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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 24 novembre 1831

(Moniteur belge n°164, du 26 novembre 1831)

(Présidence de M. de Gerlache.)

La séance est ouverte à onze heures et demie.

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Jacques fait l’appel nominal.

M. Dellafaille lit le procès-verbal. Il est adopté.

Pièces adressées à la chambre

M. Lebègue analyse quelques pétitions, qui sont renvoyées à la commission.


M. de Foere demande un congé de quelques jours.

- Accordé.

Commission d'enquête sur les causes et les auteurs des revers de la campagne militaire d'août 1831

Lecture du projet de loi visant à définir l'étendue des pouvoirs d'investigation de la commission

M. le président annonce qu’un nombre suffisant de sections a autorisé la lecture d’un projet de résolution de la commission d’enquête. En conséquence, M. Dumortier est appelé à la tribune pour lire ce projet de résolution.

M. Dumortier donne lecture de ce projet, qui est conçu en ces termes :

« Vu l’article 40 de la constitution ;

« Art. premier. Toute commission d’enquête siège au Palais de la Nation.

« Art. 2. Elle peut déléguer un ou plusieurs de ses membres, à l’effet de procéder aux investigations des actes qu’elle juge nécessaires. Elle peut également déléguer, pour le même objet, des fonctionnaires de l’ordre judiciaire, administratif ou militaire.

« Art. 3. La commission a le droit de compulsoire dans les dépôts publics, et dans les archives des départements ministériels.

« Art. 4. Tous fonctionnaires publics, de quelque ordre que ce soit, sont tenus de fournir, à la première réquisition de la commission, les renseignements, communications, actes et pièces qu’elle juge nécessaires, par copie ou par extraits, et ce dans un délai déterminé.

« Art. 5. Le défaut d’obtempérer à une demande de compulsoire, de renseignements ou de communications, sera passible d’une amende qui ne pourra excéder cent florins par jour de retard.

« Cette peine sera prononcée par la commission, partie ouïes et dûment appelées, sans autre formalité et sans appel ni recours en cassation.

« Art. 6. La commission fait comparaître toutes personnes qu’elle croit utile d’entendre. Elle les fait citer par un huissier de la chambre, ou par un huissier ordinaire.

« Les indemnités payées aux témoins, en matière civile, sont accordées aux personnes cités qui les requièrent.

« Art. 7. La chambre peut ordonner que l’audition des témoins aura lieu sous la loi du serment, en ces termes :

« Je jure (promets) de dire la vérité, toute la vérité, et rien que la vérité.

« Art. 8. Toute personne sera tenue de comparaître et de déposer ; sinon, elle pourra y être contrainte par la commission, qui à cet effet prononcera, parties ouïes ou dument appelées, sans autre formalité, sans appel ni recours en cassation, une amende qui n’excèdera pas cent florins, et pourra ordonner que la personne citée sera contrainte par corps à venir donner son témoignage.

« Art. 9. Le recouvrement des amendes aura lieu comme en matière pénale ordinaire.

« Art. 10. La commission ou ses délégués dresseront procès-verbal de leurs opérations.

« Art. 11. Les opérations des commissions d’enquête ne pourront être arrêtées ni par l’ajournement, ni par la clôture des chambres.

« Le président, Gendebien.

« Le secrétaire, Dumortier. »

M. le président. - Quel jour la chambre entend-elle fixer pour les développements de ce projet de résolution ?

M. Dumortier. - Samedi prochain.

M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - Messieurs, la simple lecture du projet nous a prouvé qu’il est de la plus haute importance. Il doit donc être mûrement examiné avant d’ordonner la prise en considération ; car, en prenant en considération un projet, on porte une espèce de décision sur le fond. Or, comme les développements de la proposition seront suivis immédiatement de la prise en considération, et qu’il nous faut avoir le temps de l’examiner mûrement avant de savoir si nous devons ou si nous ne devons pas la prendre en considération, je demande que ces développements n’aient lieu que lundi ou mardi de la semaine prochaine. Comme c’est une question gouvernementale, je crois que la chambre ne nous refusera pas ce délai.

M. Gendebien. - Je ne vois aucun inconvénient à ce que la proposition soit développée samedi prochain ; car la prise en considération ne préjuge rien. On prend en considération, c’est-à-dire qu’on délibérera sur la proposition, et qu’on ne l’écartera pas par une fin de non-recevoir ; mais on ne juge en rien le fond. Je ne crois donc pas qu’on doive retarder les développements de la proposition de quelques jours ; ce serait pousser trop loin la prudence. Si l’on veut l’enquête, qu’on la laisse marcher. Si, au contraire, on ne la veut pas, que la chambre le dise franchement. Mais n’allons pas ainsi chercher des difficultés où il n’y en a pas.

M. Devaux. - M. Gendebien a commis une grave erreur. Il croit que la prise en considération est sans importance. Elle est, au contraire, de la plus haute importance ; et nous avons l’exemple en France que des questions de prise en considération ont été discutées pendant 3 ou 4 jours entiers. Puisqu’un ministre nous a déclaré que c’était une question de pouvoir, vous ne pouvez refuser au gouvernement le temps convenable pour l’examiner.

M. Dumortier. - Je ne crois pas, messieurs, que la prise en considération soit de la plus haute importance, comme le dit notre collègue. Elle n’a qu’un seul résultat, c’est le renvoi aux sections. Il n’y a donc pas de raison d’en retarder les développements. D’ailleurs, plusieurs membres de la commission seront tenus de s’absenter les jours qu’on propose de fixer.

M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - Il est incontestable que la prise en considération de la proposition dont il s’agit donnerait lieu à de graves discussions ; car il est impossible, je le répète, de la prendre en considération sans examiner le fond. Un honorable orateur vient de vous dire que la commission demande que les développements aient lieu samedi, parce que, la semaine prochaine, quelques-uns de ses membres seront tenus de s’absenter. Ce n’est donc pas en raison de l’urgence et dans l’intérêt de l’enquête qu’on fait cette proposition. D’ailleurs, j’ai dit, messieurs, que c’était une question gouvernementale, et il est juste d’accorder au gouvernement tout le temps nécessaire pour l’examiner.

M. d’Elhoungne demande l’ajournement à huitaine.

M. Milcamps dit qu’il serait dangereux d’enlever d’assaut la prise en considération d’une proposition qui touche à plusieurs articles de la constitution.

M. Gendebien présente de nouvelles observations à l’appui de son opinion.

M. de Robaulx. - Messieurs, la fixation du jour pour les développements d’une proposition a rarement l’importance qu’on y attache aujourd’hui, relativement au projet présenté par la commission d’enquête ; cependant, lorsque je vois les ministres et ceux qui les soutiennent faire tous leurs efforts pour entraver les moyens d’exécution du mandat de la commission, et en empêcher l’adoption, je dois rechercher plus haut la cause de ce débat, dans lequel le gouvernement, pour la première fois, cherche à restreindre l’exercice des droits constitutionnels des chambres. Or, voici ce que m’apprennent mes relations particulières, qui ont souvent être plus véridiques que les rapports diplomatiques. Si j’en crois ce qui a été confié, un grand personnage d’Angleterre, lord Durham, consulté sur ce que la constitution belge pouvait renfermer de défavorable aux gouvernants, aurait répondu que ce qu’il trouvait le plus dangereux pour le pouvoir, c’était le droit d’enquête tel qu’il y était établi. Si ce fait est vrai, si cette opinion a été émise, je conçois l’importance que les ministres mettent à contrecarrer la commission et à considérer le projet comme touchant de très près le pouvoir, qui, en général, n’aime pas les investigations. J’apprécie ces motifs ; ils me conduisent à demander que le jour soit fixé à lundi.

M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - Messieurs, je désirerais que l’honorable M. de Robaulx voulût bien préciser davantage ses allégations. Quant à moi, je déclare que pendant tout le temps que lord Durham a séjourné en Belgique, je n’ai pas eu une seule conversation avec lui sur ce sujet, et je pense qu’il en est de même de tous mes collègues.

M. de Robaulx. - Je n’ai point parlé de M. le ministre des affaires étrangères ad interim (car tout est ad interim aujourd’hui), plus spécialement que de ses autres collègues. Quant à sa demande de communication de mes renseignements, je lui répondrai que, s’il ne juge pas à propos de nous communiquer tout ce qu’il sait, tout ce que la diplomatie lui affirme, je ne me crois nullement obligé de lui faire confidence de ma correspondance.

M. le Hon. - J’appuie l’ajournement à lundi. La prise en considération, messieurs, n’est pas une question oiseuse. Elle tend quelquefois à empêcher de graves discussions sur le fond ; et ici se présente peut-être la question de savoir jusqu’à quel point une loi d’organisation pourrait être votée à l’occasion d’un incident, et sans avoir été lentement élaborée par une commission spéciale.

Quant à ce qu’on a dit relativement au noble lord Durham, je crois devoir déclarer, pour l’honneur des principes généreux qu’il a toujours professés, que l’allégation qu’on lui a prêtée me semble invraisemblable et tout à fait incompatible avec sa manière de voir et sa réputation de haut libéralisme. Il me semble qu’on ne peut imputer un tel propos à celui qui, depuis longtemps, fait des sacrifices considérables pour le triomphe de la liberté ; ce n’est pas lui, qui a peut-être élevé la voix plusieurs fois en faveur du droit d’enquête, ce n’est pas lui qui serait venu désapprouver sur le continent ce qu’il regarderait comme bon et nécessaire dans son pays. Messieurs je n’ai pas l’art de jeter de sel dans mes pensées ; je les présente à la chambre telles qu’elles me viennent.

- La chambre, consultée, fixe les développements de la proposition à lundi. Elle sera imprimée et distribuée.

Projet de loi accordant des crédits provisoires au département de la guerre pour l'exercice 1831

Discussion générale

M. le président. - L’ordre du jour est la discussion générale sur le projet des crédits provisoires à accorder au ministre de la guerre.

M. Verdussen. - Messieurs, s’il est pénible de voir un département dévastateur dont la seule existence, nécessaire et inévitable, est déjà une calamité ; s’il est pénible, dis-je, de voir le département de la guerre dévorer à lui seul plus de millions que les voies et moyens ordinaires n’en fournissent à l’Etat, il est plus douloureux encore d’avoir à déplorer que ces énormes dépenses n’ont pas toujours, ni généralement, été employées d’une manière tout à fait utile ni même conforme aux stipulations bienveillances de notre constitution.

Une importance nouvelle est venue, depuis quelques jours, ranimer notre espérance presque éteinte, et découvrir un point lumineux sur notre horizon politique, par l’admission du peuple belge et de son souverain au rang des puissances indépendances de l’Europe. Sans cette heureuse circonstance, j’aurais essayé de vous démontrer combien les sommes qu’on nous a demandées, ou qu’on nous demande encore pour achever les ouvrages de défense intérieurs de la ville que j’habite, peuvent être envisagées comme dépenses inutiles ou même nuisibles, puisque, loin de rassurer nos malheureux habitants sur la conservation de leurs propriétés, ces travaux leur ont inspiré un juste effroi en les menaçant d’une destruction certaine. Mais je me plais à croire que les barricades et les fortifications, dont Anvers est encore hérissée, ne tarderont pas à disparaître, et seront enfin reconnues inutiles par ceux-là même qui, trop légèrement peut-être, les avaient trouvées indispensables. Je peux ainsi me borner aujourd’hui, messieurs, à vous signaler une irrégularité, à mes yeux, tout inconstitutionnelle, et sur laquelle je me permettrai, en conséquence, de demander des explications à M. le ministre de la guerre, afin de m’éclairer sur l’étendue du crédit final dont il vient nous demander l’ouverture.

Un habitant d’Anvers, qui, dans l’exercice d’une honnête profession, avait trouvé le moyen de faire quelques économies, ayant cherché à les utiliser, les employa à l’acquisition d’une maison situé près du camp retranché au pont de Citerne, et dont l’expropriation pour cause d’utilité publique a été reconnue nécessaire par le génie militaire. Cette propriété fut donc expertisée contradictoirement et évalué à la somme de 10,000 florins, dont le propriétaire réclama le paiement avant de se trouver obligé à abandonner son immeuble. A l’en croire, sa réclamation et ses démarches auprès du ministère, tendant à obtenir l’indemnité due au vœu de l’article 11 de lac constitution et de l’article 545 du code civil, furent inutiles. Ce premier article, qui ne dit rien qui ne soit dans l’article susmentionné du code civil, porte textuellement : « Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique, dans les cas et de la manière établie par la loi, et moyennant une juste et préalable indemnité. » Quand cet article établit aussi positivement le droit de celui qu’une expropriation forcée vient atteindre, et quand on combine le texte avec celui de l’article 130, qui dit que « la constitution ne peut être suspendue en tout ni en partie, » je pense, messieurs, que ce serait abuser de vos moments, si je m’attachais à faire valoir la justice que je réclame en faveur du propriétaire lésé, qui n’est pas seul dans ce cas, mais dont je parlerai uniquement dans ce moment, parce que les renseignements qui me sont parvenus par rapport à lui sont plus positifs et plus circonstanciés.

Je me permettrai donc d’inviter M. le ministre de la guerre à s’expliquer sur cette violation de notre constitution, et de lui demander si, dans l’une des onze articles qui complètent le crédit de 34,8000,000 fl. dont son département a besoin pour atteindre la fin de l’exercice courant, il a compris les indemnités dues à tous ceux qui ont été privés de leur propriété par suite des exigences de la guerre et, au cas affirmatif (comme je l’espère), dont l’exécution ne peut être suspendue, pas même partiellement ?

Je mets à profit cette occasion, messieurs, pour signaler à M. le ministre de la guerre la rigueur avec laquelle l’état de siège de la place d’Anvers a été exécuté à certains égards, et nommément sous le rapport du logement des officiers, qui, au lieu d’être forcés à se loger eux-mêmes, ont été, jusqu’à plus de 250, placés chez les habitants les plus aisés de la ville. Par cette mesure, qui pèse également sur les villes de Lierre et de Malines, les habitations les plus importantes et les plus vastes ont été annulées pour le logement des soldats, et il s’en est suivi une surcharge d’au moins 1,000 hommes pour le petit bourgeois et l’artisan, qui, dans ces temps malheureux n’ayant souvent pas de quoi nourrir leur famille, sont bien moins encore à même de fournir les aliments aux militaires.

Je forme donc des vœux sincères pour que M. le ministre fasse bientôt cesser un état de choses aussi ruineux, et d’autant plus affligeant, qu’il frappe plus spécialement les individus les moins aisés de la société, dont les souffrances et les privations n’ont fait qu’accroître depuis plus d'un an. Je lui adresse cette dernière demande avant d'autant plus de confiance, qu’à d’autres égards la rigueur de l’état de siège a été plus adoucie, et que ce n’est que pour la partie qui affecte plus sensiblement une partie intéressante de la population, que le fardeau n’en a pas été

(Moniteur belge n°167, du 29 novembre 1831) M. l’abbé de Foere. - Messieurs, le ministre de la guerre nous demande un crédit supplémentaire de 2,800,000 florins, pour pourvoir aux besoins de son administration pendant le dernier trimestre de l’année. Les comptes qu’il a fourni à la commission constatent qu’en grande partie les dépenses sur ce crédit sont déjà faites. C’est demander à la chambre de voter le paiement de dépenses, avant qu’elle les ait consenties. Il y a ici évidemment excès de pouvoir. Une semblable administration est en opposition ouverte avec le texte formel du titre IV de la constitution. les dépenses de l'Etat doivent être votées avant que le gouvernement soit autorisé à les faire.

Il existe un contingent quelconque de l’armée. Le ministre l’a fixé arbitrairement. Il nous laisse encore dans l’ignorance de ce contingent. Il n’en est rien dit, ni dans le rapport que la commission nous présente, ni dans le projet de loi que nous discutons. Depuis la mise en vigueur de la constitution, aucune législature n’a voté ce contingent : cependant l’article 119 de la constitution dit formellement : « Le contingent de l’armée est voté annuellement. » Il y donc ici autre excès de pouvoir.

A l’exception de sa participation à l’initiative des lois et de leur sanction, le gouvernement n’a, à leur égard, d’autre pouvoir que le pouvoir exécutif. Il n’a donc pas le droit de créer des établissements tant militaires que civils, avant que les chambre ne les aient autorisés, et n’en aient consenti les dépenses. Il n’a pas même le pouvoir d’augmenter, de son chef, les dépenses d’établissements déjà approuvés par la législature, avant d’avoir obtenu son consentement. Toutes les fois que l’administration suit une marche contraire dans les dépenses de l’Etat, elle usurpe évidemment sur les droits des chambres. Le ministre qui se permet de semblable infraction à la constitution se constitue coupable devant l’Etat, et doit être mis en état d’accusation.

Si le simple énoncé de ces principes constitutionnels ne suffisait pas pour convaincre quelques membres de la chambre, j’invoquerai, à leur appui, les usages parlementaires d’une nation qui a vieilli dans les délibérations constitutionnelles, et dont nous ne saurions assez imiter les exemples, sous ce rapport, comme sous beaucoup d’autres. En Angleterre, le gouvernement ne fait pas une obole de dépenses, pas un soldat n’est ajouté à son armée de terre ou de mer, sans qu’il n’en ait obtenu le consentement du parlement. Vous aurez tous remarqué, messieurs, que la France actuelle suit exactement la même marche. Un tableau détaillé des dépenses des établissements civils et militaires est annexé aux projets de loi qui en proposent l’érection. Le ministère ne procède à leur exécution qu’après que la chambre y a acquiescé.

Nous avions droit d’espérer que nous n’étions plus sous le régime hollandais, qui se permettait impunément de semblables inconstitutionnalités, par lesquelles il réduisait les états-généraux à un simulacre de représentation, les exposait au mépris de la nation, et provoquait sa propre ruine pour n’avoir pas voulu recevoir la force de son pouvoir central des forces des extrémités, que la nation avait concentrées dans les états-généraux.

J’ai reconnu à la commission la rare réunion du courage et des lumières ; dans l’intérêt de la chose publique, à laquelle elle n’est, certes, par indifférente, qu’elle me permette cependant d’exprimer ici mon étonnement qu’elle n’ait pas signalé, soit au ministre, soit à la chambre, d’aussi graves abus.

Vous sentez tous, messieurs, combien il est important d’empêcher que la constitution et la représentation nationale ne tombent dans le dernier mépris. Je crois avoir vengé les droits de l’une et de l’autre. J’irai maintenant au-devant des objections que le ministre de la guerre pourrait m’opposer.

Le ministre se retranchera, sans doute, derrière les circonstances. Il cherchera à justifier les irrégularités de son administration par l’urgent besoin de pourvoir à la défense de l’Etat, dans l’absence de la législature. C’est là, en effet, le seul moyen de défense qu’il puisse nous présenter. Mais alors, pourquoi, en demandant à la chambre le paiement de dépenses qu’ils a faites sans que la législature les eût consenties, pourquoi, dis-je, ne s’est-il pas donné la peine de justifier, par un motif d’urgence, les irrégularités de son administration ? Pourquoi se met-il au-dessus de la constitution, sans daigner entrer dans aucune explication ? Pourquoi blesse-t-il si ouvertement les convenances parlementaires et les égards qu’il doit à la chambre ? il n’ignore pas que la chambre a le droit de mettre à sa charge les dépenses qu’il a faite de son propre chef ; que s’il a le moyen de se justifier, c’était, selon tous les usages parlementaires, de son devoir de demander à la chambre un bill d’indemnité. Il n’y a dans cette demande ni humiliation, ni faiblesse. Il y a, au contraire, de l’honneur et de la fermeté. C’eût été un hommage rendu à la constitution et une reconnaissance loyale des droits d’une nation représentée.

Dans la supposition que le ministre de la guerre daigne se justifier de l’irrégularité de son administration, et demander, en conséquence, un bill d’indemnité, il se présentera trois questions à la solution de la chambre.

La première : Y avait-il impossibilité à convoquer la législature afin de lui demander les crédits dans le ministre de la guerre avait besoin pour la défense de l’Etat ?

Si cette question est résolue affirmativement, alors il se présente cette autre :

Les dépenses qu’il a faites, sans qu’elles fussent légalement consenties, étaient-elles suffisamment justifiées par l’urgence de la situation ?

Enfin, les motifs qu’il a eus de fixer arbitrairement le contingent de l’armée sont-ils suffisamment fondés ?

Je ne pense pas que, pour régulariser son administration, le ministre veuille invoquer l’opinion qu’un député de Tournay a récemment énoncée dans cette chambre lors de la discussion des crédits de l’intérieur, opinion que je ne crains pas de taxer aussi d’inconstitutionnalité. Des suppressions et réductions avaient été indiquées et proposées, tant par la commission que par d’autres membres de la chambre. L’honorable député a signalé cette marche dans nos délibérations comme se ressentant des traditions du congrès, pouvoir souverain et constituant. Par quelques-unes de ces suppressions et réductions, la chambre, selon lui, usurpait sur les droits du gouvernement, qui, seul, semblait devoir reconnaitre les besoins de l’Etat. Par quelques autres, proposées, je crois, par M. Barthélemy, la chambre tendait à disloquer le pouvoir central et à pousser les forces vers les extrémités.

C’est avec regret que j’ai entendu professer cette opinion par un député qui souvent répand de vives lumières sur nos discussions. Elle est en opposition formelle avec les plus simples notions du régime constitutionnel, avec le texte forme du titre IV de la constitution, par lequel toutes les dépenses de l’Etat doivent être votées avant qu’elles soient faites ; et enfin avec la véritable force du gouvernement, considéré comme pouvoir central. Si sa doctrine pouvait prendre racine dans cette enceinte, surtout au moment où nous commençons à élaborer et à développer nos institutions, elle serait fatale à notre avenir constitutionnel et aux vrais intérêts publics. Heureusement, je crois la chose impossible. En effet, messieurs, si le gouvernement avait le pouvoir de créer ou de continuer des établissements civils ou militaires, de reconnaître, à lui seul, leur nécessité ou leur utilité, et, après en avoir fait les dépenses, de venir en demander à la chambre les paiements, sans qu’elle eût le droit de les supprimer ou de les diminuer, la chambre serait réduite à la plus insignifiante nullité, et la représentation de la nation ne serait plus, dans ses attributions les plus importantes, qu’une véritable dérision. Le gouvernement, de son côté, subirait tout le blâme des dépenses inutiles ou exorbitantes ; il commettrait l’énorme faute d’emprunter (manque quelques mots) la nation a réunies dans la chambre, et tôt ou tard, il lui adviendrait ce qui est advenu au gouvernement hollandais. Il fixait le contingent de l’armée, créait des dépenses énormes, et venait ensuite en demander l’allocation. C’était un des griefs les plus justes et les plus flagrants contre lequel la nation eut à réclamer. Au reste, vous connaissez cette histoire, et la leçon en est encore trop récente pour qu’elle soit perdue et pour le gouvernement et pour la nation.

Il resterait encore un dernier prétexte au ministre. Il pourrait encore se réfugier derrière la présomption légitime et la confiance avec lesquelles il aurait agi ; et mes réclamations ne tomberaient que sur une simple question de formes.

Messieurs, je ne connais plus de présomption légitime, alors que les ayant-droits font acte de présence pour recevoir les comptes de leur agent. Depuis les commencements du congrès, je me suis vivement opposé aux mesures et aux votes de confiance. J’ai l’intime conviction que cette aveugle imprévoyance recèle des dangers immenses. L’expérience de toutes les nations est là pour me confirmer dans cette conviction. Toutes en ont subi les conséquences pernicieuses, et ont eu lieu de s’en repentir amèrement. Et certes, s’il existait des cas d’une importance minime que l’on pourrait abandonner à la confiance, ce ne pourrait jamais être celui où il s’agit d’administrer les deniers de l’Etat et d’employer arbitrairement des millions.

Mais ce ne seraient là, après tout, dirait-on, que de simples formalités. Eh quoi ! messieurs, le ministre verrait (et hier encore j’en ai été témoin), il verrait, dis-je, que la chambre, par respect pour son règlement et pour la forme de ses délibérations, consume des heures et des séances entières afin de les régulariser ; et quand il s’agirait de respecter la constitution et l’autorité de la chambre, il dédaignerait de s’expliquer ! Je ne puis le croire. J’ai dit.

(Moniteur belge de base n°164, du 26 novembre 1831) M. A. Rodenbach. - Vu l’urgence des besoins, j’accordai au ministre de la guerre le crédit supplémentaire de 2,800,000 florins. M. de Brouckere, dans la séance d’hier, s’est expliqué relativement aux subsistances militaires. Je crois néanmoins pouvoir lui témoigner mon étonnement de ce que l’on a accordé à l’entrepreneur-général 40 fl. pour 1,000 kilogr. de paille, tandis qu’il est avéré que cet objet ne vaut que 20 fl. On a accordé 37 fl. pour 100 kilogr. de sel : cela se vend chez tous les raffineurs 25 fl. On a accordé 38 fl. pour 100 kil. de riz à l’époque de l’adjudication, cette denrée se vendait 26 à 27 fl. On a accordé à l’entrepreneur, par livre de genièvre, 60 cents : ce liquide se paie dans le commerce 40 cents. Ce bénéfice est exorbitant.

Il est constant que, si l’on avait fait l’entreprise par adjudication publique, la ration n’aurait coûté que 22 1/2 au lieu de 26 c. L’on m’a assuré qu’on a sous-traité dans les Flandres pour ce prix, et que le sous-traiteur a encore sous-traité à meilleur marché : ce qui prouve qu’avec de la concurrence on économiserait plus de 2,000 fl. par jour, ce qui fait au-delà de 125,000 fr. par mois. En conséquence, j’invite le ministre de la guerre à résilier le marché, si faire se peut ; car, si nous continuons sur le pied actuel, il est indubitable qu’on ruinera la Belgique.

M. Lardinois. - Messieurs, je m’étais imposé silence dans la discussion du budget, parce que notre situation politique exigeait d’accorder les subsides demandés par le gouvernement, afin de ne pas l’entraver dans son action. Mais aujourd’hui que la paix apparaît certaine, que la Belgique est reconnue Etat indépendant dans la famille européenne, nous, députés de la nation, nous devons nous armer de nos droits et porter une investigation minutieuse dans les dépenses publiques.

La paix, messieurs, est le besoin de tous ; les intérêts moraux aussi bien que les intérêts matériels la réclament. Acceptons-en donc l’augure, et conduisons-nous comme si elle nous était assurée. Je considèrerais comme un grand malheur pour le pays l’humeur martiale ou l’ardeur guerrière qui nous entraînerait à des combats nouveaux. Soyons modestes, ce rôle convient mieux à notre position, et, si nous avons un affront à venger, remettons le soin de cette vengeance à nos neveux.

Nous savons que les conditions qui nous ont été imposées font peser sur la Belgique une dette énorme. Nous pouvons aussi prévoir qu’en temps de paix le budget annuel atteindra une somme de 40 millions de florins.

Nous devons nous préparer à faire face à toutes les dépenses publiques, et commencer par supprimer ou réduire tout ce qui est susceptible de suppression ou de réduction. Guerre donc aux sinécures ! Rétribution équitable au travail ! Je suis un de ceux qui désirent beaucoup voir admettre dans les emplois les hommes capables et laborieux ; mais je reconnais qu’il faut que le salaire soit proportionné aux services, et je crois que, s’acharner à la diminution des salaires, ce n’est pas comprendre les intérêts d’une bonne administration. Gardons-nous donc, messieurs, de détourner par trop de parcimonie les capacités des fonctions publiques ; car nous pourrions bien finir par voir renaître la corruption et la vénalité qu’on rencontrait si souvent dans les administrations de l’empire.

Pour arriver à des améliorations importantes, une reconstruction administrative et un nouveau système d’impôts sont indispensables. La force des choses nous amènera l’une et l’autre, et je pense que l’existence du gouvernement y est intéressée.

Dans vos dernières séances vous avez formé des vœux, présenté des vues et développé des systèmes. Nous devons reconnaître que les ministres ont partagé votre sympathie pour la détresse générale, et qu’ils se montrent disposés à y remédier de tout leur pouvoir. De l’union du ministère avec la législature doit naître le nouveau système d’amélioration et d’économie.

Economie ! Voilà, messieurs, le remède souverain proclamé d’un bout du royaume à l’autre. C’est au moyen de l’économie que le gouvernement parviendra à diriger sûrement le vaisseau de l’Etat. C’est par l’économie que la confiance renaîtra, et que les capitaux seront restitués à leur source naturelle, le commerce et l’industrie. Et c’est par ces deux branches de la prospérité publique que vous parviendrez à couvrir les dépenses de l’Etat.

Qui de vous, messieurs, en réfléchissant sur la situation financière du pays, ne s’est pas dit mainte fois qu’une grande économie devra être faite ultérieurement sur les dépenses du ministre de la guerre ? Mais jusqu’à présent vous n’avez pas eu de budget, et vous ne pouvez établir sur quelles spécialités vous devez faire porter vos réductions. Des crédits ont été demandés, et, quoi qu’on en dise, le congrès national ne les a pas accordés parcimonieusement, mais peut-être trop aveuglément. Ils s’élèvent à 32 millions, et vous allez les porter à près de 35 millions. Cette somme énorme ne s’éloigne pas beaucoup des deux tiers de toute la dépense publique de 1831. Elle représente, comparativement au budget français, une armée de 100,000 hommes avec tout le matériel nécessaire. Il sera curieux, messieurs, de connaître l’effectif réel de notre armée, et de scruter l’emploi des sommes absorbées par le ministère de la guerre. J’en attends le compte avec impatience, et je dirai qu’il est urgent de la soumettre à la chambre. Remettez-nous donc ce compte, car nous voulons nous assurer s’il est vrai que les deniers publics ont été honteusement dilapidés par des dépenses désordonnées ! De nombreux abus ont été signalés publiquement et particulièrement, qui accusent l’administration de la guerre. Je les crois vrais en partie ; mais l’opinion flottera toujours incertaine à ce sujet, aussi longtemps que les comptes des dépenses resteront ignorés dans les cartons du ministère de la guerre.

Je voterai, en gémissant, pour le crédit de 2,800,000 fl., et j’émets formellement le vœu que bientôt l’on nous fasse connaître l’emploi de tous les crédits engouffrés par le ministère de la guerre. Si de l’examen de ce compte il résulte la preuve de dilapidations, j’espère que la chambre fera livrer les dilapidateurs aux tribunaux, et que ce sera l’indulgence qu’ils obtiendront.

Avant de terminer, je demanderai au ministre si l’intention du gouvernement est de renvoyer les gardes civiques dans leurs foyers ? Dans la négative, j’appellerai son attention sur le dénuement dans lequel on les laisse pendant la saison rigoureuse. La garde civique fait un service très pénible, elle n’a souvent que 24 heures de repos ; elle est légèrement habillée ; la majeure partie des gardes est sans capotes. Il résulte de toutes ces circonstances que les hôpitaux se remplissent de nos soldats citoyens, qui méritent une sollicitude particulière du gouvernement. Je me flatte que M. le ministre de la guerre aura égard à mes observations, et qu’il donnera de suite des ordres pour que nos gardes civiques en activité soient convenablement vêtues. J’ai dit.

M. Gendebien. - Messieurs, contre mes habitudes et mes goûts, je me suis livré à quelques calculs. Si l’on me prouve qu’ils sont erronés, comme cela est possible, je suis prêt à les rectifier ; mais, s’ils sont justes, je ne crois pas que la nation ait tant à se louer des marchés dont nous a parlé hier M. le ministre de la guerre. Avant d’arriver à ce point, il est bon de rappeler quelques irrégularités qui ont eu lieu avant la présence de l’honorable M. de Brouckere au ministère de la guerre.

L’orateur rappelle que les 7,500 fusils achetés à Liége à des prix très élevés étaient de la plus mauvaise qualité, et qu’on avait même demandé, dans le temps, des explications catégoriques sur ce marché. Ce n’est pas M. Ch. de Brouckere qu’on peut adresser aucun reproche à cet égard, mais il pourrait donner à la chambre quelques explications. Il ajoute que les fusils achetés fort cher en Allemagne et qui ont été payés sur le pied de 28 à 29 francs, ne valent pas plus de 3 francs l’un dans l’autre, d’après les renseignements qui lui ont été fournis par un homme ayant des connaissances spéciales sur cet objet.

Il est un grief, dit M. Gendebien, que j’appliquerai au ministre de la guerre actuel, c’est le licenciement des tirailleurs francs qui s’étaient équipés à leurs frais et auxquels il ne manquait plus qu’une capote militaire. Ces tirailleurs étaient au nombre de 5,000, et on les a renvoyés ; puis on a été forcé de donner de nouveaux équipements à ceux qui les ont remplacés.

L’orateur s’attache ensuite à combattre ce qu’a dit M. le ministre de la guerre, que ces corps avaient été renvoyés pour cause d’indiscipline. Un ancien commandant d’un de ces corps francs lui a montré des pièces signées des autorités civiles des endroits par lesquels son corps a passé, et qui attestent que partout les hommes qui le composaient se sont conduits d’une manière irréprochable. Il présume qu’il en a été de même pour tous les autres bataillons. D’ailleurs, s’il y a eu quelque indiscipline, elle était bien excusable en raison de l’effervescence qui régnait alors dans l’armée. On parlait partout de trahison. Mais ce n’était pas une raison pour détruire ces corps ; il eût été plus digne du ministre actuel de chercher à les améliorer. Dans tous les cas, l’obligation de donner des uniformes neufs à ceux qui les ont remplacés a exigé un accroissement de dépenses ; et c’est un grief capital dans un moment où l’on a tant besoin d’économies, où il faut pressurer les contribuables pour suffire aux charges de l’Etat.

D’après les rapports qui lui sont parvenus sur la fourniture des draps et du linge pour la garde civique, il y a eu de grands abus, et même des abus si scandaleux, que les abus si scandaleux, que les entrepreneurs privilégiés, qui étaient chargés de faire ces fournitures, ont gagné jusqu’à 40 et 50 p. c., et même que l’un d’eux, honteux de faire de si gros bénéfices, a consenti volontairement à une diminution de 15 p. c. sur une fourniture.

Il s’élève ensuite contre la précipitation qu’on a mise dans les marchés de 100 chevaux pour les guides, de 400 pour les cuirassiers, et de 1,000 pour l’artillerie. L’adjudication des 400 chevaux devait avoir lieu le 1er septembre, midi, et l’annonce n’en a été faite que le même jour, à six heures du soir, dans le Moniteur ; il en a été de même pour le marché des 1,000 chevaux d’artillerie. On pouvait bien, ajoute-t-il, s’apercevoir qu’on avait besoin de chevaux avant le 31 août ; on devait y penser dès le 8, le 15 et le 20 de ce même mois, et faire la publication d’avance. Les inconvénients de cette précipitation et d’achat en masse de 400 et de 1,000 chevaux sont qu’il y a eu moins de concurrents et plus de chances de corruption ; car celui qui fait un marché de 1,000 chevaux est plus disposé et se trouve plus en état de corrompre, par des sacrifices en argent, les employés par l’intermédiaire desquels le marché doit avoir lieu.

Il en a été de même pour les fourgons, qui ont été achetés par centaines à des entrepreneurs. Plusieurs carrossiers ont assuré qu’ils n’avaient pas pu contracter faute de renseignements.

Passant aux marchés de vivres faits en septembre, l’orateur trouve qu’ils ont été passés contrairement à toutes les règles de l’administration militaire, sans publications ni affiches, et sans garanties pour le trésor. Le paient de ces sortes de fournitures ne se fait ordinairement qu’après deux mois, deux mois et demi, tandis que, d’après le contrat passé avec l’entrepreneur de vivres, l’administration est obligée de le payer tous les cinq jours. De plus, on lui fait les avances pour les magasins de réserve, et, lorsqu’il prend des rations dans ces magasins de réserve, on le paie encore, sauf la déduction qui ne peut être réglée qu’à la fin du mois. Ainsi il profite des fonds qui lui sont délivrés pendant tout le mois. D’un autre côté, plusieurs entrepreneurs ont déclaré qu’ils auraient pu accorder à 23 cents 1/4, quelques-uns même à 22 cents seulement, ce que l’administration paie aujourd’hui 26 cents à l’entrepreneur chargé de ces fournitures.

L’orateur combat ensuite les motifs que M. le ministre a fait valoir hier, pour s’excuser de n’avoir pas consenti à passer le marché des Flandres.

Il est un autre mode de marché qui est beaucoup plus régulier et plus avantageux, qu’aurait dû suivre le ministre, c’est le marché de manutention, dans lequel les entrepreneurs ne fournissent que la main-d’œuvre. De cette manière les achats se trouvent meilleurs, parce que c’est le gouvernement qui les fait lui-même et que le contrôleur est intéressé à ne prendre que les bonnes fournitures, car les mauvaises sont portées pour son compte.

De ces contrats vicieux, qui ne présentent aucune garantie, il résulte que, s’il y avait encore deux ou trois jours d’hostilité, l’armée éprouverait la même disette.

Ici l’orateur passe en revue les différentes rations de pain, de viande, de riz, de genièvre, de paille à manger et de paillage à bouchage pour chevaux, et il établit, par des chiffres, que toutes se paient beaucoup trop cher.

Pour le chauffage, on ne fait aucune différence, bien que les bois soient de différentes natures et de différents prix.

En outre, dit l’orateur, le contrat a été enregistré en débet, ce qui donnait à l’entrepreneur une chance de gain de plus ; et je le répète, plusieurs entrepreneurs m’ont déclaré qu’ils n’aurait pas hésité à 23 cents, et même 22 cents, parce qu’ils entrevoyaient encore un bénéfice de 20 p. c.

Je bornerai là mes observations, me réservant d’en ajouter de nouvelles plus tard. Je me résume : quelle que soit l’habilité et l’expérience de M. le ministre de la guerre, il ne peut pas trop se mettre en garde contre l’erreur et la captation. Il doit savoir que MM. les entrepreneurs trouvent toujours le moyen de tromper quand ils le peuvent. Dans le cas présent, M. le ministre aurait bien fait de ne pas trop s’en rapporter à son expérience pour contracter ces marchés, et de les soumettre au creuset de la publicité et de la concurrence. Je vote pour les crédits supplémentaires, parce que je suis convaincu qu’ils sont nécessaires dans un moment où la Hollande fait des armements considérables.

M. le ministre de la guerre (M. Ch. de Brouckere). - Je vais répondre successivement aux diverses observations que viennent de présenter plusieurs honorables orateurs.

On a parlé d’abord des travaux d’Anvers. Messieurs, il m’est impossible d’entrer dans des détails à ce sujet. Je me bornerai à dire que, si la même situation se présentait, j’ordonnerais encore les mêmes travaux. Il ne s’agissait pas de réfléchir si ces travaux gêneraient les habitants d’Anvers, il s’agissait de sauver le pays. Pour ce qui concerne la maison dont on a parlé, je pense que toutes les formalités ont été remplies, et on doit en trouver la preuve dans l’état des travaux du génie.

Un autre orateur a dit que le ministre de la guerre avait fait les dépenses à l’avance. Ce fait est inexact, et la preuve, c’est qu’il lui reste des excédants de crédits. Je n’ai pas compris l’observation qui, je crois consiste à dire que le gouvernement ne peut former d’établissements militaires sans législature…

M. de Foere. - J’ai dit « des armements. »

M. le ministre de la guerre (M. Ch. de Brouckere) réfute cette opinion, et dit que l’article 110 de la constitution donne le droit au gouvernement de fixer le contingent. Je ne répondrai pas, ajoute-t-il, au reproche d’irrégularité des dépenses qui m’a été fait. On avait alloué des crédits au ministre de la guerre, il les a employés de la manière qu’il a jugé la plus convenable.

Quant à la précipitation mise, ainsi qu’on l’a dit, dans la conclusion des marchés des chevaux, je ferai observer que la publication n’a pas précédé seulement de deux heures l’adjudication, car le Moniteur du 1er septembre, où se trouvait cette publicité, avait paru la veille ; car chacun sait qu’il paraît avec la date du lendemain. Il s’est donc écoulé 24 heures. Je sais que c’était encore un bref délai ; cependant il était assez long pour qu’un grand nombre de personnes se présentassent à l’adjudication. « Mais, dit-on, vous pouviez prendre vos mesures dès le 8 août. » Vous savez, messieurs, que je ne suis entré au ministère que le 20, et quand le besoin de chevaux se fit sentir, je ne pouvais différer l’adjudication ; je n’avais pas un instant à perdre, car les livraisons de chevaux ne se font pas du jour au lendemain. On ajoute : « Vous avez adjugé les marchés à une personne, et vous avez acheté les chevaux en masse, tandis que, si vous les aviez acheté par petites parties et admis la concurrence des vendeurs, vous auriez payé beaucoup moins cher. » Messieurs, cela est vrai quand on envisage la chose comme l’a fait M. Gendebien ; quant à moi, je la vois d’une tout autre manière, et je déclare qu’il y a un très grand avantage à acheter en masse ; car remarquez bien que la concurrence entre tous les marchands de chevaux n’aurait fait que produire une hausse, tandis qu’en n’ayant affaire qu’à un seul entrepreneur, on ne fait pas hausser le prix.

Quant à ce qui concerne les vivres, on a dit : « Vous payez l’entrepreneur tous les cinq jours. » Cela est vrai, et c’est en raison des fournitures considérables qu’il est tenu de faire. Pour les magasins de réserve, l’administration ne le paie pas ainsi ; seulement elle lui avance un tiers, mais il s’est engagé à les établir dans les lieux et à y mettre la quantité de vivres que le gouvernement lui indiquera ; et cela, messieurs, a été fait pour éviter la disette en cas d’hostilités.

Il m’est impossible de vérifier les calculs que vous a présentés l’honorable M. Gendebien ; mais ils ne seraient, tout au plus, exacts que pour certaines localités. D’ailleurs, il n’a pas compté les frais de transports, et je pourrais prouver, par pièces authentiques, que cela occasionne un grand surcroît de dépenses. A la Campine les vivres sont plus chers que dans les Flandres ; quand la paille, par exemple, ne se trouve plus dans les cantonnements, il faut bien la chercher ailleurs. Dernièrement, il y avait si peu de paille au camp que nous avons été obligés d’écrire aux bourgmestres des communes voisines d’envoyer les paysans pour en porter, parce qu’il ne s’en trouvait plus à cinq lieues à la ronde.

Je déclare, messieurs, que je ne partage pas l’avis de M. Gendebien, relativement à la publicité de l’adjudication ; je pourrais prouver que, de tous les marchés conclus par le ministre de la guerre, un seul a réussi : c’est l’entreprise actuelle. Elle a présenté toutes les garanties. Peu m’importe les cautionnements, quand 60 à 80 mille hommes pouvaient manquer de vivres. Je déclare que si j’avais à recommencer, j’agirais encore de la même manière.

On a dit : « Vous pouviez traiter d’après un autre système. Il y a des marchés beaucoup plus avantageux, ce sont ceux de manutention. » Des notes m’ont été effectivement adressées à cet égard ; mais j’ai vu, dans ce mode d’agir, de graves difficultés. Le gouvernement doit acheter lui-même les fournitures, et les mettre à la disposition des manutentionnaires. De deux choses l’une : le manutentionnaire est responsable ou il ne l’est pas. S’il n’est pas responsable, il peut voler impunément. Si au contraire il est responsable, faudra-t-il à chaque réclamation nommer des experts ? Cela est impraticable. D’ailleurs, il est impossible de changer de système quand l’armée pouvait être mise en mouvement d’un moment à l’autre.

On a estimé les bénéfices de l’entrepreneur à 4,500 florins par jour. Quant à moi, messieurs, je me fais fort d’établir qu’ils ne vont pas à plus de 2,000 florins, et c’est ce qu’un entrepreneur sans ambition peut raisonnablement gagner par jour. Je tire cette preuve, messieurs, d’une sous-entreprise qu’il a cédée dans une des localités les plus favorables. Je ne puis pas maintenant fournir de documents à cette égard, mais je les montrerai à tous les membres qui le désireront.

L’honorable orateur a également parlé de marchés de fusils. Je ne puis rien dire de ceux achetés avant mon entrée au ministère. La faute, s’il y en a, ne peut m’être imputée, et c’est ce qu’a reconnu l’honorable membre. Il m’est aussi impossible d’entrer dans des détails sur les autres. Seulement, je dirai que les fusils dont on fait l’achat sont numérotés en raison de leur valeur, et qu’ils passent par la main des contrôleurs qui disent : « bons pour telle qualité. »

Relativement aux bataillons de tirailleurs, jamais ils n’ont formé un nombre de 5,600 hommes. On a pu dire, dans un rapport, qu’on devrait les augmenter par exemple les porter à 10 bataillons, ce qui formait 5,600 hommes ; mais il n’en a jamais existé qu’un seul bataillon.

On a parlé aussi des marchés de draps et de linge pour les gardes civiques, et on a dit que ces fournitures avaient été adjugées à des entrepreneurs privilégiés. Eh bien ! messieurs, j’ai recueilli toutes les soumissions des fabricants, et j’ai traité aux meilleurs conditions. J’ai payé les draps d’ordonnance au minimum du taux fixé : quant à ceux qui n’étaient pas d’ordonnance, le prix en a été réduit d’après expertise, et c’est ce qui explique la réduction de 15 p. c. d’un entrepreneur dont a parlé M. Gendebien. Quant au reproche d’avoir traité avec des entrepreneurs privilégiés, je suis prêt à montrer toutes les pièces, et l’on jugera si ce reproche est fondé.

(Moniteur belge n°166, du 28 novembre 1831) M. Jullien. - Messieurs, je ne suis pas financier et n’ai pas la prétention de vouloir le paraître, quoique cela se fasse parfois à peu de frais ; mais en finances, comme dans d’autres branches d’économie politique, il est des principes généraux qui sont à la portée de tout le monde, et dont, par conséquent, chacun peut se rendre raison. Par exemple, messieurs, c’est un principe général, et qui appartient au droit commun, que tout comptable, et notamment tout comptable de deniers publics, doit compte de sa gestion ; c’est aussi une règle invariable de la comptabilité qu’il ne peut exister de déficit que lorsqu’il est régulièrement constaté que la dépense a excédé la recette. Eh bien ! messieurs, ces règles, ces principes de tous les temps, de tous les lieux, on dirait qu’ils ne sont pas à l’usage de MM. les ministres. Rappelez-vous, messieurs, ce qui s’est passé lorsque, en septembre dernier, M. le ministre de la guerre est venu vous demander un supplément de crédit de dix millions ; j’ai entendu alors plusieurs d’entre vous protester qu’en accordant ces fonds avant qu’il fût rendu compte des 22 millions votés précédemment par le congrès, ils cédaient à l’impérieuse nécessité, à la force des circonstances, mais qu’ils comptaient bien que le ministère allait s’empresser de justifier l’épuisement de ce crédit. Que répondait alors le ministère ? Il se rejetait sur l’administration antérieure, sur les désordres de sa comptabilité, et sur les embarras qu’il éprouvait à l’apurer ; mais il promettait de vous donner prompte satisfaction : et cependant, messieurs, on est venu depuis vous demander un emprunt de dix millions, à titre de déficit, et vous l’avez voté de confiance, et aucun compte ne vous a été rendu.

Aujourd’hui même qu’on vous demande encore pour la guerre un supplément de 2,800,000 florins, M. le ministre, qui a toujours les mains vides, n’invoque pas d’autres pièces comptables qu’une note volante, qui serait jointe au rapport, d’ailleurs remarquable, qu’il vous a fait hier en vous présentant son budget pour 1832.

Je vous avoue, messieurs, que je ne suis pas touché des raisons qu’on nous a données jusqu’à présenter pour éluder le compte ; car personne n’ignore que tout comptable qui succède à un autre comptable reçoit les comptes de son prédécesseur de clerc à maître ; vous savez aussi, messieurs, qu’on ne puisse pas dans le trésor public à pleines mains, et qu’on ne peut en distraire un denier sans un mandat qui contient au moins la nature de la dépense, le nom de la partie prenante et la somme à payer : or, quels que soit (manque quelques mots), ces documents doivent exister dans les cartons du ministère, ou il fait déclarer à la face de la nation que les deniers publics ont été dilapidés ; le compte que vous réclamez en vain depuis si longtemps doit donc être facile à rendre.

Les ministres ne peuvent pas non dire non plus, comme en septembre et en octobre : « L’armistice expire tel jour, à telle heure ; … l’ennemi est à notre porte ;… le bélier bat déjà nos murailles, et, si vous ne vous pressez pas de nous donner de l’argent, l’Etat va périr. » Toutes ces phrases de la prudence et de la peur ne sont plus de saison : notre existence politique est maintenant assurée ; brillante ou chétive, prospère ou misérable, elle nous est imposée et garantie par les cinq grandes puissances, et je croirai même, si vous voulez, que c’est à perpétuité. Ainsi donc rien ne nous presse, et nous pouvons procéder régulièrement. J’ai déjà eu l’honneur de vous dire, messieurs, dans une précédente discussion : « Vous n’avez pas trente millions de revenus, et, si vous accordez le supplément demandé, la guerre seule, c’est-à-dire le ministère de la guerre seul, vous aura coûté, cette année, 34,800,000 florins ! » Aussi, ne vous faites pas illusion ; le peuple souffre, les charges sont accablantes, il tourne vers nous ses regards et nous demande du soulagement à sa misère ; et nous, messieurs, ses représentants, ses mandataires, resterions-nous sourds à sa voix ?

Quant à moi, je ne lui imposerai pas de nouveaux sacrifices sans être convaincu de la nécessité de le faire, et je n’aurai cette conviction que lorsque, par des comptes réguliers, il me sera prouvé que les crédits antérieurs sont épuisés, ou bien qu’il y a des dilapidations et des dilapidateurs à punir.

M. Mary. - Messieurs, le rapport que nous a fait hier M. le ministre de la guerre rend aujourd’hui notre délibération plus facile. Si l’on nous demande un vote de confiance, pour lui allouer un nouveau crédit provisoire de 2,800,000 fl., si nous manquons de détail sur les dépenses que son ministère a faites en 1831, du moins trouvons-nous dans ceux qu’il nous a donnés à l’appui du budget de 1832, des renseignements qui remplissent en partie cette lacune. Qu’il y ait eu dans les fonds accordés avant son entrée au département de la guerre, vers le mois de septembre, dilapidations, abus résultant, d’ailleurs, d’une campagne inattendue et improvisée, c’est ce que l’on conçoit ; mais nous devons des éloges à l’activité qu’il a déployée en réorganisant une armée dont la force morale pouvait être affectée, et qui, au mois d’août, manquait de soldats exercés, de chefs habiles, de discipline militaire et du matériel nécessaire. Quel changement rapide s’est opéré depuis lors dans notre situation militaire ! Notre armée se compose maintenant de 55,000 hommes d’infanterie de ligne, qui peut encore s’accroître de 12,000 hommes de la levée de 1832. Il y a 20,000 gardes civiques mobilisés, dont le nombre peut plus que se doubler au premier appel. Nous avons, en outre, 12,000 soldats répartis dans les armes spéciales de la cavalerie, de l’artillerie et du génie. Nous pouvons donc compter sur 87,000 combattants aguerris et armés. Indépendamment de nos 94 pièces attelées, nous avons un matériel et un parc de réserve considérables. L'armée a repris, en outre, cette force morale, le plus sûr garant du succès : elle la trouve dans la confiance que lui inspirent des chefs expérimentés, capables d’instruire le soldat et de le diriger avec habilité. Des exercices non interrompus, de grandes manœuvres, des simulacres de combats, des campements militaires, l’ont par avance accoutumée aux travaux guerriers. Ainsi, sous le triple rapport de la force numérique, du matériel et de la force morale, nous pouvons compter d’avoir une armée propre à défendre dignement l’honneur du nom belge.

Et que l’on ne dise pas qu’appelés à devenir Etat neutre, nous n’avons pas besoin d’une force militaire aussi imposante : ce serait se tromper ; car, jusqu’à ce que la Hollande ait accepté les 24 articles, nous devons conserver notre armée sur le pied de guerre, et même, longtemps après cette acceptation, nous devons la maintenir sur un pied tel, que nous n’ayons pas à craindre la suite des collisions auxquelles pourra donner lieu, dans le principe, l’exécution du traité de paix. Je sais que, celui-ci étant garanti par les cinq grandes puissances, nous avons moins à craindre une agression. Mais il faut, si nous devions encore avoir recours à leur appui, pouvoir seconder leurs efforts. Il faut savoir puiser en nous-mêmes une résistance suffisante. Je ne vois donc pas que l’on puisse, d’ici à quelque temps, diminuer la force des armes spéciales de la cavalerie, de l’artillerie et du génie, qui exigent de leurs soldats plus d’un an d’apprentissage. On les a complétés aujourd’hui, au moyen d’un triage fait dans l’armée active, et par des enrôlements volontaires d’hommes qui avaient précédemment servi dans ces armes. D’ailleurs, bien que ces proportions subissent chez nous les exceptions qui surgissent (manque quelques mots) l’infanterie, et l’artillerie fournir 3 pièces par 1,000 combattants. C’est une bonne artillerie, bien appuyée par l’infanterie et la cavalerie, qui fait le gain des batailles. Conservons donc ces armes sur un pied respectable, en même temps que les cadres de l’infanterie nous permettront de la réformer rapidement à la menace du danger.

Les chances des combats sont diverses, et ce ne sont pas toujours les armées les plus nombreuses qui assurent la victoire. Nous avons assisté, sous Napoléon, au spectacle d’étonnants revers et d’éclatantes victoires ; c’est avec 60,000 hommes et 40 à 50 pièces de canon, qui fit sa mémorable campagne d’Italie en 1800, tandis qu’avec 500,000 combattants et 1,200 pièces attelés il préluda en Russie aux désastres qui amenèrent sa chute. Et nous aussi, messieurs, si la trompette guerrière rappelait nos concitoyens aux combats, nous verrions nos légions se souvenir que César regardait nos pères comme les plus valeureux d’entre les Gaulois ; elles ne seraient plus victimes de désastres dus à une attaque subite et à une fatale imprévoyance.

(Moniteur belge n°164, du 26 novembre 1831) M. Osy. - Messieurs, dans des circonstances ordinaires, je refuserais les crédits demandés, parce que nos voies et moyens ne suffisent pas pour parer à tant de dépenses. Je ne crois pas pouvoir les refuser dans les circonstances où nous nous trouvons. Je fais des vœux pour que les gardes civiques soient licenciés et puissent rentrer chez eux avant l’hiver, d’autant que, n’ayant pas les vêtements nécessaires pour braver la saison rigoureuse, et la plupart faisant le service dans des quartiers malsains des Flandres, il pourrait en résulter les plus graves inconvénients.

Je désirerais savoir si, avec les sommes que l’on demande, on pourra payer les fournitures faites à l’armée française, et les propriétés expropriées pour la défense du pays. Je fais des vœux pour que l’état de siège où se trouvent les villes de Gand et d’Anvers soit bientôt levé, ou du moins adouci. J’engage tous les ministres, dans les marchés qu’ils feront, à les faire par adjudication publique : c’est le meilleur système, excepté pour les cas urgents.

Je profiterai de cette occasion pour vous dire que les habitants de la province d’Anvers ont été étonnés de voir une circulaire émanée de l’administration provinciale, jeter l’inquiétude dans les esprits. Quand toutes les différences d’opinions devraient disparaître, quand on devrait s’efforcer de concilier tous les esprits, pourquoi venir y jeter de nouveaux germes de division, sous prétexte de poursuivre les auteurs de faux bruits ? Je ne veux pas dire que la circulaire soit illégale ; mais, dans les circonstances présentes, elle est au moins impolitique.

M. Rogier. - Je demande la parole.

M. le président. - Est-ce pour un fait personnel,

M. Rogier. - A peu près. (Hilarité.)

M. le président. - Vous avez la parole.

M. Rogier. - Messieurs, bien qu’il soit un peu étrange, alors que nous nous occupons de discuter le budget de la guerre, de voir attaquer une circulaire qui n’y a pas le moindre rapport, je demande la permission de vous donner quelques explications à cet égard, d’autant plus que cette circulaire semble avoir fait grand bruit dans le pays. Je ne sais si mes collèges l’ont lue.

- Quelques voix. - Non ! non ! Lisez-la !

M. Rogier. - Je commencerai d’abord par une réflexion, c’est que je suis parfaitement d’avis que le moment est venu où toute division doit cesser, où toute divergente d’opinion doit disparaître, et c’est ce que j’ai fait sentir dans ma circulaire à propos de la reconnaissance du roi Léopold par la conférence. Mais la circulaire dont il est question ici est de cinq jours antérieure à la nouvelle de la reconnaissance du Roi, et certes, le 15 novembre, je n’étais pas à Anvers dans la même position que le 21.

Voici donc cette circulaire si terrible. (On rit.)

« Circulaire de M. Rogier aux régences des villes et aux administrations des communes rurales de la province d’Anvers.

« Messieurs,

« Depuis la révolution, des alarmistes ou fauteurs de troubles ont plus d’une fois, par de faux bruits répandus à dessein, ou par des insinuations perfides, cherché à semer la défiance et le découragement parmi le peuple, dont le patriotisme inaltérable continue heureusement à triompher de leurs intrigues.

« J’appelle néanmoins l’attention des autorités locales sur ces manœuvres, dont les auteurs doivent être signalés à la justice. A cet effet, il faut que, toutes les fois que des malintentionnés auraient semé des nouvelles alarmantes ou tenu dans des lieux publics des discours hostiles au nouvel ordre des choses, dans le but de porter atteinte à la sécurité publique ou de troubler l’ordre légale, procès-verbal soit dressé sur-le-champ, par l’autorité communale ou ses agents, contre les individus pris en flagrant délit, pour être transmis ensuite avec tous les renseignements, pièces et actes y relatifs, au procureur du roi de l’arrondissement judiciaire : cette disposition, qui a pour but de mettre ce magistrat à même de poursuivre l’affaire s’il y trouve la matière d’un délit punissable par la loi, est, du reste, conforme aux obligations qu’impose à toute autorité constituée l’article 29 du code d’instruction criminelle.

« J’ose donc croire, messieurs, que vous serez d’autant plus exacts à y tenir la main que la police commune vous étant exclusivement confiée, le soin de maintenir la tranquillité publique et l’ordre légal dans votre commune est un de vos premiers devoirs. Je désire recevoir immédiatement copie des procès-verbaux qui pourraient être dressés. Les régences rurales me les adresseront par l’intermédiaire du commissaire de district, et les villes me les feront venir directement.

« Anvers, le 16 novembre 1831.

« Le gouverneur de la province, Ch. Rogier. »

Voilà, messieurs, ce que j’ai osé dire dans une ville en état de siège, chef-lieu d’une province dont les limites touchent aux frontières ennemies ; là où les partisans du régime déchu sont en grand nombre, et où ce nombre pouvait être augmenté par l’arrivée de beaucoup d’autres. Notez que la publication de la circulaire a eu lieu alors que certaines gens ne voulaient pas croire à la prochaine reconnaissance du Roi, et dans un moment où dans les lieux publics on parlait contre l’ordre de choses à établir avec une liberté qui allait jusqu’à mettre en question les droits de Léopold au trône de la Belgique. Qu’ai-je demandé, messieurs ? Que l’on dirigeât des poursuites contre ceux qui se rendraient coupables de délits prévus et punis par nos lois.

Je sais bien que dans certains lieux cette circulaire à déplu ; je le savais d’avance ; je m’en suis félicité, et je m’en félicite encore. (On rit.) Je ne répondrai pas aux accusations où l’on me cite comme un Robespierre (hilarité générale), un Joseph Lebon, un Van Maanen, etc. (nouvelle hilarité). Messieurs, dans le poste où les événements m’avaient poussé, j’ai toujours montré, pour la légalité, des scrupules que parfois mes collègues appelaient naïfs : la légalité fut toujours ma religion, ma religion chérie ; et, messieurs, il est assez dur, il faut le dire, quand notre gouvernement, qui est le représentant de la révolution, laisse à chacun autant de liberté qu’il en veut prendre, quand pas une poursuite, pas un procès n’ont été fait contre la presse, il est pénible, dis-je, de voir les organes de la révolution, de l’opinion libérale, déverser le blâme sur les hommes de cette même révolution. Pour moi, homme de la révolution, je ne m’attendais pas, je l’avoue, alors que, sentant le besoin de donner de la force au gouvernement et de le défendre contre les attaques obscures de ses ennemies, je prenais des mesures pour cela, je ne m’attendais pas, dis-je, aux reproches amers provoqués par cette circulaire, dont je me félicite au reste (hilarité), car c’est une preuve que j’ai atteint mon but. J’ai cru devoir ces explications pour justifier cette accusation devant vous : je ne l’eus pas fait hors d’ici, car les accusations dont elle a été l’objet ne sont guère dignes d’être relevées.

M. l’abbé de Foere présente de nouveau, et d’une manière plus concise et plus claire, les observations contenues dans son premier discours. Il espère avoir été plus intelligible pour M. le ministre de la guerre.

M. Gendebien réplique à M. le ministre de la guerre ; il fait observer que, de toutes les dépenses de la guerre, on n’a régularisé à la cour des comptes qu’une somme de 2,600,000 fl. et une autre de 4,000,000 fl., qui n’était pas appuyée de pièces comptables. Il n’en fait pas le reproche au ministre actuel, trop surchargé de détails pour avoir eu le temps de s’occuper de la régularisation de ses comptes ; mais il demande que la régularisation ait lieu le plus tôt possible.

L’orateur reproduit les arguments de son premier discours sur le peu de publicité donné aux adjudications des fournitures, et sur le système de manutention qu’il soutient être préférable au système suivi jusqu’ici.

Il se plaint de nouveau de ce qu’on n’ait pas rendu justice à tous les officiers de volontaires ; il rappelle les service qu’ils ont rendus et se plaint qu’on les ait renvoyés, tandis qu’on a maintenu dans leurs grades des hommes qui n’avaient rendu aucun service. L’orateur parle notamment d’un capitaine âgé de 19 ans seulement, qui a été maintenant dans son grade quoiqu’il n’eût servi ni avant ni pendant la révolution. Comment voulez-vous, dit-il, que les hommes de la révolution ne se plaignent pas, quand ils voient des emplois conférés à des hommes qui n’ont rendu aucun service ? Je citerai quand on voudra, par noms et prénoms (on rit), des individus qui se trouvent dans ce cas. J’expliquerai ici ma pensée tout entière. Les patriotes craignent qu’on ne les joue ; il paraît en effet qu’il y a un parti pris pour éviter de récompenser les hommes qui nous ont faits ce que nous sommes ; car sans eux nous n’aurions pas l’honneur d’être les représentants de la nation. On a dit dans certain lieu que la révolution n’aurait jamais été faites si les jacobins français n’étaient venus aider les jacobins belges : le fait est vrai ; je le ferais attester au besoin par cent patriotes, et par vingt personnes qui sont restées neutres dans la question.

Attendu que je considère la destitution des officiers de volontaires comme une injustice, je refuserai mon vote à tout crédit, tant que ces injustices ne seront pas réparées. Mon vote serait tout contraire si une majorité n’était assurée au projet, parce que je suis convaincu de la nécessité de conserver notre armée sur le pied où elle est.

M. Lardinois parle du marché de fusils achetés en Allemagne comme d’une affaire très onéreuse. Il n’en pouvait pas être autrement, dit-il, de la manière dont la chose fut faite : le ministre de la guerre écrivit à l’envoyé à Francfort : « Voici 250 mille fr. ; achetez des fusils, n’importe de quelle qualité, pourvu qu’ils aient une baïonnette. » On alla chercher dans tous les greniers de l’Allemagne des fusils qui avaient servi à faire la guerre de sept ans (hilarité), ils avaient des baïonnettes en effet, et longues de deux pieds. (Nouvelle hilarité.) Quand ces fusils furent arrivés, on trouva qu’ils n’étaient bons qu’à faire de la ferraille.

J’ai la conviction que, pour les fournitures de drap, on a payé 40 à 50 p. c. de plus que la valeur. Dernièrement une maison respectable de Verviers, dont le chef est sénateur, ayant fait une fourniture, celui-ci, honteux du bénéfice qui lui était offert, diminua son prix de 15 p. c.

Je suis certain qu’il en est de même pour le prix de toutes les autres fournitures.

M. le ministre de la guerre (M. Ch. de Brouckere) réfute les diverses objections présentées par MM. de Foere, Gendebien et Lardinois. Il fait observer à M. Jullien que l’on ne peut rendre les comptes d’un exercice que longtemps après la fin de cet exercice ; que, par exemple, les comptes de 1830 ne peuvent être arrêtés qu’en 1832. Quant à la régularisation des comptes, il envoie tous les jours des pièces à régulariser à la cour des comptes ; mais il lui est impossible de tout régulariser, quand il est obligé de faire rentrer des sommes fournies par le gouvernement en 1830, dans les premiers jours de la révolution, et quand des communes n’ont pas encore présenté le compte de ce qui leur est dû pour logements militaires.

Il justifie également les marchés qu’il a faits pour les draps ; il n’y a eu de rabais que pour ceux qui n’avaient pas présenté du drap d’ordonnance.

Il persiste à soutenir que son système vaut mieux que celui de manutention ; et, passant aux volontaires, il soutient que justice à été rendue à tous.

L’honorable M. Gendebien m’a cité, dans le temps, un officier supérieur de volontaires : qu’il l’interroge, il verra si justice ne lui a pas été rendue telle qu’il la demandait lui-même.

En vertu d’une loi adoptée par les chambres, le gouvernement peut, dans certains cas et avec certaines formalités, arriver à la destitution d’un officier. Il paraît qu’un officier a craint de passer par là, et que, d’après les conseils mêmes de ses amis, il a donné sa démission.

Pour ce qui est de l’état de siège des villes de Gand et d’Anvers, est-il possible de citer un cas où on agit avec tant de douceur dans des circonstances semblables ? (C’est juste !) L’autorité civile a été maintenue ; l’autorité militaire est restée dans de justes bornes. (C’est vrai ! c’est vrai !) Eh ! messieurs, lisez les journaux qui s’impriment dans ces villes, et vous verrez si de tels journaux devraient exister dans des villes en état de siège !

- Voix nombreuses. - C’est vrai ! c’est vrai ! (La clôture ! la clôture !)

M. Gendebien parle contre la clôture et veut présenter quelques nouvelles observations, attendu qu’un ministre ne doit jamais être entendu le dernier.

M. Osy. - J’ai demandé si les fonds votés suffiraient à payer les fournitures faites à l’armée française ; je désirerais que le ministre répondît à cette question avant la clôture.

M. le ministre de la guerre (M. Ch. de Brouckere). - Si les dépenses de l’armée française doivent être payées par la Belgique, cette dépense ne peut concerner mon département. Je ne suis pas ministre de l’armée française, je suis ministre de la guerre de l’armée belge. Si une indemnité est due, elle devra être mise au compte du ministre de l’intérieur. (Aux voix ! aux voix !)

- La clôture est mise aux voix et prononcée.

Discussion des articles

Articles 1 et 2

L’article premier est lu par M. le président. (Voyez plus bas.)

M. de Nef. - Je demanderai si, au moyen de ces crédits, les arriérés de prestations militaires seront exactement payés. (Oui ! oui !)

M. le ministre de la guerre (M. Ch. de Brouckere). - Il est porté, pour prestations faites par les communes, 179,601 fl. ; mais beaucoup de communes sont en retard de présenter leurs comptes. Je ne voudrais pas que l’on vînt me les présenter dans six ou huit mois ; je profite de cette circonstance et de la publicité de nos débats pour engager les communes en retard à présenter leurs titres.

- L’article premier est adopté, ainsi que l’article 2 et les considérants, en ces termes :

« Considérant que le budget des dépenses n’a pas été arrêté jusqu’à ce jour

« Revu le décret du congrès national du 20 juillet et la loi du 22 septembre, par lesquels des crédits ont été alloués pour assurer la marche de l’administration et pourvoir aux besoins de l’Etat pendant les troisième et quatrième trimestre de cette année ;

« Vu la demande du ministre de la guerre d’un crédit supplémentaire de 2,800,000 fl., et attendu l’urgence des besoins ;

« Décrète :

« Art. 1er. Il est ouvert au ministre de la guerre un crédit supplémentaire de 2,800,000 florins.

« Art. 2. Au moyen de ce crédit, qui porte les allocations affectées à l’exercice 1831 à 34,800,000 fl., le ministre de la guerre aura à pourvoir à tous les besoins de son département. »

Vote sur l'ensemble du projet

On procède à l’appel nominal. Pour le projet, 73 voix ; contre, 5.

Ont voté contre : MM. de Foere, de Robaulx, Seron, Jullien et Gendebien.

Projet de loi relatif aux budget des provinces

Dépôt

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux) présente un projet de loi relatif au budget des provinces. Le projet sera imprimé et distribué.

- La séance est levée à quatre heures.


Noms des représentants absents sans congé à la séance du 24 novembre 1831 : MM. Angillis, Barthélemy, W. de Mérode, Domis, Gelders, Olislagers, C. Rodenbach.