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« Histoire du Congrès national ou de la fondation de la monarchie belge », par Théodore JUSTE

 

Bruxelles, Librairie polytechnique d’Aug. Decq, 1850, 2 tomes (1er tome : Livres I et II ; 2e tome : Livres III et IV)

 

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LIVRE TROISIEME. LA REGENCE

 

CHAPITRE XII

 

Le président du Congrès se hâte de faire connaître à l'assemblée l'acceptation du prince Léopold

 

(page 273) Le 28 juin, quelques heures après le retour des commissaires du régent et des députés du Congrès, la séance de l'assemblée nationale avait été ouverte. Une foule inquiète et agitée se pressait dans les tribunes ; l'anxiété n'était pas moins grande parmi les députés.

Cédant à l'impatience générale, M. de Gerlache se hâta de rendre compte des résultats de la haute mission dont il avait été chargé Il donna lecture du discours qu'il avait adressé au prince Léopold en lui remettant le décret d'élection, de la réponse du prince et de sa lettre au régent dans laquelle il annonçait l'intention (page 274) de se rendre en Belgique aussitôt que les propositions de la conférence seraient acceptées par le Congrès.

 

Le ministre des affaires étrangères communique le traité des dix-huit articles

 

Aux termes du décret du 2 juin, le ministre des affaires étrangères aurait pu attendre jusqu'au 30 pour faire son rapport sur les résultats des négociations ; mais il avait cru de son devoir, comme nous l'avons déjà dit, de n'apporter aucun retard à des communications que l'état du pays réclamait si vivement. En conséquence, M. Lebeau, prenant la parole après le président du Congrès, fit connaître les pouvoirs donnés, sous la date du 5 juin à MM. Devaux et Nothomb ainsi que les pièces qu'ils avaient été chargés de lui remettre.

C'était d'abord une lettre signée par tous les membres de la conférence et conçue en ces termes :

« MONSIEUR,

« Nous avons eu l'honneur de recevoir la lettre, en date du 5 juin, que MM. Devaux et Nothomb nous ont remise de votre part, et nous croyons devoir vous adresser en réponse les articles ci-joints que la conférence de Londres vient d'arrêter, pour être communiqués aux deux parties intéressées.

«  La conférence considérera ces articles comme non avenus, si le Congrès belge les rejette en tout ou en partie.

« Agréez, etc.

« Londres, 26 juin 1831.

« ESTERHAZY, WESSEMBERG, TALLEYRAND, PALMERSTON, BULOW, MATUSZEWIC. »

Le ministre donna ensuite lecture des préliminaires de paix :

« La conférence, animée du désir de concilier les difficultés qui arrêtent encore les conclusions des affaires de la Belgique, (page 275) a pensé que les articles suivants, qui formeraient les préliminaires d'un traité de paix, pourraient conduire à ce but. Elle a résolu en conséquence de les proposer aux deux parties.

« I. Les limites de la Hollande comprendront tous les territoires, places, villes et lieux qui appartenaient à la ci-devant république des Provinces-Unies des Pays-Bas, en l'année 1790.

« II. La Belgique sera formée de tout le reste des territoires qui avaient reçu la dénomination de royaume des Pays-Bas dans les traités de 1815.

» III. Les cinq puissances emploieront leurs bons offices pour que le statu quo dans le duché de Luxembourg soit maintenu pendant le cours de la négociation séparée, que le souverain de la (page 350) Belgique ouvrira avec le roi des Pays-Bas et avec la confédération germanique, au sujet dudit Grand-Duché ; négociation distincte de la question des limites entre la Hollande et la Belgique.

« Il est entendu que la forteresse de Luxembourg conservera les libres communications avec l'Allemagne.

« IV. S'il est constaté que la république des Provinces-Unies des Pays-Bas n'exerçait pas exclusivement la souveraineté dans la ville de Maestricht en 1790, il sera avisé par les deux parties aux moyens de s'entendre à cet égard sur un arrangement convenable.

« V.. Comme il résulterait des bases posées dans les art. 1 et 2 que la Hollande et la Belgique posséderaient des enclaves sur leurs territoires respectifs, il sera fait à l'amiable entre la Hollande et la Belgique les échanges qui pourraient être jugés d'une convenance réciproque.

« VI. L'évacuation réciproque des territoires, villes et places, aura lieu indépendamment des arrangements relatifs aux échanges :

« VII. Il est entendu que les dispositions des art. 108 jusqu'à 117 (page 276) inclusivement de l'acte général du congrès de Vienne, relatifs à la libre navigation des fleuves et rivières navigables seront appliquées aux fleuves et aux rivières qui traversent le territoire hollandais et le territoire belge.

« La mise à exécution de ces dispositions sera réglée dans le plus bref délai possible.

« La participation de la Belgique à la navigation du Rhin par les eaux intérieures, entre ce fleuve et l'Escaut, formera l'objet d'une négociation séparée entre les parties intéressées, à laquelle les cinq puissances prêteront leurs bons offices.

« L'usage des canaux de Gand à Terneuze et de Zuid Willems'Vaart, construits pendant l'existence du royaume des Pays-Bas, sera commun aux habitants des deux pays ; il sera arrêté un règlement sur cet objet.

« L'écoulement des eaux des Flandres sera réglé de la manière la plus convenable, afin de prévenir les inondations.

« VIII. En exécution des art. 1 et 2, qui précèdent, des commissaires démarcateurs hollandais et belges, se réuniront, dans le plus bref délai possible, en la ville de Maestricht, et procéderont à la démarcation des limites qui doivent séparer la Hollande et la Belgique, conformément aux principes établis à cet effet dans les art. 1 et 2.

« Ces mêmes commissaires s'occuperont des échanges à faire par les pouvoirs compétents des deux pays par suite de l'art. 5.

« IX. La Belgique, dans ses limites telles qu'elles seront tracées conformément aux principes posés dans les présents préliminaires, formera un État perpétuellement neutre. Les puissances, sans vouloir s'immiscer dans le régime intérieur de la Belgique ; lui garantissent cette neutralité perpétuelle, ainsi que l'intégrité et l'inviolabilité de son territoire, dans les limites mentionnées au présent article.

« X. Par une juste réciprocité, la Belgique sera tenue d'observer cette même neutralité envers tous les autres États, et de ne porter aucune atteinte à leur tranquillité intérieure ni (page 277) extérieure, en conservant toujours le droit de se défendre contre toute agression étrangère.

« XI. Le port d'Anvers, conformément à l'art. 15 du traité de Paris du 30 mai 1814, continuera d'être uniquement un port de commerce.

« XII. Le partage des dettes aura lieu de manière à faire retomber sur chacun des deux pays la totalité des dettes qui originairement pesait, avant la réunion, sur les divers territoires dont ils se composent, et à diviser, dans une juste proportion, celles qui ont été contractées en commun.

« XIII. Des commissaires liquidateurs nommés de part et d'autre se réuniront immédiatement ; le premier objet de leur réunion sera de fixer la quote-part que la Belgique aura à payer provisoirement ; et sauf liquidation, pour le service d'une portion des intérêts des dettes mentionnées dans l'article précédent.

« XIV. Les prisonniers de guerre seront renvoyés de part et d'autre quinze jours après l’adoption de ces articles.

« XV. Les séquestres mis sur les biens particuliers dans les deux pays seront immédiatement levés.

« XVI. Aucun habitant des villes, place, territoires, réciproquement évacués, ne sera recherché ni inquiété pour sa conduite politique passée.

« XVII. Les cinq puissances se réservent de prêter leurs bons offices lorsqu'ils seront réclamés par les parties intéressées.

« XVIII. Ces articles, réciproquement adoptés, seront convertis en traité définitif.

Après avoir donné lecture du texte des dix-huit articles, le ministre ajouta que les commissaires avaient eu des rapports fréquents avec le prince Léopold, et que les détails de ces rapports trouveraient leur place dans un comité général, que le Congrès jugerait sans doute nécessaire de fixer à un bref délai.

 

Le comité secret du 30 juin

 

(page 278) Malgré l'opposition de la minorité qui réclamait une discussion immédiate et publique, la majorité décida que le comité secret aurait lieu le 30. M. Nothomb exposa dans ce comité les négociations auxquelles il avait été associé. Il révéla d'abord que, à leur arrivée à Londres, les deux commissaires avaient trouvé tout mal disposé ; l'idée qu'on pouvait mettre un terme à la révolution belge par un partage semblait s'accréditer et trouvait des adhérents. M. Nothomb rendit compte ensuite des négociations et signala rapidement les avantages que les préliminaires offraient à la Belgique, si on les comparait aux protocoles du 20 et du 27 janvier. Il dit aussi que le prince Léopold viendrait dès que le Congrès aurait adhéré aux préliminaires ; qu'il n'attendrait pas l’acceptation de la Hollande. M. Van de Weyer ajouta que le prince, une fois arrivé dans le pays, aurait pour politique principale de se dégager de l'influence de la conférence de Londres et de suivre en tout les intérêts du la Belgique. Il avait dit lui-même que ses relations personnelles lui prouvaient qu'il avait les moyens de resserrer ses liens avec la France, et il avait déclaré que s'il se croyait hostile à la France, il renoncerait à la couronne.

 

L'adoption des préliminaires de paix était une question de salut public

 

La tâche du gouvernement allait devenir périlleuse ; la mission du Congrès plus grave et plus difficile que jamais. L'existence même du pays était en jeu. Un vote devait décider si la Belgique remonterait au rang des nations indépendantes, ou si elle serait condamnée à subir un partage ignominieux, après avoir épuisé ses dernières forces dans les convulsions de l'anarchie. Le moment était venu d'opter entre le déchirement du sol national et l'indépendance achetée par quelques sacrifices, douloureux sans doute, mais nécessaires. La Belgique était encore maîtresse de ses destinées : elle pouvait affermir et perpétuer sa nationalité, ou se roidir contre l'Europe et périr comme la Pologne en 1772.

(page 279) Dès que le ministre des affaires étrangères eut pris connaissance des dix-huit articles, il se confirma dans l’idée que l'élection du roi n'avait rien terminé ; que, pour arriver à la consolidation du nouvel État belge, un dernier obstacle, le plus difficile de tous, devait être franchi : il fallait amener le Congrès à adopter les préliminaires de paix, c'est-à-dire à revenir en partie sur des protestations solennelles.

On ne pouvait se dissimuler que l'opposition serait ardente et nombreuse. Elle devait compter dans ses rangs ceux qui, en possession du pouvoir, auraient pensé peut-être à la combinaison proposée, mais qui la condamnaient parce qu'elle n'était pas leur ouvrage ; ceux qui s'étaient prononcés pour la république, ceux qui désiraient une réunion à la France, ou tout au moins une combinaison plus française que le choix d'un gendre du roi d'Angleterre ; ceux qui souhaitaient, sinon le retour de l'ancienne dynastie, du moins l'avènement d'un prince de la maison de Nassau ; enfin la plupart des députés du Limbourg et du Luxembourg, qui voudraient remplir un devoir sacré en prenant avec énergie la défense de ces deux provinces menacées, croyaient-ils, d'un morcellement. De son coté, le gouvernement, obligé de fléchir devant une nécessité inexorable, était non moins décidé à employer les plus grands efforts pour éloigner le pays de l'écueil contre lequel il pouvait se briser ; pour substituer aux inspirations de la passion la décision calme suggérée par la raison d'État ; pour faire prévaloir enfin les intérêts généraux de la nation. Le temps des illusions était passé. Le gouvernement avait la conviction que le salut du pays était dans le prompt avènement du roi ; mais le roi ne serait reconnu par aucune puissance, son élection deviendrait nulle et caduque, si elle n'était garantie par l'adoption des bases de séparation de l'ancien royaume des Pays-Bas, c'est-à-dire des préliminaires proposés par la conférence. Dans le cas où le Congrès repousserait cette (page 280) dernière ressource, il n'y avait plus pour la Belgique d'autre perspective que l'anarchie, une restauration ou un partage.

 Et qu'exigeait-on de la Belgique pour légitimer sa révolution, pour reconnaître son indépendance ?

Un examen calme du texte des dix-huit articles démontrait que la conférence était loin de vouloir encore l'humiliation et la honte des Belges.

 

Parallèle entre les dix-huit articles et les protocoles du 20 et du 27 janvier

 

Les propositions du 26 juin, comparées aux bases de séparation du 20 et du 27 janvier, présentaient des changements considérables et tout à l'avantage de la Belgique. Les dix-huit articles différaient essentiellement des protocoles et pour le fond et pour la forme. La conférence n'imposait plus de conditions à la Belgique insurgée en la menaçant d'une intervention indéfinie ; elle reconnaissait la souveraineté du Congrès et lui proposait une transaction honorable. En effet, la Hollande devait rentrer dans les limites de l'ancienne république des Provinces-Unies, tandis que la Belgique obtenait tous les territoires compris dans le royaume des Pays-Bas en 1815 et non compris dans la république batave en 1790. La Belgique devait se composer non seulement des Pays-Bas autrichiens, mais en outre de l'ancienne principauté de Liége avec la co-souveraineté dans Maestricht ; de Philippeville, de Marienbourg et de Bouillon, qui ne faisaient pas partie des Pays-Bas autrichiens en 1790 ; enfin d'une foule d'enclaves situées à l'extrémité du Limbourg et au cœur même des provinces hollandaises. L'article qui attribuait à la Belgique tout ce qui ne faisait point partie de la Hollande en 1790, combiné avec celui qui stipulait l'échange des enclaves, offrait au gouvernement belge des ressources certainement inaperçues des représentants des cabinets du Nord (Note de bas de page : « Si l' on adopte les art. I et Il du traité de paix, disait un journal ministériel hollandais, la Hollande perdrait les possessions acquises par elle en 1800 et 1808, dans le Brabant septentrional et dans la Gueldre. La Belgique obtiendrait une commune entre Crève-Cœur el Heusden, et par là l'embouchure de la rivière qui traverse Bois-le-Duc ; le comté de Meghem et le pays de Ravenstein, entre les forteresses de Bois-le-Duc et Grave ; le pays de Boxmeer, entre les forteresses de Grave, Nimègue et Vaels ; des enclaves dans la Gueldre, ainsi que la lisière de la Meuse, entre le Brabant septentrional el la Prusse. »

On a vu, dans le chapitre précédent, que les plénipotentiaires hollandais à Londres étaient restés étrangers à la négociation des préliminaires de paix. Cette non-participation des plénipotentiaires hollandais conduisit à une autre mesure extraordinaire. M. le baron de Wessenberg, représentant de l'Autriche à la conférence, se rendit lui-même à la Haye à la fin du mois de juin et remit, de la part de la conférence, au roi Guillaume Ier le traité des dix-huit articles négocié a l’insu de ses représentants à Londres. M. de Wessenberg engagea vivement le gouvernement du roi Guillaume I" à donner son adhésion à ce traité, s'appuyant notamment sur cette considération qu'il ne changeait rien. Mais, en ce moment même, M. Nothomb publiait dans le Moniteur belge des articles tendant à démontrer que les dix-huit articles changeaient tout. La vérité tout entière fut ensuite révélée au gouvernement hollandais par le mémorable discours que M. Lebeau prononça dans la séance du 5 juillet (on le trouvera ci-après, chap. XIII). C’est ainsi que l'on a pu dire que M. Lebeau remporta comme orateur un triomphe qu'il dut amèrement regretter comme homme d'État. Obligé de convaincre son pays des avantages qui résulteraient pour lui du traité des dix-huit articles, forcé de repousser le reproche de trahison et de calmer une agitation menaçante, M. Lebeau, en rassurant la Belgique, alarma la Hollande. La presse hollandaise se mil à flétrir à son tour les dix-huit articles ; et le gouvernement hollandais remit, le 12 juillet, à M. de Wessenberg une protestation contre les nouvelles propositions de la conférence.) La Belgique devait reconnaître les droits (page 281) de la Hollande sur la rive gauche de l’Escaut, l'autre moitié de Maastricht, Venloo et cinquante-trois villages du Limbourg, en un mot, sur le territoire qui appartenait à la république batave en 1790. Mais cette restitution serait-elle définitive ou provisoire ? Il était permis d'espérer qu'elle ne serait que provisoire, car la (page 282) Hollande aimerait sans doute mieux céder à la Belgique la moitié de Maestricht, Venloo et cinquante-trois villages épars, que de laisser occuper des enclaves sur son propre territoire. La Belgique ne pouvait réclamer la rive gauche de l'Escaut ; mais on lui offrait une compensation fort grande en garantissant à son agriculture l'écoulement des eaux des Flandres, et à son commerce l'usage du canal de Terneuze et la liberté de l'Escaut.

N'était-ce rien que de forcer la Hollande à ouvrir le fleuve que l'ancienne république batave avait tenu fermé depuis 1648 jusqu'en 1795 pour attirer à Amsterdam et à Rotterdam les richesses, l'activité, la puissance d'Anvers ? Les autres stipulations étaient non moins favorables à la Belgique. Les préliminaires éloignaient toute idée d'échange du Luxembourg contre le Limbourg. Au lieu d'exclure formellement le Luxembourg de la Belgique, comme les protocoles l'avaient fait, les préliminaires révoquaient la décision prise sur ce point et renouvelaient le litige ; une négociation séparée devait être entamée avec le roi des Pays-Bas et la Confédération germanique, et, en attendant, on maintenait le statu quo dans cette province. Les dispositions relatives à la dette consacraient les principes que le Congrès avait toujours soutenus. La dette devait être partagée, eu égard à son origine : d'une part, la Belgique était affranchie de celle qu'elle n'avait point contractée ; d'autre part, on devait répartir entre les deux pays, dans une juste proportion, les charges créées en commun depuis 1815.

On ne pouvait donc considérer ces propositions comme la reproduction des protocoles que la Belgique avait repoussés et que le gouvernement hollandais avait acceptés. Si les préliminaires du 26 juin n'eussent pas différé essentiellement des protocoles antérieurs, s'ils n'eussent pas été favorables aux Belges, pourquoi le gouvernement hollandais se serait-il empressé de les dénoncer comme une violation manifeste de ses droits ? Tandis que les préliminaires étaient soumis aux délibérations du Congrès. le Journal de La Haye, (page 283) organe semi-officiel du gouvernement hollandais, s'exprimait en ces termes : « Si le roi des Pays-Bas souscrit à ces engagements, il souscrit la banqueroute et la ruine du pays. Mais d'après la loi fondamentale, il ne peut ratifier la cession d'aucune partie du territoire sans le consentement des états généraux, et il ne peut charger le trésor de dettes sans le même assentiment. Qu'il se réfère aux états généraux s'il en est besoin, et nous osons croire qu'aucune voix ne s'élèvera en faveur de l'acceptation de ces propositions, mais qu'elles répondront toutes : « Non ! et mille fois non ! Nous préférons la mort à l'ignominie ! Servons-nous plutôt de nos forces pour braver l’iniquité. Si l'Europe redoute le premier coup de canon, eh bien ! nous le ferons partir de la citadelle d'Anvers et de la flotte hollandaise, commandée par des héros qui préfèrent la mort à l'abaissement de leur pavillon. » (Note de bas de page : On ne suspectera pas non plus le témoignage de l'auteur de l'Histoire de Dix Ans. Voici comment il s'exprime (chap. X) sur les dix-huit articles : « Le protocole était aussi favorable à la Belgique que ceux des 20 et 27 janvier lui étaient funestes... La conférence ne pouvait pas renier plus complètement son œuvre ; elle ne pouvait pas renverser d'une manière plus brutale les bases posées par elle même dans les protocoles des 20 et 27 janvier, et par elle déclarées deux fois irrévocables. »).

Les considérations les plus puissantes militaient en faveur de l'adoption des préliminaires de paix par la Belgique. Cette adoption devait amener un événement décisif pour la révolution, pour la nationalité belge : la présence à Bruxelles d'un roi qui, avec l'aide des puissances garantes de ses droits, rendrait vaines toutes les menaces de restauration et de partage.

On objectera que, sans l'adoption des dix-huit articles, sans l'arrivée du roi, la Hollande n'eût pas rompu l'armistice. Mais pourquoi ? Parce que, aussi longtemps qu'il n existait pas de pouvoir définitif en Belgique, le roi Guillaume n'avait pas besoin de (page 284) recourir aux armes pour recouvrer le territoire qu’il avait perdu : il pouvait se fier à la fatigue du provisoire, au dégoût de l'anarchie, à la ruine croissante du commerce ; il pouvait se fier au découragement général du soin de rendre le territoire belge à son fils, ou de lui en restituer à lui-même la plus grande partie, dès qu'il permettrait à la France et à la Prusse de s'adjuger le reste. Les hommes sages et prévoyants de la Hollande, le commerce et la finance, appelaient sans doute de tous leurs vœux un arrangement prompt et honorable avec la Belgique ; ils étaient convaincus que l’indépendance des anciens Pays-Bas autrichiens ne serait jamais une hostilité à l'égard de l'ancienne république des Provinces-Unies. Mais le descendant des stathouders, devenu roi, devait naturellement avoir d'autres idées ; il ne pouvait sacrifier qu'à la dernière extrémité la grandeur et les espérances de la maison de Nassau. Reconquérir les provinces méridionales en tout ou en partie, par une semi-restauration ou par un partage ; empêcher la constitution définitive de l’indépendance belge : tel était le véritable but du roi Guillaume et du cabinet de La Haye. Les plénipotentiaires hollandais réclamaient, à la vérité, de la conférence de Londres, de meilleures bases de séparation ; mais ces réclamations cachaient des desseins destructifs de l'Indépendance de la Belgique.

 

La guerre ne pouvait pas sauver la Belgique. Forces hollandaises et belges, au mois de juillet 1831

 

En toute hypothèse, le rejet des dix-huit articles eût compromis les destinées de notre patrie. Les adversaires de la conférence soutenaient que l'acceptation des préliminaires serait une trahison ; que l'honneur belge était intéressé a conserver Venloo ; qu'il fallait conquérir par les armes ce que ni la Hollande ni la conférence ne voulaient céder volontairement. Le rejet des dix-huit articles, la chute du cabinet, auraient donc amené la guerre. Les chefs de l'opposition, arrivant au pouvoir, devaient faire cette concession extrême à leur parti. Devenus ministres, auraient-ils reculé devant les exigences de leurs amis et tenté (page 285) do rouvrir des négociations ? L'eussent-ils voulu, il n'était pas certain que les cinq cours s'y seraient prêtées ; et quant au prince de Saxe-Cobourg, son acceptation devenait plus que douteuse. Après des efforts sincères et persévérants pour obtenir de la conférence la rétractation du protocole du 20 janvier, efforts dont les résultats venaient se résumer dans les dix-huit articles, le prince de Saxe-Cobourg ne pouvait admettre des transactions nouvelles sans porter atteinte à sa dignité, sans consentir à se laisser marchander. Un tel rôle ne convenait pas au gendre du roi d'Angleterre. Négocier de nouveau, mais n'eût-ce pas été d'ailleurs, de la part des chefs de l'opposition, un acte d'apostasie, puisqu'ils n'avaient pas d'anathèmes assez énergiques pour flétrir la conférence ?

Déclarer immédiatement la guerre à la Hollande, telle était donc l'inexorable loi imposée au ministère qui se serait formé après le rejet des dix-huit articles.

Certes les armements avaient été poussés avec vigueur. L'organisation de l'armée était la préoccupation incessante du second cabinet du régent, après avoir été celle du gouvernement provisoire et du ministère précédent. Tout le monde avait compris que des notes diplomatiques et des discours de tribune seraient totalement impuissants, si des armements ne venaient leur prêter un salutaire appui. La considération la plus puissante qui dût influer sur la politique européenne était la crainte d'une guerre générale. D'autre part, la cause la plus prochaine, la plus probable d'une guerre générale, était dans une collision entre la Belgique et la Hollande. Il fallait donc exploiter la crainte de ce conflit par des mesures militaires attestant que le gouvernement belge saurait le faire naître si la diplomatie lui fermait toute issue et le contraignait à ne prendre conseil que du désespoir. La force régulière, qui ne s'élevait qu'à 1,250 hommes au mois de novembre 1830, avait été portée à 30,000 par le (page 286) général Goblet ; puis à 56,000 par le colonel d'Hane de Steenhuyse ; le nouveau ministre de la guerre se proposait de la porter à plus de 62,000 hommes (Note de bas de page : Dans une note insérée au Moniteur belge du 24 octobre 1839, le général de Failly portait à 62,614 hommes la force de l'armée belge au 1er août 1831. Le général Évain, dans une lettre publiée par l'Indépendant du 22avril 1838, n'avait évalué l'effectif qu'à 57,900 hommes). Le gouvernement était loin pourtant de voir sa tâche achevée. Des cadres avaient été tracés, des soldats nombreux étaient réunis sous les drapeaux de la révolution, des officiers de tous grades avaient été créés ; mais on n'avait pu improviser la science, l'administration, la discipline. Or, il n'y a pas d'armée sans discipline, et la discipline était impossible au milieu d'une révolution qui avait relâché tous les liens de la subordination militaire et civile. Enorgueillis par les victoires de septembre, flattés sans cesse par la tribune du Congrès et par la presse, la plupart des anciens chefs des volontaires s'étaient habitués à mépriser l'ennemi et à se croire invincibles.

Ils se faisaient une illusion complète sur la démoralisation des Hollandais. L'armée hollandaise avait été frappée d'impuissance au mois de septembre par une révolution qui avait brisé ses rangs ; mais il était souverainement injuste d'accuser de lâcheté le peuple dont les annales glorieuses font encore l'admiration du monde. La vieille Néerlande venait de se lever avec enthousiasme pour défendre ses foyers et pour venger l'injure faite au drapeau que Ruyter promenait triomphalement sur l'Océan et que Guillaume III avait refusé d'abaisser devant Louis XIV. Le roi de Hollande achevait de réunir sur ses frontières 60,000 hommes de troupes régulières, parfaitement équipées et disciplinées, et 35,000 hommes de gardes civiques, mobilisés et habitués aux exercices militaires.

Les généraux belges se plaignaient des lenteurs de l'administration, (page 287) de l'insubordination des volontaires, des excitations adressées à leurs officiers ; ils ne cachaient pas que l'organisation de l'armée présentait encore les plus graves lacunes. (Note de bas de page : Peut-être n'a-t-on pas oublié que lorsque le gouvernement avait voulu appeler momentanément des capacités étrangères, une vive (Note de bas de page : Le général Daine, commandant de l'armée de la Meuse, écrivait de Hasselt au ministre de la guerre, le 30 juin : « ... Au lieu d'un beau bataillon que je vous ai envoyé à Bruxelles pour la tranquillité intérieure, je reçois une bande de volontaires qui, à son arrivée à Hasselt, a débuté par donner à ma troupe de ligne l'exemple de l'indiscipline la plus effrénée, et aux bons habitants du Limbourg un avant-goût de l'anarchie qui a régné dans diverses autres provinces. Mais je reviendrai sur ce sujet, car il me reste à vous entretenir d'abord de ma position : des bruits de reprise d'hostilités se font entendre de toute part ; une faction ennemie de notre indépendance semble vouloir déborder le gouvernement et le porter à tout prix à la guerre... On écrit à mes officiers supérieurs, on les excite à devancer l'armistice et à recommencer les hostilités ; je sais d'où le coup part, et je compte assez sur ma petite armée pour croire qu'elle ne donnera pas la première l'exemple de la désobéissance aux ordres du gouvernement. Si cependant, et contre toute attente, la reprise des hostilités était le vœu du pouvoir, je suis obligé de vous déclarer que je ne suis pas en mesure de faire la guerre, de manière a assurer des succès et de l'honneur à nos armes. On m'a promis soixante-trois caissons d'infanterie de rechange, un parc d'approvisionnement ; je n'ai rien reçu. L'ambulance n'est pas même attelée ; les renforts qu'on m'a promis n'arrivent pas ; je n'ai ni vivres, ni munitions, ni magasins... Bref, ma position au 1er juillet est la même que j'avais au 22 janvier, à part l'envoi d'une batterie de douze que je viens de recevoir après cinq mois d'attente... Un mot sur le bataillon de chasseurs dont je vous ai parlé : ce corps, entièrement composé de Flamands, est très mal habillé et n'a de chasseurs que le nom ; les officiers sont tous Français, à l'exception de cinq ; j'ai pu me convaincre qu'ils sont pour la plupart des échappés des carrefours de Paris, et que leur mission est ici de prêcher la république ; ils ne s'en cachent pas et le disent ouvertement ; j'appelle l'attention du gouvernement sur eux et sur leurs projets... ») Peut-être n’a-t-on pas oublié que lorsque le gouvernement avait voulu appeler momentanément des capacités étrangères, une vive (page 288) opposition s’était manifestée au sein du Congrès, et que les propositions ministérielles avaient été dénaturées par le corps législatif. Le gouvernement n'avait pas même tenté de mettre à exécution ces propositions ainsi mutilées, tant les paroles prononcées à la tribune avaient exalté la susceptibilité des officiers nationaux, tant avaient été violentes les protestations émanées de plusieurs associations patriotiques, tant était grande enfin la répugnance que l'on avait su inspirer à l'armée contre l'introduction d'officiers étrangers !

Un mois après l'époque dont nous parlons, lorsque le commandant de la citadelle d'Anvers dénonça subitement la reprise des hostilités, le nouveau roi des Belges se trouvait à Liége sans ministres. Bien qu'il eût conservé un calme presque stoïque, il ne pouvait se dissimuler les difficultés de sa position. « Encore, disait-il, si j'avais pu consacrer quelques mois à l'organisation de l'armée, je ne craindrais pas la lutte. Peut-être faudrait-il s'en féliciter ; l'armée et le pays s'attacheraient par un succès à leur nationalité naissante et au chef qui aurait combattu à leur tête ; mais être pris ainsi au dépourvu, cela est malheureux... » Il avait mandé auprès de lui M. Lebeau, qui venait de reprendre les fonctions d'avocat général à la cour de Liége, et l'avait interrogé sur l'état de l'armée. M. Lebeau dit franchement sa pensée ; le tableau qu'il traça le 2 août fera également connaître la situation de l'armée au 1er juillet. «L'armée ne manque ni d'ardeur ni de courage, dit-il. La garde civique est animée d'un vif sentiment national. Mais je ne puis cacher que, malgré les efforts louables et persévérants des divers officiers supérieurs qui ont dirigé le département de la guerre depuis la révolution, l'armée nouvelle doit, dans mon opinion, laisser beaucoup à désirer sous le rapport de l'organisation. Nous sommes trop près d'une révolution qui a relâché les liens de toute subordination et de toute discipline pour que l'armée ne (page 289) s’en ressente pas encore profondément. De là un grand obstacle  à sa réorganisation. Ajoutez-y l'incertitude sur l'issue de cette même révolution, incertitude qui jusqu'ici a dû exercer une fâcheuse influence sur l'esprit de l'armée. Quant à la garde civique, je la crois capable de faire des prodiges derrière des remparts, des barricades, ou retranchée dans les maisons, si l'ennemi osait s'engager dans les rues de nos villes ; mais peu exercée, organisée très incomplètement, je la crois incapable de soutenir un choc en plaine et de résister à la cavalerie et à l'artillerie... »

 

Politique française

 

Que serait-il arrivé si la guerre, dont la Hollande prit l'initiative au mois d'août, avait été entreprise par les Belges au mois de juillet ? Était-on bien sûr que la Belgique aurait pu vaincre les forces imposantes du roi de Hollande ? Mais, disait-on, la France interviendra. A quel titre ? Ne s'était-elle pas engagée à faire respecter la suspension d'armes ? Elle n'aurait donc pu se joindre aux Belges, violateurs de l'armistice, que pour accaparer les bénéfices de la victoire ou subir les conséquences de la défaite, allumant, dans l'un et dans l'autre cas, une guerre générale. Mais telle n'était pas, à coup sûr, la politique de Louis-Philippe ; c'était celle du National, hautement répudiée par le gouvernement français (Note de bas de page : Le National protestait contre l'avènement du prince Léopold et contre la politique qui tendait à tenir la Belgique hors des mains de la France. La limite du Rhin et la réunion, tel était son programme. Le 28 juin, deux jours avant la discussion des dix-huit articles, le National disait : « La France et l'Angleterre présentent aujourd'hui au monde le rare spectacle d'une union dont cette dernière au moins a tout lieu de se féliciter. Grâce à l'obséquieuse pusillanimité de notre cabinet, l'arbitrage de toutes les grandes questions soulevées par la révolution de juillet est tombé des mains de la France dans celles de sa plus ancienne rivale. Ce n'est plus à Paris, véritable métropole du libéralisme, c'est à Londres, l'arsenal et le comptoir de toutes les coalitions de despotes, que se traitent maintenant les intérêts de la liberté. Il est vrai qu'on veut bien admettre le représentant de notre royauté citoyenne à ces conciliabules des classiques monarchies ; mais c'est pour la condamner au même rôle que la restauration reçut ordre de remplir au congrès de Vérone ; c'est pour déshonorer encore une fois les baïonnettes françaises en les faisant servir, en 1831 contre la liberté belge, comme en 1823 contre la liberté espagnole. Cette  trop confiante Belgique qui nous tendait les bras en nous demandant un roi, n'était-ce pas assez de la repousser comme une mendiante suspecte et importune ? Fallait-il la forcer de s'abandonner aux homicides embrassements d'un Anglais ? Ces provinces si industrieuses, si fécondes, qui deux fois se sont offertes volontairement à la France ; cette ligne de forteresses élevées à nos frais contre nous à six journées seulement de notre capitale, ces quatre millions d'hommes, disons mieux, de concitoyens et de frères, acquisition que la France de Louis XIV n'eût pas crue trop chèrement payée du sang de cinquante mille braves, il en faut faire le sacrifice aux exigences de la Russie et à l'alliance précaire des Anglais ! Et nous avons reconquis le drapeau tricolore et le vieux Soult est à la tête de 500,000 soldats français ! »).  En admettant toutefois que la France (page 290) intervînt non pour suivre les Belges sur le sol hollandais, mais pour refouler, dans le cas d’une défaite, les troupes hollandaises au delà des frontières de la Belgique ; en admettant que cette intervention n'amenât aucune complication, que devenait le peuple signalé à l'Europe comme brandissant sans cesse la torche incendiaire ?

Les projets les plus sinistres pouvaient s'accomplir. La Belgique eût été mise au ban de l'Europe, immolée à la conservation de la paix générale, déchirée et peut-être flétrie !

 

Influence exercée par les démarches des agents de la Pologne insurgée sur la détermination des catholiques belges

 

 

Un autre motif, bien grave aussi, devait contribuer à grossir la majorité disposée à voter les dix-huit articles. Les Belges suivaient avec anxiété les péripéties de la révolution de Pologne et formaient les vœux les plus ardents pour le triomphe d'une cause qui avait tant de rapports avec leur propre révolution. L'Autriche n'avait pu se dissimuler que la reconstitution de la Pologne, (page 291) comme Etat indépendant, la sauverait peut-être un jour des étreintes de la Russie. Tout en ayant soin de ne pas se compromettre, le cabinet de Vienne sépara sa politique de celle des autres cabinets et fit entendre au gouvernement des insurgés qu'il n'était pas éloigné de favoriser le rétablissement de la nationalité polonaise, mais à ces deux conditions : la première que la Pologne accepterait pour roi un prince autrichien ; la seconde que la proposition en serait faite conjointement par la France et l'Angleterre. M. Walewski fut chargé d'aller sonder les dispositions du gouvernement français et du cabinet de Saint-James. Le Palais-Royal fit dépendre son concours de l'adhésion de l'Angleterre ; le cabinet de Saint-James, d'abord inflexible, donna aussi quelque espoir lorsqu'il sut que, par cette condescendance, il pouvait faciliter en Belgique l'adoption des dix-huit articles (Note de bas de page : Cet épisode a été très bien éclairci par l'auteur de l'Histoire de Dix Ans. « M. de Mérode, dit-il, ayant vu à Londres M. Walowski, et lui ayant fait part de la sympathie qu'inspiraient aux catholiques belges la cause des Polonais et leur courage, M. Walewski conçut l'espoir de servir utilement son pays. M. de Mérode ne paraissait pas douter que le parti catholique ne votât, dans le Congrès, pour l'acceptation des dix-huit articles, si, à cette condition, l'Angleterre promettait d'intervenir, conjointement avec la France, en faveur de la Pologne. Lord Palmerston, interrogé à cet égard, refusa de s'engager d'une manière formelle, mais il insinua que l'acceptation des dix-huit articles serait peut-être un éminent service rendu à la Pologne. Quant à M. de Talleyrand, il adopta chaudement ce projet, et promit de présenter en ce sens une note au gouvernement britannique. Sur cette assurance, un envoyé polonais, M. Zaluski, partit de Londres pour Bruxelles, et ses démarches contribuèrent beaucoup, en effet, à l'acceptation des dix-huit articles. » (Louis BLANC. Histoire de Dix Ans, chap. XII.)).  Un autre agent de la Pologne, M. Zaluski, arrivé à Bruxelles le 20 juin, se mit en rapport avec les membres influents du Congrès et ne tarda pas à faire connaître publiquement l'objet de sa mission dans la réponse (page 292) qu'il adressa à une députation de l’Association nationale.. « Quand la Pologne, au sein d'une guerre terrible et de tous les mouvements qu'elle entraîne, reporte, dit-il, avec tant d'intérêt et d'affection son regard sur la Belgique, elle puise pour elle-même quelque consolation en voyant que bientôt votre situation politique trouvera son complément et sa consolidation. Alors elle croira pouvoir se livrer à la juste attente de voir succéder à l'indifférence des preuves d'un intérêt réel, quelques efforts enfin dignes des gouvernements des deux nations les plus puissantes et les plus éclairées en faveur de sa noble cause... »

La Belgique pouvait donc influer sur le sort de la Pologne en sauvant sa propre nationalité. Le moment était suprême pour notre patrie. Après plus de deux siècles d'attente, après des calamités inouïes, laisserait-el le échapper l'occasion qui s'offrait de reconstituer son indépendance sur des bases honorables et solides ? Irait-elle réveiller les échos funèbres de Fleurus et de Waterloo ? Pousserait-elle le cri de guerre qui devait couvrir l'Europe de débris, plutôt que de prendre dans l'association des États une place qui fermerait pour longtemps l'abîme des révolutions belliqueuses ? La fatalité avait brisé le trône des archiducs Albert et Isabelle ; l'imprévoyance avait arrêté les destinées heureuses de la Belgique à la fin du XVIIIe siècle. Serait-il dit que l'expérience n'éclairerait pas l'intelligence du pays, et que, après tant de souffrances, une troisième catastrophe rejetterait les Belges sous la domination étrangère pour devenir la risée ou l'effroi des autres peuples ?

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