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« Aperçus de la part que j’ai prise à la révolution de 1830 » (« Mémoires »), par A. Gendebien (1866-1867)

 

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A. LES PRODROMES DE LA RÉVOLUTION.

 

II. L'émeute des 25-26 août. Retour de Gendebien de Mons à Bruxelles.

La réunion du 28 août à l’hôtel de ville

 

(page 204) Tandis que la révolution éclatait à Bruxelles, j'étais en route pour Paris et retenu momentanément à Mons, où une importante affaire de famille et de clientèle s'élucidait, dans une conférence, tous les soirs ; c'est après une de ces conférences que le 26, à 10 heures du soir, j'appris les désordres de Bruxelles. C'est ainsi qu'on qualifiait l'événement précurseur de la révolution.

Je voulais partir immédiatement, mon père me retint : « Vous avez, me dit-il, accepté les fonctions de rédacteur des résolutions prises en consultation, vous devez activer votre œuvre ».

Le lendemain 27, je vis mes amis politiques et les meilleurs patriotes, presque tous voulaient immédiatement arborer le drapeau français. Je les dissuadai ; je leur fis comprendre que l'Allemagne, très disposée à faire sa révolution, pourrait hésiter, dans la crainte d'un envahissement de la France, ou du moins, de sa trop grande prépondérance chez nous.

J'assistai à la dernière conférence du soir, d'où je m'esquivai pour prendre place dans les Messageries françaises qui étaient encombrées des soldats des barricades de Paris.

J'arrivai à Bruxelles, à 5 heures du matin, 28 août.

Je courus immédiatement aux bureaux du Courrier et du Belge. Je proposais pour midi, une conférence dans les bureaux du Courrier, ce qu'on accepta, promettant d'y convoquer les meilleurs patriotes.

Je me rendis chez mes amis et chez plusieurs membres de l'Union, entre autres chez M. Félix de Mérode, que j'invitai à se rendre à la convocation dans les bureaux du Courrier. « Il est nécessaire, lui dis-je, de régulariser le mouvement et de gagner du temps, à cet effet on votera une députation à La Haye. »

Je dis à peu près la même chose à M. Joseph d'Hooghvorst, lui laissant entrevoir que cette députation au roi Guillaume pouvait mettre un terme à la révolution. Je l'engageai à se rendre au moins à la réunion à l'hôtel de ville et à y faire la proposition d'une députation au Roi, ce qu'il accepta pour lui ou pour son frère.

(page 205) A 10 heures je sortis de chez moi (place des Martyrs), je donnai un coup de sonnette chez MM. De Sécus, on me dit qu'ils étaient tous deux au corps de garde de la Monnaie. Arrivé à l'angle de cette place et de la rue Neuve, je vis M. De Sécus, père, l'arme au bras, portant au chapeau et à la boutonnière, d'abondantes couleurs brabançonnes. « Mon jeune ami, me dit-il, c'est tout comme en 1789. » - « Oh ! j'espère bien que cela finira tout autrement. »

- « Mon cher Maître, lui dis-je, ce n'est pas ici votre place ; il est temps de songer à régulariser le mouvement, rendez-vous au Courrier à midi ; on y décidera une réunion à l'hôtel de ville, à 6 heures du soir, vous la présiderez, il s'agit d'envoyer une députation au Roi, M. d'Hooghvorst la proposera. » En sa qualité de primus de Louvain, il aimait le latin (Note de bas de page : A l'ancienne Université de Louvain, on appelait primus l'étudiant qui avait été proclamé le premier au concours général annuel. Cette proclamation donnait lieu à une cérémonie solennelle et à des réjouissances très originales).. Je lui dis « Cedant arma togae ; remettez votre fusil aux plus jeunes et montez dans la chaise curule. »

Plus loin je rencontrai une patrouille, j'y vis le bon, l'excellent Lesbroussart, dont le grand cœur lui faisait oublier que sa cécité ne lui permettait pas même de voir son chef de file. J'eus de la peine à le faire sortir des rangs ; il comprit enfin, comme M. De Sécus, que sa place était au conseil qui dirige.

La réunion du Courrier fit cesser l'isolement qui avait existé jusque-là et fit sentir la nécessité de réunions fréquentes, elle eut aussi, pour résultat, de raffermir les courages, de raviver la confiance quelque peu troublée par les premiers désordres. La réunion à l'Hôtel de Ville, à 6 heures, fut votée à l'unanimité et sans débats.

L'assemblée ouvrit sa séance le 28 août à six heures du soir.

Mon siège étant préparé ou plutôt étant fait et accepté d'avance, j'évitai de montrer du zèle et de la passion ; j'arrivai après l'ouverture de la séance et je parlai très peu. J'avais pour cela plusieurs motifs : le plus grand nombre des assistants ne comprenant pas la situation.

Ils voyaient dans les désordres des troubles à apaiser et non une révolution qui pouvait et devait fatalement arriver à terme. Il fallait, sans les effrayer et à leur insu, les mener au but, par des voies plus ou moins détournées.

L'énergie que j'avais montrée dans les débats du procès De Potter, l'audace dont j'avais fait preuve devant la Cour de cassation et, dans le procès de Claes, de Louvain, me faisaient considérer comme un exalté par ces timides qui sont toujours en très grand nombre.

(page 206) La rude et acerbe hostilité que j'avais montrée pour le roi Guillaume et surtout pour le ministre Van Maanen, une expression un peu sauvage dont je m'étais souvent servi, en présence des gens qui disaient : « Il faut chasser les Hollandais au-delà du Moerdyk. » - « Non pas au-delà, mais dans le Moerdyk, disais-je.» Cette boutade n'avait, au fond, rien de sérieux pour les gens qui me connaissaient, mais on s’en servait pour neutraliser mon influence que les tièdes et les timides redoutaient.

Toutes ces circonstances m'imposaient une grande sobriété de langage, de zèle et d'action, pour éviter d'effrayer les timides et peut-être plus encore pour éviter des actes prématurés, des imprudences de la part de beaucoup de patriotes très disposés à l'exaltation et à l'action immédiate.

D'un autre côté, je désirais éviter la corvée d'un voyage en Hollande. Je croyais être plus utile à Bruxelles qu'à La Haye. J'avais donc tout intérêt à m'effacer.

L'assemblée s'occupa sérieusement de plusieurs incidents oiseux, saugrenus, tels, par exemple : la proposition d'inviter le gouverneur de la province, puis l'administration communale à assister à la délibération de l'assemblée improvisée. On eut même la naïveté d'envoyer une députation au gouverneur, puis à la Régence, pour les inviter sérieusement à prendre part aux délibérations.

C'était, je le veux bien, une précaution oratoire qui cachait le désir d'éviter, dans l'avenir, l'accusation d'avoir agi illégalement. Mais déjà on avait pris cette précaution, en proposant et en obtenant de la presqu'unanimité de l'assemblée, la protestation qu'on voulait rester dans la stricte légalité. Aller au-delà, s'adresser humblement aux autorités provinciales et communales, c'était montrer de l'hésitation et de la faiblesse, vis-à-vis d'autorités qu'il fallait annuler et vaincre par l'intimidation. L'unique objet de la réunion, la proposition d'envoyer une députation au Roi, fut votée à l'unanimité et sans débats.

Malgré mon prudent effacement, je fus nommé de la députation avec MM. J. d'Hooghvorst, Félix de Mérode, de Sécus fils et Palmaert père (Note de bas de page : Palmaert père, négociant, fut membre de la Commission administrative provisoire de Bruxelles, nommée, le 9 octobre 1830, par le gouverneur de la province Van Meenen).

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