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Chambre des représentants de Belgique
Séance du lundi 31 octobre
1831
Sommaire
1) Projet de loi portant approbation du traité
de paix arrêté le 15 octobre 1831 (traité des 24 articles). Comité général (Dewitte, Devaux, A. Rodenbach, Van de Weyer, Gendebien, de Haerne, Rogier, Fallon, Dumortier)
(Moniteur belge n°140-141, des 2 et 3 novembre 1831)
PROJET DE LOI PORTANT
APPROBATION DU TRAITE DE PAIX ARRETE LE 15 OCTOBRE 1831 (TRAITE DES 24
ARTICLES)
(Moniteur belge n°140-141, des 2 et 3 novembre 1831)
Dans le comité secret
du 31, plusieurs orateurs ont été entendus :
M.
Dewitte déclare qu’il votera pour l’acceptation ; M.
Devaux
prononce un discours en faveur des 24 articles ; M. A. Rodenbach parle contre.
M. Van de Weyer donne quelques
explications relatives aux 8,400,000 fl. imposés par la conférence à la
Belgique.
M.
Gendebien demande la communication des notes remises à la
conférence par les négociateurs belges.
M. de Haerne parle relativement à
la reconnaissance de l’indépendance de la Belgique.
M.
Rogier
parle contre les 24 articles.
Plusieurs
autres membres se prononcent pour ou contre.
La discussion a été
close.
(Moniteur belge n°140-141, des 2 et 3 novembre 1831) M. Fallon. - J’ai écouté avec
d’autant plus d’attention les considérations sur lesquelles notre honorable
collègue, M. Leclercq, a replacé l’exception d’incompétence qui a été soulevée
par M. Jullien, que j’étais avide d’y saisir le moyen de nous décharger
loyalement et légalement de la responsabilité morale qui, dans la circonstance
actuelle, est attachée à l’exercice de notre mandat.
C’est avec un vif
empressement, sans doute, que la plupart de nous accepterait la dispense de se
prononcer sur l’adoption ou le rejet du projet de loi qui est en délibération ;
mais chacun de nous aussi, je pense, n’accepterait cette dispense que pour
autant qu’elle fût légale et de nature à nous défendre suffisamment contre une
accusation de pusillanimité.
Il ne faut pas se
faire illusion. L’exception d’incompétence nous jette contre un autre écueil,
et nous place en présence d’un autre genre de responsabilité non moins grave.
En effet, si cette
exception n’est pas bien évidemment fondée, il n’est pas douteux qu’à
l’intérieur comme à l’extérieur elle sera considérée, ou bien comme une
défection indigne de la fermeté des représentants d’un peuple libre, ou bien
comme un refus masqué, dont la conférence pourra bien ne pas être dupe, et qui,
par suite, n’entraînerait pas moins les conséquences d’un refus positif de
délibérer.
Or, quant à moi, bien
loin de trouver l’exception d’incompétence évidemment fondée, je n’aperçois que
des subtilités dans les arguments sur lesquels on l’appuie.
Voici bien
l’argumentation réduite à ses plus simples expressions.
Par son décret du 18
novembre, le congrès a proclamé l’indépendance du peuple belge.
Par son décret du 24
novembre, il a déclaré que les membres de la famille d’Orange-Nassau sont à
perpétuité exclus de tout pouvoir en Belgique.
Et, par un autre
décret du 24 février 1831, il a identifié ces deux décrets avec la constitution
qui était alors publiée, en déclarant que c’était comme corps constituant que
ces deux décrets avaient été portés.
L’indépendance d’un
peuple est bien le droit de régler souverainement et librement ses intérêts
intérieurs et extérieurs, et l’acte de la conférence peut cependant recevoir
son exécution sans paralyser l’indépendance de la Belgique, puisqu’il
l’astreint à un état de neutralité perpétuelle, lui enlève le droit de régler,
comme il lui plaît, ses intérêts avec la puissance avec laquelle elle est en
guerre, et impose violemment des sacrifices et des charges à son régime
intérieur.
Le décret d’exclusion
de la famille d’Orange-Nassau affecte toutes les portions de territoire que la
constitution embrasse.
Donc, l’acquiescement
au traité est une modification du décret constitutif de l’indépendance
nationale, et il est également une modification du décret d’exclusion, en ce
qui regarde les portions de territoire qui se trouveraient replacées sous la
domination des Nassau.
Donc, dans un cas
comme dans l’autre, il faut modifier le régime constitutif de l’Etat, et ce
pouvoir n’appartient qu’à une nouvelle chambre, créée en exécution de l’article
131 de la constitution.
Il y a plus,
ajoute-t-on : il y aurait, en outre, violation de l’article premier de la
constitution, puisqu’il y aurait morcellement de provinces et que, s’il est
permis de faire des cessions de territoires, ce ne peut être qu’en vertu, non
pas d’une loi ordinaire, mais d’une loi tout extraordinaire, c’est-à-dire
précédée d’un appel au pays, d’une dissolution des chambres.
Voilà bien
l’argumentation dans toute sa force.
Voici maintenant les
motifs sur lesquels ma conviction la repousse.
En fait, le traité
porte atteinte à l’indépendance de la Belgique, telle que l’entendait le décret
du 18 novembre ; cela est évident.
Mais, en droit, il
n’est pas exact de dire que la législature ordinaire n’a pas le pouvoir de
souffrir semblable atteinte.
Je puis d’abord me
prévaloir, avec tout avantage, du décret du congrès du 9 juillet qui, en
acceptant les 18 articles, a restreint le sens absolu de son décret précédent
du 18 novembre.
Vous le savez,
messieurs, le congrès a décidé alors, solennellement, que l’indépendance de la
Belgique, telle que l’entendait son décret du 18 novembre, n’était pas
incompatible avec l’état de neutralité perpétuelle, avec une rectification, un
morcellement de limites ou un abandon de portions de territoire.
Or, ces deux décrets
émanent tous deux du corps constituant, et je ne vois pas comment on pourra
faire comprendre que le second n’a pas fixé le sens du premier, qu’il n’a pas
été dérogé au premier par le second, et qu’enfin c’est exclusivement dans le
premier, et non dans le second, que nous devons puiser notre règle de conduite.
Je ne m’arrête pas
toutefois à cette considération ; je vais plus loin, et je me dis qu’en
supposant même que le congrès eût alors excédé ses pouvoirs (ce qu’il serait
difficile d’admettre, puisqu’il exerçait le pouvoir constituant), la
législature ordinaire pourrait faire aujourd’hui ce que le congrès eût pu
croire ne pouvoir faire alors.
Alors nous n’étions
en état de guerre qu’avec la Hollande et non avec les cinq puissances, qui
respectaient encore, du moins en apparence, le principe de non-intervention, et
qui se bornaient à nous faire des propositions, de manière que nous n’étions
pas, quant à elles, dans les cas prévus par l’article 68 de la constitution.
Mais aujourd’hui nous
sommes en état de guerre, non seulement contre la Hollande, mais encore avec
les cinq puissances ; et pour moi, le fait est évident.
En effet, par l’acte
de la conférence dont il s’agit, les cinq puissances déclarent explicitement
qu’elles n’entendent respecter en aucune manière cette indépendance et ce
principe de non-intervention proclamés par le congrès ; qu’elles entendent
régler elles-mêmes nos limites constitutionnelles, et qu’enfin la voie des
armes sera employée pour nous y contraindre.
Si ce n’est pas là
contre nous, de la part des cinq puissances, une déclaration de guerre en bonne
et due forme, je ne sais pas où l’on trouvera les éléments d’un fait plus
hostile à l’indépendance d’un peuple.
Ne nous y trompons
pas : il ne s’agit pas, pour le moment, d’un traité de paix avec la Hollande,
mais bien avec les cinq puissances. Cela est écrit en toutes lettres dans la
première note qui accompagne les articles du traité.
Voici ce qui y est
dit :
« 1° Que ces
articles auront toute la force et valeur d’une convention solennelle entre le
gouvernement belge et les cinq puissances. »
Et non, comme vous le
voyez, entre le gouvernement belge et la Hollande.
Plus loin, il est
ajouté au n°6 que ces articles « contiennent les décisions finales et
irrévocables des cinq puissances qui, d’un commun accord, sont résolues à
amener elles-mêmes l’acceptation pleine et entière desdites articles par la
partie adverse, si elle venait à les rejeter. »
Nous voilà donc bien,
malgré nous à la vérité, en état d’hostilité flagrante avec les cinq
puissances, et dans la position où il s’agit de faire la guerre ou la paix avec
un nouvel ennemi autrement redoutable que la Hollande.
Or, dans cette
position, l’article 68 de la constitution laisse à la législature ordinaire le
soin et le pouvoir d’autoriser ou de sanctionner un traité de paix, au prix de
cession de territoire et de toute autre charge ou sacrifice.
Cet article
s’applique à tous les cas où le sort du pays est mis en péril par des actes
d’hostilité auxquels la législature croit ne pouvoir résister ; et, à coup sûr,
c’est bien maintenant ou jamais le cas d’en faire usage, si l’on ne croit
pouvoir se soustraire à une intervention aussi violente et aussi brutale.
Quant au moyen tiré
du décret d’exclusion, il n’est évidemment pas fondé, parce qu’il prouverait trop
et ferait surgir un véritable contresens entre ce décret et l’article 68 de la
constitution, qui, en cas de traité de paix, permette des cessions de
territoire.
Ce décret d’exclusion
n’a pas voulu et n’a pu vouloir autre chose que l’exclusion de la famille
d’Orange-Nassau de tout pouvoir sur la Belgique telle que la Belgique pourrait
se constituer définitivement ; car, notez-le bien, la constitution n’existait
pas encore alors.
L’entendre autrement,
ce serait supposer qu’il a voulu que, dans aucun cas de guerre avec la
Hollande, soit actuellement, soit dans 10, 20 ou 30 ans, il ne fût jamais
possible de faire un traité de paix avec cette puissance, dès lors qu’il
s’agirait de la cession d’une parcelle de territoire, quelque petite qu’elle
fût : car le plus ou le moins ne fait rien à la question de principe.
Sans doute, on
n’attribuera jamais à ce décret cet inconcevable esprit d’avoir voulu qu’au
besoin la Belgique disparût du rang des nations, plutôt que de céder à la
maison d’Orange-Nassau un pouce du territoire, sur la totalité duquel elle
était encore fort loin d’être assise constitutionnellement et surtout
définitivement.
Le décret
d’exclusion, pas plus que celui d’indépendance, n’empêche donc aucunement la
législature ordinaire de faire usage des pouvoirs que lui confère l’article 68
de la constitution ; et si, dans l’exercice de ces pouvoirs, elle sanctionne
l’abandon d’une trop grande étendue de territoire, il pourra y avoir abus, mais
non excès de pouvoir, ce qui est bien différent.
Quant à la violation
de l’article premier, je l’aperçois moins encore, en présence de l’article 3
qui permet à la loi de changer les limites de l’Etat, et de l’article 68 qui,
en cas de traité de paix, permet également à la loi des cessions de territoire.
Je n’aperçois pas, du
reste, l’exactitude de ce calcul, qui réduit au chiffre de 7 ou 8 les 9
provinces de la constitution, puisque, réduites toutefois considérablement, je
les retrouve toutes les neuf dans le traité.
Enfin, je ne puis
concevoir qu’il soit judicieux de faire constitutionnellement une distinction
entre la loi destinée à consacrer une cession de territoire, et les autres lois
exceptionnelles que permet la constitution, dans les différents cas spéciaux
qui y sont prévus.
Tous
les cas sont également graves, puisque, dans chacun d’eux, il s’agit de
dérogation à la règle constitutionnelle ; et, par conséquent, pour établir
qu’en cas de cessions de territoire la loi n’appartient pas à la législature
ordinaire, il faudrait prouver que tous les autres cas donnent également
ouverture à une dissolution des chambres ; et c’est là un système qui est
évidemment inadmissible.
Je devrai donc me
résoudre à renoncer aux avantages séduisants de l’exception d’incompétence, si
la discussion ultérieure ne l’établit pas sur des bases plus solides et plus
propres à justifier la défection de la chambre, dans le moment où l’Etat a le
plus urgent besoin de sa coopération.
(Moniteur belge n°146, du 8 novembre 1831) (Discours inséré dans ledit Moniteur, sans indication de date à laquelle
il a été prononcé) M. Dumortier. - Messieurs, après tout ce qui a été dit dans
la discussion qui nous occupe, après que les ministres ont, semble-t-il,
reconnu par leur silence les objections de l’opposition, il paraîtra peut-être
étrange que j’élève de nouveau la voix contre les funestes propositions qui
nous sont soumises ; mais il a été fait, par les partisans de l’adoption des 24
articles, quelques objections qu’il est impossible de passer sous silence. Et
d’abord je dois rectifier un fait avancé par tous les membres du corps
diplomatique ; un fait qui, s’il est réellement partagé par nos diplomates, a
pu exercer sur nos relations une bien fâcheuse influence, et qui, dans le cas
contraire, est ici une cruelle déception, une tactiques honteuse pour faire des
dupes, une menée indigne de leur caractère et dont je dois le dire, il me
répugne de les croire capables. On vous a dit : « Quels sont vos titres
d’admission dans la famille européenne ? Vous n’avez jamais été une nation, en
1790, vous étiez encore dépendants de l’Autriche. » Voilà ce que vous ont
dit nos diplomates ; ils semblent eux-mêmes douter de notre nationalité.
Plusieurs fois dans le congrès, j’ai entendu avancer la même erreur ; ce fait
est trop important pour rester sans réponse.
De temps immémorial,
chacune de nos provinces formait un gouvernement représentatif. Le prince ne
pouvait, sans l’assentiment des états, faire aucune loi générale, prélever
aucun impôt, déclarer la guerre ou contracter des alliances, battre monnaie,
rien innover à l’ordre judiciaire, engager ou aliéner ses domaines, ni rétrécir
les limites du pays. Lorsque Charles-Quint eut réuni sur sa tête la couronne de
toutes les provinces, il leur donna une constitution d’Etat connue sous le nom
de pragmatique sanction, par laquelle il ordonna qu’à l’avenir les provinces
belgiques resteraient à jamais indivisibles. L’acte de cession des Pays-Bas à
l’infante Isabelle reproduit la même clause, et stipule la même défense de
morceler ou diviser le territoire qui devait former une seule et même
souveraineté. Un préopinant vous a dit que, sous l’empire de cette cession, le
roi d’Espagne intervenait dans nos affaires. Cette assertion, quand elle serait
vraie, ne prouverait rien contre notre nationalité. Mais l’histoire nous
apprend que Philippe III s’étant permis, dans une dépêche, d’appeler « nos
Etats » l’assemblée des représentants de la Belgique, ceux-ci protestèrent
avec énergie contre une pareille prétention. Dès lors, l’expression fut rectifiée
et le roi d’Espagne ne se permit plus, par la suite, d’expression qui pût
porter atteinte à notre indépendance.
Voix nombreuses. - C’est de l’histoire ! Nous ne faisons pas ici
de l’histoire !
M. Dumortier. - Oui, messieurs, je
dois faire de l’histoire pour redresser les assertions de la diplomatie, et
répondre à ceux qui l’ont invoquée. Et vous-mêmes vous faites aussi de
l’histoire, lorsque vous abandonnez le dixième de la population ; vous faites
plus, vous en souillez les pages.
La souveraineté de la
Belgique ayant passé entre les mains de la maison d’Autriche, Charles VI, afin
d’assurer son héritage à sa fille aînée, l’immortelle Marie-Thérèse, avait
publié en 1713 sa fameuse déclaration d’hérédité ; mais les états de nos provinces
n’ayant pas été consultés, il sentit bientôt l’objection qui devait naître de
cette circonstance, et les réunit pour leur soumettre cet acte important :
c’est alors seulement que cette nouvelle pragmatique fut publiée à Bruxelles,
le 15 mai 1725, en présence des états, du corps diplomatique, etc.
Il suit de ce qui
précède que nos provinces formaient une monarchie fédérale, représentative,
entièrement distincte de celle d’Autriche ou d’Espagne. En effet, le souverain
des Pays-Bas avait pour toutes les provinces un conseil d’Etat, un conseil
privé et de finances, entièrement distincts de ceux de Vienne ; il avait une
cour dite « cour des Pays-Bas ; » il recevait et envoyait des
ambassadeurs à titre de nos provinces, ce qu’il n’aurait pu faire si les Pays-Bas
et l’Autriche n’avaient formé qu’une seule et même souveraineté. La France,
l’Angleterre, le pape, les Provinces-Unies, l’Espagne, la Prusse, avaient
chacune leur ambassadeur à Bruxelles, indépendamment de celui qu’elles avaient
à Vienne. Il y a plus, l’empereur demeurait quelquefois neutre dans des guerres
qu’il soutenait comme archiduc d’Autriche. Nous en avons un exemple bien
remarquable dans la guerre de 1733, pendant laquelle la Belgique resta neutre,
tellement que la France, partout ailleurs en guerre avec l’Autriche, conserva
toujours un ambassadeur auprès de l’archiduchesse gouvernant des Pays-Bas.
Si dont l’on remarque
que, comme souverain des Pays-Bas, l’empereur exerçait une souveraineté
tempérée et non absolue ; qu’à ce titre il avait une cour distincte de celle de
Vienne, des conseils d’Etat, privé et de finances, distincts de ceux de
l’Autriche ; que, comme souverain des Pays-Bas, il recevait et envoyait des
ambassadeurs dans les cours où il en avait déjà comme archiduc d’Autriche ;
que, comme souverain des Pays-Bas, il demeurait quelquefois neutre dans les
guerres qu’il soutenait comme archiduc d’Autriche, on aura la preuve la plus
évidente que les Pays-Bas formaient une souveraineté, une nation complètement
indépendante de l’Autriche, encore que les habitants des deux pays fussent
sujets du même souverain. En effet, pourrait-on, avec la moindre apparence de
raison, venir soutenir que, sous Charles-Quint, par exemple, l’Espagne,
l’Italie, l’Autriche et les Pays-Bas, ne formaient qu’une seule et même nation
? Et n’est-il pas évident que chacun de ces trois pays formait un Etat
entièrement distinct et séparé des trois autres ? C’est donc bien à tort que
nos diplomates viennent aujourd’hui avancer, dans cette assemblée, que nous
n’avons jamais été une nation, que nous n’avons jamais eu une individualité
distincte de celle de l’Autriche, et que nous n’avons aucun titre pour notre
admission dans la famille européenne. Je le répète, si cette opinion est
réellement partagée par nos diplomates, elle a pu avoir sur nos relations la
plus fâcheuse influence ; sinon, elle est ici une véritable déception.
Voix nombreuses. - Assez ! assez ! Il est temps d’en finir !
M. Dumortier.- Je ne sais si j’ai
rien dit de déplacé. Le règlement me donne le droit de parler ; si cependant la
majorité désire en finir, je suis prêt à souscrire à sa volonté. Il faut le
dire : Pourquoi met-on un aussi inconcevable empressement à terminer une
question de cette importance ? C’est que la petite pudeur a tué la grande, et
que des hommes qui n’ont pas honte de vendre leurs frères, auraient honte de le
faire le jour des morts. Mais, quoique vous en puissiez faire, le jour où vous
adopterez la proposition qui vous est faite sera celui de la mort de la révolution.
Pour appuyer l’acte
de la conférence et démontrer que l’abandon de nos frères du Limbourg et du
Luxembourg n’entraîne pas le déshonneur, on a interrogé l’histoire nationale ;
on a cité la pacification de Gand, l’union d’Utrecht. Puisqu’on a invoqué cette
page de notre histoire, il est de notre devoir de l’interroger à notre tour, de
rectifier l’assertion de l’honorable membre, et de montrer la grande leçon
qu’elle nous offre aujourd’hui.
Charles Quint n’était
plus. Cet illustre empereur, célèbre par ses combats, avait abdiqué la pourpre
impériale ; et un asile silencieux, éloigné des lieux qui l’avaient vu naître,
isolé du reste du monde, avait reçu les derniers soupirs du grand homme. Son
sceptre avait passé entre les mains d’un prince entêté, dur, opiniâtre, acerbe,
portant à la Belgique une haine natale et voulant l’asservir à l’étranger. A
son arrivée sur le trône de nos provinces, il avait promis de nous traiter en
père ; il avait juré de maintenir nos privilèges et nos droits. Perfides promesses
! hypocrites serments ! A peine avait-il commencé de régner, et déjà la
Belgique avait vu son roi, foulant aux pieds ses institutions antiques,
prélever des impôts iniques et vexatoires, favoriser les étrangers au détriment
des Belges, exercer par le glaive un fanatique despotisme contre les croyances
d’une partie de ses sujets, et maintenir un ministre odieux à la population
tout entière. C’est alors que, non pas comme on vous l’a dit, sous Guillaume le
Taciturne, mais bien sous Henri de Brederode, se forma cette ligue célèbre qui
prit pour devise : « Gueux jusqu’à la besace. » C’est ainsi que nous
avons vu de nos jours, et dans des circonstances semblables, les patriotes se
liguer et prendre pour devise : « Fidèle jusque dans l’infamie. »
Sourd aux réclamations
de son peuple, refusant obstinément le redressement des justes griefs de la
nation, le roi voulut dominer par la terreur et la crainte : il promulgua des
édits rigoureux, composa un tribunal de juges iniques, et Bruxelles vit
condamner, contre toute espèce de justice et d’équité, ceux qui s’étaient
montrés le plus opposés à sa tyrannie. La Belgique ne pouvait, muette
spectatrice, dévorer tant d’outrages ; elle se lève comme un seul homme, défait
les armées étrangères ; et bientôt après, les provinces se réunissent pour
consacrer, par un acte solennel, leur fédération contre la tyrannie et leur
irrévocable volonté de chasser l’étranger de notre territoire. Cet acte célèbre
se fondait sur ce principe d’éternel justice : « Union contre le despotisme
et pour la liberté et tout et pour tous. » Heureuse la patrie, si le
principe n’avait pas été violé d’abord par ceux qui les premiers en avaient
réclamé les conséquences ! En effet, la liberté, qui devait exister pour tous,
fut uniquement pour les protestants ; les mesures tyranniques, contre les
catholiques : partout, il furent vexés et tyrannisés par les protestants, comme
ceux-ci l’avaient été peu auparavant par le gouvernement du roi. Le lien des
provinces une fois rompu, la révolution fut sapée par sa base ; les provinces
se divisèrent, et l’ennemi revint sur notre territoire, non pas, comme on vous
l’a dit, parce que nous fûmes abandonnés par les provinces du nord, mais parce
que, le principe de l’union ayant été violé, la Belgique préféra une restauration
à une révolution sans garantie.
Appliquons,
messieurs, ce grand exemple à l’état actuel de la patrie. Le principe de notre
révolution a été aussi de secouer un joug odieux à la nation tout entière,
d’expulser l’étranger de notre territoire, et de proclamer la liberté en tout
et pour tous. Les provinces se sont unies à cet effet, elles se sont soulevées
toutes ensemble, et les députés du Limbourg et du Luxembourg ont apposé comme
vous leur signature sur l’acte fédéral qui nous a constitués. Si maintenant vous
permettez qu’il y fût porté atteinte, si vous souffrez que quatre cent mille
Belges retombent sous le joug qu’ils ont secoué avec vous, qu’ils soient encore
pâturés et privés de ces libertés qu’ils ont conquises comme vous, vous
détruisez ainsi le principe de votre révolution, et je vous le prédis avec
douleur, tôt ou tard elle tombera. Loin donc que le traité cité par l’honorable
membre puisse justifier l’adoption des 24 articles, il nous prouve à quoi nous
nous exposons en abandonnant le principe de notre révolution. Profitons,
messieurs, des enseignements de l’histoire, et reconnaissons où nous mènerait
infailliblement une révolution sans garantie.
Après avoir répondu à
des citations historiques, j’aurai peu de choses à ajouter au fond de la
discussion. Je m’attendais à voir le ministère répondre à nos objections ;
jusqu’ici cependant il n’en a rien fait ; il s’est borné à quelques
explications vagues, à quelques citations qui prouvent bien plutôt en sa
défaveur. Nous avons démontré l’impossibilité où se trouve la conférence
d’employer contre nous des mesures coercitives : qu’a-t-on répondu ? Rien,
messieurs, absolument rien. On vous a parlé de craintes, mais on s’est bien
gardé de vous montrer la possibilité de voir réaliser les menaces de la conférence
; il y a plus : un honorable député, qui est lui-même revêtu d’un caractère
diplomatique, a reconnu que nous n’avions pas à craindre l’occupation d’une
armée prussienne. Ainsi, reste toute entière cette importante vérité que,
quelques faibles que nous soyons par nous-mêmes, nous sommes forts par
l’intérêt divers des grandes puissances et la rivalité dont nous sommes
l’objet.
M. le commissaire du
Roi vous a dit que l’indépendance et la neutralité de la Belgique est un fait
irrévocablement arrêté par les grandes puissances ; s’il en est ainsi, je ne
vois pas pourquoi élever tant de crainte sur notre sort. Au contraire, puisque
notre existence est reconnue, nous sommes en droit de traiter de puissance à
puissance, d’entrer en proposition avec la conférence, de lui faire voir que le
traité avec la Hollande ne peut avoir de durée, que la Belgique ne peut en
aucune manière subsister sans la rive droite de la Meuse, d’où dépend notre
commerce avec l’Allemagne, que la pointe formée au cœur de notre territoire par
la cession de cette partie à la Hollande, compromet notre existence à tel
point, qu’il nous est impossible d’y souscrire. S’il est vrai que l’occupation
de Maestricht présenter un intérêt majeur pour la confédération germanique,
pourquoi ne pas proposer des conditions militaires, qui nous conservent les
droits que nous y exercions en 1790 ? En effet, n’est-ce pas la plus souveraine
injustice de venir invoquer les traités quand nous avons la possession de fait,
et la possession de fait quand nous avons les traités ; de venir vous dire :
« Vous évacuerez Venloo, à cause que les traités la cèdent à la Hollande,
encore que vous en ayez la possession de fait ; et vous renoncerez à Maestricht
à cause qu’elle est entre les mains de la Hollande, encore que par les traités
vos droits sont incontestables ? » Et l’on viendra vous dire que le fait
est tout, et que la conférence s’établir sur les traités ! Dites franchement
qu’elle a agi en tout dans l’intérêt de la Hollande, sans aucun égard pour le
droit ou pour le fait, mais non qu’elle a agi suivant les traités.
M. le ministre des
relations extérieures vous a dit qu’il a foi dans l’avenir, et cette expression
a trouvé de l’écho dans cette enceinte. Pour moi, messieurs, j’ai foi dans le
présent et nullement dans l’avenir. Avez-vous donc oublié la ténacité et
l’opiniâtreté de la Hollande ? Jamais a-t-elle consenti à céder quelque
province, quelque district, une ville, un village même ? Et vous pourriez
croire qu’elle consentira bientôt à nous céder ce qu’aujourd’hui elle nous
enlève ! Je me saisis ici de l’aveu du ministre : en diplomatie les faits sont
tout. Eh bien ! nous sommes aujourd’hui en possession du Limbourg et du
Luxembourg, voilà un fait incontestable : si nous sommes assez fermes pour
refuser d’abandonner nos frères, la force seule pourra nous en séparer ; mais,
si nous les donnions de plein gré à la Hollande, vous ne devez jamais espérer
de les voir rentrer dans la famille.
Et vous, ô mes amis !
que la perfide diplomatie veut aujourd’hui nous ravir, vous qu’elle prétend
replacer aujourd’hui sous un joug que vous avez secoué avec tant de gloire ;
s’il était vrai que déjà les voix fussent comptées et que votre sort fût arrêté
d’avance, recevez aujourd’hui un dernier, un éternel adieu. Dites à vos
compatriotes qu’il existe encore ici quelques hommes trop généreux pour trahir
la patrie et ses défenseurs, et pardonnez à ceux qu’une vaine frayeur ou un
coupable égoïsme porte à vous abandonner. Ah ! si quelquefois vos pas égarés
vous ramènent vers les frontières de la Belgique, venez encore respirer cette
liberté que vous avez conquise avec nous et dont, plus que nous, vous étiez
dignes de jouir.