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Chambre des représentants de Belgique
Séance du lundi 16 janvier
1832
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre, notamment
demande de congé d’un membre de la chambre (Blargnies)
2) Projet de loi relatif au concessions de mines
(+conseil d’Etat) (Barthélemy, H. de Brouckere, de Theux, Desmanet de Biesme, Jullien, Milcamps, Gendebien, Nothomb, H. de Brouckere, Gendebien, Mary, Jonet,
Lebeau)
3) Interpellation relative à la passation d’un
marché militaire (marché Hambrouck)
(Moniteur
belge n°18, du 18 janvier 1832)
(Présidence de M. de Gerlache.)
La séance est ouverte à une heure
moins le quart.
M. Lebègue
fait l’appel nominal.
M. Dellafaille lit le procès-verbal ; il est adopté.
PIECES ADRESSEES A LA
CHAMBRE
M. Lebègue
analyse les pétitions, qui sont renvoyées à la commission.
M. de Woelmont s’excuse de ne pouvoir
assister à la séance, à cause des élections de son district, et M. W. de
Mérode., parce qu’il se trouve indisposé.
M. Goethals annonce qu’il est retenu par les
travaux des conseils cantonaux de son district, et demande un congé de 8 jours,
qui est refusé par la chambre.
M. Blargnies
adresse au bureau une lettre ainsi conçue :
« Des occupations très
multipliées, et la coïncidence du temps des audiences de la cour de justice
avec celui des séances de la chambre, m’empêchent d’assister aux travaux de mes
collègues. Depuis longtemps j’aurais donné ma démission, sans le besoin que
j’éprouve de voir, avant ma retraite, le sort du pays définitivement fixé ; ce
désir bien légitime serait satisfait, si la chambre daignait m’accorder congé
jusqu’à l’arrivée des ratifications, si impatiemment attendue. Si elle croyait
ne pas pouvoir adhérer à la demande, je la prierais de recevoir ma renonciation
au mandat que les électeurs du Mons m’ont fait l’insigne honneur de me
conférer.
« Agréez, etc.
« C. de Blargnies. »
- La chambre, consultée, accorde un
congé à M. de Blargnies jusqu’au 31 de ce mois.
PROJET DE LOI RELATIF AUX CONCESSIONS DE MINES
L’ordre du jour est la suite de la
discussion de la loi sur les mines.
M. Barthélemy. - J’ai demandé la parole pour répondre à
M. le rapporteur, et, ensuite, pour dire deux mots sur l’opinion de M. Nothomb.
M. Jonet a déclaré qu’il était frappé
de l’injustice de la loi de 1810 à l’égard des propriétaires fonciers, et que,
pour cela, il se sentait dans l’impossibilité de voter le projet. Mais de cette
manière de raisonner, si peu législative, il résulterait que tous les droits
relatifs aux mines seraient laissés en suspens. Et quelle est la question
soulevée par le projet de loi ? C’est celle de savoir s’il n’y a pas lieu de
substituer un conseil à un autre, pour ne pas entraver la marche d’une
industrie très importante. Tout le monde doit convenir que ce remplacement est
indispensable. D’ailleurs, est-il vrai, comme on l’a dit, que les propriétaires
de la surface soient lésés par la loi de 1810 ?
Ici, l’orateur examine à son tour
l’ancienne législation sur les mines, depuis les derniers temps de l’empire
romain. D’après cette législation, chacun avait la liberté d’exploiter la mine
avec l’autorisation des princes. Il cite l’opinion d’Heineccius, dont les
ouvrages sont entre les mains de tous les élèves de l’école de droit, et qui
dit que, tous les pays de l’Europe ayant été soumis au droit de conquête,
toutes les choses d’intérêt public ont été laissées à la disposition des princes. Dans cet état de
législation européenne, les propriétaires de la surface ne pouvaient exploiter
une mine sans la permission des princes ou des hauts-justiciers de ceux-ci.
Il réfute ce qu’a dit M. Jonet pour
Charleroy. C’est par erreur que M. Jonet a cru que les propriétaires fonciers
exploiteraient librement la mine de leur terrain. Il fallait un permis du
prince, et il y a des arrêts de conseils du Hainaut qui ont déclaré les
concessions légalement faites irrévocables, tandis que ceux qui exploitaient
sans titres ont été expulsés, même par la force armée.
Répondant
à M. Nothomb, il dit que cet honorable membre a raisonné comme si le conseil
d’Etat tout entier, sous l’empire, était chargé des affaires contentieuses,
tandis qu’il y avaut une section spéciale pour le contentieux, présidée par le
grand-juge. Quand il s’agissait de concessions de mines, c’était la section de
l’intérieur qui en faisait rapport au conseil d’Etat, et non la section du
contentieux. On procédait donc administrativement ; ainsi rien ne s’oppose à ce
que ces fonctions soient attribuées au pouvoir administratif.
Enfin, M. Barthélemy, examinant la
question soulevée par M. Poschet sur la différence qui existe entre les mines
de houilles et les mines de fer, pense qu’il y a lieu de faire attention à
l’amendement de cet honorable membre, tendant à suspendre les concessions de
mines de fer.
M. H. de Brouckere. - En lisant les conclusions de la
commission que vous aviez chargée d’examiner le projet en discussion, en
parcourant les motifs sur lesquels elles sont fondées, je m’étais figuré
qu’elles ne devaient rencontrer que peu d’opposition, et qu’elles obtiendraient
sans peine l’assentiment de la majorité de l’assemblée.
La discussion qui a eu lieu
avant-hier m’a prouvé que je m’étais trompé. Plusieurs orateurs se sont élevés
avec chaleur contre la demande d’ajournement ; quelques-uns soutenaient en même
temps que le projet du gouvernement, tel qu’il est, d’autres exigeaient seulement
qu’il subît de légères modifications.
Puisque le projet ministériel a des
chances de succès, permettez-moi, messieurs, à moi qui le trouve inadmissible,
de vous exposer à cet égard ma pensée en peu de mots.
On
a vivement attaqué d’un côté, défendu de l’autre, la législation qui
régit aujourd’hui les mines. Mon intention n’est pas de rentrer dans une
discussion, qui certes n’était ni oiseuse ni déplacée puisqu’elle était
nécessaire pour nous faire bien apprécier l’objet qui nous occupe, mais qui a
peut-être été assez longue puisque, pour le moment, il ne s’agit point de
réformer cette législation.
Je me bornerai donc à dire que, selon
moi, les lois de 1791 et de 1810 présentent des vices nombeux ; que cette
dernière surtout méconnaît et méprise par trop les droits des propriétaires ;
qu’elle offre par trop de latitude et de facilité à l’intrigue, à la faveur et
à l’arbitraire.
Des considérations d’intérêt général
devaient, je le conçois, exercer une grande influence sur la législation des
mines ; il s’agissait de concilier les intérêts de l’Etat et ceux des
exploitants avec les intérêts des propriétaires du sol ; on pouvait donc
modifier les droits de ces derniers, qui en général possèdent, comme on sait,
le dessus et le dessous, usent et abusent, comme ils le jugent à propos. Mais
il ne fallait pas les sacrifier entièrement ; il ne fallait pas permettre
au pouvoir de les spolier sans nécessité, de les évincer de leurs champs, pour
en gratifier un tiers de son choix, en ne suivant, à cet égard, pour règle que
son bon plaisir.
La loi de 1810 n’a aucune
considération pour les propriétaires, ou, si elle leur montre quelques égards,
ils sont dérisoires comme l’a démontré (article 12) M. Barthélemy. Elle a pu
paraître bonne, cette loi, au moment où elle a vu le jour : aujourd’hui, son
injustice, ses imperfections sont saillantes pour tous ; peu de personnes du
moins s’abstiennent à les nier.
J’émets, avec l’honorable M. Pirmez,
le vœu qu’aussitôt que nos travaux législatifs les plus urgents seront
terminés, soit le ministère, soit un membre de la chambre, présente un travail
destiné à remplacer la loi du 20 avril 1810 ; c’est une chose de la plus haute
importance pour un pays aussi fécond en mines que le nôtre, où elles sont une
des principales sources de la richesse et de la prospérité publique.
En attendant, messieurs, on vous
présente un projet qu’on appelle provisoire, et qui a pour objet de désigner
une autorité qui remplacerait le conseil d’Etat ; car, vous le savez, c’est en
conseil d’Etat que doivent être délibérés les actes de concession de mines,
bien qu’ils ne soient signés que par le chef du gouvernement et un ministre. On
vous propose le conseil des ministres, c’est-à-dire qu’on vous demande de
supprimer la seule et dernière garantie qui restait aux propriétaires, aux
inventeurs de mines, en un mot, à ceux qui croyaient avoir droit à la
préférence pour l’obtention d’une concession. Il résulterait, en effet, d’une
pareille loi qu’on ferait à l’avenir, pour les concessions de mines, ce que
l’on fait pour tous les actes du gouvernement qui ont quelque importance. Le
ministre que la chose concerne fera son rapport à ses collègues ; ceux-ci
n’étant pas obligés d’avoir des connaissances spéciales sur la matière, s’en
référeront à lui, et un arrêt, contresigné par ce même ministre, et en tête
duquel se trouvera la formule : « Le conseil des ministres entendu, »
pourra arracher au propriétaire son champ, à l’inventeur le produit de ses
études et de son travail, pour enrichir arbitrairement qui ? peut-être, messieurs,
un intrigant, qui n’aura d’autres titres que d’avoir arpenté les antichambres,
flatté quelques employés subalternes, et connu l’art de tromper un ministre,
qui, sans le savoir, aura ainsi commis une révoltante injustice.
Quand je parle ainsi des ministres,
c’est que je sais qu’il est impossible qu’ils jugent ici en pleine connaissance
de cause. Une demande en concession donne ordinairement lieu à une foule de
demandes en concurrence, de réclamations, de mémoires, d’écrits de toute
espèce. Comment voulez-vous que, occupés qu’ils sont chacun de la direction des
nombreuses affaires qui sont de leur ressort, ils pèsent mûrement toutes ces
pièces, dont une simple et superficielle lecture exigerait souvent plusieurs
jours ? Ce sera donc un employé subalterne qui, en dernière analyse, sera
investi du pouvoir exorbitant de refuser ou de conférer, selon son caprice, une
propriété dont la valeur est incalculable.
On vous représente, messieurs, que ce
n’est que d’une loi provisoire qu’il s’agit ; qu’ainsi, eût-elle-même des
inconvénients, ils ne seront pas de longue durée. Le mot ne me séduit pas : on
a vu des lois provisoires vivre beaucoup plus longtemps que leurs auteurs ; je
ne veux donc pas m’exposer à voir un jour remettre, entre les mains d’hommes
qui n’auraient pas ma confiance au même degré que les ministres actuels, la
décision d’intérêts d’une importance aussi majeure.
Un honorable collègue, qui était
ministre sous l’administration du régent, vous à dit, messieurs, que c’était de
son plein droit que le conseil des ministres remplaçait le conseil d’Etat ; que
l’on en avait jugé ainsi, du temps qu’il faisait partie du gouvernement. Il
vous a fait entendre qu’il y avait donc en quelque sorte bonhomie au ministère
de nous présenter un projet de loi qui, en résultat, ne contiendrait que la
déclaration d’une chose simple et incontestable.
Nous savons, messieurs, que, du temps
où l’honorable membre était au ministère, on a quelquefois tranché un peu
légèrement des questions qui présentaient de graves difficultés, et qu’on ne
l’a pas fait toujours dans le sens le plus constitutionnel. Je n’en fais de
reproches à personne ; je sais apprécier les circonstances dans lesquelles on
se trouvait alors. Mais aujourd’hui que ces circonstances ne sont plus les
mêmes, aujourd’hui que notre constitution est en pleine vigueur et doit être
rigoureusement exécutée, les ministres s’exposeraient à de fâcheuses
conséquences s’ils s’arrogeaient imprudemment des attributions que la
constitution ne leur accorde pas : si, par exemple, ils se figuraient
réellement qu’ils remplacennt à tous égard le conseil d’Etat, corps distinct du
conseil des ministres, non seulement sous l’empire, mais encore sous le dernier
gouvernement, où il y avait aussi un conseil des ministres organisé par arrêté
royal.
Un autre orateur a soutenu une thèse
dont l’étrangeté vous a sans doute frappés comme moi. Il nous a dit : « Si
la loi du 21 avril 1810 est obligatoire, la chambre n’a pas le pouvoir, en
paralysant l’action du pouvoir exécutif, de suspendre cette loi par voie
indirecte ; car on ne peut faire indirectement ce que l’on ne peut pas faire
directement. Or l’ajournement ne peut, selon moi, produire d’autre résultat que
de paralyser l’action du pouvoir exécutif, d’empêcher ou d’arrêter l’exécution
de la loi. » C’est ce qu’il a cherché ensuite à démontrer. Ainsi l’orateur
soutient que nous n’avons pas le droit de refuser notre vote au projet actuel :
mais alors pourquoi nous l’a-t-on présenté ? Pourquoi le discutons-nous ? On
nous l’a présenté et nous le discutons parce que, dans l’état actuel des
choses, le gouvernement est dans l’impuissance de faire droit aux demandes en
concession de mines, et aux demandes en maintenue et en délimitation. On nous
l’a présenté et nous le discutons parce que c’est au pouvoir législatif qu’il
appartient de remplacer, par de nouvelles dispositions, les dispositions d’une
loi que la force des choses a abrogée. Or, si les dispositions qu’on nous
présente ne nous paraissent pas bonnes, nous avons sans doute le droit de les
rejeter ; nous pouvons aussi en ajourner la discussion aussi longtemps que nous
le jugerons convenable. Le système que je combats tendrait à établir que,
quelle que soit la proposition du ministère, nous devons l’adopter parce qu’il
s’agit de l’exécution d’une loi et que nous ne pouvons arrêter cette exécution
; système assurément inadmissible. Il n’y a ici, quoi qu’on en dise, aucune
confusion de pouvoir ; et, s’il est vrai qu’il n’appartient pas à la chambre
d’apprécier l’opportunité de chaque demande en concession prise à part, il est
incontestable aussi qu’elle reste dans ses attributions, en examinant s’il ne
serait pas opportun de refuser en général, soit définitivement, sot
provisoirement, au pouvoir exécutif les moyens d’accorder de nouvelles
concessions, et a fortiori si les mesures proposées par le gouvernement offrent
des garanties suffisantes.
On vous a parlé de confier à une
partie du pouvoir judiciaire l’examen des demandes en concession, parce qu’il
s’agit ici d’une question de propriété à discuter entre les divers prétendants,
et que les questions de propriété sont du ressort des tribunaux.
Il y a ici confusion d’idées.
Jamais les tribunaux ne confèrent la
propriété ; ils reconnaissent et déclarent qu’elle appartient à tel individu,
malgré que tel autre la lui contestait ; mais elle lui appartient en vertu de
la loi que le tribunal ne fait qu’appliquer au cas litigieux. Il n’y a jamais
le moindre arbitraire dans ses décisions ; il s’en tient à la loi, dont il
explique seulement la volonté.
Si vous attribuiez au pouvoir
judiciaire le droit de décider à qui des concurrents doit être donné la
préférence, lors d’une demande en concession, vous lui donneriez le droit de
conférer une propriété, et non de reconnaître à qui elle appartient. Ce ne
seraient plus deux ou plusieurs individus qui se présenteraient devant un
tribunal et soutiendraient contradictoirement que, d’après la loi, ils ont tel
ou tel droit sur l’objet en contestation ; ce seraient des individus priant le
tribunal, chacun de son côté, de lui faire, de préférence à ses compétiteurs,
donation d’une propriété qui, jusque-là, appartenait à la nation ou
n’appartenait à personne. Et remarquez que la décision serait toujours
arbitraire, puisqu’elle aurait pour fondement l’article 16 de la loi du 20 avril
1810, qui est ainsi conçu : « Le gouvernement juge des motifs ou
considérations d’après lesquels la préférence doit être accordée aux divers
demandeurs en concession, qu’ils soient propriétaires de la surface, inventeurs
ou autres. »
Ainsi le tribunal
n’aurait aucune base fixe pour asseoir sa décision, et il serait impossible
qu’elle ne devînt plus ou moins le résultat de la faveur ou de considérations
étrangères à la justice distributive. Vous auriez donc détourné le pouvoir
judiciaire de la mission qui est la sienne ; vous lui auriez confié des
attributions tout à fait nouvelles, et qui ne pourraient, sans danger, s’allier
à celle qui lui appartiennent.
Si le projet ministériel est mis aux
voix, je lui refuserai mon vote ; je voterai pour l’ajournement ou pour le
renvoi du projet à la commission, qui serait chargée de nous en présenter un
nouveau. Il me paraît qu’il serait fort facile de remplacer le conseil d’Etat
par une commission ad hoc, qui serait composée de manière à offrir aux
intéressés toutes les garanties désirables. Je me réserve, quand le temps sera
venu, de présenter, s’il y a lieu, tel amendement que je croirai de nature à
satisfaire le mieux à toutes les exigences.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Le projet de loi que
vous a présenté mon prédécesseur a été rédigé avec une circonspection digne de
remarque. On s’en convaincra en lisant l’exposé des motifs et l’article unique
qui le compose. Il demande simplement que le conseil des ministres soit investi
provisoirement des attributions du conseil d’Etat, en ce qui concerne
l’exécution de la loi du 21 avril 1810 et des règlements en vigueur sur les
mines ; et, dans l’exposé des motifs, il indique suffisamment que le
gouvernement s’occupera de la révision de la loi de 1810, aussitôt que les
circonstances le permettront. Comment se passeront les choses si le projet dont
il s’agit est adopté ? A qui seront soumises les affaires relatives aux
concessions des mines ? D’abord au corps électif de la province, composé en
grande partie de propriétaires ; ensuite au conseil des mines, composé de
membres choisis par les chambres de commerce et de personnes prises parmi les
corps d’ingénieurs. Il me semble que ces deux corps remplaceront suffisamment
le conseil d’Etat, en ce qui concerne les garanties que réclame la propriété
foncière. A propos du projet du gouvernement, on a attaqué la loi de 1810
elle-même sur trois points principaux : 1° pour ce qui touche les mines de fer
; 2° pour l’indemnité allouée au propriétaire ; 3° et pour l’étendue de la
concession.
Quant à la concession des mines de
fer, l’orateur dit que les causes militant en faveur de cette concession sont
les mêmes que pour les mines de houilles. Quand les propriétaires ne peuvent
pas exploiter la mine eux-mêmes, il faut bien que cette richesse ne reste pas
enfouie dans la terre. Les mines cessent de faire partie de leurs propriétés,
quand ils n’en peuvent faire aucun usage.
D’ailleurs, leur droit de propriétaires
a été respecté par la loi, puisqu’elle a consacré le principe de l’indemnité.
Cette indemnité, il est vrai, est très minime ; mais il faut remarquer qu’il y
a très peu d’extracteurs de mines qui s’enrichissent et que la plupart se
ruinent. Ainsi, l’on a tort de dire que les propriétaires de la surface sont
sacrifiés aux exploitants. Cependant, on ne peut se dissimuer que l’indemnité
ne soit quelquefois illusoire ; mais, pour pouvoir fixer une évaluation plus
équitable, il faut consulter les corps des ingénieurs, les besoins du commerce
et de la justice, et cela rentre dans les attributions du pouvoir
administratif. S’il fallait recourir à l’autorité judiciaire, il y aurait des
obstacles immenses, et les propriétaires seraient dégoûtés par les lenteurs et
les difficultés.
En troisième lieu,
s’il y a eu abus de concessions, loin que ces abus proviennent de la loi de
1810, ils sont contraires à son texte et à son esprit.
L’orateur combat en terminant la
proposition d’ajournement, et il pense qu’en adoptant le projet, on mettra le
gouvernement à même de satisfaire, sans inconvénient, à tous les besoins, en
attendant que les circonstances permettent de réviser la loi, révision qui
exigera beaucoup de peine et de temps.
M. Desmanet de Biesme.
- Messieurs, je ne viens pas m’opposer au projet de loi en discussion, et
refuser d’accorder au conseil des ministres les attributions dévolues au
conseil d’Etat en matière de concessions ; mais, cet objet étant d’une grande
importance pour les provinces wallonnes, je crois pourvoir me livrer à quelques
considérations à cet égard.
Dans la séance de samedi dernier, la
loi du 21 avril 1810 a été envisagée de diverses manières : les uns la
regardent comme un chef-d’œuvre, tandis que d’autres la critiquent amèrement.
Je pense, comme notre honorable collègue M. Jonet, que cette loi offre
d’excellentes dispositions, mais que plusieurs autres peuvent et doivent être
changées, surtout en ce qui concerne les droits des propriétaires de la surface,
qui devaient être réglés d’une manière plus équitables. La nécessité de réviser
l’ensemble de la législation sur les mines le fait sentir depuis longtemps :
déjà, sous l’ancien gouvernement, une commission avait été constituée à cet
effet.
L’assemblée des états provinciaux de
Namur, dont j’avais l’honneur de faire partie, présenta une adresse au roi dans
la session de 1829, dans laquelle elle demandait que, « dans la nouvelle
législation sur les mines, on voulût prendre en sérieuse considération les intérêts
des propriétaires de la surface. »
Les observations que je fais en ce
moment ont donc pour but de prier le ministère de ne pas perdre de vue que, si
réellement il est nécessaire de réviser les lois existantes sur les mines, on
ne doit accorder de nouvelles concessions qu’avec une extrême réserve : il
serait temps que d’autres titres que la faveur seule pussent prévaloir. On sait
l’abus qui a été fait des concessions pendant les dernières années de l’ancien
gouvernement ; abus qui ont été jusqu’à accorder dans une société, à un
ministre qui était un des grands actionnaires, si toutefois il n’était pas le
prête-nom d’un plus haut personnage, la concession de provinces entières.
Si le même état de choses se fût
prolongé, on eût dû finir par faire sa profession de foi politique au bas de sa
demande en concession, car on n’en accordait guère aux signataires de
pétitions.
Je partage, en grande partie, les
opinions de M. Pirmez en ce qui concerne les petites concessions de
terre-houille. Autrefois, comme il vous l’a dit, du temps même de la féodalité,
la position des habitants était plus heureuse. Je sais que l’on objecte que
l’intérêt général exige que les exploitations soient bien dirigées pour ne pas
nuire à d’autres, et empêcher que des travaux importants ne puissent
s’effectuer dans l’avenir : aussi ne voudrais-je nullement les soustraire à la
surveillance de l’administration des mines. Et que l’on ne me dise pas que cela
est impossible : quand MM. les ingénieurs cesseront d’être un objet de terreur
pour les petits exploitants, et prendront le soin de les diriger, cela
deviendra très possible. J’en ai à citer un exemple bien honorable dans la
province de Namur, et je saisis cette occasion de rendre hommage à un
fonctionnaire aussi distingué par ses talents que par ses vues bienfaisantes.
Loin, comme quelques autres, d’abreuver les petits exploitants de dégoûts, M.
Cauchy, ingénieur des mines de cette province, a pris à cœur leurs intérêts :
il dirige leurs travaux à leur avantage, comme ceux de l’administration ; il
est sévère, mais juste. J’ai souvent ouï les houilleurs et les petits houillers
dire qu’ils le regardaient comme leur bienfaiteur.
Je pense donc que le gouvernement,
dans la nouvelle loi, doit chercher à concilier les intérêts des petits
particuliers, sans nuire aux grands travaux, qui ne peuvent être exécutés que
par de gros capitalistes.
Je ferai aussi observer qu’il est
d’une bonne administration et dans l’intérêt général de ne pas accorder un
grand nombre de concessions aux mêmes individus, mais de favoriser les petites
sociétés charbonnières qui, ne pouvant attendre longtemps la rentrée de leurs
fonds, empêchent le monopole, et maintiennent le charbon de terre à un prix
modéré.
Je voterai pour le
projet en discussion si, toutefois, l’amendement proposé par M. Poschet, qui en
excepte les mines de fer, reçoit l’approbation de la chambre.
Je crois, enfin, messieurs, qu’après
avoir fait, sans doute, beaucoup pour les intérêts moraux de la nation, le
moment est venu de nous occuper de ce qui tient au bien matériel, par
l’établissement de bonnes lois financières et industrielles, et que c’est
peut-être moins dans celles de l’empire français et du dernier gouvernement,
qui tendaient toujours à la centralisation, que nous devons chercher nos
inspirations, que dans les anciennes lois et coutumes communales et
provinciales des temps qui ont précédé la réunion à la France.
M. Jullien. - Si la question des mines n’était pas
par elle-même très importante, elle aurait acquis un très haut degré d’intérêt
et de gravité par la question de propriété qui s’y rattache. On a invoqué avec
chaleur le droit sacré du propriétaire foncier ; on a expliqué que le dessus
emportait le dessous ; enfin l’on a critiqué la loi de 91 et de 1810. Dans le
droit civil, le propriétaire a, incontestablement, le droit d’user et d’abuser
de son terrain ; il est encore certain que la propriété du sol emporte le
dessus et le dessous ; mais il faut bien remarquer que ces droits ont leur
limite. Cette limite se trouve dans la restriction posée par l’article 544 du
code civil, qui dit que « les propriétaires exercent leurs droits, en ce
conformément aux lois et règlements sur l’usage et l’exercice de ce même droit. »
Voilà la limite : par exemple, vous ne pouvez faire sur votre terrain une
construction qui nuise à votre voisin, bien que votre droit de propriété soit
absolu ; vous ne pouvez y chasser sans autorisation de l’administration, comme
vous ne pouvez le convertir en tourbière ou en carrière sans la permission
exigée par les lois de police.
La loi de 91 a consacré tous ces
principes ; je la propose même comme modèle à ceux qui ont la manie de vouloir
faire des lois nouvelles, et qui ne pourraient atteindre à la perfection de
celle dont il s’agit. Elle portait que les mines métalliques ou non-métalliques
ne seront expoitées que sous l’autorisation et avec le consentement du
gouvernement. Du reste, elle permettait au propriétaire de creuser son terrain
jusqu’à cent pieds de profondeur ; il devenait exploitateur de la mine quand il
le demandait : s’il ne le demandait pas, on accordait la concession à un autre,
pour ne pas laisser enfouie dans la terre une des richesses du pays ; mais, par
un princpe d’équité, elle accordait au propriétaire non exploitant lui-même une
indemnité. Toutefois, ce que je dis de la loi d’avril 91, je suis loin de le
dire de celle du mois d’avril 1810. Tout le monde doit reconnaître que cette
dernière loi a évidemment méconnu le droit de propriété ; car, d’après ses
termes, le propriétaire n’a plus la faculté de fouiller son terrain : ce droit
est transporté au gouvernement, et c’est aussi le gouvernement qui est
l’appréciateur de l’indemnité. Aussi mérite-t-elle les critiques qu’elle a subies.
Lisez et comparez les deux lois, messieurs, et vous verrez facilement qu’elles
ont été dictées sous l’influence de circonstances différentes. Dans celle de
91, on retrouve les vues régénératrices de l’assemblée constituante et son
respect pour le droit de propriété ; dans celle de 1810, vous retrouvez
l’influence de la volonté impériale, le désir de centralisation, et l’empreinte
d’un despotisme presque oriental.
Je pense donc que cette loi ne peut
pas être exécutée. D’ailleurs, une fin de non-recevoir contre son application
se puise dans l’article 11 de notre pacte fondamental, qui porte que « nul
ne peut être dépossédé de sa propriété sans une juste et préalable
indemnité. » Il est incontestable que cette partie de la loi, qui
n’accorde au propriétaire qu’une indemnité illusoire, est virtuellement abrogée
par la constitution. Je pense donc que, sous ce rapport, vous ne pourriez
jamais la mettre à exécution.
J’arrive maintenant au projet du
gouvernement : je suis fâché de le dire mais ce projet, selon moi, se ressent
de la précipitation et de l’irréflexion. L’article unique tend à substituer au
conseil d’Etat le conseil des ministres. Pour vous prouver combien il est
vicieux, il faut rapprocher ce qui se passait, non pas en 91, je ne remonte pas
si loin, mais même sous le gouvernement impérial, de ce qui se pratiquerait
aujourd’hui. Sous l’empire, messieurs, la réclamation du propriétaire était
portée devant le conseil d’Etat ; elle était publiée. Il y avait ensuite
requête de l’avocat du réclamant ; enfin des débats contradictoires
s’établissaient en présence du conseil d’Etat, et c’était après toutes ces
formalités qu’intervenait la décision. Il est à remarquer, en outre, que ce
conseil, composé d’un grand nombre de membres, renfermait des hommes spéciaux sur
toutes les matières.
Eh bien ! est-ce
dans les cinq hommes du ministère (je ne nie pas d’ailleurs leur capacité),
mais est-ce dans ces cinq hommes que vous trouverez l’homme spécial des mines ?
Ensuite, comment remplacerez-vous les avocats qui présentaient les requêtes et
les garanties du débat contradictoire ? D’un autre côté, quand le gouvernement
sera intéressé dans la question, il sera donc juge et partie en même temps.
Quoi ! c’est le gouvernement qui se ferait à lui-même un rapport et qui statuerait
sur son propre rapport ! C’est une prétention, je ne dirai pas absurde, parce
que ce mot n’est point parlementaire, mais tout à fait extraordinaire. Mais,
va-t-on me dire : qu’allons-nous faire ? Je pense, messieurs, que vous avez à
rejeter le projet, s’il n’est pas retiré, ou bien à améliorer par un amendement
qui y introduirait les principes que j’ai posés. On a proposé de renvoyer la
loi à une commission ; mais, si le projet n’est pas retiré, nous serons obligés
toujours de le discuter, et cela ne sera que nous retarder encore. Il me semble
que, si l’on avait pris pour base la loi de 91, et qu’on l’eût combine avec les
exigences du droit de propriété, on aurait fait une bonne loi qui n’aurait pas
été susceptible d’une longue discussion et qui maintiendrait le principe des
concessions des mines métalliques ou non-métalliques par le gouvernement. Quant
à celle en discussion, je la rejetterai si elle n’est amendée dans le sens que
j’ai indiqué.
M.
Milcamps. -
Messieurs, y a-t-il lieu, conformément aux conclusions de la commission, à
ajourner la discussion du projet de loi tendant à investir provisoirement le
conseil des ministres des attributions du conseil d’Etat en matière de mines ?
Telle est la seule et unique question à l’ordre du jour.
Dans mon opinion, c’était une
question de principe qui touche à la constitution, puisque l’ajournement doit
avoir nécessairement pour résultat de suspendre la loi du 21 avril 1810, ce qui
ne me paraît pas être dans la puissance seule d’une des trois branches du
pouvoir législatif.
Il ne paraît pas que mes paroles
aient fait une forte impression sur cette assemblée, car presque tous les
orateurs entendus jusqu’à ce moment n’ont pas considéré la question sous le
même point de vue ; ils se sont principalement attachés, pour soutenir
l’ajournement ou le faire rejeter, à disserter sur la loi de 1810, à l’examiner
sous le rapport de ses dispositions bonnes ou mauvaises.
Un seul orateur, l’honorable M.
Jonet, a exprimé l’opinion que, si l’action du pouvoir exécutif se trouvait
paralysée, si la loi de 1810 restait suspendue, ce n’était point par le fait de
l’ajournement, mais par la suppression du conseil d’Etat.
Cet argument n’est que spéciaux ; car
l’objet du projet de loi tend précisément à suppléer le conseil d’Etat, et
ainsi à donner le moyen de rétablir l’action du gouvernement ; et ce moyen,
c’est une des trois branches du pouvoir législatif, réunissant le pouvoir
exécutif, qui vous le propose, et qui se décharge d’une responsabilité morale
envers une masse de citoyens, qui ont des droits à une responsabilité qui vous
est renvoyée, qui pèse maintenant tout entière sur vous, et que vous acceptez.
Mais le système est changé, a dit
l’honorable M. de Brouckere. Oui, sans doute, il serait changé si je ne disais
pas que c’est par une voie détournée, indirecte, que l’on arrête l’exécution de
la loi.
Mais enfin, puisque la question a été
particulièrement traitée dans ses rapports avec les lois de 1791 et 1810, c’est
aussi sous ce point de vue que je vais l’examiner.
Les partisans de l’ajournement ont
fait une critique amère de la loi de 1810 ; mais, si elle était aussi
défectueuse, aussi injuste qu’ils cherchent à le démontrer, encore ne
devrait-on pas la suspendre par le moyen qu’on adopte ; il faudrait faire une
proposition directe, qui passerait par la filière de toutes les branches du
pouvoir législatif. L’honorable M. Pirmez trouve particulièrement l’injustice
de la loi dans l’atteinte portée au droit de propriété. Mais la loi de 1810
respecte ce droit de propriété ; car la concession n’est accordée que moyennant
indemnité, et à l’égard des terrains où le minerai se trouve confondu avec la
terre végétale, ou tellement épars à la surface qu’il faille nuire à la culture
des champs pour l’obtenir. Dans ce cas, les exploitants doivent nécessairement
s’arranger avec les propriétaires des terrains, de manière à indemniser, outre
le prix de la concession, du tort que l’extraction causera à la surface ; car
c’est là un dommage pour lequel l’action est ouverte devant les tribunaux.
Ainsi point d’atteinte à la propriété. Ce qu’il ne considère point, c’est peut
y avoir nécessité de sacrifier ce droit ou de le convertir en indemnité. Tout
ce que le législateur peut faire de plus sage, c’est de préciser le cas où le sacrifice
emportera indemnité.
Ces principes ont été consacrés par
toutes les législations du dernier siècle.
Voici comme s’exprimait le conseiller
d’Etat Regnaut de Saint-Jean d’Angely, séance du 13 avril 1810 :
« Selon l’ancien droit romain,
le propriétaire de la surface l’était de toutes les matières métalliques
renfermées dans le sein de la terre.
« Depuis, et sous les empereurs,
on put exploiter des mines dans le fonds d’autrui, puisque la loi régla la
redevance à payer dans ce cas. Elle était d’un dixième au profit du
propriétaire, et d’un dixième au profit du fisc.
« Dans la partie septentrionale
de l’Europe, le droit des propriétaires, la prétention des seigneurs, l’intérêt
de l’exploitation, ont été les mobiles divers qui ont dirigé la législation.
« Mais le résultat auquel on est
arrivé dans le dernier siècle est presque uniforme dans les Etats voisins.
« En Prusse, l’ordonnance de
1772 réserve au domaine le droit d’exploiter ou de concéder toutes les mines.
La concession réserve un droit au propriétaire du sol.
« En Hongrie, l’ordonnance de
Maximilien désigne toutes les mines comme « biens de la chambre
royale », et défend d’en ouvrir sans l’autorisation du souverain.
« En 1781, l’empereur Joseph,
dans son règlement sur les mines, consacre formellement le même principe.
« En Bohème, le droit régalien,
également consacré, a été cédé aux Etats, à la charge d’accorder des
concessions, ainsi qu’il est dit à l’article 1er de l’ordonnance de
Joachimisthal.
« En Autriche, l’ordonnance de
Ferdinand établit le même principe qu’en Hongrie.
« En Saxe, la loi distingue les
mines des houilles des autres mines. Celles-là ne sont pas sujettes au droit
régalien qui est établi pour toutes les autres ; cependant nulle exploitation,
même les houillères, ne peut avoir lieu sans la permission et la concession du
souverain.
« En Hanovre, en Norvège, la loi
dispose comme l’ordonnance de Joachimisthal.
« En Suède, pays que la nature
semble avoir voulu consoler par ses richesses minérales d’être si maltraité
sous d’autres rapports, toutes les mines appartiennent à la couronne.
« En Angleterre, le droit
d’entamer la surface du terrain, non seulement pour exploiter les mines, mais
encore les carrières, se nomme « royalti » et appartient au
souverain.
« En Espagne, les mines sont
considérées comme propriétés publiques. »
On tenait pour constant en France,
avant la loi de 1791, que les mines étaient une propriété domaniale ; mais M.
Merlin prouve très bien que ce n’était qu’une faculté de disposer en
indemnisant.
Vous connaissez, messieurs, les
dispositions de cette loi de 1791 ; vous connaissez aussi celles de 1810.
Beaucoup d’orateurs entendus semblent
accorder une préférence à la loi de 1791 sur celle de 1810. Cependant celle-ci
n’a été provoquée que parce que celle de 1791 était imparfaite, inexécutable.
D’abord, on faisait observer que
l’article premier de la loi de 1791 mettait les mines à la disposition de la
nation, ce qui supposait que le gouvernement en disposerait selon l’intérêt de
la société ; et l’article 3 attribuait une préférence aux propriétaires de la
surface, ce qui excluait pour le gouvernement la liberté de disposition. Puis
venait l’article 10 qui subordonne le droit des propriétaires à l’examen de
leurs moyens d’exploitation, c’est-à-dire fait réserver l’exercice d’un droit
positif de la décision arbitraire d’un fait.
Ainsi l’auteur du rapport, dont j’ai
extrait ce qui précède, faisait remarquer que cette loi, dans les premières
années, était presque inexécutée et que les mines, dans toute la France, sans
surveillance, sans activité, pour ainsi dire sans produits, lorsque le comité
du salut public créa, en l’an II, une administration des mines.
Cette institution du conseil des
mines fut spécialement l’ouvrage de ce Fourcroy, que les arts et les sciences regrettent
encore.
Mais, ajoute encore le conseiller
d’Etat, l’imperfection de la législation de 1791 offrait tant d’obstacles, tant
de lacunes, plus sensibles encore depuis la réunion des départements voisins de
l’Escaut et du Rhin, que le ministre de l’intérieur essaya de remédier aux
embarras sans cesse renaissants, en publiant, le 18 messidor an IX, une
instruction fort détaillée, réglant un grand nombre de cas non prévus, et
modifiant par de nombreuses interprétations les dispositions positives de la loi
de 1791.
C’est cependant à cette loi de 1791
qu’on semble donner la préférence, tandis que celle de 1810 a été demandée par
l’opinion générale et n’a été portée qu’après avoir été examinée dans de
longues conférences, et après que les hommes les plus éclairés en métallurgie
eurent été entendus.
Mais pourquoi cette préférence ?
C’est parce que l’article 3 de la loi de 1791 accordait une préférence au
propriétaire de la surface. Mais un article de la loi de 1810 autorise aussi le
propriétaire à faire des recherches ; et, s’il offre les moyens d’une bonne
exploitation, il peut obtenir une concession.
Messieurs, gardons-nous de prononcer
légèrement sur des matières qui sont toutes spéciales, et qui ne peuvent être
bien appréciées que par les hommes qui y ont acquis des connaissances
positives. Je ne dis pas que la loi de 1810 n’est pas susceptible
d’améliorations ; mais on en exagère les vices, et le mieux que jusqu’ici nous
puissions faire, c’est d’adopter une loi qui supplée le conseil d’Etat.
Mais un honorable membre, M. Nothomb,
pense que le conseil des ministres ne peut être assimilé au conseil d’Etat de
l’empire : il a raison, mais ce n’est pas ce que le projet de loi propose. Il
propose simplement, du moins tel que le projet a été amendé, d’investir le conseil
des ministres des attributions du conseil d’Etat en matière de mines ; et il
faut ici entendre le dernier conseil d’Etat, qui n’était appelé qu’à donner son
avis. (Voyez l’arrêté du 15 septembre 1818). Un autre orateur, l’honorable M.
Gendebien, exprime le désir que les questions sur les mines soient déférées à
l’une des chambres des cours de Liége ou de Bruxelles. Mais la proposition de
M. Gendebien, pour être comprise, a besoin d’être développée ; car une foule de
questions en matière de mines sont de la compétence des tribunaux et doivent
subir les différents degrés de juridiction. Mais il ne s’agit ici que du titre
de concession, et le pouvoir administratif me paraît être celui auquel on doit
attribuer le droit de concéder, c’est-à-dire que c’est le pouvoir administratif
qui doit préparer la décision royale à cet égard.
Il
paraît s’élever contre le pouvoir administratif un préjugé qui semble gouverner
beaucoup de membres de cette chambre. C’est cependant le plus ancien des
pouvoirs, et c’est peut-être là son malheur. Mais je soutiens qu’en matière de
mines, et en général toutes les fois qu’il s’agit d’exiger des citoyens un
sacrifice dans l’intérêt général, le pouvoir administratif est plus à même
qu’un tribunal, dont les jugements sont déclaratifs et non attributifs des
droits de propriété, d’examiner les intérêts de localités, d’ordonner des
informations de commodo et incommodo, de faire dresser des procès-verbaux,
d’appeler les lumières des personnes qui ont des connaissances en métallurgie.
Je le demande, un tribunal pourrait-il, sans nuire à la justice ordinaire,
s’occuper de pareils détails ? Assurément, non.
M. Leclercq,
dont le tour d’inscription est arrivé, renonce à la parole.
M. Gendebien. - Je n’abuserai pas longtemps de vos
moments, messieurs. Il ne s’agit pas maintenant de réviser la loi de 1810. Pour
avoir une bonne loi sur les mines, qui concilie l’intérêt des propriétaires de
la surface et celui de l’industrie générale, il faudra qu’elle soit lentement
élaborée dans le silence du cabinet, pour qu’elle soit publiée afin que tous
les intéressés puissent apporter dans la question tous les éclaircissements
nécessaires. Eh bien ! il se passera huit mois avant qu’un tel travail soit
achevé. Or, je demande si vous pouvez laisser en suspens, pendant un espace de
temps si considérable, tous les droits relatifs aux mines ? Cela est impossible
; il faut au moins que vous reniez une mesure qui vous justifie du reproche de
déni de justice. Les amendements que je propose forment un projet tout à fait
nouveau ; car, d’une part, je demande que l’une des chambres des cours de Liége
ou de Bruxelles remplace le conseil d’Etat pour les questions relatives aux
mines, et, d’une autre part, je propose que le gouvernement, sur l’avis de
l’une de ces cours, ne statue sur les demandes en maintenue de possession que
pour ceux qui ont des droits acquis antérieurement.
L’orateur
démontre, par plusieurs observations, l’avantage que présente le mode qu’il propose
; il réfute l’objection qu’on a faite contre l’idée de transférer au pouvoir
judiciaire les questions relatives aux mines, et il pense que la chambre, pour
ne pas léser une foule de droits légalement acquis, repoussera l’ajournement,
et votera le projet avec les amendements qu’il propose, et qui concilient
toutes les opinions.
-
On demande la clôture de la discussion sur l’ensemble. Elle est mise aux voix
et adoptée.
M. Nothomb. - Je demande la parole.
La clôture qui vient d’être prononcée n’a pu l’être que sur la question de
l’ajournement, puisque cette seule question était en discussion ; il faut que
la chambre comprenne bien cela. Dès lors, si l’ajournement est rejeté, il n’en
résultera pas que nous devions voter sur le fonds immédiatement, mais il faudra
le renvoyer à la commission ; car la chambre n’est pas certainement assez
éclairée pour voter maintenant sur une loi de cette importance.
M. H. de Brouckere. - Je partage entièrement l’avis de M.
Nothomb, qu’il faut d’abord voter l’ajournement ; mais, après, la chambre sera
certainement libre de voter sur le fond.
M. Gendebien. - Il me semble qu’après deux jours de
discussion, lorsque déjà il y en a eu trois, quatre, il y a six semaines, on
peut bien aborder les deux articles dont se compose le projet.
M.
Mary. - C’est d’ailleurs ce qui
fut convenu dans la séance de samedi. M. Gendebien demanda qu’on ne discutât
que sur l’ajournement ; mais, sur une fin de non-recevoir que je proposai, la
chambre décida que la discussion aurait lieu et sur l’ajournement et sur le
fond.
M. Jonet. - Quand vous ordonnâtes
le renvoi à une commission, vous lui donnâtes le mandat d’examiner le projet de
loi et les amendements proposés ; la commission fut arrêtée d’abord par une
considération provenant de la difficulté de réviser dans un bref délai toute la
législation, et elle vous proposa l’ajournement. Ce n’est que sur cette
question que la commission a donné son avis ; elle n’a pas émis d’opinion sur
les amendements, et, si vous alliez décider au fond aujourd’hui, vous le feriez
sans avoir eu l’avis de votre commission.
M. Lebeau. - Messieurs, il y a, je crois, un moyen
de concilier toutes les opinions. La commission propose l’ajournement de la
discussion ; c’est là-dessus qu’il faut aller aux voix. Si l’ajournement est
rejeté, vous ne pouvez aller immédiatement aux voix sur le projet ministériel,
puisque la commission ne vous a pas donné de conclusion au fond, et que
cependant vous lui aviez demandé son avis par le fait du renvoi. Il faut donc
nécessairement, si l’ajournement est rejeté, renvoyer de nouveau le projet à la
commission, qui, avertie du dissentiment qui s’est manifesté entre la chambre
et elle sur l’opportunité de la loi, l’examinera cette fois au fond et vous
fera son rapport. La loi, telle qu’elle se présente en ce moment, avec les amendements
présentés, est trop incohérente pour que vous puissiez voter sans que le projet
n’ait été préalablement élaboré par la commission : la marche contraire ne
produirait qu’un mauvais travail. Je crois qu’il y a urgence qu’une décision
soit prise au fond, car on ne peut pas laisser frapper d’interdit une loi
importante comme celle des mines ; mais son importance même exige qu’on ne la
vote qu’après un mûr examen.
- Après un léger débat et la lecture
faire de tous les amendements proposés, M. le président met aux voix la
proposition d’ajournement ; elle est rejetée unanimement.
Le renvoi du projet et des
amendements à la commission est ensuite mis aux voix et adopté.
INTERPELLATION RELATIVE
A LA PASSATION D’UN MARCE MILITAIRE (MARCHE HAMBROUCK)
L’ordre du jour appelle le
développement de la proposition de M. Jullien sur le marché Hambrouk ; mais, M.
le ministre de la guerre étant absent, le développement est ajourné à vendredi,
jour de la prochaine séance publique.
La séance est levée à trois heures et
demie.