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Chambre des représentants de Belgique
Séance du samedi 12 mai
1832
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre
2) Projet de loi relatif à la grande
naturalisation du général Evain (Destouvelles, H. de Brouckere)
3) Communication du gouvernement relative à la
situation diplomatique générale, aux ratifications au traité des 24 articles et
à l’enlèvement du gouverneur du Luxembourg (Thorn) (de
Muelenaere, Dumortier, Ch.
de Brouckere, H. de Brouckere, de Muelenaere, Ch. de
Brouckere, A. Rodenbach, de
Muelenaere, H. de Brouckere, Destouvelles, de Muelenaere,
Gendebien, Leclercq, Devaux, H. de Brouckere, Gendebien, Verdussen, Ch. de Brouckere, Devaux, Leclercq, A. Rodenbach, Devaux, Leclercq, Mary,
F. de Mérode)
(Moniteur belge n°135, du 14 mai 1832)
(Présidence de M. de Gerlache.)
Le public est encore
plus nombreux qu’hier et remplit les tribunes.
La séance est
ouverte à une heure moins un quart.
Après l’appel
nominal, M.
Dellafaille donne lecture du procès-verbal qui est adopté.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
Quelques pétitions
sont analysées et renvoyées à la commission.
M. Goethals écrit à M. le président pour s’excuser de ne pouvoir
se rendre à la séance.
PROJET DE LOI ACCORDANT LA GRANDE NATURALISATION
AU GENERAL EVAIN
M. le président appelle à la tribune le rapporteur de la commission
chargée d’examiner le projet de loi tendant à accorder des lettres de grande
naturalisation au général Evain.
M. Destouvelles présente ce rapport, dans lequel il conclut à l’adoption du projet.
M. le président. - Quel jour la chambre veut-elle fixer pour la discussion de ce projet
de loi ?
Quelques voix. - Lundi !
D’autres voix. - Non ! non ! la discussion immédiate !
M. H. de Brouckere. - Cet objet n’est pas à l’ordre du jour.
- La chambre,
consultée, décide que la discussion aura lieu immédiatement après une deuxième
lecture du projet de loi.
M. le président déclare la discussion générale ouverte.
- Personne ne
demandant la parole, il annonce qu’on va passer aux articles.
(En ce moment, M.
le ministre des affaires étrangères entre dans la salle).
Les articles 1, 2,
3 et 4 du projet de loi sont successivement mis aux voix et adoptés tels qu’ils
ont été votés par le sénat.
On procède ensuite
à l’appel nominal sur l’ensemble de ce projet. Il est adopté à l’unanimité des
58 votants.
M. H. de Brouckere et M. d’Elhoungne se sont abstenus par le motif que cet objet n’est pas à l’ordre du
jour.
COMMUNICATION DU GOUVERNEMENT RELATIVE AUX
RATIFICATIONS AU TRAITE DES 24 ARTICLES ET A L’ENLEVEMENT DU GOUVERNEUR DU LUXEMBOURG
(THORN)
M. le président. - La parole est à M. le ministre des affaires étrangères. (Mouvement général d’attention et profond
silence.)
M. le ministre des affaires étrangères (M. de
Muelenaere).
- Depuis le jour où, cédant à une nécessité profondément sentie, je suis venu,
au nom du gouvernement, vous proposer l'adoption des 24 articles du 18 octobre
1831, les obligations qu'impose le pouvoir ne m'ont pas paru plus pesantes
qu'aujourd'hui ; jamais ma position, comme ministre et comme citoyen, n'a été
plus délicate. J'ai été appelé plus d'une fois à vous exposer le plan que le
ministère avait adopté dans sa politique extérieure ; aujourd'hui que les
nouveaux faits, si longtemps attendus, se sont accomplis, il me reste à vous
dire si les actes du cabinet ont été d'accord avec les paroles de la tribune,
et, si cet accord n'existe pas, je dois au pays et à moi-même de vous indiquer
les causes du désaccord.
Permettez-moi,
messieurs, de vous retracer en peu de mots la marche des négociations ;
j'exposerai à la fois les droits du pays et les devoirs de son gouvernement.
Je ne remonterai
pas jusqu'aux 18 articles préliminaires de paix du 26 juin, arrêtés et
garantis par la conférence de Londres ; ce fut en quelque sorte la charte
de « joyeuse entrée » de notre Roi ; mais cet acte a péri dans
les journées du mois d'août, et les 24 articles du 15 octobre 1831 sont venus
fonder un nouveau droit public pour la Belgique ; ils ont été rédigés sous
l'influence, non seulement de nos propres désastres, mais d'autres événements
qui, quoique s'accomplissant loin de nous, devaient influer sur nos destinées :
notre armée n'était pas organisée, et une défaite récente l'avait appris au
monde entier ; la cause révolutionnaire avait essuyé une deuxième défaite par
la chute de Varsovie , une troisième par le rejet du bill de réforme. Mais, ce
qui bien plus que ces circonstances a influé sur notre détermination, ce furent
les assurances données par la conférence de Londres, les engagements contractés
par les cinq puissances.
Je crois
nécessaire de remettre sous vos yeux les deux notes qui accompagnaient les 24
articles.
Première note
« Les
soussignés plénipotentiaires d'Autriche, de France, de la Grande-Bretagne, de
Prusse et de Russie, après avoir mûrement pesé toutes les communications qui
leur ont été faites par M. le plénipotentiaire belge, sur les moyens de
conclure un traité définitif relativement à la séparation de la Belgique d’avec
la Hollande, ont eu le regret de ne trouver dans ces communications aucun
rapprochement entre les opinions et les vœux des parties directement
intéressées.
« Ne pouvant
toutefois abandonner à de plus longues incertitudes des questions dont la
solution immédiate est devenue un besoin pour l'Europe ; forcés de les
résoudre, sous peine d’en voir sortir l'incalculable malheur d'une guerre
générale ; éclairés, du reste, sur tous les points en discussion par toutes les
informations que M. le plénipotentiaire belge et MM. les plénipotentiaires des
Pays-Bas leur ont données , les soussignés n'ont fait qu'obéir à un devoir dont
leurs cours ont à s’acquitter envers elles-mêmes comme envers les autres Etats,
et que tous les essais de conciliation directe entre la Hollande et la Belgique
ont encore laissé inaccompli ; ils n'ont fait que respecter la loi suprême d'un
intérêt européen du premier ordre ; ils n’ont fait que céder à une nécessité de
plus en plus impérieuse, en arrêtant les conditions d'un changement définitif,
que l'Europe, amie de la paix et en droit d'en exiger la prolongation, a
cherché en vain depuis un an dans les propositions faites par les deux parties
ou agréées tour à tour par l’une d'elles et rejetées par l'autre.
« Dans les
conditions que renferment les vingt-quatre articles ci-joints, la conférence de
Londres a été obligée de n'avoir égard qu'aux seules règles de l'équité. Elle a
suivi l'impulsion du vif désir qui l'animait, de concilier les intérêts avec
les droits , et d'assurer à la Hollande ainsi qu'à la Belgique , des avantages
réciproques , de bonnes frontières, un état de possession territoriale sans
dispute , une liberté de commerce mutuellement bienfaisante, et un partage de
dettes, qui, succédant à une communauté absolue décharges et de bénéfices, les
diviserait pour l'avenir, moins d'après des supputations minutieuses, dont les
matériaux mêmes n'avaient pas été fournis, moins d'après la rigueur des
conventions et des traités, que selon les principes de cette équité prise pour
base de tout l'arrangement , que selon l'intention d'alléger les fardeaux et de
favoriser la prospérité des deux Etats.
« En invitant
M. le plénipotentiaire belge à signer les articles dont il a été fait mention
ci-dessus , les soussignés observent :
« 1° Que ces
articles auront toute la force et valeur d'une convention solennelle entre le
gouvernement belge et les cinq puissances ;
« 2° Que les
cinq puissances en garantissent l'exécution ;
« 3° Qu'une
fois acceptés par les deux parties, ils sont destinés à être insérés, mot pour
mot, dans un traité direct entre la Belgique et la Hollande, lequel ne
renfermera , en outre, que des stipulations relatives à la paix et à l'amitié
qui subsisteront entre les deux pays et leurs souverains ;
« 4° Que ce
traité signé sous les auspices de la conférence de Londres sera placé sous la
garantie formelle des cinq puissances ;
« 5° Que les
articles en question forment un ensemble et n'admettent pas de séparation ;
« 6° Enfin
qu'ils contiennent les décisions « finales et irrévocables » des
cinq puissances, qui, d'un commun accord, sont résolues à amener elles-mêmes
l'acceptation pleine et entière desdits articles par la partie adverse si elle
venait à les rejeter.
« Les
soussignés saisissent cette occasion d'offrir à M. le plénipotentiaire belge l'assurance
de leur très haute considération. »
« Esterhazy, Wessemberg, Tali.eyrand, Palmerston , Bulow, Lieven, Mastuszewicz. »
Deuxième note
« Les soussignés, plénipotentiaires des cours d'Autriche,
de France, de la Grande-Bretagne, de Prusse et de Russie, après avoir
communiqué à M. le plénipotentiaire belge les 24 articles joints à leur note de
ce jour, et après avoir déclaré que ces articles formaient les décisions
finales et irrévocables de la conférence de Londres , ont encore une obligation
à remplir envers M. le plénipotentiaire, et ils la rempliront avec une
franchise dont les motifs ne pourront qu'être appréciés.
« Les cinq cours se réservant la tâche et prenant
l'engagement d'obtenir l'adhésion de la Hollande aux articles dont il s'agit,
quand même elle commencerait par les rejeter, garantissant de plus leur
exécution ; et convaincus que ces articles , fondés sur des principes d'équité
incontestables, offrent à la Belgique tous les avantages qu'elle est en droit
de réclamer, ne peuvent que déclarer ici leur ferme détermination de s'opposer
par tous les moyens en leur pouvoir, au renouvellement d'une lutte qui, devenue
aujourd'hui sans objet, serait pour les deux pays la source de grands malheurs,
et menacerait l'Europe d'une guerre générale, que le premier devoir des cinq
puissances est de prévenir. Mais plus cette détermination est propre à rassurer
la Belgique sur son avenir et sur les circonstances qui y causent maintenant de
vives alarmes, plus elle autorisera les cinq cours à user également de tous les
moyens en leur pouvoir pour amener l'assentiment de la Belgique aux articles
ci-dessus mentionnés , dans le cas où , contre toute attente , elle le
refuserait.
« Les soussignés saisissent
cette occasion d'offrir à M. le plénipotentiaire belge l'assurance de leur
haute considération. Londres , le 15 octobre 1831.
« Esterhazy, Wessemberg, Tali.eyrand, Palmerston , Bulow, Lieven, Mastuszewicz. »
Ces deux notes
définissaient nettement le caractère des nouvelles propositions, les
obligations que la conférence s'imposait en les arrêtant, les droits que la
Belgique acquérait en les acceptant.
Dans la discussion
qui a précédé le vote des 24 articles, le ministre avait pris l'engagement de ne
donner son adhésion :
1° Qu'après avoir
obtenu ou tenté d'obtenir des modifications ;
2° Qu'après avoir
acquis la certitude que le roi élu par les Belges serait immédiatement reconnu.
C'est dans ce sens
que furent conçues les instructions remises à notre plénipotentiaire à Londres.
Par une note
adressée à la conférence le 12 novembre, le plénipotentiaire belge indiqua les
modifications que son gouvernement désirait voir apporter aux 24 articles avant
d'y adhérer.
Le même jour, la
conférence lui fit la réponse suivante :
« Foreign-Office,
le 12 novembre 1831.
« Les
soussignés plénipotentiaires des cours d'Autriche, de France, de la
Grande-Bretagne, de Prusse et de Russie, ont reçu la note en date de ce jour,
par laquelle monsieur le plénipotentiaire belge s'est acquitté de l'ordre qui
lui a été donné d'appeler leur attention sur diverses modifications que le
gouvernement de la Belgique désirait obtenir dans les 24 articles que la
conférence de Londres a transmis à M. le plénipotentiaire belge sous la date du
15 octobre dernier. En réponse à cette note, les soussignés se trouvent dans
l'obligation de déclarer à M. le plénipotentiaire belge que ni le fond ni la
lettre des 24 articles ci-dessus mentionnés ne sauraient désormais subir de
modification, et qu'il n'est même plus au pouvoir des cinq puissances d'en
consentir une seule.
« Les
soussignés ne peuvent donc qu'exprimer à M. le plénipotentiaire l'espoir où ils
sont que le gouvernement de la Belgique n'usera des pouvoirs dont il est
investi que pour accepter les 24 articles purement et simplement.
« Les
soussignés prient M. le plénipotentiaire belge d'agréer l'assurance de leur
haute considération.
« Esterhazy, Wessemberg, Tali.eyrand, Palmerston , Bulow, Lieven, Mastuszewicz. »
Le 14 novembre, le
plénipotentiaire belge remit à la conférence une nouvelle note tendant à
obtenir la certitude de la reconnaissance immédiate de S. M. le roi des Belges.
La conférence ayant donné sur ce point une réponse satisfaisante , notre
plénipotentiaire adhéra aux 24 articles qui, le 15 novembre, furent convertis
en une convention conclue avec chacune des cinq cours. Les ratifications
devaient en être échangées dans les deux mois, c'est-à-dire avant l'expiration
du 15 janvier 1832.
Notre position
devenait ainsi bien nette : fort des engagements solennellement contractés, le
gouvernement ne devait avoir d'autre but que d'obtenir dans le plus bref délai
la ratification pure et simple du traité ; c'est vers ce but qu'ont tendu tous
les efforts , c'est dans ce sens qu'ont été données toutes les instructions.
La question des
forteresses belges est malheureusement venue compliquer notre position ; cette
négociation secondaire , dont les résultats vous seront communiqués par la
suite, a arrêté la négociation principale jusqu'à la fin du mois de janvier.
Le terme des
ratifications avait été prorogé au 31 de ce mois.
La conférence
avait cru devoir répondre aux nombreuses réclamations du gouvernement
hollandais ; ce fut l'objet de sa note et de son mémoire du 4 janvier.
Les dispositions
relatives à la navigation des eaux intermédiaires entre l'Escaut et le Rhin y
sont pleinement justifiées : quant au partage des dettes, la conférence a cru
devoir à la vérité, d'avouer que la Belgique avait été lésée ; « l'intérêt de
toutes les dettes exclusivement belges, dit-elle, et le service de la partie
différée de ces mêmes dettes , et l'intérêt des dettes communes ne se montaient
en nombres ronds qu'à une somme de 5,800,000 fl. ; cette somme a été élevée à
8,400,000 fl. Toute la différence de 2,600,000 fl. allège donc d'autant le
fardeau de l'ancienne dette hollandaise. » Je ne pousserai pas plus loin
l'analyse de ces documents qui sont entre vos mains ; si la Belgique venait à
perdre tous les titres sur lesquels elle peut s'appuyer dans la défense de ses
droits, elle les retrouverait dans ces deux pièces remarquables où la
conférence a défendu son œuvre avec une grande supériorité de pensée et de
style, et a réfuté tous les arguments sur lesquels on pourrait s'appuyer pour
critiquer une disposition isolée en la séparant de l'ensemble.
La note et le
mémoire du 4 janvier étaient de nature à dissiper tous nos doutes ;
cependant quelques jours après la publication de ces actes, le gouvernement
acquit la certitude que les plénipotentiaires de deux cours seulement avaient
reçu les ordres définitifs d'échanger. Le gouvernement se trouvait donc dans
l'alternative de voir au 31 janvier le terme prorogé purement et simplement à
l'égard de toutes les puissances, ou bien de recevoir les ratifications de deux
puissances et de voir le terme prorogé pour les trois autres. Après de mûres
réflexions, nous avons regardé le dernier parti comme préférable. La
ratification pure et simple de deux puissances suffisait, en liant chacune
d'elles, pour assurer au traité ce caractère d'immutabilité qu'on pouvait
essayer de lui enlever par la prorogation pure et simple, qui l'aurait soumis,
à l'égard de toutes les puissances, à des éventualités. Le doute ne portait
plus que sur trois puissances ; il y avait certitude à l'égard des deux autres.
Tel fut le sens des instructions transmises à nos plénipotentiaires, sous la
date du 10 janvier, et dont je viens de citer les principaux passages. C'est
pour ces raisons que le gouvernement renonça au projet d'obtenir des
ratifications simultanées.
Nous fûmes assez
heureux pour obtenir, le 31 janvier, les ratifications pures et simples de la
France et de la Grande-Bretagne. J'ai dès lors apprécié quel changement
important était survenu en droit dans notre politique extérieure. Ratifié
purement par la France et la Grande-Bretagne, ce traité était obligatoire pour
ces deux puissances. Nous pouvions à la fois nous adresser à la conférence
collectivement pour réclamer l'exécution des engagements contractés par les
actes du 15 octobre, et en particulier aux deux puissances qui avaient échangé
les ratifications, pour demander l'exécution pure et simple du traité même. Si
nous nous sommes abstenus d'user de tous nos droits, c'est que les
circonstances politiques , et notamment les embarras intérieurs des deux
grandes puissances, qui se sont en quelque sorte associées à notre cause, nous
prescrivaient de grands ménagements ; cependant j'ai persisté à déclarer que le
gouvernement belge se refuserait à toutes modifications préalables.
Après de longues hésitations
, les ratifications de l'Autriche et de la Prusse ont été échangées le 18 avril
; depuis l'ajournement de cette chambre, j'ai reçu les pièces officielles, que
j'ai communiquées au sénat, et qui déjà vous ont été distribuées. Si j'ai gardé
le silence sur le protocole n° 57 du 18 avril, c'est que cette pièce n'a pas
été notifiée au gouvernement et qu'elle est ainsi sans effet à notre égard ; je
ne l'ai connue moi-même que par les journaux. La réserve relative aux droits de
la confédération germanique, pour ce qui concerne le Luxembourg, n'a été
accueillie par le gouvernement qu'avec répugnance, sans qu'elle parût néanmoins
de nature à infirmer en rien la ratification même, qui reste pleine et entière
à l'égard de l'Autriche et de la Prusse ; une ratification pure et simple eût
été sans doute préférable et nous étions en droit de l'exiger.
Nous comptions sur
une ratification de ce genre de la part de la Russie ; et c'est dans cette
prévision qu'ont été conçues les instructions relatives à l'exécution du traité
, données à notre plénipotentiaire pendant son dernier séjour à Bruxelles. Dès
son retour à Londres , la conférence s'est réunie, et les plénipotentiaires
russes ont présenté un acte par lequel S. M. l'empereur ratifie le traité,
« sauf les modifications à apporter aux articles 9, 12 et 18,
dans un arrangement définitif entre la Hollande et la Belgique, » et
ont déclaré dans un acte séparé qu'il s'agissait de modifications à faire
« de gré à gré. » Le plénipotentiaire belge n'était pas
autorisé à recevoir de ratification partielle ; je regrette qu'il n'ait pas
voulu courir les chances d'un nouveau retard en prenant le parti d'en référer
au gouvernement ; il a été dominé sans doute par cette idée qu'il importait au
plus tôt de mettre le traité du 15 novembre à l'abri de toutes les fluctuations
ministérielles , et il a cédé à des nécessités que, par sa présence sur les
lieux, il se croyait plus à même que le gouvernement d'apprécier.
Messieurs, les
événements qui se préparent à Londres, et dont la nouvelle est arrivée hier à
Bruxelles, ont dû suspendre les résolutions que le gouvernement croyait d'abord
devoir prendre ; ces événements, dont notre plénipotentiaire avait sans doute
le pressentiment, justifieront peut-être jusqu'à un certain point sa conduite.
Tout en déplorant que la ratification russe ne soit pas pure et simple, il y
aurait mauvaise foi, je dirai presque déraison, à méconnaître les grandes
conséquences politiques de cet acte. Pour la Russie surtout, la question belge
n'était ni dans la dette ni même dans les limites : elle était placée plus
haut. Il s'agissait de savoir si la destruction du royaume des Pays-Bas érigé
par les traités de 1815 serait sanctionnée, si l'indépendance et la royauté
belges seraient reconnues ; et ces questions , il faut bien l'avouer, se
trouvent irrévocablement et unanimement résolues au profit de notre cause.
Quant aux autres questions , il ne faut pas s'exagérer la portée des réserves ;
les puissances qui ont ratifié purement et simplement n'en restent pas moins
liées. Sous le rapport de l'exécution, le traité renferme deux genres de
dispositions : les unes susceptibles d'une exécution immédiate, les autres
sujettes à des négociations pour devenir susceptibles d'exécution. Le
gouvernement a arrêté son plan de conduite : les modifications ne pouvant se
faire que de gré à gré, il est impossible qu'on négocie de nouveau sans le
concours, la participation de la Belgique ; le gouvernement refusera de prendre
part à de nouvelles négociations avant que le traité n'ait reçu un commencement
d'exécution dans toutes les parties non sujettes à négociation , c'est-à-dire
qu'il exigera avant tout que le territoire belge soit évacué.
C'est un préalable
indispensable , il en fait une condition sine quod non. Jusque-là il ne
participera à aucune négociation ; par son refus, il peut arrêter tous les
projets ultérieurs. Il y a plus : le territoire étant évacué, s'il prend part à
de nouvelles négociations , il n'agira que dans un système de juste
compensation, en déclarant d'ailleurs que, si les propositions nouvelles ne
sont pas de nature à pouvoir être acceptées par lui, il conserve le droit de
maintenir purement et simplement les articles sur lesquels on aurait négocié.
Je ne finirai pas
sans vous entretenir de nouveau du déplorable attentat dont un de nos meilleurs
citoyens a été victime ; le gouvernement a acquis la certitude que cet acte de
déloyauté a été désapprouvé par toutes les puissances avec autant de force que
par nous-mêmes. C'est sans aucun fondement qu'on a prétendu que la Diète
germanique avait demandé l'extradition de M. Thorn, pour le livrer à un
tribunal austrégal ; elle aussi a désapprouvé le fait. Le gouvernement
hollandais, prétendant que l'arrestation de M. Thorn n'a été qu'un acte de
représailles, veut mettre pour condition à son élargissement la mise en liberté
des individus arrêtés comme ayant fait partie de la bande Tornaco. Si la voie
des négociations, si tous les moyens diplomatiques étaient épuisés, il n'y
aurait plus qu'un parti extrême à prendre qui placerait le pays dans un autre
ordre de choses.
Messieurs,
le gouvernement du Roi a la conscience d'avoir rempli ses devoirs dans toute
leur étendue ; si ses efforts n'ont pas toujours été couronnés de succès, ce
sont les circonstances et non ses intentions qu'il faut en accuser. Il espère
trouver dans la représentation nationale et dans le pays cette confiance et
cette union sans lesquelles il lui serait impossible de résister aux manœuvres
des partis et de braver les incertitudes de l'avenir. (Agitation prolongée. - L’impression !)
Quelques voix. - Cela n’en vaut pas la peine.
M. Dumortier.
- Messieurs, vous voyez maintenant que nos affaires prennent une tournure tout à
fait nouvelle, et à coup sûr, cependant, le gouvernement veut encore se
renfermer dans ces voies diplomatiques que nous avons à déplorer. Dans une de
nos précédentes séances, M. le ministre des affaires étrangères nous avait
déclaré son intention de continuer ces mêmes voies, et il y persiste encore
aujourd’hui. Je regrette que, dans des circonstances pareilles à celles où nous
nous trouvons placés, que les Belges doutent s’ils ont une patrie, on vienne
toujours nous parler de négociations. Mais ce qui m’a étonné dans le discours
de M. le ministre, c’est ce qu’il a dit que le protocole n°57 ne lui avait pas
été notifié, et qu’il n’en avait eu connaissance que par les journaux. Comment
se fait-il, messieurs, que le gouvernement n’ait pas eu connaissance de ce
protocole, quand notre plénipotentiaire à Londres y a adhéré ? Je tiens en main
ce protocole tel qu’il a été publié par les journaux, et la note qui y a été
jointe par notre plénipotentiaire.
Ici l’orateur
donne lecture de l’annexe au protocole n°57, ainsi conçue :
« Le
plénipotentiaire belge ayant eu connaissance de la réserve faite par les
plénipotentiaires d’Autriche et de Prusse, en ce qui concerne les droits de la
confédération germanique, s’en réfère purement et simplement à la garantie
donnée à la Belgique par les cinq puissances, garantie dans laquelle le
plénipotentiaires belge a une pleine confiance, fondée sur les engagements
contractés par le traité du 15 novembre 1831.
« Londres, 18
avril 1832.
« Signé, Van
de Weyer. »
Je m’étonne,
d’après cela, que l’honorable M. de Muelenaere dise que le gouvernement n’avait
aucune connaissance de ce protocole ; car si ce protocole est tel que l’ont
publié les journaux, le gouvernement n’a pas dû l’ignorer, ou bien notre
plénipotentiaire a fait un acte pour lequel il n’a pas même consulté le
gouvernement. Messieurs, notre état actuel est dû à une seule chose ; il vient
de ce que nous avons toujours montré la plus grande mollesse et jamais
d’énergie. La Hollande, au contraire, a toujours fait preuve d’énergie ; voyez
si elle consulte la conférence quand elle enlève M. Thorn. Consulte-t-elle la
conférence pour faire une autre tentative sur la personne de M. Ch. de
Brouckere ? Consulte-t-elle la conférence pur arrêter nos douaniers, nos
percepteurs, quand elle mitraille nos ports apportant des fusées à la congrève
? Dans toutes les circonstances, la Hollande a toujours montré la plus grande
énergie et nous une extrême faiblesse. C’est cette faiblesse qui nous perd. Que
prouve tout cela ? La force de la Hollande et notre faiblesse. On nous regarde
toujours comme les vaincus du mois d’août. Cependant n’avons-nous pas une armée
de 80,000 hommes ? Eh bien ! si nous avons 80,000 baïonnettes, qu’on les mettre
au bout des fusils ? Je regrette que le gouvernement ait toujours montré tant
de mollesse.
Il est temps de
sortir de cet état de torpeur où nous sommes anéantis. Et c’est quand le
gouvernement n’a pas pris une seule mesure, que l’on parle de la patrie ! Eh
quoi ! on prononce son nom quand on la laisse déchirer ! La patrie, messieurs,
ce n’est pas un coin de terre où l’on sème du blé et du chanvre ; c’est la
dignité, c’est l’honneur qui constituent la patrie, et un peuple sans honneur
est un peuple sans patrie. Tout, aujourd’hui, est pour nous remis en doute.
Tous les événements prouvent la faiblesse des ministres, et cette faiblesse
communique ailleurs. Il n’y a pas trois jours encore, vous avez pu voir dans
les journaux jusqu’à quel point on s’avilit ; vous avez lu une lettre d’un
capitaine nommé Tencé. Je le demande, ce militaire ne se met-il pas à genoux
devant la Hollande pour excuser le passage de quelques-uns de nos soldats sur
son territoire ?
J’ose le dire,
messieurs, si la conduite de M. Van de Weyer
n’est pas désavouée formellement, les Belges n’ont plus de patrie.
On vous a dit que
les 18 articles avaient été perdus dans les journées du mois d’août ; oui, mais
il est aussi juste de dire que, si les 24 articles ont été perdus, c’est par la
faiblesse du ministère. Toutes les fois que la Hollande montrait de la vigueur,
il fallait aussi en déployer, il fallait sévir à votre tour ; alors vous auriez
fait voir que vous aviez épuisé les sacrifices et que vous n’étiez plus
disposés à en faire.
Mais, a dit M. le
ministre, le gouvernement a arrêté son plan de conduite. Et quel plan de
conduite, grand Dieu ! s’il persévère dans la marche qu’il a suivie ! Est-ce
encore à des protocoles, à des modifications qu’il se confie, quand tout cela
n’est que mystification ? Et cependant, si j’en crois ce que vient de dire M.
le ministre, il veut toujours rester dans cette voie. Et en effet, comment nous
a-t-il parlé relativement à notre envoyé à Londres ? « Je regrette
vivement que M. Van de Weyer n’en ait pas référé au gouvernement. » Voilà
comment il s’est exprimé. Quand un plénipotentiaire a transgressé ses
instructions, il se borne à le regretter ; ce n’était pas un regret qu’il
fallait manifester, mais un désaveu formel ; il fallait rappeler cet envoyé.
Quand
nous avons été forcés d’accepter les 24 articles, nous avons autorisé le Roi à
conclure et à signer le traité, sous telles clauses et réserves qu’exigerait
l’intérêt du pays. Eh bien ! je vous le demande, après une loi si positive,
avons-nous donné au gouvernement le droit de remettre en question les 24
articles ? Non : lorsque nous l’avons autorisé à traiter sous les clauses et
réserves qu’il jugerait convenables dans l’intérêt du pays, c’est que nous
voulions la reconnaissance immédiate du Roi et faire revenir la conférence sur
le protocole n°48, si je ne me trompe, qui nous grevait d’une rente annuelle de
4 millions de plus. Mais nous ne voulions pas que le traité fût remis en
question. Dans de pareilles circonstances, ce qu’il faut, c’est le rappel
immédiat de l’envoyé à Londres, ce sont des mesures énergiques, car elles nous
ont toujours bien servi. Lorsque, dans la fameuse nuit du 1er février, le
congrès protesta avec énergie contre les conditions que venait de nous imposer
un protocole récent, la conférence ne réalisa aucune des menaces qu’elle avait
faites.
Je demande à M. le
ministre une explication sur le point de savoir si l’on entend rappeler
immédiatement notre envoyé à Londres, et restituer la ratification à la Russie.
M. Ch. de Brouckere. - Je me permettrai de faire une observation et de
demander de nouveaux éclaircissements. M. le ministre nous a parlé, en
terminant, de M. Thorn. Hier, répondant à un de ses collègues qui disait que
l’enlèvement de M. Thorn avait eu lieu en violation du droit des gens, j’ai
fait remarquer qu’il n’y avait pas là violation du droit des gens, mais que
c’était un acte d’hostilité. Aujourd’hui M. le ministre des affaires étrangères
dit que c’est un acte de déloyauté. Eh bien ! je ne suis pas encore de cet
avis, Depuis le 25 octobre, en droit il n’y a eu ni armistice ni suspension
d’armes entre nous et la Hollande. Les deux parties sont restées en état de
guerre et l’arme au bras. Dès lors l’une des deux puissances peut attaquer
l’autre, sans violer le droit des gens. Le roi de Hollande, a-t-on dit, a répondu
que c’était un acte de représailles. Ici encore il était dans son droit. Une
bande composée de Belges, qui s’était mise au service du roi de Hollande, a
commis des hostilités sur notre territoire. Une partie de cette bande a été
défaite et l’autre arrêtée. Or, je conçois que le roi de Hollande soutienne la
cause de ces hommes et tâche de les ravoir. Mais, dit-on, si la Hollande
persiste dans son obstination, on prendra de nouveaux moyens qui changeront
notre position. Eh bien ! qu’on s’y mette sur-le-champ, car il est certain que
le roi de Hollande persistera à soutenir que c’est un acte de représailles. Je
le répète, ce n’est pas une violation du droit des gens, mais un acte
d’hostilité que nous sommes en droit de repousser par u autre acte d’hostilité
; car nous sommes en état de guerre.
Revenant aux
ratifications, je demanderai si, comme on le dit de toutes parts, il existe un
dernier protocole, et si c’est le dernier ? (On rit.) S’il existe, je veux savoir ce qu’il contient, et je
demande qu’il nous soit soumis ; car, quand on fait une communication, il faut
qu’elle soit complète. La ratification de la Prusse, nous disait-on, est pure
et simple, et tout à l’heure j’ai entendu parler des réserves de l’Autriche et
de la Prusse. On vient de produire un journal où se trouve publié le texte du
57ème protocole avec la déclaration de notre plénipotentiaire à Londres. Je ne
sais jusqu’à quel point on peut s’en rapporter à une feuille qui n’est pas
officielle. Mais quand on lit la ratification de la Russie, on lit en même
temps la déclaration de notre plénipotentiaire à Londres. Or, où est la
déclaration du plénipotentiaire belge relative à l’échange de la ratification
de la Russie, si ce n’est celle annexée au protocole n°57 ? Il connaissait donc
ce protocole. De deux choses l’une : c’est nous ou le ministère que l’on joue ;
mais il y a toujours quelqu’un de joué. (On
rit.)
Je passe à la
ratification de la Russie. M. le ministre a dit qu’il y aurait déraison ou
mauvaise foi à ne pas y trouver un résultat important. Quant à moi, je repousse
le reproche de mauvaise foi ; mais j’avoue que je ne comprends pas l’avantage
que nous pourrons en retirer. On prétend qu’après cette ratification une partie
du traité peut être exécuté tout de suite, et les autres feront l’objet de
négociations. Je soutiens, moi, qu’aucune partie n’en peut être exécutée sans
la bonne volonté de la Hollande ou sans l’emploi de la force. En effet, quelles
serait la partie exécutable d’abord ? l’évacuation de notre territoire ; or, il
fait pour cela que la Hollande consente à sortir d’Anvers. Mais comme elle ne
veut pas du traité des 24 articles tel qu’il est, s’il ne vous reste que les
moyens coercitifs et si l’on vous ôte ces moyens coercitifs, vous êtes
condamnés à un statu quo indéfini ; il vous faut conserver inutilement une
armée sur pied jusqu’à ce que la Hollande veuille bien adhérer au traité.
Aucune
des ratifications n’a avancé nos affaires ; car, s’il faut le consentement de
la confédération germanique, c’est remettre l’exécution du traité à l’infini,
car il y aura des discussions interminables sur la question de savoir jusqu’à
quel point la confédération a des droits sur le Luxembourg, et jusqu’à quel
point le roi de Hollande est lié vis-à-vis d’elle. Quant aux autres parties du
traité, elles ne peuvent pas être séparées les unes des autres.
En résumé, si nous
continuons à recourir à la conférence, nous laisserons l’ennemi dans notre
territoire ; la Meuse nous sera fermée, et le pays devra payer des sommes
immenses pour une armée qui ne rendra aucun service.
M. H. de Brouckere. - Il m’arrive rarement de prendre la parole, lorsque
l’on traite ici des questions de politique extérieure, parce que je préfère
laisser ce soin à ceux d’entre vous qui ont l’habitude d’en faire l’objet
principal de leurs études et de leurs méditations. Mais j’ai été tellement
étonné des paroles vraiment étranges que nous venons d’entendre sortir de la
bouche de M. le ministre des affaires étrangères, que je ne puis prendre sur
moi de ne point manifester cet étonnement ; je le ferai en peu de mots.
Je commence par le
protocole n°57. N’est-elle pas bien surprenante, n’est-elle pas bien
inconcevable, messieurs, la déclaration que viens de faire M. le ministre,
qu’il n’en connaît le contenu que par les journaux ? Un honorable préopinant
vous a déjà donné lecture de la pièce signée à cet égard, le 18 avril, par
notre ministre plénipotentiaire à Londres. Eh ! veuillez-y faire attention ;
cette pièce porte pour titre : « Annexe au protocole n°57, » et dans
ce protocole on lit entre autres :
« Le
plénipotentiaire belge ayant été introduit pendant la séance, les
plénipotentiaire d'Autriche et de Prusse ont procédé avec lui à l'échange des
actes de ratification du traité du 15 novembre 1831 et ont en même temps,
d'après les désirs formels de leurs souverains, fait insérer les déclarations
suivantes dans le présent protocole.
« Déclaration
commune des plénipotentiaires d'Autriche et de Prusse.
« En procédant
à l'échange des ratifications du traité du 15 novembre 1831, les
plénipotentiaires d'Autriche et de Prusse sont chargés de déclarer dans le
protocole, au nom de leurs cours, que lesdites ratifications ne sont données
que sous la réserve expresse des droits de la confédération germanique,
relativement aux articles du traité du 15 novembre qui concernent la cession ou
l'échange d'une partie du grand-duché de Luxembourg qui forme un des Etats de
la confédération. »
Quelle conclusion
devons-nous tirer de là, messieurs ? La voici : de deux choses l’une, ou M. le
ministre nous a singulièrement trompé (il me répugne de le croire), ou il est
bien mal servi par ses agents.
Ainsi, il est
constant aujourd’hui que l’Autriche n’a pas seule fait des réserves en donnant
sa ratification au traité du 15 novembre ; ces réserves sont communes à la
Prusse ; seulement cette dernière puissance les a insérées dans un protocole
qui fait, en quelque sorte, partie de l’acte de ratification, et qui a été bien
et dûment communiqué à notre fondé de pouvoirs à Londres, ainsi que le prouve
la signature qu’il a apposée à l’annexe au protocole.
Je passe à la
ratification de la Russie ; elle renferme, celle-ci, des notifications d’une
toute autre importance ; nous venons d’en acquérir la certitude. Avant de vous
exprimer mon opinion à cet égard, qu’il me soit permis de vous rappeler
quelques souvenirs qu’il est important de retracer.
Messieurs, vous le
savez, lorsque le traité des 24 articles vous fût soumis, ceux d’entre nous qui
crurent devoir lui donner leur assentiment ne le firent qu’avec une extrême
répugnance, qu’avec d’amers regrets, unanimement exprimés. Et par quelles
considérations y étaient-ils déterminées ? Leur résolution était la suite des
menaces dont la proposition était accompagnée, de l’assurance que le traité
était définitif, irrévocable, de la promesse formelle faite par les puissances
d’en amener elles-mêmes l’exécution qu’elles garantissaient. Mais, si alors on
vous eût dit que ces assurances, ces promesses, cette garantie n’étaient qu’un
leurre, qu’un nouveau moyen de déception, je vous le demande, en est-il un seul
d’entre vous qui n’eût point repoussé les propositions et les menaces qu’on
nous adressait ? Non, messieurs, aucun de vous n’eût voulu donner dans de
pareilles mystifications. Le gouvernement connaissait si bien vos sentiments,
il les partageait à un tel point, que chaque fois que M. le ministre des
affaires étrangères est monté à la tribune depuis le mois de novembre, il ne
manquait point de vous répéter que toute réserve, toute modification, serait
rejetée ; qu’il ne serait plus fait la moindre concession, avant l’exécution
pleine et entière du traité.
Cependant,
messieurs, en présence de tels faits, un agent du gouvernement, sans
autorisation, sans instructions (car je dois ajouter foi aux paroles du
ministre), n’a pas craint de consentir à l’échange des ratifications avec le
plénipotentiaire russe, tandis que celle qu’on lui remettait et qu’il acceptait
renferme des réserves telles que presque tout ce que stipule le traité est
remis en question.
Nous nous
attendions, messieurs, au désaveu du gouvernement, au renvoi de la ratification
russe. Nous nous trompions. C’est de nouveau de l’hésitation, de la faiblesse,
des atermoiements qu’on nous annonce.
Messieurs, il est temps de couper court à tant de tergiversations. Si le
ministère ne veut pas prendre des mesures pour cela, c’est à nous à les
provoquer. (Applaudissements.)
Comment ne pas être étonné, après les promesses solennelles qu’on nous avait
faites, de voir que nous avons été joués par la diplomatie ? Le temps est venu
de prendre une attitude digne du peuple belge, digne de l’honneur national
outragé. Je le répète, c’est aux moyens énergiques qu’il faut recourir ; cela
est d’autant plus urgent qu’on ne connaît pas encore tous les affronts qu’on
nous fait subir. Les Hollandais ne se contentent plus de faire enlever des
douaniers, des employés du gouvernement ; ce sont de simples particuliers qu’on
arrache à leur pays, à leur famille, qu’on traîne et qu’on retient dans
Maestricht comme dans un repaire de brigands. Il est temps, je le répète, de
prendre des mesures énergiques pour repousser ces affronts, et si le ministère
ne vient pas nous faire à l’instant la promesse formelle d’y recourir, avant la
fin de la séance je déposerai sur le bureau la proposition de faire une adresse
au Roi. (Bravos prolongés.)
M. le ministre des affaires étrangères (M. de
Muelenaere).
- J’ai donné à la chambre quelques explications qui tendent à justifier la
conduite d’un homme qui a rendu à la révolution d’importants services. On a
bien voulu me rendre la justice de croire que j’avais dit la vérité en
déclarant que le 57ème protocole n’avait pas été notifié au gouvernement ; mais
on a tiré de la publication faite dans les journaux la conséquence que M. Van
de Weyer avait manqué à ses devoirs, en ne communiquant pas au gouvernement un
protocole où il avait concouru. C’est sous ce rapport que je veux présenter
pour lui quelques explications justificatives. Il est à remarquer, messieurs,
que le plénipotentiaire belge ne fait pas partie de la conférence ; elle se
compose exclusivement des plénipotentiaires des cinq grandes puissances. Ceux
de la Belgique et de la Hollande n’y sont appelés et n’y entrent que lorsqu’il
y a une affaire qui les concerne en leur qualité de plénipotentiaires. C’est
ainsi que, le jour de l’échange des ratifications de la Prusse et de
l’Autriche, M. Van de Weyer fut appelé au sein de la conférence.
Arrivé à la salle
des délibérations (et cela je puis l’affirmer, parce que j’avais fait la même
observation que M. H. de Brouckere à M. Van de Weyer, qui m’a déclaré en
réponse que le protocole n°57 ne lui a jamais été communiqué), arrivé à la
salle des délibérations, les plénipotentiaires d’Autriche et de Prusse lui
annoncèrent qu’ils n’étaient autorisés à faire l’échange que sous la réserve de
droits de la confédération germanique. M. Van de Weyer hésita ; et ce ne fut
qu’après une longue délibération, et sur les conseils des plénipotentiaires de
France et d’Angleterre, qui ne voyaient dans ces réserves que la reproduction
des articles 5 et 7 du traité lui-même, que M. Van de Weyer remit la note dont
il vient d’être donné lecture. L’échange ayant eu lieu devant lui, il se retira,
et c’est seulement après sa sortie que le protocole n°57 a été rédigé. Si vous
voulez le lire attentivement, vous verrez qu’il n’ya pas concouru. Sa
déclaration en est tout à fait indépendante. Je le répète encore, quant à nous
nous n’avons jamais reçu notification de ce protocole, et M. Van de Weyer
lui-même se trouve dans le même cas que nous.
Un honorable
préopinant a dit que c’était par la faiblesse du ministère qu’avait péri les 24
articles. Je vous avoue que, jusqu’à présent, je ne vois pas du tout que les 24
articles soient perdus. Il dépendra du pays et des chambres qu’ils ne soient
pas perdus. J’ai eu l’honneur de vous dire déjà que d’après nos instructions,
on ne devait accepter que des ratifications pures et simples, et je déclare que
c’est avec la plus grande répugnance que j’ai consenti moi-même à adopter celle
de l’Autriche avec les réserves qu’elle contient, qu’insignifiantes qu’elles
fussent, parce que j’ai toujours dit que les 24 articles étaient définitifs et
devaient rester intacts. Je ne disconviens pas que la ratification de la Russie
tend à modifier le traité du 15 novembre dans quelques-unes de ses
dispositions, et que je ne suis pas rassuré de ce côté. Aussi le dirai-je avec
peine, avec douleur, parce que j’apprécie les importants service de notre
plénipotentiaire à Londres, il n’a pas agi d’après ses instructions. Mais,
dit-on, il aurait dû être rappelé. Eh bien ! dans le cas où M. Van de Weyer
serait rappelé, dois-je le venir dire à la tribune et le signaler à toute
l’Europe. Il suffit que la chambre sache qu’il n’était pas autorisé à agir
comme il l’a fait et qu’il est en droit de désavouer sa conduite. Mais dans les
circonstances actuelles, il serait extrêmement dangereux que le gouvernement
s’expliquât sur une foule de questions délicates que soulève la ratification de
la Russie, surtout quand le ministère Grey est dissous, et que nous ne savons
pas encore celui qui lui succédera.
L’honorable
M. H. de Brouckere vous a manifesté l’intention de présenter un projet
d’adresse au Roi. Quant à moi, je déclare qu’au lieu de m’y opposer,
j’applaudis à cette proposition, et que, dans les circonstances graves où nous
nous trouvons, une telle mesure ne peut faire que du bien. J’ai eu l’honneur de
vous dire que le gouvernement avait surtout en ce moment besoin de l’appui des
chambres. Si la chambre juge qu’une adresse respectueuse peut prêter appui et
force à la royauté, je serai le premier à y donner mon adhésion.
M. Ch. de Brouckere. - Je demande la parole pour revenir sur un seul
fait. M. le ministre des affaires étrangères nous a dit que nous envoyé à
Londres n’a pas concouru au protocole n°57, mais quand on signe un acte en
double, on doit en prendre connaissance ; je ne conçois pas que notre
plénipotentiaire donne acte d’une réserve qu’il n’a pas lue. C’est là une
explication que je ne puis admettre ; je ne l’admettrais pas même pour le
dernier paysan, à plus forte raison du plénipotentiaire d’une nation. Je me
bornerai à ce peu de mots, mais je ferai observer que l’explication est
invraisemblable.
M. A. Rodenbach. - Il n’est question depuis quelques jours que de
l’arrivée d’un 59ème protocole ; je demanderai donc au ministre des affaires
étrangères si on lui a communiqué officiellement ce protocole, et s’il est vrai
qu’il nous interdit le recours aux armes et nous force à faire un traité
supplémentaire avec la Hollande avant même que celle-ci n’ait accepté les 24
articles.
Enfin je
demanderai si par le 59ème protocole la dette de 8,400,000 florins devrait être
capitalisée et remboursée à la Hollande, de sorte que le montant de l’intérêt
annuel coûterait à la malheureuse Belgique de 14 à 15 millions.
Que M. le ministre
veuille répondre catégoriquement à cette interpellation.
M. le ministre des
affaires étrangères (M. de Muelenaere). - Il existe en effet un protocole n°59. Ce protocole,
si je m’en rappelle bien les expressions, a pour but d’empêcher les hostilités
de part et d’autre. Vous savez que plusieurs fois la conférence a déclaré que
les deux parties n’avaient pas le droit de recourir aux armes. Ce protocole
n’est que la suite de cette déclaration. Quant aux autres conditions dont a
parlé M. A. Rodenbach, je puis assuré qu’il n’en est rien.
M. H. de Brouckere. - Je demande la parole pour lire mon projet
d’adresse.
M. le président. - Je ne sais s’il est permis de le lire tout de suite. (Oui ! oui !)
M. H. de Brouckere. - J’en ai certainement le droit, et je le prouverai
au besoin, car il n’y a que les projets de loi qui soient astreints aux
formalités prescrites par le règlement.
- M. H. de
Brouckere donne lecture de son projet ainsi conçu :
« J’ai
l’honneur de proposer à la chambre une commission composée de sept membres, à
l’effet de rédiger une adresse à S.M. pour lui exprimer le vœu que le
gouvernement montre, à l’occasion des réserves introduites dans les
ratifications par plusieurs puissances, la fermeté et l’énergie qui conviennent
à un pays libre et indépendant, et prenne les mesures nécessaires pour obtenir
de la Hollande satisfaction des arrestations faites sur notre territoire, et
prévenir toute vexation et tout affront de sa part à l’avenir. »
M. Destouvelles. - Je désire préalablement que le ministre s’expliquer
catégoriquement sur la question de savoir si le protocole n°59 est en sa
possession, et, en cas d’affirmative, de le déposer sur le bureau ou de le
communiquer à la chambre. Il faut que la chambre connaisse dans leur ensemble
toutes les pièces diplomatiques pour pouvoir former son opinion sur les
négociations et décider ce qu’il convient de faire. Déjà on nous a dit que l’on
n’avait pas eu connaissance du protocole n°57, autrement que par les
journaux ; il ne faut pas qu’on puisse plus tard nous en dire autant du
protocole n°59. Il est difficile de croire à l’assertion du ministre, quant au
premier. Eh quoi ! messieurs, le protocole n°57 et l’annexe qui y est jointe
ont été faits d’un seul jet, ils portent ensemble la date du 18 avril, et quand
notre envoyé a signé l’un, on prétend n’avoir pas connaissance de l’autre !
Cependant, depuis le 18 avril, notre envoyé est venu à Bruxelles, et certes on a
eu le temps et les moyens de prendre auprès de lui tous les renseignements
nécessaires. Quoi qu’il en soit, je poserai à M. le ministre le dilemme suivant
; ou notre plénipotentiaire a manqué à ses obligations, et alors prenez à son
égard les mesures que vous jugerez convenables ; ou vous avez eu connaissance
du protocole (et j’avoue qu’après la double déclaration de M. le ministre, il
me répugne de toucher cette corde délicate), et dans ce cas il faut qu’il nous
soit communiquée, parce que la réserve qu’il contient, c’est un document qui
est devenu commun à la Belgique et à la conférence, et il est essentiel que
nous le connaissions, puisqu’il peut devenir la base de nos délibérations.
On dit qu’il n’a
pas été notifié au gouvernement, que l’envoyé belge n’est pas censé le
connaître, et, pour donner quelque plausibilité à cette allégation, on prétend
que le plénipotentiaire belge n’est pas admis au sein de la conférence, pas
plus que le plénipotentiaire hollandais. Cependant, messieurs, vous avez pu
remarquer que les journaux anglais ont plus d’une fois publié des protocoles
qui leur venaient de La Haye ; d’où il est permis de conclure qu’il y a eu une
préférence marquée pour les diplomates du roi Guillaume. Après tout ce qui
s’est passé, notre défiance n’est que trop légitime. Voyez la Russie, ratifiant
dès le 18 janvier et n’échangeant la ratification que 3 mois après. Remarquez
quelle série d’opérations ont dû suivre. Voyez l’envoyé russe allant sonder le
terrain à la cour de Prusse, à La Haye, et n’arrivant à Londres que pour
s’entendre encore avec les plénipotentiaires de Prusse et d’Autriche, afin de
ratifier, tout en rendant les ratifications illusoires. C’est dans ce but, en
effet, qu’on vous a parlé dans la ratification de l’Autriche de réserves faites
dans l’intérêt de la confédération germanique ; et quand nous parle-t-on de la
confédération germanique ? Au mois d’avril, quand sept mois se sont écoulés
depuis le traité ; et quand la Russie vient ratifier à son tour, alors se
dévoile tout le plan des puissances.
Vous voyez la Prusse et l’Autriche se charger de la question du
Luxembourg, la Russie se réserver celle de la navigation des eaux intérieures,
du chemin de Sittard et de la dette. Vous voyez comment les rôles sont
partagés, comme les acteurs restent dans la coulisse jusqu’à ce que le moment
est venu de paraître sur la scène (on rit)
; la distribution des rôles est parfaite. Mais qui est la victime de ce drame ?
C’est la Belgique, grâces aux voies diplomatique dans lesquelles on l’a
entraînée et d’où, je le crains, il lui sera difficile de sortir. Ce ne sera,
en tout cas, que par des mesures fortes que nous pourrons échapper à la crise
qui nous menace, et, si pour cela le gouvernement attend l’appui des chambres,
les chambres sont en droit d’attendre du ministère les communications les plus
franches. Je demande donc qu’il nous fasse connaître les protocoles n°57, 58 et
59 ; c’est le seul moyen de nous mettre à même de prendre en connaissance de
cause une décision conforme à la dignité de la Belgique et à ses vrais
intérêts.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de
Muelenaere).
- Messieurs, après mes déclarations répétées que le protocole n°57 n’a jamais
été communiqué au gouvernement belge, j’ai quelque droit de m’étonner que
l’honorable membre ait posé un dilemme duquel il résulterait que le
gouvernement veut tromper la chambre. Je ne crois pas jusqu’à ce jour avoir
mérité un semblable reproche ; mes communications ont toujours été franches et
loyales ; je n’ai jamais hésité à vous faire connaître la marche des
négociations, et c’est toujours ainsi que j’agirai ; si donc le protocole n°57
m’eût été communiqué, je ne le cacherais pas à la chambre. Quant au 59ème protocole, c’est la première fois que j’en entends demander
la communication, et si j’avais prévu semblable demande, je me serais empressé
de l’apporter. J’en ai déjà fait connaître la clause principale, et j’avoue que
je ne vois pas d’inconvénient à le communiquer à la commission ou même à la
chambre, mais au moins faudrait-il me donner le temps de le relire. (Rires et murmures prolongés.) Les pièces
diplomatiques peuvent avoir une grande portée, et elles ne sont pas toujours de
nature à être communiquées au public, et, pour moi, je déclare que je ne communiquerai
de semblables documents que quand je n’y verrai nul danger, parce que j’ai des
devoirs à remplir, je les remplirai tant que je resterai au poste que j’occupe.
Du reste, si cette discussion devait se prolonger encore, je prierais la
chambre de fixer un autre jour pour la continuer, car fatigué par les travaux
auxquels j’ai été forcé de me livrer, il me serait impossible de la soutenir
plus longtemps.
M. Gendebien. - Messieurs, quelle que soit la répugnance que
j’éprouve à prendre la parole dans une question qui n’en est plus une pour tout
homme doué de la plus légère dose de bon sens, et de tant soit peu de probité,
je crois devoir rompre le silence, parce que, à la suite des communications
plus qu’insignifiantes qu’on vient de nous faire, j’ai vu avec beaucoup
d’étonnement que les seules conclusions dont on les accompagnait était de
continuer les négociations. Ne sommes-nous donc pas arrivés encore au terme des
déceptions dont la Belgique est victime ? Ne sommes-nous pas au terme des
objections ? N’avons-nous pas atteint encore le dernier degré du déshonneur ?
Pour moi, messieurs, jugeant la nation par moi-même, et jugeons-la tous ainsi,
messieurs, et demandons-nous, comme individus, si l’un de nous ayant reçu un
seul des nombreux affronts que la conférence a fait subir à la Belgique, il
hésiterait un seul instant à en demander satisfaction et à exposer mille fois
sa vie pour l’obtenir. Eh bien, l’honneur national est plus susceptible que
l’honneur individuel.
Un homme insulté
peut se cacher dans l’ombre, une nation ne se cache pas, et quand, insultée
dans son honneur, elle ne peut se défendre, on la raie de la liste des peuples
: c’est là, messieurs, le but que s’est toujours proposé d’atteindre la
conférence. Le moment des discussions est passé ; il ne s’agit plus maintenant
d’agiter la question de paix ou de guerre. Cette question est résolue, la
coalition est toute formée, il n’y a que les niais qui voient le contraire, ou
les hommes de mauvaise foi. Je respecte les erreurs qui ont été commise, et
dans ce que je vais dire, il n’y aura rien de personnel. Examinez le point d’où
nous sommes partis, et voyez la position actuelle, et jugez si nous ne sommes
pas arrivés à la péripétie du drame. Ce drame avait commencé sous de si heureux
auspices ; un sang pur avait été versé généreusement, sans arrière-pensée comme
sans intérêt personnel. Si on avait tiré parti de ce noble élan, et si, après
les succès éclatants, je dirai presque miraculeux, que nous avions obtenus, on
n’avait entravé la marche de la révolution, nous ne serions pas arrivés
aujourd’hui au dernier degré d’avilissement, car, messieurs, il ne nous en
reste plus qu’un à franchir, celui d’être rayés de la liste des nations.
La politique
européenne est aujourd’hui visible à tous les yeux, elle a toujours tendu à
éteindre l’esprit révolutionnaire ; parce que les souverains sentent bien
qu’ils règnent contre nature, ils craignent, non sans raison, que le tableau
d’un peuple libre et heureux, ne fît surgir chez eux des imitateurs. Ils ont dû
s’efforcer par conséquent à étouffer la révolution française et la nôtre. Tout
semble les seconder. En France, on a trouvé des intrigants plus disposés à
exploiter la révolution qu’à seconder sa marche ; en Belgique, on a commencé
par tout nous accorder, pour nous enlever tout ensuite. C’est ainsi pour
arrêter nos succès, que par le protocole du 7 novembre, on nous accordait tout,
sauf la rive gauche de l’Escaut, parce que, disait-on, elle n’avait pas fait
partie anciennement des provinces méridionales. Qu’est-il arrivé ensuite ?
Petit à petit, on a arrêté l’élan révolutionnaire, on a anéanti les forces
populaires, et les doctrinaires sont venus ensuite, de bonne foi je veux bien
le croire, se trompant sur le but, se trompant sur les moyens, ils nous ont
conduit insensiblement sur la pente où nous glissons rapidement et où nous
péririons si nous n’y prenons garde.
Souvenez-vous,
messieurs, de ce que nous disions quand on nous proposa d’élire pour roi le
prince de Saxe-Cobourg, nous ne voulions pas qu’il fût élu avant d’avoir
irrévocablement fait fixer les limites du territoire belge. Profitons de la
circonstance, disions-nous, forçons les puissances à nous donner tout ce que
nous sommes en droit de prétendre, parce que une fois Léopold élu, il n’aura
plus en arrivant en Belgique qu’à faire du bien, et qu’à fermer les plaies
ouvertes par la révolution. Si au contraire, vous l’élisez et qu’il arrive en
Belgique avant que vos limites ne soient fixées, vous n’obtiendrez plus rien
des puissances, parce que le trône belge étant occupé, elles n’auront plus à
redouter la réunion de la Belgique à la France. On ne fit aucun cas de nos
avis. Le roi fut élu, et vous voyez à combien d’affronts le roi d’un peuple
libre a été exposé depuis son avènement au trône. Qui sont ceux qui l’ont
exposé à ces affronts ? Ceux-là mêmes qui se sont dits ses amis et qui furent
les plus ardents à l’élire. Qui sont ceux qui ont voulu les lui éviter ? Ceux
qu’on a représentés comme ses ennemis et comme les ennemis de la royauté.
Ce que nous avons
dit lors de la discussion des 18 articles se réalise. Le prince de Saxe-Cobourg
a fait tout à Londres, je le sais, pour obtenir à la Belgique les limites
qu’elle s’était fixées. Ses efforts furent inutiles, les ministres du régent
n’hésitèrent pas à violer la constitution, pour accepter les 18 articles. Ce
premier pas fait et la constitution violée, les 18 articles nous donnaient une
garantie pleine et complète contre toute hostilité de la part de la Hollande.
Nous fûmes attaqués par le roi Guillaume quelques jours avant l’inauguration de
Léopold. C’était une nouvelle insulte faite à notre roi. Je ne parle pas de
notre défaite, parce qu’elle n’est que nominale, et parce que les Hollandais
ont surpris nos soldats et notre armée sans organisation ; nous n’avons pas été
vaincus, le courage belge n’a point reçu d’échec, et j’espère que nous saurons
dans l’occasion en donner la preuve à nos ennemis. Loin de réprimer l’acte
hostile et déloyal du roi Guillaume, les cinq puissances l’en ont récompensé.
Ces 18 articles ont été anéantis. On vient de vous les représenter comme la
charte de joyeuse entrée de notre roi.
Le moment est mal
choisi, ce me semble, pour employer une telle expression ; c’est une insulte
faite au pays. Quoi ! la Hollande a violé le droit des gens par une attaque
déloyale, elle a violé les garanties données à la Belgique par les puissances,
et la Belgique, si fidèle aux engagements contractés, a dû consentir à voir ces
articles anéantis ? On est venu avec regret, le cœur contrit, la larme à l’œil,
lui conseiller d’adopter les 24 articles. On les considérait comme
préjudiciables au pays et comme inacceptables, n’eût été la loi de la
nécessité, et depuis à la moindre annonce de ratification on s’est réjoui comme
d’un succès éclatant, l’échange des ratifications n’était plus qu’une formalité
de chancellerie. Sept mois se sont écoulés, les ratifications sont venus, et,
vous le voyez, elles détruisent le traité de fond en comble.
Ce traité, on vous
l’avait fait accepter par nécessité, si jamais la nécessité est assez puissante
pour faire céder une nation courageuse à de honteuses conditions. Mais
aujourd’hui y a-t-il nécessité de négocier encore et de subir de nouvelles
humiliations ? Non, messieurs, aujourd’hui que par la mauvaise foi de ceux qui
nous l’avaient imposé, le traité n’est plus ce qu’il était, déclarez hautement
qu’en l’acceptant vous ne cédâtes qu’à la nécessité et que vous n’en voulez
plus maintenant. Ministres belges, montrez-vous dignes de la nation par cette
déclaration solennelle, prenez des mesures énergiques pour la soutenir et vous
verrez à son tour ce que fera la nation. Mais non, on ne fera rien, on se
livrera encore aux déceptions de la diplomatie, on attendra que nous soyons
enlacés de nouveau par un protocole plus machiavélique que tous les précédents.
Pour bien
apprécier notre position, consultons l’état où l’Europe se trouve aujourd’hui.
Voyez ce qui se passe en Angleterre. Là le parlement est divisé en deux partis
bien tranchés, les libéraux et les partisans de l’absolutisme. Entre ces deux
partis se trouve l’appoint ; ce terme de commerce qui est usité dans le pays,
est employé pour exprimer un tiers parti et qui est toujours prêt à dire oui ou
non, selon la volonté du gouvernement. C’est à l’aide de l’appoint ou par son
secours que l’on trouver le moyen de créer des ministères animés de l’esprit
nécessaire au besoin des circonstances. C’est ainsi que, quand il fallut
s’opposer aux envahissements de la Russie, Canning fut nommé chef du ministère.
Il fut remplacé par lord Wellington, qui dut décider à son tour la place au
ministère Grey, dans un moment où la crainte qu’une révolution était imminente
en Angleterre, par suite de celles qui venaient d’éclater en France et en
Belgique. Mais aujourd’hui tout est bien changé en Angleterre, l’esprit
révolutionnaire est amorti, les absolutistes dominent, on trouvera bientôt
qu’il y a plus de profit à marcher avec eux : la propagande des idées
françaises n’est plus autant à craindre, le ministère Grey est tombé. N’attendons
maintenant de secours d’aucune puissance. L’Angleterre ne fera rien pour nous.
Elle attendra les événements, elle manœuvrera, si la guerre éclate, de manière
à s’emparer de Nieuport, d’Ostende, de la rive gauche de l’Escaut, de la
citadelle d’Anvers. Voilà ce qu’elle fera. Je ne me flatte pas, messieurs, de
faire des prédictions, mais on est bien certain de ne pas se tromper en parlant
de l’Angleterre, quand on dit qu’elle ne fera que ce qu’elle croira conforme à
ses intérêts matériels ; telle fut toujours sa politique, et il ne faut pas
consulter autre chose que ses intérêts pour savoir ce qu’elle fera.
D’un autre côté la
Russie s’est délivrée d’un immense embarras en anéantissant la Pologne. L’ordre
règne maintenant à Varsovie, comme disait, il y a un an, un ministre du juste
milieu. Le czar n’a plus besoin de 150,000 hommes pour tenir la Pologne en
respect ; ses armées pourront en cas de besoin aller partout ailleurs.
L’Autriche, la Prusse, je n’ai pas besoin de vous parler de ces puissances ; on
sait leur politique et les idées avec lesquelles elles sympathisent. C’est donc
à la guerre qu’il faut s’attendre. Si vous ne vous préparez pas à la guerre, de
deux choses l’une, ou la France aura un nouveau 93 et la Belgique le subira
avec elle, ou la France et la Belgique seront restaurées. Je ne veux moi ni de
l’un ni de l’autre. La terre d’exil dans le cas d’une restauration, ou la tête
sur l’échafaud avec un nouveau 93, tel serait mon partage ; car je serais bien
déterminé à combattre les excès d’un pareil régime, comme j’ai combattu les
abus sous tous les autres, et comme je me suis opposé constamment à la marche
faible et tortueuse du gouvernement.
On nous a présenté
les ratifications comme ayant au moins cet avantage qu’elles ont résolu
irrévocablement une grande question. Je ne sais pas en vérité comment on ose
prononcer ce mot sans rougir. Mais, messieurs, quel est donc ce résultat obtenu
? Quelle est la grande question résolue et résolue irrévocablement ? Le royaume
des Pays-Bas créé par les traités de 1815 est dissous, dit-on, c’est une
question désormais irrévocablement décidée. Il suffit que le ministère ait
prononcé le mot irrévocable, pour que je dise moi qu’il n’en est rien. Il faut
bien prendre les mots d’après le sens que les faits et les antécédents leur ont
donné, et jusqu’ici « irrévocablement » a voulu dire
« mystification. » (Rire.) Consultez
les faits dont nous avons été les témoins, et jugez d’après ce que nous avons
vu, ce que nous sommes en droit d’attendre. Mais, dit-on, si certain point restent
à décider, il en est d’autres que les ratifications ont mis hors de toute
contestation. Je soutiens moi qu’il n’y a rien de décidé, nous n’avons que des
ratifications conditionnelles, qui sont subordonnées à des éventualités, et
pouvons-nous considérer comme irrévocables ce qui dépend d’une éventualité ?
Messieurs, je me
proposais de demander, comme l’ont fait d’autres orateurs, qu’on nous fît
connaître en leur entier les protocoles n°57, 58 et 59. Le ministre s’en est
défendu de telle manière qu’il n’a pas été difficile de voir son embarras. Je
n’insisterai donc pas, mais je lui demanderai s’il est bien convenable de
prolonger des négociations avec les puissances qui n’ont voulu signer que des
ratifications éventuelles, et qui les font précéder ou suivre de protocoles
secrètes qu’on ne lui communique pas ? Ce sont cependant ces clauses secrètes
qu’il faudrait connaître ; car la diplomatie est comme la correspondance des
femmes, c’est toujours le post-scriptum qui en est le plus intéressant. (On rit.) C’est le post-scriptum qu’il
vous faut lire si vous voulez connaître le sens de la lettre.
Faites de même
ici. La Prusse a ratifié, mettez sa ratification en poche et lisez son
post-scriptum. C’est là que vous trouverez son secret, et que vous découvrirez
ses arrière-pensées. Je n’insisterai pas sur la communication des protocoles :
ou le ministre ne veut pas les communiquer, ou il ne le peut pas. S’il ne le
veut pas, nous ne saurions le contraindre, mais je le plains, car la vérité
sera découverte tôt ou tard, et son silence lui sera sévèrement reproché ; ou
il ne le peut pas, et dans ce cas, il serait inutile d’insister.
Dans cet état de
choses, j’aurais l’honneur de faire à la chambre une proposition analogie à
celle de M. H. de Brouckere, mais que je crois conçue en termes plus opportuns.
Si on vous cache quelque chose, c’est sans doute que le ministère veut nous
tromper ; l’adresse que je propose l’empêchera de réussir. La proposition dont
je vais donner connaissance a été rédigée par mon honorable collègue et ami M.
Leclercq ; je la fais mienne, et M. Leclercq n’y persiste pas moi, en voici les
termes :
« J’ai
l’honneur de proposer la nomination d’une commission composée de sept membres,
à l’effet de rédiger une adresse à S. M. pour lui exprimer le vœu de la chambre
des représentants, que les négociations avec la conférence de Londres soient
interrompues aussi longtemps que le traité du 15 novembre 1831 n’aura pas été
ratifié purement et simplement ; pour lui exprimer en même temps que les
mesures les plus promptes et les plus énergiques soient prises afin de
terminer, soit par un traité de paix, soit par la guerre, les différends entre
la Hollande et la Belgique ; enfin pour l’assurer de l’appui de la nation dans
toutes les mesures qu’elle jugera nécessaires de prendre dans l’intérêt de
l’honneur, de la liberté et de l’indépendance de la Belgique. »
Il me reste
maintenant, messieurs, un devoir d’amitié à remplir ici. Pendant longtemps nous
avons marché sur la même ligne, M. Van de Weyer et moi, nous avons couru
ensemble les mêmes dangers, et il s’est établi entre nous une confraternité qui
m’impose le devoir de le défendre en son absence. M. le ministre des affaires
étrangères nous a dit qu’il ne pouvait pas le rappeler, parce qu’il ne voulait
pas le dénoncer à l’Europe, et ce même ministre n’a pas hésité à l’attaquer en
face de l’Europe, car, messieurs, nos discussions ont du retentissement
partout. On a dit qu’il avait transgressé ses devoirs ; j’avoue que j’ai de la
peine à le croire. J’ai vu M. Van de Weyer à son dernier voyage ; j’ai eu soin
de lui dire que, quand il y avait quelque communication à faire ici, on avait
toujours soin de se cacher derrière l’envoyé belge à Londres, et je lui
recommandai bien, en conséquence, de se conformer rigoureusement à ses
instructions écrites. J’ai peine à croire qu’il les ait transgressées.
En
tout cas s’il l’a fait, le devoir du ministre était de le rappeler, de le
désavouer, mais il devait s’en tenir là, et d’abstenir de l’accuser aussi
longtemps qu’il ne serait pas ici pour se défendre. Mais non, on trouve plus
commode de l’accuser quand il est éloigné, de peur sans doute qu’il ne prouvât
s’il était présent qu’il est accusé à tort ; pour moi, messieurs, je déclare
que jusqu’à ce qu’il eût été appelé à se justifier, je considérerai comme
injuste et mal fondées les inculpations dont il est l’objet. S’il a manqué à
ses devoirs, rappelez-le, car il a manqué à la nation tout entière. Ministres
du peuple belge ! ce ne sont plus des larmes, des protestations qu’il nous faut
maintenant, ce sont des actes que nous attendons de voir. Je le répète donc, si
notre plénipotentiaire a dépassé les pouvoirs que vous lui avez données,
rappelez-le, mais ne l’accusez pas quand il est dans l’impossibilité de se
défendre.
M. Leclercq. - Je m’étais occupé à formuler un projet d’adresse à
S. M. En attendant celui de M. de Brouckere, j’avais d’abord pris le parti
d’abandonner ma rédaction. Mais après de mûres réflexions, il m’a semblé que la
proposition de M. H. de Brouckere n’était pas assez précise, et que par
conséquent elle n’était pas propre à remplir le but qu’on se propose
d’atteindre par une adresse. Quel est en effet ce but ? C’est, comme l’a dit M.
le ministre des affaires étrangères, de donner au gouvernement la force qui lui
est nécessaire. Dans les circonstances graves où nous allons peut-être nous
trouver, il faut témoigner à l’Europe que le gouvernement est soutenu dans ses
démarches par toute la nation. Mais pour qu’il sache s’il est bien soutenu, il
faut nettement préciser l’opinion de la chambre sur la marche à suivre
désormais ; alors il ne pourra plus hésiter, car il se sentira fort de l’appui
du peuple.
Il me reste à
justifier les propositions contenues dans la formule d’adresse que j’ai faite.
La première de ces propositions est qu’on exprime à S. M. le vœu de la chambre,
que les négociations avec la conférence soient interrompues aussi longtemps que
le traité du 15 novembre 1831 n’aura pas été ratifié purement et simplement ;
la deuxième que les mesures les plus promptes et les plus énergiques soient
prises, afin de terminer soit par un traité de paix, soit par la guerre, les
différends entre la Hollande et la Belgique. Enfin, la troisième proposition
est d’assurer le Roi de l’appui de la nation dans toutes les mesures qu’il
jugera nécessaire de prendre dans l’intérêt de l’honneur, de la liberté et de
l’indépendance de la Belgique ; ces propositions sont déduites de l’état où se
trouve la nation, et de l’effet que cet état produit sur les esprits.
C’est en examinant
avec soin la position où l’on nous a mis, le sens des ratifications et des
réserves qui les détruisent complètement, que vous connaîtrez le but des
puissances étrangères. Pour cela, il faut envisager notre situation sous le
rapport de la politique extérieure, puis sous le rapport de l’intérieur, et
ensuite sous celui de notre prospérité matérielle. Pour ce qui concerne notre
politique extérieure, on vous l’a répété souvent, les puissances à l’égard de
la Belgique, et je ne crains pas de le dire à l’égard de la France elle-même,
les puissances ont toujours tendu à étouffer la révolution. La France est
derrière nous, elle nous a soutenus, mais elle a montré de la faiblesse ; elle
recule devant ses propres actes, et le temps viendra, je le redoute fort, où
elle sacrifiera la Belgique à sa propre sécurité, qui toutefois ne sera
qu’éphémère et trompeuse.
Quant à
l’Angleterre, elle ne prendra jamais d’autres décisions que celles qui seront
conformes à ses intérêts. Dès lors on ne doit faire aucun cas de son alliance
avec la France. Elle s’est unie à la France, parce qu’elle appréhendait que
celle-ci dans les premiers temps de la révolution ne s’emparât de la Belgique ;
elle maintiendra cette alliance aussi longtemps qu’il en sera besoin pour détourner
la France d’absorber la Belgique. Mais si la guerre éclate et que la France
éprouve un échec, l’Angleterre elle-même se joindra à ses ennemis pour partager
ses dépouilles. Voilà pour l’extérieur. Pour l’état intérieur, il dépend de
notre position à l’extérieur. Si cette position n’inspire aucune confiance il
n’y a pas d’esprit public, et un peuple n’existe que par l’esprit public ; or,
il ne saurait y en avoir chez nous quand nous ne sommes sûrs de rien et que
tout est remis en question. Enfin, le dirai-je, sous le rapport de notre
prospérité matérielle, depuis plus d’un an tous nos débouchés sont fermés.
L’effet qui en
résulte est le dégoût, le malaise, la défiance ; et si cet état se prolonge,
nous tomberons dans un marasme tel que notre perte en sera la suite nécessaire.
C’est là ce que savent et ce que veulent les puissances, et voilà pourquoi
elles prolongent tant cette situation. Ce système leur a déjà trop bien réussi
depuis un an. Souvenez-vous que chaque fois qu’on voulait nous arracher de nouvelles
concessions, je dis cela moins pour en faire un reproche à personne, mais pour
retirer une leçon du passé ; souvenez-vous que l’on nous disait toujours que
c’était une affaire définitive. Ainsi, quand il s’est agi des 18 articles, on
vous a annoncé qu’ils étaient irrévocables ; on vous a engagés à faire un
sacrifice à la paix. Vous y avez consenti avec peine ; et bientôt on a exigé de
vous de nouvelles concessions, et on vous a imposé les 24 articles qu’on dit
encore être irrévocables. Alors nous ne manquâmes pas de nous écrier que ce
nouveau traité n’était pas plus irrévocable que les 18 articles, et qu’on
cherchait à nous arracher un nouvel acte de faiblesse aux yeux de l’Europe,
pour nous leurrer ensuite. C’est ce qui arriva en effet : Les ratifications qui
devaient être pures et simples sont arrivées avec des réserves.
Voyons maintenant
la nature de ces réserves, et nous verrons ce qui nous reste à faire dans la
position où nous sommes placés. Le ministre vient de vous dire que ces réserves
étaient insignifiantes. Comment est-il possible qu’un acte aussi important que
celui qui consacre l’anéantissement des traités de 1815, qui donne à la
politique européenne de nouvelles bases directement contraires à la politique
des rois absolus, comment est-il possible, dis-je, qu’un acte aussi important,
ne contient que des réserves insignifiantes ? Non, messieurs, ne le croyez pas
! et cette seule considération doit vous convaincre que toutes les paroles
contenues dans les ratifications ont été pesées, et que les puissances y
attachent une grande importance. L’Autriche et la Prusse ont fait des réserves
pour les droits de la confédération germanique, c’est-à-dire qu’elles
n’admettent rien de ce qui est relatif au Luxembourg. Par-là elles n’admettent
réellement aucune clause du traité,. En effet toutes les clauses de ce traité
sont corrélatives, elles se lient entre elles, de manière qu’elles sont le prix
les unes des autres. Les pertes que l’on impose d’une part, on les compense de
l’autre, et je n’en veux pour preuve que la réponse de la conférence au mémoire
du roi Guillaume, à qui elle fait remarquer, quand il se plaint d’être lésé
d’une part, les avantages qui lui sont assurés de l’autre.
Ainsi quand nous
avons dû céder le Luxembourg on a voulu nous donner une compensation d’un autre
côté et par conséquent lorsqu’on fait une réserve sur un point la réserve porte
réellement sur tous, tous sont remis en question à cause de la corrélation qui
existe entre eux et qui ne permet pas de les séparer. A ces considérations
ajoutez celle-ci, que la Prusse et l’Autriche ne ratifieront jamais tant qu’on
n’aura pas fait droit à leurs réserves. Ai-je besoin de vous parler de la
Russie ? Elle n’a donné qu’une adhésion conditionnelle, de sorte que réellement
sa ratification n’en est pas une. Maintenant quelle opinion devez-vous avoir de
la conduite que tiendraient les puissances si vous aviez égard à leurs réserves
? La chose est facile à décider quand on sait ce qui s’est passé à Londres.
Les 24 articles
ont été rédigés et signés par les plénipotentiaires des cinq puissances ; dès
lors sous peine de s’exposer à un désaveu, ils n’ont dû arrêter que ce qu’ils
avaient le pouvoir de signer, et les puissances qu’ils représentent ne peuvent
rien alléguer pour refuser les 24 articles, à moins qu’elles ne prétendent que
leurs plénipotentiaires ont excédé leurs pouvoirs. Or elles n’ont pas encore
allégué un fait semblable, elles doivent donc en conscience exécuter le traité,
ou elles manquent à la foi promise. En cet état, quelle conduite doit tenir la
Belgique ? Négocier de nouveau ? Mais permettez-moi de poser un dilemme d’où il
serait difficile de sortir. Je dirai, ou la conférence de Londres avait les
pouvoirs nécessaires pour négocier, ou elle ne les avait pas. Si ces pouvoirs
étaient suffisants, ce qui a été fait pour le traité des 24 articles est bon et
valable, et si les puissances ne veulent pas le tenir pour bon et valable,
c’est qu’au lieu de rendre la paix à la Belgique, elles veulent perpétuer son
malaise et la conduire à sa perte. Dans ce cas et avec de telles intentions de
la part des puissances, toute négociation est inutile. Si au contraire les
plénipotentiaires des puissances n’avait pas les pouvoirs suffisants, il est
encore plus inutile de négocier avec eux.
Voilà, messieurs,
le dilemme dont je défie le plus habile de sortir, et l’une et l’autre branche
nous conduit à cette conclusion, qu’il n’y a rien à gagner pour la Belgique à
négocie. Que nous reste-t-il donc à faire ? Ce qu’une nation fait quand elle
est en discorde avec une autre nation. Il faut donc aller droit à la Hollande,
lui faire des propositions de paix, et si elle refuse lui faire la guerre. Je
sais, messieurs, que nous devons des égards à la France et à l’Angleterre, qui
nous ont soutenus, et qui ont ratifié le traité purement et simplement. Mais,
si nous ne devons pas compromettre ces puissances, nous ne devons pas non plus
nous laisser compromettre par elles. D’ailleurs, leurs ratifications, quoi que
faite sans réserve, ne font pas que le traité soit définitif, même entre elles
et nous. Je ne vois, en effet, dans ce traité, que la Belgique d’une part, et
l’Europe entière de l’autre. Je ne conçois pas qu’il ne soit obligatoire que
pour la France et l’Angleterre ; car, tandis que ces puissances reconnaîtraient
que la Belgique est composée de telles provinces, que telles et telles limites
lui appartiennent, la Belgique serait tout autrement constituée pour le reste
de l’Europe, ce qui implique contradiction. Le traité donc, tant qu’il n’est
pas signé par toutes les puissances ne lie aucune d’elles.
Cependant,
messieurs, je suis d’avis qu’il faut ménager la France et l’Angleterre, il faut
leur demander l’exécution du traité, et si elles refusent, nous sommes tout à
fait dégagés à leur égard, et nous sommes libres de faire la guerre. Je sais
qu’à ce mot on va se récrier sur les maux incalculables, sur les calamités que
la guerre peut entraîner ; mais ce n’est pas moi qui met la Belgique dans cette
position : la Belgique s’y trouve ; il faut qu’elle trouve le moyen d’en sortir
avec honneur. Si vous voulez être une nation, il faut agir comme une nation ;
ne pas vous laisser déshonorer, ni vous fouler aux pieds. Si vous ne voulez pas
être une nation, il ne fait pas continuer ce système bâtard qui nous rend la
risée de l’Europe et nous expose à mille affronts. Si vous ne pouvez exister
par vous-mêmes, je n’hésite pas à le dire, il faut vous réunir à une autre
nation assez puissance pour vous protéger efficacement. (Bravos prolongés.)
M. le président. - Je vais mettre aux voix la question de savoir si
l’on nommera une commission.
Plusieurs voix. - L’appel nominal !
M. Devaux. - Je pense qu’une pareille mesure pour avoir toute sa
force, ne doit pas être prise avec légèreté et précipitation. Quant à moi, je
verrais de la précipitation à adopter la proposition dans la même séance où
elle a été présentée, bien que je reconnaisse la justesse des développements
qui l’ont accompagnée. Je crois qu’il est de la dignité de la chambre de ne pas
trop se hâter.
M. H. de Brouckere. - Je ne vois aucun inconvénient à décider dès à
présent qu’il y aura une commission chargée de rédiger une adresse au Roi. Plus
tard, nous discuterons cette adresse elle-même ; mais il n’y a aucune
difficulté à renvoyer à une commission l’adresse proposée par M. Gendebien et
la mienne, car je ne l’abandonne pas, et je la trouve plus exacte.
M.
Gendebien.
- Je ne comprends pas ce qu’a voulu dire M. Devaux en invoquant la dignité de
la chambre. Je crois que la dignité de la chambre lui impose le devoir de
prendre une décision immédiate. Ce ne serait même pas trop que de demander
qu’elle restât en permanence jusqu’à une solution. Tout homme qui hésite en de
pareilles occasions passe pour un lâche dans le monde. (Applaudissements dans les tribunes.) Une nation ne balance jamais,
et trouve toujours assez d’énergie pour renverser d’un soufflet ceux qui
s’opposent aux mesures qu’elle prend pour venger son honneur.
M. Verdussen. - Deux propositions sont faites par deux de nos
collègues ; ce sont des propositions comme toutes les autres, et elles doivent
être renvoyées à l’examen des sections. (Non ! non !) Pardon, ce serait
admettre un principe, un précédent contraire au règlement.
M. Ch. de Brouckere. - Je ne m’attendais pas que dans de telles
circonstances on ferait appel au règlement. Mais pour faire appel au règlement,
il faudrait au moins l’avoir bien compris. Après l’article 33 qui porte que les
propositions de lois adressées à la chambre par le roi et par le sénat seront
imprimées et renvoyées soit aux sections soit à une commission, l’article 34 donne
le droit à chaque membre de faire des propositions et de présenter des
amendements, et l’article 35 dit que les propositions faites par les membres
seront communiquées dans les sections de la chambre ; mais il est évident que
les articles 34 et 35 ne s’appliquent qu’aux propositions de loi. Il ne faut
donc pas vétiller sur le règlement. D’ailleurs que demande-t-on ? Qu’il y ait
une adresse, mais il ne s’agit nullement d’en déterminer le sens. Quant à moi,
je demanderai, par une motion d’ordre, qu’on n’entend en ce moment déterminer
en aucune manière le sens de l’adresse.
M. Devaux. - Je ne me laisse effrayer ni par les murmures ni par
les paroles. Quand je crois une opinion bonne, je la soutiens, dussè-je être seul.
Je persiste à penser qu’il serait de la dignité de la chambre de remettre la
discussion à demain. Il y a des précédents, quoi qu’en dise M. Ch. de
Brouckere, qui prouvent que des propositions aitres que des propositions de
lois peuvent être astreintes aux formalités du règlement. D’ailleurs nous avons
un exemple dans la chambre française, qui pour les adresses suit cette marche.
M.
Leclercq.
- On ne propose pas de prendre une résolution sur l’adresse, ainsi que l’a dit
M. Ch. de Brouckere, il n’est question aujourd’hui que de nommer une
commission, et cela n’est pas aussi dangereux qu’on le prétend. On a parlé de
précédents ; pour moi, je n’en connais aucun qui ait rapport à une adresse. Je
sais bien que la proposition de nommer une commission d’enquête a été renvoyée
aux sections, mais ce n’était pas là une commission d’adresse. J’ajouterai que
tout ce qui concerne l’adresse se trouve réglé dans une autre partie du
règlement, dans le chapitre 6. Il est bien évident que si les dispositions des
articles 34 et 35 s’appliquaient à cet objet, on n’avait pas fait tout exprès
un chapitre spécial. Cet argument me paraît concluant.
M. A. Rodenbach. - Le temps est passé où… Mon émotion m’empêche de
poursuivre, je renonce à la parole. (Rire
général. L’honorable membre se rassied ; on voit en effet qu’il est vivement
ému.)
M. Devaux. - Si l’on ne prend pas de résolution, ainsi que l’a
dit M. Leclercq, je consens à nommer une commission, mais si l’on entend
décider dès à présent qu’il y aura une adresse, je m’y oppose.
M. Leclercq. - J’ai dit qu’il ne serait rien décidé sur les termes
de l’adresse, mais il est clair qu’on entend dès à présent qu’il y aura une
adresse.
M. Devaux. - Je demande l’ajournement à lundi.
- La question
d’ajournement est mise aux voix. MM. Devaux, Verdussen et Ullens seuls se
lèvent pour. (On rit.) Elle est rejetée.
M. le président. - Il va être procédé à l’appel nominal sur la question de savoir si
l’on nommera une commission pour rédiger un programme d’adresse.
M. Mary. - Je demande la parole sur la position de la question.
L’article 37 du règlement porte que les projets d’adresse sont rédigés par une
commission composée du président et de 6 membres…
De toutes parts. - Mais c’est ainsi qu’on l’entend.
M. Dellafaille fait l’appel nominal.
- La chambre à
l’unanimité de 63 voix décide qu’une commission sera nommé.
MM. Verdussen et
Devaux se sont abstenus.
M. le président. - J’invite MM. Verdussen et Devaux à faire connaître les motifs de leur
abstention.
M. Verdussen. - j’ai dit tout à l’heure que le mode adopté était
contraire au règlement. Je n’ai pas changé d’avis.
M. Devaux. - Je n’ai pas cru devoir voter dans les formes que la
chambre a adoptées.
- On passe ensuite
à la nomination d’une commission par la voie du scrutin. La chambre décide
qu’elle aura lieu à la majorité absolue.
Au
premier tour de scrutin, M. Leclercq obtient 42 voix, M. Destouvelles 36, M.
Lebeau 28, M. Devaux 25, M. H. de Brouckere 23, M. Gendebien 20 et M. H. Vilain
XIIII 12.
MM. Leclercq et
Destouvelles ayant seuls obtenu la majorité, il est procédé à un deuxième tour
de scrutin qui amène la nomination de MM. H. de Brouckere et Lebeau.
Enfin, il est
procédé à un scrutin de ballottage, conformément au règlement. MM. Devaux et
Vilain XIIII obtiennent le plus de voix et sont proclamés membres de la
commission.
M. F. de Mérode. - Je n’ai pas voulu interrompre le cours de la
discussion, mais il s’agit d’un fait particulier, important, qui a été présenté
au commencement de la séance sous des apparences inadmissibles.
Messieurs, il
n’existe pas de suspension d’armes écrite, à la vérité, mais il existe une suspension
d’armes de fait prolongée depuis le mois de novembre, suspension qui peut être
légitimement rompu par une attaque franche et réellement militaire, mais non
pas un détestable guet-apens. Messieurs, je suis parfaitement de l’avis de M.
Ch. de Brouckere. Nous sommes en guerre avec la Hollande ; nous avons, comme
elle, le droit de commencer les hostilités sans déclaration préalable, mais
nullement d’enlever, par un honteux brigandage, quelque bourgmestre ou autre
fonctionnaire civil sur le territoire de notre ennemi. Que ne dise pas que
l’acte odieux, exercé envers M. Thorn, est une représaille de l’emprisonnement
des complices de Tornaco.
Ces complices ont
été arrêtés les armes à la main, après l’assassinat de plusieurs habitants du
Luxembourg, notamment d’un fonctionnaire exerçant la charge de commissaire de
district. Connaissant les réunions de bandes, connaissant combien les agents du
roi de Hollande sont peu délicats sur les moyens de parvenir à leur but, M.
Thorn pourrait être accusé de quelque imprévoyance. Quoi qu’il en soit, je
crois devoir réclamer contre la justification non motivée, selon moi, de la
violence insoutenable dont M. Thorn est victime ; justification qui semblerait
autoriser par des paroles non contredites dans cette chambre à la face de
l’Europe et du pays, la continuation de sa détention.
- La séance est
levée à cinq heures.