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« La Belgique sous le règne de Léopold Ier. Etudes d’histoire contemporaine », par J.J. THONISSEN

2e édition. Louvain, Vanlinthout et Peeters, 1861, 3 tomes

 

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TOME 2

 

CHAPITRE XIX - NÉGOCIATIONS DIPLOMATIQUES A LA SUITE DE LA CONVENTION DU 21 MAI (30 Mai - 4 Octobre 1833.)

 

19.1. Les négociations diplomatiques de l’été 1833

 

(page 141) L'article V de la convention du 21 Mai 1833 renfermait la stipulation suivante: « Les hautes parties contractantes s'engagent à s'occuper sans délai du traité définitif qui doit fixer les relations entre les États de S. M. le roi des Pays-Bas, grand-duc de Luxembourg, et la Belgique. Elles inviteront les cours d'Autriche, de Prusse et de Russie à y concourir » (Voy. ci-dessus, p. 124).

Dès le 30 Mai, c'est-à-dire le lendemain de l'échange des ratifications, les plénipotentiaires d'Angleterre et de France s'acquittèrent de cet engagement auprès de leurs collègues d'Autriche, de Prusse et de Russie. Le gouvernement de La Haye s'adressa directement, dans le même dessein, aux cabinets de Berlin, de St-Pétersbourg et de Vienne.

Par suite de ces invitations, la Conférence de Londres se trouva promptement reconstituée. Elle tint sa première séance le 15 Juillet 1833.

Un acte significatif vint aussitôt montrer que la Hollande comprenait l'importance des débats qui allaient s'ouvrir dans la capitale de la Grande-Bretagne. Le ministre des Affaires étrangères, M. Verstolk de Soelen, se rendit lui-même à Londres, pour y remplir, conjointement avec M. Salomon Dedel, les fonctions de plénipotentiaire de Guillaume 1er. Les cours du Nord avaient formellement déclaré que désormais elles n'accepteraient de la Hollande aucune communication directe relative à la question belge ; elles voulaient que toutes les prétentions fussent d'abord examinées à Londres.

Honoré de l'amitié de son souverain, occupant, depuis plusieurs années le poste éminent de ministre des Affaires étrangères, initié à (page 142) tous les secrets des dernières négociations, M. Verstolk devait rencontrer à Londres un adversaire digne de lui. Cette vérité fut promptement comprise à Bruxelles. A MM. Verstolk et Dedel, le cabinet belge opposa MM. Goblet et Van de Weyer; de sorte que les ministres des relations extérieures des deux peuples se trouvaient en même temps sur le terrain immédiat des négociations diplomatiques. L'Autriche était représentée par le prince Esterhazy et le baron de Wessemberg , la France par le prince de Talleyrand, l'Angleterre par lord Palmer­ston, la Prusse par le baron Bulow, la Russie par le prince de Liéven.

Les plénipotentiaires des cinq cours se réunirent d'abord seuls, afin de s'entendre sur le point de départ et la forme de leurs rapports avec les envoyés de La Haye et de Bruxelles. Écartant à la fois le thème de lord Palmerston et le thème prussien (Voy. ci-dessus, p. 17 et 37 en note), ils convinrent de prendre pour base les vingt-quatre articles du 14 Octobre 1831, convertis en traité avec la Belgique le 15 Novembre suivant. Quant à la forme des négociations, il fut arrêté que les plénipotentiaires de Hollande et de Belgique seraient entendus séparément ; que l'on négocierait autant que possible verbalement; que de part et d'autre on garderait le secret pendant les négociations ; enfin, que chacun des vingt-quatre articles serait examiné séparément et, en cas d'adoption, paraphé par toutes les parties.

Cette résolution préliminaire était déjà un succès pour la diplomatie belge. Aussitôt que la convention du 21 Mai lui eut été notifiée, le général Goblet avait répondu: « Fort des droits qui sont irrévocablement acquis à la Belgique, le gouvernement du roi, tout en exprimant ses regrets des retards qui peuvent être apportés à la complète exécution du traité du 15 Novembre 1831, attendra avec confiance le résultat des nouvelles négociations annoncées par l'article V de la convention, négociations dans lesquelles les puissances ne peuvent avoir d'autre but que d'aplanir, par des arrangements de gré à gré entre les deux parties, les difficultés qui s'opposent encore à l'exécution finale de ce traité » (Note de bas de page : Voy. Rapport du général Goblet fait à la Chambre des Représentants, le 14 Juin 1833, page 15 (Brux. Remy, 1833)). C'était à tous égards le système que la Conférence venait de sanctionner dès sa première séance. Il est vrai que la Belgique, replacée par le refus de la Hollande dans le statu quo (page 143) diplomatique antérieur au thème de lord Palmerston, était en droit d'exiger l'acceptation pure et simple des vingt-quatre articles ; car, aux termes des deux notes du 15 Octobre 1831, ces articles devaient être reproduits mot pour mot dans le traité direct entre la Belgique et la Hollande (Voy. t. I. page 192.) Mais cette exigence eût été peu rationnelle. Pressés par l'urgence des circonstances, les rédacteurs des vingt-quatre- articles avaient laissé sans solution plusieurs problèmes d'une haute importance, notamment la liquidation du syndicat et la fixation définitive des droits à percevoir sur l'Escaut. Plus d'un article, rédigé d'une manière obscure ou défectueuse, réclamait des éclaircissements et même des développements, double difficulté dont on ne pouvait espérer la solution dans une négociation directe avec le cabinet de La Haye. Enfin, cette politique hautaine eût profondément blessé les trois puissances qui, tout en ratifiant le traité du 15 Novembre, avaient demandé une négociation ultérieure pour les articles relatifs au syndicat d'amortissement, à la navigation des eaux intermédiaires et aux routes commerciales du Limbourg. La Belgique était d'autant plus intéressée à se montrer conciliante et modérée que, même à Paris, nous avions des ménagements à garder ; car le duc de Broglie et surtout ses collègues, voulant avant tout la fin du différend hollando-belge, se montraient d'une grande mollesse pour la défense de nos intérêts commerciaux et financiers (Note de bas de page : Heureusement le roi Louis-Philippe avait promis au roi des Belges de ne ratifier aucune convention qui n'eût au préalable reçu son assentiment). Au degré de maturité où la question diplomatique était parvenue après le siège d'Anvers, le parti le plus sage consistait à se montrer prêt à faire des concessions réciproques pour amener la solution du petit nombre de points qui restaient en litige. Il suffisait que le cabinet belge, fermement décidé à maintenir ses droits acquis, manifestât la volonté expresse de repousser tout sacrifice qui ne serait pas immédiatement compensé par une concession équivalente de sa rivale. Cette attitude ne comportait, en aucune manière, une renonciation implicite au traité du 15 Novembre ; car celui-ci, après avoir fixé les rapports entre la Belgique et l'Europe, supposait qu'il restait un traité direct à conclure entre la Belgique et la Hollande. Il en résultait que, si les efforts de la Conférence, dirigés vers le seul but de la Conclusion d'un arrangement direct, étaient encore une fois inefficaces, (page 144) le traité du 15 Novembre redevenait de plein droit la charte diplomatique des Belges dans leurs rapports avec l'Europe. Les instructions que le général Goblet reçut à son départ pour Londres étaient rédigées dans ce sens (Note de bas de page : Ces instructions avaient cependant le défaut d'être trop vagues. Il suffit d'y jeter un coup d'œil pour se convaincre que le ministère, harcelé par l'opposition de la tribune et de la presse, craignait d'engager l'avenir. Il voulait se réserver la faculté de prendre ultérieurement conseil des circonstances).

La Conférence débuta par l'examen de la question territoriale.

Acceptant le principe des arrangements arrêtés par le traité du 15 Novembre, les plénipotentiaires néerlandais demandèrent la modification d'un point secondaire. L'article III du traité accordait au roi des Pays-Bas plusieurs districts du Limbourg, en échange des districts du Luxembourg assignés à la Belgique. C'était donc comme grand-duc de Luxembourg et non comme roi de Hollande, que Guillaume 1er devait être mis en possession de la rive droite de la Meuse. MM. Verstolk et Dedel réclamaient la suppression de cette clause et l'incorporation du Limbourg aux provinces hollandaises.

Considérée en elle-même, cette proposition ne pouvait être repoussée par la Belgique; car l'article V du traité réservait au roi des Pays-­Bas la faculté de s'entendre à cet égard avec la Diète de Francfort et les agnats de sa maison. Que nous importait que la rive droite de la Meuse appartînt à Guillaume comme roi des Pays-Bas ou comme grand-duc de Luxembourg ? La forme seule, de la demande donnait lieu à des objections sérieuses. Le gouvernement hollandais se disait prêt à faire les démarches nécessaires pour obtenir l'assentiment de  la Diète germanique et des agnats de la maison de Nassau ; mais, d'une part, aucun terme n'était indiqué pour l'exécution de cet engagement, de l'autre, rien ne prouvait que la démarche du cabinet de La Haye dût être suivie d'un résultat favorable. L'inaction de la Hollande, l'opposition des agnats ou le refus de la Diète eût suffi pour rendre le traité complètement inefficace. Afin d'éviter ce danger, MM. Goblet et Van de Weyer demandaient que la Hollande prît l'engagement de produire, avant la signature du traité, l'assentiment formel de toutes les parties intéressées. La Conférence accepta cette condition, et les plénipotentiaires néerlandais, après quelques jours de résistance, finirent par s'y soumettre (Note de bas de page : Le système des plénipotentiaires belges avait été immédiatement accueilli par leurs collègues d'Angleterre, de France, de Prusse et de Russie. Les deux premiers avaient reçu l'ordre de ne signer le traité qu'après avoir acquis la certitude que les réserves austro-prussiennes, relatives au Luxembourg, ne seraient plus reproduites. Une recommandation analogue avait été faite aux plénipotentiaires de Berlin et de Vienne. Ils ne pouvaient signer le traité avec le roi des Pays-Bas, grand-duc de Luxembourg, qu'après avoir été autorisés par la. Confédération germanique à souscrire aux arrangements territoriaux proposés par ce souverain à l'égard de la rive droite de la Meuse (Voy. Récit de la négociation hollando-belge, depuis le15 Juillet1835 jusqu'au 15 Novembre de la même année. 1re Séance). - Ce mémoire confidentiel, rédigé par les membres de la Conférence de Londres, a été imprimé en Belgique, à la suite du rapport sur l'état des négociations, fait à la Chambre des Représentants le 1er et le 2 Février 1839, par le ministre des Affaires étrangères (Bruxelles, Remy, 1839, in-8°)).

(page 145) Cette question débattue et vidée, on passa à l'examen des stipulations fluviales, commerciales et financières du traité. Réservant à un examen ultérieur l'article IX relatif à la navigation de l'Escaut, les articles XI et XII accordant aux Belges une route commerciale sur la rive droite de la Meuse, l'article XIII admettant le trésor belge au partage de l'actif du syndicat d'amortissement, l'article XIV stipulant à charge de la Belgique l'obligation de payer une part des arrérages de la dette ; en un mot, laissant provisoirement de côté les clauses contre lesquelles l'une des parties avait particulièrement dirigé ses objections, la Conférence réussit à faire successivement adopter et parapher, sauf quelques changements de rédaction sans importance, toutes les autres dispositions des vingt-quatre articles. Un accord mutuel s'était établi sur les stipulations relatives à l'indépendance et à la neutralité de la Belgique, à l'usage des canaux qui traversent les deux pays, à l'écoulement des eaux des Flandres, aux ouvrages d'utilité publique construits pendant l'union, au séquestre placé sur les biens de la maison d'Orange, à l'amnistie accordée aux personnes compromises dans les événements de la révolution, à la faculté de transférer le domicile des habitants d'un pays dans l'autre, à la qualité de sujet et de propriétaire mixte, aux pensions et aux traitements d'attente, aux sommes déposées à titre de cautionnement, à la prohibition de convertir Anvers en port militaire. Cinq séances avaient suffi pour amener ce résultat. Les amis de la paix espéraient, encore une fois, une solution prochaine et satisfaisante.

Cet espoir ne devait pas se réaliser.

 

19.2. Les nouvelles désillusions dues à l’attitude de Guillaume Ier

 

En voyant arriver à Londres le ministre des Affaires étrangères des Pays-Bas, on s'était naturellement attendu à rencontrer un homme (page 146) investi de pouvoirs étendus, sûr de lui-même, courageux dans ses vues et ferme dans ses allures. Il n'en était rien, et le général Goblet ne tarda pas à s'apercevoir des faiblesses et des craintes de son adversaire. M. Verstolk poussait la prudence et la timidité à l'excès. Toujours préoccupé de la crainte d'outre-passer ses pouvoirs, toujours tremblant de méconnaître la pensée ou d'encourir la disgrâce de son maître, plié de longue main à toutes les exigences de l'obéissance passive, le ministre néerlandais n'osait assumer la responsabilité de l'acte le plus insignifiant. Sa réponse, pour ainsi dire stéréotypée, était celle-ci : « J'en réfèrerai à La Haye.» M. Verstolk n'osait pas même consentir à placer dans le corps du traité un article portant qu'il y aurait paix et amitiéentre le roi des Pays-Bas, le roi des Belges, leurs héritiers et leurs successeurs. Il comprenait, disait-il, la nécessité de cette stipulation; mais, pour ne pas blesser les susceptibilités de son souverain, il demandait que le mot amitié fût remplacé par bonne intelligence, et que la phrase ainsi modifiée fût glissée dans le préambule, au lieu de faire l'objet d'un article spécial ! (Note de bas de page : Séance du 20 Juillet et du 2 Août 1833. - En présence de ces pitoyables arguties diplomatiques, les plénipotentiaires d'Angleterre et de France demandèrent que désormais, contrairement aux premières intentions de la Conférence, il fût dressé un procès-verbal de chaque séance, afin que les ministres anglais et français fussent en mesure d'indiquer aux Chambres de leurs pays les causes des retards en apparence inexplicables qu'éprouvait la solution de la question belge. Par condescendance pour les plénipotentiaires hollandais, la Conférence n'accueillit pas cette proposition, mais elle décida toutefois que dorénavant il serait tenu des notes dans lesquelles on ferait mention des articles paraphés, ainsi que des points encore réservés à la discussion).

 En réalité, Guillaume Ier ne désirait pas la solution immédiate de ses démêlés avec la Belgique. Malgré le langage. conciliant de ses mandataires dans toutes les cours de l'Europe, malgré l'envoi de M. Verstolk à Londres, le monarque néerlandais était resté fermement convaincu des avantages du système de persévérance. Attendant toujours une conflagration européenne, il voyait partout des symptômes d'une lutte prochaine. En Angleterre, les discours violents des chefs de l'opposition annonçaient l'avènement d'un ministère hostile aux idées démocratiques et révolutionnaires ; en France, les conspirations des républicains et les démonstrations factieuses des légitimistes de l'ouest et du midi présageaient la chute du trône issu des barricades de Juillet ; en Portugal, (page 147) la guerre entre don Miguel et les défenseurs du trône de dona Maria étaient un indice irrécusable de la puissance et de la vitalité des idées dynastiques ; en Orient, la révolte victorieuse de Méhémet-Ali et le traité du 8 Juillet, accordant aux Russes un protectorat déguisé sur la Turquie, ne pouvaient manquer d'amener un dissentiment profond entre les puissances européennes. La guerre était possible, elle était même probable, et cette guerre devait infailliblement se terminer au bénéfice des gouvernements absolus. La défaite des révolutionnaires, la conquête de la Belgique et la résurrection du royaume des Pays-Bas dérivaient alors des nécessités de la situation ! Pouvait-on compromettre les destinées de la Hollande par une reconnaissance prématurée de l'indépendance des Belges et de la royauté du prince Léopold ? Telles étaient les illusions des conseillers intimes de Guillaume, et toute la politique du cabinet de La Haye était réglée en conséquence. Les seuls soucis du roi consistaient à faire peser en apparence sur les Belges la responsabilité d'un statu quo ruineux pour les finances hollandaises. Au moment même où il avait reçu les ratifications de la convention du 21 Mai, Guillaume s'était écrié, en présence du duc de Saxe-Weimar: « Grâce à Dieu, je suis bien certain que désormais le refus de conclure un traité définitif viendra du côté des Belges.» Ce n'était que dans ses rapports officiels avec les puissances étrangères qu'il témoignait le désir de mettre un terme à ses démêlés avec la Belgique, et cette manœuvre obtint un instant le succès le plus complet. A Bruxelles, tous les ministres, à l'exception du général Goblet dont le tact diplomatique ne fut pas un instant en défaut, partagèrent pendant deux mois les illusions des membres de la Conférence de Londres (Note de bas de page : Ils croyaient que le roi Guillaume, pressé par les souffrances de ses sujets, ne pouvait se dispenser de signer promptement un traité définitif. Plus d'une fois, dans le cours des négociations de 1833, ces opinions divergentes amenèrent des dissidences entre le général Goblet et ses collègues restés à Bruxelles).

 

19.3. Débats relatifs à la navigation de l’Escaut, au partage de la dette et à la liquidation du syndicat d’amortissement

 

 Quoi qu'il en soit, dans sa séance du 24 Juillet, la Conférence aborda l'examen des différends relatifs à la navigation de l'Escaut. MM. Dedel et Verstolk consentirent à l'application des articles 108 à 117 de l'acte général du congrès de Vienne; ils reconnurent en principe la libre navigation du fleuve ; ils consentirent même à dispenser les navires de toute visite de cargaison et à se contenter d'un droit unique de tonnage, calculé sur la capacité des bâtiments. Mais là était le terme de (page 148) leurs concessions ; toutes leurs exigences ultérieures étaient aussi loin des vues de la Conférence que des intentions du cabinet de Bruxelles. Ils demandaient que la. convention ne fût pas applicable à l'Escaut oriental, sous prétexte que celui-ci faisait plutôt partie des eaux intérieures de la Hollande que de l'Escaut proprement dit ; ils exigeaient que le droit fût perçu à Flessingue ou à Batz, au lieu de l'être à Anvers, mesure qui aurait permis à la Hollande d'entraver la navigation par des retards considérables; enfin, ils fixaient le droit à deux florins par tonneau .(fr. 4,23) (Note de bas de page (fl.1-50 pour les bâtiments remontant l'Escaut et 50 cents pour les bâtiments descendant le fleuve. Cette distinction 'entre l'entrée et la sortie des navires s'explique par cette circonstance que plusieurs bâtiments prennent à Terneusen ou à Anvers les eaux intérieures et regagnent la mer par le port d'Ostende).

 La question de l'Escaut était on ne peut plus délicate ; elle exigeait toute l'habileté des plénipotentiaires belges. D'un côté, comme le droit devait être perçu par les Hollandais, ceux-ci étaient à certains égards autorisés à demander que le lieu du péage fût fixé sur leur territoire ; d'autre part, le traité du 15 Novembre nous imposait l'application provisoire du tarif de Mayence, ce qui aurait porté le droit à plus de quatre florins par tonneau ! Or, le gouvernement belge ne voulait ni du tarif de Mayence ni du péage sur le sol étranger ; il avait de plus ordonné à ses plénipotentiaires de ne pas dépasser le taux d'un florin par tonneau. Que faire dans ces circonstances critiques ? Refuser toute concession, même sur le taux du péage ; persister obstinément à offrir un florin par tonneau payable à Anvers, c'eût été risquer de se mettre en opposition aussi bien avec la Conférence qu'avec les plénipotentiaires de la Hollande. Le général Goblet crut qu'il était nécessaire d'offrir un florin cinquante cents (fr. 3,17) par tonneau, et, à force d'instances, il finit par obtenir l'assentiment de ses collègues de Bruxelles. Il offrit donc 90 cents pour la remonte et 60 cents pour la descente du fleuve. Mais cette concession même demeura sans résultat. Malgré les sollicitations de tous les membres de la Conférence, MM. Verstolk et Dedel présentèrent comme limite extrême le taux d'un florin soixante-quinze cents. La Hollande rejetait en outre la disposition de l'article IX relative au droit de pêche (Note de bas de page : Encore ces controverses n'étaient-elles pas les seules qui rendissent la conclusion d'un traité final extrêmement difficile. Le pilotage, le balisage, la forme même de la perception du droit, tout donnait matière à des discussions interminables. Admettra-t-on des stations de pilotes belges dans le Bas-Escaut et à l'embouchure du fleuve ? Laissera-t-on aux navires venant de la mer la liberté de choisir un pilote anversois ? Accordera-t-on une décharge partielle du droit aux navires partant sur lest du port d'Anvers ? A quelles conditions le droit de navigation pourrait-il être perçu à Anvers par des agents hollandais ? Ne pourrait-on pas accorder l'exemption de tout droit aux navires de toutes les nations, en échange d'une rente annuelle à payer par la Belgique? Faut-il laisser à chaque partie le soin de baliser et d'entretenir les passes navigables qui se trouvent sur son territoire ? Est-il préférable d'établir à cette fin une administration et une surveillance communes? Toutes ces questions, que nous verrons recevoir une solution définitive en 1839, furent déjà agitées en 1833.- Dans les journaux du temps le problème de l'Escaut se trouve rarement envisagé sous son véritable point de vue. On prétendait que le fleuve devait être affranchi du payement de tout droit, tandis que le traité du 15 Novembre posait en principe fondamental la perception d'un droit de navigation).

(page 149) En dehors de la question fluviale et maritime, d'autres difficultés sérieuses réclamaient une solution.

Le cabinet de La Haye demandait la suppression de l'article XII, accordant aux Belges le droit de prolonger une route ou un canal par le canton de Sittard, jusqu'à la frontière prussienne ; il exigeait un droit de transit pour les routes mentionnées dans l'article XI ; enfin, contrairement à l'avis unanime des membres de la Conférence, il voulait que la liquidation du syndicat d'amortissement n'eût lieu que comme mesure d'ordre, sauf à laisser décompter de ce chef une somme d'environ deux millions de florins du chiffre des arrérages de la dette mise à la charge des Belges.

La question du syndicat d'amortissement offrait une haute importance, surtout quand on la combinait avec la question des arrérages de la dette. Le traité du 15 Novembre attribuait aux Belges la moitié de l'actif du syndicat ; mais, par contre, il leur imposait l'obligation de payer à la Hollande leur part des arrérages de la dette, à partir du 1er Novembre 1830. Depuis le jour où la Belgique avait souscrit à cette clause onéreuse, la situation s'était profondément modifiée, aussi bien à Bruxelles qu'à Londres. La stipulation relative aux arrérages n'était pas une mesure isolée ; c'était comme partie intégrante d'un arrangement final et en échange de plusieurs avantages commerciaux, que cette charge écrasante avait été imposée à nos finances. Or, depuis l'expiration de l'armistice (25 Octobre 1831) jusqu'à la convention du (page 150) 21 Mai, le roi Guillaume avait constamment déclaré qu'il se réservait le droit de recommencer les hostilités contre la Belgique, au moment où il croirait devoir recourir à cette mesure ; de sorte que, loin d'obtenir l'arrangement final qui était le motif déterminant du cabinet de Bruxelles, nous avions été obligés de dépenser des sommes immenses pour entretenir l'armée sur le pied de guerre. Les vingt-quatre articles nous accordaient la libre navigation de l'Escaut et de la Meuse, l'usage des canaux communs aux deux pays et l'admission de nos bâtiments dans les eaux intérieures de la Hollande. Le traité nous garantissait de plus la reconnaissance de notre indépendance et de notre neutralité par le gouvernement de La Haye. Aucune de ces conditions n'ayant été remplie, il était injuste de prétendre que la clause relative au payement des arrérages n'en devait pas moins recevoir son exécution au détriment des Belges. Si le ministère avait osé produire ce système à la tribune, s'il était venu solliciter l'autorisation de rembourser à la Hollande les avances qu'elle avait faites depuis trente-deux mois, une majorité écrasante eût infailliblement répondu par un blâme sévère.       .

Tel était cependant le système qui avait prévalu au sein de la Conférence de Londres. Malgré les raisonnements et les démarches de nos plénipotentiaires, les représentants des cinq cours étaient unanimes à dire que les arrérages devaient être payés par les Belges. Lord Palmerston lui-même, qui s'était toujours constitué notre défenseur, tenait le langage suivant: « A une autre époque, la Conférence a déclaré que, si le refus de la Hollande se prolongeait, ]a Belgique pourrait à bon droit consacrer sa quote-part dans la dette à la défense de son territoire (Voy. ci-dessus, p. 7); mais cette déclaration a été faite à l'époque où les mesures pécuniaires étaient seule en projet, et où l'on avait lieu de penser qu'il y aurait unanimité dans la Conférence sur l'emploi de ces mesures et sur leur mise à exécution. Cette unanimité était, en effet, nécessaire pour changer, annuler ou modifier l'une des clauses du traité; un arrangement arrêté par le concours des cinq puissances ne pouvait subir d'altération sans le concours des mêmes parties contractantes. Aujourd'hui le problème a changé de face. L'unanimité qu'on avait en vue ne s'est pas (page 151) réalisée, et l'Angleterre et la France, abandonnant les mesures financières, ont eu recours à des mesures militaires. Si vous n'avez pas joui de tous les avantages commerciaux du traité, par contre vous n'avez rien payé sur l'Escaut. Non seulement la Belgique a été mise en possession de son territoire, mais elle détient provisoirement, dans le Limbourg et le Luxembourg, plusieurs cantons assignés à sa rivale. Les rigueurs financières ont été efficacement remplacées par l'embargo, par l'expédition d'Anvers et par la convention du 21 Mai. Ce qui distingue l'homme éclairé, de même que le gouvernement éclairé, c'est de ne tenter que le possible : c'est la première condition du succès. Or, il est impossible de faire admettre par aucun de nous le principe de la libération de la dette fondé sur la non-adhésion du roi de Hollande au traité des vingt-quatre articles » (Note de bas de page : Nous sommes en mesure de garantir l'exactitude de ce langage). Lord Palmerston n'oubliait qu'un point, à savoir que ni l'embargo, ni le siège, ni la convention du 21 Mai, ni la possession de quelques cantons du Limbourg et du Luxembourg, n'avaient indemnisé la Belgique des sacrifices énormes qu'elle avait été obligée de s'imposer depuis le traité du 15 Novembre (Note de bas de page : A Paris cependant, le duc de Broglie opposait les mêmes raisonnements aux instances de M. Lehon. Les cabinets des Tuileries et de St-James savaient que les cours du Nord étaient intraitables sur la question des arrérages, et ce débat ne leur semblait pas assez important pour motiver une interruption des négociations).

 Le problème se compliquait encore par la rédaction vicieuse, ou du moins incomplète, des divers paragraphes de l'article XIII relatifs à la liquidation du syndicat d'amortissement. On y avait stipulé le principe d'une liquidation; mais on avait oublié de fixer les bases de cette opération financière. Était-ce une liquidation à partir de 1814, à partir de 1822 ou à partir du dernier compte de 1830 ? On le voit, sur toutes ses faces la question financière était hérissée d'embarras et d'obstacles.

Comme la Hollande n'entendait pas céder sur la liquidation du syndicat, et comme le ministère belge ne pouvait pas céder sur la question des arrérages, nos plénipotentiaires, voulant au moins nous réserver les chances favorables de l'avenir, proposèrent la rédaction suivante: « La liquidation du syndicat d'amortissement aura lieu en (page 152) même temps que les deux remboursement des avances de la dette (1).» (Note de bas de page : De même que dans les négociations de 1831, le cabinet belge avait envoyé à Londres le secrétaire général du ministère des Finances, M. Lion. Des docu­ments intéressants et inédits qui nous ont été communiqués attestent que M. Lion s'était parfaitement acquitté de sa mission. Grâce à lui, nos plénipotentiaires étaient au courant de toutes les opérations du syndicat d'amortissement, sans en excepter les plus mystérieuses ; ils connaissaient l'actif et le passif de l'institu­tion, et cette connaissance leur suggéra la pensée de joindre la question du syndicat à celle des arrérages de la dette. - A Bruxelles, la question de la dette était traitée avec une réserve très peu diplomatique. Dans un discours prononcé le 29 Août, le ministre des Finances déclara nettement que la Belgique était en droit de décompter des arrérages de la dette les dépenses extraordinaires occasionnées par l'entretien de l'armée sur le pied de guerre. C'était commettre une grave imprudence, pour ne pas dire un acte d'inqualifiable légèreté, dans un moment où tous les membres de la Conférence, y compris le plénipotentiaire anglais, étaient unanimes à proclamer l'opinion contraire. On pouvait, en procédant de la sorte, se préparer de grands embarras dans un avenir peu éloigné. Ainsi cette déclaration indiscrète provo­qua-t-elle des plaintes énergiques de la part de nos plénipotentiaires de Londres).

 

19.4. La rupture des négociations au détriment de la Hollande

 

La Conférence allait délibérer sur cette proposition lorsque, dans la soirée du 24 Août, un incident imprévu amena la rupture des négo­ciations.

On se rappelle que, selon les engagements pris par les plénipo­tentiaires néerlandais, leur gouvernement était tenu de produire, le jour même de la signature du traité, l'assentiment des agnats de la maison de Nassau et celui de la Confédération germanique, requis pour l'incorporation d'une partie du territoire limbourgeois au royaume de Hollande. La Conférence, qui leur avait plusieurs fois rappelé cette obligation, croyait que des négociations actives étaient enfin engagées en Allemagne, lorsque. tout à coup, des avis transmis de Berlin et de Francfort lui apprirent que le cabinet de La Haye n'avait pas fait jusque-là une démarche quelconque. Cette inaction était d'autant plus étrange que, même avant la deuxième réunion de la Conférence, le cabinet prussien, connaissant le vœu de Guillaume 1er, l'avait engagé à ouvrir immédiatement les négociations nécessaires avec la Diète de Francfort. D'un autre côté, plusieurs indices permettaient de croire que M. Verstolk avait reçu l'ordre de traîner les négociations en lon­gueur, mais en s'arrangeant de manière à faire supposer que les (page 153) retards provenaient uniquement de la clause relative à la navigation des rivières, thème d'opposition éminemment populaire en Hollande.

Tous les membres de la Conférence étaient d'avis que ces man­œuvres devaient être promptement déjouées.

Le but apparent de la réunion du 24 Août était l'aplanissement des difficultés relatives à la navigation de l'Escaut. Le plénipotentiaire anglais ouvrit la séance en déclarant que la Conférence offrait comme ultimatum le péage unique d'un florin 50 cents, la perception de ce droit à Anvers, le pilotage facultatif et le droit de pêche en faveur des Belges sur toute l'étendue du fleuve. M. Verstolk venait de s'expli­quer à ce sujet, en répétant comme toujours que ses instructions ne lui permettaient pas d'aller jusque-là, lorsque le vicomte Palmerston, parlant au nom de tous les membres de la Conférence, lui dit brus­quement : « Le roi, votre maître, a-t-il fait enfin auprès des agnats de sa maison et de la Confédération germanique la démarche indispensable pour l'échange des territoires ? » Pris ainsi à l'improviste, M. Verstolk, visiblement embarrassé, finit par répondre que son gou­vernement se proposait de faire ces démarches lorsque les négociations seraient arrivées à un degré suffisant de maturité (Note de bas de page : Déjà dans la séance du 30 Juillet, lord Palmerston avait prié les plénipo­tentiaires néerlandais de s'expliquer sur l'étrange inaction de leurs collègues accrédités en Allemagne. Ils avaient promis d'en référer immédiatement à leur cour).

 Cette réponse, qui démasquait les vues de la diplomatie hollandaise, fut unanimement blâmée par tous les plénipotentiaires. Les représen­tants des cours du Nord étaient d'autant plus mécontents que déjà, dans la question de la navigation de l'Escaut, ils avaient eu à se plaindre du peu de franchise des négociateurs hollandais. Ceux-ci, croyant que les Belges se tiendraient invariablement au taux d'un florin par tonneau, avaient fait entendre que leur gouvernement se con­tenterait d'un florin 50 cents; or, le jour même où cette somme fut offerte par la Belgique, ils déclarèrent brusquement ne pas pouvoir descendre au-dessous d'un florin 75 cents !

Fatiguée de servir ainsi de jouet à la diplomatie néerlandaise, la Conférence déclara que ses séances seraient suspendues jusqu'au jour où le roi des Pays-Bas produirait, soit une accession pure et simple aux bases territoriales des vingt-quatre articles, soit un acte (page 154) d'assentiment de ses agnats et de la Confédération germanique aux modifications sollicitées par la Hollande (Note de bas de page : Quelques jours plus tard, les membres de la Conférence arrêtèrent la rédaction du récit cité ci-dessus, p. 145, « à l'effet de prévenir les malentendus qui pourraient résulter de récits partiels de la négociation.» Le mémoire fut définitivement adopté dans la séance du 15 Novembre. En consultant les docu­ments diplomatiques de l'époque, nous avons remarqué que le récit de la Conférence, toujours exact quant au fond, adoucit souvent dans la forme les incidents provoqués par les tergiversations des plénipotentiaires hollandais).

 M. Verstollt envoya aussitôt un courrier à sa cour, et pendant plu­sieurs jours il attendit avec anxiété les ordres de son maître. L'opi­nion dominante au sein de la Conférence était que le roi Guillaume, comprenant enfin le danger de ses tergiversations et de ses résis­tances, réparerait ses torts, en acceptant les dernières propositions relatives à l'Escaut et en faisant immédiatement les démarches néces­saires auprès de ses agnats et de la Confédération germanique. Cet espoir fut déçu ; le monarque néerlandais osa résister à la pression de l'Europe, et le Système. de perséverance obtint une nouvelle vic­toire ! Le 15 Septembre, M. Verstolk partit pour La Haye, après avoir annoncé à la Conférence qu'il était momentanément appelé auprès du roi son maître, pour lui donner des explications verbales.

Cet appel momentané n'était autre chose qu'un rappel définitif mal­adroitement déguisé. Au lieu de revenir à Londres, M. Verstolk reprit à La Haye le portefeuille des Affaires étrangères, et bientôt nous le verrons, du haut de la tribune des Etats Généraux, imputer audacieusement à la Conférence et à la Belgique la responsabilité des retards qui fatiguaient la Hollande et l'Europe. Ce fut en vain que l'Autriche, voulant prévenir ce résultat fâcheux, envoya à La Haye le prince de Schwartzenberg, avec la mission confidentielle d'éclairer le roi Guillaume sur les inconvénients et les dangers d'une résistance ultérieure. Toutes les instances du prince échouèrent contre les illu­sions du monarque, comme celles du comte Orloff avaient échoué l'année précédente (Voy. t. I, p. 229. - Des pièces diplomatiques que nous avons eues sous les yeux attestent que Guillaume voulait constamment entraîner l'envoyé autrichien dans les détails du traité; mais celui-ci n'eut garde de suivre son auguste interlocuteur sur ce terrain. Il ne devait s'occuper que d'un seul point ; la nécessité de céder).

 Le différend hollando-belge étant ainsi replacé dans la situation (page 155) pro­visoire régularisée par la convention du 21 Mai, la présence d'un deuxième négociateur belge à Londres devenait inutile. Le général Goblet demanda et obtint son rappel ; mais, avant de prendre congé des plénipotentiaires des cinq cours, il arrêta, de concert avec M. Van de Weyer, les mesures de précaution, commandées par les circonstances.

Nos plénipotentiaires étaient trop éclairés pour ne pas savoir qu'il importait au plus haut degré de prendre acte des faits qui avaient amené l'interruption des débats diplomatiques. Vis-à-vis du cabinet et des Chambres belges, ils devaient constater la marche rationnelle qu'ils avaient imprimée aux négociations ; vis-à-vis de la nation néerlandaise et de l'Europe, nous avions un intérêt immense à prouver que les résistances et les subterfuges, qui perpétuaient le différend hollando-­belge, étaient exclusivement l'œuvre du cabinet de La Haye. En conséquence, sans autorisation préalable et à l'insu de leur gouvernement, ils adressèrent à la Conférence une note énergique, renfermant un résumé exact des principaux incidents des négociations qui venaient d'échouer par la résistance obstinée de la Hollande. « Les soussignés, disaient-ils, sont convaincus que LL. EE. les plénipotentiaires des cinq grandes puissances réunis à Londres se plairont à rendre pleine justice au cabinet de Bruxelles, et à reconnaître qu'il a toujours apporté dans cette négociation, tout en défendant avec force les intérêts et les droits qui lui sont confiés, un esprit de concorde et de conciliation qui eût infailliblement conduit à la solution de toutes les difficultés, si l'autre partie eût été animée des mêmes sentiments. Le cabinet de Bruxelles se félicitait de voir la Belgique partager cet esprit de paix et de modération, qui succédait heureusement aux agitations inséparables d'une rupture violente entre deux peuples réunis pendant quinze années. Les Belges, rassurés sur une indépendance qui leur est garantie, ne voulaient entretenir contre le peuple hollandais ni haine nationale, ni préventions jalouses. Admis les derniers dans la grande famille européenne, ils ont voulu montrer qu'ils comprenaient les devoirs imposés à chacun de ses membres par l'ordre social, et qu'ils étaient tous disposés à les remplir. Ils n'ont négligé aucun moyen pour rétablir les communications com­merciales, la base la plus solide d'une paix durable entre deux peuples destinés, par leur position et leurs intérêts, à des rapports journaliers. Il tardait au gouvernement du roi de pouvoir prouver que les (page 156) deux peuples ne seront jamais plus unis que lorsque leur séparation sera consacrée par le droit public international, comme elle l'est déjà par le droit public européen. Mais toutes ces tentatives sont venues échouer contre la politique du cabinet de La Haye, dont la nation hollandaise déplorera un jour amèrement les conséquences fatales. »

Le noble langage de nos plénipotentiaires obtint l'approbation de la Conférence. Le 30 Septembre, ils furent appelés au Foreign-Office, pour y recevoir l'assurance que leur note renfermait l'exposé fidèle des incidents qui avaient entravé les négociations. Quatre jours plus tard, M. Goblet communiqua ce document diplomatique aux Chambres belges, où il rencontra un assentiment à peu près unanime (Note de bas de page : V. le Moniteur du 7 Octobre 1833 et le Rapport du général Goblet fait aux Chambres le 4 Octobre 1833 (Brux., Remy, 1833, in-8°)).

 

19.5. Avantages et inconvénients du maintien du statu quo diplomatique

 

 II eût été préférable d'obtenir une solution définitive. La convention du 21 Mai nous créait une position très tolérable, et même à certains égards très avantageuse; mais le maintien du statu quo n'en offrait pas moins, pour les intérêts moraux et matériels, les inconvénients d'une situation subordonnée à l'intervention ultérieure de la diplomatie de l'Europe. Il est vrai que le motif de la rupture devait infaillible­ment tourner en dernier résultat au désavantage du gouvernement de Guillaume Ier. Si le blâme de la Conférence avait porté sur des prétentions relatives à la navigation des rivières, le cabinet de La Haye eût trouvé un appui chaleureux dans les intérêts et les préjugés de la nation hollandaise ; mais celle-ci ne prenait aucun intérêt à la question du Limbourg et manifestait hautement sa surprise de voir un dissentiment de si peu d'importance empêcher la signature d'un traité définitif. Ajoutons que, grâce à l'attitude habile de nos pléni­potentiaires, c'était encore une fois la Hollande qui supportait seule vis-à-vis de l'Europe la responsabilité de la dissolution de la Confé­rence. Tout en s'occupant désormais de son organisation intérieure, la Belgique pouvait attendre l'avenir avec confiance (Note de bas de page : Plusieurs autres problèmes, qui reçurent leur solution définitive en 1839, furent agités dans le cours des négociations de 1833, dont nous venons d'indi­quer les phases principales. Nous nous contenterons de mentionner ici une stipulation relative à la foi due aux actes authentiques et aux jugements émanés des autorités belges avant la restitution des cantons du Limbourg et du Luxem­bourg assignés à la Hollande).

Un arrangement définitif, nous le répétons, était désirable ; mais le (page 157) statu quo devait incontestablement être préféré à l'admission des exi­gences excessives de la Hollande. Un traité conclu sur ces bases eût été rejeté par les Chambres, et ce rejet eût placé lé gouvernement dans la position la plus périlleuse. L'opinion publique se montrait favorable au maintien de la situation provisoire. On croyait que la Hollande, seule chargée du poids écrasant de la dette du royaume des Pays-Bas, serait bientôt réduite à l'impuissance par l'épuisement de ses ressources et le mécontentement du peuple. Pas un journaliste patriote ne faisait entendre une plainte contre la prolongation du statu quo ; tous affirmaient que la Hollande devrait bientôt céder, et cette confiance était partagée par les membres les plus influents des deux Chambres, sans en excepter ceux qui jusque-là s'étaient mon­trés le plus hostiles à l'intervention diplomatique de la Conférence de Londres.

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