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« Aperçus de la part que j’ai prise à la révolution de 1830 » (« Mémoires »), par A. Gendebien (1866-1867)

 

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C. LE GOUVERNEMENT PROVISOIRE.

 

L. Divers discours en faveur de Nemours.

 

(page 441) Plusieurs bons discours ont soutenu la candidature du duc de Nemours et l'ont défendue énergiquement contre les injustes attaques des partisans souvent très passionnés de la candidature de Leuchtenberg. Je citerai, entre autres, les discours de MM. Blargnies, Ch. de Brouckère, Ch. Le Hon, Nothomb, de Robaulx, Lardinois, Claus, Van de Weyer, Seron, H. Vilain XIIII et les chaleureuses improvisations de M. For­geur.

Gendebien rappelle ici le discours qu'il a lui-même prononcé.

Je donne une courte analyse du discours de M. H. Vilain XIIII, parce que sa mission diplomatique à Londres, pendant un mois, l'a mis en situation de constater la duplicité de ses hommes d'Etat et leur impuissance à nous faire tout le mal dont leur représentant Ponsonby nous menaçait.

« Député de la Belgique, dit-il, je choisirai pour elle un chef français, car c'est dans la France et non dans l'Angleterre, et non dans la Sainte-Alliance, que la Belgique doit désormais placer son appui, doit mettre son espoir, pour obtenir la complète victoire de cette (page 442) glorieuse révolution qui, après six siècles de servitude, l'a replacée au rang des nations.

« Je n'irai point chercher mes inspirations chez un ambassadeur anglais ou chez un banquier juif, spéculateur des rois, à la hausse ou à la baisse. Mes oracles seront plus sûrs et surtout plus patriotiques : ce seront les besoins du pays qui me guideront, ce seront les lois de la nécessité et du sens commun....

« L'Angleterre nous fait la guerre ! mais on n'y pense pas : accablée de vingt milliards de dettes et de cinq millions de prolétaires, à la veille d'une guerre civile ; subjuguée d'une part sous la prétention du clergé et de l'aristocratie qui dévorent sa plus pure substance, tiraillée de l'autre, par les justes exigences du tiers-état qui veut à tout prix la réforme des abus, l'abolition des dîmes, l'égale représentation, l'Angleterre ne nous fera pas ta guerre et ne saurait la faire.

« Comme commissaire délégué à Londres, j'ai. vu ce pays de près, j'ai vu qu'au premier cri de guerre et d'intervention que prononcerait son cabinet, ce cabinet et peut-être le roi lui-même tomberaient sous les malédictions populaires            .           ­

« Singulière inconséquence d'un gouvernement qui là-bas veut le prince d'Orange et ici le duc de Leuchtenberg, mais toujours le prince d'Orange, car l'Angleterre ne pouvant nous combattre, veut nous tromper, et, dans sa politique, le prince de Bavière n'est qu'un chef éphémère et de transition, roi d'un jour, sans appui au dehors et sans consistance au dedans. »

Ces courts extraits du discours de M. H. Vilain XIIII suffisent à démontrer deux choses : la nécessité de se défier de la politique anglaise et de combattre ses intrigues ; ils prouvent aussi la coupable confiance de nos hommes d'Etat dans la politique anglaise et dans les conseils de son représentant Ponsonby ; ils démontrent aussi combien étaient vaines, sinon hypocrites, leurs menaces de guerre pour faire échouer la candidature de Nemours au profit de leur client, le duc de Leuchtenberg.

Je ne puis passer sous silence le discours de mon honorable ami M. Seron, parce qu'il confirme ce qu'a dit M. H. Vilain XIIII, et parce qu'il mérite, sous tous les rapports, d'être dégagé de l'épais linceul qui le tient enseveli dans le compte rendu d'un journal devenu très rare.

Voici comment le compte rendu de L'Union Belge commence son office :

« M. Seron (mouvement d'attention).

« L'honorable orateur prononce avec chaleur le discours suivant qui est entendu par l'assemblée dans le plus religieux silence.

« L'un des motifs pour lesquels j'ai déjà donné et donnerai la préférence au duc de Nemours sur le duc de Leuchtenberg, sans les connaître ni l'un ni l'autre, c'est précisément celui que les partisans de ce dernier font valoir en sa faveur. Ils prétendent que la Russie, l'Autriche, la Prusse et l'Angleterre le reconnaîtront. Je prétends, moi, que si la Sainte-Alliance et l'Angleterre le reconnaissent, la France ne le reconnaîtra pas. - Je dis la France sans la séparer de son monar­que...

« Croyez-vous que cette France qui, tout-à-l'heure, aura sous les armes 600,000 hommes de troupes de ligne prêtes à entrer en campagne, ne sente pas sa situation et sa force ?..

« Croyez-vous qu'elle consentira à ce que sa frontière, au Nord, soit échancrée par une ligne de forteresses qu'occuperaient ses ennemis, ou, ce qui serait la même chose, croyez-vous qu'elle souffrira, sur le trône de la Belgique, un roi qui soit leur allié ?

« Et si la France ne reconnaît pas le duc de Leuchtenberg, vous qui l'aurez imprudemment appelé ici, ferez-vous pour l'y maintenir une guerre impie à une nation amie, votre alliée naturelle, votre unique soutien ?.. Oubliez-vous que c'est à cette nation au-dessus de laquelle un orateur vous a si gratuitement placés sous le rapport des connaissances en liberté religieuse, politique et civile, oubliez-vous que, sans le principe de la non-intervention solennellement proclamée par le gouvernement français et signifié aux autres puissances, il y a trois mois que le Rhin eût été franchi, notre pays envahi et notre sainte insurrection punie ? Et ceux qui calomniaient ce même gouvernement, ignorent-ils que, sans sa protection, ils seraient aujourd'hui pendus ou fugitifs ?

« Dans le dessein de faire détester la France que naguère on bénissait, n'a-t-on pas dit qu'elle consentirait à ce qu'on vous imposât le prince d'Orange ! Mais la conduite du gouvernement de Louis-Philippe dément cette infâme accusation ; le prince d'Orange ne conviendrait pas mieux à la France que le duc de Leuchtenberg ; voulez-vous savoir par qui il serait agréé avec plaisir ? Par l'Angleterre, dont il deviendrait le vassal et le fermier, comme l'était son père ; alors, ce gouvernement égoïste, perfide, ennemi mortel de la liberté et de la prospérité des autres peuples, ainsi qu'il l'a prouvé par sa conduite envers les Sept Iles, envers la malheureuse Grèce, envers les Indiens, les Français, les Gênois, les Napolitains, les Portugais, les Espagnols, les Danois, envers (page 444) vous-mêmes, ce gouvernement égoïste, dis-je, aurait un pied-à-terre sur le continent, une barrière formidable contre la population nombreuse, compacte et guerrière de la France, de la France, sa rivale depuis sept cents ans, et que, malgré les prédictions de nos grands penseurs, elle regardera toujours comme son ennemie, à cause de la position géographique des deux pays. .

« Maîtresse du port d'Anvers et de vos autres places fortes, elle continuerait de la menacer de vos armées     Oui, Messieurs, le roi qui serait agréable à l'Angleterre, c'est le prince d'Orange... Voilà ce qu'ont appris vos diplomates et quant à moi, je n'avais pas besoin d'aller à Londres pour en être persuadé.

« Est-ce de bonne foi qu'on voudrait nous placer sous la protection et le patronage d'une nation qui, sauf ses marchandises, ne peut nous offrir que la misère et l'esclavage ?

« Est-ce sérieusement qu'on nous dit que, sans l'alliance de la France, la Belgique peut subsister en corps de nation ?

« Est-ce sérieusement qu'à cette tribune, on a voulu prouver que sans la France, notre commerce peut prospérer... ; les industriels, les manufacturiers, les économistes ne sont-ils pas au contraire persuadés que, sans l'alliance de la France, notre commerce est frappé de mort ?

« Pour vous éloigner d'elle, on vous la peint comme faible, divisée en partis... Il est certain, au contraire, que les principes d'une sage liberté y sont répandus dans toutes les classes de la société, que les partis y sont bien moins dangereux qu'ils ne l'étaient au fort de la Révolution ; qu'en un mot, la France d'aujourd'hui a plus de force pour les comprimer et pour vaincre ses ennemis au-dehors, si on osait attaquer sa liberté et son indépendance, qu'elle n'en avait en 1793 et 1794, quand elle résista à toute l'Europe conjurée contre elle.

« Avec nous, elle est bien plus forte encore, et réunis à elle, quels ennemis craindrions-nous ?

« On parle de la guerre ! Je suis loin de la croire imminente. Ni l'Angleterre, ni la Sainte Alliance n'y sont préparées ; j'ose dire qu'elles doivent la craindre plus que nous. Mais, guerre pour guerre, il vaut mieux mille fois la faire avec la France que contre la France. Avec elle, nous sommes libres, si nous sommes vainqueurs ; sans elle, nous sommes. esclaves avant de combattre.

« On parle de notes contradictoires et menaçantes de la diplomatie. J'avoue que j'en fais peu de cas ; je n'y vois que les ruses de gens qui cherchent à se tromper les uns les autres. Le thermomètre que je consulte, c'est la situation des esprits en Europe, c'est l'amour des (page 445) peuples pour la liberté. Comment pourraient-ils voir d'un œil jaloux l'alliance intime de deux nations qui n'ont nulle envie d'attenter à leur indépendance, qui, comme eux, veulent la liberté ? »

M. Seron termine son discours par une philippique indignée contre les courtisans et les intrigants qui sèment l'or et les pamphlets, provoquent des rassemblements et des désordres, pour faire croire que la nation désire Leuchtenberg ; puis viennent affirmer que la nation veut leur candidat. Il est des hommes, dit-il, qui rougiraient peut-être si on signalait les honteuses manœuvres qu'ils ont employées. Il proteste contre les menaces affichées sur les murs ou vociférées par les rues, et contre les calomnies inventées pour intimider un grand nombre de représentants et les forcer à faire un choix qui répugne à leur conscience et qu'ils croient funeste à la nation. Puis, il continue en ces termes :

« Ceux-là trompent le peuple qui lui persuadent qu'il aura en abondance du pain et du travail, quand nous aurons nommé un roi. Ceux-là se trompent eux-mêmes qui croient qu'avec un roi postiche, sans un seul vaisseau, sans le concours de la France, nous allons tout-à-­l'heure entrer en possession et de la citadelle d'Anvers et du cours de l'Escaut... et nous décharger du fardeau de la dette. »

M. Seron avait bien raison. La liberté de l'Escaut, discutée, contestée, anéantie pendant des siècles, a été conquise par la France et proclamée par les représentants de la République française, Ramez et Lefebvre de Nantes, le 30 thermidor, an III, jour de la célébration de l'immortelle journée du 10 août 1792.

On trouve dans le recueil des proclamations et arrêtés des représentants du peuple (vol. 4 imprimé par Huyttens) l'arrêté et le procès­-verbal des cérémonies et des discours qui ont accompagné cet immense et inappréciable bienfait pour la Belgique. Je me bornerai à reproduire les deux considérants.

« Considérant qu'il est temps que les contrées sur lesquelles la République a porté ses armes, jouissent du fruit de ses victoires et des efforts généreux des défenseurs de la liberté ;

« Considérant que la France attache toujours à ses triomphes l'affranchissement de l'agriculture, la prospérité du commerce et les avantages que le peuple doit en tirer.

« Art. 2. - La liberté de la navigation de l'Escaut est proclamée, elle est placée sous la sauvegarde de la République. »

La municipalité d'Anvers a adressé, à cette occasion, aux représentants de la République, un discours dont je recommande la lecture.

 


(page 446) Les sentiments de reconnaissance noblement exprimés, au nom de la Belgique et du commerce anversois, font un frappant contraste avec les justes doléances que fait entendre, depuis six ans, la population d'Anvers (r).

Ainsi que l'a affirmé mon ami Seron, Leuchtenberg était impuissant à faire cette conquête. Nemours, au contraire, protégé, puissamment aidé par la France, aurait pu faire et aurait fait, sans doute, ce que la République française a fait le 30 thermidor an III.

Nous ne reproduisons pas la « digression », comme il la qualifie lui­-même, de Gendebien relativement à la liberté de l'Escaut. C'est une déclamation violente et, à notre avis, injuste, contre le roi Léopold 1er et les signataires du traité de 1839.

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