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« Aperçus de la part que j’ai prise à la révolution de 1830 » (« Mémoires »), par A. Gendebien (1866-1867)

 

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D. L’ASSOCIATION NATIONALE.

 

IV. Gendebien expose au régent la nécessité d’exiger de la garde civique qu’elle prête le serment légal

 

(page 181) Gendebien parle ensuite de l’animosité qu’avait soulevée, dans les masses populaires, l’attitude hésitante de la garde civique. Elle était frappée de suspicion, par suite des « propos inconsidérés » de quelques-uns de ses chefs et de leur velléité de refuser le serment au chef de l’Etat. D’autre part, une « habile tactique des Orangistes » avait inquiété la bourgeoisie, à laquelle ils présentaient, sans cesse, le dilemme : LE PRINCE D’ORANGE OU LA RÉPUBLIQUE. Par crainte d’un régime anarchique, beaucoup de notables et de petits bourgeois en étaient arrivés à se résigner à l’élévation du prince au trône. 

Aussi le peuple, exalté par la victoire du 24 mars sur les Orangistes, se répandait-il en menaces contre certains chefs de la garde.

 « Désirant dit Gendebien — calmer les irritations, conjurer une lutte qui pouvait tout compromettre et produire, tout au moins, de graves désordres, je me rendis chez le Régent, le 25 mars au matin. 

Il paraissait n’avoir pas conscience de l’événement de la veille ni de son importance. Après des explications complètes et l’assurance donnée que les choses n’iraient pas plus loin, s’il voulait, avec franchise et fermeté, en accepter les conséquences, je lui dis qu’il fallait immédiatement exiger le serment de l’état-major de la garde civique. « Mais il le refusera, dit-il, et alors, que faire? » — « Alors, il faudra dissoudre la garde civique, lui dis-je ; les tièdes et les timides déposeront leurs armes sans hésiter et peut-être avec joie, les hommes énergiques et patriotes les y pousseront, les contraindront au besoin. » — « Tout cela est plein de dangers », dit le Régent. — « Le véritable, le seul danger sérieux et qu’il faut conjurer à tout prix, c’est un conflit entre la garde civique et le peuple. Celui-ci n’a pas oublié qu’il a, une première fois, désarmé la garde bourgeoise au mois de septembre dernier. Il hésitera d’autant moins à faire la même chose, qu’il a, dans la garde civique, de nombreux auxiliaires. 

« Je sais que quelques officiers ont dit qu’ils ne prêteraient pas le serment, mais tous ne parlent pas ainsi ; les plus énergiques n’hésiteront pas ; ils contraindront, s’il est besoin, les récalcitrants. D’ailleurs, 24 heures de réflexion sur les événements d’hier soir, changeront bien des partis pris, feront disparaître bien des hésitations. » 

Le Régent me regarda, avec son sourire de bonhomie qui signifiait : (page 182)  « — Je vous comprends. Allez, me dit-il, chez le général d’Hooghvorst. » « — C’est ce que je me propose de faire. » « — Allez-y comme ministre de la Justice. » «  — Mais il y a 48 heures que je ne le suis plus. » « — Votre  beau-père, ma ami Barthélemy, n’a accepté qu’avec grande répugnance  et pour ainsi dire, contraint et forcé ; vous lui rendrez un grand service ainsi qu’à moi, en reprenant votre portefeuille. » 

« — Mon cher Monsieur Surlet, depuis huit mois je suis sur la brèche ; je suis fatigué, excessivement fatigué ; le pouvoir n’a pour moi aucun  charme, je ne l’ai jamais recherché, il est venu me trouver, il m’a été imposé. Je ne suis pas de ceux qui le mendient, mais de ceux qui savent le refuser. Alors même que je pourrais l’accepter, je le refuserais aujourd’hui, parce que je ne consentirai jamais à partager le pouvoir avec M. de Brouckere. 

« — Voulez-vous remplacer M. de Sauvage à Liége ? 

« — Non, Monsieur le Régent, je n’accepte aucune fonction. D’ailleurs, M. Tielemans, en proposant M. Sauvage pour le ministère de l’intérieur, vous a demandé de le remplacer à Liége. Je ne puis et ne veux quitter Bruxelles, ma présence y est plus utile qu’à Liége ; elle pourra devenir nécessaire. »

Au moment de quitter le Régent, il me serra affectueusement la main et me dit « Bonne chance »