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Chambre des représentants de Belgique
Séance du mercredi 20 juin
1832
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre
2) Projet
de loi portant organisation judiciaire. Tribunaux de première instance. Mode de
nomination du greffier (Lebègue, Raikem,
d’Elhoungne, Lebeau, H. de Brouckere, Jullien, Raikem, H. de Brouckere, A. Rodenbach, Helias d’Huddeghem,
Lebègue), ministère public et/ou juge de paix (Raikem, Destouvelles, Lebeau, H. de Brouckere, Lebègue, Raikem, Liedts,
Bourgeois, Lebègue), vacance
des cours et des tribunaux (Helias d’Huddeghem, Jaminé, Devaux, Helias
d’Huddeghem, Barthélemy, Jullien,
Destouvelles, Barthélemy,
Lebeau, Leclercq, Barthélemy), première nomination des membres de l’ordre
judiciaire (cours d’appel) (H. de Brouckere, Lebeau, Jullien, Raikem,
d’Elhoungne, Milcamps, Legrelle, (+emploi du néerlandais dans les affaires
judiciaires à Anvers) Gendebien, (+ orangisme) A. Rodenbach, d’Elhoungne, Mary, Jullien, Raikem,
Barthélemy, Gendebien, Devaux, Devaux, (+orangisme) (de Gerlache, Lebeau, Gendebien))
(Moniteur belge n°174, du 22 juin 1832)
(Présidence de M. de Gerlache.)
A midi et demi la
séance est ouverte.
M. Dellafaille fait l’appel nominal et donne lecture du procès-verbal, dont la
rédaction est adoptée.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
M. Jacques fait connaître l’objet de plusieurs pétitions
adressées à la chambre ; elles sont renvoyées à la commission spéciale.
PROJET DE LOI PORTANT ORGANISATION JUDICIAIRE
Discussion des
articles
L’ordre du jour
est la suite de la discussion du projet de loi concernant l’organisation
judiciaire.
Article 44
« Art. 44.
Les greffiers sont nommés directement par le Roi.
« Le nombre
des commis-greffiers est déterminé par le gouvernement, suivant les besoins du
service. Ils sont nommés par le Roi sur une liste triple de candidats présentée
par le greffier. »
M. le
président. - Un amendement
est présenté par M. Lebègue : il demande que les commis-greffiers soient nommés
par le tribunal sur une liste triple présentée par le greffier.
M. Lebègue. - Messieurs, en discutant hier l’article 35 du projet
de loi, la chambre a entendu les raisons qui militaient en faveur de la
nomination des commis-greffiers par les corps près desquels ils devaient
exercer : on a donc admis le principe contenu dans l’article 35 du projet en
adoptant cet article. Maintenant nous discutons un article semblable.
Je crois que les
motifs exposés pour soutenir que les commis-greffiers doivent être nommés par
les cours d’appel s’appliquent à mon amendement, et comme elles ont été
suffisamment développées, il est inutile d’y revenir. Je me bornerai donc à
demander que le principe, d’après lequel on a modifié l’article 35, soit
appliqué à l’article 44.
M. Jullien. - Je prie M.
le président de faire une seconde lecture de l’amendement.
M. le
président. - Au lieu des
mots : « Ils sont nommés par le Roi, » M. Lebègue demande que l’on
mette : « Les commis-greffiers seront nommés par le tribunal sur une liste
triple de candidats présentée par le greffier. »
M. Lebègue. - Mon amendement est absolument le même que celui de
l’article 35.
M. le ministre de la justice (M. Raikem). - On a
combattu l’amendement qui a modifié l’article 35. J’ai fait observer, lors de
la discussion de cet article, que pour la cour de cassation on avait laissé la
nomination des commis-greffiers au Roi ; que l’article 4, relatif à cet objet,
a été adopté sans discussion ; qu’en admettant un principe contraire, on
introduirait dans la loi une bigarrure choquante. On vous a dit pourquoi il
fallait que des agents, faisant des actes auxquels on doit ajouter foi jusqu’à
inscription de faux, fussent nommés par le Roi ; je ne reviendrai pas sur
toutes les raisons alléguées. Dans le vote définitif, on verra s’il existe des
motifs assez puissants pour conserver la bigarrure introduite dans la loi.
M. Lebègue. - Messieurs, je sais qu’il y a une anomalie dans la
loi ; mais la chambre n’a introduit cette anomalie qu’avec conviction, et qu’en
manifestant le regret d’avoir adopté l’article 4. Vous avez discuté et admis un
principe, appliquez-le encore une fois, et vous aurez une bigarrure de moins,
et vous n’aurez dans le vote définitif à revenir que sur une erreur.
Au reste, il y a
moins d’inconvénients à laisser au Roi la nomination des commis-greffiers près
la cour de cassation que celle des commis-greffiers près des cours d’appel et
des tribunaux ; les premiers sont sous la main du gouvernement ; il peut les
connaître et faire de meilleurs choix ; mais comment voulez-vous qu’il
connaisse des hommes situés dans des petites villes éloignées près des
tribunaux de première instance ? Les juges sauront mieux choisir que le
gouvernement les individus dans lesquels on peut avoir confiance,
M. d’Elhoungne. - Le préopinant vient de proposer l’application du
principe que j’ai soutenu devant la chambre. La disposition de l’article a eté,
il est vrai, adoptée sans discussion ; elle consacre la nomination des
commis-greffiers par le Roi, et une anomalie est signalée dans la loi ; mais,
messieurs, il y a un moyen de détruire cette anomalie, c’est de revenir sur
cette disposition lors du vote définitif et de donner à la cour de cassation la
nomination de ses commis-greffiers. On pourrait même réunir les articles 4, 35
et 44 en un seul en appliquant un seul principe aux cours et tribunaux.
M. Lebeau. - Je suis entièrement de l’avis de M. d’Elhoungne ;
il y a moyen de mettre en harmonie trois articles disparates, c’est, lors du
second vote, de les réunir en un seul. On a dit qu’adopter l’amendement de M.
Lebègue, ce serait empêcher l’introduction d’une bigarrure de plus, et que
cette considération est un argument en faveur de la proposition ; je ne partage
pas cette opinion, je demande que l’amendement soit rejeté afin qu’on
n’introduise pas deux propositions contraires aux véritables principes.
Jusqu’ici la
question est indécise puisque sur des articles identiquement les mêmes au fond,
vous l’avez résolue différemment.
Je concevrais très
bien qu’on pourrait laisser la nomination des commis-greffiers aux tribunaux
s’ils n’étaient pas officiers publics, s’ils ne donnaient pas un caractère
d’authenticité à leurs actes, tellement qu’ils font foi jusqu’à inscription de
faux ; or, je ne crois pas que les tribunaux puissent imprimer le caractère
d’authenticité aux hommes qu’ils auraient choisis, ni user du droit de
révocation ; ce pouvoir n’appartient qu’au gouvernement ; lui seul, dépositaire
de tous les pouvoirs publics, peut accréditer des agents publics.
La question est
maintenant de savoir si vous voulez enlever au gouvernement ses prérogatives ;
si, ayant décrété la royauté en la forme, vous voulez la république au fond.
Au
reste, j’en reviens à la distinction que j’ai déjà indiquée. Si les
commis-greffiers n’étaient pas des fonctionnaires publics, si ces hommes, en
l’absence du greffier, ne pouvaient pas donner de l’authenticité aux actes qui
sortent de leurs mains, je dirais qu’il faut laisser les nominations aux cours
et tribunaux ; mais si le commis-greffier est aussi un officier public, s’il
peut instrumenter en l’absence du greffier, il ne peut recevoir ce pouvoir que
de celui qui a le droit de faire de semblables délégations.
Si l’on fait
nommer les commis-greffiers par les tribunaux, pour être conséquent avec ce
principe erroné, il vaudrait mieux dire dans les mêmes articles que les
greffiers en chef seront aussi nommés par les cours et tribunaux.
Si vous adoptez
l’amendement, vous sanctionnez une anomalie déjà introduite et que rien
n’appuie.
M. H. de Brouckere. - Et moi, messieurs, je me lève pour que l’amendement
de l’honorable M. Lebègue soit admis.
Hier, après une
longue discussion, vous avez décidé que les commis-greffiers seraient nommés,
non par le gouvernement, mais par les cours d’appel elles-mêmes. Les mêmes
motifs qui vous ont déterminés doivent vous déterminer encore.
Il est vraiment
inconcevable que l’on veuille adjoindre aux cours et aux tribunaux des hommes,
des commis-greffiers, à la nomination desquels ils ne seraient intervenus en
rien. Je ne demandais pas la nomination des commis-greffiers par les tribunaux,
je demandais que les tribunaux concourussent à la présentation de la liste des
candidats, parmi lesquels le Roi nommerait les commis-greffiers ; M. le
ministre de la justice s’est opposé à mon amendement et j’ai donné ma voix à
celui de M. d’Elhoungne.
Je dirai plus,
j’ai trouvé l’amendement de M. d’Elhoungne préférable au mien et je regrette
que l’article 4, relatif à la nomination des commis-greffiers de la cour de
cassation ait été adopté ; mais de ce qu’il y a une mauvaise disposition dans
la loi, ce n’est pas une raison d’en admettre deux : il y a, il est vrai, moins
de danger pour la cour de cassation que pour les cours d’appel et les
tribunaux, et la raison en est que dans les cours d’appel et les tribunaux de
première instance il y a des questions de fait qui ne se traitent pas à la cour
de cassation, et où par conséquent les indiscrétions sont peu à craindre.
Généralement il
est à redouter que l’homme que l’on mettrait près d’un tribunal ne fût un
espion, comme l’a dit M. Gendebien ; c’est ce que l’on a vu et ce que l’on
verra encore.
Non
seulement les commis-greffiers n’étaient pas nommés en France par le roi, mais
ils l’étaient par le greffier lui-même.
On vous a cité la
loi de 1790, qui a été répétée par la législation de 1810 ; par ces lois, les
commis-greffiers n’étaient pas nommés par le pouvoir exécutif ; et cependant
ils faisaient des actes authentiques, et l’on ne s’est pas plaint de cet état
de choses.
Les huissiers,
comme le dit un des honorables voisins, sont nommés par les tribunaux, et
cependant ils font des actes authentiques.
J’appuie de tout
mon pouvoir l’amendement de M. Lebègue.
M. Jullien. - Si l’article 4 ne fût passé inaperçu, mon intention
était de m’opposer à la nomination des commis-greffiers et même à la nomination
des greffiers par le Roi.
Le greffier
assiste aux séances de la chambre des conférences ; il est dans l’intimité des
juges ; il faut qu’il ait toute leur confiance ; il peut n’être pas un espion,
mais il peut être un surveillant incommode (on
rit), qui peut rapporter au gouvernement ce qu’il aura entendu dire dans
les conférences. En 1791, lors de l’institution de la cour de cassation, on n’a
pas hésité à donner la nomination du greffier en chef à la cour. Voici
l’article de la loi, pour qu’on n’en doute pas.
C’est l’article 27
de la loi de novembre 1790, où il est dit en parlant du greffier en chef :
« Les membres de la cour le nommeront au scrutin et à la majorité des voix
; ce greffier ne sera révocable que pour prévarication jugée. »
Ces dispositions,
il est vrai, ont été changées plus tard.
Quoi qu’il en
soit, les motifs que l’on a fait valoir pour que la nomination soit donnée aux
cours et tribunaux restent les mêmes et doivent faire impression sur vos
esprits.
Les
greffiers, a-t-on objecté, font des actes authentiques auxquels on doit ajouter
foi jusqu’à inscription de faux ; donc ils doivent être nommés par le Roi :
cette objection ne me touche pas. Dès l’instant que la loi laisse à la
nomination des tribunaux à un certain fonctionnaire, ce fonctionnaire est
institué par la loi. Quand la loi dit : un fonctionnaire sera nommé par tel
corps, c’est elle qui nomme. Ainsi l’objection faite n’est pas ce qu’on appelle
relevante.
Les tribunaux,
comme on l’a très bien fait observer, nomment les huissiers, et les huissiers
font des actes authentiques. Les gardes forestiers, présentés par un
propriétaire, qui le fait admettre au serment, font aussi des actes qui ont foi
en justice.
L’objection
présentée par M. Lebeau ne me semble pas suffisante pour écarter le principe
adopté hier.
M. le ministre de la justice (M. Raikem). - L’on vous a fait valoir plusieurs considérations
tendant à prouver que la nomination des commis-greffiers doit être faite par le
Roi. On a opposé la loi de 1790, qui conférait à la cour de cassation la
nomination même de son greffier en chef. J’ai déjà répondu dans une précédente
séance qu’en 1790 il n’y avait pas d’inamovibilité judiciaire ; que les juges étaient
nommés pour cinq ans ; que les idées républicaines faisaient alors irruption de
tous côtés.
Nous avons une
forme de gouvernement absolument différente.
La nomination du
greffier ne souffre pas de difficulté ; on n’en élève que pour les
commis-greffiers.
On dit d’abord que
la nomination par le Roi des commis-greffiers près la cour de cassation
présentait peu d’inconvénients parce que cette cour ne traitait pas les points
de fait, et que les indiscrétions n’étaient pas à craindre ; mais devant la
cour de cassation s’agitent les questions de conflit de juridiction, dans
lesquelles le gouvernement peut être intéressé, et bien plus intéressé que dans
des questions d’intérêts privés que jugent les tribunaux de première instance.
On
dit que les huissiers nommés par les tribunaux font des actes authentiques. A
cet égard, je ferai remarquer que d’après la loi de l’an VIII, les huissiers
étaient nommés par le premier consul, puis par l’empereur sur une liste
présentée par les tribunaux. Par un arrêté de mars 1816, la nomination des
huissiers a été conférée aux tribunaux ; mais sous le gouvernement précédent un
arrêté aussi avait conféré au gouvernement la nomination des huissiers. Ou a
soutenu que cet arrêté était inconstitutionnel : je demanderai si l’arrêté de mars
1816 était plus constitutionnel. Ainsi l’argument tombe, et je crois qu’on peut
persister avec raison à demander la nomination des commis-greffiers ainsi que
le propose la section centrale.
M. H. de Brouckere. M. le ministre de la justice dit qu’en 1790 les idées
républicaines germaient, et que comme elles ne germent plus, on ne peut
appliquer la législation de cette époque. Je demanderai si les idées
républicaines germaient en 1810. Alors la loi donnait la nomination des
commis-greffiers, non au gouvernement mais au greffier en chef.
J’ai dit qu’il n’y
avait pas d’anomalie à ce que le gouvernement nommât les commis-greffiers de la
cour de cassation, parce que près de cette cour on exige différentes conditions
des commis-greffiers : il faut qu’ils aient 25 ans, qu’ils soient licenciés en
droit, etc. Voilà certes des garanties ; mais pour les cours et tribunaux il
n’y a aucune garantie, et le gouvernement pourra faire tomber ses choix sur qui
il voudra.
Cela me paraît une
chose inconcevable que l’on puisse nommer des greffiers et des commis-greffiers
sans que les cours et tribunaux interviennent dans ces nominations : les
commis-greffiers sont les secrétaires des membres des cours et des tribunaux,
ce sont des hommes qu’on leur adjoint ; ils doivent donc les agréer.
Quand
je vous dis que le gouvernement peut avoir intérêt à introduire des espions
dans la chambre du conseil, le ministre répond que ce qui se plaide dans les
cours et tribunaux ne sont que de petites affaires, et qu’à la cour de
cassation se plaident les conflits d’attributions : messieurs, c’est devant les
cours et devant les tribunaux que se traitent les questions politiques, les
causes d’opinions ; et c’est pour ces causes que le gouvernement a intérêt de
connaître les sentiments politiques des juges.
M. le président. - La parole est à M. d’Elhoungne.
M. d’Elhoungne. - J’y renonce. (Aux
voix ! aux voix !)
M. A. Rodenbach. - Il s’agit d’un principe, votons par appel nominal.
M. Helias
d’Huddeghem. - Quand les
juges entrent dans la chambre du conseil, on peut mettre les greffiers à la
porte. (Oh ! oh !)
Quant aux exemples
d’espionnage qu’on a cités, je dirai qu’il y avait près des cours et tribunaux
d’autres personnes que des commis-greffiers qui servaient d’espions au
gouvernement. (Bruit.)
Par l’article 4,
vous avez donné les nominations des commis-greffiers de la cour de cassation au
Roi ; comment pourrez-vous la lui ôter dans d’autres articles ? (Aux voix ! aux voix !)
M. Lebègue. - D’après les considérations présentées par M. Lebeau
il s’agit d’un principe ; je crois alors qu’il faudrait procéder par appel
nominal.
M. le
président. - On votera par
appel nominal, si cinq membres se lèvent.
Environ quinze
membres se lèvent.
L’appel nominal
lieu, en voici le résultat : votants 73 ; oui, 39 ; non 34.
Ont voté pour :
MM. Berger, Taintenier, Brabant, Coppens, Coppieters, Corbisier, Dams,
Dautrebande, H. de Brouckere, Julien, Lardinois, Lebègue, Leclercq, Lefebvre,
Liedts, Mary. Mesdach, Legrelle, Osy, Raymaeckers, A. Rodenbach, Seron,
Thienpont, Vanderbelen, Van Innis, Vergauwen, Verhagen, Watlet, d’Elhougne,
Dellafaille, de Roo, Desmanet de Biesme, Desmet de Woelmont, d’Huart,
d’Hoffschmidt, Dumont, Jaminé, Jonet.
Ont voté contre :
MM. Barthélemy, Boucqueau de Villeraie, Bourgeois, Cols, W. de Mérode, de
Muelenaere, Destouvelles, de Terbecq, de Theux, Devaux, Dewitte, Domis, Dubus,
Dumortier, Duvivier, Goethaels, Helias d’Huddeghem, Jacques, Lebeau, Milcamps,
Morel-Danheel, Olislagers, Pirmez, Polfvliet, Poschet, Raikem, Ullens,
Verdussen, Ch. Vilain XIIII, H. Vilain XIIII, Vuylsteke, Zoude, de Gerlache, et
F. de Mérode.
L’article 44
modifié est mis aux voix et adopté ; voici en quels termes il est conçu :
« Les greffiers
sont nommés directement par le Roi.
« Le nombre des
commis-greffiers est déterminé par le gouvernement suivant les besoins du
service ; ils sont nommés par le tribunal, sur une triple de candidats
présentée par le greffier. »
Article 45
« Art. 45.
Lorsqu’une place de président ou de vice-président devient vacante, le tribunal
en avertit le premier président de la cour d’appel, et le procureur du Roi en
donne avis au procureur-général.
« Les formes
pour la présentation aux places de conseillers sont observées.
« La présentation
appartient au conseil de la province où la place est vacante. »
- Cet article est
adopté sans discussion.
Articles additionnels (articles 46 et 47)
M. le ministre de la justice (M.
Raikem).
- J’ai ici deux articles additionnels à proposer. Ils sont ainsi conçus :
« Les
fonctions qui étaient attribuées aux procureurs criminels sont exercées par les
procureurs du Roi dans les tribunaux de première instance des arrondissements
dans lesquels siègent les cours d’assises ou leurs substituts. »
« Nul ne peut
être juge de paix, s’il n’est âgé de 25 ans accompli. »
Je
propose d’établir par une loi ce qui est établi en vertu de dispositions
particulières. Tel est le but du premier article additionnel.
Quant au second,
il y a discussion entre les auteurs pour savoir s’il faut être âgé de 25 ou de
30 ans pour être juge de paix ; nous avons cru devoir proposer 25 ans et
trancher la question.
M. Destouvelles. - La disposition relative aux juges de paix
trouverait mieux sa place à l’article 53.
M. le ministre de la justice (M.
Raikem).
- A l’article 53 il s’agit de dispositions transitoires, et l’article
additionnel concernant les juges de paix ne renferme pas une disposition
transitoire.
M. Lebeau. - Ne
faudrait-il pas être licencié en droit pour être juge de paix ?
M. le ministre de la justice (M. Raikem). - La qualité de licencié n’est pas requise par les
lois ; je n’ai cru devoir prononcer que sur l’âge.
Quant à la première
disposition, elle est calquée sur la loi française. (Aux voix ! aux voix !)
M. H. de Brouckere. - Je crois que l’amendement ne peut pas être adopté,
car il faut faire une exception pour les localités où se trouve une cour
supérieure.
Des membres. - L’exception existe évidemment.
M. H. de Brouckere. - L’amendement est général : on dit que c’est le
procureur du Roi qui remplit les fonctions de procureur criminel là où il y a
une cour d’assises. Il me semble qu’il faut changer la rédaction.
M. le ministre de la justice (M.
Raikem).
- A moins que ce ne soit à Gand il n’y a de procureur criminel près des cours
d’assises que là où il n’existe pas de cour d’appel. C’est ainsi que la loi
française a été rédigée ; elle n’a donné lieu à aucune difficulté ; elle a été
interprétée partout de la même manière.
M. Jullien. - M. le président, donnez encore lecture des
amendements.
M. le
président relit les
articles additionnels.
M. Lebègue. - Je crois les dispositions fort bonnes ; mais je me
suis aperçu assez souvent que quelque simple que paraissent des propositions au
premier coup d’œil, on les trouve plus complexes et même présentant des
inconvénients quand on les examine. Je crois que si l’on donnait 24 heures pour
réfléchir sur celles-ci… (Non ! non ! Aux
voix !)
On dit qu’il ne
faut que 25 ans pour être juge de paix ; je vous demanderai s’il ne faudrait
pas d’autres conditions, s’il ne faudrait pas être licencié ou avoir été
suppléant… Je ne dis pas oui, je ne dis pas non ; mais du moins il faudrait
réfléchir.
M. le ministre de la justice (M. Raikem). - Si de la rédaction pouvait naître la difficulté, il
suffirait d’ajouter un mot dans le premier article additionnel et mettre
« dans les lieux où il n’y a pas cour d’appel. »
Quant au second
article additionnel, je ne vois pas qu’il puisse occasionner de discussion :
lorsqu’on peut être représentant à 25 ans, il me semble qu’on peut bien être
juge de paix.
Un
des honorables préopinants a demandé un certain délai pour voir s’il n’y aurait
pas utilité d’ajouter d’autres conditions pour être juge de paix. On pourrait
demander, a-t-il dit, qu’ils fussent licenciés en droit, ou qu’ils eussent été
suppléants ; mais je fais observer que l’on ne pouvait pas pour le moment
exiger des conditions qui n’étaient pas prescrites par les lois. Je n’ai
proposé l’article que parce qu’il y a dissidence sur la question de savoir s’il
faut 30 ans ou 25 pour être juge de paix.
M. Bourgeois. - Je demande la parole.
M. le
président. - M. Liedts
propose d’ajouter au premier article additionnel « dans les lieux autres
que ceux où siège une cour d’appel. »
M. Liedts. - C’est un sous-amendement.
M. Bourgeois. - Je ne veux pas m’opposer à l’adoption du second
article additionnel ; mais je crois que les lois françaises parlent en même
temps des suppléants : comme les suppléants remplissent les fonctions de juges
de paix, il me semble qu’il faudrait aussi fixer l’âge des suppléants.
M. le ministre de la justice (M. Raikem). - Il faut ajouter « suppléant. »
M. Lebègue. - Vous le voyez, plusieurs remarques importantes sont
faites sur les amendements… Je ne m’oppose pas à leur adoption, mais on
pourrait avoir besoin d’y réfléchir…
Des membres. - L’ajournement !
M. le
président. - Je vais mettre
aux voix l’ajournement de la délibération sur les deux articles additionnels.
- L’ajournement
mis aux voix n’est pas adopté.
M. le
président. - Voici le
premier article additionnel sous- amendé :
« Les
fonctions qui étaient attribuées aux procureurs criminels dans les lieux autres
que ceux où siègent les cours d’appel, seront exercées par les procureurs du
Roi près les tribunaux de première instance des arrondissements dans lesquels
siègent les cours d’assises, ou par leurs substituts. »
- Cet article est
adopté et fera l’article 46 de la loi.
M. le
président. - Voici le
second article additionnel :
« Nul ne peut
être juge de paix ou suppléant s’il n’est âgé de 25 ans accomplis. »
- Cet article est
également adopté et fera l’article 47 de la loi.
Article 47 (projet
de la section centrale)
« Art. 47.
Les chambres civiles des cours d’appel et des tribunaux de première instance
vaqueront depuis le 15 août jusqu’au 15 octobre.
« Il y aura
une chambre des vacations pour l’expédition des affaires urgentes. »
M. Helias
d’Huddeghem. - J’aurai
l’honneur de proposer ici d’étendre la disposition à la cour de cassation, et
voici mes motifs…
M. Jaminé. - Elle aura assez de vacances toute l’année.
M. Helias
d’Huddeghem. - La cour de
cassation de France a une chambre des vacations, laquelle existe en vertu de la
loi de 1790, la loi de l’an VIII et une ordonnance de juillet 1826.
Quant aux
avantages d’une chambre des vacations pour les tribunaux, je ne puis
m’expliquer ici ; c’est dans l’intérêt des juges, c’est dans l’intérêt du
barreau… Il vaut mieux accorder un temps de repos que d’accorder des congés
particuliers.
M. Devaux. - Il me semble que la cour de cassation n’aura pas
tellement à faire qu’on soit obligé de lui donner des vacances : je conçois que
cela est nécessaire pour les tribunaux, il en est qui jugent tous les jours, on
doit leur donner un repos de quelque temps ; mais la cour de cassation qui
siégera deux fois par semaine, à quoi lui servirait un repos de deux mois ?
Deux mois c’est
trop de vacances pour les cours d’appel ; les vacances sont une mesure inusitée
dans toutes les administrations. Les conseillers siègent trois ou quatre heures
par audience, ils ne sont pas assez fatigués pour qu’on leur donne plusieurs
semaines de repos.
On
parle de l’avantage des vacances pour les avocats : les avocats, je le
comprends, peuvent être fatigués ; mais qu’ils prennent moins de causes... Les
médecins, les industriels n’ont pas de vacances ; ils n’entreprennent que ce
qu’ils peuvent faire. Je voudrais que les tribunaux de première instance
n’aient de vacances que pendant six semaines.
M. Helias
d’Huddeghem. - Je suis étonné
que l’on dise que les conseillers ne siègent que trois heures par jour. Ces
magistrats étudient les lois, examinent les causes tous les jours,
indépendamment des audiences qui souvent sont très longues. Après avoir vaqué
aux affaires des autres, on doit leur donner le temps de vaquer à leurs propres
affaires.
M. Barthélemy. - J’appuie la proposition Devaux, et je demande que
les vacances ne durent que du 1er septembre jusqu’au 15 octobre. C’est bien
assez.
M. Helias
d’Huddeghem. - Ce n’est pas
assez !
M. Barthélemy. - Si vous donnez deux mois de vacances, il n’y
aura que dix mois d’exercice. Comme les juges ne siégeait que trois fois par
semaine, il reste trois jours où ils sont en vacances : en tout cinq mois de
vacances par année.
Je sais fort bien
qu’on pourrait obliger ces magistrats à s’occuper des affaires mises en
délibération lorsqu’ils ne siègent pas ; c’est là ce qui devrait se faire et ce
qui ne s’est pas fait : c’est une des causes du retard de l’expédition des
affaires. Les jours d’audience, au lieu de monter sur leurs sièges pour
entendre des plaidoiries, ils commencent par se réunir pour délibérer.
On vous a dit que
les conseillers ne tenaient guère audience que trois semaines sur trois mois ;
c’est une semaine par mois. Vous voyez qu’il y a des vacances pendant une
grande partie de l’année.
M. Jullien. - Quand on parle de deux mois de vacances, on oublie
que cela n’en fait qu’un. Dans les tribunaux de première instaure et dans les
cours il y a toujours un certain nombre de juges qui doivent rester. Pendant le
premier mois, l’audience est tenue par des juges ; les autres ont vacances : à
la fin du mois, ceux-ci reviennent et les premiers prennent vacances.
On compte le
travail des juges par les audiences ; mais les juges sont occupés aux audiences
des criées, aux matières d’urgence, aux enquêtes, aux appels de police
correctionnelle, etc.
Je ne sais par
quel esprit d’innovation on veut changer ce qui existe.
Dans les tribunaux il. y s deux sections civiles ; chacune siège trois
jours. Mais pendant que les juges ne siègent pas, il ne faut pas dire qu’ils
n’aient pas de besogne : ils doivent rédiger les jugements, ils doivent faire
des actes.
Je ne puis
expliquer tout cela à ceux qui n’ont aucune notion sur l’administration de la
justice ; pour les autres l’explication est inutile.
Si vous ne voulez
pas donner de vacances aux tribunaux, afin de faire aller les affaires plus
vite, je vous dirai que c’est peut-être le moyen de les faire aller plus
lentement. Il faut à l’esprit un temps de repos comme il en faut aux bras. Si
vous ne donnez pas de vacances, il en résultera que les juges feront de
mauvaise besogne. Après les vacances on revient au travail avec plus d’ardeur.
Je crois qu’il y aurait du danger à innover sur ce point, et je maintiendrai la
proposition de la section centrale.
M. Destouvelles. - Je suis étonné que M. Barthélemy, qui a exercé
pendant longues années la profession d’avocat, veuille la rétrécir.
Les juges ont plus
d’occupation qu’il ne pense.
Ils étudient les
affaires en délibéré ; ils se réunissent dans la chambre du conseil pour
discuter sur les affaires qui ont rempli les audiences pendant trois jours ;
ils vont entendre des créanciers, ils entendent des parties ; en un mot, je ne
crains pas de le dire, il n’y a pas de carrière plus laborieuse que celle de
magistrat.
M. Barthélemy. - On a prétendu que ce que nous proposons est une
innovation ; et moi, je dis que non, que c’est un retour à l’ancien régime.
Les parlements de
Marie commençaient les audiences à six heures du matin, et montaient sur leurs
sièges deux fois par jour ; voilà le beau temps de la magistrature. (Hilarité générale.)
Vous nous
représentez le travail des juges comme immense : que fait la section de police correctionnelle
pendant trois jours ? Elle écoute des procès-verbaux : une aune de l’ancien
régime a été saisie… Les juges se regardent entre eux pendant cette lecture… Ne
sont-ils pas bien fatigués ?
Dans les cours
d’assises que font-ils ? Ils écoutent comme les spectateurs. (On rit.) C’est le jury qui examine et
prononce : s’il y a acquittement, on prononce ; s’il y a condamnation on
applique la peine prononcée par la loi ... Voilà un bien grand travail ! (On rit.)
C’est
en matière civile qu’il y a du travail ; mais ordinairement il y a une bête de
somme qui fait tout. (On rit.)
M. le
président. - La parole est
à M. Lebeau.
M. Lebeau. - Si on ne veut pas continuer la discussion, je
renonce à la parole.
M. Leclercq. - Je ne renonce pas à la parole.
M. Lebeau. - Je ne partage pas l’opinion de M. Barthélemy ; je
crois qu’il a tracé un tableau bien imparfait des travaux de la magistrature.
Je crois que la question de l’établissement des vacances a été résolue par la
nature des choses.
Il s’agit
maintenant de savoir si vous voulez leur donner deux mois ; je pense qu’il faut
adopter l’amendement de M. Devaux. Après la rentrée des cours et tribunaux, il y a
encore des vacances de quinze jours environ : après que la distribution des
causes est opérée, MM. les avocats vont faire la St-Hubert. Ce n’est qu’après
ces secondes vacances que les affaires reprennent leur cours.
M. Leclercq. - Messieurs, si l’honorable M. Barthélemy s’était
borné à combattre l’utilité des vacances, j’aurai gardé le silence ; mais pour
diminuer le temps de repos qu’on accorde ordinairement aux magistrats, il est
entré dans des considérations qui tendent à dénigrer la magistrature, qui
tendent à la représenter comme une réunion d’hommes qui vivent aux dépens du
public, qui ne gagnent pas le salaire qu’on leur paie.
Je ne puis
entendre ces paroles de la bouche d’un ancien membre du barreau, d’un ancien
ministre de la justice, d’un membre du pouvoir législatif qui, par devoir, doit
faire respecter les lois et ceux qui sont chargés de les appliquer et de les
faire exécuter ; je ne puis entendre ces paroles sans rompre le silence ; je
croirais manquer à mon devoir si je le gardais.
Je parlerai des
devoirs que remplissent les membres de la cour de Liége ; j’en parlerai, parce
que depuis sept années j’en fais partie.
Cette cour se
divise en trois chambres ; les deux chambres civiles siègent au moins quatre
fois par semaine. Les membres des deux sections civiles siègent de plus au moins
une fois par semaine pour les mises en accusation ; la troisième chambre est
occupée des appels de police correctionnelle.
Ajoutez à ces
travaux les pourvois en cassation pour les matières civiles, les assises de la
cour criminelle, et voyez s’il reste plus d’un jour entier aux juges pour
étudier les affaires pour délibérer…
Il n’est pas exact
de dire que l’on délibère au lieu de tenir audience.
Pour
moi, messieurs, je le dirai, j’ai, deux ans avant la révolution, siégé dans la
chambre des appels de police correctionnelle ; eh bien, j’ai siégé cinq jours
par semaine, et quelquefois six jours. Pour remplir ma tâche dignement, j’étais
obligé de me lever à cinq heures du matin, afin de pouvoir examiner les
affaires avant l’audience ; et en citant mon exemple, c’est celui de tous mes
collègues de Liége que je cite.
Voilà le travail
de la cour ; ce n’est pas là le travail d’hommes qui mangent le pain de la
nation sans le gagner.
D’après ces faits,
j’ai été indigné d’entendre un ancien ministre de la justice, un membre de la
représentation nationale, dénigrer la justice, et j’ai dû manifester mon
indignation.
M. Barthélemy. - Je n’ai pas dénigré la magistrature. Mais on a
parlé des travaux excessifs des magistrats, et j’ai signalé les affaires qui
demandaient du travail et celles qui n’en demandaient pas.
Ce n’est pas parce
que j’ai été ministre de la justice que je connais l’ordre judiciaire, c’est
parce que j’ai travaillé pendant plusieurs années sur l’organisation judiciaire
que je sais ce qui se fait.
Il peut se faire
qu’à Liége des membres de la cour se lèvent à 5 heures du matin ; mais je
connais aussi les occupations qu’elle peut avoir. J’ai siégé aux états-généraux
souvent 6 mois de suite avec son premier président, M. Nicolaï, avec M. de
Gerlache, avec le père même de l’orateur qui était procureur-général, avec un
président de chambre ; et le reste de l’année nous nous occupions
d’organisation judiciaire ; en sorte, vous le voyez, que la cour de Liége
marchait malgré l’absence de plusieurs de ses membres.
Je ne veux pas
dénigrer la magistrature, je voudrais au contraire la ramener à son ancienne
considération. Les parlements de la Belgique fréquentaient deux fois par jour,
le matin et l’après-diner. Alors on ne voyait les magistrats dans aucune fête,
dans aucun plaisir, dans aucun spectacle. Voilà comme ils se sont rendus
respectables ; et si j’étais ministre, voilà comment je voudrais ramener la
justice à l’antique considération qu’elle méritait.
- La chambre ferme
la discussion.
L’amendement de M.
Devaux tendant à accorder les vacances depuis le 1er septembre jusqu’au 15
octobre est mis aux voix.
Une première
épreuve est douteuse.
M. Helias
d’Huddeghem. - L’appel
nominal !
M. Lebeau. - Encore une épreuve.
- La deuxième
épreuve a lieu et l’amendement est adopté.
L’article 47 de la
section centrale, modifié par l’amendement de M. Devaux, est mis aux voix et
adopté.
Article 48 (projet de la section centrale)
« Art. 48 (de
la section centrale). La première nomination des présidents et des conseillers
de la cour de cassation appartient au Roi. »
- Adopté sans
discussion.
Article 49 (projet
de la section centrale)
M. le président. - M. le ministre de la justice présente un amendement qui remplacerait
l’article 49.
Le voici :
« La première nomination des présidents, conseillers des cours d’appel,
ainsi que celle des présidents et juges des tribunaux de première instance, sera
faite directement par le Roi. »
M. H. de Brouckere. - Mais cet amendement replacerait les articles 49, 50
et 51 s’il était adopté ; j’espère que non.
M. Lebeau. - Il doit
remplacer aussi l’article 52.
M. le ministre de la justice (M. Raikem) a la parole pour développer son amendement.
M. Jullien. - Mais il faut que l’amendement soit appuyé.
M. le ministre de la justice (M. Raikem). - Il n’est pas nécessaire qu’il soit appuyé ; il est
présenté par le gouvernement.
Messieurs, on a
supposé que l’intention des rédacteurs de la constitution avaient été de ne pas
conférer la première nomination des juges au roi. Vous savez ce qui s’est passé
lors de la discussion de l’article 135, on avait proposé sur cet article un
amendement qui consacrât l’inamovibilité des juges actuellement existants. Cet
amendement fut rejeté ; ce rejet implique nécessairement qu’on n’a pas voulu
que les juges se crussent dès lors inamovibles, et le principe de
l’inamovibilité n’a dû recevoir son application que plus tard ; c’est dans ce
but que j’ai l’honneur de présenter l’amendement qui est déposé sur le bureau.
On a fait quelques
observations en principe. On a parlé de la loi fondamentale de 1815, qui
conférait au Roi le droit de faire la première nomination. Vous allez, nous
a-t-on dit, rétablir une prérogative, qui a fait le principal élément de
l’opposition qui brisa l’ancien gouvernement. Mais messieurs, en quoi
consistait le reproche de l’opposition. Est-ce en ce que la loi accordait au
Roi la première nomination ? Non, mais parce qu’on nous avait laissés pendant
15 ans sans organisation judiciaire. Si l’on veut se rapprocher du principe
monarchique, il faut que les premières nominations appartiennent au Roi, qu’il
nomme directement les juges de première instance et les autres sur
présentation.
On a dit que cette
prérogative avait soulevé l’opposition contre l’ancien gouvernement ; je
remarquerai à cet égard que le barreau de Liège était de l’opposition, et
cependant il a émis l’opinion que la nomination devait être déléguée au Roi.
Croyez-vous que les officiers du ministère public soient dépendants parce
qu’ils sont nommés par le Roi ? Souvenez-vous, messieurs, à ce sujet, des
paroles de Carnot, qui fut membre du ministère public. Chaque fois, dit-il,
qu’on me chargeait d’une affaire ou d’un ordre qui répugnait à ma conscience,
j’envoyais ma démission.
Une voix. - Ils sont rares les hommes comme celui-là.
M. Seron. - C’est l’exception.
M. le ministre de la justice (M. Raikem). - On est convenu même au sein de la section centrale
que les membres de l’ordre judiciaire actuel n’avait pas de droit acquis, que
par conséquent on le leur enlevait rien, qu’au contraire on allait leur
conférer un droit nouveau, et que l’inamovibilité n’était
Je ne sais pas si
je dois m’occuper de questions personnelles, mais on a dit qu’en parlant du
maintien des sièges des tribunaux, j’avais voulu tendre un piège, une embûche à
quelques membres de la chambre. Je crois le préopinant qui a tenu ce langage
assez juste pour croire que je ne veux tendre d’embûche à personne, et je suis
certain que ce mot lui est échappé involontairement. Il a dû mal saisir ma
pensée. Je n’ai pas voulu confondre où plutôt démontrer la liaison entre la
question actuelle et celle des sièges ; mais j’ai dit qu’il s’agirait plutôt
d’une question de constitutionnalité dans la question du déplacement des juges,
que dans celle de la première nomination. Je n’ai au surplus rien affirmé, j’ai
dit seulement qu’il y avait doute à mes yeux, et je n’ai pas fait une
proposition certaine.
On a dit que le
droit accordé au gouvernement lui créerait beaucoup d’ennemis, que serait
porter atteinte aux droits les magistrats actuels, que l’intrigue et
l’obsession nous conduirait plus loin que nous ne pouvions le prévoir. Et on a
fait remarquer que l’ancien gouvernement n’avait déplacé aucun magistrat.
Messieurs, tous les abus que l’on a signalés ne sont pas plus à craindre que
sous le gouvernement précédent. Il ne s’agit ici de porter atteinte aux droits
de personne, ni d’éloigner les patriotes des fonctions de la magistrature.
Quant
à l’intrigue et à l’obsession je concevrais qu’un homme pût être sur pris par
de tels moyens s’il s’agissait de nommer à un emploi vacant ; mais quand il ne
s’agit que de maintenir dans cet emploi celui qui le possède, c’est ce que je
ne conçois plus. En résumé ce que je regarde d’essentiel dans tout ceci c’est
qu’aucun magistrat dans le royaume ne puisse dire qu’il tient ses fonctions
d’un droit préexistant au gouvernement actuel et que l’institution royale soit
un gage de son dévouement au nouvel ordre de choses.
M. d’Elhoungne. - Je demande la parole pour un fait personnel. Je ne
me rappelle pas le propos que j’ai tenu dans mon improvisation ; mais je
déclare que je connais trop la loyauté de l’honorable préopinant pour avoir eu
l’intention de le blesser.
M. le ministre de la justice (M. Raikem). - J’avais dit moi-même que je ne le pensais pas.
M. Milcamps. - Messieurs, le projet en discussion, quant à la première
nomination des magistrats de l’ordre judiciaire, diffère essentiellement du
projet primitif qui avait été soumis à l’examen des sections.
D’après le projet
primitif, articles 107 et 109, les cours, tribunaux et justices de paix,
n’étaient maintenus que jusqu’à l’installation des cours, tribunaux à établir
en vertu de la loi, et la première nomination des magistrats était attribuée au
Roi.
Suivant le projet
en discussion, articles 49 et 50, les membres des cours d’appel et des
tribunaux de première instance sont maintenus dans leurs fonctions. Après la
nomination de la cour de cassation, le Roi désigne les présidents et
conseillers des cours supérieures de Bruxelles et de Liége pour composer les
cours de ces deux villes, et les membres non désignés passent, dans leur
qualité actuelle, à la cour de Gand. Cela est très ingénieux.
Cette différence
essentielle dans les deux projets semblerait n’avoir pu naître que de la
manière d’interpréter ou d’entendre notre code constitutionnel à savoir, si la
constitution veut une organisation universelle des tribunaux (c’était l’opinion
de M. le ministre), ou si cette organisation n’est ni dans le texte ni dans
l’esprit de la constitution (c’est l’opinion d’une des cours actuelles).
La section
centrale, au sujet des nominations, a suivi à peu près cette dernière opinion,
non point par conviction, mais afin d’éviter de remettre en question le sort
des magistrats actuels.
La chambre est
appelée à prononcer sur cette grave question : A qui appartiendra la première
nomination des magistrats de l’ordre judiciaire ? Chacun de nous a le droit
d’exprimer son opinion. Je vais avoir l’honneur de développer la mienne.
L’article 95 de la
constitution crée pour toute la Belgique une cour de cassation.
L’article 104
dispose qu’il y a trois cours d’appel, et que la loi détermine leur ressort et
les lieux où elles sont établies.
Ces deux
dispositions posent seulement quatre grandes bases de l’organisation du pouvoir
judiciaire ; d’autres dispositions, constitutionnelles sans doute, présentent
l’organisation complète qui ne se conçoit que lorsque les sièges des tribunaux,
leur ressort, leur compétence, le nombre des membres dont ils sont composés,
leurs qualités et le mode de nomination des magistrats sont déterminés.
C’est à rechercher
ces dispositions constitutionnelles que je vais m’attacher.
J’arrête ma pensée
sur l’article 99.
La première partie
de cet article porte : « Les juges de paix et les juges des tribunaux de
première instance sont directement nommés par le Roi. »
La seconde est
ainsi conçue : « Les conseillers des cours d’appel et les présidents des
tribunaux de première instance de leur ressort sont nommés par le Roi sur deux
listes doubles présentées, l’une par ces cours, l’autre par les conseils
provinciaux. »
La troisième
dispose comme il suit : « Les conseillers de la cour de cassation sont
nommés par le Roi sur deux listes doubles présentées, l’une par le sénat,
l’autre par la cour de cassation. »
Ces dispositions,
comme on le voit, sont organiques ; mais leur exécution suppose le pouvoir
judiciaire organisé, l’existence des justices de paix, des tribunaux, des cours
d’appel et de la cour de cassation. Mais, pour que ces établissements existent
réellement, il faut que les membres en soient nommés. Qui doit faire cette nomination
? J’avais pensé que cette nomination, qui consiste dans l’action de nommer à
une charge de juge, qui suppose un choix préliminaire, par celui qui nomme, qui
est un acte d’exécution, j’avais pensé, dis-je, que cette nomination
appartenait naturellement au Roi.
La section
centrale ne paraît pas avoir partagé en tous points ces idées. Elle propose,
article 49 du projet, de maintenir dans leurs fonctions les membres des cours
d’appel et des tribunaux de première instance. Pour ma part, je trouve cette disposition
assez inutile. Que la loi se taise, et les membres des cours d’appel et des
tribunaux sont naturellement maintenus.
Mais ici
l’intention de la section centrale le décèle. Ce qu’elle vous propose a pour
but d’éviter de remettre en question l’existence des magistrats actuels et de
leur assurer l’inamovibilité.
Cette proposition
est-elle dans les vrais principes ?
L’article 100 de
la constitution porte : « Les juges sont nommés à vie. » Il faut donc
une nomination. J’ai défini ce terme. Cet article ajoute : « Le
déplacement d’un juge ne peut avoir lieu que par une nomination nouvelle et de
son consentement. » Donc ces dispositions supposent une première
nomination.
On a prétendu que
cet article 100 de la constitution, dès l’instant de sa publication, avait
consacré l’inamovibilité des juges. Mais c’est une erreur. Cet article suppose
aussi le pouvoir judiciaire organisé, une première nomination des magistrats.
Si l’inamovibilité des juges était actuellement consacrée, si chaque juge
actuel était inamovible, inamoventus, comment la loi pourrait-elle déplacer des
conseillers des cours de Bruxelles et de Liége pour les envoyer à Gand ? Et
plus tard les juges de paix ?
La constitution
veut une première nomination de tous les magistrats de l’ordre judiciaire. Cela
me paraît de tonte évidence.
La section
centrale qu’un esprit de conciliation anime, vient nous proposer un expédient.
Celui de faire de la première nomination des juges des tribunaux et d’une
partie des conseillers des cours d’appel, l’ouvrage de la loi, et de laisser au
pouvoir exécutif les autres nominations.
Est-ce bien là,
messieurs, ce que veut la constitution ? Je ne saurais le penser. Le vœu de la
constitution est d’attribuer au Roi la première nomination. Ce vœu n’est
peut-être pas explicite, mais telle était l’intention du pouvoir constituant,
et je n’en veux d’autre preuve pour ce qui concerne les juges des tribunaux et
les conseillers des cours d’appel que l’article 135 ; cet article est ainsi
conçu : « Le personnel des cours et des tribunaux est maintenu tel qu’il
existe actuellement, jusqu’à ce qu’il y ait été pourvu par une loi. Cette loi
devra être portée dans la première session législative. »
On a également
prétendu, et cette opinion est rapportée, page 8 du rapport général, que cet article
100 ne s’entendait que du nombre de membres dont un tribunal est composé, et
qu’on ne pouvait en inférer l’amovibilité actuelle des juges.
Les expressions de
la loi, a-t-on dit, doivent être prises dans leur acception actuelle.
Or, quelle autre
idée présentant naturellement à l’esprit ces mots « personnel des
tribunaux ? » si ce n’est le nombre des membres dont un tribunal est
composé. Que l’on consulte les dispositions des lois actuelles, où cette
expression se trouve employée, et l’on verra qu’elle n’a pas d’autre sens…
Je n’attache pas à
cette expression ce sens exclusif. Dans mon opinion ces mots « personnel
des tribunaux, » signifient « les membres qui composent leurs
tribunaux, leurs qualités ; » non point celles de Belges de naissance, de
docteur en droit, mais celles de président, vice-président, procureur-général,
avocat-général, substitut, greffier, commis-greffier, etc., et leur nombre.
Cette expression « personnel des tribunaux » est opposée à celle
« attributions des tribunaux. » Une preuve que cette expression ne
s’entend pas seulement du nombre de membre de membres dont un tribunal est
composé, c’est que je lis page 6 du rapport général que le gouvernement
provisoire a cru devoir procéder à une réorganisation du personnel des
tribunaux. Cette locution est certainement française. Or, l’on sait si le
gouvernement provisoire s’est borné à fixer le nombre de membres dont les
tribunaux seraient composés.
Ainsi nous
exécuterons sainement cet article en déterminant le nombre de membres dont les tribunaux
de première instance et les cours d’appel seront composés et le mode de leur
première nomination.
Il est remarquable
que l’article 49 du projet de la section centrale n’est que la répétition, pour
ainsi dire, de l’article 135 de la constitution.
L’article 135 dit
: « Le personnel des cours et des tribunaux est maintenu tel qu’il existe
actuellement, jusqu’à ce qu’il y ait été pourvu par une loi. »
Et l’article 49,
qui est cette loi, porte : « Les membres des cours d’appel et des
tribunaux sont maintenus dans leurs fonctions. »
Je comprends.
Voici le motif décisif. Est-il juste de remettre en question l’existence des
magistrats actuels contre lesquels aucune voix ne s’élève et que la
considération public environne ? Je m’associe volontiers à cet hommage public
rendu à notre magistrature. Mais est-ce à nous qui exerçons ici le pouvoir
législatif à apprécier, à juger les qualités individuelles des magistrats ?
Laissons au Roi la première nomination. Le personnel étant bon, le gouvernement
le maintiendra.
Mais
les abus du pouvoir sont à craindre ! Messieurs, ce n’est point cette crainte
qui a déterminé la proposition de la section centrale. Et quant à moi, je n’ai
point de motifs de penser que le gouvernement ne se conduise pas dans une
affaire aussi importante en présence des chambres, avec justice et raison.
Le moment est venu
de décider si le Roi aura la première nomination de tous les magistrats de
l’ordre judiciaire, ou si, comme le propose la section centrale, nous
attribuerons au Roi la nomination d’une partie de ces magistrats, en faisant de
l’autre partie l’ouvrage de la loi. Voici mon opinion. Afin que le pouvoir
exécutif soit un, je pense qu’il est convenable d’attribuer au Roi la première
nomination de tous les juges indistinctement. Je n’appréhende pas que les
places à donner deviennent le prix de l’adulation et de l’intrigue. Au
contraire, j’ai la persuasion que pour les obtenir il faudra avoir fait preuve
de suffisance et de vertu. Je voterai donc le rejet des articles 49 et 50 du
projet de la section centrale.
M. Legrelle. - Je voterai contre les articles 48, 49, 50, et 51 du
projet. Je ne crois pas, messieurs, devoir prendre sur moi de maintenir sans
distinction tous les magistrats actuels sur leurs sièges. J’ai la conviction
que des changements, que des déplacements, pour ne rien dire de plus, sont
nécessaires. La question est trop délicate pour que je m’étende davantage et
surtout pour que j’en fasse une question de personnes. Mais si je voulais citer
des exemples de juges qui ne sont nullement à leur place, cela me serait bien
facile. Je me contenterai de dire que je connais tel juge, qui est obligé de
juger des affaires plaidées en flamand, et qui ne sait pas un mot de cette
langue. C’est un grand inconvénient, et cependant c’est peut-être le moindre de
ceux que je pourrais citer. Le gouvernement provisoire, aux intentions duquel
je me plais d’ailleurs à rendre hommage, a fait des nominations qui laissent
beaucoup à désirer. Il a fait des nominations qui laissent beaucoup à désirer.
Il l’a fait malgré lui, sans doute ; mais dans la perturbation et le désordre
qui existait, obligés de faire beaucoup et de faire vite, il aurait fallu que
les membres du gouvernement provisoire eussent été des anges pour ne pas faillir.
Je voterai pour l’amendement de M. le ministre de la justice.
M. Gendebien. - Messieurs, je regrette de ne pas m’être trouvé ici
au commencement de la discussion, puisqu’il s’agit d’un objet aussi grave ;
mais le peu que j’en ai entendu me fournira le moyen d’opposer aux arguments
des préopinants une réponse propre à vous faire réfléchir sur les prétentions
exorbitantes du ministère.
Rappelez-vous,
messieurs, que la loi fondamentale des Pays-Bas accordait formellement au Roi
la première nomination des membres de l’ordre judiciaire. Rappelez-vous de
combien de plaintes et de réclamations ce privilège fut l’objet. Ce fut le
premier brandon de discorde jeté entre le gouvernement et le peuple belge ; ce
fut le premier aliment de cette opposition formidable à laquelle se rallièrent
tous les hommes sensés du pays. Et en effet, messieurs, quel était l’objet de
cette disposition de la loi fondamentale ? C’était de mettre dans les mains du
gouvernement l’ordre judiciaire tout entier. Ce droit qui souleva tant de haine
contre l’ancien gouvernement, on vous propose de l’accorder au gouvernement
actuel, non pas d’après le texte formel de la constitution, mais contrairement
à sa lettre et à son esprit.
Jugez, messieurs,
quels progrès nous avons faits dans le gouvernement représentatif depuis notre
belle et glorieuse révolution. Ce qu’on contesta si vivement au roi Guillaume,
on veut le faire passer aujourd’hui comme chose toute naturelle, sous prétexte
de je ne sais quelle prérogative qui ne se trouve nulle part dans la loi
fondamentale. Croit-on par de pareilles subtilités nous enlever le droit de
choisir nos magistrats ? Ah ! il faut être dépourvu de sens pour penser que
nous nous laisserons prendre à un piège aussi grossier.
La constitution
confère-t-elle au Roi le droit de faire la première nomination des membres de
l’ordre judiciaire ? Non. La constitution est muette à cet égard, et tout ce
qu’elle n’accorde pas au gouvernement lui est interdit. Si ce droit était écrit
dans la constitution, je dirais : c’est une monstruosité et notre constitution
n’est qu’un vain mot ; car j’aimerais cent fois mieux un ordre judiciaire
indépendant sans constitution, qu’une constitution avec une magistrature
amovible dans le premier cas, l’indépendance du magistrat est une garantie pour
les citoyens contre les excès du pouvoir ; tandis qu’une magistrature servile
se fait toujours l’auxiliaire de la tyrannie du gouvernement.
D’après la
constitution, le gouvernement ne peut pas nommer un membre, un seul membre
d’une cour d’appel ; et vous voudriez qu’on lui donnât le droit de nommer tous
les membres de l’ordre judiciaire ? Mais vraiment, messieurs, y pensez-vous ?
le ministère y pense-t-il ?
C’est, nous a-t-on
dit, le vœu de la constitution ; mais où est- il ce vœu ? où le trouve-t-on ?
Pour moi, j’ai beau parcourir le pacte fondamental, non seulement je n’y trouve
rien de semblable, mais j’y trouve des dispositions contraires exclusives de ce
vœu. L’article 136 dit qu’une loi déterminera le mode de la première nomination
des membres de la cour de cassation. Cela veut dire que cette première
nomination sera laissée à la loi, non pas au Roi.
Cependant par la
loi actuelle, vous avez conféré ce droit au gouvernement. Certes, si j’avais
été là, j’aurais refusé mon assentiment à une semblable disposition. Toutefois,
il y avait une raison pour la justifier ; elle est prise du mode même de
nomination de conseillers de la cour de cassation. Les corps sur la
présentation desquels la nomination doit se faire n’étant pas organisés, il
fallait bien y suppléer d’une manière quelconque. Mais pour les cours d’appel
le même motif n’existe pas. Aucune disposition de la constitution ne parle de
leur première nomination, ni ne permet de mettre en question leur existence.
Mais, dit-on, il
ne s’agit pas d’enlever un droit acquis aux conseillers des cours d’appel, mais
seulement de leur conférer un droit nouveau. Messieurs, c’est un véritable jeu
de mots dont on veut nous payer. En effet, il résulte de ce langage qu’on les
confirmera dans leur place. Mais, si c’est là votre intention, confirmez-les
tout de suite et faites-le par une loi, car c’est à la législature seule
qu’appartient cette confirmation. La loi fondamentale, ajoute-t-on, permet au
Roi de nommer les officiers du ministère public. Craint-on cependant qu’il
fasse de mauvais choix ? Messieurs, le gouvernement exercera sa prérogative
comme il l’entendra. J’aurais été personnellement assez disposé à lui refuser
même celle-là, mais il y avait au moins des raisons plausibles pour la lui
accorder. La responsabilité ministérielle exige que les agents du gouvernement,
que des hommes qui requissent directement ses ordres, puissent être nommés et
révoqués par lui.
Mais ici quels
ordres la magistrature inamovible a-t-elle à recevoir du gouvernement ? Aucun,
et un magistrat sur son siège est inamovible comme le Roi lui-même. Il s’agit,
dites-vous, de leur conférer des droits nouveaux ? Si vous êtes de bonne foi,
sans arrière-pensée, faites-le tout de suite ; conférez ces droits dont vous
parlez, par cette loi même, nous vous donnerons notre assentiment. Mais non, ce
n’est pas ce qu’on demande. Le gouvernement seul veut avoir ce droit.
Voudrait-on par hasard faire pour la magistrature ce qu’on a fait pour l’armée
? Voudrait-on en faire sortir quelques patriotes qui s’y trouvent clairsemés,
car le gouvernement provisoire fut fort modéré dans ses épurations ? Si c’est
là le but qu’on se propose qu’on le dise franchement ; si c’est une loi d’ostracisme
qu’il s’agit d’exécuter, à la bonne heure.
Mais, dit-on, il y
a des juges peu capables dans les tribunaux. Messieurs, je l’ignore, mais ce
que je sais, c’est que, malgré la précipitation avec laquelle on a été obligé
de précéder dès les premiers jours de la révolution, le gouvernement provisoire
a apporté plus de soin que l’on ne peut croire dans les nominations qu’il a
faites.
S’il y a procédé
vite, ce n’a pas été sans réflexion, et je puis assurer que ce n’a jamais été
sans de nombreuses informations. Du reste qui nous garantit que le ministère
fera mieux aujourd’hui ? On a parlé du Roi et je suis fâché qu’on ait mis son
nom en avant ; mais enfin, étranger au pays, le Roi connaît-il mieux les hommes
capables que ne le connaissait le gouvernement provisoire ? Le ministère
lui-même sera-t-il plus à l’abri de l’intrigue et de l’obsession que les cinq
ou six hommes qui composaient le comité de justice ? Messieurs, l’expérience
que nous avons faite depuis 10 ou 12 mois me donne le droit de concevoir et de
manifester, mes inquiétudes sur le résultat de ce travail, s’il était
imprudemment confié au ministère. Il est une autre objection peu sérieuse et à
laquelle je ne sais pas vraiment si je dois répondre : aux termes de l’article
100, a-t-on dit, les juges sont nommés à vie, donc ils doivent être nommés.
Oui, sans doute, ils doivent être nommés ; mais ont-ils besoin de l’être, quand
ils le sont déjà ? Mais quand l’objection aurait quelque de chose sérieux, il
s’agirait encore de savoir par qui ils devraient être nommés. Est-ce par le
pouvoir exécutif ? Non, la constitution ne lui donne pas ce droit ; par qui
donc ? par la loi, car ce que la constitution ne confère pas au gouvernement le
droit de faire, c’est la loi qui fera, et elle le fera en maintenant l’ordre
judiciaire tel qu’il est.
On vous a dit
qu’il serait dangereux de maintenir tous les membres de l’ordre judiciaire,
parce qu’il en est qui ne savent pas un mot de flamand, et qui sont cependant
obligés de juger des causes instruites et plaidées en flamand. Qu’il y ait des
juges qui n’entendent pas le flamand, c’est possible, mais je l’ignore, et je
doute fort qu’il y en ait beaucoup. Mais quand cela serait, partout en
Belgique, et à Anvers même on plaide en français. Le barreau d’Anvers réclama
comme tous les autres en 1823, quand l’ancien gouvernement proscrivit la langue
française, et il est revenu au français aussitôt après la révolution. S’il y a
donc un juge à Anvers qui n’entende pas le flamand, c’est un très faible
inconvénient. Que ferait au reste cette toute petite exception ? Suffirait-elle
pour remettre en question l’existence de toute la magistrature, et pour ouvrir
une plaie qui ne serait pas fermée avant 25 ans ? Messieurs, les hommes sont
toujours des hommes : ce n’est pas pour le ministère actuel que je parle, mais
pour tous les ministères en général, tous peuvent être circonvenus, aucun n’est
à l’abri de l’intrigue, et certes si le gouvernement provisoire a commis
quelques erreurs, le ministère se trompera plus facilement encore que le comité
de justice.
Quant à la
question constitutionnelle, la cour de Bruxelles l’a traitée avec tant de
clarté, elle a si bien démontré l’intention des auteurs de la constitution, que
je n’y reviendrai pas.
Je
terminerai par une dernière considération. C’est que le congrès, en refusant au
gouvernement la nomination des membres de l’ordre judiciaire a voulu qu’une
distinction fût bien établie entre les pouvoirs. Il a senti l’importance de
mettre à l’abri de l’influence du gouvernement le pouvoir judiciaire ; il n’a
pas voulu, dans ce but, que le gouvernement eût la nomination directe d’aucun
des membres de ce pouvoir : eh bien, s’il ne peut exercer le droit de
nomination à mesure qu’un magistrat meurt, si on n’a pas voulu que son
influence se fît sentir en nommant un à un les remplaçants des magistrats, que
la mort ou toute autre cause éloignerait de leur siège, pourriez-vous, sans
blesser les plus simples notions de la raison et du bon sens lui permettre de
faire table rase, et de mettre le pouvoir judiciaire à la merci de toutes ses
influences ? Cela est impossible, messieurs, car ce serait vouloir à plaisir
jeter la confusion dans tous les pouvoirs.
M. A. Rodenbach. - Je m’opposerai de toutes mes forces au maintien
dans leurs fonctions de conseillers de la cour d’appel, et de membres des
tribunaux de première instance. Personne ne me contestera que sous Guillaume on
ne comptait grand nombre de juges serviles : souvent l’ordre de condamner ou
d’acquitter partait de Bruxelles. J’en ai des preuves écrites et je les ai
communiquées à plusieurs de mes honorables collègues. Un des membres de l’ordre
judiciaire qui siège maintenant dans cette enceinte vient de vous dire,
messieurs, que sous le précédent gouvernement, il siégeait même dans nos
tribunaux des espions, des délateurs.
A l’époque du
congrès on était généralement persuadé que les institutions nouvelles ne
marchent bien que sur des tables rases ; qu’avec une réforme radicale enfin ;
penserait-on autrement aujourd’hui ? Depuis notre révolution plusieurs
ministres abusés par d’injustes préventions, ont écarté les patriotes qui
avaient puissamment contribué à notre indépendance ; pour ne pas déplaire au
parti de Guillaume, ils ont même nommé des orangistes, je dois lâcher le mot.
Je ne donnerai pas
mon vote à un système qui éloigne le gouvernement de plus en plus de la
révolution qui l’a fondé.
Si le ministère
d’un peuple voisin avait moins encouragé les incorrigibles carlistes, le sang
français n’aurait peut-être point coulé dans les journées des 5 et 6 juin, et
l’on n’aurait pas vu au sein de Paris des citoyens massacrant leurs frères.
Ceci
devrait servir de leçon à nos ministres : des éliminations, des épurations,
sont nécessaires dans une foule de branches de l’administration.
En France, des
destitutions viennent d’avoir lieu au ministère de la guerre et au ministère
des finances ; ces destitutions ont produit un grand effet.
J’espère que nos
ministres ne nommeront plus dorénavant des fonctionnaires contraires à l’ordre
nouvellement établi ; ce sont les orangistes dont je veux parler.
M. d’Elhoungne. - Messieurs, si j’avais pu douter un seul instant que
nous nous trouvons dans un système de révolution qui devient de plus en plus
flagrant, les paroles que je viens d’entendre, et la proposition qu’on vous
fait, m’auraient prouvé que nous sommes encore au bord du précipice, puisqu’on
vient nous proposer une épuration de la magistrature. Il se peut que les
magistrats actuellement existants n’ont pas été nommés pour être inamovibles ;
mais ce n’est pas la question qu’al faut examiner. La seule qui s’agite en ce
moment est celle de savoir si l’on doit accorder le droit de leur donner
l’institution, à la loi, ou à l’homme, c’est-à-dire à l’intrigue et à l’obsession.
Plus je réfléchis à la proposition qui vous est faite, moins je puis concevoir
que l’on puisse songer à investir le ministère du droit de pourvoir d’un seul
coup la Belgique entière de toute la magistrature. En effet, messieurs, quel
est l’homme qui a assez de connaissances sur le personnel de tous nos tribunaux
et toutes les capacités qui existent dans le pays pour pouvoir prendre sur lui
la responsabilité du choix de plusieurs centaines de magistrats dignes de
siéger sur les fleurs de lys ? (Sourires
et chuchotements.) Cet homme n’existe pas. Quel sera donc le résultat d’une
telle concession de notre part, même pour le ministère ? Ce qu’il vous propose
dans l’intention d’éliminer seulement quelques hommes, l’entraînera plus loin
qu’il ne le prévoit lui-même. Il ne sera pas plus tôt armé de ce pouvoir
discrétionnaire, qu’il sera obsédé de dénonciations dictées par l’intrigue, la
cupidité, l’intérêt personnel ; les importunités d’une foule de solliciteurs
viendront l’assaillir et lui arracher ce qu’aujourd’hui peut-être il se promet
bien de ne pas accorder.
On ne sait pas où
l’on s’arrêtera, messieurs, quand on se lance dans une voie aussi dangereuse.
Que le ministère songe à la responsabilité que toutes ces nominations feront
peser sur lui. A chacune d’elles, il peut s’attendre, au lieu d’augmenter le
nombre de ses amis, de voir au contraire grossir les rangs de ses adversaires,
parce qu’il aura un ennemi irréconciliable dans chacun de ceux qu’il aura
éconduits ou dont il aura refusé d’accueillir les prétentions. J’ai vu tomber
beaucoup de gouvernements, messieurs, mais je n’en ai pas vu de plus près du
précipice que ceux qui s’avisaient de faire des épurations et de s’attaquer à
la magistrature dont le caractère est d’être inamovible.
Il paraît, messieurs,
qu’on n’a pas de très bonnes raisons à nous donner, quand on nous présente
comme argument le maintien des sièges de tribunaux. Il n’y a aucune connexité
d’une question à l’autre, car la question de sièges se présentera naturellement
lors de la discussion de la loi sur la circonscription des arrondissements.
C’est alors seulement qu’on pourra s’en occuper. Vous voyez donc que cette
question, qu’on vous représente comme liée intimement à la question actuelle,
n’y a aucune rapport, et ce n’est qu’une embûche tendant à la
bonne foi de quelques députés qui, trop imbus de l’esprit de localité,
pourraient se laisser prendre à ce piège. Il y a, dit-on, dans les tribunaux
des hommes qu’il faut en éloigner. Messieurs, s’il y a des brebis galeuses (on rit) dans quelques tribunaux, la loi
doit offrir le moyen de les éliminer. Mais si on entend seulement quelques
juges peu capables, peu éclairés, la loi est inutile ; car, messieurs, faites,
refaites dix fois, cent fois si vous voulez la recomposition des cours et des tribunaux,
et je vous défie d’empêcher qu’il ne s’y trouve quelque brebis galeuse ; je dis
plus, c’est que plus vous ferez des remaniements, plus les brebis galeuses
abonderont ; parce qu’une fois que vous aurez touché à la magistrature, cette
carrière ne présentant plus de sécurité ni de stabilité, ceux qui seraient
dignes de siéger sur les fleurs de lys (rires
et rumeurs) s’en éloigneront, et les places de l’ordre judiciaire seront la
proie des hommes sans talent. J’ai dit.
M. Mary. - Messieurs,
à la suite des révolutions on rencontre une grande quantité d’intérêts
froissés, qui toujours font un grand tort au gouvernement. Il me semble donc
plus prudent de rejeter la proposition de M. le ministre que de l’adopter, et
cela afin de ne pas augmenter le nombre des mécontents. Voyons réellement si la
constitution nécessite une nouvelle institution des juges actuellement en
possession de leurs sièges.
M. Jullien. - Messieurs, je vous avouerai franchement que je suis
pris au dépourvu et que je n’ai pas examiné la question qui s’agite en ce
moment, et cela par une raison bien simple ; c’est que je croyais que le
travail de la section centrale avait été fait d’accord avec M. le ministre de
la justice : je m’attendais par conséquent à ce qu’on vînt dans le cours de la
discussion nous présenter une disposition si complétement opposée à l’article
49 du projet. Toutefois et quoique je ne sois pas préparé à traiter cette
question, il me semble qu’on peut présenter pour la combattre quelques
arguments assez concluants.
D’abord, en
comparant les dispositions de l’article 136 avec celles de l’article 135 de la
constitution, il ne me paraît pas clairement démontré qu’il n’ait pas été dans
l’intention des auteurs de la constitution de maintenir dans leur place tous
ceux qui les occupent maintenant : la question avec quelque soin qu’on l’examen
est au moins douteuse ; mais je veux bien accorder qu’il n’existe aucun doute,
et que toute la magistrature doive tôt ou tard recevoir une institution
nouvelle… Jusques à quand sera-t-elle maintenir, d’après l’article 135 ? C’est
jusqu’à ce qu’il y ait été pourvu par une loi ; mais quelle loi a-t-on eu en
vue ? Ce n’est pas une loi transitoire, mais bien une loi d’ensemble et d’organisation,
de sorte qu’il serait nécessaire de maintenir dans leur place les magistrats
actuels, jusqu’à l’organisation judiciaire, et que vous n’auriez pas le droit
de les renvoyer auparavant.
Mais, dit-on, on
ne leur fait aucun tort puisqu’ils n’étaient pas inamovibles sous l’ancien
gouvernement. Ils n’étaient pas inamovibles non plus, cela est vrai, mais sous
l’ancien gouvernement et c’est une justice à lui rendre, ils ont toujours été
traités comme tels. On avait et on devait avoir du respect pour l’ordre
judiciaire, parce qu’un gouvernement despotique, tout despotique qu’il soit,
sent bien qu’en inquiétant les juges dans leur existence, il peut jeter la
perturbation dans la société ; la statistique est la vue de l’ordre judiciaire,
et les tribunaux qu’on laisse sous la dépendance du pouvoir ne sont plus que
des commissions.
Ce que le
gouvernement du roi Guillaume n’osa pas faire même en détail, on vous propose
de le faire en masse. C’est comme si l’on vous proposait de dire : l’ordre
judiciaire est licencié, l’ordre judiciaire sera réorganisé.
On vous a dit que
de graves abus existaient aujourd’hui dans la composition des corps
judiciaires. Cela est possible ; mais les préopinants pensent-ils qu’il n’y
aura pas toujours des abus, quoiqu’on fasse ? Et est-ce une raison pour confier
au ministre un droit aussi exorbitant que celui qu’il demande ? Supposez que le
ministère se trouve aujourd’hui sous l’influence d’un parti. Qui fera les
nominations ? Le parti dont il subit l’influence et dont il exécute les volontés.
Et cependant, messieurs, les nominations seront faites irrévocablement, et vous
aurez à subir pour longtemps une magistrature imposée par un parti.
D’ailleurs,
messieurs, ce n’est pas du tout constitutionnel ; car de ce que la loi est
chargée de pourvoir à l’organisation définitive de la magistrature, il s’ensuit
bien que vous avez le droit de faire une loi à ce sujet ; mais s’ensuit-il
qu’il faille remettre non pas au Roi (car le nom du Roi ne doit pas être mêlé à
nos discussions) mais aux ministres, le droit de nommer pour la première fois
tous les membres de l’ordre judiciaire en masse directement, quand la
constitution lui a refusé ce droit en thèse générale ? Non, messieurs, et j’ai
la conviction que ce serait adopter une mesure imprudente dont plus tard vous
auriez à vous repentir.
Messieurs, cette loi a déjà subi tant de
modifications, elle a heurte tant d’opinions, que si vous y jetez encore ce
brandon de discorde, je crains bien qu’au lieu d’avoir une loi qui organise la
cour de cassation, les cours d’appel et les tribunaux, vous n’aurez rien du
tout ; parce qu’il est possible que chacun mécontent de telle ou telle
disposition insérée dans la loi contre son opinion ne la rejette toute entière,
et qu’ainsi vous vous trouviez sans loi. Quant à moi, messieurs, je ne voterai
que l’article 49, tel que nous l’a proposé la section centrale, et je dois
exprimer le regret que j’éprouve de voir que son honorable rapporteur ait été
obligé de monter au fauteuil, parce qu’il aurait sans doute défendu l’article
du projet, en nous exposant les motifs qui avaient porté la section centrale a
le rédiger ainsi (interruption).
C’est une simple observation que je fais dans l’intérêt de la chose. Mon
opinion est néanmoins formée, et je n’hésite pas à me prononcer contre
l’amendement proposé par M. le ministre de la justice.
M. le ministre de la justice (M. Raikem). - (Nous n’avons
pas reçu son discours.)
M. Barthélemy. - Je suis un
peu comme l’honorable M. Jullien, je n’ai pas étudié la question, et j’éprouve
quelque embarras à me prononcer. Je ne vois qu’un moyen de sortir de la
difficulté, et ce moyen me semble ne devoir blesser l’opinion de personne. Je
vais vous dire ma pensée tout entière sur la manière dont sous l’ancien
gouvernement, on envisageait la position des juges. Je suis plus à même que
personne de le faire, m’étant occupé pendant six ans de l’organisation
judiciaire.
Les uns pensaient
que la première nomination attribuée au Roi impliquait qu’il pourrait
considérer tous les juges comme amovibles ; d’autres pensaient le contraire, et
ils disaient que la loi fondamentale avait consacré l’inamovibilité du jour de
sa publication, et que le pouvoir de nommer n’emportait pas le pouvoir de
chasser les juges dont les droits devaient être respectés.
Je peux attester
que le Roi lui-même était de cet avis et qu’il ne croyait pas qu’il lui fût
permis de déplacer un juge de son siège ; il me l’a dit plus d’une fois, et pour
preuve, il ajoutait qu’il n’avait jamais destitué aucun membre de l’ordre
judiciaire.
Maintenant une
révolution est arrivée ; on a usé du pouvoir suprême pour renverser ce qui
existait, sans prendre égard au principe de de l’inamovibilité des juges. Le congrès
est arrivé ; là il y a eu des avis différents : on a généralement reconnu que
les juges devaient être inamovibles, à partir du jour où l’organisation
judiciaire serait faite. Mais quid juris des juges existants ? voilà ce qui n’a
pas été clairement expliqué. On peut discuter avec avantage les pour et les
contre d’après la combinaison des articles de notre constitution.
Je pense que vous
devez reconnaître que chaque juge a un état indépendant, même avant
l’organisation judiciaire définitive, et vous n’avez à donner au gouvernement
que le droit de classer les magistrats, c’est pour cela que vous avez le droit
de faire une loi qui doit expliquer nettement ce que le gouvernement pourra
faire. Ainsi, par exemple, vous aurez une cour à Gand. Il faut là des juges qui
connaissent la langue flamande, je crois que vous feriez bien de donner au
gouvernement le pouvoir de prendre les juges sachant parler flamand, partout où
il les trouverait et de leur placer à Gand.
Il
vous faut 19 conseillers pour la cour de cassation, 60 pour les cours d’appel,
voilà 79 conseillers ; vous n’en avez maintenant que 66 : reconnaissez que ces
66 ont un état indépendant. Que le gouvernement prenne dans ce nombre ceux
qu’il voudra mettre à la cour de cassation et qu’il compose vos cours de
Bruxelles et de Liège, et pour les conseillers qui manqueront, qu’il fasse des
nominations nouvelles. De cette manière, je crois que le gouvernement aura tout
le pouvoir nécessaire pour faire une bonne réorganisation. Voilà en résultat,
l’opinion que je me suis formée sur ce que le congrès a présomptivement eu
l’intention de faire. (A demain ! à
demain !)
M. Gendebien. - Messieurs, on est revenu sur les errements commis
par le gouvernement provisoire, et qu’on a bien voulu attribuer à la
précipitation avec laquelle il a dû faire les nominations. Ne croyez pas,
messieurs, que je veuille défendre le gouvernement
provisoire. Il a pu commettre des fautes, puisque tout le monde en commet : du
moins, ce n’a pas été avec intention ; et, sous ce rapport, il n’a pas besoin
d’être justifié ; mais il y a ici des hommes qui doivent y tenir davantage, ce
sont ceux d’après les conseils de qui toutes ces nominations ont été faites.
Or, pour la cour de Liège et pour son ressort, c’est le ministre de la justice
actuel, ce sont avec lui MM. de Gerlache, Lebeau et Devaux (mouvement dans l’assemblée) qui ont été
consultés, et pas une seule nomination n’a été faite sans leur avis.
M. Devaux. - Je demande la parole.
M. Gendebien. - Toutes les fois qu’une personne se présentait au
comité de justice, quelque fortement recommandée qu’elle fût, ces messieurs
étaient consultés ; je les adjure de dire si ce n’est pas d’après leur avis que
tout se fait. Je ne sais donc pas pour la cour de Liége quel changement il y
aurait à faire, à moins que ne veuille faire de ceci une question de politique,
chose que je serai assez disposé à croire si certains bruits qui sont venus
jusqu’à moi sont fondés.
Pour la cour de
Bruxelles, il y avait dans le gouvernement provisoire et dans l’administration
des membres de toutes les provinces du ressort ; tous ont été consultés, tous
ont donné leur avis, alors l’esprit de coterie n’existait pas, chacun n’était
guidé que par l’amour du bien public ; il y a aujourd’hui plus d’amateurs de
places que dans ce temps-là ; on n’était pas assiégé de sollicitations ; au
contraire, nous avons dû chercher les hommes qui méritaient la confiance, aller
au-devant d’eux, leur offrir les postes qu’ils pouvaient occuper dignement ;
c’est ainsi que se faisaient toutes les nominations. Dans les Flandres une
seule a été faite par suite de sollicitations.
Il y a plusieurs
membres de cette chambre qui tiennent leurs places du gouvernement provisoire,
ils peuvent déclarer si ce que je dis n’est pas vrai, et s’ils n’ont pas été
invités par nous à les accepter. C’est qu’alors les intrigants n’agissaient pas
encore. Le danger était à nos portes, et ce n’est pas alors que les intrigants
sont curieux de places. Ils se réservent pour des moments plus tranquilles et
moins périlleux, afin de les exploiter sans inquiétude, et nous y sommes
arrivés au moment de les exploiter. (Nouveau
mouvement.)
On a dit qu’aucun
juge n’avait été déplacé par le roi Guillaume. Cela est vrai, messieurs, et je
citerai un exemple du respect de son
gouvernement pour l’ordre judiciaire, c’est celui de M. Baumhauwer, procureur
du roi à Bruxelles ; ce magistrat protesta contre le message du 11 décembre ;
il le flétrit en termes tellement énergiques que bien qu’on fasse ici beaucoup
d’énergie, je n’en ai jamais vu rien d’approchant. Eh bien ce magistrat n’a pas
été destitué, bien qu’il fût amovible ; et vous voudriez faire ce que le roi
Guillaume n’a jamais fait, remettre en question l’existence de la magistrature
entière. Ah ! vous n’y avez pas réfléchi !
Mais on dit : il
faudra bien, par la création de la troisième cour, déplacer des magistrats ;
l’article 50 de votre loi y a pourvu. Sans doute, quand les cours de Bruxelles
et de Liége auront été complétées, il faudra bien que des magistrats passent à
celle de Gand. Mais croyez-vous que la chose souffrira de grande difficultés ?
Non, messieurs, il est bien des personnes, dans la magistrature appartenant aux
Flandres, qui se feront un plaisir d’y aller. J’en connais qui sollicitaient de
rentrer dans les Flandres comme simples juges ; à plus forte raison iront-ils
comme conseillers. Voilà donc toutes les difficultés qui disparaissent. Pour ce
qui est des places vacantes, si après la formation de la cour de cassation et
des cours d’appel, il manque des conseillers, l’article 51 y a pourvu en disant
: « Le Roi a la première nomination aux sièges vacants. » Voilà
l’exception que la loi a faite à la règle générale. Je regrette de l’y voir et
je la combattrai peut-être ; mais elle ne doit pas moins donner de la sécurité
à ceux qui jugeraient à propos d’adopter l’article de la section centrale.
On vous a dit que
lorsque l’article 135 avait été discuté, on avait proposé de maintenir tous les
juges à leur poste et que cette proposition avait été rejetée. Je ne sais pas
ce qui s’est passé alors, attendu que je n’étais pas à Bruxelles, mais d’après
ce qui m’en a été dit, il paraîtrait qu’on n’a voulu rien préjuger sur la
question et qu’on a voulu laisser au temps le soin de constater les capacités,
et c’est ce qui a été fait. Cela résulte du texte et de l’esprit de l’article
135, combiné surtout avec l’article 136 de la constitution.
On a dit qu’il y
avait des orangistes dans la magistrature. Ah ! messieurs, si l’on peut faire
aujourd’hui des catégories et que l’on commence par la magistrature, je plains
bien fort le gouvernement. Si les orangistes sont à craindre aujourd’hui, ce ne
sont pas ceux que le gouvernement provisoire aurait introduits dans les
tribunaux. Il serait plutôt à craindre que le gouvernement ne se servît de ce
moyen, sous prétexte de rapprocher les partis, pour y en introduire ; qu’on
regarde les nominations faite depuis quelque temps, on verra si ce n’est pas là
la tendance du gouvernement. Aujourd’hui le soleil est radieux, la secte
nombreuse des adorateurs du soleil levant frappe à toutes les portes, les
sectateurs ne demandent qu’à se rallier au gouvernement et on acceptera leurs
offres, croyant qu’elles sont dictées par le gouvernement, tandis que la
servilité seule le dicte : mais c’est ainsi que cela se fait, c’est les hommes
serviles qui l’emportent le plus souvent.
On vous a dit que
le barreau de Liége avait été d’avis d’accorder la première nomination au roi ;
messieurs, j’ai parcouru attentivement les observations de ce barreau, et je
n’y ai rien trouvé de semblable ; à moins qu’on ne prenne son silence pour une
adhésion, je ne sais donc pas comment on a pu en argumenter. Mais en tout cas
j’opposerais au barreau de Liége les développements très lumineux et qui
jusqu’ici n’ont pas été combattus de la cour de Bruxelles.
On a encore dit
que ceux qui avaient accepté des sièges au moment de la révolution l’avaient
fait moins dans l’idée d’avoir une place inamovible, que par dévouement et par
patriotisme : je le veux bien, mais voulez-vous les punir aujourd’hui de ce
patriotisme et de ce dévouement ? Mais ces hommes honorables qui ont accepté le
poste qu’ils occupent au moment du danger, vous les avez enlevés à leur
clientèle ; la leur rendrez-vous ? Ils avaient une position, les y
replacerez-vous ?
En résumé,
messieurs, je pense qu’il suffit de lire les articles 135 et 136 de la
constitution, pour être convaincu que jamais on n’eût l’intention d’attribuer
au roi la nomination des magistrats. Cette intention fût-elle manifeste, elle
ne suffirait pas, car il faudrait une disposition expresse. Croyez-vous au
reste que dans l’intention du gouvernement provisoire les places qu’il
accordait ne dussent pas être des fonctions durables ? Pour des fonctions dans
l’administration, à la bonne heure, il est de leur nature de n’être pas
inamovibles, ceux qui les acceptaient savaient bien qu’ils pourraient en être
privés. Mais quant aux fonctions de l’ordre judiciaire, jamais le gouvernement
provisoire n’a pu les donner avec l’intention de les retirer ensuite, sans quoi
il faudrait supposer que ses membres ont voulu tromper leurs concitoyens.
Je
ne pense donc pas que personne puisse hésiter à maintenir l’ordre judiciaire
tel qu’il existe maintenant, et au moyen de quelques pensions à accorder à
quelques magistrats qui comptent de longs services et qui doivent se tenir
éloignés de leur siège, soit par l’âge, soit par des infirmités ; je crois
qu’il y a lieu de maintenir tous les autres. Vous remarquerez, messieurs, qu’à
Bruxelles il y a eu d’abord 22 éliminations, sur lesquelles 2 ont été annulées
et les deux conseillers sont rentrés. Reste donc 20 éliminations, il n’est pas
certes possible de les pousser plus loin. Quant à la cour de Liége, les éliminations
n’ont été faites qu’avec l’avis des personnes que j’ai nommées tout à l’heure ;
je ne pense donc pas qu’il y ait lieu de revenir sur ce qui a été fait, et je
persiste à demander l’adoption de l’article de la section centrale.
M. Devaux. - J’ai demandé la parole pour un fait personnel.
C’est pour relever une erreur commise par l’honorable M. Gendebien, erreur peu
importante à la vérité, mais que je ne dois pas laisser passer. Je suis loin de
blâmer l’intention qu’a pu avoir le préopinant en mêlant mon nom à ceux de
quelques membres, mais à mon égard, il s’est complétement trompé. Je ne me
rappelle pas d’avoir eu aucun rapport avec 1e gouvernement provisoire, si ce
n’est dans une seule circonstance, où il m’offrit, à la cour de Liège, une
place de conseiller que je refusai, comme je la refuserais encore aujourd’hui
si elle m’était offerte.
M. de
Gerlache. - Je demande aussi la parole pour un fait personnel.
Je crois que M. Gendebien n’était pas à Bruxelles lors de la composition de la
cour de Liége.
M. Gendebien. - Je partais le jour même pour Paris.
M. de Gerlache.
- Cela importe peu ; mais ce qu’il y a de certain, c’est que je fus mandé un
jour au comité de justice avec mon honorable ami M. Raikem. Arrivés à la
réunion, M. Blargnies, je crois, tira de sa poche une liste d’élimination, sur
laquelle étaient portés 7 ou 8 conseillers, et on me demanda mon avis, ainsi
que celui de M. Raikem.
Pour un ou deux de
ces noms, il n’y eut hésitation de la part de personne, et il vrai de dire
qu’il eût été difficile de les défendre. Mais, pour les six autres, je
m’empressai de dire qu’il n’y avait pas de motifs suffisants pour les écarter et
les flétrir en même temps, en leur enlevant leur état et leur moyen
d’existence. Je plaidai chaudement et longuement leur cause ; je réussis à
empêcher leur élimination, ou du moins, je pense que j’y contribuai beaucoup.
C’est la seule fois que j’ai été consulté par le gouvernement provisoire.
Depuis, plusieurs nominations de conseillera ont été faites, et j’y suis resté
tout à fait étranger.
M. Lebeau. - Je regrette de prolonger cette discussion en
parlant sur un fait personnel ; mais on m’a interpellé, et je dois à la chambre
un mot d’explication. Le gouvernement provisoire me fit en effet l’honneur de
me consulter, ainsi que plusieurs de mes collègues, sur la composition de la
cour de Liége, près laquelle on m’avait nommé avocat-général, le 30 septembre,
à mon insu, fonction que je crus plus honorable d’accepter alors, que de
refuser. Mon avis, ainsi que celui de M. Raikem, procureur-général, fut
contraire à un système d’épuration. Nous cédâmes si peu à un esprit
réactionnaire qu’un seul magistrat fui écarté par des motifs purement
politiques sur lesquels il est inutile de s’étendre ici. Toutefois, nous étions
poussés à faire des épurations par beaucoup de personnes qui, toutes, je dois
le dire, ne me paraissaient pas complétement désintéressées dans leurs
instances.
Je suis entré dans
ces courts détails pour vous prouver, messieurs, qu’on peut bien appuyer le
système proposé par M. le ministre de la justice, sans vouloir ouvrir la voie à
des réactions dont je me suis montré l’ennemi. Que l’amendement passe ou soit
rejeté, je crois qu’au fond ce sera la même chose, quant au personnel des
cours, et je ne l’appuie que dans l’intérêt de la prérogative royale dont je ne
crains pas l’abus dans cette occurrence. (Aux
voix ! aux voix !)
M. Gendebien. - Messieurs, je n’ai qu’un seul mot à dire. Si j’ai
nommé M. Devaux, c’est qu’alors, je le connaissais très peu, et que MM. Lebeau
et Devaux marchait toujours ensemble (on
rit), j’ai pu commettre une erreur à son égard. Au reste, il n’y a là rien
de bien fâcheux pour M. Devaux. Quant à la circonstance que vient de rappeler
M. Lebeau, je dois lui en rappeler une autre. Le 14 octobre on devait s’occuper
de l’épuration de la cour de Liège. Le 15 je devais partir pour Paris, je
retardai mon départ d’un jour, et le 16 on discuta le personnel de la cour
contradictoirement avec le gouvernement provisoire et avec des personnes venues
de Liège et qui prétendaient que les éliminations devaient être plus
nombreuses. Quant à la province du Limbourg, on s’attendait d’un moment à
l’autre à la reddition de Maestricht, et comme le pays n’était pas encore sous
la domination belge, la difficulté de circonscrire les juridictions avait fait
retarder les nominations Elles furent soumises aux députés du congrès de cette
province. Je ne sais pas si on trouvera plus de garantie dans un ministre. (La clôture ! la clôture !)
- La clôture est
mise aux voix et prononcée.
On procède à
l’appel nominal sur l’amendement de M. le ministre de la justice, il est adopté
par 44 voix contre 21.
Oui, 44 ; non, 21
; abstenus, 6.
Ont voté pour :
MM. Taintenier, Boucqueau, Brabant, Cols, Coppieters, Dautrebande, Dellafaille,
F. de Mérode, W. de Mérode, de Muelenaere, de Sécus, de Smet, de Theux, Devaux,
Dewitte, d’Huart, Domis, Dubus, Dugniolle, Dumortier, Duvivier, Fleussu,
Goethals, Jacques, Lardinois, Lebeau, Legrelle, Milcamps, Morel-Danheel,
Olislagers, Polfvliet, Poschet, Raikem, A. Rodenbach, Thienpont, Ullens, Vandenhove,
Vanderbelen, Verdussen, Vergauwen, Verhagen, Vuylsteke, Zoude, Ch. Vilain
XIIII.
Ont voté contre :
MM. Berger, Coppens, Corbisier, Davignon, H. de Brouckere, d’Elhoungne, de Roo,
d’Hoffschmidt, Dumont, Gendebien, Jaminé, Jonet, Julien, Mary, Mesdach, Osy,
Pirmez, Raymaeckers, Seron, Van Innis, Van Meenen.
Six membres se
sont abstenus. Ce sont MM. Bourgeois, de Gerlache, Helias d’Huddeghem, Lebègue,
Leclercq et Liedts.
Les cinq premiers
ont donné pour motif de leur abstention leur qualité de magistrat.
M. Liedts. - Je me suis abstenu par le même motif ; mais je dois
déclarer que sans cela j’aurais voté contre.
- La séance est
levée à quatre heures un quart.
Noms des membres
absents à la chambre des représentants, séance du 20 juin : MM. Angillis, de
Foere, de Haerne, Delehaye, de Meer de Moorsel, de Robaulx, Fallon, Gelders,
Hye-Hoys, Pirson, C. Rodenbach.