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« Mémoire sur le paupérisme dans les Flandres », par Ed. DUCPETIAUX, inspecteur général des prisons et établissements de bienfaisance

Bruxelles, Hayez, 1850

 

Chapitre premier. - Accroissement de la misère et du paupérisme dans les deux Flandres

1. Statistique de l’indigence en Belgique en 1828, 1839 et 1846

2. Statistique de l’indigence dans les deux Flandres

3. Sommes dépensées pour le soulagement des indigents dans les deux Flandres

4. Mortalité, dégénérescence de la constitution des ouvriers dans les deux Flandres

5. Indigence dans l’arrondissement de Roulers-Thielt

6. Criminalité dans les deux Flandres

 

 

CHAPITRE PREMIER. - ACCROISSEMENT DE LA MISÈRE ET DU PAUPÉRISME DANS LES DEUX FLANDRES

 

(page 13) Pour apprécier les progrès et le degré d'intensité de la misère et du paupérisme dans les Flandres, nous pouvons recourir à trois sources de renseignements : la statistique des indigents secourus par les bureaux de bienfaisance, le mouvement de la population, les tables de criminalité. L'augmentation du nombre (page 14) des personnes secourues, des charges de la bienfaisance publique, des décès, des offenses, est un indice irrécusable, pour ne pas dire une preuve complète, de l'accroissement du paupérisme. On peut contester quelques chiffres, les interpréter peut-être de diverses manières, mais la triste vérité est là avec ses inévitables corollaires : l'indigence accidentelle se transforme en misère permanente; le découragement se glisse au sein des populations qui, jusqu'alors, avaient lutté contre les difficultés et les revers; le moral s'affaisse en même temps que le physique s'affaiblit; la famille se disperse, le foyer est abandonné, les enfants sont livrés à la mendicité et au vagabondage; les maladies sévissent sur des corps épuisés; la mortalité s'accroît; les offenses se multiplient sous la pression du besoin ; les prisons deviennent en quelque sorte les succursales des hospices et des dépôts de mendicité. Tel est l'affligeant spectacle dont nous avons été témoins pendant ces dernières années. C'est à ces signes que nous avons pu reconnaître l'envahissement du paupérisme dans les Flandres; on avait pu se méprendre jusque-là sur le caractère des symptômes précurseurs du fléau; on se reposait sur la vitalité et la force de résistance d'une population frugale, patiente, laborieuse; cette erreur et cette confiance ont contribué à aggraver le mal en retardant l'emploi des remèdes.

Depuis, guidé par l'expérience, on a compris la nécessité de sonder la plaie dans toute sa profondeur; on a recueilli minutieusement tous les faits susceptibles d'éclairer la situation. L'étude de cette situation peut nous aider à découvrir et à préciser les causes qui ont entraîné d'aussi déplorables résultats; nous avons donc cru devoir l'aborder dans ses détails essentiels, en interrogeant d'abord l'état de l'indigence dans le royaume entier, et en résumant ensuite les données qui se rapportent spécialement à la misère, au paupérisme, à la mortalité et à la criminalité dans les deux Flandres.

 

§. 1. Statistique de l’indigence en Belgique en 1828, 1839 et 1846

 

(page 15) Trois documents qui ont un caractère officiel nous fournissent des renseignements sur le nombre des indigents inscrits sur les listes des bureaux de bienfaisance et sur la quotité des secours distribués en 1828, 1839 et 1846.

Le premier de ces documents est le rapport soumis aux états-généraux de l'ancien royaume des Pays-Bas sur la situation des établissements de bienfaisance pendant l'année 1828. Voici quel était, d'après ce rapport, le nombre des indigents secourus à domicile dans les neuf provinces qui forment la Belgique actuelle:

 

 

Onze années après, nous voyons dans les exposés des députations permanentes des conseils provinciaux pour 1839, que le relevé du nombre des indigents et la quotité des secours distribués dans chaque province présentaient à cette époque, les résultats suivants (page 16) :

 

 

Enfin, lors du recensement général du 15 octobre 1846, les déclarations spontanées des habitants qui avaient été invités à faire connaître s'ils étaient secourus par les bureaux de bienfaisance, ont donné les résultats consignés dans le tableau qui suit :

 

 

Si l'on compare ces divers relevés, ou voit qu'il y avait dans le pays :

En 1828, 563,565 indigents, ou 1 indigent sur 6,93 habitants ;

En 1839, 587,095 indigents, ou 1 indigent sur 7 habitants.

En 1846, 699,857 indigents, ou 1 indigent pour 6,20 habitants.

Ainsi, le nombre des indigents se serait accru de 9 pour 100 environ, proportion gardée à la population, dans l'intervalle de 19 ans.

Mais cet accroissement n'a pas été général; il ne porte que sur certaines provinces, tandis que d'autres, au contraire, présentent une diminution. C'est ce que prouve le tableau qui suit, où les provinces sont rangées dans l'ordre du nombre de leurs indigents, en commençant par celles qui en ont le moins :

 

 

Il n'entre pas dans notre sujet de rechercher le degré d'exactitude des données qui précèdent, et de remonter aux causes qui peuvent déterminer les notables différences qui existent entre les différentes provinces, en ce qui concerne le nombre de leurs indigents. Lorsque nous nous occuperons plus spécialement de (page 18) l'indigence dans les Flandres, nous reviendrons sur les faits qui se rapportent à ces deux provinces. Nous nous bornerons à faire observer qu'il n'existe pas, à proprement parler, de base uniforme pour l'inscription des indigents; les usages varient à cet égard dans chaque localité, de telle sorte que l'indigent porté comme indigent dans telle commune ne l'est pas dans telle autre, quoique placé cependant dans des circonstances absolument identiques. Ainsi, par exemple, dans le Luxembourg, l'existence des terrains communaux dont la jouissance est conférée à tous les habitants, est, pour un grand nombre de ceux-ci un véritable secours qui équivaut aux aumônes distribuées ailleurs par les bureaux de bienfaisance. De là sans doute en grande partie, le nombre restreint d'indigents inscrits dans cette province. Ailleurs, l'absence ou la pénurie des ressources de institutions charitables restreint forcément le nombre de ceux qui pourraient y avoir recours. Dans d'autres provinces, encore, l'agglomération de la population, le nombre et l'importance des villes, le développement et les fluctuations de l'industrie, entraînent des souffrances ou entretiennent des habitudes qui influent évidemment sur le chiffre officiel de l'indigence. Bruxelles seul compte près de 30,000 pauvres inscrits; on estime que, dans un espace de 30 ans, depuis 1818, l'augmentation du nombre des indigents dans cette ville a été de 260 pour cent. Ce seul chiffre suffit pour expliquer le rang qu'occupe le Brabant dans le relevé que nous avons donné plus haut.

 

§. 2. Statistique de l’indigence dans les deux Flandres

 

Les exposés de la situation des provinces, publiés annuellement par les députations permanentes des conseils provinciaux fournissent toutes les données nécessaires pour apprécier l'état et les progrès de l'indigence dans les deux Flandres. Nous nous bornerons à les résumer et à en faire ressortir les principaux résultats.

 

Flandre orientale

 

(page 19) Le nombre des indigents secourus par les bureaux de bienfaisance, dans les villes et les campagnes, a subi, depuis 30 ans, d'assez nombreuses fluctuations et un accroissement considérable dont on pourra juger par le relevé qui suit :

 

 

En 1818, à la suite de deux années désastreuses où la population ouvrière fut en proie à la famine, le nombre des indigents dans la Flandre orientale s'élevait à 69,424, soit 10 ¾ pour 100 habitants : ce rapport était de 14 ½ p. c. dans les villes et de 9 3/5 p. c. dans les districts ruraux (Essai sur l'indigence dans la Flandre orientale, par le baron de Keverberg. 1819).

En 1847, le nombre des indigents dans la même province s'est élevé à 221,230 : il a donc, proportion gardée à la (page 20) population, présque triplé dans l’espace de 27 ans. La proportion est de 28 23/1000 pour 100 habitants dans la province entière, de 24 62/1000 p. c. dans les villes et de 29 ½ p. c. dans les campagnes.

On voit que la misère s'est surtout accrue dans les districts ruraux, où 14,645 tisserands et 39,556 fileuses sont inscrits sur les registres des bureaux de bienfaisance. En 1818, le nombre des individus secourus pour défaut de travail était de 15,837; en 1847, ce chiffre s'élevait à 77,042. Il a donc plus que quintuplé.

L'insuffisance du travail et des salaires pèse non seulement sur les artisans, les tisserands, les fileuses; elle atteint également, dans une forte proportion, les travailleurs agricoles. En 1847, sur un chiffre de 171,681 indigents recensés dans les campagnes, il se trouvait 30,982 journaliers, 2,689 ramasseurs de fumier et 2,319 cultivateurs : total, 35,990 ouvriers ruraux qui ne pouvaient trouver dans le travail agricole les ressources nécessaires à la satisfaction de leurs besoins les plus impérieux.

Les données qui précèdent ne sont pas d'accord avec les chiffres du recensement de 1846; la députation permanente de la province, dans son exposé de 1847, attribue cette divergence à ce que les relevés transmis par les administrations locales comprennent un assez grand nombre de personnes qui ne sont pas assistées habituellement et qui n'ont reçu que des secours momentanés. Nous ajouterons qu'il est aussi fort possible qu'un certain nombre d'indigents aient omis de faire mention de leur état d'indigence sur les bulletins de recensement. Mais, la différence signalée entre les deux relevés, quelque considérable qu'elle puisse être, ne laisse pas moins subsister le fait essentiel de l'accroissement du paupérisme dans l'une de nos provinces jadis les plus prospères.

Les relevés publiés dans l'Exposé de la situation de la province en 1848, indiquent une certaine diminution dans le chiffre des indigents secourus. Cette diminution est de 20,000 environ ; elle porte surtout sur les campagnes.

(page 21) Les 201,760 indigents recensés au 31 décembre 1848 formaient 44,105 ménages, et étaient répartis comme suit entre les villes et les campagnes :

 

 

On estime que 23,327 indigents, ou 11 p. c. étaient secourus pour la totalité des besoins; 41,375, ou 20 p. c., pour la moitié et au delà, et 137,058, ou 69 p. c., pour moins de la moitié des besoins.

37,705 indigents avaient moins de 12 ans, 41,397 étaient âgés de 6 à 12 ans, 101,772 de 12 à 60 ans, 15,302 de 60 à 70 ans, et 5,584 avaient plus de 70 ans.

Parmi les causes principales de l'indigence, on cite les suivantes : le grand âge, 13,853; les infirmités, 13,954; les malheurs particuliers, 16,991; le grand nombre d'enfants, 47,201 ; le défaut de travail, 90,595; l'inconduite, 5,885.

Enfin, l'indigence considérée sous le rapport des professions ou métiers exercés ou abandonnés par les indigents ou par leurs parents, a donné lieu au classement qui suit :

 

 

La différence entre ce dernier chiffre et celui que nous avons mentionné ci-dessus (201,760), provient de ce qu'on n'a pas indiqué dans les relevés pour les arrondissements de Gand et de Termonde, les enfants n'exerçant encore aucune profession.

 

Flandre orientale

 

Dans la Flandre occidentale, si l'on en juge par les relevés statistiques publiés dans les rapports annuels de la députation permanente de la province, la misère est plus intense encore que dans la Flandre orientale. On pourra juger de son accroissement par le relevé qui suit :

 

 

La proportion des indigents dans les villes et les communes rurales était comme suit :

 

 

En 1837, le nombre d'individus secourus par les bureaux de bienfaisance était de 113,343, soit 18 p. c. de la population; 10 ans plus tard, en 1847, le nombre des indigents inscrits s'élevait à 232,428; il a donc plus que doublé durant cette courte période. Cependant ici encore on remarque une différence assez notable entre le chiffre accusé par le recensement de 1846 et (page 24) le relevé donné dans l'exposé de la députation permanente. D'après le recensement, il y aurait dans la Flandre occidentale un indigent secouru sur 3,87 habitants, tandis que d'après les états transmis par les administrations communales, ce rapport s'élèverait à un sur 2,72. Nous nous référons à cet égard aux explications que nous avons données pour la Flandre orientale.

Le rapport du nombre des indigents à la population est à peu près le même dans les villes et les communes rurales, mais il varie considérablement suivant les arrondissements. Voici quels ont été les résultats constatés pendant les deux dernières années :

 

 

Ainsi, toute proportion gardée, il y a presque deux fois plus d'indigents dans l'arrondissement de Roulers-Thielt que dans les arrondissements de Bruges et de Furnes. On remarque, avec satisfaction, un certain mouvement de décroissance en 1848, comparativement à 1847. « Il est évident, dit la députation dans son dernier rapport, que surtout vers la fin de 1848, la situation de la classe ouvrière s'est améliorée d'une manière plus ou moins sensible. L'abondance et le bas prix des denrées (page 25) alimentaires ont principalement contribué à cette amélioration. Après quelques mois de profonde agitation, par suite des commotions politiques, la confiance a commencé à renaître vers la même époque; cette confiance a amené, jusqu'à un certain point, une reprise des affaires commerciales. Cela n'empêche pas néanmoins, ajoute la députation, « qu'un assez grand nombre de bureaux de bienfaisance n'aient encore de lourdes charges à supporter dans les localités qui ont été affectées par le typhus, et dans celles qui sont atteintes par la crise de l'industrie linière. »

 

§ 3. - Sommes dépensées pour le soulagement des indigents dans les deux Flandres

 

Flandre orientale

 

En 1828, les revenus des hospices s'élevaient, dans cette province, à fr. 638,755 21 c.; leurs dépenses étaient de fr. 666,031 23 c.

En 1845, ces mêmes revenus étaient portés à fr. 632,211 80 c. Ils avaient donc subi une certaine réduction.

En 1828, les revenus des bureaux de bienfaisance étaient de fr. 857,401 55 c., et la quotité du secours affecté à chaque indigent ne dépassait pas fr. 10 44 c.

En 1845, la totalité des ressources des bureaux de bienfaisance était évaluée à fr. 1,334,247 33 c.; le produit des collectes et des subsides était compris dans cette somme pour fr. 512,306 98 c.

En admettant que ce revenu soit resté le même en 1847, on trouve que la quotité moyenne du secours attribué cette année à chaque indigent ne dépassait pas fr. 6 03 c.

Flandre occidentale

 

En 1828, les revenus des hospices s'élevaient dans cette province à fr. 532,097 82 c.; leurs dépenses étaient de fr. 541,656 11 c.

(page 26) En 1845, ces revenus étaient portés à fr. 614,618 14 c. ; en 1847 les dépenses étaient évaluées à fr. 1,060,143 45 c. L'excédant des dépenses sur les revenus fixes était donc de 550,000 francs.

En 1828, les ressources affectées aux bureaux de bienfaisance étaient évaluées à 883,477 francs, et la quotité du secour; attribué à chaque indigent était de fr. 10 17 c.

En 1847, le montant des secours distribués aux indigents à domicile s'est élevé à fr. 2,694,310 15 c.; il a donc presque triplé dans l'espace de 19 ans : la moyenne des secours a été, cette année, de fr. 11 16 c. par indigent.

En 1845, les revenus fixes des bureaux de bienfaisance de la province, provenant des biens immeubles, rentes, obligations, etc. étaient de fr. 707,686 12 c. La différence entre les revenus et les dépenses faites en 1847 est de 1,986,624 francs. Si l'on ajoute cette somme au déficit constaté plus haut pour les hospices, on trouve une difference totale de plus de 2,400,000 francs qui a dû être couverte au moyen des subsides des communes, du produits des emprunts, des subsides extraordinaires de l'État et des dons de particuliers. On comprendra combien cette situation est menaçante, si l'on se représente que la différence que nous venons de signaler dépasse le montant du principal de la contribution foncière pour toute la province, qui s'élevait, en 1847, à 2,352,000 fr.

Si nous additionnons maintenant les dépenses des hospices et des bureaux de bienfaisance dans les deux provinces et aux deux époques auxquelles se rapportent les indications qui précèdent, nous aurons les résultats suivants :

 

 

(page 27) Ainsi, dans l'espace de 19 ans, la somme totale des dépenses de la bienfaisance publique a presque doublé dans les deux Flandres; le nombre des indigents a presque triplé, et la quotité des secours a été réduite dans le rapport de 17 à 12.

Cette faible quotité des secours indique d'ailleurs que le plus grand nombre des indigents inscrits ne sont pas secourus d'une manière permanente. Dans les relevés pour la Flandre orientale, on voit en effet que le nombre des indigents secourus pour la totalité de leurs besoins était, en 1818, de 4,495, en 1838, de 7,195 et en 1847, de 27,572. Les autres ne sont assistés que pendant une partie de l'année, ou même ne sont portés sur les tables des pauvres que par suite de circonstances extraordinaires, de manque de travail momentané, ou seulement pour jouir de certains avantages ou de certaines exemptions qui ne sont accordés qu'aux indigents inscrits.

 

§. 4. - Mortalité, dégénérescence de la constitution des ouvriers dans les deux Flandres

 

L'accroissement de la misère est inséparable de l'augmentation des maladies et de la mortalité. Jusqu'en 1845, l'accroissement de la population dans les Flandres n'avait pas cessé d'avoir son cours régulier. En 1832 même, année marquée par l'invasion du choléra, le chiffre des naissances l'avait emporté sur celui des décès; mais à dater de l'époque où une maladie, dont l'origine comme le remède sont encore inconnus, est venue frapper la récolte des pommes de terre, base de la nourriture des classes ouvrières, l'extension instantanée de la misère a eu pour conséquence immédiate la diminution des mariages et des naissances, et l'augmentation des décès. On pourra juger de l'intensité de ces funestes symptômes, par le relevé suivant, extrait des publications officielles, et où nous mettons en regard les chiffres moyens pour la période de 1815 à 1824, et ceux qui ont été recueillis pour les années 1845, 1846, 1847 et 1848.

 

(page 30) Il suffit de jeter les yeux sur ce tableau pour s'apercevoir de l'altération profonde qui s'est opérée dans les sources mêmes de la vie (Note de bas de page : La mortalité, dans certaines localités, est surtout considérable parmi les enfants en bas âge. Il conviendrait d'en rechercher la cause. Peut-être la trouverait-on, du moins en partie, dans un usage funeste qui tend à se propager dans les communes rurales. Pour calmer les enfants et les endormir on se sert du suc ou d'une décoction de pavot; un linge imbibé de cette substance est mis dans la bouche du nourrisson pour qu'il le suce pendant que la mère vaque à ses travaux. L'engourdissement et le sommeil obtenus par ce procédé peuvent conduire aux plus graves désordres, à l'affaiblissement de l'intelligence, à l'idiotisme et même à la mort. On sait que l'emploi de l'opium est fréquent dans les villes de fabriques de la Grande-Bretagne, et qu'on l'administre à larges doses aux jeunes enfants dont les parents travaillent dans les manufactures. Il est étrange de retrouver la même pratique dans les campagnes dela Flandre). Cette altération frappe surtout les campagnes: toute proportion gardée, les naissances ont diminué et les décès ont augmenté de plus d'un quart depuis peu d'années. L'excédant des décès sur les naissances, en 1846 et 1847, a été, dans la Flandre orientale, de 7,833, et dans la Flandre occidentale, de 11,560. C'est un total de 19,393 décès qui doivent, sans aucun doute, être attribués à l'accroissement dela misère et des terribles maladies qu'elle entraîne à sa suite. De 1815 à 1824, on ne comptait, dans les communes rurales de la Flandre orientale, qu'un décès sur 41 habitants; en 1847, cette proportion s'est élevée à 1 sur 30. Dans les communes rurales de la Flandre occidentale, la proportion s'est élevée de 1 sur 41 à 1 sur 25. Cette dernière province a donc été encore plus cruellement atteinte que la première (Note de bas de page : Afin de faire mieux apprécier encore l'influence de la misère sur le nombre des naissances, des mariages et des décès, nous avons cru qu'il ne serait pas inutile de donner ici le mouvement de la population dans les 9 provinces, pendant l'année 1848, en distinguant les villes et les communes rurales. L'indication des rapports qui se trouvent à la suite de ce relevé fait ressortir la position des deux Flandres lorsqu'on les compare aux autres provinces du pays.

 

 

Dans les tableaux qui suivent, les différentes provinces sont rangées dans l'ordre de la fréquence des décès en l'année 1848 :

 

 

(Fin de la note de bas de page)

Il importe de noter que, dans le chiffre des décès, nous n'avons pas compris les mort-nés. Quant au nombre des naissances illégitimes, il est resté proportionnellement le même, variant entre I sur 12 à 15 naissances dans la Flandre orientale, et 1 sur 22 ou 23 naissances dans la Flandre occidentale.

On remarque une amélioration assez sensible en 1848; le (page 31) nombre des naissances reste à peu près stationnaire, mais le nombre des mariages augmente et celui des décès diminue; (page 32) lorsqu'on les compare aux nombres de 1847, l'excédant des décès sur les naissances n'est plus, dans la Flandre orientale, que de 2,705, et dans la Flandre occidentale, que de 4,541.

(page 33) Cette amélioration continue en 1849; malgré le déplorable retour de l'épidémie cholérique qui, de même qu'en 1832 et 1833, sévit principalement dans les villes, le relevé général de l'état-civil dans la Flandre orientale, pendant les cinq premiers mois de cette année, ne constate plus que 9,920 décès pour 10,549 naissances. Dans les communes rurales, prises isolément, le nombre des naissances, durant la même période, s'est élevé à 7,578, tandis que celui des décès n'a été que de 5,940.

Des résultats analogues sont constatés dans la Flandre occidentale. Du 1er janvier au 10 juillet 1849, il y a eu à Courtrai 164 décès de moins que l'année précédente, pendant la même période. Dans les six premiers mois de 1849, il y a eu à Roulers 193 naissances, 37 de plus qu'en 1848, tandis qu'on n'a eu à constater que 162 décès, soit 119 de moins que l'année précédente. Enfin, la ville de Thielt a présenté, pendant les six premiers mois des trois dernières années, les résultats suivants :

 

 

Mais, malgré ces symptômes de retour à l'état normal antérieur à 1845, on ne peut se dissimuler que l'extension de la misère dans les Flandres n'ait entraîné une dégénérescence de la constitution d'une partie de la classe ouvrière, dégénérescence dont les traces se feront remarquer pendant longtemps encore. La génération qui a vu le jour sous l'influence des événements désastreux des dernières années est affaiblie, étiolée; elle n'est, pour ainsi dire, pas née viable. Elle est incessamment décimée, et les enfants qui échapperont à une mort prématurée ne pourront que propager les germes du mal originel dont ils sont atteints. Les forces d'un grand nombre d'adultes se sont épuisées par suite d'une alimentation malsaine et presque toujours insuffisante. De là des accidents, des maladies, (page 34) des infirmités qui alimentent la misère et le paupérisme dans plusieurs localités.

M. le commissaire de l'arrondissement de Roulers-Thielt, dans le rapport qu'il a adressé, en 1847, à la députation permanente de la Flandre occidentale, a fait ressortir les effets de la misère sur la constitution physique du peuple, en comparant le nombre des jeunes gens qui ont été inscrits pour la milice avec le nombre des exemptions prononcées pour infirmités et pour défaut de taille, dans l'une des provinces les plus prospères du royaume, le Hainaut, dans les arrondissements de Bruges, de Dixmude, de Furnes, d'Ostende et d'Ypres, où prévaut le travail agricole, et dans les arrondissements de Courtrai, de Thielt et de Roulers, siége principal de l'industrie linière dans la Flandre occidentale. Les résultats de cette comparaison sont consignés dans le tableau suivant :

 

 

Ces chiffres n'ont pas besoin de commentaires; ils résument dans leur énergique concision toutes les misères dont notre (page 35) plume est impuissante à retracer le tableau. Ils révèlent l'action latente et continue d'un mal antérieur à la crise dont nous sortons à peine, mal que l'on peut assoupir peut-être à l'aide de certains palliatifs, mais qui reparaîtra tôt ou tard plus terrible et plus profond, si l'on n'avise aux moyens de le combattre avec énergie et persévérance.

 

§. 5. - Indigence dans l’arrondissement de Roulers-Thielt

 

De tous les arrondissements des deux Flandres, c'est assurément celui de Roulers-Thielt qui présente le spectacle le plus affligeant.

Sa population, exclusivement vouée à l'agriculture et à l'industrie linière, était naguère dans une situation relativement favorable; mais depuis la crise et la stagnation qui sont venues frapper le commerce des toiles, le paupérisme s'est rapidement propagé de commune en commune. Au 1er janvier 1846, sur une population de 130,954 habitants, l'arrondissement comptait 45,805 indigents inscrits sur les registres de la bienfaisance publique, soit 1 indigent sur 2,80 habitants. Au 1er mai 1847, sur une population de 123,833 habitants, le chiffre des indigents s'élevait à 52,241, soit un indigent sur 2,37 habitants (Rapport du commissaire de l'arrondissement de. Roulers-Thielt. Juillet 1847). Les derniers relevés pour 1848, attestent une légère diminution : le nombre des indigents n'est plus que de 49,272 sur une population de 117,772 habitants, soit un indigent sur 2,39 habitants  (Rapport de la députation permanente du conseil provincial sur l'etat de l'administration dans la Flandre occidentale, en 1848, p. 107).

 Pour faire apprécier cette situation dans sa triste réalité, nous donnons ici un document puisé à une source officielle  (Renseignements communiqués par M. le commissaire d'arrnndis- sementde Roulers-Thielt. Juillet 1848) et qui indique le nombre des naissances et des décès en 1847, et, (page 36) pendant les 5 premiers mois de 1848, le nombre de familles indigentes, la quotité des secours affectés annuellement à chaque famille, ainsi que le nombre de veuves dont les maris ont été emportés par la misère et le typhus, qui a exercé de si terribles ravages en 1847 et au commencement de 1848, dans toute l’étendue de l'arrondissement. Ces derniers renseignements se rapportent au commencement de 1848.

 

 

(page 37) Ainsi, dans 18 communes de l'arrondissement de Roulers, on comptait au commencement de 1848, 9,713 familles réputées insolvables et 1,264 veuves dans l'indigence; dans dix-sept communes de l'arrondissement de Thielt, le nombre des premières était de 8,576 et celui des secondes de 1,241. La quotité des secours provenant des revenus fixes des bureaux de bienfaisance, variait, pour chaque famille, suivant les communes, de fr. 1 89 c. à 16 francs.

(page 38) Faut-il s'étonner si ce profond dénûmeut entraîne après lui la maladie, la mort et la dépopulation? Depuis le commencement de ce siècle jusqu'en 1841, la population des deux arrondissements réunis n'avait cessé de progresser; de 97,490 qu'elle était en 1801, elle s'était successivement élevée jusqu'à 132,104 habitants au 1er janvier 1842; mais à partir de cette dernière année, se manifeste le mouvement de décroissance: dans l'espace de 7 ans, au 1er janvier 1849, le nombre des habitants était réduit de 132,104 à 117,772. Cette réduction de 14,332 habitants est due, en partie à l'expatriation, mais surtout à la diminution du nombre des mariages et des naissances, et à l'excessive mortalité qui a signalé ces dernières années. On pourra en juger par le relevé suivant:

 

 

II résulte de ces chiffres que le nombre des mariages a successivement diminué jusqu'en 1847, pour reprendre, en 1848, une marche ascendante : c'est un symptôme d'amélioration qui prouve que l'espérance renaît au sein de la population si cruellement éprouvée pendant ces dernières années. Le rapport des naissances à la population continue à s'abaisser; mais il est presque certain que l'accroissement du nombre des mariages, en 1848, contribuera à élever ce rapport dès 1849. Quant aux décès, (page 39) l'année 1846 présente un chiffre effrayant qui, heureusement, a subi une réduction assez considérable l'année suivante : ce présage annonce un meilleur avenir. C'est surtout la classe pauvre et ouvrière qui a subi l'influence de la crise que nous venons de traverser. L'abondance et l'abaissement du prix des subsistances, la reprise partielle du travail ont commencé à améliorer la situation; mais il ne faut pas se dissimuler que le mal dont les chiffres qui précèdent révèlent l'intensité, laissera des traces encore longues et qui ne disparaîtront que grâce à l'emploi de remèdes persévérants.

 

§. 6. - Criminalité dans les deux Flandres

 

La criminalité est la compagne inséparable de la misère : à mesure que s'accroît le nombre des indigents, on voit aussi augmenter le nombre des délits. La faim est une mauvaise conseillère : au sein du dénûment qui l'accable, l'homme perd insensiblement la notion du juste et de l'injuste, du bien et dn mal; incessamment sollicité par des besoins qu'il ne peut satisfaire, il méconnaît les lois, et finit par ne reculer devant aucune tentative qui lui paraît susceptible d'améliorer sa position. Il suffît de pénétrer dans une prison pour se convaincre de l'influence de cette cause sur le nombre et la nature des offenses, et avant même d'interroger les relevés statistiques qui attestent les progrès de la criminalité dans les Flandres, on pouvait être assuré que ces progrès avaient coïncidé avec ceux du paupérisme. Ce n'est donc pas une démonstration, que nous jugeons parfaitement inutile, que nous venons offrir ici, c'est uniquement une série de faits qui doivent servir à faire apprécier l'intensité du mal et l'urgente nécessité de l'attaquer à sa source.

1. Le premier de ces faits est le chiffre élevé des condamnés appartenant aux deux Flandres, lorsqu'on le compare à la totalité des condamnés dans les maisons centrales de détention :

 

 

(page 40) Dans l'espace de 10 ans, de 1838 à 1847, 23,075 condamnés ont été écroués dans les maisons centrales du royaume : 10,308 appartenaient aux deux Flandres et 12,767 aux autres provinces; la proportion, sur 1,000 condamnés, a donc été de 447 pour les deux premières provinces et de 553 pour les sept autres. Or, cette proportion dépasse considérablement celle des populations respectives des deux grandes divisions qui, pour 1,000 habitants, n'en donne que 331 aux Flandres et 669 au reste du royaume. En d'autres termes, pendant la période décennale précitée, il y a eu un condamné écroué dans les maisons centrales sur 139 habitants dans les Flandres et sur 227 dans les sept autres provinces.

2. Le second fait est la progression du nombre des prévenus et des condamnés dans les provinces flamandes pendant les dernières années, et particulièrement depuis la crise alimentaire qui a éclaté en 1845; on pourra en juger par le relevé suivant :

 

 

(page 41) On remarquera que, pendant un espace de 7 ans, le nombre des prévenus dans les deux Flandres a augmenté dans la proportion de 7 à 17 environ ; celui des condamnés à l'emprisonnement s'est accru, durant le même intervalle, de 35 à 123, c'est-à-dire qu'il a presque quadruplé. L'augmentation a été moins considérable pour les accusés et les condamnés criminellement; elle se ressent cependant de l'accroissement général du nombre des inculpés.

Ces données trouvent leur confirmation dans le relevé du nombre des individus écroués dans les maisons de sûreté et (page 42) d'arrêt des deux Flandres, ainsi que dans la population moyenne de ces établissements durant la période de 1839 à 1848 :

 

 

(page 43) L'augmentation du nombre des individus écroués dans les maisons de sûreté et d'arrêt des deux Flandres porte surtout sur les années 1845, 1846 et 1847 ; en 1848, on remarque un mouvement décroissant assez prononcé qui continue en 1849. De tous les signes propres à constater l'existence et les progrès du paupérisme, celui-ci est peut-être le plus certain. Pendant les années désastreuses qui viennent de s'écouler, les prisons sont devenues en quelque sorte des succursales des hospices et des dépôts de mendicité; un grand nombre d'offenses ont été commises dans l'unique but d'y trouver asile, et l'on a vu, dans quelques localités, des malheureux se presser aux portes des parquets pour solliciter leur tour d'admission dans des lieux qui ne devaient contenir que des criminels. Depuis 1846 surtout, les campagnes ont déversé dans les villes des bandes de femmes et d'enfants affamés, qui ont dû être mis en arrestation du chef de mendicité et de vagabondage, pour être ensuite renvoyés dans leurs communes. Ainsi, en 1846, 1847 et pendant le 1er semestre de 1848, sur un nombre de 24,604 détenus écroués dans la seule maison de sûreté de Bruxelles, il y a eu 19,456 individus des deux sexes et de tout âge appartenant aux deux Flandres.

3. Quant aux enfants, on comprendra l'imminence du danger lorsqu'on se représentera que, dans le court espace de 3 ans, de 1845 à 1847, 26,247 enfants et jeunes gens des deux sexes, âgés de moins de 18 ans, ont été incarcérés dans les prisons et reclus dans les dépôts de mendicité (Ed. Ducpetiaux, Mémoire sur l'organisation des écoles de réforme; 1848; p. 8 et 9). La plupart de ces enfants appartenaient aux deux Flandres; un grand nombre ont été arrêtés hors des limites de leur province ; voici quelle a été la progression du nombre de ceux qui ont été écroués dans les maisons de sûreté de Gand et de Bruges et dans les maisons d'arrêt d'Audenarde, de Termonde, de Courtrai, d'Ypres et de Furnes :

 

(page 44) Ce fait déplorable de l'accroissement de la criminalité durant l'enfance trouve son explication dans la statistique de l'indigence. Nous voyons en effet que, parmi les indigents secourus dans la Flandre orientale, en 1847, il y avait :

 

 

Les chiffres des deux premières catégories sont indiqués dans (page 45) l’Exposé de la situation de la Flandre orientale pour 1848, page 101.

Le chiffre de la troisième catégorie s'obtient en appliquant la moyenne des indigents, soit 24 26/100 p. c. dans les villes et 29 50/100 p. c. dans les campagnes, au chiffre de la population de 12 à 18 ans, laquelle s'élève dans les villes, à 22,718 et dans les campagnes, à 68,002 (total : 90,720)

En supposant que la Flandre occidentale, qui compte proportionnellement plus d'indigents encore que la Flandre orientale, présente la même proportion d'enfants, on arrive, pour les deux provinces, à un total de 225,894 indigents dont l'âge ne dépasse pas dix-huit ans. Dans ce nombre, il y en a 174,588 qui n'ont pas dépassé leur douzième année! Et il y a des milliers d'orphelins!

Malgré l'amélioration qui commence à se faire sentir, grâce à la reprise partielle du travail et au bas prix des subsistances, heaucoup de ces jeunes infortunés continuent à se livrer au vagabondage et à la mendicité. Chassés naguère de leurs foyers par le froid et la faim, ils forment une population errante, incessamment ballottée de dépôt en dépôt, de prison en prison. A Bruxelles, dans ce moment (juillet 1849), il se trouve encore, dans la succursale de la maison de sûreté, environ 250 mendiants, parmi lesquels on compte 97 enfants au-dessous de l'âge de 17 ans. Dans les maisons de sûreté de Gand et de Bruges, leur nombre est également considérable. On remarque avec peine que les enfants fournissent toujours un contingent considérable aux arrestations. Il en entre encore environ 50 à 60 par mois dans la seule prison de Bruges. Ces enfants appartiennent presque tous à la population rurale : ils sont généralement âgés de 10 à 15 ans; 2/3 appartiennent au sexe masculin, 1/3 environ an sexe féminin. Les uns sont avec leur famille; les autres, et c'est le plus grand nombre, sont seuls; beaucoup sont orphelins. (page 46) Parmi les communes qui fournissent le contingent le plus élevé de jeunes mendiants et vagabonds à la prison de Bruges, on peut citer : Meulebeke, Oost-Roosbeke, Wynghene, Ichtegem, Aertryke, Thourout, Ardoye, Pitthem, Thielt, Aeltre (Flandre occidentale), Anseghem et Orteghem (Flandre orientale). Tous ces enfants sont arrêtés à Ostende où ils se rendent lorsqu'ils sont fatigués de leur existence vagabonde ou lorsqu'ils sont atteints de quelque maladie; ils connaissent le jour de correspondance et agissent en conséquence. A Bruges, lorsqu'ils parviennent à tromper la consigne donnée aux employés de l'octroi de leur interdire l'entrée de la ville, on se borne à les reconduire hors des portes où on les rencontre souvent en grand nombre.

Quant aux jeunes mendiants arrêtés à Ostende, ils sont conduits à Bruges par la gendarmerie, et après avoir été gardés une quinzaine de jours environ dans la maison de sûreté, ils sont renvoyés par la correspondance dans leurs communes respectives, à l'exception des malades, des galeux et des teigneux, qui ne sont renvoyés qu'après leur guérison. La gendarmerie les remet entre les mains de l'autorité communale; mais celle-ci est le plus souvent dans l'impossibilité de leur venir en aide; d'où il suit que ces mêmes enfants ne tardent pas à reprendre forcément leurs habitudes vagabondes. Il en est qui, depuis 2 ans, ont été repris et incarcérés jusqu'à 15 et 16 fois.

On comprend les résultats de cette espèce de roulement : une dépense considérable en frais d'arrestation, d'entretien, de transport ; une démoralisation toujours croissante. Lorsque ces infortunés ont quitté leur commune, ils se réunissent d'ordinaire par petites bandes, filles et garçons; la nuit, ils trouvent refuge dans des granges où les deux sexes sont réunis et confondus. Nous ne voulons pas retracer les scènes dégoûtantes qui se passent dans ces réduits. Il suffit de dire que plusieurs jeunes filles ont mis au monde, dans nos prisons, des enfants dont elles ignoraient les pères.

Chose non moins déplorable, les enfants qui mendiaient il y a 3 ans, sont devenus aujourd'hui des maraudeurs déterminés et (page 47) d'habiles voleurs; le nombre de ces derniers augmente dans une proportion alarmante.

C'est donc là un fait bien constaté : l'accroissement de la criminalité dans les Flandres a marché de pair avec l'extension de la misère. Celle-ci provoque l'abandon des foyers, et, dans quelques communes, on a vu cet abandon favorisé par les administrations elles-mêmes : de là la mendicité, le vagabondage, le maraudage et le vol. L'incarcération forcée d'un si grand nombre de malheureux entraîne les conséquences les plus désastreuses. Des germes de corruption, d'abrutissement et de crime sont incessamment inoculés à une fraction nombreuse de la population. Les habitudes de travail se perdent, le ressort se détend, l'oisiveté devient incurable. Lorsque l'on songe surtout à la masse d'enfants qui, pendant les dernières années, ont passé par les prisons et les dépôts de mendicité, on ne peut envisager sans une pitié, mêlée de crainte, l'avenir de cette génération initiée, dès le premier âge, à l'existence des criminels et condamnée aux dangers et aux maux inséparables du délaissement et de la dégradation auxquels elle est en proie.

Chapitre II. Causes de la misère et du paupérisme dans les Flandres