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Chambres des représentants de Belgique
Séance du lundi 27 février 1832

(Moniteur belge n°60, du 29 février 1832)

(Présidence de M. de Gerlache.)

La séance est ouverte à midi et demi.

Appel nominal et lecture du procès-verbal

Après l’appel nominal, le procès-verbal est lu et adopté.

Pièces adressées à la chambre

M. Lebègue analyse ensuite quelques pétitions, qui sont renvoyées à la commission.

Proposition visant à instituer un projet de loi organisant la responsabilité ministérielle

Développements

M. le président. - L’ordre du jour appelle les développements de la proposition de M. Vanderbelen sur la responsabilité ministérielle.

M. Vanderbelen. - Messieurs, peu de mots suffiront pour démontrer la nécessité et même l’urgence de lois sur la responsabilité des ministres et des autres agents du pouvoir.

Par opposition au chef de l’Etat (au Roi), dont la personne est inviolable, les ministres doivent, par une conséquence inévitable, répondre corporellement et pécuniairement de leurs faits, actes et gestion : qu’il y ait dol, faute ou négligence ; qu’il y ait crime, délit ou simple lésion, la responsabilité n’existerait pas entière si les ministres et autres agents du pouvoir pouvaient les commettre ou les pratiquer impunément.

Non pas que nous croyions que, jusqu’à ce que la loi règlementaire existe, les ministres et autres agents soient inatteignibles et impunissables : l’article 134 de la constitution établit le contraire en ce qui concerne les peines, et les principes généraux sont là pour ce qui regarde les réparations civiles ; mais il n’en est pas moins vrai que, tant qu’une loi spéciale ne règlera pas la matière, l’Etat en souffrira en ce que les gouvernants et les gouvernés peuvent se former, de part et d’autre, des idées toutes différentes sur les cas de responsabilité.

Une fois la loi confectionnée, chacune des deux parties, le code à la main, pourra en parler ou s’imposer silence ; les attaques contre les répliques sur cette matière sont rares, et ce sera beaucoup gagné pour l’union et la concorde qui doivent dominer et diriger tous les Belges, s’ils veulent que la nation soit forte.

Plus loin. A défaut de loi, chaque cas subira une marche et une procédure différente, qu’il faudrait chaque fois régler.

C’en est assez pour faire sentir la nécessité que la loi porte sur la forme comme sur le fond.

Des particuliers peuvent y entrer pour des torts dont ils prétendraient devoir être dédommagés. Le mode de procéder pour eux devra donc y être déterminé.

Enfin, la vindicte publique, qui ne se contente pas toujours de dédommagement, exige des punitions, et ceux-là même qui ont à les redouter, ont intérêt à ce que les cas punissables et les peines soient précisés ; ils ne sauraient sérieusement préférer le pouvoir discrétionnaire de l’article 134 de la constitution, qu’il est de l’intérêt de tous de faire cesser au plus tôt.

C’est tout préoccupé de l’idée des difficultés que présente la matière, que j’ai proposé la marche qui me paraît convenir à tout ce qui est grand et ardu.

Il s’agira de plus que d’imiter, il faudra créer : la France, successivement républicaine, consulaire, impériale et royale, ne nous offre que des dispositions éparses, des lois incomplètes, donnant lieu à des discussions interminables.

En suivant la marche que j’ai l’honneur de proposer, le projet pourra avoir une certaine perfection avant d’être soumis à la discussion publique, ce qui me paraît devoir répondre aux désirs de la chambre, dans l’intérêt bien entendu de la nation qu’elle représente avec le sénat.

- Cette proposition étant appuyée par cinq membres, la discussion sur la prise en considération est ouverte immédiatement.

M. Mary s’oppose à la prise en considération par le motif que, si chacun est d’accord sur la responsabilité ministérielle, ce n’était pas une proposition de nommer une commission qu’il fallait faire, mais un projet de loi. Il ajoute que ce n’est pas le moment de s’occuper de cette proposition, aujourd’hui que la chambre est surchargée de travaux de la plus grande urgence.

M. H. de Brouckere. - Je dirai, en outre, que cette proposition est tout à fait insolite. Si nous l’adoptions, il n’y aurait pas de raison pour que dans quinze jours on ne nous soumît vingt demandes pareilles de nomination de commission.

- La chambre, consultée, décide qu’elle ne prend pas en considération la proposition de M. Vanderbelen.

Proposition de loi relative au jury d'assises

Discussion générale

La suite de l’ordre du jour est la discussion de la proposition de M. Devaux sur le jury.

Il est donné une seconde lecture du projet.

M. le président. - Avant de commencer la discussion générale, je crois à propos de lire à la chambre l’amendement que propose M. Destouvelles. Il est ainsi conçu :

« Article additionnel destiné à devenir l’article premier. Les gouverneurs formeront annuellement la liste générale des citoyens qui, par l’article 2 de la loi du 19 juillet 1831, sont appelés à remplir les fonctions de jurés.

« Art. 2. Cette liste sera réduite à 300 par la députation permanente des conseils provinciaux.

« Art. 3. (Le remplacer par l’article premier du projet.)

« Art. 4. Pour chaque série et sur la liste réduite en conformité de l’article 2, le président du tribunal de première instance, etc., comme à l’article 2. »

M. Gendebien présente un amendement en ces termes :

« Art. 1er. La tenue des assisses aura lieu tous les mois, et plus souvent, si le besoin l’exige.

« Art. 2. Les assises s’ouvriront le premier mardi de chaque mois.

« Art. 3. L’indemnité allouée aux présidents des cours d’assises est réduite au tiers pour chaque tenue mensuelle.

« Art. 4. Les jurés pourront réclamer une indemnité de 1 florin 50 cents par chaque jour d’audience, pourvu qu’ils aient répondu à l’appel. Cette indemnité sera payée comme frais urgents sur le mandat du président de la cour d’assises.

« Art. 5. Les lois et décrets antérieurs sont abrogés, en ce qu’ils ont de contraire à la présente loi. »

La discussion est ouverte sur l’ensemble de la loi.

M. Liedts. - Je suis étonné que personne ne se soit aperçu des difficultés que présenterait l’exécution d’une loi faite dans le sens du projet qui nous est soumis. En effet, l’article premier porte que les présidents des cours d’assises pourront diviser les affaires criminelles en plusieurs séries. Mais souvent, quand les assises s’ouvrent, il n’y a encore que deux ou trois renvois, et elles continuent à mesure que de nouveaux renvois parviennent à la cour. Or, comment les présidents pourront-ils diviser en série des affaires qu’ils ne connaîtront pas encore ? Je demande que la commission s’explique sur le moyen de concilier le projet avec ce qui se pratique aujourd’hui.

M. Jaminé pense également qu’il serait impossible à un président de cour d’assises, qui s’ouvrirait aujourd’hui, de diviser dès à présent les affaires.

M. Devaux. - Quelques mots suffiront pour démontrer la facilité d’exécution du projet et faire cesser l’erreur des préopinants. Elle provient de ce qu’ils croient que les différentes séries de jurés seront tirées toutes à la fois, tandis que dans mon sens on tirera la première liste de jurés pour juger les affaires parvenues ; et plus tard, quand d’autres seront arrivées, on tirera la seconde liste, et ainsi de suite. D’ailleurs, je dois déclarer à la chambre que plusieurs personnes très habiles à traiter les matières criminelles, et notamment des membres des cours de Bruxelles, ont été consultés par la commission, et ils n’ont trouvé aucune difficulté à l’exécution du projet.

M. Destouvelles. - L’un des principes les plus vicieux qui existent dans le décret du 19 juillet 1831, c’est sans contredit le tirage au sort des jurés. Vous le savez, messieurs, toute personne qui paie le cens a le droit d’être juré, et, comme ce sens n’est pas très élevé, il en résulte que le hasard, dans les 3,000 noms qui sont inscrits sur la liste, peut amener ceux de gens inhabiles à remplir d’aussi importantes fonctions et même tout à fait inaptes. Les amendements qui ont dénaturé le projet qui a servi de base au décret du 19 juillet 1831 ont été proposés sous l’influence des réclamations qui s’élevaient contre la législation impériale ; mais il en résulte évidemment de grands abus, et ce sont ces abus que j’ai eu en vue de faire cesser. Je propose que les députations permanentes, composées de magistrats élus par le peuple, réduisent la liste des jurés au nombre de 300 seulement, qui seront choisis comme les plus capables. Les assises du Limbourg de décembre dernier ont mis à jour les abus dont je demande la réformation. Le sort a appelé des habitants de la campagne qui ne savaient pas même la langue française. Je crois que vous ne refuserez pas d’admettre une mesure qui contribuera surtout à la bonne administration de la justice.

M. Gendebien. - Le but de l’honorable M. Devaux était d’alléger les charges des jurés ; c’est aussi mon intention ; mais il est un autre motif qui m’a guidé, celui de retenir moins longtemps les prévenus en prison. Mon amendement, en fixant l’ouverture des assises au premier de chaque mois, présente le double avantage de laisser à chaque session un moins grand nombre d’affaires à juger et d’abréger la détention des prévenus. Cependant, comme je ne connais pas bien la législation criminelle, je suis prêt à me rendre aux objections judicieuses que l’on pourrait faire contre le système que je propose.

M. H. de Brouckere. - Il est constant que la loi sur le jury, qui nous régit actuellement, est entachée de vices nombreux ; et cela vient, je pense, de la précipitation avec laquelle elle a été faite.

L’orateur démontre que la base sur laquelle repose le cens qui donne le droit d’être juré est vicieuse, et il appuie cette observation de la différence de quotité qui existe entre les localités, par exemple, entre la province d’Anvers et celle du Hainaut.

Je voudrais, ajoute-t-il, que l’on s’occupât de décider en même temps plusieurs questions importantes, et entre autres celle de savoir si les cours doivent se composer de 5 juges ou bien de six ; car la cour de cassation ne s’est pas encore prononcée à cet égard.

Il est encore une autre question que je voudrais voir résolue ; elle est relative aux contumaces. La constitution porte : « Le jury sera établi en toutes matières criminelles ; » cependant il y a une exception pour les contumaces. Par les renseignements qui nous sont parvenus, à M. Leclercq et à moi, nous avons appris que jusqu’alors on n’a pas jugé de contumaces, dans le doute où l’on se trouvait sur le point de savoir si leur procès devait être porté devant le jury.

Par tous ces motifs, et les considérations qu’ont fait valoir MM. Destouvelles et Gendebien, je demande que le projet et les amendements soient renvoyés à la commission, à l’effet par elle de nous présenter un travail complet.

M. Bourgeois prononce quelques mots pour annoncer qu’il a l’intention de parler sur l’amendement de M. Destouvelles.

M. Leclercq. - Je demande la parole. M. H. de Brouckere vient de faire une motion d’ordre qui tend à suspendre la discussion ; il me semble que M. le président devrait la mettre aux voix.

M. Devaux. - La motion d’ordre de M. H. de Brouckere est fondée sur ce que ma proposition est incomplète. C’est ce que j’ai dit moi-même, messieurs ; et, en effet, elle devait l’être. J’avais préparé un projet de loi beaucoup plus large ; mais, réfléchissant que son examen et sa délibération exigeraient un espace de temps considérable et empêcheraient les jurés de jouir du bienfait des améliorations avant une époque très éloignée d’ici, je me suis borné à proposer une mesure reconnue indispensable par tout le monde, et ayant pour effet d’alléger les charges trop lourdes qui pèsent sur eux. Si l’on renvoyait le projet à une commission, nous n’aurions pas son rapport avant la fin de la semaine, et le sénat ne serait peut-être plus assemblé, ce qui empêcherait que la loi fût votée à temps pour les assises prochaines ; et c’est cependant dans ce but que j’ai restreint ma proposition. Tout le monde reconnaît l’injustice dont sont victimes les jurés ; je pense que la chambre ne voudra pas tarder plus longtemps à la faire cesser. Je demande donc que la discussion continue.

M. Destouvelles. - Les prochaines assises s’ouvrent à une époque si rapprochée, que je doute, dans tous les cas, que la loi soit votée dans un délai suffisant. Je ne vois donc pas d’inconvénient à renvoyer le projet à la commission, qui nous mettra à même d’introduire de grandes améliorations dans le jury pour le deuxième trimestre.

M. de Robaulx explique qu’au sein de la commission, il a demandé s’il s’agissait de la révision de la loi du jury, et qu’on lui a répondu : Non, ce serait trop long ; il ne s’agit aujourd’hui que de faire cesser un abus senti par tous. Dès lors, on ne peut pas supposer que la commission n’a pas fait son devoir.

M. H. de Brouckere. - Je n’ai pas dit cela non plus.

M. de Robaulx. - Non, vous ne l’avez pas dit ; mais je dois justifier la commission pour le cas où l’on ferait cette supposition.

L’orateur pense que, s’il ne s’élève aucune objection contre le système de l’honorable M. Gendebien, on pourrait l’admettre dès aujourd’hui, sauf à adopter plus tard l’amendement de M. Destouvelles, qui doit être mûri et médité parce qu’il touche un objet de la plus haute importance.

M. Destouvelles s’étonne que l’on dise que le besoin le plus pressant c’est de faire cesser les charges qui pèsent sur les jurés ; il est, selon lui, un autre point plus important encore, c’est de composer le jury de manière à ce que la justice soit bien rendue. Il pense que le temps n’est pas loin où l’institution du jury sera tellement fondue avec nos mœurs, qu’on n’en regardera plus les fonctions comme une charge, mais comme un honneur. Il insiste pour le renvoi à la commission.

M. Devaux. - Les premières assises de Bruxelles ne s’ouvriront pas avant le 10 mars. Ainsi, rien n’empêcherait que le projet fût voté avant. Je conviens avec M. Destouvelles qu’il y a de grandes améliorations à faire dans le personnel du jury ; mais, d’après les renseignements qui me sont parvenus, ses arrêts ont été toujours approuvés par les magistrats. Je ferai remarquer, en outre, qu’il faut surtout éviter de déconsidérer cette institution. Rien n’empêche que l’amendement de M. Destouvelles et celui de M. Gendebien ne soient l’objet d’un second projet de loi ; mais pourquoi ne pas adopter, dès aujourd’hui, une amélioration que tout le monde désire ?

M. Jullien pense que l’amendement de M. Gendebien paralyserait la marche de l’administration judiciaire ; il désire que l’on n’improvise pas des lois qui jetteraient la perturbation dans la législation criminelle, et il suffirait, selon lui, de dire, pour ne pas distraire trop longtemps les jurés de leurs affaires, que les assises ne dureront pas plus de 15 jours.

M. Gendebien s’attache à justifier son amendement, et dit que le remède que propose M. Jullien serait pire que le mal ; car s’il faut six semaines pour juger toutes les affaires soumises à la cour d’assises, il en résultera que la plupart des prévenus seront renvoyés à trois mois plus tard. Toutefois il se range à l’avis de ceux qui demandent le renvoi du projet à une commission.

M. A. Rodenbach. - Messieurs, une foule de pétitions ont été adressées à la chambre, signalant les vices nombreux de la loi sur le jury. Que demandaient les pétitionnaires ? De ne point devoir abandonner leur maison, laisser languir leur négoce, pour se rendre dans le chef-lieu, où ils doivent siéger gratuitement comme jurés pendant 20, 30 et 40 jours, jusqu’à deux mois. La preuve, c’est qu’aujourd’hui 27, le jury à la cour d’assises de Brabant siège depuis 60 jours ; encore cette session ne sera terminée que dans les premiers jours de mars.

Des médecins, des notaires et une quantité d’industriels, ont dû quitter leur famille pendant un aussi long espace de temps. Vous conviendrez, messieurs, que de pareils vices font maudire cette institution, éminemment libérale. La proposition de M. Devaux obvie à cette espèce d’iniquité constitutionnelle : si nous donnons notre assentiment au projet, les vœux des nombreux pétitionnaires seront exaucés, puisqu’ils ne devront jamais siéger plus de 15 jours, et qu’ils recevront une indemnité d’un florin cinquante cents par jour. Tout en donnant mon assentiment au rapport de la section centrale, je n’en désire pas moins qu’on nomme une commission pour réviser et perfectionner totalement la loi sur le jury. En ceci je suis de l’avis de mes honorables collègues, MM. H. de Brouckere et Destouvelles.

M. Lebeau demande que l’on continue la discussion, par le motif d’abord que, si l’on renvoie le projet à une commission, il en sera de même à l’égard du jury que pour les mines et la garde civique ; des commissions ont été chargées d’examiner ces deux points depuis longtemps, et cependant elles n’ont encore soumis à la chambre aucun résultat. D’un autre côté, si l’on ne veut pas étrangler la discussion du budget, il ne faut pas que la chambre s’occupe auparavant de questions extrêmement compliquées qui absorberaient tout son temps, sous peine de vivre encore sous le régime des crédits provisoires. D’ailleurs, la proposition de M. Devaux se coordonne avec toutes les améliorations futures que l’on voudra introduire.

L’orateur fait remarquer aussi qu’il faut profiter de ce que le sénat est assemblée pour faire cesser sur-le-champ un grief dont tout le monde se plaint.

M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere) appuie la proposition de M. Devaux, et pense qu’une révision complète serait trop longue à faire. Je désire aussi, ajoute-t-il, que les fonctions de jurés soient plutôt regardées comme un honneur que comme une charge ; mais pour cela il ne faut point qu’elles soient trop lourdes, et c’est le but qu’a en vue M. Devaux. D’ailleurs, en adoptant sa proposition, rien n’empêche de renvoyer les amendements à une commission, pour qu’elle propose des améliorations successives et même un projet nouveau.

- La discussion se prolonge. Parlent encore pour le renvoi à une commission M. H. de Brouckere, M. Destouvelles et M. Gendebien.

M. Lebeau insiste pour que l’on continue la discussion.

- Cette proposition est mise aux voix et adoptée. En conséquence, la discussion générale continue.

M. Destouvelles. - J’avais signalé un abus bien plus grand que celui que l’on veut faire cesser. Je respecte la décision de la chambre, mais je retire mon amendement.

- Après quelques autres observations de M. de Robaulx et de M. H. de Brouckere, la chambre ferme la discussion sur l’ensemble et passe à celle des articles.

Discussion des articles

Article premier

La discussion est ouverte sur l’article premier, ainsi conçu :

« Les présidents des cours d’assises, chaque fois que l’exigera le nombre d’affaires criminelles à juger pendant une session, pourront diviser ces affaires en plusieurs séries, de telle manière que chaque série, autant que possible, n’occupe pas la cour et les jurés pendant plus de 10 à 15 jours. »

A cet article, M. Gendebien propose de substituer l’article premier de son projet.

M. Leclercq. - Messieurs, le projet présenté par M. Gendebien diffère de l’autre en ce que M. Gendebien, pour éviter qu’un même juré ne soit pas obligé de siéger trop longtemps, propose de régler qu’il y aura des sessions de la cour d’assises tous les mois, tandis que, d’après le projet, ces sessions n’auraient lieu que tous les trois mois, ainsi que cela s’est pratiqué jusqu’ici ; et ce dernier projet présente l’inconvénient de retenir quelquefois dans les prisons, pendant deux mois, des accusés dont la procédure est en règle. Entre ces deux inconvénients quel est le plus grave ? C’est sans contredit celui de M. Gendebien. Il n’évitera pas, en certaines circonstances, l’inconvénient de retenir plus de 15 jours un juré hors de sa famille. Car, quelques mesures que l’on prenne, quelque rapprochées que soient les sessions, il se présentera des cas où elles se prolongeront pendant quinze jours, pendant un mois peut-être. L’inconvénient, au contraire, que signale M. Gendebien, de retenir en prison un accusé dont la procédure est prête à recevoir jugement, se présentera très rarement, parce que le code d’instruction criminelle ne dit pas que l’accusé sera renvoyé à une autre session, mais qu’il pourra être renvoyé ; et on sait très bien que les cours d’assises, dès qu’une affaire est en état, la jugent, parce qu’elles n’ont aucun intérêt à la retarder. Je vois donc deux inconvénients devant moi, celui de la commission et celui de M. Gendebien : forcé de choisir entre eux, et l’un ou l’autre sont inévitables, je choisis la moins grave, et c’est celui de la commission.

M. d’Elhoungne soutient que l’inconvénient de faire subir un long emprisonnement préalable à un accusé est plus grand que tous les autres, et il déclare qu’il votera pour le projet de M. Gendebien.

M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - Messieurs, il me semble qu’il existe une différence essentielle entre le projet de M. Devaux et celui de M. Gendebien. La proposition de M. Devaux tend à introduire deux améliorations notables dans la loi sur le jury : celle de M. Gendebien tient à modifier le code d’instruction criminelle. Ainsi, d’un côté, il s’agit d’apporter de simples modifications à la loi sur le jury, et le projet dont on vous propose l’adoption ne sera que temporaire ; de l’autre, il ne s’agit de rien moins que d’apporter un notable changement au mode d’instruction criminelle, en décidant qu’au lieu de quatre sessions par année, il y aura tous les mois session de la cour d’assises. Il me semble, messieurs, que la proposition de M. Devaux n’entraîne avec elle aucun inconvénient. Elle en laisse subsister un, il est vrai ; mais cet inconvénient existait auparavant, et il se trouve dans les termes du code d’instruction criminelle. S’il s’agissait actuellement de réviser la loi sur le jury, je crois que je me rangerais de l’avis de M. Gendebien ; car, pendant quinze années d’expérience dans la carrière judiciaire, j’ai été à même de voir combien il est pénible de retenir dans les prisons, pendant deux mois quelquefois, de malheureux accusés dont la procédure est en règle. Mais il y aurait un inconvénient beaucoup plus grave dans l’adoption du projet de M. Gendebien, en ce que ce projet, n’étant pas coordonné avec les autres dispositions du code qui nous régit, pourrait en détruire toute l’économie. Vous savez que d’après notre législation, ce sont les plus anciens juges qui doivent composer la cour d’assises ; eh bien, si vous décidez qu’il y aura des sessions tous les mois, les plus anciens juges n’auront presque plus à s’occuper que de rendre la justice criminelle ; ils seront distraits de la justice civile, et, comme le faisait remarquer M. Jullien, la justice civile en souffrira. D’un autre côté, les assises doivent être présidées par un conseiller à la cour : tous les mois, un conseiller devra se rendre dans les chefs-lieux ; il y siégera pendant quinze jours, il perdra le reste du mois en voyages ou en préparatifs, et, en attendant, les affaires civiles dans lesquelles il aurait dû siéger en souffriront. Avec le système actuel, au contraire, ce n’est que pendant un mois sur trois que les présidents des assises sont dérangés ; il leur reste deux mois pour s’occuper des affaires civiles. Voilà, messieurs, les graves inconvénients que présente le projet de M. Gendebien. Dans cette position, je suis d’avis que c’est celui de M. Devaux qui doit être adopté.

M. Devaux. - Messieurs, je déclare que je m’empresserais d’adopter le projet de M. Gendebien si je le croyais exécutable ; mais je ne crois pas qu’il le soit. On a signalé dans ma proposition un inconvénient qui n’existe pas. Elle en laisse subsister un, celui qu’a signalé le préopinant ; mais elle n’en entraîne aucun nouveau. Celui de M. Gendebien, au contraire, en entraîne plusieurs. On vous en a fait connaître quelques-uns ; en voici un plus grave encore : les tribunaux de première instance, s’ils sont obligés de siéger tous les mois à une session de cour d’assises, ne pourront presque plus vaquer à la distribution de la justice civile. Ce sera un roulement continuel, qui fera passer les juges de la cour d’assises aux audiences civiles, quinze jours à l’une, dix jours aux autres ; car, lorsqu’un juge a siégé pendant quinze jours en audience criminelle, il est fatigué et a besoin de prendre quelques jours de repos, en sorte que vous entraverez presque entièrement la justice civile. Les tribunaux de première instance sont peu nombreux. Dans la province dont je suis le mandataire, à Bruges par exemple, les juges sont obligés de siéger tous les jours : comment le pourront-ils si vous les faites continuellement aller du criminel au civil et réciproquement ? Cela leur causerait une grande perte de temps, soyez-en certains, et la justice civile en éprouverait un grand préjudice. Je crois donc que le projet de M. Gendebien est impraticable. Il ne cesserait de l’être que si, comme quelques sections l’ont proposé, on instituait des tribunaux criminels ; mais, si on se décidait à cela, on sent bien que ce ne serait pas en ce moment : je persiste donc dans l’adoption du projet.

M. Gendebien. - Messieurs, la question n’est pas de savoir si l’inconvénient résulte ou non de la proposition qui vous est faite ; il suffit de savoir qu’il existe, pour qu’en conscience vous soyez obligés de le faire disparaître. S’il y a des inconvénients dans ma proposition, ils doivent disparaître devant l’avantage de faire juger promptement un malheureux accusé, un innocent peut-être, dont vous prolongez inutilement la captivité. Mettez-vous à la place de cet accusé, renfermez-vous entre quatre murailles pendant des mois entiers, et vous verrez s’il est quelque considération capable d’effacer les souffrances d’une telle captivité. Ce supplice, diront les accusés, nous aurait été épargné si la législature l’avait voulu. Mais, dit-on, votre projet a le grave inconvénient de toucher au code d’instruction criminelle. Mais vous aussi vous y touchez ; car les séries que vous établissez ne se trouvent pas dans ce code. D’ailleurs, messieurs, fallût-il retoucher au code d’instruction criminelle, dans un pays où l’on parle sans cesse de liberté, il faut savoir apprécier celle de ses semblables. L’injustice d’une détention préalable, l’iniquité, l’atrocité même qu’il y a à priver de sa liberté un homme qui, après tout, peut être innocent, doivent vous déterminer à faire tout ce qui est nécessaire pour remédier à un tel inconvénient. Pour moi, quel que soit le sort de ma proposition, ma conscience sera tranquille ; j’aurai fait ce que je croyais de mon devoir de faire.

L’orateur soutient que les inconvénients qu’on a reprochés à son projet sont beaucoup moindres qu’on ne l’a dit ; il s’efforce de faire ressortir ceux du projet de loi, et persiste à conclure à l’adoption de son amendement.

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - En examinant l’article premier, j’y ai vu un vice de rédaction ; il est dit à la fin de cet article : « Les présidents pourront diviser les affaires en plusieurs séries, de telle manière que chaque série, autant que possible, n’occupe pas la cour et les jurés pendant plus de dix à quinze jours. » Or, si la série ne doit pas occuper la cour et le jury plus de dix à quinze jours, il semble que la session soit terminée. Telle n’a pas été cependant l’intention de la commission : il me semble qu’il faudrait dire : « De manière que chaque série n’occupe pas les mêmes jurés pendant plus de dix à quinze jours. »

Quant à l’amendement de M. Gendebien, je ne suis pas assez éclairé en ce moment pour pouvoir l’adopter. J’avoue que je ne puis prévoir l’effet de la transition qui se ferait des tribunaux des matières civiles aux matières criminelles ; en conséquence, je n’oserais voter pour cet amendement.

- On entend de nouveau M. Leclercq contre l’amendement de M. Gendebien, et M. Barthélemy qui demande le renvoi des amendements à la commission. Enfin, l’amendement de M. Gendebien est mis aux voix et rejeté.

M. Devaux parle contre l’amendement de M. de Theux, qu’il trouve inutile ; car, outre que l’article premier est assez clair par lui-même, il résulte assez clairement des articles suivants que les mêmes jurés ne devront siéger que pendant une seule série.

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Dès le moment qu’il n’y a pas de doute sur le sens de la loi, je suis satisfait, et je retire mon amendement.

- L’article premier est adopté.

Articles 2 à 4

Les articles 2, 3 et 4 sont ensuite adoptés sans discussion ni amendement, en ces termes :

« Art. 2. Pour chaque série, le président du tribunal de première instance, sur la réquisition du président de la cour d’assises, tirera au sort, dans la forme prescrite par le décret du 19 juillet 1831, trente-six noms qui formeront la liste des jurés de cette série. »

« Art. 3. Il sera fait, pour chacune des séries formées ainsi qu’il est dit à l’article premier, un rôle particulier contenant les noms des accusés, la nature de l’accusation et le jour fixé pour la mise en jugement. Ce rôle sera affiché dans l’auditoire du tribunal de première instance, 24 heures au moins avant le tirage au sort des jurés de cette série.

« Il sera fait mention de l’accomplissement de cette formalité dans le procès-verbal du tirage au sort, qu’il contiendra, outre les noms des jurés, l’indication des affaires sur lesquelles ils pourront être appelés à juger »

« Art. 4. Les jurés domiciliés à plus d’un demi-myriamètre de la commune où se tiennent les assises pourront réclamer une indemnité de 1 fl. 50 cents par chaque jour de séjour pour toute la durée de la série.

« Ne seront pas comptés les jours où le juré, devant se trouver présent, n’aura pas répondu à l’appel.

« Cette indemnité sera payée comme frais urgents, sur le mandat du président de la cour d’assises. »

Article 5

La discussion s’ouvre ensuite sur l’article 5, ainsi conçu :

« La présente loi ne sera pas applicable aux sessions des cours d’assises ouvertes au jour où elle sera obligatoire.

« Quant aux sessions des cours d’assises qui ne seront pas encore ouvertes, mais pour lesquelles la liste des 36 jurés aura déjà été formée, le président de la cour d’assises, dans le cas de l’article premier, arrêtera le rôle des affaires qui composeront la première série. Les 36 jurés déjà désignés ne pourront être appelés pour d’autres affaires. Les autres séries seront réglées conformément à la présente loi. »

M. Jullien propose de dire : « La présente loi n’est pas applicable. » au lieu de « ne sera », c’est-à-dire de substituer le présent au futur.

- Une voix. - Cet amendement empêchera la loi d’être votée aujourd’hui.

M. Jullien. - Ce n’est pas un amendement que je propose, c’est un simple changement de rédaction.

- Le changement est adopté.

M. Devaux. - Dans aucun cas, nous ne pourrons voter aujourd’hui ; car il faut ajouter un article au projet pour abréger le délai où la loi sera exécutoire.

M. Lebeau. - Ce n’est pas là un amendement ; car cela n’influe en rien, ni sur l’esprit, ni sur la lettre de la loi, et rien n’empêche qu’on ne puisse voter aujourd’hui.

M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - Je pense que ce serait un amendement ; car la loi a fixé le délai dans lequel les lois sont exécutoires, et par l’article additionnel vous abrégez ce délai ; c’est là certainement déroger à la loi générale.

M. H. de Brouckere. - Messieurs, c’est avec le plus grand étonnement que je viens d’entendre la théorie émise par M. Lebeau. Quoi ! déclarer qu’une loi sera exécutoire avant le délai voulu, ce n’est pas amender un projet, quand ce projet ne contenait pas une telle disposition ? Je soutiens, moi, que c’est un amendement et que tout changement de rédaction est un amendement. Si vous déclariez le contraire, aujourd’hui l’on vous dira qu’il ne s’agit que d’un simple changement de rédaction, demain que le changement n’influe pas sur le sens de la loi ; enfin, on ira jusqu’à dire qu’il n’y a plus d’amendements. (Oh ! oh !) Qu’est-ce que ça veut dire oh ! oh ! Oui, messieurs, je le soutiens, si on ajoute l’article en question, nous ne pourrons voter aujourd’hui.

M. Leclercq. - C’est toute une loi que vous faites en ajoutant l’article, car cet article à lui seul déroge à la loi générale.

M. de Robaulx. - Tout en appuyant cette observation, je dirai que cela ne doit pas empêcher de voter, et, quand tout le monde est d’accord qu’en effet cela n’influe pas sur le sens de la loi, je ne vois pas pourquoi nous ne passerions pas par-dessus le règlement ; nous l’avons fait autrefois.

M. le président.- Pour la proposition de M. Destouvelles.

M. Lebeau. - Je n’ai plus rien à dire ; mais, dût la surprise de M. de Brouckere augmenter encore, je persiste à soutenir que tout changement n’est pas un amendement. Quant à ce qui est de déroger à la loi générale sur la promulgation des lois, je vous rappellerai que cette loi dit que les lois sont exécutoires dans un tel délai, « à moins que la loi n’en décide autrement. » Or, c’est précisément dans ces termes que nous nous trouvons.

M. le président. - La chambre, je crois, n’aurait qu’à déclarer l’urgence de la loi. (Appuyé !)

M. Devaux. - Je propose d’amender l’article 5 de manière à ce que l’article 4, qui accorde une indemnité aux jurés, soit applicable aux jurés qui siègent en ce moment. Il y a des assises ouvertes dans la province de Liége, et les jurés profiteront de l’indemnité à dater du jour de la promulgation de la loi. Il suffirait de rédiger ainsi le premier paragraphe de l’article 5 : « Les articles 1, 2 et 3 ne sont pas applicables, etc. » La suite comme au projet.

- Cet amendement est adopté.

Article additionnel

On adopte ensuite un article additionnel en ces termes :

« La présente loi sera obligatoire le lendemain du jour de sa promulgation. »

Vote sur l’ensemble du projet

Une discussion s’élève pour savoir si on votera d’urgence.

M. H. de Brouckere et M. Destouvelles s’y opposent.

M. de Robaulx. - Messieurs, si, en ne votant pas aujourd’hui, nous retardions l’adoption de la loi, je voterais pour l’urgence ; mais le sénat s’assemblera encore demain pour discuter les crédits provisoires, et, comme son extrême perspicacité lui permet de voter dans une seule séance (murmures), il saura que ce projet lui sera renvoyé, et il s’en occupera après-demain.

M. Lebeau. - Messieurs, je n’ai pas l’habitude de censurer le langage de mes collègues, mais je ne puis m’empêcher de protester contre le langage de M. de Robaulx. Il ne doit pas être permis à un membre d’une chambre de parler de l’autre en des termes peu convenables. Le sénat est libre dans son action et entièrement indépendant de la chambre, comme la chambre l’est du sénat.

M. Delehaye. - C’est juste.

M. Lebeau. - Il est de la dignité de la chambre de ne jamais permettre vis-à-vis du sénat un langage qui pourrait jeter de la déconsidération sur un des trois pouvoirs de l’Etat. Comment voulez-vous que le public respecte la chambre, si elle ne sait pas respecter un corps qui marche son égal ?

M. de Robaulx. - Je demande la parole pour un fait personnel. M. Lebeau, la main sur la poitrine, non pas sur la conscience (murmures et agitation), vient de déclarer qu’il proteste contre mes paroles. Je déclare, moi, que je n’ai pas de leçons à recevoir de personne, et moins encore de M. Lebeau. (Agitation nouvelle.)

- Une voix. - Mais si fait, de la chambre.

M. le président. - Messieurs, n’allons pas plus loin sur ces débats. Je désire que les explications s’arrêtent là.

- Tous les membres quittent leurs places.

Projet de loi sur la taxe des barrières

Dépôt

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux) monte à la tribune et présente un projet de loi sur les barrières. Nous le ferons connaître.

- La séance est levée à 3 heures et demie.