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« Aperçus de la part que j’ai prise à la révolution de 1830 » (« Mémoires »), par A. Gendebien (1866-1867)

 

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A. LES PRODROMES DE LA RÉVOLUTION.

 

XVIII. La Commission de Sûreté publique se substitue à la Régence

 

(page 254) J'étais seul, Van de Weyer, mandé par le général d'Hooghvorst, était à son poste habituel ; les autres membres de la Commission attendaient une convocation dans le cas où les difficultés avec la Régence seraient levées. Je dis aux chefs de la police : « Emportez tous ces volumes, je vous charge de faire immédiatement un règlement de police en 25 articles que vous approprierez aux circonstances actuelles et aux événements qui peuvent surgir. » J'ajoutai : « A partir de ce moment, vous ne recevrez des ordres que de moi, et vous n'aurez de rapport qu'avec moi. La police appartient à la Commission de Sûreté et je me charge de l'administrer. »

Deux minutes s'étaient à peine écoulées, que M. Cuylen arriva tout effaré. « Qu'y a-t-il ? lui dis-je, encore une émeute ? » - « Oui, dit-il, et dans l'Hôtel de Ville.» - « Cela n'est pas possible», lui dis-je. Elle voulait entrer pour jeter par les fenêtres le bourgmestre et tout le Conseil, disait-elle. Je lui ai dit qu'il n'y avait plus ni bourgmestre ni conseil, mais une Commission de Sûreté dont je faisais partie ; sur ce, ils sont tous partis, criant : Vive Gendebien !

« Mais ce n'est pas de cela, dont je veux parler, c'est d'une émeute qui est ici, dans ce salon, à trois pieds de moi. »

(page 255) - Je le comprenais parfaitement, mais je lui dis : « Expliquez-vous, car je ne vous comprends pas. »   .

- « Mais vous vous êtes emparé de la police, vous lui avez défendu tous rapports avec l'administration, c'est bien là, il me semble, une émeute intérieure ! »

- « Ah ! vous vous imaginez que nous allons nous charger de la sûreté publique, sans police, et en la laissant dans vos mains débiles et impuissantes ? Si le Conseil a, de nouveau, changé d'avis, s'il regrette de nous avoir donné un mandat, qu'il le reprenne, il nous fera à tous un grand plaisir, nous aurons de plus la satisfaction d'une vengeance populaire qui le renversera définitivement, avant la fin de la journée. » - « Sérieusement, vous l'entendez comme cela.» - « Sans doute, et je vous défie de trouver dans Bruxelles huit citoyens qui, dans notre position, l'entendraient autrement. » - « Dans ce cas-là, il ne nous reste plus qu'à nous en aller. » - « Sans doute, et je m'étonne que le Conseil n'ait pas compris l'incompatibilité des deux pouvoirs. Au surplus, qu'il s'en aille ou qu'il reste, cela n'importe pas ; mais à la condition qu'il ne dise rien, qu'il ne fasse rien, absolument rien. » - « Dans ce cas, nous partirons tous. » - « Tous, soit, excepté vous. » - « Pourquoi moi excepté ? » - Parce que vous êtes un archiviste précieux et que nous aurons besoin de vous pour les rétroactes que nous aurons à consulter.»

- « Nenni, nenni, je pars avec les autres. » - « Vous resterez ; j'ai donné des ordres et si vous forcez la consigne, vous recevrez un coup de baïonnette dans le ventre, ou dans les reins si vous préférez. » - « Mais, mon ami, vous n'y pensez pas.» - « Je suis toujours votre ami, mais en révolution, il n'y a pas d'amitié qui dispense de l'accomplissement d'un devoir ; je ne connais d'amis, en ce moment, que ceux qui se dévouent au triomphe de notre indépendance et de nos libertés.

« Arrangez-vous de manière à vivre ici en charte privée, le plus commodément, le plus agréablement possible ; contraint et forcé, ­je vous écrirai, si vous le désirez, une sommation dans ce sens contraint et forcé, vous n'êtes pas responsable ni reprochable de la part de l'autorité, si vous étiez libre, si vous sortiez, vous pourriez être compromis vis-à-vis de tous les partis. Vous voyez que je vous traite en véritable ami. »

- « Sérieusement, je dois donc faire chercher mon bonnet de nuit ?» - « Vous pouvez même faire chercher toutes les nécessités, tous les agréments de la nuit. Si, comme je n'en doute pas, la révolution triomphe, vous me trouverez disposé à vous accorder toutes les compensations qui pourront vous faire oublier quelques jours de séquestra­tion. » (page 256) - « Je crains bien, mon cher Gendebien, que vous ne soyez victime de vos illusions. »

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