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« Aperçus de la part que j’ai prise à la révolution de 1830 » (« Mémoires »), par A. Gendebien (1866-1867)

 

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A. LES PRODROMES DE LA RÉVOLUTION.

 

XVII. Débats avec la Régence.

 

(page 252) Une vive discussion s'est établie au sein du Conseil de Régence, non seulement sur le choix des personnes, mais principalement sur les termes et la forme du mandat à octroyer à la Commission de Sûreté.

Par une espèce de transaction, le Conseil maintint le mandat dans ses trois articles, mais il en retrancha l'article final « par tous les moyens possibles» .

C'était dénaturer le mandat et lui ôter non seulement toute efficacité, mais c'était annuler les projets que Van de Weyer et moi avions conçus.

La Commission de Sûreté publique se réunit à l'hôtel de ville le 10 septembre dans la matinée.

MM. le duc d'Ursel, le prince de Ligne et de Sécus fils ne se présentèrent point et plus tard donnèrent leur démission.

Van de Weyer et moi nous avions reconnu la nécessité de maintenir les mots « par tous les moyens possibles ». Nous avons, en conséquence, rédigé la lettre suivante qui fut adoptée et signée par tous nos collègues.

« A Messieurs les membres du Conseil de Régence,

« Messieurs,

« Les sections ayant été réunies par suite de votre lettre du 8 septembre, ont nommé 16 candidats dont le mandat était déterminé, et par la lettre.de M. le Commandant en chef et par votre réponse ; par votre délibération du 9 de ce mois, les termes de ce mandat sont dénaturés.

« En conséquence, nous croyons, Messieurs, que nous ne pouvons, sans manquer à ce que nous devons à nos concitoyens, accepter la mission qui nous avait été déléguée.

« Nous vous prions d'accepter l'expression de nos regrets et de nos sentiments distingués.

« A. Gendebien, Ferd. Meeus, Comte Félix de Merode, S. Van de Weyer, Rouppe.

(page 253) Copie de cette lettre fut adressée à M. le Commandant de la garde bourgeoise : « Vous apprécierez, M. le Commandant, les raisons qui nous ont fait prendre cette détermination, etc. ».

Mêmes signatures que ci-dessus.

Le lendemain 11 septembre, Van de Weyer et moi, fûmes invités à nous rendre au Conseil de Régence ; nous résistâmes à toutes les instances qui furent faites pour nous faire accepter le mandat, tel que le Conseil l'avait réduit.

Une discussion assez vive s'engagea avec MM. Stevens, avocat, et Catloir, et je n'en ferai ressortir qu'un seul point.

Ces Messieurs disaient : « Vous insistez tant sur les mots « par tous les moyens possibles », parce que vous voulez la dictature, parce que vous voulez sortir de l'ordre légal. Nous ne pouvons y consentir, sans manquer nous-mêmes à l'ordre légal. » ,

Je répondis : «Nous ne demandons pas la dictature ; nous n'hésiterons pas à la prendre, si les événements en font une nécessité.

Si l'ordre légal suffit pour maintenir le bon ordre, la Commission de Sûreté est inutile ; vous avez le pouvoir suffisant pour faire face à toutes les éventualités.

C'est parce que vous avez reconnu, vous-mêmes, la nécessité d'un pouvoir auxiliaire, que vous avez accepté le projet d'une Commission de Sûreté publique, dans les termes ou nous l'avons proposée. Trente-­six heures de calme vous ont fait changer d'avis ; vous y reviendrez, peut-être trop tard, aux premiers désordres. »

Van de Weyer insista et dit, en son nom et au mien, que nous étions très satisfaits, ainsi que tous nos collègues, d'être déchargés du fardeau écrasant de la responsabilité que nous regrettions d'avoir acceptée.

Deux heures plus tard, l'émeute que j'avais organisée, dès le matin (et qui m'avait coûté 30 florins) descendit à midi, la rue de la Violette, vociférant « A bas le bourgmestre ! A bas la Régence ! A bas les traîtres ! » et jetant des pierres dans les fenêtres du salon où siégeait le conseil.

Ce mouvement produisit l'effet prévu : MM. Delvaux de Saive et l'avocat Kockaert, membres du Conseil, vinrent nous supplier, Van de Weyer et moi, de nous rendre au Conseil ; nous refusâmes obstinément ; nous dîmes enfin que nous ne nous rendrions au Conseil que pour autant qu'il eût préalablement reconnu la légitimité et la nécessité de maintenir notre mandat tel qu'il avait été admis précédemment. Ils retournèrent au conseil et quelques minutes après M. Kockaert vint nous dire qu'on était d'accord. Van de Weyer étant obligé de se rendre à (page 254) l'état-major, j'allai seul au Conseil ; on me proposa une nouvelle rédaction du mandat dans les termes primitifs.

Je refusai, j'exigeai que le texte primitif fût conservé et qu'en marge on écrivît : « Les mots par tous les moyens possibles ont été biffés par le Conseil, parce qu'il avait pensé que les moyens extra-légaux n'étaient pas nécessaires pour maintenir l'ordre ; mais qu'ayant reconnu depuis la nécessité de maintenir le mandat dans toute son intégrité, le Conseil rétablissait les mots : « par tous les moyens possibles ». Je leur fis comprendre que cette manière de procéder donnait, à la fois, satisfaction aux mandataires et garantissait les mandants de tout reproche de précipitation, de la part du pouvoir supérieur.

Avant de sortir du Conseil, je dis à son secrétaire, M. Cuylen : « Envoyez-moi immédiatement tous les règlements de police et en même temps tous les commissaires-chefs. Je les attendrai dans notre salle des délibérations. »

Dix minutes après, ils vinrent tous et me remirent tous les règlements demandés.

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