Accueil Séances Plénières Tables des matières Biographies Livres numérisés Note d’intention

Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 4 novembre 1831

(Moniteur belge n°144, du 6 novembre 1831)

(Présidence de M. Destouvelles.)

La séance est ouverte à une heure moins un quart.

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Dellafaille donne lecture du procès-verbal de la dernière séance. Il est adopté.

Pièces adressées à la chambre

M. Jacques fait l’appel nominal. Il donne ensuite l’analyse de plusieurs pétitions, qui sont renvoyées à la commission.

M. le président. - L’ordre du jour est le rapport de la commission des pétitions.

Fait personnel

M. de Gerlache. - Un membre ayant lancé dans le public une lettre par laquelle il m’engage à ne plus remonter au bureau, j’attendrai jusques à la fin de la séance pour prendre la parole, dans l’espérance que ce membre ne sera pas alors absent. (Marques d’étonnement.)

Rapports sur des pétitions

M. Jonet, rapporteur des pétitions, est à la tribune ; il lit le rapport que M. Delehaye, qui est indisposé, devait présenter.

Les pétitions, dont le rapporteur rend compte, ne présentent aucun intérêt : la commission propose le renvoi au bureau des renseignements et à M. le ministre de la justice, d’une pétition d’une dame de La Haye, qui demande une pension en faveur des services rendus par son mari, qui a exercé pendant 30 ans les fonctions de procureur du roi.

M. Dumortier. - En ordonnant le renvoi à M. le ministre de la justice d’une pétition qui me paraît d’un intérêt purement personnel, nous nous constituons les porteurs de lettres des pétitionnaires. Je demande donc que le renvoi au ministre ne soit ordonné que quand il y aura infractions aux lois, ou quand il s’agira d’une question d’intérêt public.

M. H. de Brouckere. - Je crois que l’honorable M. Dumortier a mal compris les intentions de la commission, qui n’a proposé le renvoi au ministre que pour s’éclairer lorsqu’il proposera une loi relative aux pensions à créer pour les veuves des magistrats. Il s’agit donc plus que d’un intérêt personnel à la pétitionnaire.

M. Devaux partage l’avis de M. H. de Brouckere.

- Le double renvoi est ordonné.


M. Jonet, rapporteur. « La dame Rasquinet, de Liége, demande un congé pour son fils, milicien de 1826, incorporé dans le 8ème de ligne. »

- La commission propose l’ordre du jour.

M. Dumortier. - Nous avons voté une deuxième loi relative aux miliciens de 1826. Cette loi n’a pas été promulguée ; je demande qu’elle le soit.

M. Ch. Vilain XIIII. - Il me semble que cette proposition est tout à fait inconstitutionnelle. En effet, un article de la constitution dit : « Le Roi sanctionne les lois et en fait la promulgation. » Mais il doit être entendu, par là, que le Roi ne sanctionne et ne promulgue une loi que quand il le veut.

M. Dumortier. - Mais nous avons voté deux lois sur les miliciens de 1826 ; nous n’avons voté la seconde que parce qu’elle était le complément de l’autre, et que nous entendions qu’elle serait aussi promulguée.

M. H. de Brouckere fait remarquer que la chambre n’a pas voté conditionnellement, et il soutient l’opinion de M. Vilain XIIII.

M. Dumortier. - Nous avons voté la seconde loi comme étant le complément de la première, et le gouvernement devrait le promulguer pour être conséquent avec lui-même.

M. le ministre de la justice (M. Raikem). - Messieurs, il y a trois branches qui forment le gouvernement constitutionnel. Pour l’adoption d’une loi, il faut le concours unanime de ces trois branches du pouvoir, et chacune d’elles a la faculté d’adopter ou de rejeter toute espèce de loi. Une première loi avait été promulguée relativement aux miliciens de 1826. On avait dit qu’on prendrait des mesures relatives aux personnes remplacées, et la chambre a voté une disposition à cet égard. On a cru ensuite qu’il y avait encore une lacune, et on a voté une seconde loi. Je ne crois pas que cette lacune existait. Dans tous les cas, ce serait à l’un de mes collègues à s’expliquer sur ce point ; mais je ne crois pas qu’il en soit besoin, car le Roi a la faculté de promulguer ou de ne pas promulguer une loi.

M. Gendebien. - Messieurs, puisque le gouvernement use de son droit, nous devrions aussi user du nôtre. Afin de ne pas nous laisser entraîner à voter à l’improviste des lois sous prétexte d’urgence, il fait y mettre tout le calme et tout le temps nécessaire. La loi dont il s’agit a été trouvée juste par les deux chambres ; il me semble que le gouvernement devrait la trouver juste aussi.

M. le ministre de la justice (M. Raikem). - J’ai dit que ce n’était pas à moi de répondre sur ce point ; cependant, d’après les renseignements que j’ai recueillis, je ne crois pas que la loi soit nécessaire, et je pense qu’elle a été exécutée d’avance.

- L’ordre du jour proposé par la commission est adopté.


M. Corbisier, second rapporteur, est appelé à la tribune. Il fait le rapport de plusieurs pétitions, parmi lesquelles nous avons remarqué les suivantes :

« Le sieur Wiet, de Maestricht, demande une indemnité pour les dégâts causés à sa maison par les volontaires du général Mellinet. »

- Cette pétition est renvoyée au ministre de l’intérieur.


M. Corbisier, rapporteur. - « Mlles A.-S. et Adèle Van Gostel, de Bruxelles, réclame une indemnité pour la perte de leur mobilier pendant les journées de septembre 1830. »

La commission propose le renvoi au ministre de l’intérieur.

- Ordonné.


M. Corbisier, rapporteur. - « Plusieurs distillateurs de Namur prient la chambre de s’occuper d’un nouveau projet de loi sur les distilleries.

- Après une légère discussion, la pétition est renvoyée au ministre des finances et à la commission d’industrie et de commerce.


M. Corbisier, rapporteur. - « Le sieur F.-I. Brion, fermier de Lodelinsart, demande que les redevances fixes et proportionnelles sur les mines soient remplacées par un droit de patente.

- La pétition est renvoyée, après une courte discussion, au ministre des finances et à la commission d’industrie.


M. Thienpont, troisième rapporteur. - Parmi les quatre pétitions dont M. Thienpont rend compte, une seule fixe l’attention.

« Lesieur Brunfaut, intendant militaire, dans un mémoire imprimé et distribué aux membres, se défend des imputations qu’il prétend lui avoir été adressés par le ministre de la guerre dans la séance du 28 septembre dernier, et demande une enquête si les faits qu’ils soumet, et les pièces déposées à l’appui, ne justifient pas sa conduite. »

La commission propose l’ordre du jour.

M. Gendebien entre dans de longs détails sur la vie de M. Brunfaut, qui s’est toujours montré aussi brave soldat que bon citoyen, et qui a donné à la révolution belge de nombreux gages de son patriotisme.

J’ai lu, messieurs, continue l’honorable M. Gendebien, le mémoire justificatif de M. Brunfaut. Il me paraît détruire l’impression défavorable qu’auraient pu produire les allégations de M. le ministre de la guerre. Je vais vous expliquer en peu de mots ce dont il s’agit, pour vous prouver que les conclusions de la commission ne sont pas en harmonie avec la demande qui vous est faite, et que vous ne pouvez repousser par l’ordre du jour la pétition soumise à votre décision.

Au mois de janvier dernier, M. Brunfaut fut chargé, par suite des ordres que lui transmit l’intendant militaire en chef, de contracter un marché d’urgence pour l’approvisionnement de la place de Namur. Le marché fut passé, et plus tard un rapport d’un auditeur fit connaître que le sieur Brunfaut n’avait pas rempli les formalités d’usage. De là, messieurs, les imputations dirigées contre le pétitionnaire par M. le ministre de la guerre. J’ai pris, messieurs, des renseignements, et il est résulté de mes recherches que les marchés d’usage sont toujours passés sans formalités, et que dès lors le contractant n’a manqué à l’exécution d’aucune d’elles. Je regrette que la commission, avant de passer à l’ordre du jour, ne se soit pas donné la peine d’examiner ce rapport, qui aurait servi l’intelligence du mémoire justificatif fourni par le pétitionnaire. Il me semble que, quand il s’agit de l’honneur d’un citoyen, on ne saurait s’environner de trop de lumières avant de prendre une décision. Le ministre de la guerre n’a pas craint d’accueillir trop légèrement le rapport de M. l’auditeur militaire, et de jeter plus légèrement encore le blâme sur l’intendant de Namur. Car bien que ce soit sous ce titre que M. Brunfaut ait été désigné, il a pu facilement se reconnaître sous cette désignation. J’ajouterai que l’intendant militaire de Liége a opéré de la même manière que M. Brunfaut et d’après les mêmes ordres, et aujourd’hui, loin d’avoir encouru la censure du ministre, il a remplacé le pétitionnaire à Namur. Le seul motif de cette préférence, c’est sans doute l’importance des services rendus à la révolution par M. Brunfaut. Mais il y a plus : ce qu’on reproche à l’accusé pourrait à bien plus juste titre retomber sur son accusateur, qui est chargé de la haute surveillance sur les intendances militaires. Un marché avait été contracté jusques au mois de décembre 1831, pour les vivres de la garnison d’Anvers, à raison de 24 cents et demi par ration ; eh bien ! au mois de septembre, sans les formalités préalables (car il ne s’agissait pas alors d’un marché d’urgence), sans adjudication publique, sans affiche, le marché a été cassé, et un autre a été contracté à 25 cents par ration. Le fournisseur a reçu, malgré cette différence, des cents trois quart 50,000 florins d’avance, et je puis affirmer que des offres ont été faites pour passer le marché à raison de 23 cents avec toutes garanties ; ces offres ont été rejetées. Ces explications, messieurs, doivent vous faire comprendre la justice de la demande de M. Brunfaut ; il croit que son honneur exige une justification qui, comme l’accusation, ait sa publicité, et c’est pour arriver à ce but qu’il demande une enquête.

M. Jonet, membre de la commission, nie qu’elle soit investie du droit de provoquer une enquête.

M. Barthélemy, qui donne quelques nouveau détails sur les faits soumis par le pétitionnaire, demande qu’on renvoie à M. le ministre de la guerre le mémoire justificatif du sieur Brunfaut, afin que le ministre puise se convaincre qu’il a été induit en erreur par les renseignements fournis par l’auditeur militaire, et que M. Brunfaut obtienne la justification à laquelle il a droit. (Appuyé.)

M. le Hon. - La commission n’a pu vous proposer que l’ordre du jour. L’enquête demandée par le pétitionnaire ne peut avoir lieu que par des motifs d’intérêt public, et la chambre ne peut s’écarter de ses précédents pour faire droit à la pétition du sieur Brunfaut, qui a trouvé une justification satisfaisante dans les témoignages honorables que plusieurs de nos collègues lui ont rendus. Quant au renvoi au ministre de la guerre, je ne sache pas qu’il pourrait amener aucun résultat, ni satisfaire même le pétitionnaire. Voulez-vous que le ministre de la guerre vienne déclarer dans cette enceinte qu’il a été induit en erreur, et que dans ses allégation sur le sieur Brunfaut (manque quelques mots) je ne crois pas, et je demanderai l’ordre du jour.

M. Legrelle combat l’opinion du préopinant, et pense que M. le ministre de la guerre peut et doit venir justifier un homme dont l’honneur a été attaqué. L’orateur soutient que c’est un devoir de la chambre que de faire réparer le préjudice apporté à la réputation d’un citoyen, quel qu’il soit, appartînt-il à une classe supérieure de la société, ou fût-il un homme du peuple ou même un manant.

M. Dubus demande le dépôt au bureau des renseignements du mémoire justificatif de M. Brunfaut. (Appuyé, appuyé.)

M. le Hon appuie ce dépôt, comme se rapprochant le plus de l’ordre du jour.

Après de courtes observations, auxquelles prennent part M. Gendebien, M. de Theux et M. H. de Brouckere, le dépôt du mémoire au bureau des renseignements est adopté à l’unanimité.


M. Boucqueau de Villeraie, quatrième rapporteur de la commission des pétitions, a la parole.

« Le sieur Stoop, instituteur à Stekene, district de Saint-Nicolas, réclame le paiement d’un mandat de 100 florins, qu’il a reçu de l’ancien gouvernement à titre de gratification. »

M. le rapporteur propose le renvoi à l’avis du ministre de l’intérieur, pour prendre ensuite une décision ultérieure.

M. H. de Brouckere. - Je ne crois pas qu’il soit possible d’admettre de pareilles conclusions ; car vous ne pouvez rien décider sur le fond de la pétition, et ce serait le faire que d’adopter les conclusions de la commission. Le pétitionnaire peut s’adresser au ministre ; si sa réclamation est juste, on y fera droit .Ce n’est que dans le cas où le ministre ne ferait pas droit à sa demande, que la chambre aurait une décision à prendre.

- Plusieurs membres demandent le renvoi pur et simple au ministre de l’intérieur.

M. Ch. Vilain XIIII demande l’ordre du jour.

Il est adopté.


M. Boucqueau de Villeraie, rapporteur. - « Le chevalier Léopold de Wolff, d’Ypres, ancien rédacteur du Propagateur, demande à la chambre de signaler les auteurs de nos désastres du mois d’août dernier. »

La commission propose le renvoi à la commission d’enquête, dont la formation vient d’être décrétée.

M. Devaux fait observer qu’il n’y a pas de commission d’enquête, et qu’on ne peut faire le renvoi demandé.

M. Dumortier. - C’est une erreur. Nous avons décidé qu’il y aurait une enquête sur nos derniers désastres, et, quoique la commission ne soit pas encore formée, on peut toujours ordonner le renvoi.

- Le renvoi à la commission d’enquête est ordonné.


M. Boucqueau de Villeraie, rapporteur. - « La dame Chaumeton, ayant trouvé un remède contre la brûlure, demande qu’il soit classé dans la nomenclature des remèdes médicaux.

M. le rapporteur analyse longuement la pétition ; il en cite plusieurs passages qui excitent l’hilarité générale. Par exemple : la dame Chaumeton dit que son remède est si efficace, qu’il guérit même d’un coup de fusil et fait renaître les chairs détruites ; que les médecins refusent de s’en servir parce qu’ils n’auraient plus rien à faire, et que les pharmaciens mourraient de faim.

- Plusieurs membres s’opposent à ce qu’on en lise davantage.

M. le rapporteur conclut à ce que la pétition soit déposée au bureau des renseignements.

- La chambre passe à l’ordre du jour.


M. Boucqueau de Villeraie, rapporteur. - « Le sieur Simon Lubin annonce qu’il a trouvé un remède pour guérir toutes les maladies, et demande que la chambre prenne sa découverte « dans sa plus haute considération. »

M. Boucqueau de Villeraie lit encore un long rapport sur cette pétition.

M. C. Rodenbach, l’interrompant. - Je ne crois pas qu’on doive lire toutes les pétitions en entier ; il suffit, et je demande qu’il n’en soit fait qu’un rappor succinct.

- M. le rapporteur et M. C. Rodenbach échangent quelques mots qui ne parviennent pas jusqu’à nous.

M. Dumortier pense que le mode adopté par le rapporteur est bon, parce que la chambre ne serait pas suffisamment éclairée sur le feuilleton qu’on délivre à chacun de ses membres.

M. C. Rodenbach. - S’il faut lire la pétition ici, il n’y a plus besoin d’une commission. Je ne crois pas que la chambre consente à entendre des rapports aussi longs et aussi inconvenants que ceux qui viennent d’être faits.

M. Lebeau. - Je ne pense pas qu’on puisse circonscrire un rapporteur de pétitions dans telles ou telles proportions. Cependant je désirerais, et je crois qu’il serait bon, de faire les rapports des pétitions les plus succincts possibles. C’est un vœu que j’exprime, sans prétendre cependant qu’on puisse astreindre un rapporteur à des règles précises.

L’orateur s’oppose d’ailleurs aux conclusions de la commission, et demande l’ordre du jour en disant : Comment voulez-vous qu’il y ait un remède pour tous les malades ?

- L’ordre du jour est adopté.


M. Verdussen, autre rapporteur, succède à M. Boucqueau de Villeraie, et rapporte les pétitions suivantes :

Plusieurs porteurs de certificats dit « domein los-renten, » de Bruxelles, demandent que le gouvernement en paie les intérêts et en fasse le remboursement.

- La commission propose l’ordre du jour.

M. Mary demande le renvoi au ministre des finances, pour aviser au moyen de faire droit à la pétition. L’orateur appuie son opinion de diverses observations.

M. le président lui fait observer qu’il sort de la question qui occupe la chambre.

M. Osy dit qu’autrefois c’était au ministre des finances qu’il fallait demander le paiement des intérêts des certificats dit « domein los renten, » mais que maintenant la question est changée, et que c’est à la Hollande à faire ce paiement. Cependant il appuie le renvoi au ministres des finances.

M. Angillis demande l’ordre du jour.

- Il est adopté.


M. Devaux (pour une motion d’ordre). - Je demande la parole pour une motion d’ordre. Je ne crois pas que nous agissions dans l’intérêt des pétitionnaires en entendant, pendant la même séance, 37 rapports de pétitions. Il est impossible que l’attention se soutienne aussi longtemps. Je demande que dorénavant on soit plus sobre de rapports dans une séance.

M. Verdussen. - Les pétitions que j’ai encore à vous rapporter sont fort peu nombreuses, et elles exigeront peu de temps, attendu que je ne ferai qu’un seul rapport sur trois de ces pétitions ayant le même objet.


L’honorable membre fait le rapport des trois pétitions, n°54bis, 77 et 78 du feuilleton, qui réclament la révocation de l’arrêté du 25 mars dernier, limitant le nombre des bureaux d’exportation, d’importation et de transit pour les sucres, et demandant que le bureau de Bruly et le bureau de Leer soient désignés comme bureaux de transit pour les sucres.

- La commission propose le renvoi de ces trois pétitions au ministre des finances, à cause des renseignements utiles qu’elles contiennent.

M. Jamme demande en même temps le renvoi à la commission de commerce.

M. de Nef. - Je ne suis pas d’avis de rétablir ces bureaux, car je connais tous les abus et toutes les fraudes qui s’y faisaient. C’est pourquoi je demande l’ordre du jour.

M. Dumortier fait observer qu’il ressort de l’arrêté du régent que c’est la France qui vend maintenant le sucre à la Belgique, tandis que c’était le contraire autrefois. Il demande le double renvoi.

- Ce double renvoi est adopté.

M. le président. - Nous avons encore à entendre un autre rapport, M. Jonet ; mais, comme M. de Gerlache à demander la parole pour la fin de la séance, je pense que la chambre sera d’avis de l’entendre en ce moment.

Fait personnel

M. de Gerlache. - Messieurs, c’est aussi une pétition que j’ai à vous présenter ; je vous prie donc de vouloir bien m’accorder la parole. (Oui ! oui ! Parlez !)

Messieurs, aujourd’hui vers onze heures du matin, j’ai lu dans un journal une lettre signée par un des membres de cette assemble. Cette lecture contient des accusations tellement graves contre moi, que je n’ai pas cru devoir reprendre le fauteuil avant de m’en être expliqué devant tous mes collègues. Je regrette beaucoup que le membre qui a signé cette lettre ne se trouve pas présent ; car, comme j’ai plusieurs réfutations à présenter, j’aurais désiré qu’il eût pu répliquer. Je croyais que, quand on accusait d’une manière aussi grave, on devait se trouver là pour soutenir l’accusation et pour répondre à la défense. Vous êtes témoin, messieurs, qu’il n’y a nullement de ma faute si mon collègue est absent ; mais je ne puis retarder les explications que je dois vous faire.

Ici l’orateur lit la lettre de M. Pirson, conçue en ces termes : « Le fait du despotisme que le président de la chambre a voulu exercer envers moi est bien prouvé par le compte rendu de la séance dans les divers journaux, et par la nécessité dans laquelle il s’est enfin trouvé de me donner la parole. Mais ce fait ressort encore de la circonstance que le procès-verbal constatant la décision prise la veille par la chambre en comité secret avait été tronqué. L’aveu du président est là pour en faire foi. On a lu d’abord, pour me l’opposer et m’empêcher de parler, une décision d’après laquelle la parole serait interdite même pour le rappel au règlement. Le président a dit ensuite que c’était une erreur ; et moi je crois qu’en terme de droit cela pourrait s’appeler un quasi-crime de faux, qu’en d’autres termes cela pourrait s’appeler un tour maladroit d’escobarderie.

« Voici une circonstance bien aggravante. J’avais été trouver M. le président, avec la franchise qu’on me connaît, pour lui faire part des dangers qui résultaient pour la constitution de clore en comité secret la discussion d’une loi. Je lui ai dit que mon intention n’était pas de rouvrir une discussion déjà trop longue ; que, de nombreux discours ayant été prononcés et imprimés, je demanderais moi-même en public la fermeture de la discussion. Sa réponse fut dédaigneuse ; il me dit : « Vous n’aurez pas la parole ; et ni les de Robaulx, ni les Seron ne l’auront pas non plus. Je saurai mettre à exécution la volonté de la majorité. » Il s’en suivit une altercation, prélude de celle que tout le monde connaît.

« En quittant le président ; je lui dis : « Je demanderai la parole pour un rappel au règlement : vous dites que vous m’imposerez silence, et moi je vous dit que je parlerai. »

« Cette circonstance explique pourquoi on a lu, pour me l’opposer, une fausse décision de la chambre.

« Que la nation juge entre le président de la chambre et moi…

« Voilà cependant l’homme que les on-dit mettent à la tête de la cour future de cassation !

« Combien d’autres hommes avaient besoin du secret pour ne pas être tout à fait perdus dans l’opinion publique, conserver leurs places, ou obtenir celles qu’ils attendent ! La bi-unité agit à la sourdine, elle reprendra bientôt son poste.

« Au surplus, voici ce que je voulais dire de la Grèce, quand j’ai été interrompu hier :

« Nous voyons par les journaux que la conférence s’occupe avec activité de l’organisation de la Grèce. Un proverbe trivial dit : « Il n’y a qu’heur et malheur en ce monde ; » eh bien ! la révolution joue de malheur. Ceux qui veulent la restauration dans notre pays trouveront peut-être en Grèce la place de celui que nous regretterons tous.

« Pirson, membre de la chambre des représentants. »

Messieurs, ajoute l’orateur, j’ai consigné quelques observations sur le papier que je vais vous lire ; mais comme mon collègue n’est pas présent, je les donnerai à imprimer pour qu’il en ait connaissance, imitant en cela son exemple.

Messieurs, on vient de me communiquer une lettre signée d’un de mes honorables collègues, adressée à un journal de cette ville. Cette pièce contenant des faits personnels fort graves à ma charge, je vous demande la permission de vous la lire et d’y répondre. Vous voudrez bien excuser le désordre de mes idées, car j’ai eu à peine le temps de me recueillir. Voici la lettre (M. de Gerlache lit l’article inséré dans l’Emancipation, signé Pirson.) Vous voyez, messieurs, que je suis accusé dans cette lettre de bien des choses : d’abord de faux ou de quasi-faux ; 2° d’avoir voulu exercer un acte de despotisme envers M. Pirson, en l’empêchant de parler ; 3° d’avoir été malhonnête à son égard, dans la visite qu’il me rendit un soir, et de m’être exprimé mal sur le compte de deux autres collègues qui étaient absents, et qui n’en pouvaient mais.

Venons d’abord aux faits : je ne crois pas, et j’en atteste M. Pirson lui-même, que jamais la moindre altercation, le moindre nuage se soit élevé entre nous avant la discussion des 24 articles, et cela pour une raison fort simple, c’est qu’il n’y avait entre nous aucun rapport autre que ceux de politesse et de bienséance. Comment me suis-je fait tout à coup un ennemi personnel de M. Pirson ? Voilà la question. J’avais bien ouï dire, comme tout le monde, que M. Pirson voulait parler le jour de la séance publique, malgré la décision de la chambre ; qu’il s’emparerait de la tribunal et qu’il ferait une scène. De la part de M. Pirson, je vous avoue que cela m’inquiétait moins que de la part de tout autre, parce que cela s’était déjà vu. Mais M. Pirson, comme il vous le dit lui-même, vint chez moi un soir : c’était, je pense, le quatrième jour de la discussion. Il entama verbalement une conversation d’abord fort amicale, et il me posa cet argument qu’il vous a développé le jour du vote public, dans son discours, et que j’en extrais textuellement : « L’article 33 de la constitution porte : Les séances des chambres sont publiques. Cette disposition est sage ; mais elle n’est applicable qu’aux choses qui doivent rester secrètes, et non à la discussion proprement dite ou au vote de la loi. »

A cela ma réponse fut bien simple : « M. Pirson, lui dis-je, il me semble (sauf meilleur avis) que vous attaquez ici deux choses que je dois faire respecter : d’abord le règlement, et ensuite la décision prise par la chambre de discuter en comité général, et de voter en séance publique. Sous doute on aurait pu revenir sur cette décision, en demandant, comme vous le prétendez, que la discussion soit rouverte et close en séance publique : aussi l’a-t-on essayé ; mais, par une résolution postérieure, la chambre a maintenu sa première résolution. » Quant à l’argument tiré de l’article 33 de la constitution, il n’était pas du tout concluant : le troisième paragraphe du même article semble bien décisif ; mais si M. Pirson pensait le contraire, il pouvait faire une proposition supplémentaire, interprétative du règlement ; prouver qu’il y avait lacune. Mais je ne pouvais lui promettre la parole pour cet objet le jour de la séance publique : il devait déposer sa proposition, et suivre à cet égard la marche tracée par le règlement.

Je sais fort bien, messieurs, que M. Pirson pouvait toujours demander la parole pour un rappel au règlement. Mais où cela pouvait-il mener ? Le rappel au règlement doit être fondé sur le règlement même, et M. Pirson attaquait le règlement. Si, après lui avoir accordé la parole, elle lui eût été retirée immédiatement, tout était régulier ; M. Pirson n’aurait pas parlé, et je pense que la scène n’en aurait pas moins eu lieu, puisqu’on l’avait annoncée si longtemps d’avance, et qu’on disait à qui voulait l’entendre : « Je suis bien fâché ! et je me fâche toujours de plus en plus ! » Quant au faux ou quasi-faux, je répondrai que, si une erreur ou une inexactitude dans le procès-verbal, non approuvé, constituait un faux, comme le prétend si bonnement M. Pirson, nous serions les plus grands faussaires du royaume ; car tous les jours vous ordonnez de semblables rectifications.

Je suis obligé de rétablir un autre fait qui concerne MM. de Robaulx et Seron. Je ne recourrai pas à de vains subterfuges ; je ne dirai pas que l’on abuse ici d’une conversation privée ; je répondrai nettement que je n’ai nommé personne ; j’ai tout simplement observé que « si l’on rouvrait la discussion, il n’y avait pas de raison pour que cela finît, et que notamment ceux qui s’étaient prononcés contre le comité général reprendraient la parole. »

M. Pirson parle de l’altercation qui aurait eu lieu chez moi et entre nous. Ici une petite narration. Messieurs, après que M. Pirson eut en vain cherché à me persuader, non pas qu’il avait le droit de demander la parole « pour un rappel au règlement, » mais « contre le règlement, » et ensuite « sur le fond même de la question, » et qu’il se fut montré jusque-là fort paisible, quoique contredit, il tira de sa poche un assez long cahier et me dit ces paroles : « Ecoutez mon discours, et vous allez voir. » Messieurs, je vous avoue ici toute ma faiblesse : j’avais écouté 4 heures de discussion, et le cahier de M. Pirson me fit peur. Je fis un mouvement involontaire qui n’échappa pas à l’œil pénétrant de mon honorable collègue ; il se fâcha alors pour la première fois depuis qu’il était chez moi. J’atteste sur l’honneur la vérité de ce fait.

Je regrette ici de nouveau, et je regrette bien amèrement que l’honorable membre, après avoir lancé sa lettre dans le public, ne soit pas venu pour écouter la réponse, ici devant vous, où je crois que doivent se vider tous nos débats. Je demanderais à M. Pirson lui-même de dire si cela est exact. J’en appelle à plus de dix de mes collègues, qui m’ont dit que M. Pirson était fâché, fort fâché contre moi, et à qui j’ai répondu : « C’est parce que je n’ai pas écouté son discours. » Messieurs, j’ai peut-être tort de ne pas admirer l’éloquence de M. Pirson, mais ce n’est pas ma faute ; je lui en demande bien pardon. S’il ne m’avait pas menacé de l’entendre deux fois, peut-être, à la bonne heure ! Mais, messieurs, je n’y étais pas condamné ! Si M. Pirson, qui est un « homme libre », comme il me l’a souvent exclamé, était pour un instant Denis de Syracuse, auteur couronné, et moi à la place de je ne sais quel poète, je lui répondrais : « Qu’on me reconduis aux carrières, » et je lui prouverais par là que je suis un homme libre aussi.

Après avoir demandé pardon à M. Pirson des torts que je puis avoir eus envers lui, je lui pardonne de mon côté, et bien volontiers les petits passages de sa lettre sur les on-dit, sur les gens « qui ont si besoin du secret pour n’être pas perdus dans l’opinion publique, et obtenir des places. » Quoique je n’en aie point obtenu du gouvernement actuel, je ne suis pas de l’opposition. C’est bien assez d’en avoir été pendant sept ans, à une époque où les commissaires de district n’en faisaient guère. S’il plaît à M. Pirson de m’attaquer, non pour les places que j’ai obtenues, mais pour celles que j’obtiendrai ; non pour mes actes, mais pour mes intentions, qu’ai-je à répondre ? Rien. De la part de tout autre, ce serait, tout au moins, de l’escobarderie ; de la part de M. Pirson, c’est très licite : cela ne l’empêchera pas de conserver aux yeux de ses amis cette réputation de « franchise qu’on lui connaît. »

Messieurs, il faut conclure. J’offre volontiers le gage de réconciliation à M. Pirson. Je ne lui jouerai pas même le tour de « distinguer en lui l’homme du député ; » je les tiens tous deux pour francs et loyaux ; qu’il n’en soit donc plus question. Mais seulement qu’il ne vienne plus me lire ses discours après dîner. Quant à vous, messieurs, c’est autre chose : votre président doit être comme la femme de César ; il ne faut pas qu’on puisse le soupçonner. Quoique l’épisode de la séance de mardi dernier me soit tombé aussi impromptu qu’un aérolithe, à peu près comme les coups de poing de M. Pirson sur mon bureau, si vous croyez que j’en doive porter la faute, j’y suis tout résigné. Je suis monté à ce fauteuil avec plaisir, je dirai même avec fierté ; j’en descendrai sans regret, du moment où vous ne m’en croirez plus digne ; et je me trouverai fort honoré de reprendre rang parmi vous. Tant que j’ai joui de votre confiance et que j’ai pu compter sur votre appui, j’ai été sans crainte, puisque vous étiez là pour rectifier mes erreurs et suppléer à ma faiblesse, et que vous le faisiez avec bienveillance. Mais s’il s’élève dans l’assemblée le moindre doute sur les sentiments qui m’animent dans l’exercice de mes fonctions, mon devoir est de les résigner à l’instant et de déclarer que je suis prêt à le faire.

M. de Theux. - Je pense si peu que notre honorable président ait mérité le blâme qu’on fait peser sur lui, qu’il me semble bien plutôt digne d’éloges pour sa modération. Je crois que chacun partage ma conviction à cet égard, et je demande expressément que la chambre donne acte à M. de Gerlache de ses explications, et qu’il soit fait mention au procès-verbal qu’elle lui continue son estime.

M. d’Huart demande la parole pour un fait personnel. L’orateur dit qu’il lui semble que M. de Gerlache a voulu jeter le blâme sur des commissaires de district, qui se trouvent dans la chambre. Il n’y a pas ici de commissaire de district, dit M. d’Huart, il n’y a que des députés. Quant à moi, je suis commissaire de district ; mais je déclare qu’ici je remplis consciencieusement mon devoir de député.

M. de Gerlache. - Je prie l’honorable membre de remarquer qu’il n’y a rien de personnel contre lui. On m’accusait de m’être vendu au gouvernement. J’ai pu répondre que je n’avais rien reçu du gouvernement, tandis que celui qui m’accusait être fonctionnaire public.

M. le ministre de la justice (M. Raikem) déclare qu’il est convaincu que M. d’Huart n’a jamais fait et ne fera jamais qu’une opposition consciencieuse.

M. Legrelle appuie la proposition de M. de Theux.

M. de Gerlache. - Messieurs, l’estime de la chambre me suffit ; je ne demande rien autre chose. Je vous demande pardon d’avoir pris la parole ; mais je ne croyais pas pouvoir reprendre le fauteuil avant de m’être expliqué.

M. de Theux dit que sa proposition doit être adoptée, non pas dans l’intérêt du président, mais dans l’intérêt de la dignité de la chambre elle-même.

M. le président. - Je ne crois pas qu’il soit utile de mettre cette proposition aux voix ; car je crois que tout le monde est d’accord sur ce point.

- Voix nombreuses. - Oui ! oui !

M. le président. - La chambre donne acte à M. de Gerlache des explications qu’il vient de lui donner, et déclare qu’elle lui continue son estime. Mention en sera faite au procès-verbal.

- La séance est levée à 4 heures.