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Chambre des représentants de Belgique
Séance du mardi 29 novembre
1831
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre
2) Proposition de loi tendant à faire restituer
les chemins nationalisés lors de la période française (Barthélemy)
3) Projet de loi relatif aux budgets provinciaux
(Jonet)
4) Commission d’enquête sur les causes et les
auteurs des revers de la campagne militaire du mois d’août 1831. Moyens de mise
en œuvre des travaux de cette commission, notamment octroi de compétences
judiciaires à la chambre des représentants au moyen d’une loi (Leclercq, Ch. de Brouckere, Nothomb, Tiecken de Terhove, de Muelenaere, Gendebien, Dumortier, F. de Mérode, de Haerne, Gendebien)
(Moniteur belge n°169, du 1 décembre 1831)
(Présidence de M. de Gerlache.)
La séance est ouverte
à une heure moins un quart.
M.
Lebègue fait l’appel nominal.
M. Dellafaille lit le procès-verbal
; il est adopté.
PIECES ADRESSEES A LA
CHAMBRE
M.
Lebègue fait l’analyse de quelques pétitions ; elles sont
renvoyées à la commission.
______________
M.
d’Elhoungne
écrit pour annoncer que des affaires urgentes l’obligent à d’absenter pendant
deux fois 24 heures.
PROPOSITION DE LOI
TENDANT A FAIRE RESTITUER LES CHEMINS QUI ONT ÉTÉ NATIONALISES LORS DE LA
PERIODE FRANCAISE (PROPOSITION BARTHELEMY)
M. le président. - Les sections ont autorisé la lecture de la
proposition de M. Barthélemy.
M.
Barthélemy, à la tribune. - Pour que je sache bien que nous
avons fait une révolution, et pour rendre justice à tout le monde, j’ai
l’honneur de vous faire la propostion suivante. (L’honorable membre lit une
proposition tendante à restituer les chemins pavés à ceux qui ils appartenaient avant 1794, sous
certaines conditions que nous ferons connaître.)
M. le président. - Quel jour la chambre entend-elle fixer pour
les développements de cette proposition ?
Plusieurs voix. - Demain.
D’autres voix. - Non, vendredi.
- Après l’épreuve et la
contre-épreuve, la chambre décide que les développements auront lieu demain.
PROJET DE LOI RELATIF
AUX BUDGETS PROVINCIAUX
M. Jonet fait un rapport sur
le projet de loi relatif au mode de former le budget des provinces, il conclut
à l’adoption.
- La chambre fixe la
discussion à demain.
COMMISSION D’ENQUETE
SUR SUR LES CAUSES ET LES AUTEURS DES REVERS DE LA CAMPAGNE MILITAIRE DU MOIS
D’AOUT 1831
L’ordre du jour est la
suite de la prise en considération du projet de la commission d’enquête.
M.
Leclercq. - (Nous
donnerons son discours.) (Note du
webmaster : ce discours n’a pas été retrouvé. Il n’est pas à exclure qu’en
fait, il ait été inséré dans le texte du discours prononcé la veille par le
même député.)
M. le ministre de la guerre (M. Ch. de Brouckere). - Messieurs, quand
je ne verrais pas d’autres inconvénients dans le projet que ceux d’apporter une
perturbation complète dans l’armée et de renverser toute la hiérarchie
militaire, cela suffirait seul pour que je m’y opposasse de toutes mes forces.
Je dis que le projet portera la perturbation dans l’armée et qu’il renversera
la hiérarchie, parce qu’il confère à la commission d’enquête le droit de
déléguer ses pouvoirs à des militaires de tous grades pour instrumenter en son
nom. Ainsi tous les militaires, les chefs supérieurs eux-mêmes, se trouveront à
la disposition de ces commissaires délégués. Je crois, messieurs, que le moment
n’est pas venu de détourner les militaires de leur service, que le moment n’est
pas venu d’aller scruter la conduite passée de chacun.
Après le mois d’août,
le gouvernement nomma une commission d’enquête ; les événements ultérieurs et
l’expiration de l’armistice n’ont pas permis à cette commission de poursuivre
son travail jusque dans les détails qu’il exigeait ; mais cependant, lorsqu’un
fait a été reconnu patent, le gouvernement en a fait punir les auteurs. Plusieurs
jugements en première instance ont été rendus à cet effet, et un d’entre eux a
été confirmé en dernier ressort.
Mais, indépendamment
de ces considérations, je m’oppose encore à la prise en considération, quand
j’envisage le résultat qu’elle amènerait, dans le cas où la chambre ne la
rejetterait pas comme inconstitutionnelle. En effet, admettons pour un instant
cette hypothèse : qu’adviendra-t-il ? Si les auteurs de nos désastres sont des
ministres, ils seront mis en accusation. Mais si ce sont d’autres personnes qui
se trouvent en dehors de la juridiction de la chambre, je vous demande quelle
sera alors votre position ? La chambre est une des branches du pouvoir
législatif. Or, quand le rapport de la commission aura rendu publique
l’accusation de quelques personnes qui sont en dehors de sa juridiction, qui
les fera poursuivre ? Ce sera le pouvoir exécutif ; et si ces personnes sont
acquittées par leurs juges naturels, quelle sera la position de ceux qui auront
été acquittés ? Flétris publiquement par la chambre, ils ne pourront jamais se
laver de l’accusation qu’elle aura fait peser sur la tête.
J’arrive à la
question de constitutionnalité. L’orateur qui vient de parler a démontré la
constitutionnalité du projet par des observations très judicieuses et surtout
très spirituelles ; mais il s’est mis tout à fait en dehors et de l’esprit et
de la lettre de la loi.
Il dit : Quand la
constitution vous accorde un pouvoir, vous devez nécessairement avoir tous les
moyens d’exercer ce pouvoir. Ce raisonnement est juste ; mais tous les droits
que la constitution accorde à la chambre, et notamment le droit d’enquête, se
trouvent limités par la constitution elle-même. L’article 40, qui donne à
chaque chambre le droit d’enquête, est conçu à la vérité dans des termes généraux
; mais l’article 46 porte que chaque chambre déterminera par son règlement le
mode selon lequel elle exercera ses attributions. Or, le droit d’enquête étant
l’une des attributions de la chambre des représentants, elle doit la déterminer
dans son règlement. Eh bien ! Vous ne pouvez appliquer de peine en vertu du
règlement ; l’article 9 de la constitution s’y oppose. Et quelles sont les
peines que pourrait prononcer la commission ? Des peines énormes qui dépassent
tous les pouvoirs accordés aux tribunaux. C’est une amende considérable
calculée par chaque jour de retard, tandis que devant les tribunaux une amende
fixe est infligée à quiconque refuse de comparaître. Et d’où viendrait cette
différence ? C’est probablement, comme on l’a dit, parce que le pouvoir
judiciaire est un pouvoir secondaire. Messieurs, je ne connais pas de pouvoir
secondaire, je ne connais que des pouvoirs qui servent à entretenir l’équilibre
de l’Etat.
Mais, me dira-t-on,
comment entendez-vous donc le droit d’enquête ?
La chambre peut faire
une enquête pour s’éclairer sur une matière de législation ou sur quelque objet
d’intérêt général ; elle peut aussi faire une enquête comme pouvoir judiciaire,
quand il s’agit de l’accusation des ministres. Pour le premier cas, chacun
étant intéressé à donner à la chambre les renseignements qu’elle croit
nécessaires, il n’est pas besoin de moyens coercitifs pour contraindre les
témoins à comparaître devant une commission ; et dès lors le règlement suffit.
Une loi déterminera
les cas de responsabilité, les peines à infliger aux ministres et le mode de
procéder contre eux, soit sur l’accusation admise par la chambre des
représentants, soit sur la poursuite des parties lésées. Ainsi, messieurs, une
loi doit régler le mode de procéder contre les ministres et les poursuites des
parties lésées.
Voici qui règle les
droits de la chambre pour le cas spécial de l’accusation des ministres. Or, si
la constitution avait voulu déférer à la chambre le même pouvoir pour toutes
espèces d’enquêtes, elle aurait prévu les cas comme pour la responsabilité
ministérielle.
Plus
loin la constitution dit, à l’article 134 : « Jusqu’à ce qu’il y soit
pourvu par une loi, la chambre des représentants aura un pouvoir
discrétionnaire pour accuser un ministre, et la cour de cassation pour le
juger, en caractérisant le délit et en déterminant la peine. » Et si vous
combinez cet article avec l’article 90 que je viens de citer, il s’ensuit que
vous avez un droit discrétionnaire pour informer et poursuivre la procédure.
Mais ce droit ne peut être réglé que par votre règlement.
Ainsi, indépendamment
des premiers motifs que j’ai fait valoir, je dois encore m’opposer à la prise
en considération, parce que le projet viole la constitution. Je déplore que la
chambre ait prescrit une enquête, parce que je suis convaincu que cette enquête
n’amènera aucun résultat. Je conviens qu’après que la mesure a été prise, la
chambre a dû donner à sa commission les moyens de la mettre à exécution ; mais,
même dans ces moyens, si tant est qu’on veuille continuer l’enquête, je crois
qu’elle s’est trompée.
M. Nothomb. - Messieurs, si les membres de la commission
avaient déposé un projet qui eût défini le droit d’enquête, qui en eût réglé le
mode d’exercice, qui lui eût assuré de justes limites, qui, en consacrant les
droits de cette chambre, eût respecté les prérogatives royales, qui, surtout en
réglant l’action extérieure de la commission, eût reproduit ces dispositions
tutélaires qui forment le droit commun, je n’aurais pas hésité à appuyer la
prise en considération ; mais tel n’est pas le caractère de la proposition qui
vous est faite. Je suis forcé de la repousser parce qu’elle dénature le droit
d’enquête, qu’en absence de définition expresse elle enveloppe ce droit d’un
vague effrayant, que surtout elle porte atteinte aux garanties individuelles.
Car, messieurs, et c’est une remarque qui n’a pas encore été faite, elle viole
toutes les libertés publiques et privées. On vous propose d’instituer une
commission qui, s’emparant de toute l’action gouvernementale, agira à huis
clos, en secret, lançant des mandats non motivés, « se livrant à tous les
actes qu’elle jugera nécessaires, » à la confiscation. (Marques d’étonnement.) Ce ne sont pas
des conséquences qu’il faille arracher au projet, elles y sont exprimées. Je me
suis servi des termes mêmes de la proposition.
Ce n’est pas pour moi
une question de personne, mais une question de gouvernement que j’aborde sans
arrière-pensée comme une abstraction, une théorie.
On nous oppose
d’abord une fin de non-recevoir dont je suis loin de méconnaître la force.
« Vous avez ordonné une enquête, dit-on, exécutez votre propre décision ;
vous avez institué une commission, vous lui dites de marcher ; pouvez-vous lui refuser
les moyens de se mouvoir ? » Je l’avoue, cette considération m’a arrêté un
moment. Heureusement l’honorable orateur qui l’a fait valoir avec le plus
d’énergie, m’a fourni les motifs mêmes de persister dans ma première opinion.
Je ne déciderai pas si
l’exercice du droit d’enquête doit faire l’objet d’une loi organique, ou de
dispositions supplémentaires au règlement : quoi qu’il en soit, le droit
d’enquête est mis en question en son entier ; nous ne statuons pas pour un cas,
mais pour le présent et pour l’avenir : c’est d’une généralité qu’il s’agit.
Dès que les dispositions seront arrêtées, elles domineront la décision
précédente. Je considère donc la question, abstraction faite des antécédents
qui peuvent exister et des éventualités qui peuvent se présenter.
Le projet offre
d’abord deux grandes lacunes ; il passe sous silence deux questions graves,
fondamentales : qu’est-ce que le droit d’enquête ? Quel est le mode d’exercice
de ce droit ?
Le premier orateur
qui, hier, a défendu le projet, a dit que le droit d’enquête est indéfini,
illimité ; M. Leclercq vient de nous répéter que l’article 40, « chaque
chambre a le droit d’enquête, » doit être pris dans un sens absolu.
Cependant, le même orateur avoue qu’il ne faut pas considérer aucune disposition
isolément ; que tout acte législatif ou constitutionnel est un tout, dont les
parties se combinent, dont l’une explique l’autre. C’est ainsi que, pour
expliquer l’article 40, je le mets en rapport avec l’ensemble des articles de
la constitution. Le premier principe d’interprétation est celui-ci : tout droit
trouve ses limites dans la nature du pouvoir auquel il est délégué. Je ne
répéterai pas ce que le ministre, qui vient de parler, vous a si judicieusement
démontré ; chaque chambre a le droit d’enquête dans l’exercice de ses
attributions spéciales, soit législatives, soit judiciaires. Si ce droit était
illimité, absolu, si la chambre pouvait sortir de ces attributions,
qu’arriverait-il ? Une cour de justice absout un homme que l’opinion publique
proclame coupable, il frappe du veto un projet de loi qui a obtenu
l’assentiment des deux chambres ; vous auriez le droit de faire une enquête sur
les motifs de l’un et de l’autre de ces actes : vous reculez devant ces
conséquences. C’est que le principe dont vous partez est faux, exagéré ; vous
ne rencontrerez dans l’application que des conséquences fausses, exagérées.
En Angleterre, le
droit d’enquête a subi toutes les variations des événements politiques. Posé en
termes illimités, il a d’abord été exercé d’une manière illimitée. Les annales
du parlement anglais nous offre l’exemple de commissions qui se sont plus à
s’emparer des secrets de l’Etat et des familles, à compromettre un grand nombre
d’individus, des commissions qui ont flétri sans oser accuser. Depuis un demi-siècle,
le droit d’enquête est devenu en Angleterre purement administratif, hors les
cas où le parlement exerce le pouvoir judiciaire.
La France, dans les
premières années de la révolution, offre un exemple remarquable d’enquête.
L’assemblée constituante ordonna une enquête pour rechercher s’il y avait lieu
de mettre en accusation le duc d’Orléans et Mirabeau, au sujet des journées des
5 et 6 octobre ; le fait, le but était précisé ; il rentrait dans les
attributions de l’assemblée, investie, comme nous, du droit d’autoriser la mise
en accusation d’un de ses membres. La chambre des députés de France a récemment
ordonné une enquête judiciaire ; c’était après la mise en accusation des
ministres ; cet exemple, que M. Jullien vous a cité dans la séance d’hier, est
le plus fort argument contre le projet de loi. Toutefois, l’amendement de
l’honorable membre même n’est pas recevable en ce moment, où il ne s’agit que
de la prise en considération de la proposition principale.
L’orateur examine
quel sera le mode d’exercice du droit d’enquête et développe l’opinion émise
par M. Fallon. La chambre doit faire l’enquête, en déléguant seulement à la
commission certaines opérations auxquelles la chambre ne peut se livrer
collectivement : par exemple, la commission entendra les témoins sur les faits
indiqués par la chambre.
La chambre ne peut
avoir le droit de compulser les archives ministérielles ; elle peut adresser au
gouvernement un message pour obtenir communication de telle ou telle pièce, et
le gouvernement aurait même le droit de se refuser à cette communication, s’il
la jugeait inopportune, dangereuse. C’est un droit que lui accorde l’article 68
de la constitution, qui porte : « que le Roi conclut les traités, et qu’il
en donne connaissance aux chambres et au public quand il le juge
convenable. » Le gouvernement a donc le droit d’avoir des secrets, et le
compulsoire indéfini, accordé à la commission par l’article 3 du projet,
anéantit l’article 68 de la constitution.
Voilà les raisons qui
me forcent à m’opposer à la prise en considération du projet. D’ailleurs, je me
demande quel peut être le but de l’enquête. Si c’est la mise en accusation de
tel ou tel ministre, qu’on dépose un acte d’accusation. Si l’on n’a pas une
mise en accusation en vue, on fait de l’histoire ; la commission fera un
rapport, contre lequel il sera libre à chacun de protester dans cette enceinte
et au-dehors ; car la commission ne peut prétendre clore la discussion : son
rapport ne sera le dernier mot, ce ne sera qu’un document historique, si ce n’est
pas un acte formel d’accusation.
Messieurs,
j’ai revendiqué les droits du gouvernement ; la constitution n’a pas institué
pour le gouvernement pour lui-même, n’a pas créé la royauté au profit de la
royauté même ; elle l’a instituée pour la nation, et comme garantie sociale. Le
pouvoir est la première, la plus grande garantie, à la suite d’une révolution
qui a relâché tous les liens, semé partout l’incertitude, détruit le crédit. Me
servant des expressions d’un honorable orateur, je dirai à mon tour : « Prenez
garde que, sous prétexte de satisfaire des susceptibilités personnelles, de
répondre à un cri de vengeance qu’on a osé faire entendre, prenez garde de
prolonger ce provisoire, cet affaiblissement du pouvoir, qui prive la nation
comme le gouvernement de force et de sécurité. »
M. Tiecken de Terhove. - Je n’aurais pas
pris la parole dans cette discussion si aujourd’hui je ne sentais le besoin de
motiver mon vote. Des assertions grossières, injurieuses, directes, sont
parties hier du sein de cette chambre, à la vérité, par un seul de ses membres,
contre des officiers-généraux, qui ont eu un commandement à l’armée, et dont un
était sous les ordres directes de S.M. ; ces paroles auront sans doute été
accueillies comme elles le méritent, et la chambre sait le cas qu’elle doit
faire des expressions qui échappent souvent de la bouche de cet orateur. Mais
il n’en est pas de même hors de cette chambre, où l’on pourrait accorder plus
de valeur à ses paroles, et croire que c’est sur ces officiers qu’on veut faire
poser le poids de la responsabilité de nos désastres ; et c’est après avoir
refusé à la commission d’enquête la compétence de juger si l’honneur national
est blessé, qu’il se donne à lui seul la compétence de porter un jugement sur
des généraux ; c’est de la bouche même d’un ancien ministre de la justice que
ces assertions sont parties, pour attaquer un homme, un brave vieilli sous les
armes, qui a combattu, avec quelque gloire, dans quinze batailles rangées et cinquante
grands combats, et obtenus sur le champ de bataille l’étoile de l’honneur.
Personne, messieurs,
ne sera plus à l’abri de la malveillance, des soupçons et des diatribes
bouffonnes, si une enquête sévère n’est faite pour parvenir à la vérité et connaître
les véritables auteurs de nos désastres. Je pourrais aussi, usant de
récrimination, jeter du blâme sur la conduite de certains personnages ; mais je
repousse de tels moyens, qui ne sont pas dans mon caractère. Il est temps que
ce scandaleux abus qu’on a fait ici, hier, de la tribune, cesse ; il est temps
que la vérité soit connue, et je dirai avec la commission, n’en déplaise à M.
Barthélemy, que l’honneur national le demande, l’exige, aussi bien que
l’honneur de ceux qui sont ici indignement outragés.
Qu’on rende enfin justice à qui il appartient. Que si
le pouvoir qu’on vous demande, par la loi proposée, (deux ou trois mots illisibles) exorbitant, ce n’est pas un motif
pour ne pas la prendre en considération. Renvoyée en sections, elle sera
examinée avec maturité. Dans la discussion qui s’ouvrira ensuite, on signalera
les vices dont elle pourrait être entaché, et par des amendements on pourra la
modifier, si a chambre le juge convenable. Quand elle a décidé de nommer une
commission (et cette décision a été prise à l’unanimité), elle ne l’a sans
doute pas fait légèrement ; ce serait lui faire injure que de le supposer. En
la nommant, elle a donc voulu aussi lui donner les moyens de remplir la tâche
qu’on lui imposait ; car qui veut la fin doit vouloir aussi les moyens.
Aujourd’hui elle serait en contradiction avec elle-même si elle les refusait.
Pour moi, messieurs, je voterai pour la prise en considération.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de
Muelenaere). - Messieurs, sans m’arrêter à la fin de
non-recevoir proposée par un honorable membre, fin de non-recevoir à laquelle
aucune réponse satisfaisante n’a été donnée, j’aborde franchement le fond de la
discussion même. L’article 40 de notre pacte fondamentale porte : « Chaque
chambre a le droit d’enquête. » Mais la constitution ne définit pas ce
droit. C’est un principe incontestable de droit public et de droit privé que
toute autorité, à moins d’une disposition toute spéciale, ne peut agir que dans
le cercle de ses attributions, et ne peut exercer ses pouvoirs que dans les
limites de ses droits. Je me demande donc en quels cas la chambre pourra
exercer ses pouvoirs ? Il me semble que la question est résolue par la
constitution même. La chambre des représentants, concurremment avec le sénat et
le Roi, exerce le pouvoir législatif. La chambre peut donc, dans les limites
qui lui sont tracées, exercer le droit d’enquête, pour des mesures
législatives. C’est ce droit d’enquête qu’on ne peut refuser à la chambre, que
M. Milcamps a si judicieusement qualifiée du nom d’enquête
« administrative. »
C’est de ce droit que
la chambre a déjà usé plusieurs fois : par exemple, en renvoyant aux cours et
tribunaux le projet de loi sur l’organisation judiciaire, ou en ordonnant que
le projet de loi sur les attributions des consuls serait communiqué aux
chambres de commerce. Ce droit peut devenir plus positif et plus solennel,
d’après l’importance même de l’objet dont s’occupe la chambre. S’il s’agir des
ministres, lorsque les faits seront précis et déclarés pertinents et
concluants, elle devra ordonner l’enquête pour établir d’abord s’il y a des
motifs suffisants de mise en accusation, afin de les traduire ensuite devant la
cour de cassation. Ainsi donc l’enquête est administrative quand elle a pour
objet des mesures générales ; elle est judiciaire quand elle concerne les
ministres.
Mon collègue, M. le
ministre de la guerre, vous a parfaitement démontré que, quand l’enquête est
administrative, c’est le règlement qui doit en déterminer le mode ; mais que
quand il s’agit de l’accusation des ministres, et qu’il faut à la chambre des
pouvoirs plus étendus parce que des témoins pourraient avoir répugnance à
comparaître devant elle, il est nécessaire de lui accorder des moyens
coercitifs, et l’article 134 de la constitution porte que cela doit se faire
par une loi. Hors des cas où il s’agit des ministres, de la vérification des
pouvoirs de ses membres, et d’une enquête administrative, je dis que la
constitution dans aucune de ses dispositions, ne confère plus à la chambre
aucun autre droit d’enquête.
Un honorable membre a
dit que la chambre ne peut déléguer à personne son droit d’enquête, parce
qu’elle ne peut s’en dépouiller. Cela ne veut pas dire qu’elle devra faire par
elle-même tous les actes que nécessitera l’enquête : elle pourra déléguer à
quelques-uns de ses membres des pouvoirs qu’elle aura fixés. C’est ainsi que,
quand il s’agira d’une enquête contre un ministre, la chambre elle-même
déterminera les faits concluants sur lesquels devra porter cette enquête ; et
s’il est besoin ensuite de compulser les archives pour se procurer les pièces
convenables, elle dira quelles sont ces pièces.
D’après ces
considérations générales, desquelles il résulte que la proposition ne peut être
prise en considération, vous voudrez bien me permettre de vous présenter
quelques observations succinctes sur le projet lui-même.
L’article
2 de ce projet autorise la commission d’enquête à procéder à toutes les
investigation et à faire tous les actes qu’elle jugera nécessaires. Mais que
diriez-vous d’un ministre qui viendrait vous présenter un code d’instruction
criminelle où il serait dit que le dernier officier de police judiciaire, pour
arriver à découvrir la vérité, pourrait faire toutes les investigations qu’il
croirait convenables ? Une telle disposition serait accueillie par un cri de
réprobation universelle, et ce cri de réprobation aurait été mérité. Eh bien !
messieurs, la commission d’enquête fera tout ce qu’elle voudra. (Violents murmures.)
M.
Gendebien prononce quelques mots qui ne parviennent pas jusqu’à
nous.
M. le ministre de affaires étrangères (M. de
Muelenaere). - Messieurs, je sais que la commission ne
voudra pas agir ainsi, mais je dis qu’elle pourra le faire ; c’est un argument
sans réplique. Et c’est à une commission temporaire, c’est à des hommes sans
responsabilité aucune devant la loi, que vous pourriez accorder un droit aussi
exorbitant ! Mais non seulement la commission sera investie de ce droit ; elle
pourra encore le déléguer à tous les fonctionnaires administratifs, judiciaires
et militaires. Ce sera un simple agent de l’administration, un officier
judiciaire, un militaire qui sera chargé de l’exécuter. Un pareil projet n’est
pas même susceptible d’être amendé, car il pèche par sa base. Ensuite, ainsi
que l’a dit M. le ministre de la guerre, l’article 2 renverse toute la
hiérarchie militaire. Et c’est quand la hiérarchie vient à peine de se rétablir
dans votre armée et vous savez au prix de quels efforts, et de quels
sacrifices, c’est en ce moment que vous allez la troubler ! Quoi ! des
officiers de l’armée vont être déplacés ; ils devront comparaître devant un
autre officier. Cet officier pourra même citer ses supérieurs pour lui rendre
compte de leur conduite ; et, après de pareils actes, la chambre viendra se
plaindre qu’il y a indiscipline dans l’armée !
Je m’abstiens de
relever toutes les incohérences qui se trouvent dans le projet ; mais il en est
que je ne puis passer sous silence. L’article 3 porte : « La commission a
le droit de compulsoire dans les dépôts publics et dans les archives des
départements ministériels. » Ainsi, messieurs, la
commission pourra sonder tous les secrets de l'Etat. Cependant quand, il y a
huit jours à peine, je suis venu vous dire que les circonstances ne
permettaient pas encore de vous communiquer des pièces diplomatiques qui, par
leur nature même, sont destinées à la publicité, vous avez applaudi à ma
conduite, et vous en avez apprécié les motifs. Et aujourd’hui, vous
autoriseriez une commission à venir les rendre publics. On vient de vous faire
observer que l’article 3 par lui-même viole la constitution. En effet, le Roi
peut laisser secrètes des pièces qui ont servi à une négociation, même après que
cette négociation est achevée, parce que l'intérêt et la sûreté de l'Etat
pourraient être compromis ; et aujourd'hui la commission d'enquête aurait le
droit, non seulement de compulser ces pièces, mais encore celles qui concernent
une négociation non achevée ! De plus, ici encore comme à l’article 2, elle
pourra déléguer son pouvoir, et tout délégué pourra rechercher ces pièces ! Il
m'est pénible de le dire, mais j'ose le déclarer, si une pareille mesure est
ordonnée, la chambre aura forfait à son serment, violé la constitution et
détruit la forme du gouvernement que la nation a établi.
Je n’insisterai pas
sur les articles 4 et 5, qui ne sont que les corrollaires de ceux que je viens
de vous citer, ni sur le droit exorbitant qu’aurait la commission d’enquête de
prononcer, sans appel ni recours, une amende de 100 florins, par chaque jour de
retard, contre ceux qui ne comparaîtraient pas. L’article 6 est encore une
autre violation de l’article 94 de la constitution, qui porte qu’il ne peut
être créé de commissions, ni de tribunaux extraordinaires, sous quelque
dénomination que ce soit. Cet article 6 institue une véritable commission
extraordinaire, qui aura le droit de citer et de faire comparaître toutes les
personnes qu’elle voudra. L’article 8 complète le système qui tend à constituer
un véritable tribunal extraordinaire ; par cet article, la commission demande
l’autorisation de pouvoir contraindre par corps ceux qui refuseraient de
comparaître. Et remarquez bien, messieurs, que l’enquête, ne pourra être suspendue
ni par la clôture de la session, ni par l’ajournement des chambres.
Indépendamment de tous les dangers que présente la proposition, il y aurait
impossibilité de concilier ses dispositions avec la prérogative royale, et la
constitution qui donne au chef de l’Etat le droit de clore les sessions et
d’ajourner les chambres. Comment le roi pourra-t-il ajourner les chambres ou
prononcer la clôture de la sessions, alors que la chambre, par sa commission
d’enquête, pourra toujours siéger au palais de la Nation !
En résumé, le projet
viole plusieurs dispositions de la constitution ; il porte atteinte à la
prérogative royale ; il nomme une commission extraordinaire, menaçante pour le
repos et la tranquillité des familles ; enfin il tend à entraver la marche du
gouvernement représentatif. Il ne me reste plus à vous faire qu’une seule
observation. Vous avez eu le rare bonheur de pouvoir vos donner une
constitution et un roi. Cette constitution, vous l’avez faite telle que vous
l’avez voulu ; vous avez déterminé les droits et les devoirs de la couronne, en
l’absence de la royauté, et lorsque personne n’était chargé ici de stipuler ses
droits ; vous conviendrez donc que vous avez largement usé de cette faculté
unique dans les fastes de l’histoire. Prenez garde de resserrer encore les
limites du pouvoir royal ! Ouvrez les pages de l’histoire, évoquez vos
souvenirs, et je vous demanderai si la liberté n’a pas péri souvent par trop
d’extension. Après une longue et sanglante révolution, la nation la plus avide
de liberté de l’Europe fut heureuse de se réfugier sous le despotisme
militaire, et de se soustraire à la tyrannie insupportable de ceux qui se
prétendaient les défenseurs exclusifs des libertés publiques. Les mêmes causes pourraient encore amener les mêmes
résultats. Le peuple belge a maintenant autant de liberté qu’il lui en faut ;
ce qu’il veut désormais, c’est l’ordre et la sécurité, et les mesures qu’on
vous propose troubleraient cet ordre et cette sécurité dont le commerce et
l’industrie ont tant besoin. Aussi je suis intimement convaincu que la chambre
repoussera le projet, parce qu’il porte atteinte à la prérogative royale ; je
suis convaincu qu’elle prêtera tout son appui au gouvernement, qui le lui
demande pour la sûreté de l’Etat, dans un moment où des désastres sanglants,
qui désolent la plus belle ville de la France après Paris, doivent nous faire
sentir la nécessité de l’union pour préserver notre pays de semblables
catastrophes.
(Supplément au Moniteur belge, non daté et non numéroté) M. Dumortier.
- Messieurs, vous avez dû éprouver une bien vive surprise lorsque, après avoir
adopté à l’unanimité des votants qu’une enquête serait faite sur les causes et
les auteurs de nos désastres, l’on est venu, à propos du projet de loi présenté
par la commission que vous avez choisie, reproduire des arguments déjà vingt
fois présentés contre le principe de l’enquête elle-même, et autant de fois
victorieusement combattus. Mais votre surprise a dû bien augmenter encore
lorsque, pour établir une fin de non-recevoir, l’on est venu soutenir dans
cette enceinte, des maximes qui ne tendent à rien moins qu’à nous priver des
libertés que nous avons conquises par le fer.
Je n’aborderai pas,
messieurs, les fins de non-recevoir tirées du règlement. Mes honorable s
collèges MM. Jullien et Leclercq en ont fait justice. Je me bornerai à examiner
si, comme l’ont dit divers préopinants, l’enquête est inconstitutionnelle, et
si le projet de loi qui vous est présenté peut être pris en considération.
Pour appuyer l’idée
d’inconstitutionnalité, on prétend d’abord que vous n’avez pas le droit
d’enquête contre les personnes, et qu’il est inconstitutionnel de rechercher
les auteurs de nos désastres ; ensuite, que la chambre seule a le droit
d’enquête et qu’elle ne peut le déléguer à une commission.
Je ne sais dans quel
texte de la constitution on a été trouver que le droit d’enquête est restreint
aux seuls ministres.
J’ai déjà eu l’avantage
de démontrer, dans une occasion précédente, que c’est là une véritable hérésie,
et l’honorable membre auquel je réponds
a reconnu la vérité de ma démonstration. A cet égard, le texte de la
constitution est clair et positif.
L’article 40 porte
que chaque chambre a le droit d’enquête ; l’article 90, que la chambre des
représentants a seule le droit d’accuser un ministre. Si donc, comme le
soutient l’honorable membre, les chambres ne pouvaient faire d’enquête sur
d’autres individus que les ministres que deviendrait pour le sénat l’estimable
prérogative que la constitution lui assure ? Il faudrait retrancher l’article
40 du pacte social, ou bien reconnaître qu’il est un non-sens, une
contre-vérité.
J’arrive à
l’objection que la chambre ne peut, sans enfreindre la constitution, déléguer
le droit d’enquête à une commission, et je crois pouvoir démontrer l’erreur
d’une pareille doctrine. Je ne vous rappellerai pas, messieurs, comment le
droit d’enquête s’exerce en France, en Angleterre, en Suède, dans tous les pays
constitutionnels ; je ne vous dirai pas que jamais on n’y a élevé le moindre
doute sur le pouvoir de déléguer ce droit à une commission. Je crois trouver
dans la constitution elle-même le preuve de la fausseté d’une telle allégation.
L’article 40, en donnant le droit d’enquête, fait l’une des plus précieuses
attributions de la chambre ; l’article 46 ordonne que chaque chambre détermine,
par son règlement, le mode suivant lequel elle exerce ses attributions ; enfin,
l’article 61 de votre règlement autorise la formation de commissions, pour
l’examen d’une ou plusieurs propositions. Eh bien ! n’est-ce pas pour l’examen
de l’enquête que la commission a été nommée ?
Ainsi s’écroule cette
doctrine perverse, qui voudrait attribuer à la chambre seule le pouvoir
d’exercer des enquêtes. Si, argumentant judaïquement, comme on l’a dit, du
texte de la constitution, un pareil système pouvait être admis, il faudrait
reconnaître que, conformément à l’article 34, c’est la chambre seule et non une
commission qui peut vérifier les pouvoirs des nouveaux membres ; que,
conformément à l’article 27, c’est la chambre seule et non chacun de ses
membres qui a le droit de l’initiative des lois ; et dès lors, marchant
progressivement dans la voie où vous mènerait un pareil système, vous auriez
bientôt ruiné tout l’édifice de la constitution.
Que si ces raisons ne
suffisaient pas pour détruire les objections que je viens d’attaquer, je vous
citerais l’exemple du congrès, qui, créateur de la constitution et pouvant
mieux que personne en apprécier la portée, n’a pas hésité de nommer une
commission d’enquête et de la charger de faire des recherches sur les causes et
les auteurs des événements de mars. Lorsque cette proposition lui fut soumise,
s’est-il élevé une seule voix pour soutenir l’inconstitutionnalité de faire une
enquête contre les personnes ou contre les choses, pour soutenir qu’il n’avait
pas le droit de déléguer le droit d’enquête à une commission, de faire
comparaître des témoins et de se faire représenter les écrits nécessaires ? Je
doute qu’une seule personne eût osé soutenir alors un tel système, et, s’il en
eût été ainsi, le congrès eût bientôt fait justice d’une pareille prétention ;
et c’est cependant ce que l’on vient prétendre lorsqu’on veut ravir à votre
commission les droits que le congrès lui-même n’a pas balancé à confier à celle
qu’il avait créée.
Messieurs, il est
facile de démontrer le besoin de prendre le projet en considération. La
constitution vous a déféré le droit d’enquête. Vous avez délégué ce droit à la
commission que vous avez investie de votre confiance. Cette commission vient
aujourd’hui vous proposer des mesures pour assurer l’exercice du mandat qui
vous est confié, vous ne pouvez donc vous refuser à prendre ces mesures en
considération. Quand on en viendra à la discussion des articles, il sera
loisible à chacun de nous de proposer tels amendements qu’il croira convenables
; et moi-même le premier, peut-être, viendrai-je en proposer. Mais écarter sans
discussion au fond une proposition qui vous est faite par une commission qui
n’est qu’une émanation de vous-mêmes, et qui vous déclare ne pouvoir marcher
sans une loi, ce serait vouloir et ne pas vouloir, ce serait renier le principe
que vous avez adopté, et auquel la nation a applaudi.
Je ne répondrai pas à
ce que vient d’avancer M. le ministre de l’extérieur, lorsqu’il trouve que
l’article 2 du projet donne à la commission le droit d’établir la censure ; et
je ne puis croire que personne de vous s’imagine que la commission aurait le
pouvoir d’établir la torture, voire même la potence ou la guillotine. Il est
inutile de répondre à de pareilles objectons. Quant à ce qu’il vous a dit
relativement aux pièces diplomatiques secrètes, et que la constitution autorise
le gouvernement de ne pas publier, cette autorisation seule présente au
gouvernement toute la garantie nécessaire. Au reste, je le répète, quand on en
viendra à la discussion du fond, il sera loisible à chacun de nous d’amender le
projet comme il le croira convenable.
On vous a dit que
l’enquête occasionnerait une perturbation dans l’armée. N’est-il pas évident,
au contraire, que son premier résultat sera de rétablir cette confiance si
nécessaire au soldat, en lui démontrant que, les causes de nos revers une fois
connues, l’armée aura la garantie que l’on n’y tombera plus à l’avenir ?
Et, s’il était démontré que la faute de nos revers retombe sur des hommes qui
ne sont pas accusables par la chambre, celle-ci, en déclarant qu’ils ont
forfait à leur devoir, aura vengé, autant qu’il est en elle, l’honneur du pays.
A propos du projet de
loi qui vous est soumis, j’ai entendu professer des maximes étranges. On a été
jusqu’à prétendre qu’il ne nous appartient pas de déclarer que l’honneur
national a été atteint. Eh quoi ! l’on viendra nous contester le droit d’examiner
les causes et les auteurs de nos revers, dans un moment où le peuple belge
expie si cruellement la peine de ses défaites, dans un moment où nos cœurs sont
encore saignants de la perte de 400,000 de nos frères, dans un moment où l’on
reconnaît que nous ne devons nos conditions à jamais funestes qu’au mauvais
succès de nos armes ! Mais déjà, messieurs, vous avez voulu flétrir ceux sur
qui doit retomber la honte des événements ; déjà vous avez déclaré qu’il était
de l’honneur et de la dignité nationale que ces hommes se justifiassent aux
yeux du pays et de ses représentants. Rappelez-vous ce que vous disiez dans
l’adresse au discours du trône.
« Le courage de
nos soldats, disiez-vous, dut céder au nombre ; sur eux ne tombe pas le blâme
de ce manque d’organisation et d’ensemble que présenta presque toute l’armée,et
qui, s’il s’explique peut-être par la confiance dans l’armistice, reste encore
à se justifier aux yeux de la nation et de ses représentants. » Voilà,
messieurs, ce que vous déclariez à la face de la nation, il n’y a pas trois
mois encore. Qu’il y a loin de cette pensée généreuse aux discours que l’on
tient aujourd’hui !
Messieurs, il serait
inutile de se le dissimuler davantage, toutes ces craintes sur l’exercice d’un
droit constitutionnel inhérent à la représentation nationale, toutes ces
difficultés n’ont qu’un but, celui d’empêcher l’exécution d’une résolution
dictée par le plus pur patriotisme.
Je ne sais quelles
susceptibilités la proposition d’enquête a pu mettre en jeu, et pour moi, je le
déclare hautement, il me répugne de croire à des arrière-pensées. Mais
lorsqu’on viendra me dire que l’on cherchera par tous les moyens à entraver
l’enquête, je répondrai sans hésiter :
« Agissez
avec plus de franchise ! Si vous reculez devant l’enquête, proposez à la
chambre d’annuler la résolution qu’elle a prise à l’unanimité des votants ;
allez même plus loin, proposez un bill d’indemnité en faveur de ceux que vous
avez déclaré devoir se justifier aux yeux de la nation et de ses représentants
: on verra s’il y a lieu à l’adopter. Mais si votre conscience se refuse à
signer une pareille proposition, il est étrange de venir entraver par des
moyens indirects une mission aussi importante que celle de réhabiliter
l’honneur de la nation.
M. F. de Mérode. - Si j’avais été
présent, messieurs, à la délibération sur l’opportunité de l’enquête qui a
donné lieu au projet de loi dont vous discutez en ce moment la prise en
considération, je me serai prononcé contre cette enquête, dont je ne conçois
pas l’avantage pour le pays. Vaut-elle la peine qu’on s’en occupe avant une
foule d’autres objets beaucoup plus intéressants, selon moi, que des questions
de parti ? Vaut-elle la peine, dis-je, qu’on élabore péniblement, dès
aujourd’hui, une loi difficile qui régularise parfaitement l’exécution des
recherches que pourront ordonner les chambres à l’avenir ? Je ne le pense pas :
j’ai déjà indiqué le motif de mon opinion, en disant que l’enquête était plutôt
une affaire de parti qu’une affaire de véritable intérêt national. Je suis loin
de croire que la chambre, où j’ai l’honneur de siéger, se soit prononcée pour
une enquête par esprit de parti ; car cette chambre, je me plais à le
reconnaître, représente véritablement la nation : les meilleures intentions
l’animent. Mais ne peut-elle pas, sans le vouloir, être entraînée à s’occuper
de questions ardues, dont la solution n’apportera au peuple aucun bien-être,
aucun avantage réel ? Et, de bonne foi, les causes principes des revers qu’a
subis la Belgique, dans la courte campagne du mois d’août dernier, ne
sont-elles pas connues chez nous comme à l’étranger ? Je vous en ai fait, il
n’y a pas longtemps encore une courte énumération : il serai inutile de vous la
répéter de nouveau. A quoi bon, en effet, rappeler sans cesse de pénibles
souvenirs, les causes principales de nos revers n’étant ignorées de personne ?
Quel est le but de l’enquête, qu’il faut absolument, dit-on, faire précéder
immédiatement d’une loi, dont le premier projet, j’en suis convaincu, est peu
en harmonie avec les idées et les vues de la majorité de cette assemblée ? Ce
but réel, messieurs, je ne cache pas mon opinion à cet égard, c’est de trouver
en défaut les ministres qui, sous l’administration de M. le régent, ont fait
tous leurs efforts pour empêcher une guerre générale, pour éviter à notre
patrie le choc périlleux qui aurait pu la briser dans la terrible coalition des
grands Etats de l’Europe avec la monarchie française de juillet. Eh bien !
messieurs, je suppose (et c’est bien entendu une pure supposition de ma part),
je suppose qu’il résulte de l’enquête que tel ou tel ministre ait cru trop
facilement que l’heureux avènement du roi Léopold devait empêcher toute reprise
d’hostilités de la part de la Hollande : quel fruit la nation belge
retirera-t-elle de cette découverte ? Je ne puis m’en rendre compte. S’il
s’agit simplement de mettre à couvert l’honneur du pays (qu’on prétend si
souvent et si mal à propos, selon moi, déshonoré, parce qu’une armée
hollandaise, renforcée d’une multitude de soldats allemands, n’a point été
victorieusement repoussée), qu’on se fasse rendre compte des forces ennemies,
dans toutes les armes qui les composaient ; que l’on compare ces forces avec
les nôtres, les dépenses qu’elles ont couté à la Hollande avec les sommes
prélevées en Belgique, son tarif d’impôts avec celui qui a chargé la population
qui habite le territoire belge. Et pour cela aucune loi ne sera nécessaire ; on
pourra même s’abstenir des accusations presque nominales que j’ai entendues à
regret dans la bouche d’un orateur qui défend avec force et persévérance les
principes d’ordre et de stabilité, sans lesquels les institutions libres se
détruisent elles-mêmes ; on pourra s’abstenir des critiques si sévères lancées
contre nos généraux qui, n’ayant point l’habitude du commandement des armées,
ont dû faire des fautes stratégiques, mais sont loin de mériter les censures
cruellement rigoureuses, dont on les a plusieurs fois frappés dans cette
enceinte, où il ne leur est pas permis de répondre. Et quant à moi, je n’ai
encore pu apprécier quelles avaient été les fausses manœuvres du général
Tiecken ; et je dois dire, en l’honneur du général Daine, qu’au milieu de
nombreux éléments d’indiscipline, fruits inévitables d’une révolution, il était
parvenu, sans mesures de force et en se faisant aimer des soldats, à établir
l’ordre dans les régiments autant que les circonstances de cette époque le
permettaient. Cependant, comme de la bonne direction de l’armée dépend la vie
des soldats et le salut du pays, je saisis l’occasion d’émettre le vœu qu’une
mesquine jalousie nationale ne prive nos troupes des officiers et des généraux
qui sont nécessaires à leur instruction, et dont l’expérience nous serait
encore longtemps utile lors même que la paix serait définitivement assurée.
En
résumé, messieurs, je pense que si l’enquête sur nos désastres est dirigée dans
le seul intérêt de l’honneur national, toute mesure de la nature de celles
qu’on vous propose est absolument superflue. Que si vous avez voulu faire de
votre commission une chambre ardente, prenez en considération la loi dont nous
discutons l’opportunité ; mais je n’hésite pas à penser que tel ne devrait
point être l’emploi de nos moments. Les questions de parti sont, à mes yeux, le
fléau des gouvernements parlementaires. Je ne regretterais point
l’assujettissement que m’impose l’obligation de passer chaque jour, plusieurs
heures dans cette enceinte, si l’on s’y occupait de ce qui peut diminuer les
souffrance ou augmenter le bien-être de mes concitoyens. Malheureusement, il me
semble que, depuis le commencement de la session présente, nous avons trop
souvent perdu de vue nos véritables travaux. Cependant nous coûtons, chaque
semaine, au pays plus de douze mille francs : faisons en sorte que ces frais
lui soient profitables. Persuadé qu’une loi régulatrice du droit d’enquête
n’est point urgente, que, de plus, celle qu’on nous propose est inadmissible,
je voterai contre la prise en considération du projet.
M. l’abbé de Haerne. - Messieurs, il me
paraît que depuis le commencement de cette séance, on s’est écarté de la
question. Les uns, comme l’orateur que vous venez d’entendre, se déclarent
contre le principe même qui est déjà adopté ; d’autres discutent le fond et les
articles du projet, tandis qu’il ne s’agit que de la prise en considération.
C’est sur ce point que j’aurait l’honneur de vous présenter quelques
considérations.
Un des instruments de
despotisme dont le roi Guillaume s’est le plus habilement servi, ce sont les
commissions. Toutes les questions un peu graves, concernant les libertés et les
droits du peuple, étaient renvoyées à des commissions ad hoc. De cette manière,
le souverain avait l’air d’accueillir favorablement toutes les plaintes et de
faire justice à toutes les réclamations. Mais s’il ne violait pas ouvertement
le principe constitutionnel, c’était parce qu’il croyait pouvoir atteindre plus
facilement le même but d’une manière indirecte. Il eut soin de composer ses
commissions de telle manière que le personnel lui répondait d’avance du
résultat de leurs travaux. Puis ces commissions, après d’être donné des peines
plus ou moins longues, selon le temps qu’il fallait pour calmer l’animosité
publique, finissaient par ne rien produire du tout, ou par présenter au monarque
des résolutions contraires aux intérêts du peuple. Alors Guillaume, qui
semblait ne plus pouvoir récuser les lumières qu’il avait invoquées, faisait
semblant de céder forcément à leurs décisions, et se déchargeait ainsi, lui et
son ministère, de toute responsabilité. Telle était la tactique du gouvernement
hollandais.
Notre ministère a
nommé aussi une commission chargée de faire une enquête sur les désastres du
mois d’août. Je n’en blâmerai pas le personnel, parce que je ne le connais pas
; je n’examinerai pas ses travaux, parce qu’il paraît que jusqu’à présent elle
n’a rien fait, rien ou peu de chose.
Cependant tout le
monde criait à l’incurie, à la trahison ! La chambre voulut connaître la
vérité. Quelques membres déclarent que c’est le cas d’user du droit d’enquête.
Toute la chambre partage le même avis. Le principe de l’enquête et la nécessité
de nommer une commission sont admis à l’unanimité, moins un ou deux membres qui
s’abstiennent de voter. Enfin on procède à la nomination d’une commission, pas
encore d’opposition ; il semble même qu’il soit indifférent si elle doit être
nommée à la majorité relative ou absolue. Est-ce le personnel qui fera naître
de l’opposition, soit de la part du ministère, soit de la part de la chambre
des représentants ? Aucunement, car les noms qui sortent de l’urne sont de
nature à imprimer la plus grande confiance, tant sous le rapport des lumières
que sous celui des sentiments patriotiques. Parmi eux se rencontrent même deux
honorables membres qui, par les questions préparatoires qu’ils avaient soumises
à la chambre, avaient montré tout ce qu’on pouvait attendre de leur zèle et de
leur activité.
Je vous l’avoue
franchement, messieurs, je ne conçois rien à l’opposition que le projet
présenté par votre commission rencontre à présent dans cette assemblée. Si une
portion considérable de la chambre s’était déclarée contre le projet même de
l’enquête, je comprendrais qu’à présent elle veuille en paralyser l’effet ; ou
bien, s’il s’agissait d’examiner au fond et en détail le projet de résolution
qui vous est soumis, je concevrais qu’on élève des questions de
constitutionnalité sur plus d’un point, qu’on veuille en supprimer, changer ou
modifier la plupart des articles ; tout cela me paraîtrait bien naturel. Mais
de quoi s’agit-il ici, messieurs ? Il s’agit de savoir si le projet qu’on vous
présente pour appliquer le droit d’enquête à un cas auquel vous avez déjà
décidé qu’il doit être appliqué, si ce projet, qui est aussi indispensable que
celui que le congrès a adopté pour faire l’enquête sur le pillage, peut être
pris en considération, s’il mérite qu’on s’en occupe, si enfin on peut
l’admettre dans une seule ou dans plusieurs de ses dispositions, après l’avoir
modifié et amendé de telle manière qu’on voudra. Je le répète, la question
ainsi posée devient si simple qu’il faut faire violence au sens commun pour la
trouver douteuse. C’est pourquoi je ne puis me rendre compte des débats qu’elle
a fait surgir dans la chambre.
Dès qu’une question
un peu importante est soulevée parmi nous, il est pénible de voir, messieurs,
la chambre se séparer comme en deux camps et de rencontrer à peu près toujours
les mêmes hommes de part et d’autre. Je n’examinerai pas de quel côté est le
tort, ni quelle peut être la cause de cette dissension continuelle. Je
conviendrai qu’elle peut tenir à l’esprit de système, mais elle est fondée le
plus souvent sur des raisons plus ou moins spécieuses qui existent des deux
côtés. C’est ainsi que par amour de la paix on nous a fait accepter les 18
articles, quoique nous n’ayons pas vu se vérifier les prévisions pacifiques
qu’on fit sonner si haut. C’est ainsi qu’on a fait passer par le même motif les
24 articles subséquents, quoique d’après les nouvelles récentes de la Hollande,
il paraisse que ces promesses ne se réaliseront pas plus cette fois-ci que la
première. Mais enfin quoi qu’il en soit, ces raisons n’en sont pas moins
spécieuses : quand on vous donner à opter entre de grands sacrifices et
l’éventualité d’une guerre désastreuse, il est plus d’un homme qui balancerait
avant de se prononcer. Dans des cas semblables, on ne doit pas s’étonner de
voir la chambre partagée en deux parties à peu près égales. Mais, dans le cas
présent, on ne rencontre pas une telle alternative ; il s’agit seulement
d’examiner la conduite de quelques hommes qui se sont attirés des soupçons que
vous avez trouvés vous-mêmes assez plausibles pour en faire l’objet d’une
enquête ; et ces hommes, vous les jugerez vous-mêmes ou vous les traduirez
devant des tribunaux dont sans doute vous ne craignez pas la trop grande
sévérité envers les traîtres. Encore une fois, messieurs, il n’entre pas dans
mon esprit que cette question puisse en être une pour quelqu’un d’entre nous.
Mais je dois vous
dire ici ma pensée tout entière. On ne craint pas que l’enquête ne fasse
découvrir les vrais coupables, on ne craint pas que ceux-ci ne soient flétris,
et ne portent toute la honte dont il ont couvert la nation ; non, j’ai trop
bonne opinion de chaque membre de cette assemblée pour avoir le moindre doute à
cet égard ; mais ce que l’on craint, c’est que cette enquête ne nous amène des
résultats que chacun de nous désirerait éviter. Vous pénétrerez toute ma
pensée, messieurs, si vous vous rappelez les désirs sanguinaires, les terreurs,
les idées de mort et de carnage qui fit naître naguère chez un peuple voisin le
procès de quelques hommes qui avaient accumulé sur leurs têtes toutes les
haines et toutes les malédictions de la France. Je ne m’étonnerais nullement
que vous reculiez devant les exécutions sanglantes, arrachées aux juges par
l’autorité de la rue. Je suis plus profondément pénétré que personne d’un
sentiment d’humanité qui doit nous animer tous, et je serais le premier à me
déclarer dans ce cas contre la peine capitale.
Mais
si la société n’a pas soif de sang, elle a soif de justice ; et de la peine de
mort à l’impunité, il y a une distance immense. Vous ne croirez pas, sans
doute, messieurs, que s’il y a de la faute de quelques hommes que des centaines
de Belges sont tombés sous le fer de l’ennemi, que leur sang a coulé
inutilement, et que la nation tout entière, après avoir été placée sur le bord
de l’abîme, est restée couverte d’ignominie aux yeux de l’Europe ; vous ne
croirez pas, dis-je, que ces hommes ont mérité de rester impunis. Eh bien !
vous avez cru qu’il était possible que de tels hommes, de tels coupables
existassent en Belgique ; vous avez ordonné qu’on fît une enquête pour
constater leur crime, et quand on vous présente un projet de loi pour atteindre
ce but, vous viendrez dire que ce projet ne mérite pas l’honneur d’être pris en
considération ? Non, vous ne le ferez point : ce serait manquer à votre
commission, à vous-mêmes, et à la nation que vous représentez.
(Moniteur belge n°169, du 1 décembre 1831) M.
Gendebien obtient la parole ; il parle pour la prise en
considération. L’obscurité qui règne dans la salle, et qui force l’orateur à
s’interrompre presque à son début, nous a empêché de prendre des notes, et par
conséquent de reproduire la première partie de son discours.
- La séance est levée
à quatre heures un quart, et la suite de la discussion renvoyée à demain onze
heures.