Accueil Séances plénières Tables des matières Biographies Livres numérisés Bibliographie et
liens Note d’intention
Séance précédente Séance suivante
Chambre des représentants de Belgique
Séance du mardi 5 juin 1832
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre
2) Projet de loi portant formation d’une
commission spéciale des mines
3) Projet de loi portant organisation judiciaire.
Cour de cassation. Incompatibilité avec les fonctions de ministre ou de
députés, mise en accusation des ministres (Helias
d’Huddeghem, Lebeau, Liedts, Gendebien, H. de Brouckere, Lefebvre, Raikem, Jullien, Lebègue, Destouvelles, A. Rodenbach,
Devaux, Mesdach, Raikem, H. de Brouckere, Raikem, Van Meenen, H. de Brouckere, Jullien),
nomination et présentation des conseillers (H. de
Brouckere, Taintenier, Destouvelles,
Taitenier, Verdussen, Destouvelles, Leclercq, Jullien, Ch. de Brouckere, Ullens, Leclercq, Devaux, Lebègue, Gendebien, Mary, Bourgeois, Leclercq, H. de Brouckere, Leclercq, Gendebien, Helias d’Huddeghem, Bourgeois, Mesdach, Liedts, H. de Brouckere, Devaux, Bourgeois, Lebeau, Leclercq, Destouvelles, H. de Brouckere,
Devaux), compétences de la cour de cassation
(Liedts, Destouvelles, H. de Brouckere), plus particulièrement quant aux
arrêts de la haute cour militaire) (Gendebien, Destouvelles, Raikem, Jullien, Gendebien, Destouvelles, Leclercq, Gendebien, Fleussu, Ch. de Brouckere, Destouvelles,
H. de Brouckere, Gendebien,
Leclercq, Gendebien, H. de Brouckere, Raikem, Helias d’Huddeghem)
(Moniteur belge n°159, du 7 juin 1832)
(Présidence de M. de Gerlache.)
A midi et demi la
séance est ouverte.
M. Dellafaille fait l’appel nominal et donne lecture du
procès-verbal dont la rédaction est adoptée.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
M. Jacques expose sommairement l’objet de plusieurs pétitions
adressées à la chambre. Ces pétitions sont renvoyées au comité spécial.
Il est fait
lecture d’une lettre de M. Corbisier qui, pour cause de maladie, s’excuse de ne
pouvoir partager les travaux de ses honorables collègues.
PROJET DE LOI PORTANT FORMATION D’UNE COMMISSION
SPECIALE DES MINES
Un message du
sénat, en date du 4juin, annonce que cette chambre législative a adopté, dans
sa séance du même jour, un projet de loi portant formation d’une commission
spéciale qui aurait provisoirement les attributions du conseil d’Etat,
relativement aux mines.
M. le président. - Le projet sera imprimé et distribué.
M. Lebeau. - II faut l’envoyer ce projet à l’ancienne
commission. (Appuyé ! appuyé !)
- Le renvoi du
projet à l’ancienne commission des mines est adopté.
PROJET DE LOI PORTANT ORGANISATION JUDICIAIRE
Discussion des
articles
L’ordre du jour est
la suite de la discussion sur le projet de loi concernant l’organisation
judiciaire.
Article 6
« Art. 6. Les
membres de la cour de cassation ne peuvent être en même temps soit membres des
chambres, soit ministres. »
M. Helias
d’Huddeghem. - Messieurs, la
cour supérieure de Bruxelles, consultée sur un article identique à celui dont
la discussion va s’ouvrir, a émis l’opinion qu’il convenait de supprimer cette
disposition dans la loi et qu’on devait s’en référer, à cet égard, à la
constitution.
Jusqu’à présent il
ne m’a pas été démontré qu’il y avait de l’inconvénient à supprimer cet
article, et je vais aussi demander sa suppression. J’ai plusieurs motifs pour
faire cette demande : pourquoi écarterions-nous des assemblées législatives,
les juges que les peuples voisins y admettent. En effet en Angleterre il est
reçu, il est passé en coutume, de donner l’entrée des chambres à deux des
grands juges ; indépendamment que le chancelier est président de la haute cour.
En France, les membres les plus distingués de la cour de cassation se trouvent
en même temps sur la liste des membres de la chambre des pairs ; et vous savez
tous que le ministre de la justice, garde des sceaux, préside en certains cas
la cour de cassation. Loin de voir une incompatibilité entre les fonctions de
membres de la cour de cassation et les membres de la représentation nationale,
je pense que la meilleure préparation possible pour la législature, c’est
d’avoir rempli les hautes fonctions judiciaires ; quel est l’homme le plus
propre à se faire écouter sur les lois si ce n’est celui qui en a suivi la
marche pendant une longue carrière ? C’est par ces considérations que je
propose la suppression de l’article 6.
M. Lebeau. - Messieurs, si dans cette circonstance, je voulais
stipuler dans l’intérêt du pouvoir exécutif, je me hâterais de voter le
maintien de l’article 6 mis en délibération. Je crois en effet que ce serait
rendre un grand service au gouvernement que de fermer l’entrée de cette chambre
ou du sénat à des hommes qui apportent ici une indépendance de position telle
que vous ne la trouverez réunie nulle part à un pareil degré.
Que veut-on,
messieurs, pour condition d’aptitude à exercer les fonctions législatives ?
L’indépendance
d’abord ; l’instruction ensuite. Or, messieurs, d’après les présomptions les
plus vraisemblables, la première de ces conditions, l’instruction, est
certainement assurée dans la personne des membres de la cour suprême ; et quant
à l’indépendance de position, elle est, sous ce rapport, tellement évidente,
qu’il paraît superflu d’entrer dans aucun développement.
Je ferai remarquer
que l’indépendance des membres de la cour de cassation peut se comparer avec un
grand avantage à l’indépendance de position des membres des cours d’appel : les
membres des cours d’appel, messieurs, ont encore quelque chose à craindre, ont
encore quelque chose à espérer du pouvoir ; car vous le savez, c’est le pouvoir
qui peut les appeler à la cour de cassation en les choisissant sur deux listes
de candidats qui lui sont présentées. Les membres de la cour de cassation n’ont
plus rien à craindre, ni rien à attendre du pouvoir. Un conseiller ne peut
parvenir à la présidence ou à la première présidence, que par le choix libre de
ses collègues sans aucune intervention du gouvernement. Ainsi, messieurs, il
est incontestable que les membres de la cour de cassation réunissent au plus
haut degré deux conditions, l’instruction et l’indépendance la plus absolue de
position.
Maintenant, si
l’on ferme l’accès de cette chambre à de tels hommes, je crois qu’on stipulera
jusqu’à un certain point les intérêts du pouvoir, si tout est que le pouvoir
veuille exercer une influence quelconque sur les chambres délibérantes, ou par
des moyens détournés avoir de l’action sur la représentation nationale.
Messieurs, parmi
les objections qu’on adresse à l’admissibilité des membres de la cour de
cassation dans cette chambre, on en cite deux principales : d’abord le défaut
de temps. On pense que si les membres de la cour de cassation sont appelés à
exercer les fonctions législatives, cette admission aura pour résultat de les
distraire plus ou moins de leurs sièges judiciaires, ce qui ne pourra avoir
lieu qu’aux dépens de la bonne administration de la justice. Messieurs, cette
objection ne peut s’appliquer exclusivement aux membres de la cour de cassation
; elle s’applique à toutes les cours judiciaires.
Quand vous fixerez
le nombre des membres qui composeront chaque cour d’appel, aurez-vous égard à
cette éventualité, que quelques-uns d’entre eux peuvent être appelés dans les
chambres ? Evidemment vous fixerez ce contingent d’après les besoins du ressort
; vous fixerez le nombre des conseillers sans perdre de vue tous les principes,
toutes les maximes d’économie qui sont ici notre loi ; vous fixerez le nombre
des membres des cours d’appel, d’après la proportion du service de ces cours.
Eh bien, s’il en
est ainsi, l’objection que l’on adresse à la cour de cassation s’adresse aux
membres des cours d’appel ; et il faut, pour être conséquent, prononcer aussi
leur incompatibilité. Il faut même aller plus loin, il faut déclarer qu’aucun
membre de l’ordre judiciaire ne peut être admis à exercer des fonctions
législatives, puisque l’exercice de ces fonctions a pour objet de toucher à un
personnel dont le contingent a dû être basé sur les besoins de la justice dans
les divers ressorts.
Non, messieurs,
vous ne pouvez aller jusque-là : et si vous ne pouvez aller jusque-là, vous ne
pouvez adresser l’objection aux membres de la cour de cassation ; vous le
pouvez d’autant moins que les travaux de la cour de cassation sont moins
multipliés que ceux d’une cour d’appel ; qu’une cour de cassation ne siège pas
tous les jours ; que ses séances ne sont pas tellement prolongées qu’un
conseiller ne puisse dans le même jour rendre un arrêt et remplir ses fonctions
législatives.
D’ailleurs la
question que nous agitons est tout à fait de la compétence des électeurs :
c’est à eux d’estimer s’il convient à leurs intérêts et à ceux du pays d’avoir
pour représentant un membre de la cour de cassation qui, par la nature de ses
fonctions judiciaires, ne pourra pas autant qu’un autre fréquenter les
chambres, mais qui pourra y avoir de l’influence par ses lumières, par ses
qualités. C’est à eux à savoir s’ils veulent voir figurer un tel homme à la
chambre et au sénat dans les questions d’une haute importance ; c’est à eux
qu’il appartient de décider si un député qui remplit ainsi son mandat est
préférable à un député plus assidu aux séances législatives, mais ayant moins
de lumières, moins d’indépendance qu’un membre de la cour suprême.
Ai-je besoin,
messieurs, de faire ressortir les lumières qu’apporteront les membres de la
cour de cassation dans les discussions relatives à la législation civile, à la
réforme du code d’instruction criminelle. Remarquez bien que notre législation
pénale, que notre procédure criminelle, ont besoin, pour être mises en harmonie
avec nos institutions, d’une refonte presque générale ; et c’est au moment où
des travaux législatifs de cette importance seront soumis aux chambres, pendant
plusieurs années, que l’on veut, de gaieté de cœur, se priver des lumières des
hommes les plus propres à éclairer nos consciences dans de pareilles délibérations
!
Mais, dit-on,
l’incompatibilité résulte d’un autre motif. Les membres de la cour de cassation
pouvant être appelés à juger les ministres, il répugne à la nature des choses,
comme il répugne aux principes de justice et aux convenances, que des hommes
qui ont concouru à la mise en accusation viennent participer au jugement qui en
est la suite. Eh bien, messieurs, qu’arrivera-t-il ? Il arrivera par l’effet
naturel des choses, par le principe de délicatesse dont nous voyons
l’application tous les jours dans les tribunaux les plus inférieurs, qu’un
membre de la cour de cassation sachant qu’il doit participer au jugement d’un
ministre, s’abstiendra comme député de voter l’accusation ; il fera comme les
conseillers qui jugent dans la chambre des mises en accusation, et qui par cela
seul ne peuvent siéger à la cour d’assises pour le même procès ; il fera comme
fait le juge qui a des relations, ou de l’affinité avec l’une des parties, il
se récusera. L’administration de la justice n’en sera pas entravée, et certainement
deux ou trois voix absentes n’empêcheront pas l’exercice des prérogatives de la
chambre, n’empêcheront pas de mettre un ministre en accusation.
Et remarquez pour
quelle éventualité vous voulez sacrifier les membres de la cour de cassation et
les exclure des chambres législatives ; c’est-à-dire, remarquez combien de fois
les accusations ministérielles seront votées par vous. Messieurs, ne nous
faisons pas illusion, si nous n’avons de garantie que la bonne gestion des
intérêts publics, par le ministère, que la responsabilité judiciaire, que la
responsabilité qui s’exerce par une mise en accusation, je crois que nos
intérêts sont mal garantis ; d’abord, parce que le remède est extrême, parce
qu’il exige l’emploi de moyens rigoureux, et que la représentation nationale
pourrait supporter beaucoup d’abus avant d’en venir à un remède pire que le mal
même. Messieurs, la véritable garantie ministérielle est dans la confiance que
la majorité lui accorde ; si un ministre n’avait pas la majorité, soit de la chambre
des représentants, soit de la chambre sénatoriale, pourrait-il exercer son
pouvoir pendant 15 jours ? Car indépendamment des subsides, il y a mille
moyens d’entraver la marche de l’administration qui aurait perdu la confiance
du pays. En présence d’une pareille garantie, je n’ai pas besoin de me
préoccuper trop vivement de l’action judiciaire.
En Angleterre, où
les ministres ont été plus d’une fois sévèrement jugés, il n’y a pas eu
d’accusation depuis plus d’un demi-siècle ; pourquoi ? parce que la puissance
parlementaire s’est accrue de toute l’influence qu’a perdue le pouvoir exécutif
; il a suffi de 14 voix de majorité pour faire tomber un ministère ; il n’a
fallu rien moins que l’explosion nationale pour ramener ces mêmes hommes au
pouvoir. Il a suffi d’une simple adresse au roi pour renverser
l’administration. L’administration de Wellington n’a pas été renversée
autrement. Comment pouvez-vous attacher un prix aussi grand à une pareille
éventualité ?
Au reste, il se
présente un moyen de résoudre la difficulté, et ce moyen est palpable. Il est
certain qu’un membre de la cour de cassation, qui figurerait dans cette
enceinte, et qui saurait qu’il doit prendre part en jugement d’un ministre, il
est certain, que sous une loi qui lui en ferait une obligation, il se
retirerait.
Messieurs,
prenez-y garde, s’il est des fonctions auxquelles les hommes d’honneur
attachent un grand prix, ce sont les fonctions législatives ; ce sont les
fonctions qui leur sont conférées par la confiance générale ; craignez d’éloigner
de la cour de cassation beaucoup d’hommes honorables, beaucoup de bons
patriotes, si vous les déclarez, comme membres de cette cour, incapables,
indignes de figurer dans la représentation nationale. Laissons le concours
ouvert ; fions-nous au bon sens des électeurs du soin d’empêcher que
l’objection de la section centrale ne vienne à se réaliser.
A moins qu’on
n’appuie par de nouveaux arguments les arguments que la section centrale a fait
valoir dans son rapport, il m’est impossible de donner mon assentiment à
l’article 6.
M. Liedts. - Je ne pense pas, messieurs, comme l’honorable
préopinant que l’incompatibilité établie par l’article 6 doive disparaitre du
projet, et je crois au contraire qu’elle est commandée par l’intérêt général.
Certes
l’indépendance des membres de la cour de cassation n’a été mise en doute par
aucun membre de la section centrale, mais on a été généralement d’avis qu’il ne
suffisait pas d’être indépendant et instruit pour siéger à la chambre et qu’il
faut en entre que sa présence à la chambre n’entraîne pas de trop graves
inconvénients, ne soit pas trop préjudiciable au public. Or c’est ce qui
arriverait, si l’incompatibilité n’était pas admise ; si l’on permet que les
conseillers à la cour de cassation qui viennent siéger à l’une des deux
chambres conservent leur siège à la cour, il y aura, quoiqu’en ait dit
l’honorable préopinant, il y aura une perturbation continuelle dans
l’administration de la justice ; il faudra pour compléter la chambre où siégeaient
à la cour les conseillers élus, recourir sans cesse à l’autre chambre, et de
cette manière entraver sans cesse l’ordre du service.
Je n’en veux
d’autres preuves que les plaintes faites par la cour d’appel de Bruxelles,
plaintes qui seront bien plus fondées de le part de la cour de cassation dont
le personnel sera restreint au strict nécessaire.
Mais, dit-on, pour
être conséquent, il faudrait étendre l’incompatibilité aux membres des cours
d’appel et des tribunaux.
Cette question,
messieurs, a aussi fixé l’attention de la section centrale. Mais elle a
considéré que s’il fût un temps où les avocats étaient peut-être en trop grand
nombre à la chambre, il arrivera une époque où il n’y en aura plus du tout. La
constitution n’accordant pas de traitement aux membres, le nombre des avocats
distingués, qui ont assez de dévouement pour sacrifier leur clientèle et
peut-être leur fortune à l’honneur de représenter le pays, n’ira certes par en
augmentant.
Si maintenant vous
excluez en outre tous les membres de l’ordre judiciaire., vous n’aurez plus à
la chambre des hommes de loi.
Mais
quant à la cour de cassation, il a paru que l’incompatibilité est d’autant plus
nécessaire que le public est plus intéressé à ce que le premier corps dans
l’ordre judiciaire ne soit pas entravé dans l’administration de la justice.
N’oublions pas
d’ailleurs, messieurs, que c’est la cour de cassation qui juge les ministres,
et que dans l’esprit de la constitution, ce jugement doit-être porté par le
plus grand nombre de conseillers possible ; et c’est pour ce motif que la
constitution exige que ce jugement solennel soit rendu par les chambres
réunies. Or, si les conseillers pouvaient être en même temps membres de cette
chambre, comme c’est elle qui accuse les ministres, des conseillers ne pourront
plus prendre part au jugement, puisqu’on ne peut pas être accusateur et juge.
Il résulterait donc de là que, contre l’esprit de la constitution, le nombre de
conseillers appelés à juger les ministres pourrait-être singulièrement
restreint.
M. Gendebien. - Je ne sens pas s’il est nécessaire de répondre à ce
qu’a dit un des préopinants. Quant à moi, je crois devoir soutenir la section
centrale, c’est-à-dire que je crois devoir déclarer l’incompatibilité des
fonctions de membre de la cour de cassation et de membre de la chambre des
représentants.
Ou vous a assuré
que les membres de la cour de cassation étaient, de tous les citoyens, les
hommes qui, par leur position, étaient les plus indépendants. Messieurs, je ne
pense pas que la position sociale donne de l’indépendance à l’homme ; nous
avons tous les jours des preuves que l’homme qui n’a rien à désirer, qui n’a
rien à demander, que le célibataire qui a une immense fortune, saura moins
résister que tout autre dans une position contraire. L’indépendance est dans le
caractère de l’homme ; quand elle n’est pas là, il ne faut pas la chercher
ailleurs. Tout homme riche, tout homme indépendant par ses fonctions, se trouve
encore très disposé, souvent, à sacrifier son indépendance pour un cordon, pour
un titre de baron, pour un titre de comte.
Ces hommes dans de
hautes positions sociales, n’ont-ils pas tous quelques neveux à placer ? Je ne
conçois d’autre indépendance que celle qui est dans le sang, dans le caractère
; hors de là, ce n’en est pas. Ainsi, je mets de côté tout ce qui a été avancé
sur l’indépendance des membres de la cour de cassation. Il n’y aura
d’indépendants dans cette cour que ceux qui seront indépendants par caractère
et les autres se laisseront aller à des titres de baron et de comte.
On vous a dit,
messieurs, que s’il fallait fermer la porte de la chambre aux membres de la
cour de cassation parce qu’ils n’auraient pas le temps de remplir leurs nobles
fonctions, il faudrait, par identité de raison, exclure les membres des cours
et des tribunaux. D’abord, j’aurai l’honneur de vous faire remarquer que dans
les cours et tribunaux, le nombre des membres n’y est pas tellement restreint,
et les occupations n’y sont pas tellement graves qu’un juge, qu’un conseiller,
ne puisse se soustraire momentanément à ses fonctions. Mais je ferai remarquer
d’un autre côté que ce serait payer bien cher… (Et ici je dirai qu’on a éloigné
de la chambre les hommes du barreau, parce qu’on n’a pas donné une indemnité
qui pût compenser la perte de la clientèle, et on a mis les membres des cours
d’appel pour remplacer les avocats), que ce serait payer bien cher les
jurisconsultes de la cour de cassation, qui vous coûteraient 5,000 florins,
tandis que les jurisconsultes de la cour d’appel ne coûtent que 2,500 florins.
Quant à
l’incompatibilité, je la trouve très rationnelle ; et non seulement je ne
trouve pas de remède dans la possibilité de s’abstenir mais je trouve un
inconvénient très grave dans l’abstention d’un membre, soit à la chambre, soit à
la cour de cassation.
M. Lebeau. - C’est à la chambre qu’il s’abstiendra !
M. Gendebien. - Pourquoi voulez-vous créer des nécessité de
s’abstenir pour un certain nombre de représentants, dans une occasion pénible ?
Et cet inconvénient, en supposant qu’il disparaisse, il en est une autre qui ne
disparaîtra pas. Si vous introduisez des membres de la cour de cassation dans
les discussions politiques, qu’arrivera-t-il ? Dans ces discussions, on
commence par être divisés d’opinions, on finit par s’entêter dans son opinion,
et pas ne voir qu’à travers le prisme de son opinion. Les juges siégeront avec
les impressions qu’ils auront prises parmi nous ; vous aurez des juges prévenus
; et à moins que tous les membres de la cour de cassation ne se récusent, quand
vous jugerez les ministres, je dis qu’ils n’auront pas l’impartialité qui
convient à des magistrats : sous ce rapport, je crois qu’il faut fermer la
porte de la chambre aux membres de la cour suprême.
On a dit que
c’était se priver de beaucoup de lumières, parce que, lorsque nous réviserons
les codes, les membres de la cour de cassation donneront leur opinion. Je
prétends qu’en cour d’appel, vous trouverez des hommes tout aussi aptes. En
cour de cassation il n’arrive que quelques questions ardues ; mais elles n’y
arrivent pas toutes ; il en est un bien plus grand nombre qui sont résolues par
les cours de cassation, parce qu’on transige. Ainsi vous trouverez beaucoup
plus d’hommes exercés aux questions graves dans les cours d’appel que dans les
cours de cassation. Dans cette cour on discute une ou deux questions dans une
affaire, et dans les cours d’appel on en discute dix ou douze, qui sont tous
les jours remises sur le métier et tous les jours élaborées.
Je crois,
messieurs, avoir rencontré les principales objections qui ont été faites contre
l’admission de l’article 6.
Je ne suivrai pas
le préopinant dans ce qu’il a dit au sujet des cas très rares de mises en
accusation des ministres. Ces cas sont très rares, et cependant on nous vante
sans cesse la responsabilité ministérielle. Je prends acte de l’aveu, pour m’en
servir plus tard quand on nous vantera la responsabilité ministérielle.
Il
est une autre objection sur laquelle je dois entretenir la chambre. La cour de
cassation est régulatrice des points de jurisprudence. Dans certaines occasions
les chambres sont appelées à interpréter les lois ; vous aurez l’inconvénient
de voir des membres de la cour de cassation qui viendront soutenir une opinion
de corps ; qui ne viendront pas ici pour éclairer l’assemblée, mais pour
s’éclairer eux-mêmes, mais pour faire prévaloir une opinion. Ils devraient
alors s’abstenir de délibérer dans la chambre ; et voilà encore un cas où vous
allez décimer la chambre. L’utilité des membres de la cour de cassation dans
cette chambre se réduit à zéro. Je vois de graves inconvénients dans la
suppression de l’article 6 ; et à moins qu’on ne présente des considérations
nouvelles, j’adopterai l’article 6 présenté.
M. H. de Brouckere. - Je me lève, comme l’honorable préopinant, pour
défendre les dispositions de l’article 6. Cet article donne lieu à deux
questions différentes. Les ministres pourront-ils être membres de la cour de cassation
? et les membres de la cour de cassation pourront-ils faire partie de la
chambre ? Quant à la première question, il paraît que ceux-là qui voudraient
voir supprimer l’article 6 admettent l’incompatibilité des fonctions de
ministre avec celles de la cour de cassation, et véritablement cette
incompatibilité existe au suprême degré.
Je voudrais, moi,
que les fonctions de ministre fussent incompatibles avec toute autre fonction.
J’ai soutenu cette opinion dans une autre discussion, et je n’ai pas changé
d’avis.
Il est inutile de
répéter que l’on trouvera ailleurs que dans la cour de cassation et
l’indépendance et l’instruction.
Il est impossible
que plusieurs membres de la cour de cassation siègent dans les chambres sans
que l’administration de la justice soit interrompue ; or, plus les membres de
cette cour seront indépendants et instruits et plus ils auront de chances pour
être appelés dans les chambres, ce qui ne fait qu’augmenter l’inconvénient.
Mais, dit-on, vous
avez même chose à craindre pour les cours d’appel ; eh bien, je suis d’avis que
l’on doit avoir égard à cette considération, et qu’en fixant le nombre des
membres des cours d’appel, il faut avoir en vue la possibilité que plusieurs
membres seront absents pour des causes forcées ou pour assister à la
représentation nationale, si tant est qu’ils y soient appelés.
Mais, ajoute
l’honorable membre, laissez faire aux électeurs ; c’est à eux qu’il appartient
d’apprécier les convenances ; c’est à eux de savoir s’ils doivent donner leur
voix à des hommes qui seraient moins assidus aux séances de la chambre, mais
qui porteraient de grandes lumières dans les discussions importantes. Je vous
ferai observer que la plupart du temps les personnes remplissant des fonctions,
quand elles sont appelées dans l’une des deux chambres, ne vaquent plus à leurs
fonctions ; ainsi, les membres de la cour de cassation siégeraient
régulièrement à la représentation nationale, et ne siégeraient pas à la cour.
L’honorable M.
Lebeau a prévu une objection grave. C’est à la chambre des représentants à
poursuivre les ministres qui doivent être jugés par la cour de cassation. Mais,
dit-il, les membres de la cour de cassation se récuseront dans la chambre des
représentants : ils se récuseront ! Oui, s’ils le veulent. C’est dans les
crises politiques que l’on juge les ministres ; eh bien, c’est alors que les
passions sont à craindre, et il faut éviter que ces passions aient de
l’influence. Les membres de la cour de cassation se récuseront comme ils se
récusent dans le cas de parenté… Mais s’ils se récusent alors, c’est parce que
la loi l’ordonne.
D’ailleurs,
il est fort singulier d’introduire dans la représentation nationale des
personnes qui seront dans certains cas dans la nécessité de se récuser. On ne
nomme pas les membres d’une cour avec la prévision que ces membres devront se
dispenser de prendre part aux délibérations.
Les mises en
accusation sont rares… Oui, elles sont rares ; mais cela n’a pas empêché que la
seule prévision de la mise en accusation ait fait insérer dans la constitution
le troisième paragraphe de l’article 99 qui donne au sénat la présentation des
membres de la cour de cassation, parce qu’il ne convenait pas aux membres de la
chambre des représentants, qui poursuivent les ministres, de désigner les
personnes chargées de les juger. Toutes les personnes présentes au congrès
savent que c’est cette seule considération qui a fait admettre la disposition
du troisième paragraphe de l’article 99.
M. Lefebvre. - Je pense que la disposition qui exclut les membres
de la cour de cassation de cette enceinte, est inconstitutionnelle.
L’article 50 de la
constitutions statue particulièrement que pour être éligible, il faut : 1° être
Belge de naissance ou avoir reçu la grande naturalisation ; 2° jouir des droits
civils et politiques ; 3° être âgé de 25 ans accomplis ; 4° être domicilié en
Belgique. Aucune autre condition d’éligibilité ne peut être requise.
Voilà les quatre
conditions qu’on exige et le dernier paragraphe porte formellement qu’aucune autre
condition d’éligibilité ne peut être requise. Il est évident que c’est requérir
une autre condition d’éligibilité que d’exiger qu’on ne soit pas membre de la
cour de cassation. Il me paraît d’ailleurs, messieurs, que cette question ne
peut plus former le moindre doute, car elle se trouve résolue dans ce sens par
la section centrale dans son rapport, sur cette partie de la loi fondamentale.
Dans ce rapport, en date du 22 décembre 1830, on lit :
« Quelques
sections avaient proposé d’établir des incompatibilités entre certaines
fonctions publiques et celles de membre de l’une ou de l’autre chambre. Elle a
cru qu’à cet égard, on devait s’en rapporter au bon sens des électeurs, et que
la disposition qui prescrivait la réélection des membres appelés à des emplois
salariés, après leur nomination, parait à tous les inconvénients. Toutefois, un
membre de la section centrale avait réclamé l’incompatibilité absolue entre la
qualité de membre de la cour des comptes et celle de membres de l’une ou de
l’autre des deux chambres. Cet avis n’a pas été partagé par les autres membres
de la section centrale.
« Une
incompatibilité relative avait été réclamée. Cinq membres de la section
centrale ont demandé que les gouverneurs ou les chefs d’administration
provinciale ne pussent être élus dans les provinces dont l’administration leur
était confiée. La majorité a rejeté cette exclusion. »
Il me paraît donc
clairement établi qu’aucune incompatibilité entre les fonctions judiciaires et
la représentation nationale ne peut avoir lieu, et d’après les termes du
rapport de la section centrale, et d’après les termes du dernier paragraphe de
l’article 50.
Je pense que la
partie de l’article 6, qui exclut les membres de la cour de cassation, ne peut
être adoptée.
M. le ministre de la justice (M. Raikem). - Messieurs, j’ai quelques observations à présenter,
relativement à la question d’inconstitutionnalité qui vient d’être soulevée par
le dernier préopinant. Auparavant, j’aurais l’honneur de faire remarquer à la
chambre que dans le projet de loi sur l’organisation judiciaire, présenté par
le gouvernement, il était statué que les fonctions de membre de la cour de
cassation étaient incompatibles avec celles de ministre. Ainsi on ne peut pas
dire que c’est dans l’intérêt du pouvoir que l’on aurait voulu établir
l’incompatibilité entre la qualité de membre de la cour et la qualité de membre
de la législature.
J’en viens à la
question constitutionnelle.
Je remarquerai
encore que c’est la section centrale qui a établi l’incompatibilité entre la
cour de cassation et l’une et l’autre chambre, et que j’ai partagé cette
opinion ; la section centrale avait bien voulu m’appeler dans son sein, pour
discuter le projet de loi sur l’organisation judiciaire.
Pour
prouver l’inconstitutionnalité, on cite l’article 50 de la constitution, et on
s’appuie sur son dernier paragraphe : « Aucune autre condition
d’éligibilité ne peut être requise. » Mais par la loi que vous êtes
appelés à porter, propose-t-on une nouvelle condition d’éligibilité ? Point du
tout. Dit-on que les membres de la cour de cassation sont frappés d’incapacité
pour devenir membres de la chambre ? Nullement. Un membre de la cour de
cassation peut avoir les qualités requises pour arriver à la législature ;
seulement, il ne peut pas être, en même temps, membre de la cour de cassation
et membre de la législature ; il faut opter entre les deux fonctions.
Remarquez qu’il a
été dans l’intention du congrès national de ne pas interdire les incompatibilités
qui peuvent être prononcées par les lois ; car il est bien différent de
prononcer une incompatibilité ou d’imposer une nouvelle condition
d’éligibilité.
Le préopinant vous
a dit que le rapport de la section centrale, rapport qu’il a cité, était du 22
décembre 1830. Eh bien ! le congrès connaissait les intentions de la section
centrale ; il savait en quel sens il rédigeait la constitution ; on ne peut pas
supposer qu’à la même époque, il aurait voté le pour et le contre. Cependant,
voyez la loi sur la cour des comptes ; elle est du 30 décembre de la même année
1830, ainsi huit jours après le rapport de la section centrale, sur le titre de
la constitution que l’on a cité : le décret sur la cour des comptes porte,
article 2, que les membres de cette cour ne peuvent être, en même temps,
membres de l’une et l’autre chambre.
Voilà
une incompatibilité de prononcée, et cette incompatibilité n’est point
contraire à la constitution, il n’y a dans la constitution aucune disposition
qui empêche de prononcer légalement des incompatibilités. Et observez, quant au
rapport de la section centrale qui a rejeté plusieurs incompatibilités alors
proposées, que l’on n’a pas voulu établir des incompatibilités
constitutionnelles ; il y a, en effet, une grande différence entre une
incompatibilité constitutionnelle et une incompatibilité légale. Pour détruire
une incompatibilité constitutionnelle, il aurait fallu réviser la constitution
avec toutes les formes sévères et lentes que cette révision exige ; au lieu que
lorsque l’on établit par une loi une incompatibilité, elle peut être par une
loi contraire portée dans une autre législature.
La disposition
proposée par la section centrale n’est point inconstitutionnelle.
Je me bornerai à
ces réflexions pour le moment.
M. Jullien. - Messieurs, le plus habile homme du monde, quand il
est exerce des fonctions, ne peut faire qu’une affaire à la fois ; que sera-ce
quand vous cumulerez dans la même personne deux fonctions importantes, qui
s’excluent réciproquement ? Quand elle remplira une de ces fonctions, l’autre
restera en vacance. Quand on a une double magistrature à remplir, il y en a
toujours une qui souffre ; et les administrés et l’administration en pâtissent.
Ou bien le
titulaire est nécessaire dans son emploi, ou il n’est pas nécessaire ; s’il est
nécessaire, il faut qu’il y reste ; s’il n’est pas nécessaire, c’est une
sinécure ; c’est un emploi inutile. Voilà mon avis, sur le premier inconvénient
qui a été signalé par la section centrale.
L’objection tirée
du second inconvénient me paraît péremptoire. Il me semble qu’il y a une
anomalie choquante à soutenir que l’on peut être en même temps accusateur et
juge ; car la disposition par laquelle on introduirait, dans cette chambre, des
membres de la cour de cassation, et par conséquent des hommes qui auraient le
droit de mettre les ministres en jugement, les constituerait à la fois
accusateurs et juges, et je ne comprends pas une loi qui mettrait un
fonctionnaire dans la nécessité de manquer à l’un et à l’autre de ses devoirs.
J’ai entendu
l’honorable M. Lebeau ; il a dit que le membre de la cour de cassation, s’il
s’agit de poursuivre les ministres, fera ce que tout juge fait en pareil cas ;
qu’il se récusera devant la chambre ; messieurs, il ne faut jamais mettre un
homme délicat dans le cas de se récuser. Comme l’a très bien fait observer M.
de Brouckere, il ne se récusera qu’autant qu’il le voudra ; il pourra vouloir
au contraire voter comme député et s’abstenir comme juge ; vous ne pouvez pas lui
ôter cette faculté.
S’il accuse les
ministres, ne craignez-vous pas l’influence que, comme député, il pourra
exercer sur ses confrères de la cour de cassation ; si, au contraire, il
s’abstient comme député, il cherchera à faire partager ses passions politiques
au corps auquel il appartient. De quelque côté que vienne l’abstention, il y
aura toujours, sur le jugement, une influence dangereuse, et c’est ce que vous
devez éviter. Il ne faut pas placer un honnête homme dans une position
équivoque.
Il
y a des incompatibilités qui ne sont pas écrites dans les lois ; mais il en est
qui sont dans la nature des choses, dans la morale publique. On ne peut pas
concevoir dans une société civilisée que le même homme accuse et juge.
On a dit : mais pourquoi exclure les membres de la cour de cassation ;
vous vous refusez les tributs de lumières qu’ils apporteront… Tout cela ne me
touche pas. Le membre de la cour de cassation qui sera nommé membre de la
chambre aura, comme l’a fort bien fait observer M. le ministre de la justice,
la faculté d’opter : donnez-lui cet avertissement si vous voulez dans la loi,
ainsi il n’y aura pas d’exclusion ; il y aura seulement option. Je crois que
l’on doit maintenir tout l’article présenté par la section centrale, et qu’il y
aurait de graves inconvénients à le supprimer.
M. Lebègue. - Loin de voir dans l’article 6 une
inconstitutionnalité, je trouve que sa rédaction est en harmonie avec l’article
50 de la constitution. De l’article 50 je tire la conclusion que les membres de
la cour de cassation sont éligibles, et de l’article 6 de la loi en discussion
qu’ils peuvent entrer dans cette chambre en optant.
M. Destouvelles. - Après les explications que vous venez d’entendre,
je n’ai que peu de mots à ajouter. C’est à tort que l’on a dit que l’article 6
frappe d’indignité les membres de la cour de cassation. Il suffit de lire cet
article pour acquérir la certitude que le reproche n’est pas fondé. L’article
ne prononcer pas d’exclusion, il ne dit pas que les membres de la cour de
cassation ne peuvent être appelés par les électeurs aux fonctions de membre de
la chambre, et par le choix du souverain aux fonctions de ministre. Cet article
ne veut pas que les fonctions de la cour de cassation soient cumulées avec
celles de membres des chambres et celles du ministère. Si les électeurs nomment
un membre de la cour de cassation, l’élection est valable ; c’est à l’élu à
opter pour l’une ou l’autre mission qui lui est confiée. Je le répète, il n’y a
là rien qui prononce une indignité ou exclusion.
On n’a pas voulu,
dans la constitution, qui est la loi des lois, et qui ne peut être réformée,
révisée, qu’avec des formes sacramentelles, on n’a pas voulu prononcer
d’incompatibilité ; on a laissé ces incompatibilités dans le domaine des lois
qui peuvent être à tout moment faites et refaites par le corps législatif dont
elles sont l’œuvre. C’est donc à tort que l’on a voulu s’occuper du
procès-verbal de la section centrale de décembre 1830. Le véritable commentaire
de l’article 50 de la constitution est la loi relative à la cour des comptes.
C’est en vain que l’on a prétendu que l’indépendance de la cour de cassation
était absolue, parce que parvenus aux sommités du pouvoir judiciaire, les membres
de cette cour avaient obtenu tout ce à quoi ils pouvaient prétendre. La preuve
qu’ils n’ont pas tout obtenu, c’est qu’ils n’ont pas eu un portefeuille, qui
cependant pourrait leur sourire. Si vous voulez qu’ils soient indépendants,
laissez-les à la cour de cassation, ne les mettez pas en contact avec le
pouvoir, qu’ils soient tout entiers à leurs fonctions.
Quant au second
moyen, messieurs, il est incontestable que le personnel des cours est
rigoureusement calculé sur les besoins du service, et qu’on ne peut remplir deux fonctions à la fois.
On a parlé des
cours supérieures ; mais M. Gendebien vous a fait sentir la différence entre
les cours supérieures, et la cour de cassation. Dans les tribunaux inférieurs
on met des suppléants qui peuvent, en montant sur le siège, donner à la justice
son cours ordinaire.
Messieurs, la plus
grande et la plus sérieuse de toutes les objections est celle que contient la
constitution. Cette loi fondamentale défère aux chambres le pouvoir de juger
les ministres ; je ne comprends pas comment on peut créer dans une même
personne un accusateur et un juge.
Mais,
dit-on, l’accusateur s’abstiendra à la chambre… S’il s’abstient à la chambre,
il ne remplit pas ses devoirs comme membre de la chambre. Cependant il s’agit
d’une accusation solennelle, d’une accusation devant laquelle on ne peut
reculer, ni sur laquelle on puisse refuser son vote. Il serait trop commode de
s’abstenir de l’accusation, ou de s’abstenir du jugement. Nous ne pouvons
admettre cette série d’opérations. Vous êtes membre de la chambre ; vous vous
abstiendrez du jugement : mais c’est un
jugement solennel, et si ces lumières, dont on s’est prévalu pour ne pas
exclure les membres de la cour de cassation, si ces lumières au nombre de 5 à 6
étaient distraites de la cour, voyez ce que deviendrait le jugement solennel !
La cour jugerait à
un petit nombre, et ce n’est pas le vœu de la loi qui dit que la cour
prononcera toutes les chambres réunies. C’en est assez sans doute, messieurs,
pour justifier l’article 6 et je crois que loin que la chambre veuille le
retrancher, elle l’inventerait s’il n’existait pas.
M. A. Rodenbach. - Plusieurs de mes honorables collègues ont suffisamment
prouvé la constitutionnalité et l’incompatibilité des fonctions de membres de
la cour de cassation avec celles de ministre et de représentant. Ce sont les
conseillers de la cour de cassation qui doivent juger les ministres lorsqu’ils
sont mis en accusation, j’en conclus que ce juge, en même temps député, serait
en quelque sorte juge et partie dans la cause. Si je ne craignais d’écarter les
talents de la chambre, j’étendrais l’incompatibilité à d’autres employés
judiciaires. Vous conviendrez, messieurs, que des conseillers ne peuvent pas
constamment abandonner leur siège sans que l’administration de la justice en
souffre ; car il est difficile de remplir deux charges à la fois. J’en appelle
à mes collègues magistrats qui siègent dans cette enceinte, si la justice ne
souffre parfois de leur absence. Naguère encore un président de la cour de
Bruxelles a déclaré que M. le premier président n’avait pu composer la chambre
à cause d’absence de conseillers. C’est ainsi que l’on doit remettre les causes
jusqu’à trente fois. Je donnerai mon assentiment à l’article 6.
M. Devaux. - Messieurs, bien que d’après ce que je viens
d’entendre, l’opinion que je viens soutenir ne paraît pas être en grande faveur
dans ce moment, pour être conséquent avec les opinions que j’ai toujours
soutenues au congrès, je viens appuyer le retranchement de l’article 6.
Il n’y a pas une seule des objections qui
viennent d’être faites en sens contraire qui n’ait été produite au congrès pour
établir dans la constitution des incompatibilités avec les fonctions de
représentant. Mais le congrès les rejeta, et partit de ce grand principe qu’il
ne fallait point gêner le droit des électeurs ; mais au contraire étendre
autant que possible le cercle dans lequel ils doivent choisir les représentants
du pays. Une seule exception fut faite à cette règle générale, c’est celle qui
déclare incompatibles les fonctions de membres de la cour des comptes et celle
de membre d’une des deux chambres : encore si ma mémoire est fidèle, cette
mesure n’obtint-elle qu’une très faible minorité ; je la combattis pour ma part
et j’en regrette tous les jours l’adoption, parce que je suis convaincu que
nous sommes privés par là de lumières d’hommes qui auraient pu nous être fort
utiles.
Je m’étais figuré,
messieurs, que la cour de cassation n’était pas un tribunal ordinaire ; que
c’était au contraire une cour d’élite, où devaient être appelés les
jurisconsultes les plus profonds, les hommes du mérite le plus éminent ; en un
mot, j’avais cru que par composition, cette cour était destinée à jeter un
grand éclat sur la magistrature et sur le pays. Je me suis trompé. Hier, vous
en avez écarté des hommes de science, parce que vous avez craint qu’ils ne
fussent trop savants.
Aujourd’hui, on vous
propose d’en écarter ceux qui ont été jugés dignes par les électeurs de prendre
place parmi les représentants de la nation. Je l’avoue, messieurs, je ne
croyais pas que ce fût un motif d’exclusion quelque part que d’avoir le
suffrage des électeurs. On dit, mais on ne les exclut pas, puisqu’ils pourront
opter, entre leur place, et les fonctions de représentants. Rigoureusement
parlant, il est vrai qu’on ne prononce pas d’exclusion, mais par le fait,
n’est-ce pas les exclure que de les forcer à une option semblable ?
L’honorable
préopinant a dit que s’il ne voyait siéger dans cette chambre des hommes de
mérite, appartenant aux cours d’appel, et s’il ne craignait d’en écarter des
talents utiles, il proposerait d’étendre l’incompatibilité aux cours. La même
observation me détermine à voter dans un sens contraire. C’est parce que je
vois ici des hommes de mérite appartenant à l’ordre judiciaire, que je ne veux
pas qu’on les exclue, et qu’à plus forte raison, je suis d’avis qu’on en
permette l’accès aux membres de la cour de cassation, parce que nous trouverons
en eux encore plus de lumières et de talent. J’ai été vraiment étonné
d’entendre M. H. de Brouckere dire qu’il fallait plutôt écarter de la chambre
les membres de la cour de cassation que les conseillers des cours d’appel.
L’intérêt du pays
n’exige-t-il point que les hommes les plus capables fassent partie de la
législature. Or, les conseillers de la cour de cassation ne sont-ils pas
présumés des hommes bien autrement capables et distingués que des conseillers
de cour et de juges de première instance ?
Oui, messieurs, si
vous adoptez l’exclusion aux conseillers de la cour de cassation, il y a deux
fois plus de raison de l’appliquer aux cours royales, et quatre fois plus de
l’appliquer aux tribunaux, parce que plus vous descendez, plus les capacités
diminuent, moins il y a à perdre pour la législature.
Quant à moi, je
crois que les capacités sont chose trop rare pour ne pas tirer de celles que
nous aurons tout le parti possible. Que l’on jette les yeux sur ce qui se passe
chez nos voisins. Voyez la chambre des pairs de France. N’est-il pas vrai que
les hommes investis des plus hautes fonctions judiciaires y ont été appelés ?
M. Seguier, premier président de la cour royale de Paris, est vice-président de
cette chambre. En Angleterre, les douze grands juges siègent dans la chambre
des lords. Ces fonctions législatives relèvent la magistrature, lui donnent
plus de dignité. Le président de la chambre des lords, par le seul fait de sa
présidence, est appelé en même temps à présider la première cour judiciaire du
royaume. Messieurs, la présidence d’un homme de plus ou de moins dans les
chambres peut faire un bien ou un mal immense ; n’en excluons pas les hommes
les plus capables.
Si on exclut les
membres de l’ordre judiciaire, pourquoi n’exclurait-on pas les membres de
l’ordre administratif ? Pourquoi ne pas déclarer l’incompatibilité à l’égard
d’un gouverneur de province, qui administre seul, à la différence d’un
conseiller qui n’est pas seul pour rendre la justice. Pourquoi ne pas exclure
les commissaires de districts, qui légalement parlant, n’ont personne pour se
faire remplacer dans leurs fonctions ? Je dis qu’il faut ou ne pas faire
d’exception, ou qu’il faut l’étendre à toute l’échelle judiciaire, et à toute l’échelle
administrative. Mais alors vous verrez combien se trouvera rétréci le cercle
des électeurs. Otez à la chambre ce qu’elle emprunte à l’ordre judiciaire et à
l’ordre administratif, et vous verrez ce que vous aurez perdu en lumière.
Pourquoi
voyez-vous ici un si grand nombre de membres de l’ordre judiciaire, est-ce
affection des électeurs pour les juges ? Non, mais c’est que les électeurs se
sont aperçus que parmi les magistrats étaient des hommes de mérite, et ils en
ont fait l’objet de leur choix. Ils savaient bien que l’administration de la
justice en serait plus ou moins entravée, mais ils ne se sont pas arrêtés
devant cette considération, parce qu’une considération plus puissante les
dominait. On pourrait dire que la question a déjà été résolue par la voix des
électeurs eux-mêmes.
La question de
l’inconvénient qu’il y aurait à voir le même homme tour à tout accusateur et
juge, est facile à résoudre. Il est certain que le conseiller qui voudrait
prendre part au jugement d’un ministre serait récusé. S’il n’y a pas de texte
de loi formel à cet égard, et il me semble qu’il y en a un, on pourrait en
faire l’objet d’un article dans la loi sur la responsabilité ministérielle.
Quant
au choix des candidats, auquel il pourrait concourir doublement, s’il était membre
du sénat, l’objection n’a pas la moindre gravité. Je ne vois pas en effet le
grand inconvénient qu’il y aurait à laisser sa voix se noyer au milieu de
celles des autres sénateurs. La même chose ne se passe-t-elle pas ailleurs à
l’égard des conseillers provinciaux, qui présentent des candidats aux cours, et
qui peuvent être conseillers de ces cours mêmes ?
Je le répète, en
finissant, ou il ne faut point exclure les conseillers de la cour de cassation
des chambres, où il fait en exclure tous les membres de l’ordre judiciaire et
de l’ordre administratif, jusqu’aux tribunaux les plus inférieurs.
M. Mesdach. - Je ne viens pas combattre l’article 6 ; au
contraire, je lui donne entièrement mon suffrage ; mais je crois qu’il y a une
lacune dans cet article, et qu’il faudrait en étendre les dispositions aux
membres du parquet et au greffier. On ne peut pas dire, en effet, que l’article
leur soit applicable, parce qu’ils ne sont pas considérés comme membres de la
cour, et que toujours on a fait une différence entre le parquet et les membres
de la cour. Pour prouver ce que j’avance, je citerai l’article 71 de la loi du
27ventôse an VIII, qui établir cette distinction de la manière la plus
formelle.
L’orateur donne
ici la lecture de cet article ainsi que d’un article de la loi du 20 avril
1810, où la distinction est encore plus explicite, et poursuit ainsi :
Je citerais
encore, si je ne craignais d’abuser de vos moments, une cinquantaine de
dispositions de loi, qui confirment mon assertion, je me contenterai de les
indiquer.
Voix nombreuses.
- C’est inutile ! c’est inutile !
M. Mesdach. - Au reste, je trouve cette preuve dans le projet
lui-même. On voit dans l’article 7, relatif à la liste à former pour la présentation
des candidats, que la cour « ne peut former cette liste, si la majorité de
ses membres ne se trouve réunie. » Assurément ce paragraphe implique que
le procureur-général n’est pas considéré comme membre de la cour, car il n’a
pas voix délibérative, et il ne compterait pour constituer la majorité.
L’article 10 est plus formel encore, on y lit « le greffier dresse
procès-verbal des opérations de l’assemblée, ce procès-verbal contient les noms
des membres qui en font partie, ainsi que celui de l’officier du ministère
public qui y a assisté. » Vous voyez qu’ici l’officier public n’est pas
compté comme membre de la cour. Dois-je citer d’autres preuves ? (Non ! non ! c’est inutile.) Les articles
481 et 483 du code d’instruction
criminels sont formels. (Personne ne le
conteste, c’est inutile.) Si la chambre est fixée sur la question, je me
bornerai à proposer de rédiger l’article ainsi : « Les membres de la cour
de cassation, les officiers du ministère public et le greffier ne peuvent être
nommés soit membres des chambres, soit ministres. »
Une voix. - Et les commis-greffiers !
M. le ministre de la justice (M. Raikem). - Je pense que l’intention de la section centrale a
été de comprendre les officiers du ministère public dans la rédaction de
l’article. Cette rédaction se trouvait, d’ailleurs, dans l’article 99 du projet
primitif. (Aux voix ! aux voix !)
M. le président. - M. Leclercq a la parole.
M. Leclercq. - J’y
renonce.
M. le président. - M. H. de Brouckere l’a demandée. (Aux voix ! aux
voix !)
M. H. de Brouckere. - J’y renonce aussi, il paraît que la chambre est
fixée. J’ajouterai cependant un mot ; c’est que malgré l’étonnement de M.
Devaux, je déclare que je persiste dans mon opinion. Quant à ce qu’a dit M. le
ministre, que la disposition se trouvait dans l’article primitif, cela ne
suffit pas, je suis d’avis qu’on doit y insérer l’amendement de M. Mesdach…
Plusieurs voix. - Le ministre ne s’y oppose pas.
M. le ministre de la justice (M. Raikem). - Ce n’était pas pour m’opposer à l’adoption de
l’amendement que j’ai pris la parole. Ce n’était qu’une observation que je
faisais. (La clôture ! la clôture !)
La clôture est
mise aux voix et prononcée.
- La suppression
de l’article proposée par M. Lebeau, est mise aux voix et rejetée.
L’amendement
de M. Mesdach est mis aux voix.
M. le ministre de la justice
(M. Raikem).
- N’y a-t-il pas dans l’amendement : « ne peuvent être nommés » ?
M. le président. - Oui.
Plusieurs voix. - Cela ne peut pas être.
M. Van Meenen. - Il faut dire : « les officiers du ministre public
et le greffier près cette cour ne peuvent être en même temps, etc. »
M. H. de Brouckere. - J’insiste pour que cette disposition tombe aussi
sur les commis-greffiers.
M. Van Meenen. - On pourrait dire : « les officiers du
ministère public et les membres du greffe. »
M. H. de Brouckere. - Il n’y a pas de membres du greffe.
M. Jullien. - Que l’on dise : « le greffier et les
commis-greffiers. » Il faut s’exprimer clairement dans les lois.
M. le président relit l’article modifié ainsi qu’il suit : « Les
membres de la cour de cassation, les officiers du ministère public et les
greffiers et commis-greffiers près cette cour ne peuvent être en même temps,
soit membres des chambres, soit ministres. »
- Cet article
ainsi rédigé est mis aux voix et adopté.
Article 7
« Art. 7.
Lorsqu’une place de conseiller à la cour de cassation devient vacante, le
premier président, soit d’office, soit sur le réquisitoire du
procureur-général, convoque une assemblée générale, à l’effet de procéder à la
formation de la liste double, prescrite par l’article 99 de la constitution.
« La cour ne
peut former cette liste, si la majorité de ses membres ne se trouve
réunie. »
M. H. de Brouckere. - Je demande à la chambre et à M. le ministre s’il ne
serait pas convenable de fixer un délai dans lequel la convocation devrait être
faite. Sans cela il dépendra de la cour de renvoyer la convocation à un délai
très éloigné. Je propose de déterminer le délai d’un mois, en sorte que
l’article porterait : « Lorsqu’une place de conseiller devient vacante, le
président etc. convoque dans le mois une assemblée générale, etc. » (Appuyé !)
M. le président. - Y a-t-il opposition ? (Non ! non !)
- Cette rédaction
est adoptée.
L’article 7 ainsi
amendé est ensuite mis aux voix et adopté.
Article 8
« Art. 8. La
présentation de chaque candidat a lieu séparément, par bulletin secret et à la
majorité absolue des suffrages.
« Si les deux
premiers scrutins ne produisent pas cette majorité, il est procédé à un scrutin
de ballotage entre les deux candidats qui, au second tour, ont réuni le plus de
suffrage.
« Dans le cas
de parité de suffrages, le plus âge est préféré.
« La séance
est publique. »
M. Taintenier. - Je propose de supprimer le dernier paragraphe de
l’article portant : la séance est publique. Je trouve cette disposition fort
inutile après les précautions dont on a entouré la désignation des candidats et
la publicité des présentations prescrites par l’article 13 du projet ; je ne
vois pas d’utilité à ce que la séance où l’on procédera au scrutin soit
publique, et j’y vois au contraire un inconvénient grave et que vous saisirez
facilement. Dans une séance de ce genre les membres qui doivent se prononcer sur
le mérite des candidats, auront toujours besoin de s’en entretenir auparavant,
de discuter entre eux sur le choix qu’ils vont faire, et il faut pour une telle
opération qu’ils puissent dire librement leur pensée
; en comité secret, il n’y a point d’obstacle, en séance publique, il y aurait
quelque inconvenance à s’entretenir de questions purement personnelles ; on
doit donc laisser aux magistrats toute liberté à cet égard, et s’en rapporter à
leur conscience, à leur honneur, du soin de faire légalement les choses. Le
greffier d’ailleurs sera là qui tiendra le procès-verbal pour constater que
toutes les formalités voulues par l’article 8 ont été remplies. D’un autre côté
il ne s’agit ici que d’une assemblée aux termes de l’article 9 ; ce n’est pas
une audience. Si la constitution a voulu que les audiences fussent publiques,
elle n’a rien prescrit de semblable pour les assemblées. Je crois donc le
dernier paragraphe de l’article inutile et même dangereux, j’insiste en
conséquence pour sa suppression.
M. Destouvelles. - La section centrale a estimé, messieurs, qu’il y
avait lieu d’ordonner que la séance fût publique. Si la publicité avait été de
droit, comme pour les audiences, elle n’aurait rien prescrit à cet égard ; l’inconvénient
signalé par l’honorable préopinant ne me paraît pas balancer les avantages de
la publicité, ou plutôt il ne me paraît aucunement grave. On ne pourra pas,
dit-il, s’expliquer librement en public, sur le mérite des candidats ; mais
remarquez que les magistrats seront les maîtres de délibérer sur ce point en
secret, avant de rendre la séance publique ; je crois, du reste, qu’on ne
saurait environner l’élection de trop de précautions et que la publicité n’est
pas une garantie trop forte. (Aux voix !
aux voix !)
M. Taintenier. - Je ferai remarquer qu’il ne s’agit pas ici d’une
élection directe, et que les membres de la cour ne choisissent que des
candidats. (Aux voix ! aux voix !)
M. Verdussen. - Je demande la parole. Mon observation ne portera
pas sur l’amendement de M. Taintenier, mais sur le paragraphe 2.
M. le président. - Il faudrait laisser voter la chambre sur cet
amendement.
M. Lebeau. - Mais non ; la discussion est ouverte sur l’article
tout entier.
M. Verdussen. - Il est dit dans le deuxième paragraphe : « Si
les deux premiers scrutins ne produisent pas cette majorité, il est procédé à
un scrutin de ballotage entre les deux candidats qui, au deuxième tour ont
réuni le plus de voix. » Il s’élèvera, messieurs, dans l’exécution de ce
paragraphe une difficulté qui s’est déjà présentée plusieurs fois dans le scrutin,
et qu’il faudrait prévenir. Je suppose que trois personnes aient obtenu un égal
nombre de suffrages, entre qui le ballotage devra-il s’établir ? C’est là ce
que l’article n’explique pas, et ce qu’il devrait expliquer cependant. Je
propose, dans ce but, de rédiger le paragraphe de la manière suivante :
« Si les deux premiers tours de scrutin ne produisent pas cette majorité,
il est procédé à un scrutin de ballotage entre les candidats. » On
retrancherait ainsi le mot deux. J’étendrais aussi mon amendement au paragraphe
3, et entre les trois candidats je choisirais le plus âgé. Quand dans un
scrutin on en est venu à ce point que trois candidats obtiennent le même nombre
de suffrages après plusieurs scrutins, le choix entre eux est indifférent, car
leur mérite à tous est assez bien constaté.
M. Destouvelles. - L’article du projet est pris textuellement dans la
loi de 1790, portant institution du tribunal de cassation.
L’orateur lit cet
article.
M. Leclercq. - La suppression proposée par l’honorable M.
Verdussen fera naître une autre difficulté. C’est que le scrutin ayant produit
un égal nombre de suffrages, pour 4, 5, 6 ou 12 candidats, le ballotage pourra
s’établir entre tous ces candidats, ce qui n’est pas admissible. Le scrutin de
ballotage est établi afin que la majorité soit acquise à l’un ou à l’autre
candidat, et que l’élection ne soit jamais que l’expression de la majorité. On
sent qu’il n’en serait pas ainsi avec le système de M. Verdussen. Il est vrai
que l’article, tel qu’il est proposé, laisse subsiste une difficulté. Comment
fera-t-on quand il y aura parité de suffrages entre trois candidats.
M. Jullien. - Le plus âgé sera élu.
M. Leclercq. - Il ne s’agit pas encore de l’élection, il n’est
question que du ballotage à établir.
M. Jullien. - Il s’établira entre les deux plus âgés.
M. Ch. de Brouckere. - Vous arrangerez les choses comme vous voudrez,
mais vous n’arriverez jamais à rien de bon avec votre scrutin de ballottage,
surtout avec l’amendement de M. Verdussen. Car si vous permettez que le
ballottage s’établisse entre trois candidats, il faudra le permettre entre 4, 5
ou un plus grand nombre quand il y aura entre eux parité de suffrages, et alors
comment sera-t-il possible que vous ayez jamais un candidat élu par la majorité
? Je ne vois qu’un moyen d’éviter ces inconvénients. C’est de faire comme on
fait en France pour la nomination des membres de l’institut. Là il faut avoir
nécessairement la majorité pour être élu.
On procède à
autant de scrutin qu’il en faut pour obtenir cette majorité, sans jamais
établir de ballottage. Il arrive par là que les scrutins se multiplient
beaucoup, mais à la fin les membres qui se sont obstinés à voter pour leur
candidat et qui ont le moins de chances, sont obligés de céder et de rejeter
leur voix sur l’un des autres ; ils la donnent à celui qui leur paraît avoir le
plus de mérite.
M. Ullens. - Il faudrait dire tout simplement : le scrutin de
ballottage, s’établira entre les deux membres les plus âgés.
M. Leclercq. - Il me semble, messieurs, qu’en exigeant que la majorité
absolue pût seule décider du choix des candidats, sans que jamais il pût
s’établir de ballottage, aussi que l’a proposé M. de Brouckere, on s’expose à
une difficulté qui a été résolue jusqu’ici mais qui pourrait ne l’être pas
toujours. Supposez en effet que chaque membre s’obstinât à donner sa voix, à
chaque scrutin au candidat de son choix, vous n’aurez jamais de résultat. Il
dépendrait donc de la cour qu’il n’y eût pas d’élection. Je propose pour éviter
cet inconvénient de dire que le scrutin s’établira entre les deux plus âgés.
M. Devaux. - Je conçois des élections académiques sans résultat,
et pour une place d’académicien vacante, plus ou moins longtemps, l’Etat ne périra
pas. Ici l’élection à une toute autre importance, et il est certain qu’avec le
système de l’institut, il dépendrait de la cour de rester incomplète aussi
longtemps qu’elle le voudrait. Il me semble donc qu’il faut suivre ici le mode
d’élection qui a été suivi en toutes les autres occasions, et admettre le
scrutin de ballottage. Je ne voudrais pas cependant admettre l’amendement de M.
Leclercq, parce qu’il me paraît un peu obscur.
M. Leclercq. - Il l’est en effet un peu.
M. Lebègue. - Je voterai contre la proposition de M. Ch. de
Brouckere, parce que ce mode accorderait toujours à la minorité le pouvoir de
faire manquer l’élection.
M. Gendebien. - Voici, je crois, une rédaction qui concilierait
toutes les opinions : si un plus grand nombre de candidats a obtenu parité de
suffrages, les deux plus âgés seulement concourront.
M. Devaux. - Cette rédaction n’est pas plus exacte que l’autre.
M. Mary. - Je pense qu’en rédigeant le paragraphe 3 de la
manière suivante, toutes les difficultés disparaîtraient : « Dans tous les
cas de parité de suffrage, les plus âgés sont préférés. » Quant à
l’opinion émise par M. Ch. de Brouckere, je conçois que dans un conclave, on
mette les cardinaux sous clef jusqu’à l’élection du pape, et pendant une année
entière s’il le faut ; mais ici il n’y a pas de raison pour perdre autant de
temps et il faut en finir au plus tôt.
M. Bourgeois. - Il me semble, messieurs, qu’on veut ici prévenir un
cas qui ne peut arriver. Le seul cas à prévoir a été très bien prévu, me
semble-t-il, par l’amendement de M. Gendebien qui est le seul que j’appuie.
M. le président donne une deuxième lecture de l’amendement de M.
Gendebien.
M. Gendebien. - Relisez l’amendement de M. Mary.
M. le président obtempère à
cette invitation.
M. Leclercq. - Cette rédaction ne vaut rien. Le but du ballottage
est d’obtenir la majorité pour l’un des candidats. Avec l’amendement de M.
Mary, vous ne l’aurez jamais, puisqu’il tend à empêcher le scrutin de
ballottage. (Dénégation.) C’est là
son but. En effet, supposez trois candidats, ayant obtenu chacun 8 voix. M.
Mary ne demande-t-il pas que le plus âgé soit déclaré élu ? (Non ! non ! Bruit.)
M. H. de Brouckere. - Vous n’avez pas saisi le sens de l’amendement de M.
Mary. Cela tombe sur le cas où trois membres élus ayant obtenu parité de
suffrages, il s’agit de procéder à un scrutin de ballottage. Le scrutin,
d’après le deuxième paragraphe de l’article, ne pouvant avoir lieu qu’entre
deux candidats, sur les trois également favorisés par le premier scrutin, on en
choisira deux, les plus âgés, pour être ballottés.
M. Leclercq. - Si tel est le sens de l’amendement, on peut l’adopter.
J’avoue cependant qu’il n’est pas très clair pour moi, mais comme après son
adoption on pourra le méditer encore et y revenir lors du vote de la loi, je
n’insiste pas, et je retire mon amendement.
M. Gendebien. - Je retire aussi le mien.
M. le président. - Il ne reste plus que l’amendement de M. Mary, sur
cette partie de l’article.
M. Helias
d’Huddeghem. - M. Gendebien n’a
pas retiré le sien. (Si ! si ! La clôture
!)
- La clôture est
mise aux voix et adoptée.
M. le président.. - Je vais mettre aux voix l’amendement de M. Mary.
La majeure partie
de l’assemblée se lève pour.
M. le président.. - L’amendement est adopté.
M. Bourgeois et M. Helias d’Huddeghem. - Non ! non ! la
contre- épreuve.
- On procède à la
contre-épreuve, trois membres seulement se lèvent contre : l’amendement est
adopté.
On met ensuite aux
voix l’amendement de M. Taintenier, il est rejeté.
L’article 8 amendé
est adopté.
« Art. 9. Le
procureur-général assiste à l’assemblée, mais il n’y a pas droit de
suffrage. »
M. Mesdach. - Il y a une lacune dans l’article. En cas
d’empêchement du procureur-général, il faudrait que l’article permît à un
avocat-général de le suppléer. Je propose d’ajouter à l’article : « En cas
d’absence ou d’empêchement du procureur-général les avocats-généraux
assisteront à l’assemblée. »
M. Liedts. - C’est de droit.
M. H. de Brouckere. - Lisez
d’ailleurs l’art. 10 qui lève tous les doutes à cet égard.
M. Gendebien
lit cet article 10.
M. Mesdach n’insiste plus.
- L’article 9 est
mis aux voix et adopté.
Articles 10 à 13
Les articles 10,
11, 12 et 13 sont ensuite adoptés sans discussion ni amendement, En voici le
texte :
« Art. 10. Le
greffier dresse procès-verbal des opérations de l’assemblée.
« Ce
procès-verbal contient les noms des membres qui en ont fait partie, ainsi que
celui de l’officier du ministère public qui y a assisté.
« Il est
signé tant par le président que par le greffier. »
_________________
« Art. 11. Le
procureur-général transmet au sénat une expédition de la liste de présentation.
« Le sénat procède
ensuite à la formation de la liste double dont la présentation lui est
attribuée par l’art 99 de la constitution. »
________________
« Art. 12.
Expédition de cette liste est adressée par le sénat au procureur-général près
la cour de cassation.
« Les deux
listes doubles sont transmises au gouvernement par le procureur-général et par
le sénat. »
________________
« Art. 13.
Quinze jours avant la nomination, les présentations sont rendues publiques par
leur insertion dans l’un des journaux qui s’impriment dans la capitale du
royaume.
________________
« Art. 14. Lorsqu’un place de président vient à
vaquer, il est procédé à la nomination d’un conseiller, d’après le mode
ci-dessus prescrit.
« La
cour, ainsi complétée, pourvoit à la vacance, conformément à l’article 99 de la
constitution, et en observant les formalités prescrites par le second
paragraphe de l’article 7, et par les articles 8, 9 et 10, sauf la préférence
qui, dans le cas de parité de suffrage, est accordée au conseiller le plus
ancien dans l’ordre des nominations. »
M. Devaux. - Par la même raison qui a fait adopter l’amendement
de M. Mary, à l’article 8, il ne faut pas mettre dans celui-ci : « Après
un dernier tour de scrutin. »
M. Bourgeois. - Il va s’élever une difficulté d’après les termes du
deuxième paragraphe de l’article 7 ; car il s’agit de l’âge des candidats, et
ici de l’ancienneté de leur nomination. Il me semble qu’on lèverait la difficulté
en disant ici : « Sauf que dans le cas de parité de suffrage. »
M. Lebeau. - C’est la même chose.
M. Leclercq. - Il faut employer le mot de conseiller au pluriel et
dire : « aux conseillers les plus anciens… »
M. Destouvelles. - Il n’y a qu’un conseiller à nommer, le singulier
suffit.
M. Leclercq. - Non, car il s’agit ici des candidats à balloter et
non pas du candidat élu.
M. H. de Brouckere. - Plus je relis l’article, plus je trouve juste
l’observation de M. Bourgeois qui, d’abord, ne m’avait pas frappé. Je reproduis
sa rédaction, et je demande que l’article dise : « Sauf que dans le cas de
parité de suffrage… »
M. Destouvelles. - « Sauf que » n’est pas français.
M. H. de Brouckere. - Francisez-le.
M. Destouvelles. - Je ne
m’oppose pas à ce qu’on rende la rédaction plus claire, mais on peut en trouver
une autre.
M. Devaux. - On peut couper l’article en deux parties et dire :
« Toutefois la préférence, dans tous les cas de parité de suffrage, est
accordée aux conseillers les plus anciens dans l’ordre des nominations. »
M. le président relit cet amendement.
- Il est mis aux
voix et adopté.
L’article 14 ainsi
rédigé est adopté.
Article 15
« Art. 15. La
cour de cassation prononce :
« 1° Sur les
demandes en cassation contre les arrêts et les jugements rendus en dernier
ressort par les cours et tribunaux ;
« 2° Sur les
demandes en renvoi d’une cour ou d’un tribunal à une autre cour ou à un autre tribunal,
pour cause de suspicion légitime ou de sûreté publique ;
« 3° Sur les
règlements de juges, dans le cas où ils ne doivent pas être portés devant une
autre cour ou un autre tribunal ;
« 4° Sur les
prises à partie contre une cour entière ou contre l’une de ses chambres, ou
contre les membres de la cour de cassation ;
« 5° Sur les conflits d’attribution, en exécution de l’article 106
de la constitution ;
« 6° Sur les
accusations admises contre les ministres ;
« 7° Et
généralement sur toutes les matières qui lui sont attribuées par les
lois. »
M. Liedts. - Le dernier paragraphe de cet article ne me plaît
pas beaucoup. Vous savez que d’après un principe de droit, dans toutes les
matières où la loi ne défend pas le pourvoi en cassation, il est permis ;
cependant le dernier paragraphe semble impliquer que quand dans une loi
spéciale on n’aura pas dit expressément que le pourvoi en cassation est permis,
on ne pourra pas savoir. J’avoue que s’il devait être entendu ainsi je voterais
contre l’article.
M. Destouvelles. - Il me paraît, messieurs, que si l’honorable
préopinant s’était bien pénétré des dispositions de l’article 15 et de leur
véritable sens, il n’aurait pas fait son observation. Le premier paragraphe de
l’article porte : (voyez plus haut.) Vous voyez que ce paragraphe est conçu en
termes généraux, qu’il ne met aucun obstacle aux pouvoirs, qu’il les permet en
toute matière. Tous les autres paragraphes de l’article 15 indiquent divers cas
qui seront soumis à la cour de cassation, comme tous les autres cas qui sont de
sa compétence se trouvent épars dans une foule de lois, qu’il serait impossible
de débrouiller, et que ce n’est pas aujourd’hui le moment d’aller s’égarer dans
un semblable dédale, le dernier paragraphe a été conçu non seulement pour que
tous les cas non indiqués dans l’article puissent être soumis à la cour, mais
encore tous ceux qui pourront être prévus dans les lois à faire par la suite.
C’est ainsi qu’on n’a pas parlé des pouvoirs en matière électorale quoiqu’ils
soient permis. Il me semble qu’il était impossible de mieux rédiger l’article
15 ; il n’est pas limitatif, on y énumère quelques cas particuliers, pour
indication ; parce que vous savez que dans les articles d’une loi, il faut
distinguer la partie limitative de la partie démonstrative. L’une ne saurait
être franchie, l’autre ne sert que d’indication, Si on avait rédigé l’article
dans un sens limitatif, il se bornerait aux cas énumérés, et alors le pourvoi
ne serait admis dans aucun autre cas, parce que « inclusio uius est
exclusio alterius. » Le dernier paragraphe de l’article est donc ce qu’il
doit être et j’espère que ces explications en auront convaincu le préopinant.
M. H. de Brouckere. - Je crois aussi que l’objection de l’honorable M.
Liedts n’est pas soutenable. C’est le paragraphe premier qui contient la règle
générale. Les paragraphes suivants n’indiquent que des cas particuliers,
auxquels ne se borne pas l’article, mais qui sont là simplement pour servir de
démonstration. Si le paragraphe n’avait pas été placé là, l’article aurait paru
limitatif et n’aurait pu s’appliquer qu’aux cas qu’il aurait prévus. C’est ce
qu’il ne fallait pas. Il faut en effet, qu’il puisse s’appliquer aux cas
existants actuellement et non prévus, comme aux cas qui seront prévus dans les
lois postérieures. Ainsi par exemple, il n’y agit point, de pourvois à propos
des élections ou du service de la garde civique, et pourtant le pourvoi est
admis par la loi électorale comme par celle de la garde civique, quoique les
décisions en ces matières ne soient pas rendues par des tribunaux. C’est ainsi
que bientôt nous aurons à faire une loi qui admettra les pourvois dans les
affaires relatives à la milice nationale.
M. Gendebien. - Je demande la parole afin d’obtenir une explication
de la section centrale. Je ne suis pas bien certain si, par le paragraphe
premier, on a entendu qu’il serait permis de déférer les arrêts de la haute
cour militaire à la cour de cassation. Les termes de ce premier paragraphe sont
généraux. On y parle des arrêts rendus en dernier ressort par les cours et
tribunaux. La haute cour juge comme les autres tribunaux criminels. Comme ces
derniers elle peut errer. Ses erreurs peuvent même être plus fréquentes, parce
que là, siègent des militaires, braves et honorables sans doute, mais peu
versés dans l’application des lois. Il serait donc à désirer que, comme les
arrêts des autres cours, ceux de la haute cour militaire pussent être réformés.
Moi, je ne la vois pas implicitement comprise dans l’article, parce que,
d’après la législation pénale militaire existante, les arrêts de la haute cour
ne sont pas sujets à pourvoi. Je voudrais donc qu’on s’expliquât sur ce point.
M. Destouvelles. - La section centrale a pensé que le germe déposé
dans l’article 105 de la constitution devait être développé avant de bien
décider sur la question de savoir si les arrêts de la haute cour militaire
seront sujets à pourvoi. Voici les termes de cet article : « Des lois
particulières règlent l’organisation des tribunaux militaires, leurs
attributions, les droits et obligations des membres de ces tribunaux, et la
durée de leurs fonctions. » Dans la loi particulière d’organisation
militaire, on pourra combler la lacune signalée par l’honorable préopinant, et
c’est alors que le paragraphe 7 de l’article trouvera précisément son
application. Mais les lois actuelles ne permettant pas le pourvoi contre les
arrêts de la haute cour militaire, la section centrale n’a pas cru devoir
toucher aux lois militaires existantes. Quand on s’occupera de leur révision,
on pourra faire cesser cet ordre de choses.
M. le ministre de la justice
(M. Raikem).
- J’avais demandé la parole pour faire les mêmes observations que l’honorable
rapporteur de la section centrale. Quant au pourvoi contre les arrêts de la
haute cour militaire, cela doit faire l’objet d’une loi particulière d’après le
vœu de l’article 105, dont on vient de vous donner lecture. Aussi le dernier
paragraphe de l’article 15 réserve-t-il expressément à la loi le droit de
spécifier de nouveaux cas où les pourvois seront admis, j’observerai qu’à mon
avis les pourvois contre les arrêts de la haute militaire ne sont pas compris
dans le premier paragraphe de l’article parce que les tribunaux militaires sont
soumis à des lois exceptionnelles. Aussi la loi de ventôse an 8, organisatrice
de la cour de cassation, contient-elle une disposition expresse, d’où il
résulte qu’il n’y a pas ouverture à cassation contre les jugements des
tribunaux militaire de terre ou de mer, si ce n’est pour cause d’incompétence
ou pour règlements de juges, si le pourvoi est formé par des individus non
militaires, et non assimilés à des militaires. Je crois qu’encore aujourd’hui
un tel pourvoi serait admis, mais on sent bien que ce n’est pas ici qu’une
telle disposition peut trouver sa place.
M. Jullien. - Tout ceci
ne sauve pas la difficulté élevée par M. Gendebien. Il est dit dans le premier
paragraphe de l’article : la cour de cassation prononce sur les demandes en
cassation contre les arrêts et les jugements rendus en dernier ressort par les
cours et tribunaux, or je suppose qu’on formât un pourvoi contre un arrêt de la
haute cour militaire, qui pourrait dire que le pourvoi est mal fondé ?
L’expression du paragraphe est général, le jugement dont on demanderait la
réformation serait émané d’une cour, d’un tribunal, je ne vois pas comment on
pourrait rejeter un pareil pourvoi. Il faut donc que la difficulté soit levée.
M. Gendebien. - En effet, messieurs, la difficulté n’est pas
résolue par les réponses qu’on m’a faites. On m’a objecté l’article 105 de la
constitution, je ne vois pas quelle conclusion on peut en tirer. On dit :
attendez pour faire décider la question que les lois militaires soient
révisées. S’il en était ainsi, messieurs, en vertu de l’article 105, il faudrait
aussi exclure les matières commerciales du bénéfice du pourvoi ; car l’article
parle de tribunaux de commerce à organiser, voir le 23 de cet article :
« il y a des tribunaux de commerce dans les lieux déterminés par la loi.
Elle règle leur organisation, leurs attributions, le mode de nomination de
leurs membres, et la durée des fonctions de ces derniers. »
Vous voyez,
messieurs, qu’il est impossible d’argumenter de l’article 105 contre les
observations que j’ai eu l’honneur de soumettre à la chambre, car personne ne
soutiendra qu’en matière commerciale le pourvoi ne soit pas admis. Mais,
dit-on, quand on fera la loi militaire, on pourra s’occuper de cette question,
ce n’est pas à propos de la loi judiciaire, qu’on peut s’en occuper ; d’abord
nous ne nous occupons pas de la loi judiciaire, mais
de l’organisation de la cour de cassation, et de la fixation de ses
attributions. Ne serait-ce pas le cas de dire jusqu’où s’étendront ces
attributions ? Si l’article 105 n’est pas un obstacle aux pourvois contre les
jugements rendus par les tribunaux de commerce, je dis à plus forte raison
qu’il ne doit pas en être un pour les pourvois contre les arrêts de la haute
cour. Là, il ne s’agit que d’intérêts pécuniaires. Ici, il s’agit de la vie et
de l’honneur des hommes soumis à cette juridiction exceptionnelle. Si la loi actuelle défend le pourvoi, c’est
une raison de plus, au moment où nous réglons la juridiction de la cour de
cassation, pour consacrer une disposition qui mette les militaires sur la même
ligne, et à l’abri des mêmes garanties que les autres citoyens. Par là, vous
levez toutes les difficultés, et, vous évitez les graves erreurs qui dureront
tant que vous traiterez les soldats en ilotes, en les soumettant à des
tribunaux qui ne leur donnent pas les mêmes garanties que les tribunaux
ordinaires assurent aux autres citoyens. Je ne demande pas que la chambre
délibère à l’instant sur ma proposition, mais la matière est assez grave et
vaut assez la peine qu’on la renvoie à une commission, qui nous proposera de mettre
les lois existantes en harmonie avec la justice que nous devons aux défenseurs
du pays et dont on les prive depuis trop longtemps.
M. Destouvelles. - Je me bornerai à répondre aux nouveaux arguments de
l’honorable préopinant ; vous vous êtes borné à lire, m’a-t-il dit, le premier
paragraphe de l’article 105, et vous n’avez pas parlé du paragraphe 2. Il y
aurait, d’après cet article, même raison de décider pour le pourvoi en matière
commerciale, que pour ceux contre les arrêts de la haute cour militaire
messieurs, je ne crois pas que ces raisons soient solides. Quand j’ai parlé de
la législation militaire, j’ai considéré les lois existantes qui proscrivent le
pourvoi en cassation ; et voilà pourquoi la section centrale a renvoyé à la
révision des lois militaires la question de savoir si le pourvoi serait admis.
On ne peut pas raisonner par induction du premier au deuxième paragraphe de
l’article 105, parce que aujourd’hui la législation existante en matière de
commerce permet le pourvoi en cassation ; on voit par là que les deux choses
sont diamétralement opposées. Ce n’est donc, je le répète, que quand on
touchera à l’organisation des lois militaires que la question pourra être
décidée. Ce n’est pas que je n’applaudisse aux vues honorables du préopinant,
mais je crois que nous ne connaissons pas assez l’ensemble des lois militaires,
pour les réviser dans une partie aussi essentielle et sans pouvoir apprécier à
l’avance l’influence de cette révision partielle sur l’ensemble du code pénal
militaire.
M. Leclercq. - Les observations de M. Gendebien sont assez graves
pour autoriser l’insertion d’une disposition dans l’article 15 afin de
permettre le pourvoi contre les arrêts de la haute cour militaire, et
j’appuierais sa proposition volontiers, s’il n’y avait dans la constitution un
article, qui la rend inacceptable. C’est de l’article 95 que j’entends parler.
Il porte que la cour de cassation ne connaît pas du fond des affaires ;
dans l’état actuel de la législation, cette cour serait obligé en cassant un
arrêt d’en renvoyer le jugement à une autre cour qui n’en n’aurait pas déjà
connu. Or, ici il n’y a qu’une haute cour militaire. Que fera la cour de
cassation quand elle cassera ? Il me semble que la difficulté est assez
sérieuse, et qu’il faut attendre pour la résoudre que la loi militaire soit
révisée.
M. Gendebien. - Je n’ai pas entendu dissimuler les difficultés qui
existent, aussi n’ai-je pas demandé qu’on les tranchât à l’instant, mais qu’on
prît de mesures pour cesser, aussitôt que possible, l’état actuel des choses.
Quant à la difficulté qu’il y aurait de renvoyer le jugement à une autre cour,
quand la cour de cassation casserait, je ne crois pas pour la lever qu’il fut
nécessaire de réviser tout le code pénal militaire. Sans doute, l’objection de
M. Leclercq est très grave, mais de ce qu’elle est grave, est-ce à dire qu’elle
soit insoluble ? Ne serait-il pas possible que la cour de cassation, renvoyât de
nouveau le jugement de la cause à la même cour ?...
M. Fleussu fait des signes négatifs.
M. Gendebien. - Pour moi je n’y vois rien de choquant. Si la haute
cour persistait dans son premier arrêt, la cour de à l’interprétation
législative ; mais quant à ces inconvénients, il s’en joindrait de cent fois
plus graves, je les préférerais, à voir le moindre malheureux cassation
jugerait sections réunies, et la législature serait appelée à interpréter la
loi, après quoi vous savez que d’après la constitution, il faudrait que les
cours se conformassent exposé aux erreurs d’un tribunal jugeant militairement,
et contre les erreurs duquel il n’y a ni pourvoi ni secours. Puisque nous
sommes si soigneux, si diligents pour faire rectifier les jugements où il
s’agit de la moindre somme, à plus forte raison devrions-nous l’être, quand il
est question de faire tomber la tête d’un de ses semblables. Je persiste à ce
qu’une commission soit nommée pour s’occuper de la question.
M. Ch. de Brouckere.- Je voudrais que M. Gendebien fît une proposition
formelle à cet égard. La situation des officiers est rigoureuse. Un simple
soldat a deux degrés de juridiction, il appelle devant le conseil supérieur. Un
officier n’a qu’un degré de juridiction, il est jugé par la cour supérieure.
Ainsi sept magistrats disposent de la vie et de l’honneur d’un homme. Il faut
que cette législation soit promptement changée. .
Si l’on ne peut
pas envoyer de la cour supérieure à la cour de cassation, qu’on supprime la
haute cour militaire, et que les officiers et les généraux soient jugés comme
les simples soldats, il faudrait que l’on établît des conseils de guerre et des
conseils de révision.
M. Destouvelles. - Si je me le rappelle bien, le gouvernement
provisoire avait nommé une commission pour réviser la loi militaire. Dans
l’état actuel des choses, on ne peut admettre la cassation des jugements militaires.
La cour de cassation, d’après son institution, doit renvoyer devant une autre
cour ; or, elle ne pourrait ici renvoyer que devant la même, ce qui est
impossible. Il faudrait nommer une commission, qui se ferait représenter le
travail de la commission du gouvernement provisoire. Ce travail a dû être
achevé.
M. le président..- M. Gendebien propose formellement de nommer une
commission, qi serait chargée d’examiner le travail qui a été fait.
M. H. de Brouckere.- Je ne savais pas que M. Gendebien avait fait une
proposition formelle, et je demande la clôture de la discussion ; car il faut
convenir que cette discussion ne peut conduire à rien. Dans l’état actuel des
choses, et tant qu’il y aura une haute cour militaire, il est impossible de
déférer ses arrêts à la cour de cassation. Il faudrait avoir des conseils de
guerre permanents ; mais c’est ce que nous pouvons établir dans une loi sur
l’organisation militaire.
M. le président. - Désire-t-on statuer sur la proposition de M.
Gendebien ?
M. H. de Brouckere. - Il faudrait ajourner cette discussion.
M. Gendebien. - Je ne crois pas que rien s’oppose à ce que nous
décidions qu’une commission sera nommée. Je sais que le travail de la
commission, sous le gouvernement provisoire, est complet, et j’en ai examiné
les articles avec les membres de la commission. J’étais alors ministre de la
justice. Les abus existent ; tous les jours des citoyens en sont victimes, et
il faut y mettre un terme.
- L’article 15 du
projet de loi est mis aux voix et adopté.
M. le président. - Voici la proposition de M. Gendebien : « Une
commission sera nommée à l’effet d’avise aux moyens de soumettre à la cour de
cassation les jugements et arrêtés des tribunaux et cours militaires. »
Comment veut-on
nommer la commission ?
Plusieurs voix. - Par le bureau ! par le bureau !
M. Leclercq. - Cette proposition tend à charger une commission de
proposer un projet de loi qui changera la législation militaire, c’est dans ce
sens que la proposition a dû être faite.
M. Gendebien. - Je ne tiens pas au texte de la proposition que j’ai
rédigée très rapidement. Son but est tel que M. Leclercq vient de l’exposer, il
faut que l’on change le sort des militaires.
M. H. de Brouckere. - La proposition mérite d’être méditée. Elle n’est
pas faite conformément aux règlements. Il faudrait qu’un membre fît une
proposition formelle.
M. Gendebien. - Le ministre pourrait se charger de cette
proposition.
M. le ministre de la justice
(M. Raikem).
- M. Gendebien sait, puisqu’il a été ministre de la justice, qu’une commission
a été nommée pour réviser le code pénal militaire. J’ai demandé des
renseignements sur le travail de cette commission, et l’on n’a pu me dire où il
était.
Je prendrai des
informations. Je crois que M. l’auditeur-général faisait partie de cette
commission, et que je pourrai m’adresser à lui pour connaître le travail.
M. le président.. - M. Gendebien veut-il que l’on modifie la
rédaction de sa proposition ?
M. Helias
d’Huddeghem. - C’est inutile
puisque M. le ministre se charge de rechercher le travail ancien.
M. le ministre de la justice (M. Raikem). - Il s’agit ici de réformer le code d’instruction
criminelle de ce code ; ceci ne peut pas être l’affaire d’un moment.
- La proposition
de M. Gendebien mise aux voix est adoptée.
M. H. de Brouckere. - Restons-en là ; nous sommes à peine en nombre
suffisant pour délibérer.
M. le président. - Il s’agit de savoir comment sera nommée la
commission. (A demain ! à demain !) (Par le bureau ! par le bureau !)
- La séance est
levée à 4 heures.