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Chambre des représentants de Belgique
Séance du lundi 28 mai 1832
Sommaire
1) Projet de loi relatif au comité spécial des
mines. Rejet par le sénat
2) Projet de loi portant organisation du service
de la douane (Mary). Mise à l’ordre du jour (Dumortier, Jaminé, Hye-Hoys,
Delehaye, d’Elhoungne, A. Rodenbach, Destouvelles)
3) Formation du comité secret
4) Projet de loi accordant un crédit
supplémentaire au budget du département de la guerre pour l’année 1832.
Situation diplomatique générale (Lardinois)
(Moniteur belge n°151, du 30 mai 1832)
(Présidence de M. de Gerlache.)
A midi et demi la
séance est ouverte. On procède à l’appel nominal et à la lecture du
procès-verbal, dont la rédaction ne donne lieu à aucune réclamation.
MM. les ministres
des affaires étrangères et de la justice sont à leur banc.
Les tribunes
publiques sont remplies de spectateurs.
PROJET DE LOI RELATIF AU COMITE SPECIAL DES
MINES
M. le président donne communication à la chambre du message par lequel le sénat fait
connaître que, dans sa séance du 26, il a rejeté le projet de loi concernant la
formation d’un comité spécial des mines.
PROJET DE LOI PORTANT ORGANISATION DU SERVICE DE
LA DOUANE
M. Mary, organe de la section centrale, fait un rapport sur
le projet de loi relatif aux douanes. - Messieurs, à l’époque de notre
séparation d’avec la France, notre système de douanes était régi par la loi du
22 août 1791, qui est encore en vigueur en France, et que plusieurs orateurs
ont plusieurs fois citée dans cette enceinte comme un modèle de clarté et de
précision. Depuis lors, le génie de l’innovation nous a valu successivement
deux arrêtés-lois de 1814, puis les lois de 1816, de 1819 et de 1822, qui ont
chaque fois apporté dans cette partie une nouvelle organisation. Mais toujours
la fraude plus adroite que le législateur, trouvait le moyen de s’introduire à
travers le réseau des dispositions fiscales. L’essai que l’on vous propose
aujourd’hui se rapproche des dispositions des articles 35 à 62 du titre XIII de
la loi de 1791. Ils admettent, comme le projet qui vous est soumis, un territoire
réservé de deux lieues (un myriamètre), mais sans diminution vers les côtes
maritimes et la loi du 4 germinal an II astreignait en outre les capitaines des
bâtiments naviguant, louvoyant ou à l’ancre dans la distance de 4 lieues des
côtes, à l’exhibition de leurs manifestes ou la visite à des préposés de la
douane. Elle prononçait contre eux des amendes dans le cas où ils étaient
trouvés en contravention aux lois de douanes et même la confiscation de leurs
bâtiments s’ils contenaient des marchandises prohibées.
L’article 24 de
l’arrêté du gouvernement général de la Belgique du 23 juin 1814 avait réduit le
territoire réservé à un demi-myriamètre, sans l’étendre sur mer. Les articles
53 et 54 de l’arrêté du 26 octobre 1814 se bornaient même à ne soumettre qu’à
des acquits-à-caution ou à des passavants, les propriétaires ou conducteurs des
marchandises ou denrées que l’on faisait voyager dans la distance d’un
myriamètre de la frontière ou des côtes. La loi du 3 octobre 1816, plus
rigoureuse dans ses articles 53 et 71, établissait deux lignes de surveillance,
l’une frontière, l’autre tracée à l’intérieur, dans une direction parallèle à
la première et à la distance d’une lieue plus ou moins, suivant les
circonstances locales.
Les articles 215 à
236 de la loi du 12 mai 1819 maintenaient ces dispositions avec de légers
changements de détails ; mais la loi qui nous régit aujourd’hui, celle du 26
août 1822, tout en maintenant dans son article 177 le même territoire réservé
de 5,500 mètres (environ une lieue) pour les frontières de terre, le réduisait
à 2,600 mètres (une petite demi-lieue) pour les côtes maritimes. En outre
l’article 162 exigeait que l’on fût muni d’acquits-à-caution pour la
circulation des marchandises dans la distance de 22,500 mètres de la frontière
de terre et de 2,600 mètres dans celle de mer.
Il est essentiel
de se pénétrer de ses antécédents et de s’éclairer de l’expérience qu’ils ont
pu nous fournir, pour pouvoir bien apprécier la proposition législative qui
vous est soumise aujourd’hui. Elle tend à nous ramener aux principes de la loi
de 1791. Elle soustrait 12,500 mètres en-deçà du rayon de la frontière de
terre, aux entraves de la circulation auxquelles les soumettait la formalité
des acquits-à-caution et des passavants ; mais elle double en partie l’étendue
actuelle du territoire réservé. Cependant on ne peut se dissimuler qu’il existe
une espèce d’interdit sur ce qu’on appelle territoire réservé, en ce sens
qu’aucune marchandise ne peut y circuler sans être munie de documents ; qu’en
général, les transports ne peuvent s’y faire qu’entre le lever et le coucher du
soleil ; que dans ce même espace de temps, les employés sont autorisés à faire
des visites dans les maisons ou enclos, où ils soupçonnent l’existence
clandestine de magasins et dépôts défendus ; que tout grande fabrique, que
toute boutique ou débit de sel, vin, boissons distillées, vinaigre ou bière ne
peut y être établie qu’avec le consentement du gouvernement.
Mais ces entraves
sont admises dans les Etats voisins, mais l’expérience les a rangées parmi les
obstacles les plus assurés contre la fraude, et si l’on veut donner à notre
douane des moyens suffisants de surveillance, il faut bien se résoudre à les
adopter. Il faut surtout ne pas perdre de vue que, si l’on n’admettait à cet égard
que des mesures insuffisantes, une institution qui doit être la protectrice et
la sauvegarde de l’industrie en serait l’ennemie la plus sûre. Elle donnerait
en effet à la fraude la facilité de ruiner l’industriel, le commerçant honnêtes
qui n’auraient pas recours à la contrebande et qui croiraient devoir satisfaire
aux droits fixés par les tarifs ; trop souvent même, on les a vu forcés pour
soutenir le commerce à devoir employer aussi des moyens qui répugnaient à leur
caractère et à leur amour du bien public.
C’est ce que nous
a très bien démontré un négociant de Bruxelles dont la pétition a été imprimée
par suite de la décision que vous avez prise dans votre séance du 16 mars
dernier. Vous n’ignorez pas, messieurs, que la fraude s’opère sur notre ligne
de douanes par divers procédés ; tantôt c’est en introduisant ou sortant des
marchandises à l’insu des préposés de la douane ou à main armée. On ne peut y
mettre obstacle qu’en ayant un nombre suffisant d’employés, afin d’avoir une
ligne de surveillance compacte et serrée, en soumettant de plus la circulation
à certaines formalités dans un rayon déterminé, en permettant même de
poursuivre la fraude en-deçà du territoire réservé, dès que les proposés des
douanes l’ont vue pénétrer et l’ont suivie sans interruption. Tantôt la fraude
s’opère en corrompant les employés, afin qu’ils facilitent l’introduction des
marchandises sans droit ou avec des droits moindres que ceux établis par les
tarifs. C’est ainsi que l’on gagne un visiteur qui classe les objets de manière
à ne les soumettre qu’à des droits souvent nuls. C’est ainsi que l’on fait
décharger à un bureau de la frontière par des employés corrompus des
acquits-à-caution délivrés pour des marchandises faussement déclarées en
transit, que l’on ne représente pas à la sortie et qui restent dans l’intérieur
du pays. Pour arrêter cette dégoûtante démoralisation, il faut un choix de bons
employés, une inspection assidue, un contrôle de tous les jours, en cas de
conviction, pour laisser suivre son cours à la loi pénale ; enfin pour obtenir
ces divers résultats, il faut pouvoir exercer la surveillance sur les préposés
dans un cercle peu étendu.
Notre section
centrale aurait voulu, par une révision totale de la loi du 26 août 1822,
arrêter les progrès de la fraude qui ne se fait qu’avec trop d’impunité ; elle
aurait voulu pouvoir surtout se rapprocher des dispositions de la loi du 22
août 1791, qui nous a régis pendant 18 ans et qui a paru à la plupart de vos
sections bien supérieure aux essais multipliés qui ont surgi depuis lors. Tout
en répétant cependant le vœu presque unanime de ces mêmes sections pour la
prompte révision de la législation actuelle de douane, elle partage leur
opinion de borner pour le moment votre discussion au seul point qui vous est
soumis par le gouvernement, comme étant le plus urgent.
Pressés que nous
sommes par l’examen des lois destinées à compléter notre organisation
politique, le temps nous manquerait pour établir avec assez de maturité un
nouveau code de douanes. Il doit nous suffire en ce moment d’appeler
l’attention du gouvernement sur cette révision, de lui rappeler surtout
qu’entrés dans la grande famille européenne, nous devons nous occuper sans
retard à former avec nos voisins des traités de commerce, établis sur les bases
d’une juste réciprocité, de concessions mutuelles, de compensations
respectives, traités qui offriraient des débouchés aux produits de notre
industrie, tout en nous enrichissant des productions de nos voisins, et qui
feraient disparaître peu à peu des prohibitions qu’il serait imprudent de lever
seulement de notre côté, avant d’obtenir des modifications favorables à des
tarifs qui ne nous excluent que trop souvent des marchés étrangers.
Il conviendrait
encore d’abolir par ces traités les droits différentiels qui assurent un
avantage aux marchandises apportées par des bâtiments nationaux, en frappant
d’un droit supplémentaire celles qui arrivent sur les bâtiments étrangers.
Ces espérances,
ces vœux, la section centrale se plaît à les exprimer ici, car le bien-être
matériel de notre patrie est fortement intéressé à leur accomplissement et
personne n’ignore qu’à ce bien-être matériel se trouve attachée la prospérité
de la Belgique, si riche d’industrie agricole, manufacturière et commerciale.
Nous allons
rentrer maintenant dans les détails du projet de loi qui vous est proposé.
Cinq sections se
sont fait représenter à la section centrale, une seul n’a pas envoyé de
rapporteur. Toutes ont été unanimes pour l’adoption d’un rayon unique au lieu d’un
double rayon de douanes. Elles y ont vu non seulement une économie pour le
trésor, mais elles pensent qu’en concentrant la surveillance sur une ligne plus
resserrée dans un pays qui, ainsi que le nôtre, est d’une médiocre étendue, on
apportera plus d’obstacles à la fraude.
Quant à la manière
dont ce rayon serait établi sur terre et sur mer, les avis sont divisés. Le
gouvernement voulait porter la moitié de ce rayon sur mer, mais ne proposait
pas des moyens d’exécution et de surveillance sur cette dernière partie.
Cependant la loi du 26 août 1822, n’étendant pas le rayon de la douane sur mer,
ne contenait aucune disposition à cet égard, et dès lors il pouvait sembler
ridicule de vouloir appliquer à des bâtiments navigant loin des côtes des
dispositions qu’il leur serait impossible d’accomplir et qui n’ont été faites
que pour les cas de transports intérieurs ou d’arrivages. Votre section
centrale n’a donc pas cru devoir étendre le rayon sur mer, mais a voulu se
borner à y établir une simple surveillance ; c’est ce qui a nécessité la
rédaction du dernier paragraphe de l’article premier et l’adjonction de deux
nouveaux articles 2 et 3. Cette surveillance, elle l’a étendue sur l’espace
d’un myriamètre et c’est effectivement sur cette distance des côtes des Flandres
que le gouvernement autrichien semblait porter autrefois ses droits de
suzeraineté. L’article a indiqué comment s’établira cette surveillance : c’est
au moyen d’une croisière, destinée à prévenir et à empêcher les introductions
et importations frauduleuses. L’article 3 parle de bâtiments qui seront soumis
à la visite et à l’exhibition de leur connaissement ; ce sont ceux en dessous
du port de 50 tonneaux et qui se trouvent louvoyant ou à l’ancre, dans la
distance d’un myriamètre de la côte, hors le cas de force majeure. Ainsi l’on
pourra facilement reconnaître ou signaler les bâtiments contrebandiers.
La section
centrale a pensé que vouloir aller plus loin et soumettre à des formalités
spéciales les capitaines ou patrons de navires dont les manifestes ne seraient
pas reconnus en règle ou qui auraient à bord des marchandises dont l’entrée ou
la sortie est prohibée en Belgique, ce serait peut-être amener des collisions
avec des puissances voisines et entraîner à des représailles, alors surtout que
nous n’avons que dix lieues de côtes maritimes. Si, d’ailleurs, plus tard cette
possibilité, cette nécessité étaient reconnues, il serait toujours facile de
l’introduire dans la loi pénale sans troubler en rien l’harmonie des
dispositions qui vous sont soumises aujourd’hui.
L’article 2 du
projet ministériel, qui devient le 4ème de celui que nous aurons l’honneur de
vous proposer, n’a éprouvé d’opposition que dans la cinquième section. Elle
proposait de ne pas étendre les dispositions de l’article 177 de la loi du 26
août 1822 au-delà des distances qui y sont établies et de n’appliquer au
surplus du nouveau rayon que les restrictions portées par l’article 162. Votre
section centrale n’a pu partager cet avis, puisqu’il lui a semblé que c’eût été
dès lors rétablir deux rayons distincts, dont le second eût été moins étendu
qu’il ne l’est maintenant. Elle a cru qu’il fallait accroître les moyens de
surveillance et appliquer ainsi à tout le nouveau rayon les dispositions de
l’article 177 de la loi du 26 août 1822. Elle a fait plus en reproduisant ici
la clause de l’article 35 du titre XIII de la loi de 1791, qui autorise les
proposés des douanes, en cas de poursuite de la fraude, à la saisir même
en-deçà du rayon établi, pourvu toutefois qu’ils l’aient vu pénétrer et qu’ils
l’aient suivie sans interruption.
Quant à la fin de
l’article qui nous occupe et à l’article 3 qui le suit, dont le premier exempte
de l’autorisation préalable les boutiques, usines et fabriques établies dans
l’adjonction du nouveau rayon à l’époque de la mise à exécution de la nouvelle
loi et dont le second cesse d’assujettir aux restrictions prescrites par
l’article 162, la partie de territoire qui reste en dehors de la nouvelle
ligne, la section centrale vous en propose la suppression, elle est d’accord et
ce point aura la majorité des sections, qui ne voient pas qu’il faille énoncer
dans la loi des dispositions qui sont de droit commun, car une loi ne peut
avoir d’effet rétroactif et elle supprime la loi antérieure dans tous les
points qui lui sont contraires ou qu’elle abroge de fait.
L’urgence reconnue
de l’établissement de la nouvelle ligne de douanes a engagé votre section
centrale à la mettre sans délai en activité et à fixer dans un article final
l’époque de la mise à exécution de la nouvelle loi, au 1er juillet prochain.
Par suite, elle a énoncé à l’article premier, que le cours du nouveau rayon de
douanes devait être réglé avant le 25 juin, afin que les intéressés en soient
informés quelques jours d’avance, et elle a fait disparaître l’article 4 du
projet ministériel.
D’après
ces considérations, j’ai l’honneur de vous proposer, au nom de la section
centrale, l’adoption du projet de loi modifié dans les termes suivants : (suit le texte du projet modifié, non repris
dans la présente version numérisée).
M. le président. - Ce rapport sera imprimé et distibué. Le projet de
loi sur les douanes est depuis longtemps réclamé dans l’intérêt du commerce et
de l’industrie ; sa discussion ne sera pas très longue et occupera au plus deux
séances ; on demande si vous ne lui accorderiez pas la priorité sur le projet
relatif à l’organisation judiciaire dont la discussion durera plusieurs jours.
M. Dumortier.
- Le projet sur les douanes mérite d’être examiné ; il faut donner le temps de
le méditer.
M. le président. - Il sera imprimé et distribué aujourd’hui ; toutes les mesures sont
prises pour que la distribution soit effectuée ce soir.
M. Jaminé. - Je demande que l’on suive l’ordre qui a été tracé
pour la discussion des projets, et, qu’ainsi, celui sur l’organisation
judiciaire soit mis le premier en délibération. Il est extrêmement urgent.
M. Hye-Hoys. - Il est impossible de discuter, demain, le projet
sur les douanes ; le rapport, assure-t-on, sera distribué aujourd’hui ; mais
nous n’aurons pas eu le temps de l’étudier.
M. Delehaye. - Le projet de loi sur les douanes est urgent, et
nous l’avons étudié puisque nous l’avons examiné en sections. La loi sur
l’organisation judiciaire n’a pour but que de fixer les attributions des cours
d’appel et de la cour de cassation ; de créer, peut-être, une troisième cour
d’appel ; mais les cours d’appel et la cour de cassation existent déjà, et
aucun préjudice grave ne peut résulter pour le pays du retard de la loi. Il en
serait autrement si l’on retardait la loi sur les douanes.
Je demande que la
discussion sur les douanes soit ouverte demain.
M. d’Elhoungne. - L’organisation judiciaire est plus importante que
le projet relatif à un changement dans les lignes de douanes ; mais le projet
sur l’organisation judiciaire occupera la chambre plusieurs jours ; et, s’il est
nécessaire qu’il soit incessamment voté et mis à exécution, il n’en est pas
moins vrai qu’un retard de quelques jours ne peut avoir aucune influence
funeste sur la discussion et sur la décision que vous prendrez. Je pense que
deux jours de délai ne peuvent nuire à l’organisation judicaire ; ce délai
sera, au contraire, utile ; car le projet primitif est tellement modifié que
quelques jours sont nécessaires pour étudier la nouvelle proposition. Je
demande la priorité pour le projet sur les douanes.
M. A. Rodenbach. - Je demande que le projet sur les douanes soit
examiné après-demain. Je suis persuadé que ce projet ne remplira pas son but ;
qu’il produira un effet opposé, et sera avantageux aux fraudeurs. Il est
nécessaire pour l’industrie et le commerce qu’une décision prompte soit prise.
M. le président. - Je vais mettre aux voix la proposition de
commencer la discussion sur les douanes après-demain.
Un membre. - Il faut commencer par décider la question de
priorité.
M. A. Rodenbach. - Discuter demain la loi sur les douanes ne serait
pas donner le temps de l’examiner ; nous ne devons pas aller en poste.
- La chambre,
consultée, décide que la priorité de la discussion est accordée au projet sur
les douanes.
M. Destouvelles. - Si le projet est distribué ce soir, je ne vois pas
pourquoi on ne le discuterait pas demain.
M. le président. - Il sera en effet imprimé et distribué aujourd’hui ; il est question
de savoir si vous avez le temps de l’examiner.
M. Destouvelles. - Je demande que la discussion commence demain.
- La chambre fixe
la discussion à demain.
FORMATION DU COMITE SECRET
M. le président. - En vertu des pouvoirs qui me sont donnés par l’article 33 de la
constitution, la séance publique est levée et la chambre va se former en comité
secret. J’ordonne que les tribunes publiques soient évacuées et que les huis
soient fermés.
- A quatre heures
la séance publique est reprise.
PROJET DE LOI ACCORDANT UN CREDIT SUPPLEMENTAIRE
AU BUDGET DU DEPARTEMENT DE LA GUERRE POUR L’ANNEE 1832
M. le président. - La discussion est ouverte sur le projet de loi présenté par M. le
ministre de la guerre, et tendant à demander un crédit supplémentaire de 3
millions de florins, applicable au budget de son département.
La commission de
la chambre, modifiant la proposition ministérielle, a proposé de n’accorder que
2 millions 588 mille florins, parce que des dépenses égales à cette somme lui
ont paru seules être motivées.
M. le président. - M. Lardinois a la parole sur l’ensemble du projet de loi.
M. Lardinois. - Messieurs, peu de jours se sont écoulés depuis que,
vous élevant à la hauteur de votre mission, vous avez fait connaître au Roi les
inquiétudes et les vœux de la nation. Votre langage aura du retentissement dans
les cours étrangères, parce que vous parliez sous les impressions douloureuses
qu’avaient fait naître en vous la ratification de la Russie et la conduite
inconcevable de notre plénipotentiaire à Londres, qui avait accepté cette
ratification contraire au texte formel du traité du 15 novembre 1831.
Jouet de la
lenteur calculée de la Russie, abusée par une turpitude diplomatique dont
jusqu’à présent il vous a été impossible de connaître l’auteur, la Belgique
toute entière a répondu aux sentiments énergiques que vous manifestez dans
votre adresse, et si le peuple se plaint, c’est qu’il craint que les mesures du
gouvernement ne correspondent pas à son courage.
Cette crainte, ou
plutôt cette défiance, est bien naturelle. Le ministère est vacillant depuis
quinze jours ; sur lui pèse la responsabilité des conséquences de l’énorme
faute commise à Londres ; car l’agent qui en fut l’instrument, bien que
désavoué à cette tribune, promène sa suffisance dans Bruxelles, décoré du titre
pompeux de plénipotentiaire de Sa Majesté le Roi des Belges ; et pour punition,
il paraît qu’il est condamné à subir une quarantaine de deux mois, pour se
reposer de ses glorieux travaux !
Mais heureusement
le pouvoir législatif veille sur les dangers qui menacent la patrie ; après
s’être unies à la nation pour placer sa confiance dans le chef de l’Etat, les
chambres achèveront la tâche qu’elles ont commencée. Vous déclarerez aux
ministres que les gouvernements libres compromettent leur existence lorsqu’ils
se conduisent avec faiblesse et timidité ; et que la somme des sacrifices est
épuisée par les 24 articles.
Si vous parvenez à
pénétrer le gouvernement de votre énergie, vous avancerez plus nos affaires
extérieures que cinquante protocoles. Rappelez-vous, messieurs, que les
cabinets furent stupéfaits de nos premiers pas ; en quinze jours, le peuple
avait refoulé les Hollandais dans leurs marais ; mais, depuis, nous abandonnant
à la diplomatie, nous avons été forcés de sacrifier nos frères, d’accepter une
dette énorme, de supporter toutes les insultes, et, en dernier lieu, de voir
enlever un membre de la représentation nationale : et, chose affligeante
jusqu’à présent, nous n’avons pu obtenir une réparation convenable de l’outrage
dont M. Thorn est personnellement victime.
Encore s’il ne
s’agissait que de sacrifices pécuniaires, nous pourrions, en attendant les
événements, donner de l’argent pour épargner le sang de nos concitoyens et
rendre la vie aux transactions commerciales ; mais tel n’est pas le but du roi
Guillaume, il veut rendre notre existence impossible pour nous ressaisir
lorsque la Belgique haletante et épuisée n’aura plus la force de s’opposer à
ses projets.
Examinez,
messieurs, les prétentions de la Hollande qui viennent d’être corroborées par
la cour de Saint-Pétersbourg ; vous reconnaîtrez tous que c’est une
capitulation qu’on veut nous dicter et dont l’acceptation nous serait des plus
funestes. C’est donc en vain qu’on prétend nous y amener bénévolement. Il
vaudrait mieux mille fois s’ensevelir sous les décombres de cette enceinte
plutôt que de consentir que 4 millions de Belges reçussent la loi de deux
millions de Bataves.
Le drame des
révolutions de juillet et de septembre n’est pas fini ; nous sommes encore dans
l’entracte. Malgré tous les actes diplomatiques qui ont surgi depuis ces
époques, ce serait une grande erreur de croire que la souveraineté du peuple
est incarnée de l’aveu des puissances absolues.
L’intérêt des
peuples, et même des princes, pèse peu dans la balances des décisions
politiques ; on sacrifie souvent les avantages les plus solides pour satisfaire
à la soif des vengeances ou à l’intrigue des cours. Trêve donc aux illusions de
l’espérance ! La sainte-alliance n’a pu faire consumer les révolutions
populaires dans des commotions intérieures ; elle en appellera, tôt ou tard, à
ses bataillons et au sort de la guerre. D’ailleurs, en France, comme en
Belgique, le cri général est, plutôt une guerre qu’une patience qui ruine et
avilit !
Je crois que nous n’aurons
de tranquillité durable que lorsque les événements qui se préparent seront
accomplis. Nous devons chercher à faire cesser l’état d’inquiétude,
d’indécision et de dépense qui mine le pays ; aux alarmes peuvent succéder la
désunion et le désordre, et voir ainsi nos moyens paralysés tout à coup. C’est
à prévenir un pareil malheur que les ministres sont appelés, et ils n’y
parviendront qu’en prenant une attitude conforme à la dignité de la nation.
Qu’une déclaration
authentique soit faite à la conférence, que nous ne pouvons pas nous écarter
des 24 articles, qui doivent être acceptés purement et simplement ; que l’on
proteste contre la conduite de notre agent à Londres, et qu’on requière des
puissances, dans un délai de six semaines, l’exécution franche du traité du 15
novembre 1831.
Si, ce terme
expiré, elles n’ont pas déféré à notre demande, marchons sur la Hollande pour
vider notre querelle.
Loin de moi,
messieurs, la pensée de provoquer une agression et de désirer que la guerre
s’allume ; mais lorsqu’un peuple s’est résigné à tous les sacrifices que
commandaient la paix de l’Europe ; lorsqu’il a supporté pendant deux ans, avec
une constance admirable, des souffrances inouïes ; lorsque pour prix de tous
ces sacrifices on lui présente la ruine et l’infamie ; alors, la vue de ces
dangers, le souvenir de nos premiers triomphes agitent nos cœurs ; la nation se
réveille et elle est prête à verser l’or d’une main et de l’autre à prendre le
fer pour combattre ses ennemis du dehors et du dedans. Je voterai pour le
crédit demandé par le ministre de la guerre dans la confiance qu’on en fera un
autre usage. (Aux voix ! aux voix !)
M. le président. - Demande-t-on la parole dans la discussion générale ? (Aux voix ! aux voix !)
Les articles 1, 2
et 3 du projet présenté par la commission sont successivement mis aux voix et
adoptés sans débat. Les voici :
« Art. 1er.
Il est ouvert au département de la guerre, sur les fonds de l’exercice courant
et en sus de ceux affectés à ce département, par la loi du 29 mars dernier, un
crédit extraordinaire de la somme de deux millions cinq cent quatre-vingt-huit
mille florins. »
« Art. 2. Le
gouvernement est autorisé à répartir provisoirement ce crédit extraordinaire
entre les neuf chapitres qui composent le budget des dépenses de ce
département. »
« Art. 3.
Cette répartition sera proposée en forme de loi à la prochaine session. »
L’ensemble du
projet est soumis à l’appel nominal. Sur 62 membres, M. Seron dit non ; tous
les autres disent oui. Le projet est adopté.
- La séance est
levée à quatre heures et demie.