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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 13 octobre 1831

(Moniteur belge n°122, du 15 octobre 1831)

(Présidence de M. de Gerlache.)

La séance est ouverte à une heure.

Lecture du procès-verbal

M. Dellafaille lit le procès-verbal, qui est adopté.

Pièces adressées à la chambre

M. Lebègue analyse quelques pétitions, parmi lesquelles nous en remarquons une relative aux porteurs de bons de los-renten, qui demandent l’intervention de la chambre pour obtenir leur paiement.

M. Mary demande que la commission fasse son rapport sur cette pétition avant la discussion du budget.

Vérification des pouvoirs

Arrondissement de Nivelles

M. de Theux, rapporteur de la commission chargée de la vérification des pouvoirs pour le district de Nivelles, expose à la chambre que M. Milcamps a été nommé député par ce district. Cette élection présente une seule difficulté : elle est relative à 18 électeurs qui auraient voté, quoique n’étant pas portés sur la liste des électeurs close avant le 16 août, et cela en vertu de certificats qui leur auraient été délivrés par les états députés. M. le rapporteur dit que, partant de sa décision d’hier par rapport à d’autres élections, la chambre doit admettre celle-ci comme valable, parce que, même en rayant 18 électeurs, la majorité resterait encore acquise au député nommé. Toutefois, la commission a pensé que les états députés ont, par leur décision, faussé l’interprétation de l’article 23 de la loi électorale, et se sont mis en opposition formelle avec les articles 8 et 12 de la même loi ; et elle a chargé le rapporteur de donner lecture de cette décision à la chambre, pour que ce ne soit pas un fâcheux précédent pour l’avenir.

M. Legrelle combat la conclusion de la commission.

Après la réponse de M. de Theux, et sur une observation de M. Seron la chambre admet M. Milcamps, qui est introduit dans l’enceinte et prête serment.


Arrondissement de Tongres

M. Jullien, autre rapporteur de la commission chargée de vérifier les pouvoirs, propose l’admission de M. Joseph Jaminé, nommé par le district de Tongres. L’admission est prononcée.


Arrondissement d'Anvers

M. de Terbecq fait un troisième rapport sur l’élection de M. H. Ullens, qui est également admis et prête serment.

Projet de loi relatif à la sûreté de l'Etat

Discussion générale

L’ordre du jour est la suite de la discussion sur le projet de loi relatif à la sûreté de l’Etat.

M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - Messieurs, le projet de loi soumis en ce moment à votre délibération a été, dans la séance d’hier, l’objet d’amères critiques. Mais, qu’il me soit permis de le dire, la plupart des orateurs qui l’ont combattu ne me semblent pas s’être placés sur le véritable terrain pour pouvoir bien apprécier la mesure proposée. Presque tous ont cherché à démontrer que ce projet, dans quelques-unes de ses dispositions, peut se prêter à l’arbitraire et devenir en quelque sorte dangereux pour la liberté individuelle. Quoiqu’il me semble que l’on ait exagéré les dangers que peut présenter ce projet, je conviens, et je l’avoue franchement, qu’il y a des articles qui sont conçus en termes un peu vagues, susceptibles, dans leur exécution, d’une certaine élasticité d’interprétation. Mais il est à remarquer que ce défaut est inhérent à toute loi de circonstance, et c’est précisément pour cela une loi de circonstance. Dépouillez une loi d’exception de tout ce qui peut prêter plus ou moins à l’arbitraire, et vous n’aurez plus qu’une loi ordinaire. Quand on vous propose une loi que l’on déclare franchement n’être que temporaire et exceptionnelle, il est évident qu’elle doit être conçue en termes différents de ceux d’une loi qui doit avoir une durée plus longue.

Dans des temps ordinaires, je n’admettrais aucune loi d’exception ; dans des temps ordinaires, je déclare que je repousserais celle d’aujourd’hui avec une profonde indignation. Mais toutes les lois d’exception se justifient par les circonstances extraordinaires qui les provoquent. Dès lors vous voyez que, lorsqu’il s’agit d’une loi purement exceptionnelle et de circonstance, ce n’est pas le mérite intrinsèque de la loi en elle-même, mais la gravité des circonstances que vous avez à apprécier, parce que cette loi doit cesser avec les circonstances. Ce n’est donc pas en légistes, en jurisconsultes, mais en hommes d’Etat que vous devez examiner celle qui vous est proposée. Nous-mêmes, nous sommes loin de présenter cette loi comme bonne en elle-même. Je suis convenu tout à l’heure que certains articles étaient conçus en termes vagues ; j’avouerai maintenant que je connais assez les poursuites judiciaires pour savoir que, dans son exécution, la loi actuelle peut prêter à l’arbitraire ; mais je crois, nonobstant tous ses défauts, qu’elle est indispensable.

« Ce n’est que pour sortir des voies légales, a-t-on dit, que le gouvernement l’a présentée. » Ceux qui adressent ce reproche à l’auteur du projet de loi ne savent probablement pas tout ce que l’âme de mon noble ami enferme de sentiments généreux. Celui que M. de Robaulx appelait, à juste titre, l’homme de la légalité, ne consentira jamais à jouer le rôle d’inquisiteur. (Sensation.) L’honnête homme pourra donc dormir tranquille ; car la loi, au lieu d’être vexatoire à son égard, ne servira qu’à protéger sa sécurité et celle de l’Etat.

Ne vous y trompez pas, messieurs, la révolution de septembre a aussi son Coblentz. (Profond silence.) Au moment où je parle, une intrigue infernale, qui ne doit pas vous effrayer parce que vous savez que le gouvernement veille, mais qui a des ramifications connues de la plupart d’entre vous ; une intrigue infernale, dis-je, est tramée dans plusieurs de nos villes. En de pareilles circonstances, il faut que la loi effraie par la crainte d’un châtiment redoutable et exemplaire ceux qui, soudoyés par l’or de la Hollande, rêvent encore le retour d’une dynastie que le peuple belge a proscrite à jamais. (Approbation.) Ils désespèrent d’arriver par la force au but qu’ils se proposent ; mais ils veulent en ce moment susciter dans quelques localités des désordres partielles, s’emparer de ces désordres, et présenter ensuite à toute l’Europe, comme le vœu général, ce qui n’aurait été que le résultat d’une misérable intrigue. Leurs efforts seront impuissants, je le sais ; mais il n’en sont pas moins criminels. Ils pensent troubler momentanément l’ordre, et le gouvernement doit demander les moyens de déjouer ces coupables projets.

On a paru craindre que cette mesure ne nous nuisît à l’extérieur, dans la diplomatie étrangère. Mais je regarde cette crainte comme chimérique. Toutes les nations, messieurs, ont eu, à des époques différentes, leurs lois d’exception. L’Angleterre elle-même a-t-elle jamais hésité à suspendre l’habeas corpus ? L’alien bill n’est-il pas plus arbitraire que la mesure que nous proposons ? Et le gouvernement hollandais n’a-t-il donc pas pris toutes les mesures contre les étrangers ? On leur trace la route qu’ils doivent suivre, et quand ils veulent se fixer dans le pays, on leur désigne la vile dans laquelle ils doivent rester ; et ils ne peuvent sortir de cette limite.

« Mais, a-t-on dit, pourquoi le gouvernement du Roi demande-t-il aujourd’hui des mesures qu’on n’a pas jugées nécessaires sous le gouvernement provisoire et sous l’administration du régent ? Les dangers d’aujourd’hui sont-ils plus grands qu’à cette époque ? » Non, messieurs, le danger n’est pas plus grand qu’il l’était alors. Le patriotisme des masses n’est pas moins ardent qu’à l’époque dont on parle ; la nation est animée d’un vif amour pour son roi, et Léopold ne reçoit d’elle que des marques de reconnaissance et d’attachement. Mais il est à remarquer que, sous les administrations précédentes, l’action populaire se substituait elle-même à la place du pouvoir, et c’est dans cette fâcheuse collision que le peuple a donné à ses ennemis ces terribles leçons dont le souvenir effraie encore. Ces actes, de quelque manière qu’on les qualifie, ne doivent pas se répéter sous une administration régulière. Le gouvernement n’est pas disposé à les tolérer. Mais les mêmes causes pourraient encore amener les mêmes résultats. Si nous vous demandons une loi de police, c’est que nous désirons prévenir les désordres auxquels le peuple s’est livré, dans sa colère, sous le gouvernement provisoire et sous le régent.

On a semblé craindre encore que l’autorité n’abusât de la loi qu’elle vous demande. Je pense, messieurs, que cette crainte n’est pas sérieuse. Vous ne devez rien craindre de semblable d’hommes qui se glorifient d’être vos amis, d’hommes qui n’ont d’autre désir que de mériter votre confiance, d’hommes enfin (et je puis parler ici au nom de tous) qui n’ont accepté le pouvoir que par patriotisme, et qui seront heureux de le déposer en d’autres mains et de revenir prendre place parmi nous, aussitôt que les circonstances le permettront. (Mouvement d’approbation.) Aussi longtemps que vous aurez à faire à ces hommes, vous n’aurez pas à redouter qu’ils abusent du pouvoir. D’ailleurs, je crois qu’il serait impossible au ministère d’abuser du pouvoir en présence de la presse et des chambres. Il ne pourra s’en servir que pour réprimer à l’intérieur les complots qui tendraient à compromettre la sûreté de l’Etat. Dans tous les cas, si vous voulez avoir une garantie de plus, vous pouvez vous la donner sans enlever au gouvernement aucun moyen d’action. Le dernier article du projet dit que la loi doit cesser d’avoir force obligatoire à la paix. Rien n’empêche d’y ajouter que, si la paix n’était pas définitivement conclue à une époque quelconque, par exemple avant la clôture des chambres, la loi devra cesser avec la session, et ainsi le pouvoir sera chargé de son exécution sous la surveillance des chambres mêmes.

Je crois en avoir dit assez sur un projet de loi que le gouvernement n’a présenté qu’avec une excessive répugnance, et je dois le déclarer à la chambre, à la nation, sur la demande même de plusieurs d’entre vous, parce que plusieurs d’entre vous ont occupé officiellement le gouvernement, de ne pas provoquer de la chambre des mesures énergiques pour comprimer les ennemis du nouvel état de choses. C’est donc pour céder à vos instances, en quelque sorte, que la loi vous a été proposée. Si vous la sanctionnez, je crains bien que vous n’ayez à faire au ministère d’autre reproche que d’avoir reculé quelquefois devant le pouvoir que vous lui aurez confié. Si vous la rejetez, le ministère s’applaudira encore d’avoir rempli son devoir, en présentant une loi qui paraît être désirée par tous les patriotes, par les véritables amis de l’ordre et des libertés publiques.

M. le ministre de la justice (M. Raikem). - Messieurs, le collègue qui m’a précédé vous a exposé les motifs qui nous ont déterminés à vous présenter le projet soumis à votre discussion. Je réclame encore de vous quelques moments d’attention, pour vous rassurer sur la constitutionnalité du projet, et pour vous présenter quelques réflexions sur la nature des objections mises en avant par ses adversaires.

De nombreuses attaques se sont élevées contre le projet ; je les examinerai sous deux rapports : sous celui de l’inconstitutionnalité reprochée au projet, et sous le rapport des reproches contre le projet considéré en lui-même.

Je commence par le reproche d’inconstitutionnalité. On doit en convenir, messieurs, la disposition relative à ceux qui entretiendraient des intelligences avec l’ennemi et les peines comminées contre ce délit ne sont pas sans doute des peines exagérées, et n’ont rien d’inconstitutionnel. Il est inutile d’insister sur une vérité aussi palpable. La clarté ne se démontre pas.

Les dispositions relatives aux étrangers ne sont pas non plus inconstitutionnelles, puisque la loi a le droit de leur imposer les conditions auxquelles ils seront admis dans le pays, et l’article 128 de la constitution admet les exceptions établies par la loi. Il n’y a donc là rien d’inconstitutionnel, à moins que vous n’admettiez un nouveau cas d’inconstitutionnalité, qui serait pris hors de la constitution, et qu’on pourrait appel « ultra constitutionnel. »

Le pouvoir à accorder à l’administrateur de police n’est pas plus inconstitutionnel que tout le reste. Quant aux divers mandats qu’on peut décerner contre un inculpé (j’ai déjà employé ce mot, et je l’emploie encore, parce que c’est le mot propre, le mot employé par la loi, et dont se sert l’article 91 du code d’instruction criminelle) ; quand, dis-je, aux divers mandats qu’on peut décerner contre un inculpé, on en distingue les espèces.

Celui contre lequel on a décerné un mandat d’amener ne peut être mis en état d’arrestation ; nous avions pensé qu’il n’y avait là rien d’inconstitutionnel, et votre section centrale a pensé de même.

Quant au mandat de dépôt, nous l’avions proposé d’abord pour les vagabonds ; ce n’était certes pas sorti des bornes, car le vagabondage est un délit, et celui qui se trouve en état de vagabondage est en flagrant délit.

Ceci s’applique aux gens sans aveu, aux mendiants ; et quant à ceux qui sont repris de justice, qui ont été condamnés à des peines afflictives ou infamantes, on conviendra qu’ils méritent peu de faveur.

En cas d’intelligence avec l’ennemi, la prudence commande des précautions, et nous n’avions pas cru trop faire en donnant à l’administrateur de la police le droit de décerner des mandats de dépôt, que nous aurions extrêmement restreints ; le mandat d’arrêt seul doit être motivé. Il était donc permis de croire que l’article 7 de la constitution ne s’appliquait en thèse générale qu’au mandat d’arrêt, que par conséquent il n’y avait pas d’inconstitutionnalité dans les diverses dispositions de la loi ; cependant votre section centrale a pensé le contraire, et nous nous sommes ralliés à son projet, quoique, en examinant la nature et l’origine du mandat de dépôt, il eût été certainement possible de soutenir la question.

Les autres articles, soit du projet primitif, soit de celui de la section centrale, ne renferment aucune inconstitutionnalité ; car l’article 10 de la constitution ne défend pas les visites domiciliaires, dans les cas prévus par la loi et dans la forme qu’elle prescrit. Or, pour prouver l’inconstitutionnalité sous ce rapport, il faudrait trouver dans la constitution une disposition qui défendît au législateur de porter une décision semblable.

Je passe aux dispositions du projet, considérées en elles-mêmes ; d’abord je ne crois pas devoir m’attacher aux mots, le vocabulaire des mots est fort étendu ; il est aussi bien facile d’en abuser, et c’est, ce me semble, ce qu’on a fait en se servant des mots de « terreur, » de « tribunal révolutionnaire, » pour les appliquer à une loi qui diffère autant des lois auxquelles on a voulu faire allusion, que notre temps diffère de celui dont on a parlé.

Examinez, messieurs, la position où nous sommes. N’avons-nous pas à craindre des intelligences avec l’ennemi ? En temps de guerre, on a tout à craindre.

Tous les étrangers qui sont ou qui se rendront en Belgique, sont-ils affectionnés à la cause belge ? Personne n’oserait en répondre. Faut-il une police inerte ? Et ne s’est-on jamais plaint du défaut de police ? Se défier des gens sans aveu et repris de justice, est-ce se défier du pays ? C’est au contraire, calomnier le pays que de le prétendre, car ils ne forment qu’une portion très minime ; et il n’est, du reste, pas de pays où il ne s’en trouve.

Voilà donc ces craintes si terribles ! Mais qu’on les passe au creuset de l’analyse ; qu’en reste-t-il ? Rien.

Mais, nous a-t-on dit, que l’on exécute les lois sur les passeports (il manque quelques mots) que cela n’a pas échappé à nos soins. Mais peuvent-elles prévenir ce qu’on a à redouter ? Je suis loin d’attaquer les masses, je me suis toujours empressé de reconnaître leur attachement au pays ; mais remarquez que le projet ne peut s’appliquer dans son exécution qu’à certains particuliers. Or, peut-on dire que dans les habitants, soit régnicoles, soit étrangers, il ne s’en trouve aucun hostile au pays ? Y a-t-il même une contrée où il en soit ainsi ?

On exécutera, avec la dernière exigence, les lois sur les passeports. On arrêtera tous ceux qui sortent de leur canton sans en être porteurs. Mais les personnes mal intentionnées ont coutume de prendre des précautions.

Il en est de même des étrangers. Et, sans doute, se défier des étrangers (car il ne s’agit que d’une autorisation à accorder au gouvernement), ce n’est nullement se défier du peuple belge.

Il faut aussi prendre garde de tout emprisonner, excepté les coupables sans passeports, arrêtés par la gendarmerie.

Remarquez, messieurs, le passage du rapport de la section centrale : « Un point a été admis en principe par toutes les sections, à l’exception d’une seule : c’est celui de la nécessité et même de l’urgence des mesures proposées.

« Les observations des sections ne portent que sur quelques dispositions du projet du gouvernement ; ces observations, continue M. le rapporteur, ont motivé les modifications dont je vais avoir l’honneur de vous rendre compte. »

Vous le voyez, messieurs, ce n’est pas le gouvernement seul qui a senti la nécessité des mesures. Le projet est le résultat de vos propres délibérations. (Mouvement.)

J’en viens maintenant aux trois objets principaux du projet : 1° intelligence avec l’ennemi ; 2° administrateur de la sûreté publique ; 3° les étrangers.

Quant aux intelligences avec l’ennemi, on nous a dit que nous étions plus exigeants que le code pénal lui-même. « Quoi ! s’écrie-t-on, vous serez plus sévères que Napoléon lui-même ! » Messieurs, souvenez-vous que, dans le temps de sa plus grande puissance, Napoléon a trouvé ces dispositions insuffisantes, et qu’il n’a pas hésité à prendre des moyens hors de la loi pour assurer son pouvoir !

« Mais, a-t-on objecté, une correspondance très innocente pourra devenir l’objet d’une poursuite et même d’une condamnation ? » Cela est vrai, messieurs ; mais c’est ce qui arrive en toute matière. Eh ! n’avons-nous pas vu des hommes innocents attachés au poteau de l’infamie, flétris par la main du bourreau, condamnés même à des peines capitales ? C’est que les juges sont hommes et sujets à commettre une erreur ! Ne faut-il plus de juges pour cela ? Vous le voyez, messieurs, rien ne peut mettre l’innocent à l’abri de l’erreur d’un juge. Pourquoi l’exigerait-on de notre loi ?

Insister sur ce point, ce serait se défier des tribunaux. Reposez-vous, au contraire, sur eux ; ils sauront reconnaître l’innocence et la discerner de l’intention coupable ; car on sait que, dans les délits, il y a toujours à juger la question d’intention. Remarquez, d’ailleurs, que les peines trop fortes assurent quelquefois l’impunité des coupables ; celles imposées par la loi discutée sont loin d’être fortes pour un objet aussi grave.

Je crois donc, messieurs, que le premier article, relatif aux intelligences avec l’ennemi, ne peut être l’effet d’une discussion sérieuse. On peut faire des hypothèses plus ou moins vraisemblables à ce sujet ; en définitive, c’est le résultat qu’il faut voir, et, j’ose le dire, il ne présente ici rien de dangereux.

Le deuxième objet de la discussion est relatif à l’administration de la sûreté publique. Nous vous proposons de lui attribuer les fonctions d’officier de police judiciaire. On vous a dit que l’administrateur pourrait abuser de ses fonctions. On l’a mis en parallèle avec les tribunaux. Un orateur a dit : « Vous calomniez la magistrature belge ; » un autre : « Laissez faire les tribunaux, les membres du parquet, les juges d’instruction ; » un autre : « Epurez cette magistrature qui condamne les vrais patriotes et qui acquitte les ennemis de la révolution ; » un autre orateur a dit enfin : « Ne confiez les emplois qu’à des mains habiles, désintéressées, amies de la patrie. » Voilà, messieurs, les divers arguments que l’on a mis en avant, et qui ne me paraissent pas s’accorder très bien entre eux.

Messieurs, prendre une précaution de plus, ce n’est pas, je crois, exprimer de la défiance contre les tribunaux. Quel mal y a-t-il qu’un officier de police soit chargé de la découverte des délits et des crimes ? Les tribunaux n’en restent pas moins juges, et juges indépendants. On nous a parlé des cours supérieures. Mais, messieurs, aucun des magistrats de ces cours n’est officier de police judiciaire, à moins qu’il ne s’agisse de crimes ou délits commis par des fonctionnaires publics.

« Il peut en abuser, ou plutôt les ministres, sous l’autorité desquels il est placé, peuvent abuser de son ministère. »

On a fait des hypothèses ; et il est très facile de supposer.

« On voudra vexer les citoyens. » Mais dans quel intérêt le ferait-on ?

Dans les circonstances, ce n’est pas là que se porte la pensée des ministres ; ils ont bien d’autres soins.

Et abuser en d’autres cas, l’administrateur s’expose à une destitution.

Les soins se portent maintenant sur tout autre chose.

Eh bien ! je suppose l’or corrupteur employé par un ennemi acharné à nous nuire.

Je suppose que, par là, l’on parvienne à avoir des intelligences très rapprochées du gouvernement.

Un ministre en aura des soupçons.

Il jettera des regards inquiets sur des personnes qui l’approchent. Ici, il faut plutôt prévenir.

Suivra-t-on toute la hiérarchie ? Avis au procureur-général, qui passera dans les bureaux du parquet. Avis ultérieur au procureur du Roi. Tout cela ne peut se faire, ou se fera très difficilement dans le plus grand secret. Dans l’intervalle, les preuves auront disparu. On peut le faire aisément. Et dans quelle position placez-vous, en ce cas, ceux auxquels le gouvernement est confié ?

Le doute, l’incertitude, sans moyens d’en sortir.

Mais, s’ils ont un moyen plus actif, et par lequel on peut surprendre les coupables qui trameraient en secret, leur position est différente.

Et on le leur refuserait par des craintes imaginaires qui ne sont fondées que sur des possibilités éloignées !

Craignez plutôt qu’un refus ne soit une source d’abus.

Nous ne pouvons pas nous dissimuler que nous avons des ennemis, et que leur or peut être un puissant mobile en leur faveur.

Quoique le nombre de leurs partisans soit très petit, on ne peut se dissimuler qu’il en existe.

Un refus de force au gouvernement serait, pour eux, une nouvelle force.

Cette réflexion ne doit pas échapper.

Je passe au troisième point : les étrangers.

Ce n’est pas une proscription en masse, c’est une simple faculté.

Le gouvernement doit-il inspirer plus de défiance que les étrangers ? Messieurs, soyez-en certains, les étrangers vraiment attachés à la cause belge seront toujours protégés par le gouvernement.

Nous l’avons dit, le nombre des étrangers dont on pouvait se défier est petit.

Mais les discerner est une question de fait, et non une question de législation.

Il faut ici une décision du gouvernement, et non d’agents subalternes.

Doit-il exister tant de défiance lorsqu’il s’agit d’une loi dont l’existence est si bornée.

Mais encore, la possibilité des abus ; et l’on fait des suppositions.

Je réclame encore une fois le droit d’en faire.

Je suppose que le ministère ait des renseignements sur un complot ayant pour objet d’enlever un personnage auguste.

Je suppose des étrangers moteurs de ce complot. Les preuves, quand les aurez-vous ? Quand il s’agira de répression : le crime sera consommé, il sera trop tard.

Et, en cas d’événement, quel reproche ne ferait-on pas de ne pas avoir provoqué une loi, de ne pas avoir eu le courage de la présenter !

Messieurs, on a fait des suppositions, j’en ai fait de mon côté. Si les vôtres peuvent se réaliser, les miennes le peuvent aussi, et alors la loi est indispensable.

M. F. de Mérode. - Messieurs, si je prends la parole aujourd’hui, c’est non moins pour appuyer en principe le projet de loi qui vous est présenté, que pour exprimer ma surprise de la nature et de la forme des attaques dirigées hier contre le projet. A la véhémence avec laquelle les opposants ont exprimé leur désapprobation, je me suis demandé si nous avions cessé de vivre sous l’administration la plus libérale qui existe en Europe, ou si nous nous étions de nouveau soumis au régime hollandais, voire même au moment d’être livrés aux caprices d’un don Miguel ou d’un duc de Modène. J’admets que certains articles de la loi proposée par M. le ministre de la justice puissent paraître trop sévères. Cependant, messieurs, n’oublions pas qu’en temps de guerre surtout, lorsque le sol de la patrie est menacé d’envahissement, ce n’est point avec les demi-mesures faibles et incomplètes qu’on obtient une résistance efficace. Rien de plus rude que la mitraille et les boulets. Vous forcez, par les lois de milice et la mobilisation des gardes civiques, des milliers de Belges à exposer leur vie pour la défense du territoire. Croyez-vous que leur sang doive être inutilement sacrifié par une défiance excessive envers l’autorité chargée de veiller au salut de l’Etat ?

Je regrette, je l’avoue hardiment, l’article de la constitution qui porte que dans aucun cas elle ne pourra être partiellement suspendue. Rien de mieux en temps de paix, assurément ; mais lorsque l’ennemi, et l’ennemi le plus dangereux pour l’existence même de la liberté belge, menacerait jusqu’aux portes de cette enceinte, pourrait-on rigoureusement observer toutes les formes constitutionnelles sans exception ? Déjà l’article qui défend l’introduction d’auxiliaires étrangers sans une loi préalable a cédé aux circonstances critiques récentes, et personne, je pense, ne songe à s’en plaindre. Car, messieurs, le puritanisme légal vous eût probablement dispensé de la discussion de la loi qui nous occupe. Vous seriez chacun chez vous, et peut-être hors de chez vous. Une charte doit être une vérité, et pour demeurer telle, il faut que la pratique ne contredise pas les théories. Or, il est impossible, surtout dans un pays aussi restreint dans ses limites que le nôtre, aussi exposé à la conquête, que jamais aucune disposition de la loi fondamentale ne soit modifiée lorsque l’invasion est flagrante, lors même que le territoire sert de théâtre aux combats. Remarquez, messieurs, que je n’exprime ici qu’une opinion sans rapport direct avec la loi en discussion, puisque la section centrale n’a point jugé qu’elle fût contraire à la constitution, et que, dans le cas où vous jugeriez qu’elle offre des dispositions inconstitutionnelles, vous pourriez y apporter des modifications. En temps ordinaire, les étrangers, même les Hollandais, doivent trouver chez nous la plus large hospitalité ; mais faut-il permettre à tous indistinctement le droit de séjourner dans nos provinces, de les parcourir à leur gré, sans égard aux époques critiques et aux circonstances qui réclament la surveillance active et puissance du gouvernement ? Les Anglais, environnés de l’Océan et moins exposés qu’aucun nation à subir le joug étranger, ont l’alien bill et la suspension de l’habeas corpus. Les Romains avaient créé la dictature ; et, bien qu’on ait signalé hier cette institution comme appartenant exclusivement aux aristocrates du peuple-roi, je n’ai point vu que, dans les bons temps de la république, les Cincinnatus, les Fabius aient eu d’autre mission que celle d’expulser l’ennemi ; et je doute que les Volsques, les Gaulois ou l’armée d’Hannibal fussent plus amis des plébéiens de Rome que des patriciens.

Il est facile, messieurs, de proclamer les maximes libérales les plus généreuses dans une assemblée comme la vôtre. L’inquisition, le saint office, le comité du salut public, n’y sont pas en faveur. J’aime très particulièrement la résistance à l’oppression ; mais j’ose croire que le despotisme n’est pas à craindre de la part de notre gouvernement ; nos ministres, certes, ne sont pas des tyrans, et jusqu’à nouvel ordre, je pense que le patriotisme exige que nous leur prêtions force et appui.

J’en reviens au projet soumis à votre examen, et je dis que si les raisons qui militent en sa faveur sont, comme l’a assuré hier un des opposants, de même nature que les prétextes en vertu desquels vous avez aussi décidé qu’on procéderait au désarmement du pays, en prenant les armes de guerre chez ceux qui les tiennent cachées pour la défense, occulte sans doute, de notre territoire ; je dis, messieurs, que vous pourriez voter de confiance tous les articles de la loi concernant la sûreté publique. Je n’irai pas jusque-là ; mais, en qualité d’ancien membre du gouvernement provisoire, je déclarerai par expérience que les lois faites pour les temps ordinaires ne suffisent pas toujours dans les circonstances particulières où nous sommes. Plus d’une fois les perturbations de la sécurité publique, les hommes qui conspiraient évidemment et se mettaient en rapport intime et continuel avec nos ennemis, ces hommes, arrêtés par nos ordres, étaient mis en liberté par les juges d’instruction, conformément à l’ordre légal existant. Je manifesterai franchement mon opinion que, sans le voisinage de la France, qui s’opposait à une restauration en Belgique, nous eussions été, avant la dernière campagne, et malgré le vœu de la nation belge, remis probablement sous la domination des Nassau, par le succès des conspirations que le gouvernement n’avait pas les moyens de combattre ; tandis que le roi Guillaume, ponctuellement servi et obéi en Hollande, pouvait tenter sur notre sol tous les essais de contre-révolution. On vous propose une enquête sur les causes de nos revers. Messieurs, je vous en définirai les plus essentielles en peu de mots. Force, unité d’action dans l’exercice du pouvoir en Hollande ; faiblesse et division en Belgique jusqu’à l’évènement du roi Léopold. Armée, disciplinée en Hollande, étrangers admis en masse dans ses rangs ; amour-propre national trop exclusif chez nous, opposition à l’introduction d’officiers d’expérience et de vieux soldats dans nos régiments, et par suite défaut de subordination. Secret des négociations pour les affaires extérieures de la Hollande ; débats tumultueux des nôtres dans cette enceinte, au milieu des bravos et quelquefois des sifflets. Officiers de la schutterij nommés par le chef de l’Etat en Hollande ; élections des officiers du premier ban de la garde civique parmi nous. Argent prodigué en Hollande pour la création d’une force nombreuse ; épargné en Belgique par la crainte, très légitime sans doute, de fouler le pays. Impossibilité de conspirer en Hollande ; liberté presque absolue des machinations en Belgique : en sorte que tel ministre de la guerre, qui depuis a répandu son sang dans les combats, commençant à se mettre au courant de ses difficiles fonctions, a quitté son portefeuille, que personne alors ne pouvait conserver plus utilement. Ces causes, messieurs, tâchons qu’elle ne se renouvellent point. Si la loi qu’on nous propose est défectueuse, cherchons à la corriger ; mais laissons de côté les grands mots intempestifs d’arbitraire ministériel, de despotisme, d’inquisition, de saint office, et autres qui me paraissent hors de saison.

(Moniteur belge n°125, du 18 octobre 1831) M. Fleussu. - Malgré les nombreuses modifications que les observations de vos sections ont fait subir au projet qui vous est soumis, malgré les explications que vient de nous donner M. le ministre, je me sens peu disposé à lui donner mon assentiment. J’y trouve toujours une loi de tendance ; j’y remarque des dispositions qui non seulement prêtent à l’arbitraire, mais qui compromettent tout à la fois et la liberté individuelle, et l’inviolabilité du domicile, et les garanties que nos institutions avaient assurées aux étrangers qui se trouvent sur le sol de la Belgique.

C’est encore une loi d’exception que l’on vous demande ; comme à l’occasion de la discussion récente d’une loi de même nature, M. le ministre cherche dans l’imminence de la guerre des motifs pour justifier les mesures coercitives qu’il vous propose, et, pour apaiser vos scrupules, il a feint de vous rassurer sur leur exécution, en faisant peser d’avance sur les fonctionnaires qui en seront chargés la responsabilité de leurs actes.

Je ne manque point de confiance, dans cette garantie, et même je considère la responsabilité ministérielle comme l’âme du gouvernement constitutionnel représentatif ; mais il m’est difficile, pour ne pas dire impossible, de comprendre la mise en action de ce principe conservateur, au sujet de l’extension d’une loi qui n’est sollicitée que pour autoriser des mesures qui, sans elle, seraient attentatoires à nos libertés. La responsabilité peut atteindre le ministre ou le fonctionnaire qui agit au mépris de nos droits ; mais si une loi toute d’exception vient relâcher nos institutions, si le pouvoir est rendu à certains égard libre dans tous ses mouvements, si, en un mot, vous légalisez l’arbitraire, la responsabilité ne viendra-t-elle point se perdre dans le vague des dispositions exceptionnelles ? Comment pourrait-il transgresser la loi, celui devant qui vous en auriez reculé et même fait disparaître les limites ?

Du reste, je suis convaincu que le gouvernement n’userait qu’avec circonspection de la latitude qu’il trouverait dans la loi, et si je résiste à l’adoption du projet, ce n’est nullement par défiance envers le ministère, mais uniquement parce que ma conscience ne me permet pas de voter une loi que ma raison m’indique comme contraire tantôt à l’esprit et tantôt au texte précis de la constitution. En tous cas, je tiens à ce que nos garanties soient dans les choses plutôt que dans les hommes.

Je reconnais que, dans des circonstances critiques, le pouvoir a besoin de s’entourer de précautions, et qu’il se trouve quelquefois dans la nécessité de déployer de l’énergie ; mais la sécurité publique et le salut de l’Etat dépendent-ils donc de mesures anticonstitutionnelles, et notre loi fondamentale est-elle le premier ennemi que le gouvernement se sente le besoin de combattre ?

Pour être réellement fort, pour trouver de l’appui dans la nation, son premier devoir est d’inspirer de la confiance ; pour cela, je ne connais pas de moyen plus efficace que de marcher franchement dans la voie de nos institutions. Pense-t-on que par ce fait, en la remettant sitôt en contravention avec elle-même, on grossira le nombre des partisans de la révolution ? On oublie trop tôt, ce me semble, qu’elle s’est opérée au profit des intérêts moraux, et que c’est dans l’espoir de conquérir la liberté que nous avons compromis, momentanément j’espère, les intérêts matériels. Que si déjà, dès ses premiers pas dans la carrière, l’autorité se trouve trop resserrée dans les bornes de la constitution, ne craignez-vous pas qu’en élargissant le cercle qu’elle presse, qu’en dégageant le pouvoir des obstacles qu’il rencontre dans le maintien des garanties que nous avons stipulées, vous ôtiez à la révolution le seul beau vernis qui puisse la faire respecter ?

Il me paraît peu rationnel de vouloir consacrer, à l’aide de lois exceptionnelles à la constitution, une insurrection fondée sur l’inexécution de la loi fondamentale de la part du gouvernement précédent.

Solliciter en moins de huit jours trois lois d’exception, alors que nous commençons seulement à faire l’essai de nos institutions, me décèle dans le ministère peu de tact et une grande imprévoyance politique ; il en fallait bien moins pour exposer la révolution à être démentie au-dedans, et d’être calomniée au-dehors.

Il est en Belgique une certaine classe qui, sans être hostile aux changements qui sont adoptés, est restée indifférente au nouvel ordre de choses, parce qu’elle a été froissée dans ses intérêts ; elle n’aurait pas tardé à s’y rallier si elle avait acquis la certitude que notre constitution est une vérité, parce que l’industrie se révèle toujours sous les auspices de la liberté ; mais si, avec vos lois d’exception, vous lui donnez lieu de la considérer comme un nouveau mensonge, toute la différence que ces gens apercevront entre l’ancien et le nouveau régime, c’est que dans celui-ci on aura pris la précaution d’organiser et de légaliser l’arbitraire ; car toutes mesures exceptionnelles portent nécessairement le cachet de l’arbitraire. Au-dehors, messieurs, ne voyez-vous pas tout l’avantage que nos ennemis peuvent tirer des mesures qui vous sont proposées ? Ne seront-ils point autorisés à démentir les motifs et le but de notre révolution ?

S’il était vrai, diront-ils, que les Belges se fussent insurgés pour faire respecter leurs droits, les verrait-on, eux si jaloux de leur garanties, les abdiquer aussitôt que conquises, pour se soumettre légalement au régime du bon plaisir ? Ils pourraient ainsi, en invoquant nos propres actes, insinuer, répandre et accréditer de fausses idées sur le caractère de la révolution.

Les dispositions du projet, si elles étaient transformées en loi, produiraient encore à l’étranger un effet non moins fâcheux. On n’a point recours à des précautions aussi extraordinaires sans une nécessité bien démontrée, sans supposer des circonstances puissantes, l’existence d’un parti formidable qui aurait l’espoir d’un retour que le parti révolutionnaire veut comprimer par des mesures d’exception. Cette supposition est la seule explication raisonnable du système ombrageux qu’on nous propose. Cependant je cherche vainement où est ce parti si redoutable. J’ai bien rencontré, parfois, des hommes qui ont vu à regret l’explosion de la révolution, qui l’ont suivie avec inquiétude ; mais ils savent qu’une restauration ne serait pas seulement une satisfaction pour les princes de la maison de Nassau, mais encore une victoire des provinces du nord sur les provinces du midi ; qu’il y aurait d’un côté arrogance, de l’autre humiliation ; que la Belgique ne serait plus pour la Hollande un accroissement de territoire, acquis par des traités, mais un pays conquis, et que le peuple vainqueur imposerait ses conditions et ses lois au peuple vaincu.

Voilà les résultats d’une restauration ; ils sont incompatibles avec la fierté des Belges, même de ceux qui sont restés en dehors de tout mouvement insurrectionnel. S’il existait réellement un parti orangiste, pourquoi se serait-il constamment caché dans l’ombre, alors que tant et de si belles occasions de se montrer se sont présentées ? A Gand, quelques personnes ont suffi pour faire avorter les projets d’Ernest Grégoire. Lorsque naguère les troupes hollandaises ont pénétré jusqu’au cœur du royaume et frappaient pour ainsi dire aux portes de la capitale, a-t-on vu quelque part les populations se soulever ? Et sur quelle partie du territoire, je n’excepte pas même celui qui a été envahi, ont apparu les moindres démonstrations de contre-révolution ? Certes, il faut en convenir, l’occasion était belle, et, si on l’a laissée échapper, c’est qu’apparemment le parti qui aurait pu en profiter n’est nullement à craindre.

Prenons garde, messieurs, de ne point réveiller au-dehors des espérances inutiles, en faisant supposer au milieu de nous des dissentiments et des dispositions qui nécessitent l’emploi d’une mesure alarmante à cet égard. Le ministère me semble avoir commis une grave imprudence par la seule proposition de loi ; car c’est enhardir nos ennemis que de leur faire présumer des amis chez nous.

La révolution de septembre a aussi ses Coblentz ; mais, s’il ourdit une trame, elle n’est point à craindre ; le gouvernement a saisi les fils, il en connaît les ramifications. S’il en est ainsi, la loi est inutile, saisissez les coupables. L’exemple de la Hollande est mal choisi ; car ce n’est pas pour imiter le gouvernement du roi Guillaume que les Belges ont secoué son joug.

Après ce peu de considérations générales, permettez-moi de vous présenter quelques observations de détail ; elles tomberont principalement sur les dispositions qui concernent les étrangers, et sur les pouvoirs étendus que le projet tend à faire concéder à M. l’administrateur de la police.

Je conçois qu’à la veille d’une guerre, les étrangers puissent et doivent être l’objet d’une surveillance spéciale. Toutes les lois de police sont-elles donc devenues impuissantes, et, pour s’assurer des intentions des étrangers, faudra-t-il donc que la loi leur retire sa protection ? Suspect par cela seul qu’ils ne sont pas Belges, leur crime sera d’être nés au-delà des frontières, et ils seront, suivant le projet, exposés à une espèce de déportation momentanée, sans enquête ni condamnation. Il me semble qu’ils avaient droit de compter sur une hospitalité un peu moins resserrée ; à mon avis, c’est s’écarter de la constitution, c’est méconnaître l’esprit de la loi, que de lui donner l’interprétation ainsi conçue par le pouvoir.

Je partage, au surplus, l’étonnement de l’un de mes honorables collègues sur la marche du ministère. D’une part, vous appelez des étrangers au secours de la Belgique ; la légion étrangère se forme dans une ville voisine ; et, d’un autre côté, vous les éloignez, vous les détournez du pays, en les livrant sans protection aux caprices de l’autorité ! Pense-t-on qu’il se trouvera beaucoup qui se laisseront séduire par ce singulier appât ?

J’arrive enfin, messieurs, aux attributions de l’administrateur de la police, et c’est ici que les inconstitutionnalités sont patentes. On vous a déjà fait observer que, d’après le texte de l’article 7 de la constitution, hors le cas de flagrant délit, nul (et remarquez que la loi n’établit aucune distinction entre le régnicole et l’étranger), nul ne peut être arrêté qu’en vertu de l’ordonnance du juge, etc. Eh bien ! voilà que le projet substitue l’autorité de l’administrateur de police à celle du juge, puisqu’il peut délivrer des mandats de dépôt contre les étrangers. Il faut bien prendre garde que ces mandats d’amener et de dépôt peuvent être parfois lancés contre les inculpés d’un crime ou d’un délit qui n’aurait aucun caractère politique ; de sorte que toute la garantie que la constitution a voulu assurer à la liberté individuelle devient entièrement illusoire. Pour mieux vous faire sentir la portée de mon observation, permettez-moi un rapprochement. Le code d’instruction criminelle, vous le savez, porte l’empreinte de sa date ; ce n’est point assurément le régime de l’empire que l’on citera comme protecteur de la liberté individuelle ; cependant, aux termes de l’article 40 de ce code, le procureur du roi ne peut décerner un mandat qu’en cas de flagrant délit, et lorsque le fait est de nature à entraîner une peine afflictive ou infamante. Combinez maintenant cette disposition avec celle de l’article 7 de la constitution ; comparez-les avec l’article 6 du projet, et jugez s’il n’y aurait pas plus que de l’inconséquence d’autoriser un fonctionnaire de police judiciaire de nouvelle création à délivrer, en tous cas et pour de simples délits, des mandats d’amener, tandis que le procureur du roi n’y est autorisé que dans le cas de flagrant délit et pour un fait qui doit mener l’accusé devant une cour d’assises. Mais cette inconséquence, cette anomalie, vous ne l’érigerez point en loi ; l’article 7 de la constitution la frappe de réprobation.

Ce n’est pas tout, l’inviolabilité du domicile est un principe reconnu par la loi fondamentale ; c’est une garantie qui a toujours été réclamée par les peuples libres.

Toutefois, ce principe est nécessairement sujet à quelques exceptions ; mais les exceptions ne doivent jamais être telles qu’elles puissent porter atteinte au principe. Or, je vous le demande, si vous admettez que l’administrateur de la police puisse à volonté s’introduire chez les particuliers, que deviendra la garantie de l’inviolabilité du domicile ? Il suffira qu’il vous suspecte d’intelligence avec une puissance ennemie, qu’il vous accuse d’un crime ou d’un délit, pour avoir accès chez vous et prendre la connaissance de vos secrets les plus intimes.

Ces dispositions sont trop évidemment attentatoires au vœu de la constitution pour obtenir mon assentiment : je voterai contre.

M. Rogier. - Messieurs, je ne viens pas défendre le projet de loi qui vous est soumis, comme constitutionnel ; s’il renferme des atteintes à la constitution, la discussion des articles pourra les faire disparaître ; je viens l’appuyer comme utile et tout à fait opportun dans les circonstances où nous sommes.

On a attaqué le projet comme étant d’un vague effrayant, d’un arbitraire terrible, d’une inhumanité révoltante. On a invoqué les saintes lois de l’hospitalité, l’antique respect pour le foyer domestique ; cela est vraiment pathétique, cela est fort généreux ; mais, laissant encore cette fois le côté de la question, voyons les choses et les personnes dans leur réalité. Soyons humains, mais ne soyons pas dupes ; la duperie d’ailleurs pourrait avoir, cette fois, des conséquences pleines d’humanité.

L’orateur, répondant à M. Fleussu, démontre que ce n’est point haine ou crainte aveugle de l’étranger qui guide le gouvernement, puisqu’en même temps qu’il propose des mesures exceptionnelles contre les étrangers, il décrète l’admission d’officiers étrangers dans nos rangs, la formation d’une légion étrangère. C’est aux étrangers seuls hostiles au pays, à ceux qui chercheraient par leurs intrigues à compromettre notre salut commun, que la loi sera sévère. Et qui doute de l’existence de ceux-là ? Ne sont-ils pas, je ne dirai point à nos frontières, mais au cœur même de la Belgique ? Ne sont-ils pas à Maestricht, à Anvers ? Ne peuvent-ils de là envoyer des émissaires, des espions, des complices, à ces partisans du système déchu qui s’en vont répétant ouvertement qu’il n’y a rien de fait chez nous, et remettent chaque jour en question jusqu’à notre existence politique ? mais je veux que les menées n’existent pas, qu’elles ne cachent pas un danger réel. Est-ce à dire que le pouvoir ne doit pas se mettre en garde, prendre ses précautions ; qu’il doive attendre, pour prévenir les complots, que les complots aient éclaté ? Et si par hasard, quelqu’une de ces entreprises criminelles venant à se réaliser, le gouvernement était pris au dépourvu ; si le salut de l’Etat s’en trouvait compromis, que de récriminations alors pleuvraient sur la tête du ministère ! Comme ronfleraient de plus belle les reproches d’insouciance, d’incurie, de trahison !

J’appuierai, messieurs, la mesure comme étant commandée par les circonstances et devant cesser avec elles. Nous sommes en état de guerre, c’est-à-dire dans un état de choses extraordinaires, où la ruse, l’espionnage, la violence sont admis comme bons moyens de succès. Voulez-vous que, vis-à-vis de ces armes familières à nos ennemis, le gouvernement ait la bonhomie de demeurer désarmé ; qu’il respecte, par honneur pour les principes, les entreprises de ceux qui veulent sa ruine ?

Je suis, autant qu’un autre, scrupuleux observateur des principes ; mais un principe aussi, et le premier de tous, c’est de sauver le pays. Le système des adversaires du projet, sous un point de vue absolu, conduirait à de singulières conséquences. Défense à un officier commis à la garde d’une forteresse de la mettre en état de siège, car il y a dès lors suspension de certains droits ; défense à tel autre, forcé à la retraite, de rompre un pont, de détruite une habitation, parce qu’il aura disposé de la propriété d’autrui sans indemnité préalable.

Il y aurait même aussi, à raisonner rigoureusement, quelques lésions de droits individuels à repousser par la mitraille l’ennemi qui se présente à main armée ; cela n’est pas du tout hospitalier. Et des étrangers qui nous feraient une guerre sourde, mais non moins dangereuse, la laisseriez-vous agir impunément, et ne vous sera-t-il point permis de repousser leurs attaques, par le beau motif que la constitution leur assure aide et protection ?

Messieurs, voyons bien notre véritable position : nous ne sommes pas dans un état de paix où, tout étant consolidé, les mesures exceptionnelles seraient hors de saison. La guerre, il n’est que trop vrai, dure toujours, et, sans certains rapports, la révolution aussi. Est-ce bien le moment, quand notre ministère se montre disposé à déployer un peu de cette énergie dont l’absence a été reproché à tous ceux qui l’ont précédé, est-ce bien le moment de lui refuser notre concours ? Prenons en ceci exemple de nos ennemis. La sûreté du pays, notre intérêt à tous, exigent que le gouvernement soit fort et paraisse fort ; et n’est-ce point pitié, à peine l’arbre commence-t-il à prendre racine, de le battre de tous les vents de l’opposition ?

Quel mal, peut-être, cette opposition prématurée n’a-t-elle pas fait à ce gouvernement provisoire, auquel on a bien voulu faire allusion dans la séance d’hier !

Le gouvernement provisoire, après avoir jeté à pleines mains sur le pays toutes les libertés, toutes les garanties, rendu à chaque pouvoir son action et son indépendance, s’aperçut à la fin qu’en donnant tout aux autres, il n’avait rien réservé pour lui. Poussé par une foule d’excellents patriotes, qui criaient sans cesse d’être fort, de sauver le pays ; instruit que des complots se tramaient contre le congrès lui-même, il vint demander timidement les moyens de déjouer les conspirations. On les refusa, et, ajoute M. de Robaulx, tout se passa « fort tranquillement. » Oui, messieurs, fort tranquillement, et si tranquillement que, peu de temps après, deux ou trois conspirations éclatèrent successivement ; fort tranquillement, en effet, pour les conspirateurs, que l’on vit déclarer coupables de crime d’Etat, et mis en liberté parce que la loi manquait pour les punir.

On a prétendu qu’en parlant au congrès de complots, on avait voulu l’effrayer, afin d’ouvrir à quelqu’un la voie à la dictature. Et, si je ne me trompe, ce serait moi que l’honorable M. de Robaulx aurait voulu vous désigner. Si telle a été son intention, je n’ai qu’un mot à répondre : si j’avais voulu devenir dictateur, si cette folle idée avait pu me passer par la tête, je l’aurais pu tenter dans les temps difficiles de notre révolution, où lui-même n’avait pas encore commencé son rôle politique ; je n’aurais pas attendu qu’il vînt, par son opposition dans le congrès belge, désappointer les dictateurs.

Je me résume. La mesure proposée est-elle, dans quelques dispositions, inconstitutionnelle ? Corrigez-la. Mais est-elle nécessaire ? Oui. Est-elle seulement utile ? Oui, encore. Je lui donnerai donc mon vote, et serai, s’il le faut, ministériel à ce prix.

(Moniteur belge n°122, du 15 octobre 1831) M. Leclercq. - Lorsque des hommes pervers, ou des hommes timides, essayèrent de porter une main sacrilège sur les devises de liberté que ses vrais amis avaient élevées, c’est en exagérant la gravité des circonstances, en exagérant les dangers, en faisant prendre le change sur les causes des événements, que cet attentat s’est accompli. L’histoire prouve d’une manière flagrante ce que j’avance. Je n’abuserai pas de vos loisirs, et je me bornerai à vous rappeler les quarante dernières années de la France : alors comme aujourd’hui on parlait de dictature ; et pourtant l’histoire nous prouve à chaque pas que jamais les lois d’exception ne donnèrent de force à l’Etat, que jamais elles n’eurent d’autre résultat que d’engendrer la nécessité d’en faire de nouvelles, parce qu’elle font des ennemis au gouvernement, qui est obligé de demander contre eux de nouvelles mesures. C’est ainsi que, de lois d’exception en lois d’exception, on entre dans un système de vexations que l’on n’a pas prévues et dont l’abime est sans fond. Je n’en citerai qu’un exemple, qui se rattache essentiellement à la matière.

Un article du projet de loi est extrait textuellement d’une loi du 28 vendémiaire an VI. La date vous indique ce qu’était le gouvernement alors, c’était le directoire exécutif. Ce malheureux gouvernement, qui invoquait aussi la gravité des circonstances, se trouva entraîné dans un système de lois exceptionnelles dont l’issue fut sa ruine complète. Puissions-nous profiter de son exemple !

L’orateur s’attache ensuite à démontrer que le projet de loi viole la constitution ; et après une discussion énergique, il termine ainsi :

Je ne dirai plus qu’un mot. Si jamais les lois d’exception sont nécessaires, c’est lorsqu’il se trouve au sein du pays un parti puissant et audacieux qui tente le renversement de l’Etat. Eh bien ! si un parti pareil existe, ce n’est pas par des emprisonnements et des visites domiciliaires que vous parviendrez à le combattre ; il faudrait employer un régime de terreur. Mais des mesures correctionnelles seront impuissantes, et ne serviront qu’à vexer d’une manière odieuse les citoyens.

M. Barthélemy. - Les dispositions du projet de loi dont il s’agit ne sont, selon moi, ni utiles, ni nécessaires. Je ne viens pas faire de l’opposition contre les ministres, et les accuser de n’avoir pas autant d’amour pour la liberté que nous ; je viens les accuser d’avoir peur. (On rit.) Qui leur inspire la peur ? C’est l’administrateur de la sûreté publique. (Nouveaux rires.) Je parle en connaissance de cause ; car j’étais, il y a quelques mois, au ministère, alors que nous étions placés sur un volcan, et j’ai pu apprécier cet administrateur. Il voulait nous faire peur ; mais nous n’avons pas eu peur, quoiqu’il y eût conspiration contre l’Etat. Eh bien ! aujourd’hui que les ministres ont une bonne armée, ils ne devraient pas craindre non plus. Quant à nous, nous avons repoussé toute loi exceptionnelle. Seulement, reconnaissant que la constitution ne pouvait marcher avec le code d’instruction criminelle, j’ai proposé au congrès de les mettre en harmonie, et je vous réitère ma proposition.

(Ici l’orateur lit la proposition qu’il avait faite au congrès relativement aux mandats d’arrêt.) Vous le voyez, messieurs, c’était tout le contraire d’aujourd’hui.

Eh bien ! pourquoi l’administrateur de la sûreté publique s’effraie-t-il et effraie-t-il les autres ? C’est parce qu’il s’entoure d’agents qui lui font des rapports ridicules, à la suite desquels il requiert le mandat du juge d’instruction. Que fait le juge d’instruction ? Il voit que l’administrateur se fait des chimères, et il lui renvoie ses rapports. Alors, je le sais très bien, l’administrateur se fâche… (Hilarité générale, qui est partagée par l’orateur lui-même et l’empêche un moment de continuer.)

L’honorable membre reproche ensuite au projet de confondre la police administrative et la police judiciaire. Il ajoute qu’il existe dans le code d’instruction criminelle des mesures d’exception dont le ministère doit se contenter. Puis, lisant l’article de la constitution relatif aux étrangers, il dit que, bien qu’il ne soit pas d’avis d’admettre sur le territoire belge des assassins et des criminels, il désire cependant ne pas repousser ceux auxquels on n’aurait aucun reproche à adresser. Une petite loi de police, dit-il en terminant, suffirait au ministère pour faire cette distinction, et avec cette mesure il ne violerait pas la constitution de l’Etat.

M. Devaux. - (Mouvement d’attention.) Messieurs, j’éprouve le besoin de dire quelques mots sur le ton qu’a pris la discussion dans la séance d’hier. Je sens qu’il est des moments où un langage ferme, quelquefois même amer, peut être convenable contre un ministre. Mais je me demande si c’est bien dans un tel moment qu’il faut adresser de graves reproches au ministère, si ce n’est pas plutôt le moment de nous accorder, et si nous n’avons pas besoin d’union. Comprenons bien, messieurs, sur quelle scène nous nous trouvons ; comprenons bien que la nation est là qui écoute ce que nous disons, et que chaque mot porte coup. Ne retournons pas à d’anciennes habitudes. Lorsque deux parties se trouvent devant un tribunal, elles peuvent épuiser l’une contre l’autre les accusations et les sarcasmes, peu importe ; le procès se vide, et à la sortie de l’audience les avocats se serrent la main. Mais ici il n’en est pas de même : chaque mot porte, ainsi que je viens de le dire, et les expressions amères, les sarcasmes, affaiblissent le pouvoir et lui ôtent l’action dont il a besoin.

Mais le ministère est-il donc si obstiné ? Si avec de bonnes intentions il a pu se tromper, dites-le-lui avec franchise, mais en termes convenables. Voyez ! il s’est rendu déjà aux observations de la section centrale ; il pourra se rendre encore aux vôtres, mais, au nom du ciel ! mettez-y de la convenance. (marques d’approbation.)

Je ne discuterai pas tout le projet article par article. Cependant je crois devoir m’attacher aux deux premiers articles, qui en sont en quelque sorte la base.

On vous a parlé du code pénal, et l’on vous a dit : « Comment ! les mesures d’exception qui se trouvent encore dans le code pénal ne vous suffisent pas ? » Mais ce sont des améliorations au code pénal même que propose le projet de loi.

L’orateur lit les articles 76, 77 et suivants du code pénal, et les comparant aux dispositions du projet, il démontre que ce projet est d’une extrême douceur auprès du code pénal, puisqu’il donne la faculté aux juges de n’appliquer qu’un emprisonnement quand le code prononce la peine de mort ou celle du bannissement.

M. Gendebien, M. Jullien et autres. - Mais le projet dit : « sans préjudice d’autres peines, dans les cas prévus par le code pénal. »

M. Devaux. - Je vous prie, messieurs, de ne pas m’interrompre ; je vous ai laissés parler hier en tout liberté. Si vous m’aviez laissé achever, vous auriez vu que je n’entendais pas glisser sur ce point ; mais je persiste à dire que c’est une amélioration du code pénal, puisqu’on vous propose de laisser aux juges la faculté d’appliquer une moindre peine.

Maintenant dira-t-on que les expressions du projet de loi sont vagues, et que le code pénal s’exprime en termes plus précis ? J’en doute ; mais, dans tous les cas, proposez un amendement pour corriger cette imperfection.

Savez-vous, messieurs, ce qui arrivera si vous n’admettez pas le projet comme correctif de l’ancienne législation ? Voici ce qui arrivera : si un coupable se présente, les juges se trouveront dans l’alternative, ou d’appliquer une loi sanglante, contraire à nos mœurs, ou d’acquitter les coupables, parce que cette loi n’est plus compatible avec nos mœurs ; et ainsi échapperont à la vindicte publique les criminels et les assassins. Voilà la responsabilité que vous assumez sur vous, si vous n’admettez pas de peines moins rigoureuses.

Je me souviens que, lorsque M. Van Meenen présenta un projet de loi tendant à réprimer les tentatives contre la sûreté de l’Etat, on dit comme aujourd’hui que le code pénal était suffisant. Eh bien ! on a vu des tribunaux déclarer un fait coupable, reconnaître l’accusé pour en être l’auteur, et le rendre à la liberté, parce que , a-t-on dit, le cas n’était pas prévu par la loi. (Nouvelle sensation.)

Un honorable membre, M. le ministre des affaires étrangères, a dit que, quand le gouvernement était sans force et sans action, les masses ont pillé. Eh bien ! je ne veux plus de pillages, et c’est pour cela que je veux accorder de la force au gouvernement.

Messieurs, je n’ai pas l’habitude de répondre à des faits personnels, et pourtant je sens la nécessité de le faire ici. On a dit qu’un membre était venu proposer une dictature. C’est de moi évidemment qu’on a voulu parler. Mais je défierais bien l’auteur d’une pareille assertion de pouvoir la justifier par une seule de mes paroles. Je n’ai jamais voulu proposer de dictature ; mais j’ai proposé de transporter le pouvoir, des dix mains où il se trouvait alors, en deux mains seulement. Cette idée a reçu plus tard son exécution, et on s’en est bien trouvé.

« Mais, a-t-on dit, la responsabilité ministérielle n’est qu’un vain mot. » (Il paraît qu’on est convenu d’employer ces termes.)

Mais, messieurs, les ministres ne sont-ils point placés sans cesse sous votre action, tous les jours, à chaque heure ? Ne leur adressez-vous pas en ce moment de graves reproches ? Et, je vous le demande, si dans cette circonstance vous les traitez ainsi, que serait-ce s’ils abusaient de la mesure exceptionnelle que vous leur auriez accordée ? Ils ne pourraient pas se soutenir 24 heures. D’ailleurs, la plus forte garantie se trouve dans l’intervention du jury ; il suffit de cette intervention pour qu’on ne craigne pas d’abus.

Je ne répondrai pas maintenant au reproche d’inconstitutionnalité qu’on a si souvent répété. Quand viendra la discussion des articles, et que ceux qui font ce reproche au projet auront dégagé leur opinion de toute exagération, si la proposition est inconstitutionnelle, je serai le premier à la rejeter.

On a dit que le gouvernement pourrait présenter une loi sur les passeports. Mais s’il vous la proposait, messieurs, elle soulèverait plus de scrupules et d’inconvénients encore. Que feriez-vous, par exemple, contre ceux qui n’ont point de passeports ? A moins que vous ne mettiez des officiers de police partout, je ne vois pas comment la mesure serait exécutable.

Quelques orateurs se sont élevés énergiquement contre la mesure proposée, l’accusant de flétrir la glorieuse révolution de septembre, et disant que ce serait lui porter le dernier coup dans l’esprit des étrangers. Mais précisons. Est-ce des Anglais qu’on veut parler ? Nous répondrons : ils ont un alderman. Les Français ? Ils ont un préfet de police, et je n’ai pas encore entendu dire que les hommes du mouvement aient demandé la suppression de cette place. Seraient-ce les Prussiens, les Russes, les Autrichiens qui nous accuseront de faire usage de mesures vexatoires ? (Sourire.) Songez plutôt à ce qu’ils disent de nous. Que dit-on à l’étranger ? Que nous ne sommes contents de rien, que nous sommes divisés sur tout, et que nous ne cessons de faire de l’opposition contre un gouvernement de notre choix, comme si nous étions encore sous le joug de Guillaume.

« Mais, a-t-on ajouté, voulez-vous rallier le parti des mécontents ? Ne votez pas la mesure dont il s’agit, car elle va les aigrir ; » je crois même qu’on a dit : « elle va assurer leur triomphe. » mais, en affaiblissant le pouvoir, ce ne sera pas le moyen de rallier ce parti. En accumulant sur la tête des ministres les reproches les plus amers, vous ne le ralliez pas, vous ne faites que l’encourager. Mais accordez de la force au gouvernement, ne soyons pas divisés, et alors nous auront trouvé le seul, le véritable moyen. (Approbation.)

On a prétendu que si la Hollande avait besoin d’espions, elle les trouverait plutôt parmi les Belges que parmi les étrangers. L’aveu n’est pas flatteur. Grand merci pour le compliment ! Fort heureusement, messieurs, il n’est pas mérité. Souvenez-vous enfin que, lorsque Guillaume voulut soudoyer des hommes, pour défendre son gouvernement, et quoiqu’il payât très bien ceux qui remplissaient cet office, il ne put trouver que des étrangers. Honneur en soit rendu à la Belgique !

Après quelques autres considérations, l’orateur termine ainsi : Pour moi, messieurs, loin de faire un reproche au ministère de nous avoir présenté ce projet de loi, je déclare au contraire que je lui en sais gré. Je lui sais gré d’avoir eu le courage de le présenter, alors qu’une pareille mesure soulevait sa répugnance, s’il pensait dans sa conscience qu’elle était nécessaire. S’il ne l’avait pas présentée, et que les résultats qu’il veut prévenir fussent arrivés, qu’aurait-on dit à la session prochaine, si tant est qu’il y eût une nouvelle session ? On aurait dit qu’il fallait que la honte portât sur quelques hommes pour sauver le pays, et on aurait présenté un nouveau catéchisme en 82 articles, pour découvrir la cause et les auteurs des maux qui en seraient résultés.

M. le président annonce que la liste des orateurs est épuisée. (A demain ! à demain !)

- La suite de la discussion est renvoyée à demain.

Projet de loi qui ouvre un nouvel emprunt

Dépôt

M. le ministre des finances (M. Coghen) demande la parole et présente un projet de loi en 15 articles, relatif à un emprunt à faire, dont la qualité s’élèveraient à une somme égale à la contribution foncière et à 80 p. c. de la contribution personnelle.

Nous ferons connaître le projet, dont l’assemblée a ordonné l’impression et la distribution.

La séance est levée à 4 heures et demie.