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Chambre des représentants de Belgique
Séance du samedi 31 mars
1832
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre
2) Projet de loi portant le budget de l’Etat
pour l’exercice 1832 (département des finances). Remise de la discussion (de Muelenaere, Destouvelles,
de Theux) et proposition de démission déposée par le
ministre des finances (Coghen), personnel de
l’administration de la monnaie (Dumortier, de Muelenaere, A. Rodenbach,
Lebeau, Verdussen, Destouvelles, de Muelenaere)
3) Rapport sur des pétitions relatives,
notamment aux droits sur le lin (Pirmez), quorum
parlementaire (Dumortier, Lebeau)
(Moniteur belge n°93, du 2
avril 1832)
(Présidence de M. de Gerlache.)
La séance est
ouverte à une heure.
Après l’appel
nominal, M.
Dellafaille donne lecture du
procès-verbal ; il est adopté.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
M. Lebègue
analyse ensuite quelques pétitions, qui sont renvoyées à la commission.
Il est donné
lecture d’une lettre de M. Coghen,
par laquelle il informe la chambre qu’étant indisposé il ne peut se rendre à la
séance.
M. le président. - M. de Muelenaere n’étant pas préparé sur les articles qui doivent
être mis les premiers en discussion, nous sommes obligés de nous ajourner à
lundi. Cependant, comme il paraît que M.
Coghen a donné sa démission, il faut que la chambre discute si, malgré
cela, elle entend continuer lundi la délibération du budget des finances.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de
Muelenaere).
- Je ferai observer à M. le président que c’est seulement par suite d’une
indisposition grave que M. Coghen n’a pu se rendre à la séance ; mais, comme il
pourrait se faire qu’il ne pût encore assister à celle de lundi pour le même
motif, la chambre doit dire aujourd’hui si elle veut continuer lundi la
discussion des finances, afin que je fasse mon rapport au Roi, et que des
commissaires soient nommés pour soutenir ce budget.
M. Destouvelles propose d’interrompre momentanément la discussion du budget des
finances.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux) et plusieurs membres s’y opposent ; il retire sa
proposition.
Discussion des articles
Chapitre premier. - Administration centrale
M. Dumortier.
- Le premier article qui doit être mis en discussion est relatif au personnel
de la monnaie ; il me semble que M. de Muelenaere pourrait bien discuter cet
objet, qui est infiniment simple.
M. le ministre des affaires
étrangères (M. de Muelenaere). - Je ferai observer qu’il s’agit ici du service
intérieur du ministère, et qu’il me serait impossible de donner les
renseignements nécessaires.
M. A. Rodenbach. - Je demande le renvoi de la discussion à lundi,
d’autant plus que la question est très grave, quoi qu’en ait dit M. Dumortier ;
car je prétends que l’administration des monnaies a été organisée illégalement.
M.
Lebeau.
- Je ne m’opposerais pas à la remise à lundi, si le ministre des finances se
rendait ici ce jour-là ; mais, comme il ne viendra que des commissaires du Roi,
et que la présence de ces commissaires n’est pas nécessaire pour la discussion
de la question de droit dont vient de parler un de nos collègues, il me semble
que nous pourrions toujours commencer à discuter aujourd’hui cette question
préjudicielle, qui est en dehors de celle sur laquelle MM. les commissaires du
Roi devront nous fournir des renseignements.
M. Verdussen
appuie le renvoi à lundi.
M. Destouvelles fait remarquer qu’avant d’ouvrir la discussion sur la question
préjudicielle dont il s’agit, il faut consulter MM. les ministres s’il sont
prêts à la traiter.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de
Muelenaere).
- Vous devez penser, messieurs, que cette question a été plus mûrement examinée
par M. le ministre des finances que par nous. Toutefois cette question ne ne
paraît pas aussi importante qu’on l’a dit ; s’il s’agissait de l’examiner
aujourd’hui, je ne reculerais certainement pas ; mais, comme le département des
finances n’est pas représenté, il vaut mieux le remettre à lundi. (Appuyé !)
- La discussion du
budget des finances est ajournée à lundi.
RAPPORTS SUR DES PETITIONS
La chambre décide
ensuite qu’elle entendra le rapport des pétitions ; la séance est suspendue
pendant un quart d’heure pour donner le temps à MM. les rapporteurs d’aller
chercher leurs pièces.
Un quart d’heure
après, la séance est reprise.
________________
Sur le rapport de M. Milcamps,
la chambre ordonne le dépôt au bureau des renseignements des pétitions :
« 1° Des
sieurs Armand et Augustin Lardinois, à Marchienne-au-Pont, qui signalent une
prétendue lacune dans la loi sur la garde civique. »
« 2° Du sieur
A.-J. Choter, ex-professeur de syntaxe au collège de Grammont, qui demande de
continuer à jouir de l’indemnité annuelle de 300 fl. à lui accordée par le
régent. »
« 3° Du
conseil de régence de la ville de Liége, qui demande que, dans la loi nouvelle
sur l’instruction, l’université de Liége soit maintenue. » (Cette pétition
est en outre renvoyée au ministre de l’intérieur.)
« 4° Et de la
régence de Malines, qui demande pour cette ville, lors de la nouvelle
organisation judiciaire, le siège de la cour de cassation, et subsidiairement,
au cas que le premier objet de sa demande ne lui soit pas accordé,
l’établissement dans cette ville d’une cour d’appel ou d’une cour
criminelle. » (Cette dernière pétition est aussi renvoyée à la section
centrale.)
________________
Le renvoi au
ministre de l’intérieur de celles :
« 1° Des
administrations communales et d’un grand nombre d’habitants des communes de
Promée, Wallin et Saint-Hubert, qui s’élèvent contre le projet de route vers
Neufchâteau, en passant par Celle et Vigée, et demande que la route passe par
Beauraing et Lomprez. »
« 2° Et de
trois habitants de Courtrai, qui demandent que la chambre prenne une
disposition qui envisage tous les enrôlés volontaires dans la garde civique,
faisant partie de la levée de 1832 pour la milice, comme ceux dont parle le
troisième alinéa de l’article 94 de la loi du 8 janvier 1817. » (Cette
pétition sera, en outre, déposée au bureau des renseignements.)
_________________
Le renvoi au
ministre des finances de celles :
« 1° Du sieur
J. Blavion, fermier de barrières à Mons, qui demande que la chambre revienne
sur la décision qu’elle a prise sur sa pétition au dernier rapport, et que,
faisant droit aux conclusions de la commission, elle en ordonne le renvoi au
ministre des finances. »
« 2° Du sieur
F. Dortant, à Ostende, qui réclame contre la mesure prise par l’administration
des finances au sujet des leges. » (Cette dernière pétition est, en outre,
renvoyée au bureau des renseignements.)
_________________
Et le renvoi au
ministre de la guerre de celles :
« 1° Des
gardes civiques du canton de Lessines, qui se plaignent d’avoir été incorporés
dans le bataillon du canton d’Ath, et en demandent leur séparation. »
« 2° Et des
officiers, sous-officiers et soldats de la garde civique du bataillon du canton
de Herzeele, qui demandent le paiement de onze jours de solde, pour service
fait en 1831. »
________________
Enfin la chambre
passe à l’ordre du jour sur celles :
« 1° Du sieur
J.F. Van Halen, à Bruxelles, qui signale la société générale des Pays-Bas comme
ne payant pas de contribution foncière pour ses biens, et n’ayant participé à
aucun des deux emprunts. »
« 2° Et du
sieur Th. Vreucop, adjudant-major au troisième bataillon de la garde civique de
Virton, qui demande 1° un diplôme pour les officiers de la garde civique ; 2°
un règlement fixant les attributions des divers grades de la garde
civique. »
Ensuite, M. Milcamps
fait le rapport d’une pétition de 13 propriétaires-cultivateurs de lin à
Saint-Amand, qui réclament contre toute augmentation du droit de sortie sur les
lins. Il conclut au renvoi à la commission d’industrie et aux ministres de
l’intérieur et des finances.
M. Pirmez. - Messieurs, plusieurs discours ont été prononcés
sur l’importante question des lins et des toiles. Ils proclament des opinions
et des doctrines entièrement contraires aux miennes ; je demande de pouvoir les
combattre en vous soumettant quelques observations sur le rapport de la
commission d’industrie, dont vous avez ordonné l’impression, et je dirai en
même temps quel est, en matière de commerce, le système que doit suivre le
gouvernement.
Les conclusions de
la commission sont complexes ; elles doivent être appuyées sur certains points
et combattues sur d’autres.
Elle propose le
rejet des demandes qui, dans l’intérêt des tisserands, tendent à obtenir un
monopole sur tout le lin que produit la Belgique. Vous ne pouvez vous
dispenser, messieurs, d’adopter ces conclusions ; car le droit dont vous
frapperez le lin à la sortie ne favoriserait pas les tisserands, et cette
mesure serait funeste aux cultivateurs, classe de citoyens également
recommandable, également digne de la protection des lois.
Selon un grand
nombre de pétitionnaires, l’effet d’un droit à la sortie serait la baisse du
prix du lin, qui nous mettrait à même de vendre de la toile à meilleur marché
et d’en exporter davantage, Les pétitionnaires sont dans l’erreur ; le prix du
lin ne baisserait pas.
En effet,
messieurs, le cultivateur n’est pas obligé de semer du lin. Il est des produits
dont il peut tirer un profit égal, ou plus grand ; les fais le prouvent,
puisque plus de la moitié de nos terres ne sont point ensemencées de lin,
lorsqu’elles peuvent l’être.
Si, par l’effet de
la mesure qu’on vous demande, la culture du lin devient moins avantageuse,
pense-t-on que le fermier s’obstinera à lui donner le même développement ?
N’est-il pas évident, au contraire, qu’il diminuera le nombre de ses terres
destinées à produire cette plante, en raison du désavantage résultant pour lui
du droit à la sortie ?
Et cette réduction
dans la culture du lin ne réagira-t-elle pas à son tour sur le prix de cette
denrée, qui se vendra d’autant plus cher qu’elle sera plus rare ? Quoi que vous
fassiez, après avoir tourné dans ce cercle, vous arriverez au point de départ ;
le droit à la sortie aura trompé l’attente des pétitionnaires.
Mais, messieurs,
la Belgique n’est pas le seul pays propre à produire le lin. Des essais récents
et nombreux ont prouvé qu’il peut se cultiver avec succès dans diverses
provinces du royaume où l’on regardait la chose comme impossible : rien
n’empêche que les étrangers qui sont nos tributaires (pour parler le langage du
système prohibitif), excités par l’exemple, ne se livrent aux mêmes essais et
ne s’affranchissent pour toujours. Car le droit à la sortie, je vous prie de le
remarquer, en faisant hausser le prix du lin dans les pays voisins, est une
prime d’encouragement que nous payons aux cultivateurs étrangers aux dépens des
cultivateurs indigènes. Cette vérité est palpable. C’est dans l’intérêt de la
Flandre qu’on réclame cette mesure, et c’est précisément dans l’intérêt de la
Flandre, province essentiellement agricole, qu’on devrait la repousser.
Puisque le droit
qu’on vous demande ne favorise personne et nuit à une industrie importante, ces
demandes doivent être écartées.
La commission
demande un droit de 6 p. c. sur les toiles étrangères. Je repousse de toutes
mes forces cette partie de ses conclusions. Je n’attache pas cependant une
grande importance au cas particulier dont il s’agit, car ce droit est léger ;
mais ce serait faire un pas de plus dans le système prohibitif, précédent que
je regarde comme dangereux.
La mesure proposée
par la majorité de la commission me paraît incompréhensible, non seulement à
cause des hautes lumières qui distinguent les membres qui la composent, mais
parce que c’est au sein de la commission que le système prohibitif se présente
chaque jour avec ses contradictions et ses inconséquences.
S’il m’était
permis de vous lire quelques-unes des nombreuses pétitions renvoyées à votre
commission d’industrie, il n’est point de préjugé enraciné, de vieux système
jusqu’ici rebelle à la réflexion et à l’examen, qui ne fût forcé de se rendre à
l’évidence des faits. Toutes ces pétitions ont l’intérêt général pour but ;
car, dans ces temps d’abnégation, l’intérêt général est l’unique mobile de
toutes nos démarches. Ici c’est le fileur et le tisserand qui vous conjurent,
au nom de la prospérité du pays, l’un d’établir sur le lin, et l’autre sur le
lin et le fil, un droit à la sortie. Là, c’est le blanchisseur, au contraire,
qui demande que vous défendiez l’exportation du fil et des toiles écrues.
Ailleurs, ce sont d’autres industries qui, tout en se proclamant la pierre
angulaire de l’édifice commercial, exigent, pour se soutenir elles-mêmes, un
privilège nécessairement éversif d’une industrie voisine. Quel esprit fasciné
se refuserait encore à voir le caractère manifeste de l’erreur dans ces
contradictions, sur lesquelles repose toute la doctrine du monopole ?
Et puis,
messieurs, la lecture des pétitions vous jetterait dans une grande perplexité.
Entre les intérêts rivaux qu’elles vous montrent se heurtant de mille manières,
lesquels protégeriez-vous ? lesquels abandonneriez-vous ? Ne cherchez point les
titres de préférence, des raisons meilleurs dans les unes que dans les autres ;
elles vous offrent toutes les mêmes raisons, ou plutôt les mêmes mots, les
mêmes vieilles formules regardées comme sacramentelles par tout demandeur de
privilèges ; par exemple, « industrie nationale, » « produits de
notre sol, » « tribut payé à l’étranger, » « matière
première, » « exportation du numéraire. » Hors de là les
pétitions ne contiennent rien, si toutefois des mots vides de sens sont
quelques chose.
Leur simple
énonciation en est la réfutation la plus complète. Cependant cette exclamation
lamentable : « Notre numéraire ira en Angleterre, » a retenti
plusieurs fois dans cette salle. Notre numéraire ira en Angleterre ! Mais où
dont est le mal ? La richesse consiste-t-elle uniquement dans l’abondance du
numéraire, et une nation s’appauvrit-elle lorsque, pour son numéraire, elle
reçoit des choses au moins équivalentes ? Qu’on se tranquillise cependant ; le
numéraire, objet d’une si vive sollicitude, ne nous quittera pas. Et, pour
établir cette vérité, je n’irai point m’ingénier pour montrer, à qui ferme les
yeux, que le commerce extérieur est un échange de produits contre des produits.
Cette doctrine, datant tout au plus d’un demi-siècle, est condamnée au tribunal
de la routine comme convaincu de nouveauté, crime dont n’absolvent point les
meilleures raisons. Je demanderai seulement ce que notre numéraire ira faire en
Angleterre où il n’a point cours ; car enfin, puisque les Anglais s’en montrent
avides, encore faut-il qu’ils le trouvent bon à quelque chose.
Messieurs, dans cette
lutte des intérêts opposés à laquelle les pétitions servent d’arène, vous ne
voyez paraître ni les consommateurs, ni les marchands en détail. On dirait que
ce ne sont point leurs dépouilles que se disputent les combattants, ou bien
que, habitués et résignés à l’injustice, ils n’attendent pas encore leur
affranchissement de cette époque de liberté. Cependant, le droit d’entrée, la
prime d’exportation, c’est le consommateur qui les paie ; c’est le consommateur
que l’on prive souvent du nécessaire, pour enrichir telle ou telle classe de
privilégiés. Si par une mesure favorable au producteur du lin, du fil ou de la
toile, vous faisiez hausser du double le prix de cette dernière denrée, des
milliers d’individus ne pourraient se procurer qu’une chemise au lieu de deux.
Cette mesure ferait tort au marchand en détail, dont le débit diminuerait dans
la même proportion. Je défie que l’on nomme une espèce de produits dont on ne
puisse dire la même chose.
Ordinairement les pétitionnaires
sont peu embarrassés pour le taux de la prime ou du droit ; ils le fixent
d’emblée à 20, 30, 40 p. c. du reste, point de calcul, point de chiffres pour
étayer leurs prétentions. Dans cette matière qui a l’arbitraire pour base, tout
doit être arbitraire ; et les pétitionnaires sont conséquents ; car, si l’on
admet que le bien général résulte du monopole, on aurait mauvaise grâce à se
disputer avec le fabricant sur le nombre d’écus destinés à produire le bien
général dans sa caisse.
Les tisserands, en
faveur desquels la commission demande une augmentation de droits sur les toiles
étrangères, sont malheureux, je le sais ; et à ce titre ils méritent la
bienveillance de la chambre. Si les faveurs du système prohibitif n’étaient
point funestes à d’autres, je ne viendrais point sans doute, proclamant des
principes inhumains dans leur rigidité, arrêter la main du gouvernement prêt à
s’étendre sur cette classe honnête et laborieuse. Mais, messieurs, j’ai prouvé
que vous forceriez d’autres malheureux, qui déjà soutiennent par leurs
privations tant d’industries, à contribuer à ce nouveau bienfait. La toile
n’est pas de ces choses superflues réservées au riche ; le vêtement est
nécessaire au pauvre comme le pain.
Vous ne pouvez,
d’ailleurs, messieurs, vous enfoncer davantage dans le régime prohibitif sans
compliquer notre situation déjà si embarrassée. Pourquoi renforceriez-vous les
liens qui de toutes parts enlacent le commerce et l’industrie, lorsque tous vos
efforts doivent tendre à les rompre ? Maintenant vous êtes assiégés de
pétitions ayant pour objet l’augmentation des droits. Quand vous voudriez
revenir vers le système libéral, ce sera bien une autre obsession. On se
prévaudra de vos faveurs d’aujourd’hui, qui auront créé ou développé certaines
industries ; on invoquera des droits acquis, et vous expérimenterez alors qu’il
est encore plus difficile de reprendre que de ne point donner.
Pour s’éclairer en
matière d’économie politique, les gouvernements ont coutume de nommer des
commissions d’industrie, des chambres de commerce composées, en majorité, de
grands industriels, et d’agir en tout conformément à l’avis de ces conseils.
Messieurs, s’il est une pensée malheureuse, une pensée fatale au bien-être du
plus grand nombre, c’est celle de mettre le commerce, pour ainsi dire, à la
merci de l’aristocratie industrielle. Les gouvernements, s’ils veulent
s’éclairer, n’ont-ils pas la voie de la publicité pour consulter la nation
entière ? Ne devraient-ils pas appeler sur ces importantes questions les
lumières de la presse, organe de tous les intérêts, au lieu de s’adresser à
quelques intérêts seulement ? Sans doute les membres de ces commissions sont
presque toujours choisis parmi les citoyens que recommandent des vues pures et
désintéressées, que distingue un grand amour du bien public ; mais que peut
l’amour du bien public contre les préjugés sucés avec le lait, contre les
doctrines que l’on a défendues toute sa vie, et que, dans chaque question qui
se présente, on semble, par une mission expresse, être appelé à défendre encore
?
Tous les intérêts
et toutes les lumières ne convergent point nécessairement vers les sommités
sociales. La féodalité, régime impie qui faisait deux sortes d’hommes
existerait encore, si les seigneurs eussent été appelés à décider de son sort.
Le système prohibitif est semblable à la féodalité ; il a ses seigneurs et sa
gent taillable et corvéable. Ce n’est que lorsque tous les intérêts seront
écoutés qu’il tombera.
Déjà les journaux
attaquent le monopole avec un talent remarquable et avec une profonde
conviction, ce qui vaut mieux encore. Le monopole n’ose paraître dans cette
lice pour se défendre. Comme tout ce qui est mauvais, il craint le grand jour.
Il a raison de ne point fournir des armes à ses ennemis. Vous avez vu qu’il
suffit de quelques pétitions prises au hasard pour le montrer en contradiction
flagrante avec lui-même.
Cependant,
messieurs, il trouva des apologistes dans cette chambre, lorsque dernièrement
j’élevai la voix pour une industrie que dévore une autre industrie. Ces honorables
membres, dans leur disette de raisons, se retranchèrent dans ce qu’on veut bien
appeler la logique des faits. Ils vous montrèrent le système prohibitif
enrichissant la France et l’Angleterre. Mais où voyez-vous, de grâce, que ce
n’est pas plutôt malgré le régime prohibitif que la France et l’Angleterre se
sont enrichies, et qu’elles ne possédaient point des causes de prospérité
supérieures qui neutralisassent cette cause de ruine ? L’Angleterre impose ses
produits à la pointe de l’épée à cent millions de consommateurs, et nous qui
n’avons pas une seule colonie, pas un seul vaisseau, nous prétendrons nous
régler sur cette dominatrice des mers ! Et quand à la France, qu’est devenue
cette prospérité tant vantée ? En trouvez-vous des indices peut-être dans ces
émeutes de Grenoble, de Nîmes et tant d’autres villes, où la misère livre des
milliers d’ouvriers sans travail au premier agitateur qui les paie ? En
trouvez-vous des indices dans ces doctrines nouvelles qui, empruntant à la fois
les diverses formes de la politique, de la philosophie et de la religion,
menacent l’ordre social d’une dissolution prochaine en déclarant une guerre à
mort à la prospérité qui en est la base ?
Vous ne parlez pas
de l’Espagne ! Voilà le type, le beau idéal du régime prohibitif. L’Espagne
possède un sol fertile, des ports excellents sur deux mers : pendant plus de
trois siècles, des monceaux d’or et d’argent y furent apportés du Nouveau-Monde
; et l’Espagne, dénuée de tout, en est réduite, pour conserver quelques
parcelles de ces riches métaux, à prohiber niaisement la sortie du numéraire,
comme si elle pouvait nourrir et vêtir de numéraire les mendiants qui pullulent
chez elle. Vous ne parlez pas non plus de la Hollande, à laquelle la nature a
tout refusé, et que la liberté du commerce porta à un degré de puissance inouï
dans les fastes des nations ; de la Hollande, que des revers sans exemple
eussent ruinée, si ses ressources n’étaient inépuisables ; de la Hollande, dont
la population est moins nombreuse, moins énergique que la nôtre, et qui
entretient cependant, depuis un an et demi, plus de cent mille hommes sur nos
frontières. Vous ne parlez ni de l’Espagne, ni de la Hollande, et elles vous
offraient les deux régimes presque dans leur pureté native.
A ces principes,
auxquels tout le monde n’est point accoutumé, on croira voir en moi un adepte
fanatique, capable de tout sacrifier au triomphe de ses doctrines. On se
tromperait grandement, messieurs. Je suis profondément convaincu que le
monopole est un mal dont souffre la société entière ; j’en suis convaincu pour
les raisons que vous venez d’entendre, et pour un bien plus grand nombre
d’autres que je n’aurais pu énoncer sans abuser de vos moments qui sont
précieux. Cependant, si quelqu’un proposait de passer tout d’un coup au régime
d’une liberté absolue, je serais le premier à m’y opposer. Cette transition
brusque jetterait dans la misère et la désolation plusieurs classes de
citoyens, dont toutes les ressources découlent du monopole. L’augmentation de
la fortune publique, résultat infaillible d’une pareille
mesure, serait achetée trop cher si elle amenait la ruine de tant de familles.
Nous devons nous acheminer vers le régime libéral lentement, par degrés et
d’une manière uniforme pour tous les produits, afin de donner aux capitaux
détournées leur cours naturel. Je déposerai plus tard une proposition dans ce
but. En attendant, je voterai contre tous les nouveaux privilèges, sous quelque
forme qu’ils se présentent.
M. le président fait remarquer qu’on ne se trouve plus en nombre, et
que par conséquent aucune décision ne peut être prise sur la pétition.
M. Dumortier.
- Mais M. Pirmez, répondant à des orateurs qui ont parlé il y a un mois, vient d’émettre
des principes sur lesquels il doit leur être permis de répliquer.
M. le président. - Vous avez déjà décidé que vous ne pouviez délibérer quand vous
n’étiez pas en nombre.
M. Lebeau. - L’observation de M. le président est parfaitement
exacte, mais il me semble qu’elle aurait dû être faite dans le commencement.
M. le président. - Mais nous étions 56 au commencement ; ce n’est qu’ensuite que
plusieurs membres sont sortis de la salle.
- On demande
l’appel nominal : 47 membres seulement sont présents.
En conséquence, la
séance est renvoyée à lundi et levée à 2 heures.
Noms des membres
qui n’ont pas répondu au dernier appel nominal :MM. Angillis, Barthélemy, Boucqueau,
Bourgeois, Cols, H. de Brouckere, Ch. De Brouckere, de Foere, de Haerne,
d’Elhoungne, de Nef, de Sécus, Destouvelles, Dewitte, Domis, Dumont, Fallon,
Gelders, Gendebien, Goblet, Helias d’Huddeghem, Jacques, Jaminé, Legrelle,
Nothomb, Osy, Pirson, Polfvliet, Raymaeckers, de Tiecken de Terhove, Van
Meenen, Verhaegen, Ch. Vilain XIIII.