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« Aperçus de la part que j’ai prise à la révolution de 1830 » (« Mémoires »), par A. Gendebien (1866-1867)

 

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C. LE GOUVERNEMENT PROVISOIRE.

 

XLVI. La discussion sur le choix du chef de l'Etat. La lettre du duc de Bassano à de Stassart et le désarroi des partisans de Leuchtenberg.

 

(page 432) Dans la séance du 29 janvier, le Congrès aborda enfin la question de l'élection du chef de l'Etat. Le 31 janvier, M. Ch. Le Hon prononça un discours dont les révélations jetèrent un grand jour sur les manœuvres des partisans de Leuchtenberg et dont la dialectique ne contribua pas peu à faire repousser cette candidature.

« J'ai l'habitude, dit-il, de ne rien cacher à la tribune et je dirai ce que je sais. J'ai eu, avant-hier (29 janvier) entre les mains une lettre écrite au duc de Bassano ; cette lettre est originale, et il y est dit que, le 2 janvier, des envoyés belges sont arrivés à Munich.

« Je ne savais pas que des envoyés fussent partis pour Munich ; ce n'est certainement ni le gouvernement ni le Comité diplomatique qui les a envoyés. Et huit jours après ce jeune prince reçoit une ovation au théâtre de cette ville, et son portrait est colporté dans toutes les rues. Je ne savais pas cependant qu'il eût été question du choix de ce prince au Congrès et j'avoue qu'en voyant cette ovation, les trépignements des tribunes, on a été autorisé à penser que tout cela se faisait par ordre du gouvernement ; et cette circonstance a fait que ce nom a été d'autant mieux accueilli par le peuple. Je vous laisse tirer les conséquences de ces faits ; qu'on ne vienne donc pas nous dire qu'il excite au plus haut point la sympathie de la nation.

(page 433) « Du reste, la lettre dont je viens de parler ne se borne pas à dire que des envoyés belges sont allés à Munich le 12 janvier ; le duc de Leuchtenberg dit encore que toute acceptation de sa part serait subordonnée à l'agrément de Louis-Philippe : l'intérêt même de la Belgique, dit-il, lui commande cette réserve. Qu'on ne vienne donc plus nous parler de l'opposition du gouvernement. C'est le prince lui-même qui refuse et qui, plein d'amour pour la France et par respect pour la mémoire de son père, ne veut pas d'un trône acheté au prix de la répugnance du gouvernement français. »

Connaissant les intentions, la volonté bien arrêtée du duc de Leuchtenberg de n'accepter la couronne de Belgique, qu'avec l'agrément du gouvernement français, on comprend les colères des partisans de ce prince et les injures imprudentes adressées à ce gouvernement et à M. Sébastiani, lorsque celui-ci déclara que le choix de Leuchtenberg serait désagréable à son gouvernement.

C'est sans doute aussi dans la crainte que les intentions et la volonté du duc de Leuchtenberg fussent connues du Congrès que les promoteurs de sa candidature demandaient, dès le 18 janvier, que le Congrès se constituât en permanence et déférât la couronne au duc de Leuchtenberg sans désemparer. C'est pour cette raison qu'ils s'opposaient avec un zèle et une vivacité extrêmes à toute proposition, à toute discussion qui pouvaient retarder son élection.

M. Ch. Le Hon continue : « Avec le duc de Leuchtenberg, a-t-on dit, point de guerre. Il sera reconnu des puissances, de la France elle-même... Qui vous l'a dit ? Un personnage bien instruit sur ce point ; mais si ce personnage est votre oracle (Ponsonby) ; ajoutez que ce même personnage déclare que ce prince ne sera pas reconnu par les puissances, s'il ne l'est pas par la France ; que les traités sont formels ; que la France a le droit d'envahir dès que cette reconnaissance a lieu. Ajoutez encore qu'il a dit que ce prince nommé ne serait qu'un Belge de plus, qui finirait par quitter le pays, quand notre marasme politique serait, au bout de quelques mois, assez avancé. Quand on invoque le langage d'un personnage, il faut l'accepter ou le rejeter tout entier. »

Dans la séance du 2 février, M. Van de Weyer mit les partisans du duc de Leuchtenberg dans la cruelle nécessité de produire une lettre de M. de Bassano qui démontrait les intentions du duc de Leuchtenberg.

Je me permettrai, dit-il, de rappeler au Congrès la détermination prise par le duc de Leuchtenberg. Si j'ai bonne mémoire, le membre du Congrès qui s'est prononcé le partisan le plus zélé et le plus ardent (page 434) pour le duc de Leuchtenberg, est possesseur d'une lettre du duc de Bassano qui confirme cette détermination. Il y a deux lettres, une officielle, une particulière, et toutes les deux contiennent un refus formel d'accepter la couronne.

M. Lebeau désire qu'on sache que ce n'est pas lui qui a reçu la lettre en question.

Mais M. Lebeau connaissait cette lettre ; il en a reçu communication le 27 janvier ; il n'en a pas moins, deux jours plus tard (29 janvier) plaidé longuement, chaudement en faveur de la candidature de Leuch­tenberg.

M. Van de Weyer insiste sur son affirmation et termine en disant : : « Je prie le Congrès d'être bien certain que si une pièce quelconque me fût parvenue, je n'en aurais pas fait mystère, parce que, dans une circonstance aussi importante, je manquerais à mes devoirs, si je n'en donnais pas connaissance immédiate à l'assemblée. »

Dans les tribunes : ( Bravo ! Bravo ! Bravo ! ») (Interruption.)

M. de Stassart : « Je demande la parole pour un fait personnel. Le député que notre honorable collègue M. Van de Weyer désigne comme ayant reçu de M. le duc de Bassano une lettre relative au refus que le duc de Leuchtenberg ferait de la couronne belge, c'est moi. Je me suis empressé d'en donner connaissance à ceux de mes collègues qui croyaient devoir appuyer la candidature du duc de Leuchtenberg : je la leur ai communiquée le 27 à l' hôtel de la Paix. »

On comprend la déconvenue des partisans du duc de Leuchtenberg. Cet incident a été pour eux une double défaite. Leur tactique percée à jour, appréciée par le Congrès et par les tribunes, quel espoir pouvait-il leur rester ? Quelle influence mystérieuse leur a inspiré une persistance aussi déplorable qu'illogique et injustifiable ?

Les révélations qui se sont produites à la séance du 2 février, les aveux de M. De Stassart dont la tardivité a doublé l'importance, ont jeté le désordre dans le camp des partisans de Leuchtenberg ; ils ont essayé, pour se relever, d'un nouvel et bien malencontreux expédient. Ils ont imaginé, dans la dernière séance, celle du 3 février, de mettre sur la sellette M. Van de Weyer, président du Comité diplomatique ;, ils lui ont adressé une série de questions, espérant trouver, dans ses réponses improvisées, des aveux compromettants ou au moins des embarras, des tergiversations qui pourraient atténuer l'échec de la veille.

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