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« La Belgique sous le règne de Léopold Ier. Etudes d’histoire contemporaine », par J.J. THONISSEN

2e édition. Louvain, Vanlinthout et Peeters, 1861, 3 tomes

 

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TOME 2

 

CHAPITRE XX – CONVENTION MILITAIRE DE ZONHOVEN (Juillet – Novembre 1833)

 

20.1. Importance historique de la convention militaire de Zonhoven

 

(page 157) Bien que la convention militaire de Zonhoven, considérée en elle-­même, n'offre qu'une importance secondaire, elle mérite d'attirer l'attention de l'historien, parce qu'elle est le premier acte diploma­tique intervenu entre la Belgique et la Hollande. C'est au village de Zonhoven (Limbourg) que, pour la première fois, les mandataires de Guillaume Ier ont négocié, sur le pied d'une parfaite égalité, avec ceux qu'ils appelaient les rebelles des provinces méridionales.

Ces relations directes entre les gouvernements de Bruxelles et de La Haye furent le résultat de l'article IV de la convention du 21 Mai, ainsi conçu: « Immédiatement après l'échange des ratifications de la présente convention, la navigation de la Meuse sera ouverte au commerce, et jusqu'à ce qu'un règlement définitif soit arrêté à ce (page 158) sujet, elle sera assujettie aux dispositions de la convention signée à Mayence le 31 Mars 1831, pour la navigation du Rhin, en autant que ces dispositions pourront s'appliquer à la dite rivière. - Les communications entre la forteresse de Maestricht et la frontière du Brabant septentrional et entre la dite forteresse et l'Allemagne seront libres et sans entraves. 

 

20.2. Circonstances à l’origine de la convention de Zonhoven

 

La disposition était complexe ; elle consacrait deux obligations cor­rélatives : la Hollande devait accorder la libre navigation de la Meuse, la Belgique était tenue de ne pas entraver les communications militaires de Maestricht avec l'Allemagne et le Brabant septentrional.

Le germe d'une négociation directe entre les deux peuples était déposé dans cet engagement réciproque. Quels sont les articles de la convention de Mayence susceptibles d'être appliqués à la navigation de la Meuse ? Quelles seront les obligations des bateliers dans leur passage à travers la forteresse de Maestricht ? Quelle route assignerai­t-on aux détachements hollandais allant à cette forteresse ou retour­nant dans leur patrie ? Quelles mesures conviendra-t-il de prendre pour concilier ce droit de passage avec les garanties réclamées par les intérêts militaires et commerciaux des Belges ? Tous ces points délicats ne pouvaient être mieux fixés que par une convention parti­culière entre les deux peuples intéressés.

La Hollande fit le premier pas, en demandant que des commissaires fussent nommés pour régler, par une convention spéciale, les condi­tions du passage de ses troupes.

Notre gouvernement accéda à cette demande, et, vers le milieu de Juillet, des commissaires hollandais et belges se réuniront à Zonho­ven. Leurs entretiens eurent d'abord pour unique objet la conclusion d'une convention militaire. Le cabinet de Bruxelles, rassuré par le texte formel de la convention du 21 Mai, croyait que le gouvernement néerlandais s'empresserait d'appliquer à la Meuse le régime d'une navigation sans entraves (Note de bas de page : De part et d'autre on avait voulu conserver aux conférences de Zonhoven le caractère d'une négociation exclusivement militaire. Le commandant des troupes belges stationnées dans le Limbourg (baron Hurel) avait désigné comme commissaires le colonel Willmar, directeur des fortifications, et le lieutenant­-colonel Trumper, chef de l'état-major de la 1ere division. Le duc de Saxe- Weimar, commandant la 2e division de l'armée des Pays-Bas, et le général Dibbets, com­mandant supérieur de Maestricht, devaient choisi pour représentants le major de Gagern, chef de l'état-major de la 2. division, et le major Manso, commandant le 1er bataillon du 13e régiment d'infanterie. - La première séance eut lieu le 11 Juillet).

(page 159) Des difficultés surgirent à l'égard du choix de la route militaire et de la force numérique des détachements qui seraient autorisés à la suivre ; mais, comme ces controverses ne portaient que sur des ques­tions d'exécution, on s'attendait à les voir bientôt disparaître, lors­que tout à coup le gouvernement belge apprit que le général Dibbets, commandant néerlandais de Maestricht, entravait la navigation de la Meuse par des péages et des visites inconciliables avec la convention de Mayence. Indépendamment du droit de navigation alloué par le tarif du Rhin, le général exigeait la perception du droit provincial établi par un arrêté royal du 17 Décembre 1819. Au lieu de réunir le bureau de recette à celui de la visite autorisée par la convention de Mayence, il avait établi l'un au dehors et l'autre à l'intérieur de la forteresse, obligeant ainsi les bateliers à s'arrêter deux fois, sans autre résultat que d'interrompre inutilement la navigation de la rivière. Il avait en outre prescrit des mesures vexatoires pour le passage des voyageurs, les heures d'entrée et de sortie des bateaux, le transit des armes et le transport des munitions de guerre.

En présence de cette attitude peu conciliante des autorités de Maes­tricht, le gouvernement belge n'avait qu'un seul parti à prendre. Il prescrivit à ses agents d'exiger, indépendamment de la convention militaire, la nomination d'une commission nouvelle pour régler les difficultés relatives à la navigation de la Meuse.

Les commissaires hollandais refusèrent de suivre cette marche. A leur avis, l'article IV de la convention du 21 Mai était pleinement exécuté quant à la navigation de la Meuse, et dès lors les routes militaires devaient seules faire l'objet d'un arrangement direct entre les représentants des armées des deux peuples.

Ces prétentions contradictoires, bientôt envenimées par les décla­mations de la presse et les plaintes bruyantes des bateliers de Liége, amenèrent la suspension des conférences de Zonhoven. Les deux cabi­nets s'adressèrent simultanément aux plénipotentiaires des puissances médiatrices. A la différence du caractère européen imprimé aux négo­ciations relatives à l'exécution des vingt-quatre articles, le patronage (page 160) diplomatique était ici exercé par l'Angleterre et la France, qui avaient conclu la convention du 21 Mai et en avaient garanti l'exécution.

Grâce à l'intervention des cabinets des Tuileries et de St-James, les griefs allégués par les Belges ne tardèrent pas à disparaître. Dans une note remise, le 14 Septembre, à lord Palmerston et au prince de Talleyrand, MM. Verstolk et Dedel reconnurent en faveur de nos bâti­ments le droit de libre navigation sur tout le cours de la Meuse depuis la mer jusqu'à la province de Liége. Le général Dibbets cessa d'exiger la perception du droit provincial ; il réunit le bureau de recette au bureau de la visite ; il permit à chaque batelier de prendre dix passagers non militaires, en sus des hommes de l'équipage ; il auto­risa le transit des armes et des munitions de guerre ; il multiplia les heures de passage, de manière à n'imposer aux bâtiments d'autre retard que celui du temps strictement requis pour la visite ; bref, il modifia ses ordres antérieurs de manière à ne plus laisser à nos bateliers, de leur propre aveu, aucun sujet de plainte.

Le gouvernement belge crut que, dans ces circonstances, les négo­ciations de Zonhoven pouvaient être utilement reprises. Le 26 Octo­bre, de nouveaux pouvoirs furent adressés à nos commissaires (Note de bas de page : Le 14 Novembre, le comité de l'association des bateliers du bassin de la Meuse, établie à Liége, déclara officiellement que tous les griefs du batelage avaient cessé (V. les rapports des ministres des Affaires étrangères et de la Guerre, cités ci-après).

 

20.3. Le contenu de la convention

 

Cette fois les pourparlers marchèrent rapidement vers une solution satisfaisante. Comme les mesures prises en faveur des bateliers belges avaient été officiellement notifiées à nos plénipotentiaires, les minis­tres cessèrent d'exiger une convention spéciale pour la navigation de la Meuse. L'article IV de la convention du 21 Mai, exécuté dans le sens des ordres que nous avons analysés, suffisait désormais pour dissiper toutes les craintes et calmer toutes les susceptibilités légiti­mes. Un arrangement exclusivement militaire répondait à toutes les exigences de la situation. Il suffisait de constater, dans le préambule de l'acte, la liberté effective de la Meuse et la remise de la note du 14 Septembre aux plénipotentiaires des puissances médiatrices. Les Belges ayant obtenu tout ce qu'ils pouvaient désirer, il ne s'agissait plus que d'une question de forme dénuée d'importance réelle.

Quelle route devra servir aux communications de la garnison de (page 161) Maestricht avec le Brabant septentrional ? Tel était le premier pro­blème à résoudre. Les Hollandais demandaient le passage par Winter­slagen, Houthalen, Helchteren, Hechtel et Lommel. Cette route était incontestablement la plus commode, parce que les troupes, à partir du village de Houthalen, auraient pu se servir de la chaussée de Hasselt à Bois-le-Duc. Mais nos commissaires objectaient, d'une part, que le village de Houthalen se trouvait à deux lieues à peine du chef-­lieu du Limbourg belge, de l'autre, que des considérations straté­giques d'une haute importance ne leur permettaient pas de souscrire à l'abandon, même momentanée, de la route pavée conduisant de Hasselt à la frontière. Après de longs débats, les commissaires néer­landais finirent par accepter la route allant de Maestricht au Brabant septentrional par Asch, Brée et Achel. Comme celle-ci traverse un pays de bruyères et ne rencontre que la seule petite ville de Brée, elle offrait à tous égards le moins de chances de conflit pour les Hollandais et le moins de désavantages pour les Belges. Il fut seulement convenu que, pendant la mauvaise saison et lorsque la route de Brée serait impraticable, les voitures de transport pourraient suivre la chaussée de Bois-le-Duc à Hasselt, depuis la frontière jusqu'à Helchteren, pour se diriger de là sur Maestricht par Winterslagen.

Ce point fondamental fixé, les autres mesures à prendre n'étaient plus que des détails d'exécution. Un accord définitif fut enfin conclu le 18 No­vembre 1833. Les Hollandais s'engageaient à ne jamais mettre en marche plus d'un bataillon par jour. Les détachements de cavalerie ou com­posés de diverses armes ne pouvaient dépasser cinq cents hommes par vingt;quatre heures. La ville de Brée était désignée pour lieu d'étape, et les soldats hollandais pouvaient y réclamer des billets de logement, moyennant une indemnité de 35 cents (fr. 0,75) par homme et par jour. Un commissaire belge et un commissaire hollandais devaient résider à Brée pour veiller à l'exécution de la convention. Celle-ci ne pouvait être dénoncée que quinze jours à l'avance (Note de bas de page : C'est à tort que la convention est datée de Zonhoven; elle fut en réalité conclue et signée au château de Vogelsang, sous la commune de Zolder).

 

20.4. Les réactions parlementaires

 

 A cette époque, où tout acte émané du gouvernement était tou­jours attaqué avec une violence extrême, la convention de Zonhoven ne pouvait échapper au sort commun. Le ministère avait de nouveau (page 162) sacrifié l'honneur, la dignité et les intérêts du pays ; il avait violé la Constitution en ratifiant, sans l'assentiment préalable des Chambres, un pacte onéreux pour les habitants du Limbourg ; il avait compromis la navigation de la Meuse, en acceptant comme suffisantes de simples assurances données par les agents d'un ennemi perfide : telles étaient, cette fois encore, les hyperboles du langage de l'opposition.

Le grief le plus spécieux était l'absence d'une clause expresse con­cernant la libre navigation de la Meuse. Mais la Hollande avait fini par exécuter loyalement la convention du 21 Mai ; elle nous avait mis en possession de tous les avantages que cette convention pouvait nous procurer ; les ordres qu'elle avait donnés à ses agents étaient rappelés dans le préambule de l'arrangement militaire ; elle avait accueilli les réclamations de la Belgique, et l'abandon de ses exigences primitives se trouvait consigné dans une dépêche officielle de ses mandataires à Londres. Fallait-il, avec une persistance puérile, continuer à réclamer un article constatant les droits des bateliers de la Meuse, lorsque ces droits étaient pleinement reconnus par la Hollande ? N'était-il pas mille fois préférable de s'entendre immédiatement sur les seuls points encore en litige ? Les obligations imposées à la Hollande étant indiquées dans le préambule, la libre navigation de la Meuse servait en quelque sorte de base à la convention militaire ; et comme celle-ci pouvait être dénon­cée sans autre condition qu'un avertissement préalable de quinze jours, les Belges avaient toujours le moyen de se replacer dans le statu quo, aussitôt que leurs adversaires porteraient atteinte à la liberté fluviale garantie par la convention du 21 Mai.

On blâmait encore les ministres, parce qu'ils avaient autorisé les Hol­landais à traverser une partie du Limbourg, et surtout parce qu'ils leur avaient accordé un droit d'étape à Brée. Mais le passage des soldats néer­landais n'était pas chose nouvelle. La Hollande possédait cette faculté de­puis le jour où la Belgique avait adhéré au protocole du 4 Novembre 1830 ; car ce document diplomatique portait en termes exprès que les Belges devaient respecter les libres communications de la garnison de Maes­tricht avec le Brabant septentrional et avec l'Allemagne. Quant à l'étape concédée aux troupes ennemies, à charge de payer elles-mêmes leurs frais de logement et de nourriture, le grief était si peu sérieux que l'administration locale de Brée, et même celles des villages voisins de Beek et de Gerdingen, s'étaient déclarées prêtes à héberger les troupes néerlandaises au taux stipulé dans la convention.

(page 163) Les orateurs de l'opposition avaient tort d'invoquer ici les articles de la Constitution qui exigent le concours des Chambres pour la mise en vigueur de certains traités internationaux ; car il ne s'agissait que d'un contrat purement militaire, conclu entre deux généraux d'armée agis­sant dans l'étendue de leurs commandements respectifs. L'étape n'était en réalité que la régularisation d'un droit préexistant. Quand le pas­sage est trop long pour être effectué dans un jour, celui qui en jouit possède la faculté de passer la nuit en chemin. En droit public, aussi bien qu'en droit privé, l'existence d'une servitude emporte la conces­sion de tout ce qui est nécessaire à son exercice (Note de bas de page : On accusait même les ministres d'avoir violé l'article 121 de la Constitution, tandis que, depuis le ler Octobre 1831 , une loi avait autorisé le gouvernement à consentir au passage d'une armée étrangère).

 Aux yeux de tout homme exempt de préventions politiques, l'arran­gement était avantageux aux deux peuples. Si les Hollandais obtenaient le libre passage entre Maestricht et le Brabant septentrional, les Belges, mis en possession de la navigation de la Meuse, se trouvaient en me­sure de réaliser de notables économies dans le budget de la guerre. Pendant la durée des négociations, les dépenses extraordinaires occa­sionnées par le cantonnement de nos troupes dans le Limbourg s'étaient élevées à 30,000 francs par jour. « Comment, disait le général Goblet, blâmer un acte qui assure à plusieurs de nos provinces industrielles, encore souffrantes des suites de la révolution, des avantages incon­testables qui déjà ont eu des effets très sensibles sur leur bien-être et promettent de s'agrandir successivement ; un acte qui a soustrait le Limbourg fatigué, épuisé par la présence d'un nombreux corps d'armée, à toutes les conséquences, à tous les inconvénients que la permanence de cette situation entraînait avec elle...; un acte enfin qui, écartant tout motif de collision nouvelle, permet au départe­ment de la Guerre de continuer les réductions commencées dans l'armée et de rentrer dans la voie des économies dont la prudence politique lui avait fait un devoir de s'écarter momentanément ? » (Note de bas de page : Voy. pour la convention de Zonhoven, les rapports faits à la Chambre des Représentants par les ministres des Affaires étrangères et de la Guerre, dans les séances du 2 et du 3 Décembre 1833 (Bruxelles, Remy, 1833, in,8°).

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