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Chambres des représentants de Belgique
Séance du lundi 2 avril 1832

(Moniteur belge n°95, du 4 avril 1832)

(Présidence de M. de Gerlache.)

La séance est ouverte à une heure.

Appel nominal et lecture du procès-verbal

Après l’appel nominal, M. Dellafaille donne lecture du procès-verbal ; il est adopté.

Pièces adressées à la chambre

M. Lebègue analyse ensuite quelques pétitions, qui sont renvoyées à la commission.

Projet de loi portant le budget du ministère des finances de l'exercice 1832

L’ordre du jour est la suite de la discussion du budget des finances.

M. le ministre des finances est présent au banc des ministres.

Discussion du tableau des crédits

Chapitre premier. Administration centrale

Article 2, paragraphe 9

La discussion est ouverte sur l’article 9, relatif au personnel de l’administration des monnaies, pour lequel il est demandé au budget 21,100 fl. La section centrale propose de n’allouer que 18,800 fl.

M. A. Rodenbach. - Messieurs, si je dois en croire certain publiciste, les membres de l’administration de la monnaie devraient, eu égard au principe de la loi organique de 1819, être nommés par le Roi, sur la présentation de la chambre législative. On en a agi tout autrement, puisque les membres de l’administration monétaire ont été nommés sur la présentation du ministre. Il n’y a encore aucune loi qui règle la réorganisation de la monnaie, et déjà l’on a nommé le personnel de cette administration dont les appointements s’élèvent à plus de 22,000 fl.

L’opinion que j’émets sera, je pense, approfondie par les jurisconsultes distingués qui siègent parmi nous. C’est une bien importante question que le contrôle monétaire ; cela ne devrait-il pas, comme le contrôle des comptes de l’Etat, faire partie intégrante du large système de nos libertés publiques ? Et cette réorganisation du 29 décembre, n’est-elle pas une inconstitutionnalité ? Il nous paraît que la responsabilité ministérielle n’est point suffisante, quand il s’agit d’une garantie d’une aussi haute importance.

M. Milcamps. - Messieurs, la section centrale, dans son rapport sur le budget des finances et à l’occasion des crédits demandés pour l’administration des monnaies, a fait remarquer que l’organisation de cette administration n’est pas susceptible d’être réglée par un simple arrêté, mais qu’elle doit d’être par une loi.

Si, comme il le paraît, la section centrale a entendu exprimer l’opinion que le pouvoir exécutif n’a pu, dans l’état actuel de la législation, nommer les présidents, commissaires et inspecteur des monnaies, je ne puis être de son avis.

J’ai la pensée que cette nomination est dans les attributions de ce pouvoir.

Pour fonder mon opinion, je n’invoquerai pas, à l’exemple de M. le ministre des finances, l’article 74 de la constitution, dont je dirai néanmoins un mot ; mais j’argumenterai des lois sur la matière et de l’article 66 de la constitution.

On sait que l’article 201 de l’ancienne loi fondamentale avait établi le principe d’un collège, sous le nom de conseillers et maîtres-généraux des monnaies.

La loi du 19 mai 1819 a organisé ce collège, qu’elle a composé de six membres égaux en rang et assistés d’un inspecteur-essayeur et d’un inspecteur. Sa résidence était fixée à Utrecht.

A la révolution, ce collège a, de fait, cessé des fonction en Belgique ; mais le principe d’administration, reconnu par les lois existantes sur la matière, n’existait pas moins dans ce pays, et l’on ne peut, ce me semble, contester qu’à cette époque le pouvoir exécutif aurait pu nommer des conseillers et maîtres généraux des monnaies, en remplacement de ceux qui, de fait, avaient cessé leurs fonctions.

Or, ce qu’aurait pu faire alors le pouvoir exécutif, pourquoi ne le pourrait-il plus aujourd’hui ?

Il ne le peut, répondra-t-on, parce que notre constitution, ayant aboli la loi fondamentale, a frappé de cette abolition le principe d’institution d’un collège, sous le nom de conseillers et maîtres-généraux des monnaies, et les lois organiques de ce principe.

Je puis bien admettre qu’au moment de la promulgation de notre constitution, et même antérieurement, il n’y avait plus en fait, pour ce pays, de collège d’administration des monnaies ; mais l’on doit me concéder que notre constitution n’a point aboli les lois sur les monnaies et la garantie des matières d’or et d’argent ; que ces lois subsistent dans toute leur force, sauf que les monnaies des Pays-Bas sont, à notre égard, des monnaies étrangères. L’on doit me concéder, et je soutiens d’ailleurs, que le principe d’une administration des monnaies et de la garantie, reconnu par ces mêmes lois, a été maintenu.

Or, comme on peut facilement supposer une administration sans administrateurs, il ne s’agissait que de nommer aux places vacantes.

Mais à qui appartient-il de nommer ?

La réponse est dans l’article 66 de la constitution.

Cet article porte : « Le Roi nomme aux emplois d’administration générale, sauf les exceptions établies par la loi. »

Je n’entends pas très bien les mots « administration générale ; » j’aurais besoin de les définir.

Toutefois, ils me paraissent devoir s’entendre, au moins, de toutes les branches d’administration qui ressortissent immédiatement et médiatement du gouvernement. Immédiatement, telles que celles centrales de la trésorerie, des contributions, de l’enregistrement, des postes, du cadastre, des monnaies et de la garantie. Médiatement, les parties de ces branches d’administration qui existent dans les provinces et sont dirigées par des administrateurs.

Si l’on admet cette interprétation, on doit nécessairement conclure de l’article 66 de la constitution que la nomination des administrateurs des monnaies est dans les attributions du Roi, à moins que les lois n’établissement une exception à cet égard.

Or, loin que l’on trouve cette exception dans les lois concernant les monnaies, l’on y voit, au contraire, qu’elles ont constamment conféré ou laissé au pouvoir exécutif la nomination aux places de membres de l’administration des monnaies.

On objectera que notre système monétaire (le poids et le titre des monnaies, leur valeur) doit être réglé par une loi ; que la chambre est saisie d’un projet de loi à cet égard ; enfin que la raison veut que les bases de notre nouveau système soient posées avant qu’on ne nomme aux places d’administrateurs des monnaies.

Cette objection aurait quelque poids si cette administration n’avait dans ses attributions que la fabrication des monnaies. Mais je vous prie, messieurs, de remarquer qu’elle a d’autres attributions.

Dans le cas de découverte de fausses monnaies en circulation, soit nationales, soit étrangères, l’administration des monnaies est chargée de faire vérifier les pièces par l’inspecteur-essayeur.

Le commerce d’or et d’argent se trouvant en rapport avec les monnaies la garantie des ouvrages d’or et d’argent, la perception et la comptabilité du droit établi sur ces ouvrages rentrent encore dans ses attributions.

Elle est chargée de la surveillance de tous les bureaux de garantie existants, ou qui pourraient étre établis par la suite. Tout cela résulte de la loi du 19 mai 1819.

On voit donc que les fonctions de cette administration ne sont pas bornées à la surveillance des hôtels des monnaies, des fonctionnaires qui y sont attachés et des travaux qui s’y exécutent, mais qu’elles s’étendent sur une infinité d’autres objets ; et cela même me paraît répondre suffisamment à l’objection tirée du défaut d’une loi préexistante.

Il est vrai que par l’arrêté du 30 décembre 1831, qui réorganise l’administration des monnaies, le gouvernement a confié à l’administration des contributions directes, assises et douanes, une partie des attributions de la première ; mais ce ne sont pas celles concernant l’exécution des lois sur le titre et la marque des espèces d’or et d’argent ; ainsi je n’ai pas à m’occuper de ce point dans la présente question.

A l’observation de la section centrale, M. le ministre des finances a opposé, mais point heureusement selon moi, l’article 74 de la constitution. Si le Roi a le droit de battre monnaie en exécution de la loi, il est clair qu’il faut, pour la fabrication des monnaies, une loi préexistante. Cette loi, quelle est-elle ? C’est celle et uniquement celle qui doit régler le titre et le poids des monnaies, et en déterminer la valeur. Cet article prouverait plutôt contre le système du ministre. Aussi, messieurs, si je rappelle cet article, c’est pour démontrer qu’il est ici sans application, et qu’on ne peut l’invoquer ni pour soutenir, ni pour combattre l’observation de la section centrale. Je crois, messieurs, avoir, par des moyens fondés, répondu à cette observation et prouvé que le pouvoir exécutif a pu, dans l’état actuel de la législation, nommer les présidents, commissaires et inspecteur des monnaies. Je demande, en conséquence, qu’il soit passé à la discussion des crédits demandés.

M. d’Elhoungne pense que l’administration de la monnaie ne peut être instituée que par une loi et non par un arrêté, d’autant plus que, selon lui, cette commission exerce de véritables attributions judiciaires. L’arrêté de décembre est donc entaché d’inconstitutionnalité ; mais il est d’avis que cette question ne doit pas être agitée aujourd’hui, et qu’il faut toujours porter au budget une allocation pour cet objet, sauf à revenir sur la question d’inconstitutionnalité lors de la loi monétaire.

S’attachant ensuite au chiffre demandé, il appuie la réduction de la section centrale, et, comparant l’ordre de choses actuel avec ce qui existait sous le royaume des Pays-Bas, il cherche à établir que tous les employés des monnaies sont susceptibles d’une réduction telle que la section centrale propose encore une somme de 1,000 fl. supérieure à celle nécessaire pour faire face à tous les besoins.

M. le ministre des finances (M. Coghen). - Messieurs, les mesures que j’ai prises par mon arrêté du mois de décembre étaient commandées par la nécessité pour la garantie des matières d’or et d’argent. Quant à la question constitutionnelle, je suis d’accord avec le préopinant de la remettre jusqu’à la discussion de la loi monétaire. Je consens à une réduction de 1,000 fl. qui portera sur les chefs de l’administration des monnaies ; mais, quant aux employés, tels que les essayeurs et les graveurs, dont je crois que M. d'Elhoungne n’a pas voulu parler, il est nécessaire de leur conserver tout leur traitement.

M. Fleussu. - Je n’ai pas trop bien compris ce que nous a dit M. le ministre, que l’arrêté pris par lui était commandé par la nécessité ; car si des mesures lui semblaient indispensables, il aurait eu aussitôt fait de nous présenter une loi transitoire à cet égard. La question me semble fort grave ; car indépendamment de l’inconstitutionnalité dont a parléM. d'Elhoungne et de celle à laquelle a répondu M. Milcamps, il en est une troisième que je vais vous exposer.

La constitution donne au Roi le droit de battre monnaie en vertu de la loi. Il fallait donc une loi préalable pour autoriser l’exercice de ce droit. Or, n’est-il pas étrange que des mesures aient été prises à cet égard en exécution d’une loi qui n’existait pas ?

Messieurs, pour vous montrer toute l’importance de la commission nommée par l’arrêté dont il s’agit, je dirai, à l’appui de l’observation de M. d'Elhoungne, qu’elle peut être juge de différends entre particuliers, par exemple de difficultés entre un contrôleur et un orfèvre. D’un autre côté, quand un individu est accusé de crime de fausse monnaie, il faut un rapport de cette commission pour qu’il soit traduit devant la cour d’assises ; et si elle a décidé qu’il y avait alliage dans les pièces qui lui ont été soumises, la cour d’assises ne peut plus revenir sur cet objet. Vous voyez donc qu’une pareille commission ne pourrait être instituée que par une loi

D’après ces considérations, il m’est impossible d’accorder l’allocation demandée, et je la refuserai, à moins que M. le ministre ne vienne déclarer lui-même que son arrêté sera tenu en suspens jusqu’à la nouvelle loi.

M. Milcamps insiste pour l’allocation et dit que, si les parties à l’égard desquelles l’administration des monnaies sera prise pour juge, la regarde comme inconstitutionnelle, les questions qui s’élèveront seront du domaine des tribunaux.

M. le ministre des finances (M. Coghen) fait observer que la commission qui a été nommée ne l’a été que pour assurer le service pour la garantie des matière d’or et d’argent et que, pour les monnaies, il faudrait encore nommer d’autres employés, comme un contrôleur et des essayeurs.

M. d’Elhoungne. - Mon amendement tend à maintenir les choses en l’état où elles sont depuis l’adoption du budget de 1831, et de n’allouer que les sommes allouées dans ce budget. C’est déjà faire beaucoup ; car par là les employés jouissent d’un traitement, sans faire aucune espèce de travail. Mais il vaut mieux, en attendant l’organisation, conserver ce qui existe, que de bouleverser les existences de plusieurs fonctionnaires qui n’ont pas démérité de leur pays, et à qui n’est pas imputable la suspension des travaux des monnaies.

M. A. Rodenbach. - J’appuie l’amendement de mon honorable collègue M. d'Elhoungne, d’autant plus qu’en agissant ainsi, le ministre aura le temps de songer à introduire des économies dans la loi monétaire qu’il nous soumettra.

J’entretiendrai quelques instants la chambre de l’extrême économie qui règne dans les monnaies de France. Dans ce pays, un essayeur ne reçoit qu’une cinquantaine de francs pour essayer un million, tandis qu’à Bruxelles on lui en donnait bien 300. Sous le précédent gouvernement, les directeurs avaient de si énormes bénéfices, qu’on en a vu dans la Néerlande qui, après avoir exercé quelques années leur fonction, ont acquis pour un million de francs de bienfonds ; en France, au contraire, ces agents ne reçoivent des remises qu’en proportion de leur travail, et leurs employés subalternes, qui n’ont que deux ou trois francs par jour, en coûtaient au moins dix sous Guillaume.

Je passerai sous silence les insignes bévues néerlandaises commises par les ex-employés de la monnaie des Pays-Bas, et comment, par leur opération, ils nous firent perdre près de cinq millions, en voulant être plus savants que nos voisins. Je parle ici pour le futur, espérant que le ministre tiendra la main pour que l’on ne commette pas en Belgique du gâchis alchimique sur une aussi grande échelle.

M. H. de Brouckere. - Deux inconstitutionnalités ont été signalées dans l’arrêté du 29 décembre dernier. La première, selon M. Fleussu, vient de ce que l’arrêté donne une véritable juridiction à la commission, puisqu’elle sera appelée à juger entre les orfèvres et le contrôleur, quand il y aura difficulté entre eux, et même à prononcer la condamnation du premier aux frais, s’il est reconnu que le tort était de son côté.

Mais où donc est la preuve de cette allégation ? Je la cherche et ne la trouve nulle part. Pour moi, messieurs, je crois que, si un orfèvre était lésé par un contrôleur, il aurait son recours devant les tribunaux.

La deuxième inconstitutionnalité, dit-on, vient de ce que, s’il se commet un crime de fausse monnaie, les juges renverront les pièces de convictions à la commission, et que les cours d’assises seront obligées de se conformer à son rapport. Je ne vois pas là d’attribution de juridiction. La commission fera tout simplement, dans ce cas, ce que font des experts. Elle donnera son avis, comme étant présumée la plus capable de décider en pareille matière, et c’est sur cet avis que les juges prononceront, libre de l’adopter aussi bien que de le rejeter. se trouve donc l’inconstitutionnalité ? Je ne la vois nulle part. Je m’oppose donc à l’amendement de l’honorable M. d'Elhoungne.

M. Fleussu soutient de plus fort l’inconstitutionnalité du décret ; elle résulte, dit-il, du troisième paragraphe de l’article 3 qui dit, de la manière la plus expresse, que la commission statuera sur les difficultés qui pourraient s’élever entre les orfèvres et les contrôleurs, et qui s’en réfère à la loi du 19 brumaire an VI. (L’orateur lit ces articles.) Il est clair, ajoute-t-il, que, d’après ces articles, la commission sera une espèce de tribunal appelé à prononcer des jugements de condamnation. Quant au crime de fausse monnaie, on a beau dire que les cours d’assises seront libres de suivre ou de ne pas suivre l’avis de la commission ; il est clair qu’elles s’y conformeront toujours. Tels sont les motifs qui m’ont fait demander que l’arrêté fût suspendu jusqu’à la loi sur les monnaies.

M. Lebeau. - Messieurs, je crois aussi que l’arrêté du mois de décembre a le tort d’être un peu prématuré, du moins quant à ce qui concerne les monnaies ; mais je crois qu’on a bien fait de prendre une mesure provisoire pour la garantie des matières d’or et d’argent.

On a argumenté de la loi de brumaire an VI pour prouver l’inconstitutionnalité de l’arrêté ; ce n’est pas à cette loi qu’il fallait s’arrêter ; il fallait remonter jusqu’à la loi du 22 vendémiaire an IV, qui est la loi fondamentale en matière de monnaies, puisqu’elle a établi et réglé le système monétaire. Si cette loi, à laquelle celle de brumaire an VI se réfère, est encore en vigueur, il est certain que la commission aura le droit de juger les différends dont on a parlé ; mais c’est une question difficile que celle de savoir si la loi de vendémiaire est encore en vigueur ; je ne connais aucun texte de loi qui l’ait abrogée. Cependant je n’ai pas assez approfondi la matière pour pouvoir affirmer qu’elle ne l’ait pas été ; c’est une loi qui contient 101 articles, et celle de brumaire en contient 140 ; vous sentez que ce n’est pas l’affaire d’un moment que d’examiner des lois de cette étendue. Il serait nécessaire, je pense, de suspendre l’effet de l’arrêté, quant aux monnaies, en attendant que la question pût être examinée.

Quant à ce qu’a dit M. Fleussu, sur la force qu’il attache au rapport de la commission en matière de fausse monnaie, je vois que M. de Brouckere a eu parfaitement raison de le comparer à une expertise d’après laquelle le jury se décidera d’après l’impression que cet avis aura fait sur sa conviction, et sans qu’il puisse être lié en aucune manière par le rapport de la commission. Rien ne peut lier la conviction du jury ; il la forme comme il l’entend d’après les preuves du procès, et il sera toujours loisible à l’accusé, nonobstant le rapport, et pour le contredire, de faire entendre pour témoins les chimistes, dont le témoignage et les expertises serviront d’élément au jury pour asseoir son jugement.

M. Leclercq. - Je voudrais savoir si M. le ministre consent à suspendre l’arrêté.

M. le ministre des finances (M. Coghen). - Il m’est impossible d’y consentir et d’adhérer à l’amendement de M. d'Elhoungne. En 1831, il n’y avait pas de commission pour la garantie des matières d’or et d’argent : allouer des fonds comme en 1831 seulement, ce serait anéantir par le fait la commission. Je ne pourrais consentir à suspendre l’arrêté en ce qui concerne les monnaies.

M. Leclercq. - De la réponse de M. le ministre il résulte que nous sommes dans la nécessité d’allouer les fonds ou de les refuser. En allouant les crédits demandés, nous décidons que par un simple arrêté le Roi a le droit de nommer, d’instituer une commission des monnaies ; or, c’est un droit que je ne lis pas dans l’article 78 de la constitution qui dit : « Le Roi n’a d’autres pouvoirs que ceux que les attribuent formellement la constitution et les lois particulières portées en vertu de la constitution même. »

Qu’on me montre dans la constitution, ou dans une loi sur la matière, que le pouvoir exécutif a le droit de nommer les membres de la commission, ou plutôt d’instituer une commission des monnaies, et je passerai condamnation. Mais il n’en existe pas. L’administration des monnaies a été instituée par une loi du 22 vendémiaire an VI ; elle a été réglée et organisée par la loi de brumaire an VI ; mais cette dernière a été abrogée par la constitution de 1815 du royaume des Pays-Bas qui, par son article 201, a fondé une chambre des monnaies, en réglant et le mode de sa nomination et le mode de ses attributions. La loi de l’an IV ayant été abrogée aussi bien que la loi fondamentale de 1815, que reste-il de la chambre des monnaies ? Rien.

Force était bien d’organiser une commission pour la garantie des matières d’or et d’argent, et de déterminer ses attributions ; mais était-ce par un arrêté que cela devait être fait ? Non ; une loi seule pouvait le faire : l’article 78 de la constitution est formel. L’arrêté de décembre est donc inconstitutionnel. Il faut le dire, messieurs, car cette question est de la plus haute importance. Vous savez le mal que vous ont fait les arrêtés ; c’est pour être entré dans cette voie, et pour s’être obstiné à y demeurer, que le gouvernement déchu a jeté le pays dans l’abîme des révolutions.

M. Destouvelles. - Il me paraît, messieurs, que le préopinant a poussé son système un peu trop loin ; car il en résulterait que, depuis la révolution de 1830, nous sommes restés, en cette matière, dans une complète anarchie, et qu’il n’a plus existé de garantie pour les matières d’or et d’argent.

Je ne cacherai pas que je pense, comme un des honorables préopinants, qu’il eût été à désirer que l’arrêté n’eût pas été pris ; mais, pour inconstitutionnel, cet arrêté ne me le paraît pas. On dit qu’il a institué une commission pour régler les monnaies, et que le système monétaire ne peut être réglé que par une loi ; mais, messieurs, songez donc que la commission n’agira qu’après que vous aurez vous-mêmes fait la loi qui vous a été soumise et que vous êtes appelés à voter.

La seconde inconstitutionnalité vient, dit-on, de ce qu’elle aura une juridiction. Ici, je divise la question, et je l’examine sous le rapport de l’action criminelle et de l’action purement correctionnelle.

Il est clair que, pour le premier cas, le rapport de la commission en matière d’accusation de fausse monnaie ne fera que donner son avis, comme le feraient des experts ordinaires. Et de même qu’en matière civile les juges ne sont pas liés par l’expertise, qu’ils peuvent en ordonner une seconde, une troisième, et en définitive ne baser leur jugement sur aucune ; de même les jurés n’auront que l’égard qu’ils jugeront à propos à l’avis de la commission. Quant aux matières correctionnelles, que l’on ouvre la loi de brumaire an VI et on verra que lorsqu’il s’élève des difficultés entre les contrôleurs et les fabricants de matière d’or et d’argent, les tribunaux correctionnels viennent toujours se placer entre les parties.

M. Ch. de Brouckere. - Messieurs, je ne viens pas défendre l’arrêté de décembre. Je n’examinerai pas s’il est légal ou illégal ; il me serait difficile de prononcer à cet égard, je ne l’ai même pas lu. Mais, en supposant qu’on dût le considérer comme illégal, ce que je n’admets pas, je soutiens qu’il n’en faut pas moins allouer le crédit demandé. Il faut nécessairement une commission des monnaies. Si celle-ci avait été illégalement nommée, il en faudrait nommer une autre, et il est certain que, quand vous aurez rendu la loi sur le système monétaire, il faudra une commission pour la faire exécuter : donc au budget il faut ouvrir un crédit pour rétribuer les membres de cette commission.

On a argumenté de l’article 78 de la constitution, pour dire que le pouvoir exécutif n’avait pas le droit de nommer la commission ; mais je lis dans l’article 66 que le Roi nomme aux emplois d’administration générale et de relation extérieure, sauf les exceptions établies par la loi. Or, ces exceptions sont, jusqu’ici, la nomination des membres de la cour des comptes qui est attribuée à la chambre, et celle des juges qui se fait sur présentation.

Mais, dit-on, les lois de vendémiaire et de brumaire sont abrogées. Non, ni l’une ni l’autre ne l’ont été ; mais voici ce qui est arrivé ; jusqu’à la loi fondamentale de 1815, ces lois ont continué de rester en vigueur jusqu’à la loi de 1819, qui n’a supprimé ni l’une ni l’autre, et qui n’a fait que les modifier en certaines parties, notamment pour organiser l’intérieur des hôtels de monnaies. Mais les trois lois ont toujours marché de front.

La loi fondamentale ayant été abrogée, nous sommes-nous à l’instant trouvés sans loi ? Je ne le pense pas, et pour moi la question ne me semble difficile que sous un rapport, savoir jusqu’à quel point les parties abrogées par cette loi ont pu être remises en vigueur. A l’origine de la révolution, plusieurs accusations de fausse monnaie ayant été portées devant les cours, les procureurs-généraux ont renvoyé devant la commission des monnaies : il a bien fallu en instituer une. Du reste, tout ceci n’est que provisoire et sera réglé par une loi que vous êtes appelé à rendre ; en attendant, il est certain qu’il faut une commission, et qu’il est par conséquent nécessaire d’allouer le crédit demandé.

On entend encore M. Milcamps, M. Dumortier, M. Leclercq, M. le ministre des finances (M. Coghen) et M. Barthélemy, qui propose d’allouer le crédit, sauf à déclarer, en marge de la loi, que c’est sans rien préjuger sur la question des monnaies, et M. Gendebien, qui est d’avis que l’arrêté est inconstitutionnel, et que la loi de brumaire, abrogée par la loi fondamentale, n’a pas été remise virtuellement en vigueur par l’abrogation de cette dernière.

M. Destouvelles soutient que, la loi du 19 brumaire existant toujours, le Roi avait le droit de nommer les administrateurs des monnaies, et que par conséquent l’arrêté est régulier, puisqu’il a été portée en vertu de la loi ; et d’ailleurs, la proposition qu’a faite M. Barthélemy d’ajouter à l’article : « sans rien préjuger sur l’administration des monnaies, » conserve tous les droits à la chambre.

M. d’Elhoungne persiste à dire que ce n’est pas par un arrêté qu’il pouvait être pourvu à l’administration des monnaies, mais seulement par une loi. Il contient, comme M. Leclercq, que nous sommes sans loi en cette matière, ainsi que pour les mines. Quant à ce qui a été dit par M. le ministre des affaires étrangères, que la nouvelle loi qui interviendrait bientôt régulariserait l’arrêté ou bien en ferait cesser l’existence, l’orateur pense que la consécration de cet arrêté, bien loin de le régulariser, ne ferait que perpétuer l’abus qui a été commis.

Il incite la chambre à prendre garde au système des arrêtés, qui a été la cause de la révolution, et il pense que, si elle ne ferme pas l’issue déjà ouverte aujourd’hui, elle prépare pour l’avenir de nouvelles commotions. Sous ce rapport, ajoute-t-il, la question est extrêmement grave. J'ai été d’abord d’avis de l’accorder momentanément ; mais, d’après les développements présentés par M. Fleussu, je ne crois plus que cela soit possible. J’insiste pour l’adoption de mon amendement.

M. le ministre de la justice (M. Raikem). - Je crois, messieurs, que l’honorable M. Ch. de Brouckere a parfaitement présenté la situation. En effet, de quoi s’agit-il ? D’allouer une somme pour l’administration des monnaies. Or, comme il faut une administration des monnaies et que la loi de brumaire est encore en vigueur, force est bien d’avoir des fonctionnaires pour cette administration.

D’après la constitution, le Roi a le droit de battre monnaie en vertu de la loi. Ainsi cette loi peut bien régler son droit, mais elle ne peut pas le lui ôter. D’un autre côté, le Roi a le droit de nommer à tous les emplois d’administration générale ; eh bien ! il est reconnu que ceux des monnaies sont des emplois d’administration générale. Quelle critique peut-on donc élever contre cette nomination ?

On prétend que l’arrêté du mois de décembre est inconstitutionnel. Je ne le pense pas ; car, quoi qu’on en ait dit, la loi de brumaire existe encore pour les matières d’or et d’argent. Or, si elle existe, il faut bien qu’il y ait des autorités pour l’exécuter.

Mais c’est assez s’occuper de cette question ; nous devons nous attacher au budget qui, remarquez-le bien, a été présenté à la chambre avant qu’un arrêté ne fût rendu. Dans cette circonstance, il s’agit d’examiner s’il y a lieu ou non d’adopter l’allocation, et les questions qu’on a soulevées doivent être remises à la discussion de la loi monétaire.

- La discussion est close.

Il est donné lecture des amendements. Celui de M. d'Elhoungne est ainsi conçu : « Jusqu’à l’organisation de l’administration des monnaies, le ministre ne pourra disposer du crédit qu’en faveur des fonctionnaires et employés jusqu’ici attachés à l’hôtel des monnaies de Bruxelles, et seulement jusqu’à concurrence des traitements qui leur ont été accordés en 1831. »

Celui de M. Barthélemy consiste à ajouter à l’article en discussion : « sans rien préjuger sur l’administration des monnaies. »

M. Coppens demande l’appel nominal, et cinq membres le réclament avec lui.

M. Dumortier fait remarquer que, malgré son vif désir de voir adopter l’amendement de M. d'Elhoungne, il ne sait pas comment on pourrait le faire entrer dans le budget.

M. d’Elhoungne déclare retire sa proposition et se rallier à celle de M. Barthélemy.

M. Fleussu. - Mais l’amendement de M. Barthélemy ne signifie rien.

M. Barthélemy. - On voit dans toute espèce de lois des explications par accolade ; c’est ce qui se fait pour les douanes, et c’est ce que je propose de faire ici.

M. H. de Brouckere. - L’allocation sur laquelle nous allons voter fait partie d’une somme globale. Comment donc voulez-vous voter l’article entier avec cette restriction ? C’est impossible.

M. Destouvelles. - Je propose de rédiger ainsi l’amendement : « sans rien préjuger en ce qui concerne l’administration des monnaies. »

- L’amendement ainsi rédigé est mis aux voix et rejeté.

M. Fleussu fait ensuite la proposition de supprimer entièrement l’allocation.

On procède à l’appel nominal : 25 membres votent pour la suppression, et 37 contre.

M. Boucqueau de Villeraie et M. Dugniolle s’abstiennent : l’un parce qu’il déclare n’être pas suffisamment éclairé sur la question d’inconstitutionnalité, et l’autre parce qu’il n’a point pris part à la discussion.

En conséquence, la proposition de M. Fleussu est rejetée.

La réduction de 1,500 fl. proposée par M. Dumortier, est adoptée.

Article 2, paragraphe 10

On passe à l’article 10, relatif au salaire des huissiers, pour lequel il est demandé une somme de 12,500 fl. La section centrale propose de n’allouer que 10,000 fl.

M. le ministre des finances (M. Coghen) s’oppose à la diminution, par le motif qu’on a besoin d’un personnel nombreux, et que la moyenne des traitements des huissiers ne s’élève qu’à 457 fl.

M. d’Elhoungne, rapprochant cet objet de ce qui existe en France, trouve qu’en Belgique le nombre des employés et la quotité de leurs traitements sont bien supérieurs. En conséquence il vote pour la réduction de la section centrale.

- Elle est mise aux voix et adoptée.

L’allocation totale des dix paragraphes de l’article 2, s’élevant à 198,300 fl., est également adoptée.

La séance est levée à 4 heures.