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« Histoire du Congrès national ou de la fondation de la monarchie belge », par Théodore JUSTE

 

Bruxelles, Librairie polytechnique d’Aug. Decq, 1850, 2 tomes (1er tome : Livres I et II ; 2e tome : Livres III et IV)

 

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INTRODUCTION

 

(page 1) Le royaume des Pays-Bas se composait de l'ancienne république des Provinces-Unies avec un accroissement de territoire, consistant dans les Pays-Bas autrichiens et la principauté de Liége. Cette combinaison avait été conçue pendant la campagne (page 2) de France, en 1814. Déposée dans les articles secrets du traité de Chaumont du 1" mars, avouée dans le traité de Paris du 30 mai, proclamée dans l'acte général du congrès de Vienne du 8 juin 1813, elle sortit enfin triomphante du grand désastre de Waterloo.

 

Origine du royaume des Pays-Bas. Lord Castlereagh justifie son œuvre dans la chambre des communes. 

But de l'union de la Hollande et de la Belgique.

 

Lord Castlereagh, véritable créateur du royaume des Pays-Bas, avait justifié son œuvre, le 20 mars 1815, dans la chambre des communes d'Angleterre. «Les puissance alliées, disait-il, ne sont pas moins convaincues que nous de l'importance dont il est pour la Hollande que la France ne possède pas les côtes jusqu'à l'extrémité des Pays-Bas, et c'est ce qui les a déterminées à consentir unanimement à cette union des deux pays, qui forme une des grandes améliorations que l'état de l'Europe ait reçues dans les temps modernes. Cette union n'a pas été considérée comme une concession à l'Angleterre ou au prince d'Orange en particulier. On y a vu un moyen de renforcer l'équilibre de l'Europe. C'est un royaume puissant par toutes les ressources du sol, du commerce et de la navigation. Il faut que l'art et la nature se réunissent pour le mettre en état de résister aux attaques qui pourraient être faites contre lui au nord à et l'ouest, au moins jusqu'à ce que Ies autres puissances puissent venir à son secours. » Ainsi le royaume des Pays-Bas n'était pas seulement une barrière élevée contre la France; c'était encore l'avant-garde de la coalition, et comme une tête de pont assez puissante pour résister au premier choc. Les forteresses des provinces méridionales, restaurées par l'ordre des puissances et avec les subsides de l'Angleterre, devaient être ouvertes à leurs troupes en cas de guerre ; leur surveillance (page 3) avait même été confiée au généralissime de la coalition, le duc de Wellington.

 

Traité de Londres du 20 juin 1814, destiné à garantir les intérêts des Belges. Il est méconnu par le nouveau roi des Pays-Bas. Suprématie hollandaise. Griefs des Belges.

 

On s’était précautionné contre un nouvel élan belliqueux de la France ; mais qu'avait-on fait pour rassurer et contenir le peuple, dont on venait de disposer par droit de conquête? « A mon avis, disait M. Withbread à la chambre des communes, le 13 février 1815, le meilleur moyen de garantir la Belgique, c'est de donner au peuple une constitution et un gouvernement pour lesquels il veuille combattre, et alors il ne faudra ni forteresses ni camps retranchés. En tout temps ces belles contrées ont été l'arène où les grandes puissances se sont combattues ; aujourd'hui, si elles doivent rester hollandaises, il faut les rendre fortes par une liberté constitutionnelle. » Ces sages conseils ne furent pas perdus. Les puissances s'efforcèrent d'obtenir la fusion des deux pays. Le traité de Londres du 20 juin 1814, que Guillaume Ier aurait dû ne jamais oublier, décrétait que la réunion serait intime et complète, qu'une protection égale serait accordée à tous les cultes, que les provinces belges seraient convenablement représentées à l'assemblée des états généraux, enfin que tous les habitants des Pays-Bas devaient être constitutionnellement assimilés entre eux. Mais Guillaume I" ne put oublier son origine : il resta Hollandais sur le trône, et deux millions de Hollandais dominèrent quatre millions de Belges. Le royaume des Pays-Bas, suivant les expressions d'un de nos historiens, ne fut que la continuation de l'ancienne république des Provinces-Unies, transformée en monarchie et dotée d'un accroissement de territoire.

Les provinces méridionales du nouveau royaume avaient rejeté, (page 4) par les votes de leurs notables, la loi fondamentale déjà en vigueur dans les provinces du nord. Le roi, par une proclamation du 24 août 1815, déclara néanmoins la Constitution acceptée par les Belges ! Ce début annonçait toute la série des mesures oppressives ou malhabiles qui aboutirent à une révolution.

La suprématie hollandaise, inaugurée par la fraude, devait constamment chercher à prévaloir sur les provinces du midi et à effacer l'individualité des Belges. La Hollande professait le calvinisme : le gouvernement persécuta les catholiques, ferma leurs écoles et leurs séminaires, et prétendit, par l'institution du collège philosophique, faire un jour du clergé l'instrument docile de ses desseins. La langue française ou wallonne était employée dans la plus grande partie du midi : elle fut proscrite, et la connaissance de la langue hollandaise devint la condition principale pour l'admission aux emplois. La Hollande, où la consommation du pain et de la viande était infiniment moindre qu'en Belgique, supportait patiemment les impôts de la mouture et de l'abatage ; on les étendit aux provinces méridionales, où ils devinrent une source de privations pour les classes inférieures (Note de bas de page : On n'ignore point que l'impôt de la mouture se payait sur le grain et la farine introduits dans les villes. L'impôt de l'abatage se prélevait sur le poids général des viandes de boucherie, et après que les droits d'octroi sur l'animal vivant avaient déjà été acquittés à son entrée dans la ville). Les puissances avaient promis aux Belges la liberté constitutionnelle, à laquelle ils étaient habitués depuis quatre siècles, et cette promesse, quoique inscrite dans la loi fondamentale, était également violée. En effet, les conditions essentielles du gouvernement représentatif furent déniées au pays : des arrêtés dénaturèrent le pouvoir (page 5) électoral, et, partant, le principe même de la représentation ; l'inamovibilité judiciaire, promise par la Constitution, fut ajournée; la liberté de la presse fut confisquée par des ordonnances et des procès ; enfin la royauté voulut étendre son inviolabilité jusqu'à ses ministres

Les Belges se plaignaient sans cesse, hautement, énergiquement, par des pétitions couvertes d’innombrables signatures et par la voix de leurs députés aux états généraux. Mais ces plaintes étaient étouffées. Quoique la population du midi fût double de celle du nord, la représentation était égale pour les deux parties du royaume. Il résultait de cet arrangement que, par la pusillanimité ou la défection de quelques députés belges, la victoire n'échappait jamais à la majorité hollandaise. Un moment vint néanmoins où les protestations, apportées au pied du trône par un pétitionnement général, troublèrent l'impassibilité du monarque. En faisant droit à des réclamations légitimes, le gouvernement aurait pu encore conjurer l'orage ; mais frappé d'aveuglement, il se roidit contre la manifestation des vœux de la majorité, et courut à sa perte.

 

Message royal du 11 décembre 1829. Révolution de juillet. Troubles en Belgique.

 

Le message royal du 11 décembre 1829 fut considéré par les patriotes comme une menace. Le prince, élu du congrès de Vienne, déclarait que les doctrines constitutionnelles des Belges étaient contraires aux droits de sa Maison, droits qu’il avait restreints de son propre mouvement ! Irrité contre les adversaires de la suprématie hollandaise, Guillaume I" avait jugé utile de communiquer aux députés de la nation son opinion personnelle sur la marche de son gouvernement : « Au milieu de la paix au dehors, de la tranquillité au dedans, au sein de la (page 6) prospérité de tant de branches d industrie, sous le régime de lois modérées et de la liberté politique et civile, nous voyons, disait-il, un petit nombre de nos sujets, abusés par l'exagération et excités pur l'effervescence de malintentionnés , méconnaître tous ces bienfaits, et se mettre en opposition, de la manière la plus dangereuse et la plus scandaleuse, avec le gouvernement, les lois et mes intentions paternelles. La licence de la presse, de cette presse dont nous aurions désiré assurer la liberté avec moins d'entraves que dans tout autre pays de l'Europe, n'a malheureusement que trop contribué à semer l'inquiétude, la discorde et la méfiance ; à propager des doctrines aussi subversives des institutions sociales, quelle que soit d'ailleurs la forme de l'administration de l'État, qu'entièrement contraires au gouvernement des Pays-Bas établi par la loi fondamentale, et à ces droits de notre Maison , que nous n'avons jamais désiré exercer d'une manière illimitée, mais que, de notre propre mouvement, nous avons restreints autant que nous l'avons jugé compatible avec la prospérité durable, les mœurs et le caractère de la nation. »

Ces paroles du trône, si offensantes pour le pays annexé à la Hollande comme accroissement de territoire, retentirent douloureusement dans le cœur des Belges, augmentèrent la haine qu'ils nourrissaient contre la domination étrangère, et hâtèrent une explosion dès lors inévitable.

Depuis la formation des États indépendants issus de l'empire carlovingien, la nationalité belge n'avait pas cessé d'exister, tantôt triomphante, tantôt opprimée, mais toujours persistante et vivace. Ni l'Espagne, ni l'Autriche, ni la France, ni la Hollande n'avaient (page 7) pu altérer les mœurs indigènes, encore moins détruire ce sentiment patriotique qui brave l'oppression et qui attend le moment propice pour se faire jour.

Ce moment arriva. Le 25 juillet 1830, Charles X avait lancé un défi superbe à la France, mécontente de la réaction ultra-monarchique, aristocratique et sacerdotale, qui caractérisa les dernières années de la Restauration. Trois jours après, le trône des Bourbons aînés était renversé par le peuple de Paris ; et tandis que Charles X s'acheminait vers Holy-Rood, Louis-Philippe d'Orléans était proclamé ( le 9 août ) roi des Français par la chambre des députés. On disait, on espérait que la France avait renouvelé chez elle la révolution de 1688, qui a donné une si grande stabilité à l'Angleterre.

Une révolution était mûre aussi en Belgique. Toutefois, nous devons faire observer, avec un publiciste hollandais, que les événements de Paris ne pouvaient pas produire la matière inflammable ; que si elle n'avait préexisté dans le mécontentement qui résultait des griefs, la révolution française de juillet n'aurait pas atteint la Belgique. Il ne pouvait être question ici de contraindre Guillaume I" à s'embarquer à Scheveningue sur une barque de pêcheurs, comme en 1795 ; le roi était à la Haye, et s appuyait sur l'affection de la nation hollandaise. Il s'agissait uniquement de délivrer le sol belge en brisant l'union opérée par le congrès de Vienne.

Le mouvement insurrectionnel, dont Bruxelles donna le signal dans la nuit du 25 au 26 août, embrassa bientôt la Belgique entière. Le peuple se leva pour reconquérir ses droits. La bannière des Nassau fut proscrite et remplacée par les antiques (page 8) couleurs brabançonnes que quelques jeunes gens avaient arborées, dès le 27, à l’hôtel de ville de Bruxelles, devant une foule immense qui saluait de ses applaudissements enthousiastes le drapeau national.

 

Les Belges demandent la séparation administrative des deux pays réunis par le congrès de Vienne. Session extraordinaire des états généraux à La Haye.

 

Cependant les vœux de la majorité, communiqués au roi, s’arrêtaient à une séparation administrative entre les provinces méridionales et les provinces septentrionales du royaume avec le maintien des droits de la dynastie régnante. Pressé par l’urgence des circonstances, le roi convoqué les états généraux à la Haye pour le 13 septembre, en session extraordinaire. Au jour fixé, Guillaume Ier se rendit au milieu des députés du royaume,, et prononça le discours suivant :

« Nobles et Puissants Seigneurs, la session extraordinaire de Vos Nobles Puissances, qui s’ouvre aujourd’hui, est devenue urgente par le cours d’événements déplorables.

« En paix et en bon accord avec tous les peuples de cette partie du monde, les Pays-Bas avaient vu récemment se terminer heureusement la guerre dans les possessions d’outre-mer. Tout y prospérait en repos par l’ordre, le commerce et l’industrie. Je m’occupais sans relâche du soin d’alléger les charges du peuple et d’introduire peu à peu dans l’administration intérieure les améliorations que l’expérience avait indiquées, quand tout à coup à Bruxelles, et d’après cet exemple, bientôt aussi dans quelques autres endroits du royaume, éclata une insurrection caractérisée par des scènes d’incendie et de pillage, dont le tableau serait trop douloureux pour cette assemblée, pour mon cœur, pour la nation et pour l’humanité.

« En attendant le concours de Vos Nobles Puissances dont la (page 9) convocation a été ma première pensée, on a pris immédiatement toutes les mesures qui dépendaient de moi, pour arrêter les progrès du mal, pour protéger les bien pensants contre les malintentionnés, et pour détourner de la Néerlande le fléau de la guerre civile.

« Remonter à la nature et à la source de ce qui s'est passé, en pénétrer avec Vos Nobles Puissances le but et les conséquences, est, dans l'intérêt de la patrie, actuellement moins nécessaire que de rechercher les moyens par lesquels le repos et l'ordre, l'autorité et la loi soient non-seulement temporairement rétablis, mais puissent être dorénavant garantis d'une manière beaucoup plus solide.

« Dans l'intervalle, Nobles et Puissants Seigneurs, par la lutte des opinions, par l'agitation des passions et par la discordance des vues et des projets, c'est une tâche d'une haute difficulté que de concilier mes désirs pour le bonheur de mes sujets avec les devoirs que j'ai contractés et jurés envers tous.

« C'est pourquoi j’invoque votre sagesse, votre modération, votre fermeté, pour concerter, avec la sanction des représentants de la nation , et de commun accord avec eux, ce qu'il convient de faire dans ces douloureuses circonstances pour le bien-être de la Néerlande.

« De plusieurs côtés on pense que le salut de l'État serait obtenu par une révision de la loi fondamentale, et même par une séparation de contrées unies par des traités et par la loi fondamentale.

« Mais une telle demande ne peut être mise en délibération que selon la voie tracée par cette même loi fondamentale, dont (page 10) toutes les dispositions ont été solennellement jurées par nous.

« Cette importante demande sera l’objet principal de vos délibérations.

« Je désire connaître sur ce point l'opinion et les vues de votre assemblée, qui les donnera avec cette franchise et ce calme que requiert si particulièrement la grande importance de l'affaire. De mon côté, désirant par-dessus tout le bonheur des Néerlandais, dont la divine providence a confié les intérêts à mes soins, je suis tout prêt à coopérer, avec votre assemblée, aux mesures qui peuvent conduire au but.

« Cette session extraordinaire a pour objet ultérieur de faire connaître à Vos Nobles Puissances que les intérêts du royaume, au milieu des circonstances actuelles, demandent impérieusement la réunion de la milice nationale au delà du temps fixé pour l'époque ordinaire des exercices.

« Les crédits actuels peuvent provisoirement suffire aux dépenses de cette réunion prolongée de la milice, ainsi qu'aux dépenses qui résulteront nécessairement de la révolte. Cependant la régularisation ultérieure de ces dépenses devra faire l'objet de vos délibérations dans la prochaine session ordinaire.

« Nobles et Puissants Seigneurs, je compte sur votre fidélité et votre patriotisme.

« Me rappelant l'orage des révolutions qui a aussi grondé sur ma tête, j'oublierai aussi peu le courage , l'amour et la fidélité qui ont renversé le despotisme, fondé l'existence nationale, et mis le sceptre dans nos mains, que la valeur qui, sur le champ de bataille, a étayé le trône et assuré l'indépendance de la patrie.

(page 11) « Tout préparé à aller au-devant des vœux équitables, je ne céderai jamais à l'esprit de parti, et je ne consentirai jamais à des mesures qui sacrifieraient le bien-être et les intérêts de la patrie aux passions et à la violence.

« Le vœu de mon cœur est de concilier autant que possible tous les intérêts.»

En déclarant qu'il ne céderait jamais à l’esprit de parti, le roi faisait directement allusion à l'opposition belge, et dévoilait qu'il ne ratifierait pas volontairement la séparation désirée. Il fut néanmoins donné communication à la seconde chambre des états généraux d’un message par lequel le roi invitait les députés à prendre immédiatement en considération réglée et attentive les deux points suivants :

1° Si l'expérience avait indiqué la nécessité de modifier les institutions nationales ;

2° Si, dans ce cas, il convenait, dans l'intérêt du bien général, de changer ce qui était établi par des traités et la loi fondamentale entre les deux grandes divisions du royaume.

Le roi exprimait le désir de recevoir sans retard la communication libre et franche des sentiments des représentants du peuple néerlandais sur ces questions importantes, afin de concerter avec eux, d'après les circonstances, les moyens qui pourraient mener à l'accomplissement de leurs intentions.

 

Une armée est envoyée contre Bruxelles.  Journées de septembre 1830

 

Des débats solennels s'ouvrirent immédiatement sur l'adresse et sur le message royal. Ils furent précipités par la marche rapide des événements. Le 29 septembre, le royaume des Pays-Bas était détruit en même temps à la Haye et à Bruxelles, ici par un combat héroïque, là par un vote décisif. Cinquante députés (page 12) contre quarante-quatre prononcèrent la séparation des deux parties du royaume ; cinquante-cinq députés contre quarante-trois reconnurent la nécessité de faire des changements à la Constitution (Note de bas de page ; « Plusieurs députés belges, et notamment ceux d'Anvers, se prononcèrent contre la séparation, tandis que plusieurs Hollandais la votèrent conjointement avec nous. Ceux-là craignaient qu'une des suites de cette mesure ne fût d'entraver la navigation de l'Escaut ; ils craignaient aussi de perdre le commerce avec les colonies. Les Amsterdamois et les Rotterdamois, au contraire, espéraient recouvrer l'entière liberté de leur trafic, gênée au profit de l'industrie et des manufactures belges. » Histoire du royaume des Pays-Bas, par M. DE GERLACHE, 2e édition, t. 11, p. 64). Le gouvernement avait feint de donner satisfaction à l'opinion publique en soumettant ces grandes questions aux délibérations des états généraux ; mais, en réalité, il attendait la soumission de Bruxelles pour restaurer l’œuvre de 1815.

Dans le moment même où le corps législatif examinait la question de séparation, les troupes royales s'avançaient vers Bruxelles, et le prince Frédéric des Pays-Bas faisait publier la proclamation suivante :

« PROCLAMATION AUX HABITANTS DE BRUXELLES. »

« Bruxellois ! le Roi, notre auguste père, s'occupe, de concert avec les représentants de la nation, et de la seule manière qui soit compatible avec leurs serments, d'examiner attentivement les vœux émis par vous.

« Cependant l'ordre est sans cesse troublé dans vos murs ; (page 13) tandis qu'avec un zèle et une activité dignes des plus grands éloges, vous veillez à la défense des propriétés publiques et particulières, un petit nombre de factieux, cachés parmi vous, excitent la populace au pillage , le peuple à la révolte, l'armée au déshonneur ; les intentions royales sont dénaturées, les autorités sans force, la liberté opprimée.

« Conformément aux ordres du Roi, nous venons apporter à cet état de choses qui ruine votre cité et éloigne de plus en plus, pour cette résidence royale, la possibilité d'être le séjour du monarque et de l'héritier du trône, le seul remède véritable et efficace, le rétablissement de l'ordre légal.

« Les légions nationales vont entrer dans vos murs, au nom des lois et à la demande des meilleurs citoyens, pour les soulager tous d'un service pénible et leur prêter aide et  protection.

« Ces officiers, ces soldats, unis sous le drapeau de l'honneur et de la patrie, sont vos concitoyens, vos amis, vos frères. Ils ne vous apportent point de réaction ni de vengeance, mais l'ordre et le repos. Un généreux oubli s'étendra sur les fautes et les démarches irrégulières que les circonstances ont produites.

« Les auteurs principaux d'actes trop criminels pour espérer d'échapper à la sévérité des lois, des étrangers qui, abusant de l'hospitalité, sont venus organiser parmi vous le désordre, seront seuls justement frappés; leur cause n'a rien de commun avec la vôtre.

« En conséquence, nous avons ordonné et nous ordonnons ce qui suit, en vertu des pouvoirs à nous confiés :

(page 14) « ART. 1er. Les troupes nationales rentreront dans Bruxelles.

« ART. 2. Tout obstacle a leur marche sera enlevé par les soins de l'autorité municipale, de la garde urbaine, de la commission de sûreté et de tous les bons habitants.

« ART. 3. Les postes de la garde urbaine seront successivement remis aux troupes nationales.

« Nous statuerons ultérieurement sur le mode de service de ladite garde.

« ART. 4. Les individus armés, étrangers à la ville, se retire ront sans armes dans leurs foyers. Toute troupe armée, appartenant à d'autres communes, qui se rendrait à Bruxelles, sera invitée à se retirer, et, au besoin, dissipée par la force publique.

« ART. 5. Les couleurs adoptées, comme marques distinctives, par une partie de la garde urbaine, seront déposées.

« Nous nous réservons de déterminer les signes de ralliement qu'elle sera autorisée à porter.

« ART. 6. L'administration municipale, le comité de sûreté, le conseil et les chefs de la. garde urbaine, veilleront à l'exécution des dispositions qui précèdent, en ce qui les concerne, ainsi qu'au maintien de l'ordre, jusqu'à ce que les troupes aient effectué leur entrée.

« ART. 7. Les membres de ces corps sont déclarés personnellement responsables, à dater de la notification des présentes, de toute résistance qui pourrait être apportée à la force publique, comme aussi de l'emploi illégal des deniers publies ou municipaux, armes et munitions.

« ART. 8. La garnison sera, le plus tôt possible, casernée ou (page 15) campée, de manière à ne point être à charge aux habitants; elle observera la plus exacte discipline.

« Toute résistance sera repoussée par la force des armes, et les individus coupables de cette résistance, qui tomberont entre les mains de la force publique, seront remis au juge compétent pour être poursuivis criminellement.

« Fait à notre quartier général à Anvers, Ie 21 septembre 1830.

« FRÉDÉRIC, prince des Pays-Bas. »

Cette proclamation eut le sort du discours du trône : elle fut brûlée par le peuple exaspéré contre la domination hollandaise et résolu à vaincre ou à s'ensevelir sous les ruines de la vieille cité brabançonne.

Le 23 septembre, une armée de dix mille hommes, commandée par le prince Frédéric des Pays-Bas, vient occuper le Parc et la partie haute de Bruxelles. Mais, pendant quatre jours, les troupes royales furent contenues par un millier d'intrépides volontaires. Maîtres des hôtels qui environnent le Parc, embusqués derrière quelques barricades élevées à la hâte, les patriotes enfermèrent les Hollandais dans un cercle de feu. Toutefois, Bruxelles aurait bientôt succombé si la bravoure aventureuse de cette poignée d'héroïques volontaires, combattant pour la patrie et la liberté, n'avait fasciné et démoralisé les chefs et les soldats de l'armée royale. Chaque soir le feu cessait, les bourgeois abandonnaient leur poste, et à peine une seule sentinelle demeurait-elle près des barricades. Quelques compagnies résolues, en profitant de la sécurité des patriotes et des ombres de la nuit, auraient donc pu facilement s'emparer à la baïonnette de ces édifices et de ces (page 16) barricades, qui vomissaient la mort pendant le jour, et conduire ensuite l'armée au centre de la ville. Mais les Hollandais reculèrent devant cette tentative, et, après quatre jours de combat, désespérèrent de la victoire. Le lundi, 27 septembre au matin, l'armée du prince Frédéric opéra sa retraite vers Malines, et Bruxelles fut libre. Six cents Belges étaient tombés au pied des barricades, cimentant par leur sang l'indépendance de la patrie !

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