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Chambre des représentants de Belgique
Séance du jeudi 27 octobre
1831
Sommaire
1) Projet de loi autorisant les ministres de la
justice, des affaires étrangères, de l’intérieur et des finances à exécuter des
dépenses en 1831 sur les crédits déjà ouverts à leurs budgets
2) Règlement de la chambre (périodicité des
rapports de pétitions) (Jonet, Ch.
Vilain XIIII, Verdussen, Lebègue,
Jonet, Destouvelles)
3) Motion d’ordre relative à la mise en état de
siège de la ville de Gand (Mesdach)
4) Projet de loi portant approbation du traité
de paix arrêté le 15 octobre 1831 (traité des 24 articles). Comité général (Gendebien, Devaux, Jullien, C. Rodenbach, Tiecken de Terhove, Jamme, Fallon, Osy, Poschet,
Fallon, C. Rodenbach, Osy)
(Moniteur belge n°136, du 29 octobre 1831)
(Présidence de M. de Gerlache.)
La séance est
ouverte à midi et demi.
M. Jacques fait l’appel nominal.
M. Dellafaille donne lecture du procès-verbal de la séance publique
du 24 octobre ; il est adopté.
M. Lebègue analyse quelques pétitions, qui sont renvoyées à
l’examen de la commission.
M. Angillis prête
serment.
PROJET DE LOI
AUTORISANT LES MINISTRES DE LA JUSTICE, DES AFFAIRES ETRANGERES, DE L’INTERIEUR
ET DES FINANCES A EXECUTER DES DEPENSES EN 1831 SUR LES CREDITS DEJA OUVERTS A
LEUR BUDGET
M. le ministre des affaires étrangères (M. de
Muelenaere) présente un
projet de loi dont voici la teneur :
« Léopold,
Roi des Belges,
« A tous
présents et à venir, salut.
« Considérant
qu’il y a urgence de pourvoir aux dépenses du mois d’octobre,
« Nous avons
arrêté et arrêtons :
« Article
unique. Les ministres de la justice, des affaires étrangères, de la marine, de
l’intérieur et des finances sont autorisés
ordonnancer et faire payer les dépenses courantes du mois d’octobre sur
les crédits déjà ouverts. »
- L’assemblée en
ordonne l’impression et la distribution.
REGLEMENT DE LA
CHAMBRE
M. Jonet. - Messieurs, aux termes du règlement, il doit être
fait un rapport de pétitions une fois par semaine, et il doit être distribué un
feuilleton trois jours au moins à l’avance. Aucun rapport n’a été fait cette
semaine : la commission m’a chargé de vous demander quel jour de la semaine
prochaine vous désirez qu’ait lieu le rapport, afin que la commission ait le
temps de préparer son feuilleton pour que le bureau le fasse imprimer.
M. le président. - La chambre désire-t-elle fixer un jour pour les rapports de
pétitions ?
M. Ch. Vilain XIIII. - Tous les samedis.
M. Verdussen. - Messieurs, je ne suis pas d’avis que la chambre s’astreigne
à entendre des rapports à jour fixe. Je veux bien qu’on fixe un jour par
semaine, mais que ce jour varie suivant les besoins de la chambre.
M. le président. - On pourrait fixer un jour, sauf à déroger à cette fixation, comme
nous dérogeons quand il le faut, à l’heure fixée pour l’ouverture des séances.
- L’assemblée
décide que les rapports seront faits le vendredi de chaque semaine, sauf
dérogation quand il y aura lieu.
M. Lebègue demande que dans le feuilleton de pétition à
distribuer, on insère les conclusions de la commission.
Cette proposition,
combattue par M.
Jonet et M. Destouvelles, est rejetée.
MOTION D’ORDRE RELATIVE
A LA MISE EN ETAT DE SIEGE DE LA VILLE DE GAND
M. Mesdach déclare qu’il retire la proposition qu’il a faite lundi dernier,
relativement à la mise en état de siège de la ville de Gand. L’honorable membre
n’avait pas fait la proposition pour contester à l’autorité militaire le droit
de mettre la ville en état de siège, mais seulement pour empêcher que l’on y
établît des tribunaux d’exception. L’honorable membre ayant appris que le
conseil de guerre, dont l’installation à Gand avait été annoncée, n’a pas été
établi, et qu’à Anvers, qui a été déclaré en état de siège, les tribunaux
conservent leur nation, la proposition devient sans objet.
PROJET DE LOI PORTANT
APPROBATION DU TRAITE DE PAIX ARRETE LE 15 OCTOBRE 1831 (TRAITE DES 24
ARTICLES)
M. le président. - Il n’y a plus rien à l’ordre du jour, la séance publique est levée,
le comité général va commencer.
M. Gendebien. - Je demande
la parole. Messieurs, il me semble que les inconvénients qu’on a cru trouver à
la publicité de la discussion disparaissent, puisque les discours prononcés en
comité secret sont publiés dans tous les journaux. Je demande si, dans un tel
état de choses, il ne serait pas convenable de rétracter à la décision qui a
été prise relativement au comité secret.
M. le président. - M. Gendebien, il y a résolution de la chambre.
M. Gendebien. - Je vais
faire une proposition formelle pour que la séance soit publique.
M. le président. - Il faudra d’abord que votre proposition soit examinée en sections.
M. Devaux. - Aux termes de la constitution, lorsque dix membres
le demandent, la chambre se forme en comité secret ; ce n’est ensuite qu’en
comité secret que l’on peut décider si la séance redeviendra publique.
M. Gendebien. - Qu’on lise le texte de l’article qui contient cette
disposition.
M. le président lit l’article 33 de la constitution, qui est en effet conforme à
l’opinion de M. Devaux.
- La séance
publique est levée. La chambre se forme en comité secret.
Plusieurs membres de l’opposition sortent à l’instant de la salle.
(Note du
webmaster : Au Moniteur belge du même jour, on pouvait lire l’article
suivant : « Du comité secret : Nous continuons à publier quelques-uns
des discours prononcés dans le comité général, et en cela nous ne croyons pas
protester contre l’opinion que nous avons émise, avant-hier, sur l’opportunité
et la sagesse de la mesure prise par la chambre des représentants. Mais,
dira-t-on, qu’est qu’un comité secret qu’on rend public ? N’y a-t-il pas là contradiction
évidente, dérision complète ?
(« A cela il y a une
réponse bien simple : Le comité général n’est rendu public que dans la partie
susceptible de publicité ; le reste est tenu secret, et ce serait une grande
erreur de croire que le compte rendu du Courrier et des autres journaux est a
reproduction exacte, l’image fidèle de ce qui s’est passé dans la séance.
Malgré ces publications partielles, à dessein incomplètes, la mesure du secret
atteint son but : elle ôte à la discussion ce qu’elle aurait eu de passionné,
d’irritant, d’imprudent Ce qui parvient au public est épuré par ceux mêmes qui
font des confidences aux journaux. Ainsi l’a jugé la majorité de la chambre, en
maintenant sa première décision. »)
Le comité général
a commencé à une heure et demie ; il a été terminé à quatre heures. Ont été
entendus : M. Jullien,
M. C. Rodenbach, M. Tiecken de Terhove et M. Jamme,
contre ; M. Fallon, M. Osy et M. Poschet,
pour.
Nous donnons
ci-après plusieurs discours qui ont été prononcés à cette occasion.
M.
Fallon. - Messieurs, la Belgique, consternée à l’approche de
la nouvelle catastrophe qui la menace, attend avec anxiété que nous lui disions
si elle doit se soumettre, ou si elle doit résister à l’oppression ; en
d’autres termes, si elle doit, ne fût que précairement, sauver son indépendance
au prix des sacrifices qui lui sont imposés, ou bien si elle doit se raidir
contre la violence, au risque de creuser elle-même le tombeau de ses libertés.
C’est ainsi que
j’envisage la haute question politique que nous avons à trancher bien plutôt
qu’à résoudre.
Je ne m’arrête pas
au calcul minutieux des sacrifices et des charges imposés. Il n’est que trop
vrai que le fardeau en est accablant. C’est là un fait qu’il n’est
malheureusement pas permis de contester.
L’idée qui domine
pour moi toute la discussion, et qui absorbe toute mon attention, est de savoir
si la Belgique de la conférence pourra alimenter son existence plus ou moins
longtemps.
J’interroge donc
la discussion sur les faits suivants :
Les richesses
agricoles de la Belgique seront-elles frappées de stérilité ? Son commerce
sera-t-il entièrement paralysé ? L’industrie nationale doit-elle complétement
dépérir ? L’écoulement de ses produits devient-il impossible ?
Si j’obtiens la
conviction qu’avec le traité imposé tel doit être l’avenir de mon pays,
j’abandonnerai l’illusion d’une indépendance qui devrait nécessairement
entraîner sa ruine ; je repousserai une combinaison qui ne pourrait amener
qu’une honteuse faillite, et je ne balancerai pas à courir toutes les chances
d’un refus.
Mais, s’il ne
m’est pas clairement démontré que l’adhésion à l’ultimatum de la conférence
entraîne nécessairement la décadence et la ruine prochaine des intérêts
matériels du pays, alors, avant de placer le crêpe funèbre sur l’autel de la
patrie, je mettrai dans la balance, d’un côté, ce que je conserve par mon
adhésion, et de l’autre, ce que je puis perdre par mon refus ; et, dans le
doute, je ne livrerai pas le sort de la Belgique à des hasards qui peuvent fort
bien empirer sa situation matérielle, en la réduisant en même temps à un état
complet d’abjection par la perte de son indépendance et de ses libertés.
Ici, je le sais,
je me heurte contre des considérations bien propres à m’ébranler, si la froide
raison ne me prêtait son secours.
L’indépendance de
la Belgique sous le régime du traité imposé, et comme Etat neutre, ne sera
plus, dit-on, qu’un mot vide de sens, et c’est à une idole ainsi dégradée que
je sacrifierai l’honneur national et la cause des peuples.
Voyons si ce
reproche est bien fondé.
L’indépendance de
la Belgique de la conférence ne sera qu’un vain mot, c’est-à-dire que cette
indépendance ne subsistera que pour autant que la paix du voisinage lui
permettra de subsister.
Je le sais, je ne
me suis jamais flatté que notre émancipation pouvait en produite une de toute
autre nature.
Examinons sans
prévention la portion de terrain que nous occupons sur la carte de l’Europe ;
n’oublions pas que la Belgique est destinée par sa position à servir de champ
clos aux querelles des puissances de premier ordre, quand elle ne sert pas de
pâture au plus fort ; comparons les frontières des 18 articles avec les limites
de l’ultimatum, et il faudra forcément convenir que, dans un cas comme dans
l’autre, nous ne pouvons conserver notre indépendance que pour le temps que
cela peut convenir aux puissances voisines.
L’Angleterre ne
fermera-t-elle pas l’Escaut quand il lui plaira ? Pour empêcher la Hollande
d’agir de même et de faire une irruption chez nous, ce n’est ni Venloo ni
Maestricht qu’il faudrait seulement pouvoir lui opposer, mais une flotte et des
places fortes sur la frontière du Brabant septentrional ; ce ne serait non plus
ni Venloo ni Maestricht qui rendraient une lutte égale avec la Prusse, et à
coup sûr la France ne s’arrêterait pas au cordon de places forces qui bientôt
va disparaître.
Convenons donc
franchement que la force de la Belgique doit être bien plutôt en dehors qu’en
dedans de ses frontières, que son indépendance suivre toujours les oscillations
de la balance des intérêts politiques de l’Europe, et que, plus ou moins
resserrée dans ses limites, elle ne devra pas moins subir le joug de la
position.
C’est pour une
indépendance aussi éphémère que je fais, dit-on, le sacrifice de l’honneur
national et de la cause des peuples.
En ce qui touche
la cause des peuples, ce n’est assurément pas sur le terrain de la Belgique
qu’elle aura été perdue, puisque le droit d’insurrection y restera
solennellement confirmé par les puissances les plus hostiles à la cause
populaire ; et, à cet égard, si l’ignominie doit accompagner quelque part le
reproche de désertion, c’est au-delà de nos frontières qu’il se fera entendre.
Alors que le
cabinet français a cru qu’il était de sa politique de laisser étouffer
l’insurrection d’Italie, de laisser périr l’héroïque Pologne, d’abdiquer le
principe de non-intervention, d’entrer lui-même comme élément dans la nouvelle
alliance du despotisme, et de retirer tout à coup la main tantôt bienveillante,
tantôt trompeuse, qu’il avait offerte à la Belgique ; alors surtout que le
peuple français lui-même est resté docile spectateur d’une politique aussi
égoïste, et n’a pu et n’a pas voulu donner à son gouvernement de plus
généreuses impulsions en faveur de l’indépendance des peuples, c’est, suivant
moi, une extravagance de croire aider encore à la cause populaire en mêlant les
cendres de la Belgique à celles de la Pologne.
Je crois mieux
servir cette cause en conservant tout que je pourrai, dans ma patrie le seul
monument de triomphe populaire qui peut encore rester débout.
Mais, dit-on, ce
monument n’attestera-t-il pas en même temps qu’il a été forfait à l’honneur
national ? Ne dira-t-on pas, sur ce moment, qu’après avoir solennellement
proclamé qu’elle n’abdiquerait dans aucun cas en faveur des cabinets l’exercice
de la souveraineté ; qu’elle ne se soumettrait jamais à une décision qui
détruirait l’intégrité du territoire, et qu’elle maintiendrait le principe de
la non-intervention, la Belgique s’est cependant courbée sous le joug, et a
abandonné une partie de ses plus ardents défenseurs.
Cette
considération affligeante me pénètre vivement, et je ne balancerais pas un
instant à reprendre la place que j’occupais sur le terrain des 18 articles, si
je pouvais encore me livrer aux mêmes sentiments avec quelque espoir de succès.
Mais alors la
Pologne se débattait encore contre le despotisme ; la France nous promettait
encore une bienveillante et puissante protection ; le bill de réforme en
Angleterre laissait encore concevoir d’heureuses améliorations ; nos derniers
désastres n’avaient point encore compromis la force morale de notre position.
Alors enfin les probabilités me permettaient de satisfaire à toutes les
exigences de l’honneur national, puisque je pouvais encore espérer
raisonnablement que la Belgique pouvait survivre à une conflagration générale.
Aujourd’hui tout
est changé. Toutes ces espérances abandonnent la Belgique, et la résistance
l’expose à ouvrir elle-même le tombeau de son indépendance et de ses libertés.
Dans une aussi
fatale position, l’honneur national ne demande pas que la raison d’Etat soit
étouffée ; il ne demande pas le suicide de notre indépendance et de nos
libertés : c’est un langage plus élevé et plus patriotique qu’il nous parler
dans la constitution, lorsqu’il nous dit, dans les articles 1 et 68 qu’une loi
pourra restreindre les limites de l’Etat et abandonner des portions de
territoire.
Lorsque ces
articles de la constitution ont été livrés à la discussion, les députés des
portions menacées siégeaient dans cette enceinte. On s’est demandé ce qu’il
conviendrait de faire dans le cas où la nécessité exigerait l’abandon de
quelques portion du territoire ; on a considéré que le sacrifice du tout
n’améliorerait aucunement le sort de la patrie dont une force brutale exigerait
la distraction ; on n’a pas jugé qu’il y aurait humiliation à sauver l’Etat aux
dépens de l’une de ses parties, et ce jugement a eu pour appui cette vérité,
qu’il n’y a jamais de honte à se courber sous le joug de la nécessité.
Je pense donc que
tout ce que l’honneur et la générosité nationale exigent de nous, dans des
circonstances aussi désespérantes, c’est de n’abandonner nos frères qu’alors
que l’indépendance de la nation et la conservation de ses libertés se trouvent
en péril et qu’il ne reste plus d’espoir de sauver autrement l’œuvre de la
révolution.
Si donc la
discussion ne me donne la conviction que la Belgique ne peut continuer à
exister avec le traité imposé, en attendant du temps un meilleur avenir, la
véritable question pour moi se réduira au calcul des probabilités de la résistance
: et alors, considérant que si la conférence veut éviter la guerre fédérale,
elle voudra nécessairement le moyen qu’il est en son pouvoir d’exécuter ;
convaincu, comme je le suis, que dans les actes d’exécution la querelle ne se
terminerait pas isolément entre la Belgique et la Hollande ; que la France,
n’ayant rien trouvé de choquant pour la cause des peuples et pour le principe
de sa propre existence, en soignant une condamnation aussi désastreuse pour la
Belgique, n’hésitera pas davantage à souscrire à son exécution ; que même, dans
une conflagration générale, ses succès ne serviraient qu’à nous absorber et à
nous asservir momentanément, pour nous abandonner encore impitoyablement au
jour de ses propres revers, je n’exposerai pas mon pays, soit aux chances d’une
résistance, soit aux ravages et aux convulsions d’une guerre générale qui
pourrait en être la suite, qui pourrait replacer la Belgique à son point de
départ, moins son indépendance et ses libertés, et qui pourrait lui faire payer
durement et ignominieusement les indemnités d’un démembrement ou d’une
restauration forcée.
Il ne fait pas se
faire illusion : toutes les déceptions du cabinet français jusqu’aujourd’hui,
et l’apathie même de la France, doivent suffisamment nous avertir que la conférence
pourra fort bien reste compacte, ne pas reculer en présence de ses œuvres, et
ruiner totalement notre pays dans les frais d’exécution, en commençant
précisément par les portions de territoire dont il nous est déjà si douloureux
de devoir nous séparer, et que nous rapperions ainsi nous-mêmes d’une double
calamité.
Enfin, lorsque je
réfléchis que l’oppression des protocoles n’a fait que grandir en raison de
notre résistance, et convertir d’hypocrites propositions en décisions
tyranniques, toute mon appréhension est dans une occupation violente suivie de
protocoles plus désastreux encore ; et je ne puis me flatter, malgré toute la
versatilité du cabinet français, que les remords pourraient le gagner
subitement et le déterminer, dans l’exécution, à violer aussi précipitamment
des engagements aussi solennellement contractés.
Telles sont les
considérations qui dirigeront mon vote ; si je ne trouve pas toutefois dans la
discussion ultérieure du projet d’autres éléments de solution.
Quant à la
question préalable soutenue par mon honorable ami M. d’Elhoungne, j’avais
d’abord partagé et soutenu son opinion dans la section à laquelle j’ai
l’honneur d’appartenir ; mais un examen plus attentif de l’article 68 de la
constitution me l’a fait abandonner.
Je persiste à
croire, comme lui, que le dernier paragraphe de cet article ne fait pas
exception à la règle générale qui investit le Roi, non seulement du droit, mais
du soin de faire les traités de paix, d’alliance et de commerce, et qu’il
n’est, tout au contraire, que le complément de la règle pour les cas qui y sont
prévus.
L’idée dominante
de la règle a été qu’il arrive plus fréquemment qu’un traité de paix ne peut
être différé d’un instant sans compromettre le salut de l’Etat ; et c’est
pourquoi on a laissé au Roi le droit et le soin de conclure, sans en référer
préalablement aux chambres.
Cette idée a amené
la conséquence nécessaire qu’il pourrait consentir à une cession ou un échange
par le traité même, sauf le soumettre
ensuite à la ratification d’une loi.
Je pense donc que,
dans les cas ordinaires, c’est-à-dire lorsqu’il s’agit d’un traité volontaire,
le Roi doit d’abord le conclure avant d’en saisir la législature.
Mais
je pense aussi que, dans le cas extraordinaire d’un traité imposé, tout à fait
en dehors de la constitution (car, à coup sûr, si, lors de la discussion de
l’article 68, quelqu’un s’était avisé de parler de semblable traité, sa
proposition eût été couverte d’imprécations) ; je pense, dis-je, que, dans ce
cas, il n’est plus possible d’argumenter de l’article 68 pour repousser le
projet de loi par une exception d’inconstitutionnalité.
Quant à
l’exception de non-délibérer, soulevée par l’honorable M. Jullien, elle a été
longuement discutée par le pouvoir même constituant où elle puisse sa source,
et, lors de la discussion sur les 18 articles, elle a été écartée par des
considérations que j’ai alors partagées et que je partage encore aujourd’hui.
M. C. Rodenbach. - Messieurs, nous étions donc destinés à devoir
sanctionner le déshonneur et la ruine de notre patrie ! Les phrases éloquentes
d’un de nos collègues renfermaient donc une sinistre prophétie ! On nous
convoque, non pour vendre nos frères (la conférence a consommé cette œuvre
d’iniquité), mais pour les livrer de nos propres mains aux réactions, aux
vengeances du monarque le plus vindicatif, du peuple le plus antipathique à
tout ce qui porte le nom de Belge ! Depuis l’acceptation des dix-huit articles,
qui n’étaient qu’une embûche dressée pour assassiner la Belgique, on a compté
sur vous, messieurs, pour dépouiller le pays d’une partie essentielle de son
territoire, pour détruite son commerce, son industrie, et mettre des entraves à
son système de défense. On compte sur vous encore, pour imposer à nous et à nos
descendants une dette étrangère insupportable.
Je ne sais si
votre suffrage viendra ratifier des traités qui atteignent le dernier degré de
l’opprobre ; mais ce dont je suis certain, c’est que la postérité et l’histoire
impitoyable imputeront à lâcheté et à faiblesse ce que plusieurs d’entre vous
regardent comme un acte de prudence.
La vigueur, la
virilité seules procréent une nation indépendance et libre, et non pas la
mollesse et une lâche déférence. Oser est toute la politique d’une révolution.
Il est (pourquoi
ne pas le dire ?) certaines gens qui semblent exercer sur la chambre une
funeste influence, qui, semblables à des astres malfaisants, arrivent de loin,
à point nommé, chaque fois qu’il surgit un plan fatal à la Belgique, et dont
les opinions politiques, dans lesquelles il y a toujours quelques chose
d’individuel, nous annoncent de sinistres présages. Je saurais, messieurs, me
mettre à l’abri d’une influence aussi maligne ; non, on ne m’attirera pas dans
un guet-apens diplomatique. Je saurai me dégager de toute considération
personnelle, d’autant plus que la conservation de quelque honneur, de quelque
titre, ne doit entrer pour rien dans les motifs qui déterminent à décider du
sort du pays.
Je crois que, par
l’adoption des préliminaires de paix, nous avons accordé tout ce qui était
possible. Les 18 articles doivent lier les puissances comme ils nous lient, ou
bien il devient flagrant que la conférence a deux poids et deux banques, l’une
pour les droits des peuples, l’autre pour les droits des souverains, et que le
nouveau traité devient une prime d’encouragement pour la perfidie et la
déloyauté de Guillaume.
Je sais que, pour
obtenir vos suffrages, on a parlé de menaces, du 52ème protocole, d’une flotte
dans l’Escaut, du refus de la France de nous secourir en cas d’hostilité, etc.
; mais, en cette circonstance, je suis un peu comme notre honorable collègue M.
Barthélemy : je n’ai pas peur ! Je n’ai pas peur de la flotte anglaise ; car
l’Angleterre est rarement disposée à agir contre nous, qui n’avons pas de
flotte qu’elle ait intérêt à détruire, et son cabinet a, dans ce moment-ci,
assez de ses dissensions intestines pour chercher la guerre ailleurs. Une telle
intervention serait la chute du ministère Grey, qui ne s’appuie que sur les
libéraux, qui n’approuveront jamais la conduite que l’on tient à l’égard des
Belges. Je n’ai pas peur que la France nous abandonne. La France, qui a
délaissé l’Italie, la noble Pologne, ne fait, en nous protégeant, que défendre
ses propres intérêts. Nous sommes en ce moment sa seule alliée sincère. Si le
ministère du juste milieu poussait son système de paix à tout prix jusqu’à
cette extrémité, nous en appellerions à la chambre des députés, à la nation
française. Là, assez de cœurs généreux élèveraient la voix pour stigmatiser une
aussi odieuse conduite. Eh bien ! que la France nous abandonne ! Vainqueurs de
la Hollande, nous dictons des lois aux vaincus. Si, accablés par le nombre,
nous étions débordés par une armée hollando-prussienne, que ferait la France ?
Resterait-elle spectatrice paisible de l’envahissement de ses frontières ? Non
! Les défaites de 1815 sont trop profondément gravées dans tous les cœurs, les
Français ont trop d’affronts à venger pour ne pas se lever dès qu’un Prussien
franchirait nos barrières. Qu’importe, après tout, la guerre un peu plus tôt un
peu plus tard ! Forçons la France à se dessiner ! Qu’elle renaisse la France de
Juillet, car maintenant je la cherche et je ne la trouve plus ! Qu’elle vienne
unir à notre bon droit ses souvenirs et ses vengeances ! Ne nous remettons plus
au temps pour l’espoir d’un nouvel avenir ! Si nous laissons échapper
l’occasion, les années ne feront que river partout les fers de la tyrannie. Si
nous cédons, il n’est plus d’espoir ni pour l’Italie, ni pour la Pologne, ni
pour l’Espagne, ni pour le Portugal. Nous aurons donné gain de cause à la
sainte-alliance du despotisme ; nous aurons anéanti l’espoir de tous ceux qui
défendent avec nous la cause de la liberté, de la philosophe, de la
civilisation. Ne nous laissons pas surtout éblouir par les avantages que nous
croirions pouvoir obtenir un jour.
La France si
grande, si forte, en acceptant sous le poignard des alliés, les conditions des
traités de 1815, pensait bien aussi s’en référer au temps. Le temps n’a fait
que rendre ses engagements plus difficiles à rompre. La France est aujourd’hui
encore la France de 1815, telle que les alliés l’ont faite. Et nous, qui sommes
si petits en comparaison de ce beau pays, nous penserions pouvoir récupérer
dans l’avenir tout ce qu’on veut nous enlever par la force ? Ce serait,
messieurs, une préoccupation dangereuse, une illusion qu’il est essentielle de
détruire. Si jamais vous cimentez les désastreuses conditions qui vous sont
offertes, nous végéterons dans une condition si dure, que dans quelques années
la réunion à la France nous semblera un bienfait, ou la restauration une
nécessité.
Je ne vous
parlerai pas ici de nos frères en révolution : des voix plus éloquentes que la
mienne ont été leurs interprètes fidèles. Nous ne demanderons pas à leurs
mandataires cette prétendue générosité, qui consisterait à les livrer aux
bourreaux. Assez de cœurs indifférents voteront sans songer aux maux qu’ils
leur préparent. Laissez ceux qui sont destinés à subir l’ostracisme exhaler
leur indignation. Qu’on accorde du moins la plainte à la victime qu’on immole
sur l’autel de la peur.
Je ne m’occuperai
pas de l’opportunité de la guerre : d’autre que moi se chargeront de répondre
aux assertions erronés que nous avons entendues à cette tribune (par
l’ex-ministre de la guerre Goblet). Je ne dirai qu’un mot concernant cet objet.
Tous nous avons été témoins des prodiges des barricades. J’ai vu l’enthousiasme
de nos volontaires et de nos gardes civiques, leur zèle, leur ardeur, leur
courage. Il n’appartient de les déprécier, de les calomnier, qu’à ceux qui, par
leur incurie, leurs fautes, ont préparé les journées désastreuses que nous
déplorons et dont les nouveaux traités ne sont que les funestes conséquences.
Je n’entrerai pas
non plus dans des détails relatifs aux diverses questions du traité, questions
qui ont été envisagées sous d’autres faces par les orateurs qui m’ont précédé.
Mais, messieurs, que peut-il nous arriver de pis que les conditions imposées ?
Si on nous force à l’exécution, nous obéirons ; mais du moins, nous n’aurons
pas ratifié par nos suffrages les malheurs et la honte de la patrie. Il ne sera
pas dit qu’une assemblée toute populaire et née de la révolution aura foulé aux
pieds les lois de l’humanité et les droits des peuples ; que nous aurions
nous-mêmes rayé de la liste des citoyens belges ceux qui nous ont aidé à
secouer le joug de la Hollande, dont les parents sont morts pour notre cause,
dont les fils, les frères, font partie de notre armée, de nos administrations,
de notre assemblée nationale.
Ah
! puisqu’on présente de telles conditions à vos délibérations, sans doute elles
ne sont pas irrévocables. Il n’y a que les jugements de la Providence qui le
soient. Quelque élevée, quelque forte que soit la conférence, il est,
messieurs, quelque chose de plus fort, de plus sacré, de plus puissant : la
justice et la volonté des peuples.
Je voterai contre
les conclusions de la section centrale, c’est-à-dire contre les 24 articles de
la conférence.
M. Osy. - Messieurs, je suis obligé de motiver mon vote dans
cette grave discussion, et comme de coutume, et de même que je l’ai fait depuis
un an, vous saurez toute ma pensée ; et quoique je sois content que nous
délibérions en famille, je ne redoute pas que mes paroles soient livrées à la
publicité.
J’ai commencé à
examiner le traité actuel en le comparant aux 18 articles, et j’y trouve, tant
pour les limites, les avantages commerciaux et la dette, des différences
énormes qu’il est inutile de vous détailler, car vous devez tous le sentir
mieux que moi. Mais je me suis demandé : Quelle est la raison de ces
changements dans les conditions qu’on nous impose maintenant ? Est-ce la
campagne du mois d’août ? Non, parce que la France l’a non seulement blâmée,
mais nous a secouru, et que l’Angleterre, je dis le ministère actuel, l’a
blâmée également, et a fait une démonstration en envoyant sa flotte dans les
dunes : mais elle s’est bien gardée de la diriger contre la Hollande ; ce
qu’elle n’aurait pas osé faire, car cela aurait été très mal vu par
l’aristocratie anglaise, qui n’est pas tombée si bas pour croire qu’elle n’a
plus d’influence, et parce que l’Angleterre aurait rompu un chaînon de son
amitié avec les trois autres puissances. Ce n’est donc qu’une démonstration, et
je vous prédis que si la Hollande n’accepte pas, il n’y aura encore que
démonstration et pas acte d’hostilité contre la Hollande. Le changement donc et
la crainte de guerre du ministère français ; ce que je trouve très louable
quand c’est compatible avec l’honneur ; mais cette crainte donne tous les jours
plus de force aux autres puissances, et je vois clairement que, quoi qu’elles
puissent ne se battent pas en réalité, les puissances du Nord font la guerre
amicalement, et suivent toujours la même ligne ; et il se pourrait très bien
qu’elles remplissent leur but, qui est de voir ici la restauration ainsi qu’en
France, sans voir répandre beaucoup de sang.
M. Lebeau veut
nous effrayer en disant que les ennemis des 24 articles sont des personnes qui
veulent la restauration ; mais je retourne ces paroles et je dis : « Ceux
qui veulent les 24 articles travaillent, sans s’en douter, à la
restauration. »
Si nous étions
encore au mois de juin, avec les opinions que j’ai toujours manifestées au congrès,
j’accepterais ces 24 articles, car nous serions au but que j’ai toujours
désiré, sans répandre de sang et mettre fin aux malheurs ; mais aujourd’hui
nous avons un souverain que nous sommes tous charmés de voir parmi nous, et qui
est venu en vertu des 18 articles ; et j’en appelle à MM. Lebeau et Devaux, si
les ambassadeurs de toutes les puissances à la conférence de Londres n’avaient
pas promis la reconnaissance de notre souverain et de notre royaume si nous
acceptions les préliminaires de paix ?
Cependant cela n’a
pas eu lieu, et vous savez, messieurs, que quand un souverain ne veut pas
ratifier les actes et paroles de ses ambassadeurs, on trouve mille prétextes.
Vous croyez
maintenant qu’après avoir acceptées 24 articles vous serez reconnus ; je vous
dirai encore que je suis presque persuadé du contraire ; car dans ces articles,
il n’y a pas un mot de la renonciation du roi Guillaume à la Belgique, qu’il a
obtenue en vertu du traité de Vienne ; c’est simplement un acte de séparation
des deux parties du royaume, car, si je voyais par la suite la reconnaissance,
j’y verrais au moins figurer le nom du roi des Belges comme celui du roi des
Pays-Bas. Il n’est parlé aux articles 1, 2 et autres que du territoire belge et
non du royaume de la Belgique, et on dit toujours : « S. M. le roi des
Pays-Bas, » sans jamais parlé de notre souverain.
La France n’a pas
fait attention à ce point si essentiel pour notre future indépendance, ou n’a
pas su vaincre le but politique évident des autres puissances. Mais ce que je
crois, c’est que le ministère Périer veut la paix à tout prix, sans voir où
cela mènera la France, et que c’est le premier pas vers la restauration et le
renversement du trône de Louis-Philippe, et que les puissances ne font que
travailler à éteindre l’esprit révolutionnaire ; ils ont réussi en Pologne et
en Italie, et avant peu il n’en restera plus de germes ici ni en France.
Ce sont des
prédictions qu’on voudra me contester ; mais les événements prouveront qui aura
raison.
Si les 24 articles
nous étaient proposés, si je regardais les 24 articles comme un acheminent vers
notre indépendance, je passerais en revue les 24 articles, et vous prouverais
qu’ils nous sont très défavorables ; mais comme je suis persuadé qu’on nous les
imposera tels qu’ils sont, je m’y soumettrai ; mais je suis obligé, d’après ce
que je viens de dire, d’expliquer mon vote.
Je ne crois pas
que les puissances contraindront la Hollande ; mais si nous refusons, nous
serons menacés par l’Angleterre qui agira contre nous, et la Hollande nous
attaquera (après avoir accepté comme séparation), et la France, par l’amour de
la paix à tout prix de son ministère actuel, nous abandonnera et ne verra pas
que par-là elle seconde les puissances. Nous serons, je le crains, soumis ; car
les officiers français et ses généraux nous quitteront, comme l’a dit M. le
ministre des affaires étrangères, et la bravoure de nos troupes ne pourra se
montrer, n’étant plus commandée par des officiers expérimentés. M. le ministre
de la guerre a pu rassembler sous les drapeaux une armée bien habillée, faire
atteler une nombreuse artillerie et avoir une belle cavalerie ; mais tout cela
ne sert à rien quand ce n’est pas commandé par des militaires expérimentés.
Je me soumettrai
donc aux 24 articles, parce que je vois des malheurs inouïs fondre sur notre
malheureux pays, et surtout sur cette malheureuse Anvers, sur laquelle sont
braqués les canons de la citadelle et ceux de notre camp retranché. Car, allez
à Anvers, messieurs, et voyez si vous pouvez exposer 60,000 habitants à être la
victime du feu hollandais et belge.
Pour ma part je ne
puis y consentir, et je me dirai : « Je me soumets, » et j’espère que
nous ferons tous de même, parce qu’il n’y a pas d’autre porte de salut pour le
moment. Soyez bien persuadés que les événements que je prévois ne me guident
pas, et tomberont entièrement sur ceux qui ont mené notre barque depuis un an.
Mais, je le répète, elle ne viendra jamais à bon port, et je déplore d’avance
les jours amers que la conférence prépare à celui qui a si noblement et de
confiance voulu partager notre destinée. Mais on s’en est servi pour nous
clamer momentanément, car jamais les trois ou quatre puissance n’ont abandonné
les plans qu’ils se sont tracés depuis un an.
Je désire être
mauvais prophète, mais je vous ai dit toute ma pensée. Je ferai encore observer
au ministère qu’il n’y a rien de stipulé au partage de la marine et du matériel
de la guerre ; ainsi il me paraît que nous y renonçons.
Messieurs, lisez
l’articles 65 du congrès de Vienne :
« Art. 65 Les
anciennes provinces-unies des Pays-Bas, et les ci-devant provinces belges, les
unes et les autres dans les limites fixées par l’article suivant, formeront,
conjointement avec les pays et territoires désignés dans le même article, sous
la souveraineté de S. A. le prince d’Orange-Nassau, principe souverain des
provinces-unies, le royaume des Pays-Bas, héréditaire dans l’ordre de
succession déjà établi par l’acte de constitution desdites provinces-unies. Le
titre et les prérogatives de la dignité royale sont reconnus par toutes les
puissances dans la maison d’Orange-Nassau. »
Et pour annuler
cet article, le roi des Pays-Bas doit, dans le traité qui vous est soumis,
renoncer à la Belgique et reconnaître le nouveau souverain et royaume de la
Belgique : j’espère que le gouvernement fera attention à cette clause si
essentielle à notre future indépendance ; car, jusqu’à présent, notre
indépendance n’est reconnue que par l’Angleterre et la France.