des diplômes les individus
qui auront exercé des fonctions administratives et judiciaires, etc. »
Il
peut y avoir un certain nombre de magistrats admis en vertu de cette
disposition qui dispense de présenter des diplômes : les droits de ces
magistrats seront-ils respectés ? leurs droits seront-ils mis en question ? Il
est évident que les membres des tribunaux et des parquets qui ont été reçus
sans présenter de diplôme ont un droit acquis ; qu’ils ont un droit semblable à
ceux qui ont présenté des diplômes ; que ce droit ne peut leur être enlevé par
une disposition postérieure.
L’article 54
respecte-t-il ces droits ? S’il ne les respecte pas, je proposerai un
amendement.
M. le ministre de la justice (M.
Raikem).
- La question soulevée n’en est pas une. En effet, la loi de ventôse assimile
les magistrats qui n’ont pas présenté de diplôme aux licenciés en droit ; et
dans la législation de 1810 on n’a point dérogé à cette disposition. Aussi
d’après la législation, les droits de ces magistrats subsistent dans toute leur
force.
M. Jullien. - Je crois qu’il y a un moyen de conserver les
réserves faites par M. de Brouckere ; c’est en modifiant l’article 54. Cet
article est la conséquence de l’article 49 qui supposait que les magistrats
actuels seraient maintenus. Comme il y a dans le corps judiciaire et dans les
parquets des hommes qui ne réunissent pas certaines conditions exigées
actuellement, il était naturel de donner au Roi la faculté d’accorder des
dispenses ; il faut actuellement rédiger l’article 54 dans un autre sens
d’après les amendements adoptés ; il faudrait dire :
« Dans le cas
où le choix du roi tomberait sur les membres actuels des tribunaux, des cours,
des justices de paix, des parquets et des greffes qui ne réunissent pas les
qualités requises par la loi, ils ne pourront obtenir des dispenses de Sa
Majesté. »
M. le ministre de la justice (M.
Raikem).
- Le roi ne choisit pas, il nomme les juges. La constitution se sert de cette
expression qui d’ailleurs a été employée dans une séance précédente. Je crois
qu’on peut maintenu l’article tel qu’il est : les droits ne peuvent être
contestés.
M. le président. - Je vais mettre l’article aux voix.
M. Van Meenen. - J’ai un amendement à présenter ; je l’écris.
M. le président. - Voici l’amendement de M. Van Meenen :
« Les membres
actuels des cours, des tribunaux, des parquets, des greffes et des justices de
paix qui ne réunissent pas les conditions voulues par la loi et n’auraient pas
obtenu de dispenses antérieures pourraient en obtenir du Roi. »
M. Van Meenen. - Je fais remarquer que mon amendement consiste dans
l’addition des mots « les parquets et les greffes … et qui n’est
auraient pas obtenus d’antérieures. »
Je considère les
dispenses accordées antérieurement comme constituant un droit.
M.
le ministre de la justice (M. Raikem). - Je ne crois pas qu’on puisse adopter l’amendement
de l’honorable préopinant. Les dispenses obtenues d’après la loi de ventôse an
XII forment un droit acquis ; mais les autres dispenses, quoique obtenues
antérieurement à la promulgation de la loi que nous discutons, ne peuvent
constitués un droit semblable, Les dispenses dont il s’agit dans l’article en
délibération sont les dispenses spéciales qui ne sont pas comprises dans la loi
de l’an XII. Je proposerai par sous-amendement la suppression des mots :
« qui n’auraient pas obtenu de dispense. »
M.
Jonet. - J’appuie
l’amendement de M. Van Meenen, il est plus explicite que celui de M. Jullien.
M. Jullien. - Oui ; on peut réunir les deux amendements.
M. le président. - En ce cas je vais fondre les amendements …
« Dans le cas où le choix du Roi tomberait sur des membres actuels des
tribunaux et des justices de paix, des parquets et des greffes, qui ne
réunissent par les conditions requises par la loi, ils pourraient obtenir des
dispenses de Sa Majesté. »
M. Leclercq. - Je demande la suppression des mots : « du
Roi » parce que dans l’article précédent vous avez dit que les magistrats
seront nommés par le Roi.
M. le ministre de la justice (M. Raikem). - Il ne faut pas dire « le choix du Roi ; »
il faut dire : « la nomination. »
M. le président. - En supprimant les mots « du Roi » au
commencement de l’article, on pourrait mettre à la fin : « le Roi pourra
accorder les dispenses ; » au reste voilà le sens de l’article ; on le
rédigera après.
- L’article amendé
est mis aux voix et adopté.
« Art. 55.
Les cours de cassation et d’appel ainsi de première instance, seront installés
dans les trois mois qui suivront la promulgation de la présente loi.
« Le mode
d’installation sera réglé par le gouvernement. »
M. Jullien. - Messieurs, en donnant au Roi la nomination de tous
les magistrats depuis le premier jusqu’au dernier, il est incontestable que
jusqu’à ce que les nominations soient faites, vous avez placé la magistrature
dans la dépendance du gouvernement.
Il est donc vrai
de dire que jusque à vous n’avez plus de tribunaux, mais des commissions, car
le juge qui est placé sous la dépendance du pouvoir n’est plus un juge, mais un
commissaire.
Si vous adoptez le
projet, l’organisation ne se fera que dans les trois mois à dater de la
promulgation de la loi, et comme cette promulgation dépend entièrement du
gouvernement, il s’ensuivra qu’il pourra tenir toute la magistrature actuelle
sous sa dépendance aussi longtemps qu’il le voudra.
Je n’entends pas
suspecter les intentions du gouvernement, mais enfin cela est possible, et
cette crainte me suffit pour prendre des précautions.
D’ailleurs,
messieurs, il ne faut pas laisser d’honorables magistrats dans un état
d’incertitude et d’anxiété sur leur avenir ; inquiets sur leur existence et
celle de leurs familles, placés entre leur intérêt et leurs devoirs, l’administration
de la justice doit nécessairement en souffrir.
Ce ne sont pas
seulement les juges qui, pendant cet intervalle, sont placés dans une position
équivoque, vous éveillerez encore la défiance des justiciables, et, je ne
crains pas de vous le dire, si j’avais d’ici au temps de l’organisation, un
procès à plaider dans lequel le gouvernement serait intéressé, je ferais tout
mon possible pour en retarder la décision jusqu’à ce que l’inamovibilité me
donnât des juges.
Loin de moi l’idée
de vouloir jeter de la défaveur sur notre magistrature, je sais qu’il est des
hommes de vertu incapables de se laisser aller aux séductions du pouvoir et qui
mettent le devoir avant tout ; mais aussi, messieurs, il s’en rencontre qu’il
serait dangereux de placer entre leur existence sociale et leur conscience, et
vous devez éviter les conséquences fâcheuses d’une semblable position.
Si
on perpétuait cet état de choses, les arrêts et les jugements perdraient
infailliblement du respect qui leur est dû, et ceux qui auraient à s’en
plaindre, ne manqueraient pas de s’en prendre à la position équivoque, dans
laquelle les juges étaient placés.
Je pense,
messieurs, que ces motifs que je ne fais que vous indiquer sont plus que
suffisants pour vous déterminer à fixer d’une manière invariable l’époque de
l’installation des cours et tribunaux et à adopter mon amendement.
Une foule de voix. - Appuyé, appuyé.
M. le ministre de la justice (M. Raikem). Je demande la parole, non pas sur l’amendement, mais
pour proposer une addition qui complétera l’article. Voici cette addition :
« Jusqu’à l’expiration du délai, les cours et tribunaux continueront leurs
fonctions. »
M. le président. - Voilà l’amendement de M. Julien : « Les
cours de cassation et d’appel, ainsi que les tribunaux de première instance
seront installés au plus tard le 15 octobre prochain. »
- Cet amendement
est adopté.
L’amendement
présenté par M. le ministre de la justice est également adopté.
Ces deux amendements
réunis forment l’article 55, qui est adopté.
Article additionnel
M. Mesdach demande la parole et prononce le discours suivant. -
L’article que nous discutons promet une organisation constitutionnelle des
cours de cassation et d’appel, ainsi que des tribunaux de première instance
dans le terme de trois mois qui suivront la promulgation de la loi.
La voilà donc à
peu près fixée, cette époque à laquelle nous verrons organiser la troisième
branche du pouvoir constitutionnel. Sous ce rapport je pense que l’article
mérite les suffrages de la chambre ; mais comme sa disposition ne concerne en
rien les tribunaux de commerce, que l’on semble vouloir conserver sur le pied
actuel jusqu’â l’époque de la révision des lois sur l’organisation judiciaire,
époque qui me paraît bien incertaine, je vais avoir l’honneur de soumettre à
l’assemblée quelques observations sur le mode actuel de nomination des membres
de ces corps judiciaires, mode dans lequel il s’est introduit un abus que je regarde comme très essentiel de
faire cesser.
L’article 105 de
la constitution veut qu’il y ait des tribunaux de commerce dans les lieux
déterminés par la loi. La loi règle leur organisation, leurs attributions., le
mode de nomination de leurs membres, et la durée de ces derniers.
Le maintien de ces
tribunaux est un véritable bienfait de la constitution. Si, pour la bonne
administration de la justice, il est nécessaire que l’on ait une profonde
connaissance des lois, certes il n’est pas moins essentiel, en juridiction
commerciale, d’avoir une grande habitude des opérations du commerce, ce qui ne
saurait être le propre de la magistrature judiciaire ordinaire.
En attendant
l’époque à laquelle le gouvernement sera à même de présenter un projet de loi
sur cet objet, les tribunaux de commerce restent sous l’empire de la
législation actuelle. Ce ne serait pas en ce point-là que nous aurions à
regretter d’en rester dans un état provisoire, si l’on voulait s’en tenir à la
pureté native de cette institution, en soignant d’en écarter tout ce que
l’aversion, que les gouvernements ont ordinairement pour les libertés
publiques, y a introduit de tyrannique.
Messieurs,
avant-hier j’ai contribué à revendiquer en faveur des cours et des tribunaux le
droit politique que la loi leur reconnaît de nommer leurs commis-greffiers.
Aujourd’hui, je viens revendiquer en faveur du commerce le droit qu’il a de
nommer ses propres juges, sans intervention aucune de l’autorité souveraine.
C’est à la loi du
3 vendémiaire an VII que la Belgique dut l’institution de la plupart de ses
tribunaux de commerce. Ils y furent organisés conformément au titre XII de la
loi du 24 août 1790 qui établit pour la nomination des membres de ces tribunaux
un mode particulier d’élection.
L’article 7 statua
que les juges de commerce seraient élus dans l’assemblée des négociants,
banquiers, marchands, manufacturiers, armateurs et capitaines de navires de la
ville où le tribunal serait établi. Elle était grande et généreuse, l’idée de
donner au commerce le droit d’élire ses juges. Ce fut là une des libertés
publiques dont nous sommes redevables à la grande révolution française de 89.
Le législateur français la maintint tout entière dans le code de commerce qui,
comme vous le savez, messieurs, prit vigueur au 1er janvier 1808, et vint, en
cette partie, remplacer les dispositions de la loi d’août 1790.
L’article 618 du
code de commerce statue que les membres des tribunaux de commerce seraient élus
dans une assemblée composée de commerçants notables et principalement des chefs
des maisons les plus anciennes et les plus recommandables par la probité,
l’esprit d’ordre et d’économie. Les articles suivants tracent le mode
d’élection et l’établissent sur un système large et libéral : mais à l’époque
de l’émanation de ces dispositions, nous étions déjà loin de 89 ; l’énergie
révolutionnaire s’était refroidie, et l’autorité, toujours ombrageuse comme
avide de pouvoir, ne semblait s’être raffermie que pour saper de nouveau nos
libertés publiques. Ce fut en vain que le législateur s’était montré généreux
en laissant à l’élite du commerce le droit d’élire ses juges : le chef du
gouvernement d’alors avait à cette époque jeté le masque, et méprisant tous les
principes, et les lois, foulant aux pieds la constitution même qui l’avait
élevé à l’empire, il s’était déjà ouvertement déclaré le tyran de la France.
C’est ainsi qu’au mépris de l’article 618 du code de commerce qui veut que les
présidents, les juges et les juges suppléants des tribunaux de commerce soient
élus, l’empereur prit le décret du 6 octobre 1809, par lequel, remplaçant la
volonté du législateur par sa volonté personnelle, il statua (article 7), que
les procès-verbaux d’élection des membres des tribunaux de commerce seraient
transmis à son ministre de la justice, qui lui proposerait l’institution des
élus, lesquels ne seraient admis à
prêter le serment qu’après avoir été par lui institués. Ce décret, vous
le remarquerez, messieurs, fut signé au palais impérial de Schoenbrunn, et porte
la date du 6 octobre 1809, époque à laquelle l’empereur, enivré par les encens
que lui valut le succès de ses armes à la fameuse bataille de Wagram (6 juillet
de la même année), ne connut plus de frein à sa puissance, et s’érigea en
législateur souverain. Ai-je besoin, messieurs, de vous rappeler ici cette
série de décrets qui après cette mémorable journée, vinrent affliger la France
? Ai-je besoin de vous rappeler ce désastreux décret de février 1810, par
lequel l’empereur, de sa toute puissance et autorité impériale, abrogea la
liberté de la presse, établit la censure, nomma un directeur de l’imprimerie et
de la librairie, et toléra à peine l’émanation d’un seul journal politique par
département. Ce décret, véritable ordonnance de juillet, vit le jour sous
l’escorte du décret du 3 mars de la même année, par lequel l’empereur, pour
mieux assister l’exécution de ses mesures tyranniques, établit des prisons
d’Etat, véritables bastilles dont il couvrit la France. Si je rappelle ici
cette époque désastreuse, c’est dans le désir, messieurs, de faire sentir au
ministère toute la tyrannie de quelques mesures du gouvernement impérial, sous
l’empire desquelles on semble se plaire de nous tenir encore enchaînés
Vous avez vu,
messieurs, que le législateur n’avait pas voulu réserver au pouvoir exécutif le
droit de nommer les membres des tribunaux de commerce, mais que l’empereur se
l’était arrogé tyranniquement, et se réservant par un simple décret le droit
d’instituer les membres de ces tribunaux, C’était là un véritable droit de
veto, qui vint convertir en simple droit de présentation de candidats, le droit
politique d’élection que la loi avait soigneusement réservé au commerce. Ce
droit de veto est encore exercé aujourd’hui, là où certes, si l’on désirait
sincèrement le régime de la liberté, il aurait dû être considéré comme ayant
cessé avec les circonstances de l’époque qui l’avait vu naître. J’en appelle
aux arrêtes des 5 et 16 mars, 4 et 25 mai, 29 juin, 13 et 26 juillet 1831, 10
mars et 16 avril dernier, par lesquels les onze tribunaux de commerce de ce
royaume ont été entachés d’inconstitutionnalité. Je dis inconstitutionnalité,
car, la constitution belge n’a donné au roi le droit de nommer aux places que
pour autant qu’une disposition expresse de la loi l’y autorisât ; or, je crois
avoir prouvé à toute suffisance que depuis l’époque de la création des
tribunaux de commerce jusqu’à ce jour, les lois successives ont statué que les
membres de ces tribunaux seraient élus, ne laissant au pouvoir exécutif que le
droit de nommer les greffiers et les huissiers (articles 618, 624, code de
commerce). Vainement dirait-on que les membres des tribunaux dont il s’agit ont
été élus au vœu de la loi. Cela est possible, et je l’admets même, mais il ne
fallait point soumettre les élections à l’approbation du roi dont l’autorité ne
saurait avoir sur elles aucune influence ; que diriez-vous, messieurs, si un
beau jour le ministre de l’intérieur osait s’aviser de soumettre à
l’approbation royale les élections que les cantons électoraux font des membres
de cette chambre ou du sénat ? Ah ! messieurs, vous ne vous borneriez pas à
désapprouver la conduite du ministre, et l’énergie de la chambre lui garantit
que vous le mettriez en accusation. Eh bien, messieurs, le cas dont le commerce
s à se plaindre est en tout identique. On le prive d’un de ses droits
politiques en continuant une mesure qui ne dut le jour qu’à la tyrannie d’un
gouvernement déchu. Ce n’est pas, messieurs, que jusqu’ici je veuille accuser
le ministre. Je le crois de bonne foi, mais il s’est fourvoyé en s’abandonnant
imprudemment dans des ornières vicieuses, et il est temps de le prévenir de
rentrer dans la voie constitutionnelle. De grâce, MM. les ministres, si pour
vous, le mot de liberté n’est pas une vaine résonnance, si vous reconnaissez
que c’est pour le recouvrement des libertés publiques que cette noble et
généreuse nation a versé son sang et subit depuis deux ans toute espèce de
sacrifices, laissez-lui le libre exercice de ses droits politiques, rendez au
commerce cette belle prérogative d’élire ses propres juges, et vous prouverez à
la nation que vous désirez sincèrement vous en tenir au régime de la loi.
Craignez, MM. les membres, qu’en dédaignant de suivre ce conseil, les électeurs
du commerce ne vous y obligent en refusant de soumettre à vos caprices les
procès-verbaux de leurs élections, et évitez surtout aux cours de justice la
fâcheuse position de devoir refuser l’admission au serment à tout membre qui
produirait un autre titre que celui de son élection.
J’attendrai
que le ministre de la justice veuille bien me donner quelques explications sur
le point dont je me plains ; s’il peut me garantir que dorénavant l’article 7
du décret du 6 octobre 1809 sera considéré comme abrogé et que le commerce
exercera sans entrave son droit d’élection de ses juges, j’adopterai l’article
55. Si au contraire M. le ministre croyait que cette disposition a conservé
vigueur, je proposerai l’amendement suivant en troisième membre de l’article
que nous discutons :
« En
attendant l’organisation des tribunaux de commerce, l’article 7 du décret du 6
octobre 1809 est abrogé. »
M. le ministre de la justice (M. Raikem). - Messieurs, je ne sais pas s’il y a des explications
à donner sur la question de droit que l’honorable préopinant a soulevée et
qu’il est à même d’apprécier aussi bien que moi.
On
nous a parlé des libertés publiques, on s’est adressé au ministre de la justice
: je ne sais, messieurs, si l’on peut me reprocher d’avoir cherché à entraver
les libertés publiques ? Je ne le crois pas, et l’accusation dont on a voulu
faire mention ne m’effraie d’aucune manière.
Quant à moi,
jusqu’à ce que l’arrêté du mois d’octobre 1809 ait été révoqué, je soutiens
qu’il doit être exécuté comme loi, autrement vous n’aurez que le chaos dans
votre législation.
Plusieurs décrets
ont été portés par le chef du gouvernement français : ces décrets, aux termes
de la constitution de l’an VIII devaient être exécutés à moins qu’ils n’aient
été déclarés inconstitutionnels et je ne sais pas si le décret de 1809 a été
déclaré tel, Tant qu’une législation existe, il y a lieu à la respecter.
M. Osy. - Messieurs, je crois également que jusqu’à ce que le
décret de 1809 soit abrogé, il y a lieu à l’exécuter comme loi ; et de là j’en
tire la conclusion que l’amendement de M. Mesdach doit être adopté.
C’est le commerce
qui doit nommer ses juges.
Les dispositions
de l’article 618 du code de commerce sont méconnues ; on a effacé de la liste
des notables les personnes les plus respectables.
Un membre. - J’en sais quelque chose !
Un autre membre. - C’est ce qui est arrivé à Gand !
M. Osy. - Cela pourrait être arrivé ailleurs qu’à Gand.
M. H. de Brouckere. - L’honorable M. Osy m’a prévenu ; c’est dans le sens
de ce qu’il vient de vous dire que je me proposais de parler.
Il y a
véritablement des abus très graves relativement à l’application des articles
618 et 619 du code de commerce. Ce ne sont point les commerçants notables qui
sont inscrits sur la liste dont parlent ces articles, ce sont des commerçants
choisis par les gouverneurs dans certaines opinions, dans certaines coteries.
Je pourrais à cet égard citer des faits, faciles à vérifier, et rappeler
plusieurs articles de journaux.
Plusieurs membres. - Du Messager de Gand.
M. H. de Brouckere. - Ce n’est pas de la ville de Gand seule que je
parle. Je dis qu’il est des localités où les hommes inscrits sur les listes
sont pris exclusivement dans certaines coteries, et l’on n’a pas craint
d’écarter des assemblées des notables les commerçants les plus riches et les
plus considérés, pour y introduire des hommes qui ne jouissent d’aucun crédit,
d’aucune considération quelle qu’elle soit. Je vais plus loin, on y a introduit
des banqueroutiers, plusieurs de mes collègues pourraient attester le fait,
oui, des banqueroutiers et la liste a été approuvée par le ministre.
J’ignore quel sera
le sort de la proposition de l’honorable M. Mesdach, que j’approuve ; mais j’en
ferai une de mon côté. Je demanderai que, par dérogation à l’article 619 du
code de commerce, la liste des notables ne soit plus formée par le gouverneur,
mais par les états députés de la province. Alors on aura quelque garantie que
les notables ne seront plus des agents chargés d’obtenir pour les tribunaux de
commerce des élections dans le sens de certaines opinions, mais qu’ils seront
des électeurs intéressés à ce que les choix tombent sur ce qu’il y a de plus
recommandable et de plus considéré dans la classe des commerçants.
M. Lebègue. - Immédiatement après qu’un honorable membre vous
avait parlé de la ville de Gand, un membre vous a signalé des listes sur
lesquelles des banqueroutiers et gens de peu de confiance auraient remplacé les
négociants les plus notables ; j’espère que cette dernière allégation ne se
rattache point à ce qu’on vous a dit de Gand ; car il est positif que dans
cette ville, le contraire a eu lieu : là quelques noms moins certains ont
fait place à des noms généralement
estimés.
M. le président. - Voici l’amendement de M. H. de Brouckere :
« Par dérogation aux articles 618 et 619 du code de commerce, la liste des
notables commerçants sera dressée par les états députés. »
M. le ministre de la justice (M.
Raikem).
- Nous ne discutons ici que des dispositions transitoires. Il me semble que
l’on ne devrait insérer que de semblables dispositions dans le titre soumis à
la délibération, et que tout ce qui tendrait à établir une législation nouvelle
devrait être l’objet d’une proposition séparée présentée dans d’autres formes.
Je crois donc que
la disposition ne peut être placée sous le titre que nous examinons.
Le décret de 1809
est obligatoire ; quant aux faits allégués relativement à des banqueroutiers
qui auraient été inscrits sur les listes des notables, ce fait n’est pas dans
mes attributions, il est dans les attributions du ministre de l’intérieur.
Quoiqu’il en soit, j’ai peine à croire à
son exactitude.
M. Mesdach. - On veut introduire une disposition pour détruire
un abus et pour la repousser, on invoque les lois existantes ; mais lorsqu’on
la trouve convenable on sait bien écarter les arrêtés.
C’est bien, il me
semble, le système du bon plaisir. Voulez-vous une preuve de ce que j’avance,
ouvrez le Moniteur du 12 mai 1832 et
vous y lirez ceci :
« Dans la
dernière séance du sénat, plusieurs honorables membres de cette assemblée se
sont récriés contre l’existence de l’arrêté du 31 mars 1820, qui a établi ces
impôts à charge des hospices. Ils ont accusé cette disposition d’empêcher les
actes de bienfaisance et d’être onéreuse pour les établissements de charité.
Nous sommes autorisés à faire connaître que, si ces arrêtés n’ont pas été
formellement abrogés, ils demeurent du moins aujourd’hui sans effet. »
Voilà bien le
système du bon plaisir. C’est un système contre lequel je m’élèverai tant que
je pourrai parler, tant que j’existerai. (On
rit.)
M. le ministre de la justice (M.
Raikem).
- Quand on croit qu’un ministre agit inconstitutionnellement, au lieu de
l’attaquer, on propose sa mise en accusation, et si le préopinant croit que
j’ai failli, je le conjure de déposer son accusation sur le bureau de la
chambre.
Veut-on se récrier
contre la constitution de l’an VIII ? Mais placez en regard la loi fondamentale
de 1815, et vous y trouverez les mêmes dispositions.
Il y a loin de
conserver un décret qui a force de loi, à repousser un arrêté
inconstitutionnel. Aucun impôt ne peut être établi que par une loi d’après la
législature de 1815 ; ainsi l’arrêté qui a établi un impôt sur les legs faits
aux hospices ne peut être considéré comme obligatoire ni être mis sur la même
ligne que le décret de 1809.
M. Mesdach. - Messieurs, je n’ai pas l’intention d’accuser le
ministre ; je le crois de bonne foi, mais je crois qu’il est sur la mauvaise
route. La constitution de l’an VIII, pas plus que celle de 1815, ne donnent le
droit de changer la loi ; la loi reste loi ; les décrets, les ordonnances, les
arrêtés ne peuvent que déterminer le mode de son exécution, et non le détruire.
M. Lebègue. - Un honorable membre vous a parlé de listes de notables
commerçants sur lesquelles on voyait figurer des banqueroutiers ; ce fait n’a
pu avoir lieu à Gand ; là on les a éliminés et on les a remplacés par des
hommes honorables.
Plusieurs voix. - C’est vrai ! C’est vrai !
- La chambre ferme
la discussion sur les amendements de MM. Mesdach et H. de Brouckere.
M. le président. - Je vais consulter la chambre sur l’amendement de
M. Mesdach.
M. Lebeau. - C’est un article additionnel que cet amendement.
M. Osy. - Il faut le porter au titre III, « Des
tribunaux. »
M. le président. - Mettons l’amendement aux voix, puis nous verrons
où il faudra le mettre. L’amendement se compose des dispositions présentées par
M. Mesdach et par M. H. de Brouckere.
M. H. de Brouckere. - Mon amendement est indépendant de celui de M.
Mesdach ; on peut adopter l’un sans l’autre.
M. Destouvelles. - On dit dans l’amendement : « En attendant
l’organisation des tribunaux de commerce. » On pourrait croire qu’ils ne
sont pas organisés ; il faudrait dire : « en attendant la révision du code
de commerce. »
M. Mesdach. - J’y consens.
M. H. de Brouckere et M. Liedts. - Mettez « en attendant la réorganisation des
tribunaux de commerce. »
-
L’amendement de M. Mesdach mis aux voix est rejeté.
L’amendement de M.
H. de Brouckere est adopté.
M. le président. - Où veut-on le placer ?
Une voix. - A la queue !
M. A. Rodenbach. - Dans la Flandre orientale il n’y a pas d’états
députés ; il n’y aura donc pas de tribunaux de commerce. C’est
inconstitutionnel !
M. H. de Brouckere. - Il y en aura encore l’année prochaine.
M. A. Rodenbach. - Mais il n’y en a pas actuellement.
« Art. 56.
Les cours supérieures de Bruxelles et de Liége cesseront de connaître des
pouvoirs en cassation le jour de l’installation de la cour de cassation.
« Les
pourvois alors introduits seront portés devant la cour de cassation, par une
assignation faite à personne ou à domicile, à la requête de la partie la plus
diligente.
« Ces
pourvois seront jugés sans admission préalable.
« Ils seront
répartis également entre les deux chambres, par la voie du sort. »
M. le
président. - Voici un
amendement proposé par M. Lieds qui réduirait l’article 56 aux seuls termes
suivants : « Les pourvois déjà introduits lors de l’installation de la
cour de cassation, seront portés devant cette cour pour une assignation faite à
personne ou à domicile, à la requête de la partie la plus diligente. »
M. Liedts. - Messieurs, vous venez d’adopter un article qui fixe
au 15 octobre l’installation de la cour de cassation ; il va sans dire que dès
son installation les cours faisant fonctions de cour de cassation cesseront de
connaître des pourvois ; il est par conséquent inutile de le répéter dans
l’article 56 ; dès lors le premier paragraphe devient inutile. Le troisième
paragraphe devient pareillement inutile, puisqu’il n’y aura plus de chambre des
requêtes ; le quatrième paragraphe se borne à prescrire la répartition des
causes entre les deux chambres, par la voie du sort ; je crois aussi qu’il y a
lieu de supprimer ce paragraphe ; la répartition par la voie du sort est un
mode vicieux et il me semble qu’on peut s’en remettre du soin de distribuer les
causes à la cour de cassation elle-même. C’est dans ce but que j’ai réduit
l’article 56 à la seule disposition de mon amendement qui suffit à tout.
M. le ministre de la justice (M.
Raikem).
- L’article 56 était rédigé dans l’idée qu’il y aurait une section des
requêtes. Aujourd’hui que la chambre l’a supprimée, il est clair que les
paragraphes 3 et 4 doivent disparaître.
M. le président donne une seconde lecture de l’amendement de M.
Liedts.
M. Jullien. - C’est à quoi se réduit l’article 56 ?
M. le président. - Ça remplace tout l’article.
- On met aux voix
l’amendement de M. Liedts ; il est adopté.
« Art 57. Les
arrêtés des 9 avril 1814, 15 mars et 19 juillet 1815, le décret du congrès du 4
mars 1831, et toutes autres dispositions relatives aux pourvois en cassation
devant les cours de Bruxelles et de de Liége, cesseront d’être obligatoires le
jour de l’installation de la cour de cassation.
« Néanmoins,
quant aux pourvois antérieurs, sera observée devant la cour désignée pour en
connaître, la procédure actuellement suivie ; mais si elle cesse, la cour ne
connaîtra pas du fond de l’affaire et le renverra devant une autre cour ou un
autre tribunal. »
M. le président. - Un
amendement de M. le ministre de la justice, et destiné à remplacer cet article,
a été déposé sur le bureau ; en voici les termes :
« Provisoirement
et jusqu’à ce qu’il y ait été autrement pourvu, l’arrêté du 15 mai 1815 sera
suivi dans toutes ses dispositions qui ne sont pas contraires à la présente
loi. »
« La
disposition de l’article 46 dudit arrêté est abrogée, même quant aux pourvoir
antérieurs ; et en cas de cassation l’affaire sera renvoyée devant une autre
cour ou un autre tribunal. »
M. le ministre de la justice (M. Raikem). - D’après une disposition précédemment adoptée, la
chambre des requêtes a été supprimée. On pourra revenir lors du vote définitif
sur cette décision, mais en attendant et dans l’incertitude où l’on est que
cette disposition soit changée, il faut, pour être conséquent, modifier les
articles 57 et 58, car ils supposeraient l’existence d’une chambre des
requêtes. Si nous n’avons pas de chambre des requêtes, il est assez naturel de
suivre la procédure prescrite par l’arrêté du 15 mai 1815 ; provisoirement donc
je propose les dispositions suivantes.
L’orateur donne
lecture de son amendement, et poursuit ainsi : j’ai cru devoir dire que
l’article 46 serait abrogé, parce que la cour de cassation ne jugeant plus le
fond des affaires, il est impossible que cet article subsiste plus longtemps ;
qu’il me soit permis de mettre les termes de cet article sous vos yeux :
« Art 46.
Ceux qui prononceront la cassation jugent irrévocablement entre les parties la
question de droit, et auront sous ce rapport l’autorité de la chose jugée.
« Le
fond sera jugé suivant les distinctions établies par l’arrêté du 9 avril
dernier, soit à la même chambre renforcée qui a prononcé la cassation, soit
devant les mêmes chambres réunies, soit devant un juge de paix, tribunal de
première instance ou cour d’assises, devant lesquels il ne sera plus permis de
plaider que les moyens de droit. Le jugement ou l’arrêt qu’ils rendront par ces
nouvelles plaidoiries sera inattaquable à moins qu’il ne s’écarte d’un point de
droit déjà établi per l’arrêt de la cour en cassation, ou qu’il n’en juge un
nouveau sur lequel la cour en cassation n’a pas encore prononcé dans la même
affaire.
« Dans ces
deux derniers cas le pourvoi sera porté devant la même chambre que le
premier. »
Il suffit de la
simple lecture de cet article pour être convaincu qu’il ne peut s’appliquer aux
pourvois antérieurs.
M.
Jonet. - J’appuie l’amendement proposé par M. le ministre de
la justice, sauf la dernière partie relative à l’article 46. Je ne sais pas
pourquoi l’article 46 de l’arrêté de 1815 serait seul déclaré abrogé. Il y a
beaucoup de dispositions de cet arrêté qui doivent l’être pareillement. Je
préférerais que l’on dît : l’arrêté de 1815 sera exécuté dans toutes celles de
ses dispositions qui n’ont pas été abrogées par des lois postérieures.
M. Lebeau. - C’est clair.
M. le ministre de la justice (M.
Raikem). - S’il ne pouvait pas s’élever de question sur les
pourvois introduits, j’adopterais volontiers l’amendement de l’honorable
préopinant ; mais je lui ferai observer que la première partie de mon
amendement dit déjà que l’arrêté de 1815 sera suivi dans toutes ses
dispositions non contraires à la présente loi. Voilà donc un apaisement pour
l’honorable membre. J’ai ajouté la disposition relative à l’article 46, parce
qu’il s’est plusieurs fois élevé, sur la manière d’interpréter cet article, des
difficultés qui ont dû être résolues par des avis du conseil d’Etat, et j’ai
cru nécessaire d’éviter tout doute à l’avenir.
M. Bourgeois. - Je pense, messieurs, que l’article est purement
provisoire, en ce sens que les règlements de 1814 et 1815 ne sont exécutés que
jusqu’au règlement que fera la cour de cassation. Sans cela, j’aurais dû
signaler dans l’arrêté une disposition qui m’a toujours paru, et qui me paraît
encore, n’être bonne qu’à exposer les parties à des frais frustratoires. Je veux
parler de l’article dont le numéro ne revient pas en cet instant à ma mémoire,
mais par lequel le dépôt au greffe de la requête en cassation est proscrit. On
est obligé d’en lever ensuite une expédition pour la signifier à la partie.
Cette expédition ne peut être que grossoyée, et le défendeur doit y répondre
endéans les deux mois. J’ai vu certaines expéditions de requêtes coûter jusqu’à
300 fr. On pourrait, ce me semble, remplacer cet article par une disposition
qui permettrait de signifier la requête à la partie adverse sur l’original
même, et la réponse devrait être faite dans les deux mois. Si ceci doit avoir
quelque durée, je prie M. le ministre de le dire, parce que dans ce cas, je
devrai rédiger une disposition pour faire disparaître l’abus que je signale, et
qui expose, sans utilité, les justiciables à des frais tout à fait
frustratoires.
M. le ministre de la justice (M.
Raikem).
- L’article lui-même annonce, par sa rédaction, qu’il n’est que transitoire.
Quant au règlement qui doit en faire cesser l’effet, on sent que pour qu’il
soit rédigé et soumis à la législature, pour les dispositions législatives
qu’il pourrait contenir, on sent qu’il faut que la cour de cassation soit
installée. Je crois, en attendant, qu’il n’y a pas grand mal à conserver cette
disposition ; elle existe depuis 15 ans, et il ne s’écoulera pas, sans doute,
un si long intervalle avant que le nouveau règlement ne soit fait. Je trouve,
au reste, que les observations du préopinent sont justes et que l’arrêté du 15
novembre 1815 devrait être corrigé en plusieurs de ses dispositions ; mais ce
n’est pas le moment de le revoir, d’autant plus que nous ne savons encore pas
définitivement si nous n’aurons pas une section des requêtes.
M. Bourgeois. - Il me suffit d’avoir signalé l’abus ; je ne ferai pas de proposition ultérieure,
puisque il résulte de la réponse de M. le ministre que ceci n’est que
transitoire.
M.
Jonet. - Je propose d’ajouter à l’amendement de M. le
ministre de la justice une disposition ainsi conçue : « Quand la cour de
cassation rejettera un pourvoi, elle condamnera le demandeur à payer au
défendeur une indemnité qui ne pourra être moindre de cent francs ni excéder
cinq cents francs. »
Mon amendement et
celui de M. le ministre remplaceraient les articles 57 et 58. Tout le monde est
d’accord sur ce point, que pour la procédure à suivre, il faut s’en tenir
provisoirement à l’arrêté de 1815 ; mais il me semble nécessaire d’y ajouter
une disposition, dont déjà il avait été question quand on
discuta la question de savoir si la chambre des requêtes serait supprimée ;
vous n’avez pas oublié qu’alors on nous disait que la chambre des requêtes
était nécessaire pour arrêter le trop grand nombre de pouvoirs mal fondés ou
témérairement faits. Les personnes qui étaient contraires à l’établissement
d’une chambre des requêtes ont pensé qu’il y avait un autre moyen d’arrêter les
pourvois téméraires, ce serait de condamner le demandeur, indépendamment des
condamnations ordinaires, à une indemnité qui serait plus ou moins forte selon
que le pourvoi paraîtrait à la cour fait avec plus ou moins de bonne foi. On
sait que déjà et dans tous les degrés de juridiction, la partie qui succombe
est condamnée aux dépens, mais la crainte de cette condamnation n’arrête pas
toujours les plaideurs. De là la nécessité de permettre à la cour de cassation
d’en prononcer une plus forte. Si la cour voit que le demandeur est de mauvaise
foi, elle appliquera le maximum de l’amende ; elle appliquera le minimum quand
elle pensera que ce n’est le cas ; en un mot elle modérera la condamnation
selon qu’elle le jugera juste et convenable. Il y a des demandeurs en cassation
dont la bonne foi ne saurait être suspectée, ce sont ceux dont la cause
présente des questions de droit très douteuses et sur lesquelles les opinions
sont partagées ; ceux-là ne méritent aucune peine, la cour aura égard à leur
position.
M. le ministre de la
justice (M. Raikem). - Je ferai observer d’abord que le règlement de 1738
fixe l’indemnité à laquelle est condamné le demandeur dont on rejette le
pourvoi, à la somme de 150 francs ; il n’y a jamais lieu de la diminuer, les
lois existantes n’ont pas abrogé cette disposition du règlement. J’avoue,
messieurs, que je craindrais un peu la latitude qu’aurait la cour s’il lui
était permis de fixer l’indemnité de 100 à 500 francs : ce serait une espèce de
note d’infamie pour le demandeur, toutes les fois que la condamnation
dépasserait 150 francs, et ce serait peut-être une raison d’engager la cour à
ne prononcer jamais que le minimum de l’indemnité. J’ai remarqué, toutes les
fois que pour des dommages la loi fixait un minimum et un maximum, que les
juges n’appliquaient que le minimum ; je l’ai vu très souvent à Liége et même
dans une circonstance où la mauvaise foi était palpable : il s’agissait d’une
requête civile. D’ailleurs, messieurs, il y a des plaideurs qui n’entendent
rien à leur affaire, qui ne la suivent que d’après le conseil de leurs avocats,
conseils qui peuvent très bien être donnés de bonne foi. Vous voyez donc,
messieurs, que ce serait se plonger tout à fait dans l’arbitraire que
d’autoriser la cour à prononcer de telles condamnations. Je suis d’avis que
l’amende de 150 francs suffit et qu’il y a lieu de s’en tenir à la disposition
du règlement de 1738.
M.
Jonet. - Quand j’ai proposé de fixer le minimum de la somme
à 100 fr., je n’ai pas eu précisément la quantité de la somme en vue, mon but
était seulement de fixer le principe ; du reste la somme m’importe peu et je
consentirai volontiers à fixer le minimum de l’indemnité à 150 fr. Je l’ai déjà
dit, ce n’est que pour répondre au désir de ceux qui, à cause de la suppression
de la chambre des requêtes, ont voulu qu’un autre moyen fût mis en usage pour
prévenir les pourvois mal fondés que j’ai proposé mon amendement ; si on ne
l’adoptait pas, quel moyen resterait-il pour les empêcher ? Aucun ; quant à
l’arbitraire dont on a parlé, je ne le reconnais pas. Ce n’est pas comme on dit
une note d’infamie que l’on donnera au demandeur, mais ce sera une justice que
l’on rendra au défendeur, pour les frais de voyages qu’il sera obligé de faire,
pour les honoraires de son avocat, en un mot pour toutes les dépenses qu’un
plaideur est obligé de faire et dont la plus grande partie n’entrent pas en
taxe et ne peuvent être mises et à la charge de la partie qui succombe. Par le
moyen que je propose, les demandeurs ne se pourvoiront qu’avec circonspection.
Je ne m’oppose pas du reste à ce que le minimum de l’amende soit fixé à 150 fr.
M. Leclercq. - Messieurs, malgré ce que vient de dire le
préopinant, je ne vois dans son amendement que de l’arbitraire tout pur. Il
vous propose de fixer une amende dont la quotité pourra varier de 100 fr. à 500
fr. : la latitude est très grande, comme vous voyez. Comment le juge devra-t-il
en user ? Ce sera, vous dit-on, en appréciant le plus ou moins de bonne foi des
parties. Mais, messieurs, cette appréciation est impossible. Car comment
apprécier la bonne ou la mauvaise foi des parties, à quoi la reconnaîtra-t-on ?
Outre qu’il y a des questions fort douteuses et sur lesquelles les magistrats
et les jurisconsultes sont divisés, il y a un grand nombre de plaideurs
incapables d’apprécier leur droit et qui se laissent guider par leurs avocats.
Veut-on que la cour puisse les condamner ? Je le répète, c’est donc de
l’arbitraire tout pur qu’on veut mettre dans les mains de la cour de cassation,
et dans un régime constitutionnel il ne faut de l’arbitraire nulle part.
L’orateur lui-même a dit qu’il y avait des cas où le demandeur succombant ne
devrait pas être condamné. Cela prouve combien l’amendement est dangereux ; car
s’il est des cas où l’on pourrait prononcer à tort une condamnation, il ne faut
pas mettre la cour à même de ne condamner jamais.
M. le ministre de la justice (M.
Raikem).
- Sans aucune disposition nouvelle, l’amende de 150 fr. portée par le règlement
de 1738 doit être prononcée contre le demandeur. Si on veut la majorer, c’est
une chose à voir, mais je ne crois pas que ce soit le cas.
M.
Jonet. - Le règlement de 1738 n’existe plus. Cette question
a été soulevée à la cour de Bruxelles, et jamais on ne prononce l’amende.
M. Fleussu. - A Liége, toujours.
M. le ministre de la justice (M.
Raikem).
- Je respecte la jurisprudence de la cour de Bruxelles et j’avoue que je ne la
connaissais pas sur ce point ; mais je respecte aussi la jurisprudence de la
cour de Liége, et toujours à Liége l’amende de 150 fr. a été prononcée ; mais
puisqu’il y a divergence et doute, c’est une raison de plus pour trancher la
difficulté et pour insérer dans la loi actuelle la disposition du règlement de
1738.
M. Destouvelles. - Je conçois difficilement la diversité de
jurisprudence sur ce point entre les cours de Bruxelles et de Liége, car la
difficulté est levée par l’article 60 du règlement de 1815 : « Dans tous
les cas, dit cet article, non prévus par le présent règlement, on suivra les
lois qui étaient en vigueur à l’époque de l’occupation de la Belgique,
notamment le règlement de 1738, » c’est ce règlement qui porte l’amende de
150 fr. ; je ne conçois pas comment la cour de Bruxelles a pu se refuser à
l’appliquer.
M.
Jonet. - Je vais vous l’expliquer. C’est parce qu’une autre
disposition de l’arrêté disant que la partie qui succombe est condamnée aux
dépens, sans parler de l’amende, on n’a pas cru pouvoir en prononcer la
condamnation.
- La lecture est
réclamée, mise aux voix et prononcée.
M. le président donne lecture des amendements de M. le ministre de la
justice et de M. Jonet.
M.
le ministre de la justice (M. Raikem). - Je demande la parole. (Il y a clôture.) Ce n’est pas sur le fond de la discussion, mais sur
la position de la question. Je propose que, conformément au règlement de 1738
on fixe l’amende à 150 francs, et dans le cas où l’on établirait un minimum et
un maximum, que le minimum ne soit pas au-dessous de 150 fr. Je demande ensuite
la division, c’est-à-dire, que l’on décide d’abord en principe s’il y aura une
amende, et si elle sera augmentée.
M.
Jonet. - Je consens au minimum de 150 fr.
M. le président. - Il ne reste plus que la question s’il y aura un
maximum. (Non ! non !)
M. Leclercq. - Il y a deux questions, savoir si en principe on
admettra l’amende, en second lieu, s’il y aura un maximum et un minimum.
M. le président. - Fixera-t-on l’amende à 150 francs ?
- Cette question
est adoptée.
On met ensuite aux
voix s’il sera loisible à la cour de la faire monter à 500 fr.
Cette proposition
de M. Jonet est rejetée.
L’article, amendé
par le ministre de la justice est adopté avec cette disposition de plus :
« Quand la
cour de cassation rejettera un pourvoi, elle condamnera le demandeur à payer au défendeur une indemnité de 150
francs. »
Article 59 à 61
Les articles 59,
60 et 61 sont ensuite adoptés sans discussion ni amendement, en ces termes :
« Art. 59.
Les affairas pendantes devant la cour de Bruxelles qui deviendront de la
compétence de la cour d’appel de Gand, seront poursuivies devant cette dernière
cour, par des assignations faites à personne ou à domicile. »
« Art 60. Les
officiers ministériels actuels continueront l’exercice de leurs fonctions.
Néanmoins, le nombre en sera fixé par le gouvernement sur l’avis des cours et
des tribunaux, et, s’il y a lieu à réduction, elle s’effectuera par suite de
démission, de destitution ou de décès. »
« Art. 61.
Dans le mois de son installation, la cour d’appel de Gand présentera les avoués
et les huissiers qui devront exercer près d’elle, et donnera son avis sur le
nombre qu’elle jugera nécessaire.
« Jusqu’à la
nomination de ces officiers ministériels, les avoués et les huissiers près le
tribunal de première instance de Gand pourront exercer près la cour d’appel.
En ce moment, M. Ch. de
Brouckere entre et demande la parole pour faire le rapport de la
section centrale, sur le projet de loi relatif à la levée des 50,000 hommes. (Suit le rapport de la section centrale et le
projet amendé par celle-ci, non repris dans la présente version numérisée.)
(L’impression ! l’impression !)
M. Dumortier.
- Je demande que le projet soit réimprimé en entier et tel que vient de le
rédiger la section centrale. Si on n’imprimait que les amendements, il serait
impossible de s’y reconnaître.
M. Verdussen. - Je demande que la discussion de ce projet soit
renvoyée à lundi. Quand il sera imprimé il faudra le méditer et il faut bien un
jour pour cela. (Non ! non ! A demain ! à
demain !)
M. le président. - Le projet a été déclaré urgent. (A demain ! à demain !) Quant à la
proposition de M. Dumortier, je crois qu’il convient d’y faire droit. (Oui ! oui !) Je vais maintenant mettre
aux voix la question de savoir si la chambre veut discuter demain.
La chambre décide
qu’elle discutera le projet demain.
PROJET DE LOI PORTANT ORGANISATION JUDICIAIRE
Discussion des
articles
Articles additionnels
M. le président. - La discussion du projet d’organisation judiciaire
est terminée. Mais M. Bourgeois a
proposé deux articles additionnels, dont voici les termes :
« Article
additionnel (à la fin du titre II, art. 43). Les questions d’état et de prises
à partie qui, aux termes des articles 22 du décret du 30 mars 1808 et 7 de
celui du 6 juillet 1810, doivent être jugées par deux chambres réunies, le
seront par une seule chambre, an nombre complet de 7 membres.
« En cas
d’empêchement légitime d’un ou de plusieurs des membres dont cette chambre se
compose, ou si le nombre des membres dont elle est composée était intérieur à
celui de 7, cette chambre sera complétée par des conseillers d’une autre, à la
désignation du premier président. »
« Paragraphe
à ajouter à l’article additionnel 27, déjà admis au titre premier.
« Les
pourvois en cassation contre des arrêts rendus dans les cas prévus par l’article
43 de la présente loi, seront jugés par la chambre civile, au nombre complet de
neuf membres.
« En cas
d’empêchement légitime d’un ou de plusieurs des membres dont elle se
compose, cette chambre sera complétée par d’autres conseillers, à la
désignation du premier président. » (Aux
voix ! aux voix !)
- On met aux voix
les deux articles, quatre ou cinq membres se lèvent pour. (La contre-épreuve ! la contre-épreuve !)
La contre épreuve
est faite, il n’y a encore que quatre membres qui y prennent part.
M. le président. - On ne prend point part aux votes.
Plusieurs voix. - On n’a pas compris.
M. le président. - Il s’agit des articles additionnels de M.
Bourgeois que vous avez sous les yeux.
Plusieurs voix.- Une nouvelle lecture !
M. le président. - Vous les avez sous les yeux, mais je vais les
relire.
- Après la
lecture, M. Bourgeois demande la parole.
M. Bourgeois. - Messieurs, en proposant les deux dispositions que
vous venez d’entendre, mon but n’a pas été d’introduire une nouvelle
jurisprudence, mais uniquement de faire que la cour de cassation puisse juger
les questions d’état, sans qu’il y ait une espèce de contradiction dans la
manière dont elle sera composée avec la manière dont seront composées les cours
d’appel. De ce que la cour de cassation n’est composée au grand complet que de
19 membres, il me paraît qu’il doit s’ensuivre que lorsque des questions d’état
seront à juger, (et il s’en présente assez
fréquemment, les prises à partie sont plus rares), la cour ne serait pas
composée comme on doit le désirer. En effet, les questions d’état devant une
cour d’appel, sont jugées d’après la loi existante, chambres réunies. Ce serait
par onze conseillers. Il serait assez déraisonnable, sur le pourvoi contre un
pareil arrêt, de voir la cour de cassation juger au nombre de 7 juges
seulement. D’un autre côté, si la cour de cassation jugeait sur le pourvoi,
deux chambres réunies, chaque chambre étant composée de 7 conseillers, il en
faudrait 15 pour rendre arrêt ; et si sur le renvoi de la cause il y avait un
second pourvoi, la cour n’étant composée que de 19 membres, quand on la
supposerait réunie au grand complet sans qu’aucun de ses membres fût absent ou
malade, il n’en resterait que 4 qui n’auraient pas connu de l’affaire. C’est
pour éviter cet inconvénient que mon amendement a été proposé.
M. Destouvelles. - Je remarque, messieurs, que l’honorable préopinant
a proposé deux articles additionnels. Par le premier, il propose que la chambre
qui jugera une question d’état soit composée de 7 membres, et par le second,
que le pourvoi soit porté devant une chambre composée de 9 conseillers. Il me
semble qu’il y a là quelque chose qui n’est pas en harmonie avec la composition
des chambres. Je demande qu’on retranche des articles le mot
« complet, » car ce mot supposerait que les chambres des cours
d’appel sont composées de 7 membres et celles de la cour de cassation de 9,
tandis que l’intention de l’auteur des articles est de dire qu’il faudra dans
un cas que l’affaire soit jugée par 7 conseillers et dans le second par 9, et
cela indépendamment des membres dont chaque chambre est composée.
M. Bourgeois. - Si ce n’est que la suppression du mot
« complet » qu’on demande, je ne m’y oppose pas.
M. Destouvelles. - Mon observation ne tombe que sur ce mot. (Aux voix ! aux voix !)
Les articles
additionnels sont mis aux voix et rejetés.
M. le président. - Il n’y a plus rien à l’ordre de jour. Pour le vote
définitif de la loi, on fera imprimer le projet primitif en regard de tous les
amendements adoptés.
La séance est
levée à 3 heures 1/2.
Noms des membres
absents sans congé à la séance de ce jour : MM. Angillis, Barthélemy, Dams, de
Foere, Delehaye, de Meer de Moorsel, de Mérode, de Robaulx, Gelders, Goethals,
Jaminé, Pirson, Van Innis, Watlet.